Книга - Le Déguisement Idéal

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Le Déguisement Idéal
Blake Pierce


Un thriller psychologique avec Jessie Hunt #10
«Dans ce chef-d’œuvre de suspense et de mystère, Blake Pierce a magnifiquement développé ses personnages en les dotant d’un versant psychologique si bien décrit que nous avons la sensation d’être à l’intérieur de leur esprit, de suivre leurs angoisses et de les encourager afin qu’ils réussissent. Plein de rebondissements, ce livre vous tiendra en haleine jusqu’à la dernière page.». –Books and Movie Reviews, Roberto Mattos (à propos de Sans Laisser de Traces). LE DÉGUISEMENT IDÉAL est le tome 10 tome d’une nouvelle série de suspense psychologique par l’auteur à succès Blake Pierce qui commence par LA FEMME PARFAITE, best-seller n°1 disponible en téléchargement gratuit qui a obtenu plus de 500 critiques à cinq étoiles… Quand une starlette exigeante de Hollywood est assassinée, Jessie doit évoluer dans le monde trouble des studios de cinéma, des directeurs de casting, des producteurs, des agents, des rivalités entre acteurs et d’un écosystème de personnes qui ont peut-être désiré la mort de la jeune femme… Après de nombreux coups de théâtre, Jessie se rend compte que la vérité pourrait être beaucoup plus inattendue qu’on ne le pense… Est-ce que Jessie, qui lutte encore contre ses démons personnels, pourra entrer dans l’esprit de l’assassin et l’arrêter avant qu’il ne tue quelqu’un d’autre? Thriller psychologique palpitant aux personnages inoubliables et au suspense haletant, LE DÉGUISEMENT IDÉAL est le tome 10 d’une nouvelle série fascinante qui vous tiendra éveillé tard la nuit… Le tome 11, LE SECRET IDÉAL, est maintenant disponible lui aussi!





Blake Pierce

LE DÉGUISEMENT IDÉAL




le déguisement idéal




(roman de suspense psychologique avec Jessie Hunt, tome 10)




b l a k e p i e r c e



Blake Pierce

Blake Pierce est l’auteur de la série à succès mystère RILEY PAIGE, qui comprend dix-sept volumes (pour l’instant). Black Pierce est également l’auteur de la série mystère MACKENZIE WHITE, comprenant quatorze volumes (pour l’instant) ; de la série mystère AVERY BLACK, comprenant six volumes ; et de la série mystère KERI LOCKE, comprenant cinq volumes ; de la série mystère LES ORIGINES DE RILEY PAIGE, comprenant six volumes (pour l’instant), de la série mystère KATE WISE comprenant sept volumes (pour l’instant) et de la série de mystère et suspense psychologique CHLOE FINE, comprenant six volumes (pour l’instant) ; de la série de suspense psychologique JESSIE HUNT, comprenant sept volumes (pour l’instant), ; de la série de mystère et suspense psychologique LA FILLE AU PAIR, comprenant deux volumes (pour l’instant) ; et de la série de mystère ZOÉ PRIME, comprenant trois volumes (pour l’instant) ; de la nouvelle série de mystère ADÈLE SHARP et de la nouvelle série mystère VOYAGE EUROPÉEN.



Lecteur avide et admirateur de longue date des genres mystère et thriller, Blake aimerait connaître votre avis. N’hésitez pas à consulter son site www.blakepierceauthor.com afin d’en apprendre davantage et de rester en contact.








Copyright © 2020 by Blake Pierce. Tous droits réservés. Sauf autorisation selon Copyright Act de 1976 des U.S.A., cette publication ne peut être reproduite, distribuée ou transmise par quelque moyen que ce soit, stockée sur une base de données ou stockage de données sans permission préalable de l'auteur. Cet ebook est destiné à un usage strictement personnel. Cet ebook ne peut être vendu ou cédé à des tiers. Vous souhaitez partager ce livre avec un tiers, nous vous remercions d'en acheter un exemplaire. Vous lisez ce livre sans l'avoir acheté, ce livre n'a pas été acheté pour votre propre utilisation, retournez-le et acheter votre propre exemplaire. Merci de respecter le dur labeur de cet auteur. Il s'agit d'une œuvre de fiction. Les noms, personnages, sociétés, organisations, lieux, évènements ou incidents sont issus de l'imagination de l'auteur et/ou utilisés en tant que fiction. Toute ressemblance avec des personnes actuelles, vivantes ou décédées, serait purement fortuite. Photo de couverture Copyright Gromovataya sous licence Shutterstock.com.



LIVRES PAR BLAKE PIERCE




UN VOYAGE EUROPÉEN

MEURTRE (ET BAKLAVA) (Livre 1)


LES MYSTÈRES DE ADÈLE SHARP

LAISSÈ POUR MORT (Volume 1)

CONDAMNÈ À FUIR (Volume 2)

CONDAMNÈ À SE CACHER (Volume 3)

CONDAMNÉ À TUER (Volume 4)


LA FILLE AU PAIR

PRESQUE DISPARUE (Livre 1)

PRESQUE PERDUE (Livre 2)

PRESQUE MORTE (Livre 3)


LES MYSTÈRES DE ZOE PRIME

LE VISAGE DE LA MORT (Tome 1)

LE VISAGE DU MEURTRE (Tome 2)

LE VISAGE DE LA PEUR (Tome 3)

LE VISAGE DE LA FOLIE (Tome 4)

LE VISAGE DE LA RAGE (Tome 5)


SÉRIE SUSPENSE PSYCHOLOGIQUE JESSIE HUNT

LA FEMME PARFAITE (Volume 1)

LE QUARTIER IDÉAL (Volume 2)

LA MAISON IDÉALE (Volume 3)

LE SOURIRE IDÉALE (Volume 4)

LE MENSONGE IDÉALE (Volume 5)

LE LOOK IDÉAL (Volume 6)

LA LIAISON IDÉALE (Volume 7)

L’ALIBI IDÉAL (Volume 8)

LA VOISINE IDÉALE (Volume 9)

LE DÉGUISEMENT IDÉAL (Volume 10)


SÉRIE SUSPENSE PSYCHOLOGIQUE CHLOE FINE

LA MAISON D’À CÔTÉ (Volume 1)

LE MENSONGE D’UN VOISIN (Volume 2)

VOIE SANS ISSUE (Volume 3)

LE VOISIN SILENCIEUX (Volume 4)

DE RETOUR À LA MAISON (Volume 5)

VITRES TEINTÉES (Volume 6)


SÉRIE MYSTÈRE KATE WISE

SI ELLE SAVAIT (Volume 1)

SI ELLE VOYAIT (Volume 2)

SI ELLE COURAIT (Volume 3)

SI ELLE SE CACHAIT (Volume 4)

SI ELLE S’ENFUYAIT (Volume 5)

SI ELLE CRAIGNAIT (Volume 6)

SI ELLE ENTENDAIT (Volume 7)


LES ORIGINES DE RILEY PAIGE

SOUS SURVEILLANCE (Tome 1)

ATTENDRE (Tome 2)

PIEGE MORTEL (Tome 3)

ESCAPADE MEURTRIERE (Tome 4)

LA TRAQUE (Tome 5)

SOUS HAUTE TENSION (Tome 6)


LES ENQUÊTES DE RILEY PAIGE

SANS LAISSER DE TRACES (Tome 1)

RÉACTION EN CHAÎNE (Tome 2)

LA QUEUE ENTRE LES JAMBES (Tome 3)

LES PENDULES À L’HEURE (Tome 4)

QUI VA À LA CHASSE (Tome 5)

À VOTRE SANTÉ (Tome 6)

DE SAC ET DE CORDE (Tome 7)

UN PLAT QUI SE MANGE FROID (Tome 8)

SANS COUP FÉRIR (Tome 9)

À TOUT JAMAIS (Tome 10)

LE GRAIN DE SABLE (Tome 11)

LE TRAIN EN MARCHE (Tome 12)

PIÉGÉE (Tome 13)

LE RÉVEIL (Tome 14)

BANNI (Tome 15)

MANQUE (Tome 16)

CHOISI (Tome 17)


UNE NOUVELLE DE LA SÉRIE RILEY PAIGE


RÉSOLU




SÉRIE MYSTÈRE MACKENZIE WHITE

AVANT QU’IL NE TUE (Volume 1)

AVANT QU’IL NE VOIE (Volume 2)

AVANT QU’IL NE CONVOITE (Volume 3)

AVANT QU’IL NE PRENNE (Volume 4)

AVANT QU’IL N’AIT BESOIN (Volume 5)

AVANT QU’IL NE RESSENTE (Volume 6)

AVANT QU’IL NE PÈCHE (Volume 7)

AVANT QU’IL NE CHASSE (Volume 8)

AVANT QU’IL NE TRAQUE (Volume 9)

AVANT QU’IL NE LANGUISSE (Volume 10)

AVANT QU’IL NE FAILLISSE (Volume 11)

AVANT QU’IL NE JALOUSE (Volume 12)

AVANT QU’IL NE HARCÈLE (Volume 13)

AVANT QU’IL NE BLESSE (Volume 14)


LES ENQUÊTES D’AVERY BLACK

RAISON DE TUER (Tome 1)

RAISON DE COURIR (Tome2)

RAISON DE SE CACHER (Tome 3)

RAISON DE CRAINDRE (Tome 4)

RAISON DE SAUVER (Tome 5)

RAISON DE REDOUTER (Tome 6)


LES ENQUETES DE KERI LOCKE

UN MAUVAIS PRESSENTIMENT (Tome 1)

DE MAUVAIS AUGURE (Tome 2)

L’OMBRE DU MAL (Tome 3)

JEUX MACABRES (Tome 4)

LUEUR D’ESPOIR (Tome 5)




CHAPITRE PREMIER


Chastity Ronin s’installa sur le sofa.

Elle avait son pop-corn, son vin blanc et sa télécommande. Elle appuya sur la touche « Play » et tira sa couverture jusqu’à sa poitrine pendant que le générique d’ouverture de son émission préférée commençait.

Elle avait baissé les lumières dans le salon et il faisait complètement noir dehors. C’était l’ambiance parfaite pour regarder une sitcom légère et oublier son petit ami, Brad, qui ne l’avait pas rappelée à propos de ce soir. À trente-quatre ans, Chastity pensait qu’elle avait finalement décroché le gros lot après avoir passé des années à collectionner les ratés, les bons à rien, les tarés et, dans deux ou trois cas, des malheureuses victimes de meurtre.

Cependant, maintenant, il semblait que Brad se soit avéré être un autre échec, car il n’était pas venu à leur soirée et ne l’avait même pas prévenue. De toute façon, dans sa vie, Chastity avait connu bien pire qu’un petit copain foireux.

Alors qu’elle commençait à s’intéresser à l’émission, son téléphone sonna. C’était Brad. Une partie d’elle-même aurait voulu laisser la messagerie lui répondre, mais elle décida de lui accorder une dernière chance.

– J’espère que tu as une bonne raison, dit-elle sèchement après avoir décroché.

Pendant plusieurs secondes, elle n’entendit aucune réponse, seulement un son qui ressemblait à une respiration laborieuse.

– Brad ? C’est toi ?

– Sors, dit une voix rauque.

– Quoi ? demanda-t-elle, exaspérée.

– Sors de la maison.

C’était Brad, mais sa voix paraissait faible, hésitante.

– Il est à l’intérieur.

Soudain, il y eut un léger choc à l’autre bout de la ligne et elle l’entendit aussi dans le couloir. Elle se leva et alla dans sa direction.

– Brad, dit-elle doucement, arrête de te foutre de moi. Tu connais mon passé. Ce n’est pas drôle.

– Dépêche-toi, gémit Brad à voix basse. Il approche.

Chastity se tenait devant la penderie de son couloir. Elle entendait la même voix que celle qu’elle entendait au téléphone résonner derrière cette porte. Sans prendre le temps de trop réfléchir, elle ouvrit brusquement la porte, mais ne trouva que des manteaux. Alors qu’elle allait la refermer, elle remarqua qu’il y avait du mouvement près du sol.

Deux pieds en mocassins dépassaient sous les manteaux, où ils s’agitaient mollement. Le choc des chaussures contre la fine porte de la penderie avait dû être le bruit qu’elle avait entendu. Elle déplaça les cintres et leurs vestes de côté. Devant elle, sur le sol, assis contre le fond de la penderie avec un couteau qui lui dépassait du ventre et des bulles sanguinolentes aux lèvres, elle vit Brad.

– Fuis, gémit-il une dernière fois avant que ses yeux ne perdent toute vie et que sa tête ne s’avachisse sur sa poitrine.

Ça recommence.

Chastity se retint de hurler. Si la personne qui avait fait ça était dans la maison, il fallait qu’elle sorte vite et discrètement. Elle avait déjà vécu ce type de situation et elle savait que la panique était la pire action imaginable.

Au lieu de cela, elle saisit la première arme qu’elle vit, un parapluie dans la penderie, et partit dans le hall en direction de la porte d’entrée. Alors, elle s’arrêta sur place.

C’est ce à quoi il s’attend.

Elle fit rapidement demi-tour et repartit dans le salon, ignora la télévision et se précipita vers la baie vitrée coulissante qui menait dans sa cour de derrière. Elle était à quelques pas et allait la déverrouiller quand elle sentit qu’elle n’était pas seule dans la pièce. Elle se retourna.

Debout dans le couloir, de ses yeux froids et sombres qu’elle voyait par les trous d’une cagoule noire, le Maraudeur la contemplait. Elle avait cru s’être finalement libérée des horreurs qu’il lui avait infligées, mais elle s’était trompée. Il était de retour.

Chastity se tourna et fonça vers le verrou de la porte coulissante. Elle la déverrouilla et l’ouvrit brusquement. Alors qu’elle était presque sortie, il lui sauta dessus, la retourna vers lui et lui serra la gorge de ses mains en lui arrachant sa vie souffle après souffle.

– Bon sang, Terry ! cria-t-elle, exaspérée. Combien de fois faudra-t-il que je te dise d’y aller moins fort ? J’attrape facilement des bleus. Tu ne peux pas faire semblant de m’étrangler ? Ça s’appelle être un acteur, crétin.

– Coupez ! cria une voix de l’autre côté de la pièce.

Le réalisateur poussa un soupir profond. Anton Zyskowski était un Polonais de la quarantaine qui réalisait son premier film en anglais après avoir obtenu un succès moyen avec plusieurs films à suspense polonais. Il était assez petit, avait les cheveux fins et clairsemés et une attitude sans prétention. Quand il approcha de Corinne Weatherly, elle sourit méchamment.

Après tout, si l’on avait choisi Anton pour réaliser ce film, c’est avant toute chose parce que, comme il était presque nouveau dans les studios de Hollywood, il était désavantagé en ce qui concernait ces points de discorde. En tant que star de Le Maraudeur : Renaissance et étant aussi l’actrice qui avait porté Chastity Ronin à l’écran pour la première fois, Corinne pouvait gâcher la vie à Anton si elle le décidait et elle l’avait décidé.

– Anton, siffla-t-elle quand il approcha, il se passe quoi, là ? Faut-il vraiment que je supporte cet idiot ? C’est la troisième prise que ce mec gâche en me brutalisant. Je veux dire, on ne peut pas demander à n’importe quel imbécile musclé de jouer ce rôle ? Après tout, on ne voit jamais son visage !

– Corinne, dit Anton en mauvais anglais d’un ton mal assuré, tu sais que Terry est important pour les scènes sans cagoule tant que Chastity ne sait pas encore qu’il est un tueur. Nous avons besoin d’un acteur fort. Ce sera peu crédible si le tueur encagoulé est un autre acteur. Les spectateurs le verront. Bon, je vais lui rappeler de t’appuyer moins fort sur le cou.

Corinne ne fut pas convaincue.

– Combien de fois faudra-t-il le rappeler à ce crétin ? demanda-t-elle. Je jure que je suis entourée de débiles ! Et moi qui croyais que tu étais censé être le plus grand réalisateur de films d’horreur polonais !

Du coin de l’œil, elle vit des membres de l’équipe de tournage secouer la tête. Derrière elle, quelqu’un grommela de manière tout juste intelligible.

– À force, on va finir par avoir une autre crise de nerfs style Olivet.

Elle virevolta, prête à engueuler ce créateur de rumeurs aussi vertement que le réalisateur mais, avant qu’elle n’ait pu l’identifier, Anton avança.

– Corinne, je t’en prie … commença-t-il.

– Tais-toi, je t’en prie, interrompit-elle. Voici ce qui va se passer. Je vais décompresser dans mon mobile home. Toi, tu vas trouver quelqu’un d’autre que Terry Slauson pour m’étouffer sans causer des contusions permanentes à ma trachée. Si ce n’est pas fait ce soir, on devra recommencer la scène demain. De toute façon, il se fait tard. Et puis, tant que tu y es, tu pourras peut-être ordonner à ton équipe de taire ses railleries et ses récriminations jusqu’à ce que j’aie quitté le plateau. Je suis peut-être une garce, Anton, mais je suis la garce qui commande. Ne l’oublie pas.

Elle quitta furieusement le studio, hâtivement suivie par Monica, son assistante. Corinne se retourna vers elle avec mépris.

– Tu devrais peut-être faire un peu plus de sport, Monica, dit-elle pour la réprimander. Comme ça, tu arrêterais de souffler comme un phoque. Et puis, ce pantalon t’irait mieux. On croirait que tu caches une miche de pain, sous cette ceinture.

Monica ne dit rien, ce qui rendit Corinne heureuse. Cette fille était boulotte, mais elle apprenait vite les leçons les plus importantes : obéis et tais-toi.

Ils atteignirent le mobile home Star Waggon de Corinne juste derrière le studio 32, à côté du quartier de New York installé au fond des Studios Sovereign. Corinne ouvrit la porte, monta, se retourna vers Monica et leva une main pour lui interdire d’entrer.

– Tu dis à Anton qu’il a dix minutes pour trouver un nouveau Maraudeur pour la scène. Après ça, je rentre chez moi.

– Mais, Mme Weatherly, supplia Monica.

– Le compte à rebours est enclenché, dit Corinne en levant son téléphone avant de claquer la porte au nez de l’idiote.

Elle alla à sa table à maquillage, s’assit et se regarda dans le miroir. Ses cheveux blonds teints avaient l’air cassants. Dans la lumière crue, toutes les rides qu’elle avait si désespérément tenté de cacher semblaient briller. Son corps était encore ferme, mais elle avait de plus en plus de mal à ce qu’il le reste. Cela faisait maintenant cinq ans qu’elle se retenait d’avoir recours à la chirurgie esthétique. Même si le chirurgien était très bon, quand un visage était affiché sur un écran de cinéma de grande taille, elle voyait presque toujours quelle actrice s’était fait opérer. Cependant, il était peut-être temps d’appeler finalement quelqu’un.

Ça dépendrait beaucoup de ce film. S’il marchait bien, elle pourrait attendre quelques années de plus avant de se soumettre au bistouri. Si c’était un échec commercial, dans un avenir proche, il faudrait qu’elle se fasse opérer. Quand elle avait été la nouvelle ingénue sexy d’Hollywood, elle n’avait jamais eu ces sortes d’inquiétudes.

Il y a dix ans, elle était devenue célèbre grâce à la comédie romantique Pétales et Irritabilité. Alors, elle avait obtenu le précieux premier rôle dans Maraudeur, le thriller intellectuel et psycho-sexuel. Son personnage, Chastity Ronin, était à la base une victime, mais elle était aussi une coriace qui finissait par se rebeller contre l’assassin qui la poursuivait.

Ce film avait été un succès financier et critique et, comme il était venu juste après Pétales et Irritabilité, il avait fait d’elle une véritable star montante. Malheureusement, la suite avait été un flop. Dans les onze ans qui avaient suivi, Corinne n’avait obtenu que des rôles moins glamour puis plus aucun rôle. Récemment, elle avait dû se contenter de devenir l’animatrice d’un jeu télévisé de première partie de soirée au cours duquel elle avait dû prétendre qu’elle trouvait des enfants aux talents moyens absolument adorables.

Cependant, ensuite, elle avait découvert cette pépite d’or fugace, avec quelque assistance et en mettant la pression sur les bonnes personnes, certes. On relançait la franchise Maraudeur et un réalisateur de films d’horreur acclamé qui venait d’Europe, Zyskowski, avait été nommé réalisateur d’un film qui aurait l’esprit de l’original très sophistiqué. Enfin, on allait redemander à Corinne de jouer Chastity. C’était très intéressant, la sorte de rôle susceptible de la replacer sous les feux de la rampe si tout se passait bien.

Cependant, les gens comme Terry Slauson foutaient le bordel. Comme elle était entourée d’incompétents et comprenait peu à peu que le script n’avait pas le punch qu’elle avait attendu à l’origine, ce film ne lui semblait plus être gagné d’avance. De plus, alors qu’elle aimait contrôler la situation, elle commençait à se demander si insister pour que le studio embauche un réalisateur manipulable n’était pas une erreur. Si le film n’était pas un succès, elle en serait réduite à jouer dans des téléfilms du style le plus pitoyable qui soit.

J’aurais peut-être dû les laisser choisir un réalisateur doté non seulement d’une vision mais aussi d’une autorité suffisante.

Son moment d’introspection fut interrompu quand quelqu’un frappa à la porte.

– Qui c’est ? beugla-t-elle.

– Monica, dit une voix timide.

Cette fille devrait apprendre à s’affirmer.

Elle se leva et ouvrit la porte du mobile home.

– Que se passe-t-il ?

La fille avait l’air au bord des larmes.

– Anton dit qu’on arrête pour aujourd’hui. Quand il a dit à Terry qu’il ne finirait pas la scène, Terry a quitté le plateau. Quand il est parti, je l’ai entendu dire qu’il allait porter plainte.

– Qu’il le fasse, répliqua Corinne. De mon côté, je porterai plainte parce qu’il m’a maltraitée.

Monica hocha humblement la tête. Visiblement, elle ne voulait pas protester.

– Anton a dit que nous ne pourrions pas avancer tant que les producteurs n’auraient pas résolu le problème …

– Je suis productrice, répliqua Corinne.

– Je crois qu’il voulait parler des producteurs du studio, ceux qui paient les factures. De toute façon, il a dit qu’on en avait fini pour aujourd’hui. Il dit que vous recommencez demain matin à neuf heures et qu’il espère qu’il aura tout résolu à ce moment-là.

– Bien. J’ai besoin de sommeil, de toute façon.

Monica hocha la tête. Visiblement, elle avait envie de dire autre chose mais avait peur de le faire.

– Dites-le, dit Corinne d’un ton irritable.

– C’est juste que … Avez-vous besoin d’autre chose ce soir, Mme Weatherly ? J’espérais passer à la pharmacie pour y récupérer mes médicaments. Ils ferment dans vingt minutes.

Corinne se retint de dire quelque chose de narquois sur la nature probable du médicament en question. Quand elle baissa les yeux, elle vit que la fille tremblait légèrement, apparemment terrifiée. Pendant un très bref moment, Corinne se sentit coupable. Elle voulait que Monica lui obéisse mais, en la voyant trembler de peur, elle se demanda si elle n’était pas allée un peu trop loin.

– Allez-y, dit-elle en essayant de ne pas avoir l’air trop compatissante, mais je veux que vous soyez là avant moi demain, avec mon café glacé. Vous savez comment je l’aime, maintenant, n’est-ce pas ?

– J’ai la commande pré-remplie sur l’appli, lui assura Monica.

– Bien. Je suis contente de voir que vous apprenez.

Elle referma la porte avant que Monica n’ait pu répondre.

Poussant un soupir profond, elle passa rapidement aux toilettes puis récupéra ses affaires sur le lit, qui se trouvait à l’autre bout du mobile home.

Elle se rendit compte qu’elle aurait dû dire à Monica d’amener sa voiture du garage. Pour y aller, il fallait traverser les studios et ça prenait cinq minutes. Elle envisagea de la rappeler mais décida de la laisser aller tranquille à sa pharmacie. Elle ne voulait pas que la fille s’effondre sous les effets de sa maladie pitoyable quelle qu’elle soit puis que les tabloïds le reprochent à son employeuse.

Elle éteignit le plafonnier et se tourna pour éteindre aussi la lumière du miroir de sa table à maquillage. Ce fut à ce moment-là qu’elle le vit. Écrit sur le miroir en lettres d’imprimerie bien nettes et avec ce qui semblait être son propre rouge à lèvres, il y avait un mot, un nom, en fait. Elle le reconnut immédiatement, bien sûr. Comment aurait-elle pu ne pas le connaître ? Elle pensait à cette personne tous les jours depuis dix ans. Cependant, elle ne savait absolument pas comment ce nom avait pu apparaître sur son miroir. Quand elle avait examiné ses rides, le miroir avait été propre.

Elle regarda autour d’elle, perplexe. Alors, derrière elle, dans la pénombre, elle vit du mouvement, quelqu’un qui arrivait vers elle en tenant une corde tendue. Avant qu’elle n’ait pu se retourner ou réagir, elle sentit la corde s’enrouler autour de son cou et se serrer. Dans le miroir de maquillage, elle vit que son agresseur portait une cagoule noire, exactement comme celle que le Maraudeur portait dans la scène où elle venait de jouer.

Elle se débattit pour se libérer, mais cela sembla tendre la corde encore plus. Elle essaya d’inhaler de l’air mais rien n’entra. Quand elle commença à tomber par terre, le cœur battant la chamade sous l’effet de la peur, le cerveau envahi par la panique, elle eut une pensée bizarre et inattendue : par rapport à ça, quand Terry Slauson avait maladroitement tenté de lui tordre le cou, son geste avait paru presque tendre.

Elle mourut avant d’avoir pu apprécier l’ironie de la chose.




CHAPITRE DEUX


Jessie Hunt appuya sur le bouton de répétition d’alarme de son téléphone et resta tranquillement au lit les yeux fermés en espérant se rendormir. Après tout, elle n’avait besoin d’aller nulle part.

Cependant, ce fut en vain. Son esprit battait déjà la campagne, malgré tous ses efforts pour le ralentir. On était lundi matin. C’était censé être un jour de détente, ou du moins un jour où elle devait se détendre autant qu’elle en était capable ces temps-ci. Elle n’avait pas besoin d’aller au travail. Elle n’avait pas besoin de se presser d’emmener Hannah à l’école. À une exception près, elle pouvait faire tout ce qu’elle voulait. Pourtant, la sensation qu’elle avait du travail à faire la rongeait. Elle se redressa.

Ce geste lui envoya une sensation pénible partout dans le corps. Son épaule endolorie lui faisait mal, probablement parce qu’elle avait dormi dessus par inadvertance. Quant à la peau encore à vif du bas de son dos, elle lui paraissait bizarre et tendue, comme une plaie qu’il ne fallait pas qu’elle gratte, comme elle le savait.

Quand elle regarda l’autre lit de l’autre côté de la petite chambre, elle vit que Hannah Dorsey, la demi-sœur dont elle était la tutrice à plein temps, était encore endormie et ronflait doucement. Jessie se leva, sortit de la chambre sur la pointe des pieds, alla dans le couloir et se rendit à la salle de bains. Elle vit que la porte de l’autre chambre était fermée, ce qui signifiait que Kat était encore endormie ou, chose plus probable, en train de s’habiller pour sa journée. De toute façon, cela signifiait que la salle de bains était libre.

Katherine « Kat » Gentry, la meilleure amie de Jessie, avait accepté que Jessie et Hannah restent chez elle jusqu’à ce qu’elles trouvent une nouvelle maison. Jessie ne pouvait plus supporter l’idée de vivre dans son appartement. Il s’y était passé trop de choses horribles.

Elle avait promis à Kat qu’elles ne resteraient pas plus d’un mois et, même si elles n’avaient emménagé que depuis deux semaines, elle sentait la pression. C’était en partie parce qu’elle se sentait coupable que Kat ne puisse plus accueillir confortablement son petit ami, un shérif adjoint de Lake Arrowhead du nom de Mitch Connor. D’habitude, ils ne se voyaient déjà que le week-end et, maintenant, ils ne pouvaient même plus le faire.

Cependant, au-delà de ça, trouver un nouveau logement qui ait assez de place pour deux personnes (et, espérait-elle, trois un jour) et qui puisse satisfaire ses exigences en matière de sécurité n’était pas facile. Bien que son ex-mari, Kyle Voss, ne soit plus une menace, Jessie avait encore beaucoup d’autres ennemis et beaucoup d’entre eux adoreraient avoir la possibilité de s’en prendre à elle.

Elle se rappela qu’il y avait une nécessité supplémentaire. Il faudrait aussi que le logement en question soit accessible aux handicapés. Le petit copain de Jessie, Ryan Hernandez, policier de la Police de Los Angeles, avait vécu avec elle avant leur dernière affaire, mais il était loin de pouvoir quitter l’hôpital. En vérité, elle n’était pas sûre qu’il puisse le quitter un jour. Cependant, si on l’y autorisait, il aurait besoin de rampes pour fauteuils roulants, de barres de sécurité et de nombreux autres équipements auxquels elle n’avait pas commencé à penser.

Jessie se regarda dans le miroir avant de se laver le visage. Elle n’avait pas l’air détendu d’une femme en congé. Les cernes qu’elle avait eues sous ses yeux vert vif avaient disparu, mais ses yeux avaient encore une rougeur qui suggérait qu’elle passait des nuits troublées. Ses cheveux marrons mi-longs n’étaient pas attachés pour former sa queue de cheval standard et professionnelle mais avaient l’air aussi fatigués qu’elle avait la sensation de l’être. Comme elle était penchée au-dessus du lavabo, son corps athlétique d’un mètre soixante-dix-sept paraissait beaucoup plus petit. D’une façon ou d’une autre, même ses pommettes ciselées semblaient moins marquées que d’habitude. Elle n’avait trente ans que depuis peu mais, ce matin, elle se sentait environ dix ans plus vieille.

Elle finit de se laver et sortit de la salle de bains. Dehors, elle trouva Kat qui attendait patiemment. Son amie était habillée de façon décontractée avec un jean et un haut ample qui cachait son physique ciselé. Bien qu’elle ne soit plus Ranger de l’armée américaine ou à la tête de la sécurité d’un service de psychiatrie pénitentiaire, elle semblait encore être une personne qu’il valait mieux éviter de contrarier. C’était probablement une bonne chose, parce que, dans le cadre de son nouveau travail de détective privé, elle devait encore se défendre de temps à autre.

– Tu as attendu longtemps ? demanda Jessie d’un air coupable.

– Juste quelques minutes, lui assura Kat. Je ne suis pas pressée. J’ai juste besoin de me passer une brosse dans les cheveux. Si tu veux du café, j’en ai préparé.

– Merci. Il m’en faudra.

– La nuit a encore été dure ? demanda Kat avec compassion, tout à fait consciente des épreuves récentes de Jessie.

Jessie hocha la tête.

– Cette fois-ci, je ne me souviens pas des détails des cauchemars, mais j’ai encore des images qui me flottent dans la tête.

– Veux-tu en décrire quelques-unes ? demanda Kat avec délicatesse.

Jessie réfléchit. Elle craignait que ses cauchemars ne deviennent plus puissants si elle en discutait, mais tout garder pour elle-même, comme elle l’avait souvent fait autrefois, ne l’avait pas non plus beaucoup aidée. Finalement, elle décida de se livrer à son amie.

– C’est toujours la même chose. J’imagine Kyle en train d’étrangler Garland Moses dans cette maison de plage. Je le vois enfoncer le couteau dans la poitrine de Ryan. Je me vois faire un massage cardiaque à Ryan jusqu’à ce que mes bras refusent de bouger. Alors, je vois Kyle projeter Hannah contre le sofa, où elle s’affale. Je revis les sensations que j’ai eues quand j’ai étouffé Kyle, le plaisir que j’ai ressenti quand j’ai entendu craquer sa trachée. Tu sais, des trucs marrants comme ça.

Kat resta muette pendant un moment. Jessie savait qu’elle se demandait comment répondre. Son amie savait incontestablement comment on traitait les traumatismes. Elle avait vu la plus grande partie de son unité déchiquetée par un engin explosif improvisé pendant qu’elle servait en Afghanistan. L’incident lui avait laissé des maux de tête récurrents et une longue cicatrice verticale qui lui traversait le visage en descendant de l’œil gauche. Jessie ne connaissait toujours pas les détails de ce qui s’était passé ce jour-là.

– Vois-tu encore la docteure Lemmon ? demanda finalement Kat.

La docteure Lemmon était la psychothérapeute de Jessie et cela faisait maintenant des années qu’elle l’aidait à traverser toutes ses épreuves.

– Moi et Hannah, on la voit toutes les deux, confirma Jessie. En fait, je l’ai vue vendredi dernier.

– Est-ce qu’elle t’a donné des conseils spéciaux ? demanda Kat.

– Bien sûr, comme d’habitude : ne gardez pas tout pour vous, parlez-en mais sans vous vautrer dedans, occupez-vous tout le temps et faites autant d’exercices physiques que vos blessures vous le permettent.

Les blessures dont elle parlait concernaient aussi bien l’épaule gauche qu’elle s’était luxée en affrontant Kyle jusqu’à la mort que les brûlures au dos qu’elle avait eues en sauvant une femme d’une maison en feu où se trouvait un tueur en série.

– Combien peux-tu en faire ? demanda Kat.

– Tout ce que ma tolérance à la douleur me permet. Les brûlures ne sont plus si graves. La docteure a dit qu’elles guérissaient bien et que je devrais pouvoir arrêter de porter des bandages dans une semaine environ. L’épaule me fait encore mal mais, au moins, je ne suis plus obligée de porter l’écharpe. Cependant, je suis censée aller en kinésithérapie de deux à quatre semaines de plus.

– Eh bien, au moins, tu n’auras plus de distractions professionnelles pour compliquer ta prise de rendez-vous, dit Kat avec optimisme. C’est le premier jour officiel où tu es au chômage, n’est-ce pas ?

Jessie hocha la tête. C’était théoriquement vrai. Vendredi dernier avait été son dernier jour en tant que profileuse criminelle pour la Police de Los Angeles, mais elle n’avait pas beaucoup travaillé ces derniers temps. Elle avait donné sa démission, à la grande déception de son capitaine, deux semaines auparavant.

Le capitaine l’avait suppliée de prendre un congé sabbatique et de voir comment elle se sentirait à la fin, mais Jessie avait été inflexible. Elle avait besoin de se libérer du cycle de violence qui avait dominé ses vies professionnelle et personnelle ces dernières années. De plus, quand elle parcourait les bureaux où elle avait vu Garland tous les jours, la blessure occasionnée par sa perte lui faisait trop mal.

Comme elle s’était occupée de ses blessures et de l’hospitalisation de Ryan, avait aidé à conclure les affaires de Garland, rendu l’appartement et soutenu Hannah, elle n’était en fait allée au bureau que deux ou trois fois. La dernière fois avait été vendredi, quand elle avait vidé son bureau.

– J’espère que je ne serai au chômage que peu de temps, dit Jessie. La semaine prochaine, j’ai des entretiens d’embauche à plusieurs universités pour des postes d’enseignante à l’automne. Entre temps, j’essaie d’apprécier de ne pas avoir tant de choses à faire.

Aucune des deux femmes ne mentionna les raisons principales pour lesquelles elle n’avait pas besoin de se presser à chercher un travail. Son divorce avait été lucratif. Avant d’être condamné, Kyle avait aidé à gérer une activité prospère de gestion de fortunes, donc, Jessie aurait quand même gagné beaucoup d’argent lors de son divorce quoi qu’il arrive, mais le fait que Kyle ait tenté de la faire accuser de son propre assassinat puis de la tuer avait permis à Jessie de gagner un maximum.

En dehors de ça, elle avait aussi reçu un héritage généreux de la part de ses parents adoptifs, qui avaient été assassinés par son père biologique tueur en série quelques années auparavant. L’avocat de Garland lui avait aussi dit qu’elle devrait s’attendre à recevoir un cadeau substantiel quand le testament de ce dernier serait lu cette semaine. Jessie se sentait coupable de vivre confortablement à cause de tant de douleur et de souffrances mais, comme il fallait qu’elle s’occupe de Hannah, qu’elle paye des factures médicales toujours plus élevées et des équipements de sécurité domestique complexes, elle avait accepté cet état de choses.

Avant qu’elle n’ait pu parler plus longtemps de ses perspectives professionnelles, la porte de sa chambre s’ouvrit. Elle vit sortir une Hannah aux yeux pris par le sommeil, vêtue d’une culotte et d’un débardeur et décoiffée par la nuit.

– Vous vous ressemblez comme deux gouttes d’eau, dit Kat d’un air narquois.

Malgré la gentillesse de la pique de son amie, Jessie ne put nier que c’était vrai. Même sans les dix centimètres supplémentaires que ses cheveux en bataille lui offraient, Hannah, qui mesurait un mètre soixante-quinze, était presque aussi grande que Jessie. Elles avaient le même corps mince et athlétique. De plus, quand Hannah finirait par ouvrir complètement les yeux, elle regarderait Jessie et Kat avec le même regard vert et intense que Jessie.

– Comment ça va, la Belle au bois dormant ? demanda Jessie.

– Quels projets pour aujourd’hui, princesse ? ajouta Kat.

Hannah les regarda toutes les deux d’un air renfrogné avant d’entrer dans la salle de bains et de refermer la porte sans dire un seul mot.

– Elle est adorable, dit sèchement Kat.

– Un vrai rayon de lumière, convint Jessie d’un ton sarcastique. Elle est maussade parce que ses vacances d’été sont presque finies. Elle doit aller à l’école d’été la semaine prochaine et ça ne lui plaît pas.

– Il ne lui reste qu’une semaine à se prélasser, fit remarquer Kat. Pauvre chérie. J’aimerais pouvoir en faire autant.

– Qu’as-tu de prévu, aujourd’hui ? demanda Jessie.

– Rien de passionnant. Je dois relire une documentation judiciaire ce matin. Ensuite, un couple riche veut que je découvre qui vend de la drogue à leur fils. Je suis loin d’être Philip Marlowe, le grand détective.

– Tu veux de l’aide ? Je pourrais lire les documents et —

– Non, ma belle, interrompit Kat. Tu es censée te reposer aussi bien le corps que le cerveau. Va marcher, regarde un mauvais film mais ne travaille pas.

Alors que Jessie allait répondre, son téléphone sonna. À présent, elle connaissait bien ce numéro. Elle répondit immédiatement.

– Jessie Hunt à l’appareil.

– Bonjour, Mme Hunt. Je suis l’infirmière Janelle de l’Unité des Soins Intensifs du Centre Médical. Le Dr Badalia aimerait que vous passiez pour qu’il puisse vous parler. Quand êtes-vous disponible ?

– Je serai là dans quinze minutes, dit-elle avant de raccrocher.

Elle regarda Kat, qui semblait comprendre de quoi il s’agissait.

– Habille-toi, dit son amie. Je te verse un café et je te fais griller un bagel. Tu pourras partir dans cinq minutes.

– Et Hannah ?

– Ne te soucie pas d’elle. Je la surveillerai ce matin. Quand je devrai partir, Instagram pourra prendre le relais.

Jessie cria « Merci ! » alors qu’était déjà au milieu du couloir et se dirigeait vers sa chambre.




CHAPITRE TROIS


L’hôpital s’assurait que la chambre de Ryan reste sombre et fraîche. Le sifflement du respirateur artificiel produisait un rythme régulier. Jessie aurait presque pu le trouver apaisant si elle avait pu oublier pourquoi il était là. L’infirmière lui avait dit que le Dr Badalia arriverait bientôt. En attendant, Jessie examina Ryan.

Il avait meilleure mine qu’avant. Son visage était un peu moins pâle que lors de la dernière visite de Jessie et il avait un teint moins cireux. Si elle plissait les yeux, elle pouvait imaginer qu’il était juste assoupi. Il avait encore son charme ténébreux et, avec le drap qui le couvrait jusqu’au cou, on ne voyait pas que le corps qu’il avait entretenu de son mieux avait déjà commencé à s’atrophier.

Cependant, c’était juste une illusion. Guère plus de deux semaines auparavant, Ryan Hernandez avait été le meilleur inspecteur de la SSH, la Section Spéciale Homicides de la Police de Los Angeles, celle qui enquêtait sur les affaires bien en vue ou très suivies par les médias, souvent avec plusieurs victimes et des tueurs en série. Maintenant, il était allongé dans un lit d’hôpital, sans défense, poignardé à la poitrine par l’ex-mari de Jessie pendant qu’il était chez eux. C’était un souvenir trop lourd et elle l’écarta de ses pensées.

Le Dr Badalia arriva à la porte et elle se leva pour aller le retrouver dans le hall. C’était un homme grand et mince qui approchait de la quarantaine. Comme il avait toujours une expression austère, Jessie ne pouvait jamais dire s’il allait lui annoncer de bonnes ou de mauvaises nouvelles.

– Merci d’être venue, Mme Hunt, dit-il doucement.

– Pas de problème. Avez-vous des nouvelles ?

– Oui. Comme vous le savez, nous avons sorti Ryan de son coma artificiel la semaine dernière. La nuit dernière, pour la première fois, il a un peu réagi aux stimuli. Donc, nous avons légèrement réduit sa sédation pour voir si nous pouvions répéter l’expérience. Nous avons réussi. Il a pu ouvrir les yeux et répondre à quelques questions fermées en clignant des yeux. Nous avons pu lui expliquer brièvement sa situation, pourquoi il était en respiration artificielle et ainsi de suite.

D’abord, Jessie ne put rien dire. L’émotion du moment la submergea de manière inattendue et une boule lui remplit la gorge. Ce ne fut qu’à ce moment qu’elle se rendit compte à quel point elle avait refoulé son anxiété et sa terreur pendant toutes ces semaines. Ce qui ne s’était introduit dans sa conscience qu’à ses moments de fatigue ou d’énervement venait maintenant de s’y déverser en force.

– Vous êtes sérieux ? dit-elle. C’est fantastique. Pourquoi ne m’a-t-on pas appelée ?

– Il était très tard, après minuit. De plus, honnêtement, l’effort a semblé l’épuiser. Au bout d’environ six minutes, il s’est endormi.

– Oh. Et ce matin ? S’est-il réveillé, aujourd’hui ?

– En fait, nous avons diminué le niveau de sédation il y a environ une heure parce que nous voudrions réessayer. C’est pour cela que nous vous avons appelée. J’espère que, s’il reprend conscience et si vous êtes là, il pourra communiquer un peu plus.

– Ça serait formidable, dit Jessie. On le fait dans combien de temps ?

Le Dr Badalia jeta un coup d’œil dans la chambre.

– Pourquoi pas maintenant ? proposa-t-il. On dirait qu’il est en train d’essayer de se réveiller.

Jessie se tourna et vit que Ryan était effectivement en train d’ouvrir les yeux. Il semblait avoir du mal, comme s’ils étaient collés et qu’il essayait de les ouvrir par la seule force de sa volonté. Cependant, cela semblait fonctionner. Ils retournèrent dans la chambre.

– Ryan, dit le Dr Badalia, vous avez de la visite.

Les yeux plissés, Ryan regarda Jessie traverser la pièce et approcher de lui. Alors, elle prit sa main droite dans les siennes.

– Salut, mon chéri, chuchota-t-elle. Je suis heureuse de te voir réveillé. Est-ce que tu m’entends ?

Il sembla avoir envie de hocher la tête mais, que ce soit à cause du gros tube qu’il avait dans la bouche ou par faiblesse, il n’y arriva pas.

– Un clin d’œil pour oui et deux pour non, lui rappela le Dr Badalia.

Il cligna des yeux une fois. Jessie toussa pour cacher le sanglot de joie qui lui monta dans la gorge.

– Je sais que c’est un long chemin, dit-elle, mais nous allons te sortir d’ici. Il va juste te falloir un peu de patience, d’accord ?

Ryan cligna à nouveau des yeux. Le Dr Badalia avança.

– Ryan, accepteriez-vous d’essayer un petit exercice ?

Ryan cligna des yeux une fois.

Jessie était légèrement agacée. Elle avait espéré qu’elle pourrait avoir un peu de temps pour parler à Ryan en privé, mais elle refoula son irritation. L’exercice était plus important. Le Dr Badalia poursuivit.

– Je vais demander à Jessie de poser la paume de sa main à plat et de poser votre paume par-dessus. Ensuite, je vais vous demander de lever un doigt précis. Est-ce que ça vous semble faisable ?

Ryan cligna des yeux. Jessie sortit sa main de celle de Ryan, posa la paume de sa main gauche sur le matelas puis celle de Ryan directement sur la sienne. Elle leva les yeux vers lui et sourit. Il plissa les yeux et elle considéra que cela signifiait qu’il essayait de sourire lui aussi.

– J’aimerais que vous essayiez de lever l’index droit en l’air. Pouvez-vous le faire ?

Au bout de ce qui leur parut être une attente interminable, il leva légèrement le doigt avant de le laisser retomber.

– C’est formidable, Ryan. Maintenant, pensez-vous que vous pourriez essayer de faire la même chose avec seulement votre petit doigt ?

Ryan plissa les yeux et Jessie sentit sa paume appuyer faiblement contre la sienne. Alors, il réussit à lever le doigt juste un petit peu avant de le laisser retomber.

– Vous vous débrouillez très bien, Ryan, lui assura le Dr Badalia. Pourrions-nous essayer un autre exercice ?

Ryan cligna une fois des yeux.

– OK. Celui-là est un peu plus difficile. J’aimerais que vous essayiez de retrousser tous les doigts de votre main droite pour serrer le poing sur la paume de Jessie. Commencez quand vous êtes prêt.

Jessie sentit la main de Ryan trembler légèrement quand il essaya de crisper les doigts afin de serrer le poing. Cependant, rien ne se produisit. Il ferma les yeux. Visiblement, il faisait un gros effort. Un des moniteurs qui se trouvaient à côté commença à biper plus vite qu’avant.

– C’est bon, Ryan, dit le Dr Badalia d’un ton apaisant. Vous avez fait un grand effort. Ça viendra, avec le temps. Vous pouvez vous reposer, maintenant.

Cependant, il était clair que Ryan refusait de s’arrêter. Il avait encore les yeux plissés et sa paume ouverte vibrait sur celle de Jessie. Il ouvrit les yeux et Jessie vit immédiatement que la frustration le rendait furieux. Le moniteur bipait encore plus vite.

– OK, Ryan, dit le Dr Badalia d’une voix aussi calme que toujours en allant vers la série de machines. On dirait que vous vous agitez un peu. Donc, je vais vous donner quelques sédatifs pour vous détendre et vous aider à dormir.

Ryan tourna les yeux vers Jessie. Il avait l’air paniqué, comme s’il la priait silencieusement de ne pas accepter qu’on le replonge dans le sommeil.

– Ne t’en fais pas, mon chéri, dit-elle en essayant de cacher son angoisse intérieure. Il faudra juste être patient. Repose-toi un peu. Nous pourrons réessayer plus tard.

Il cligna deux fois des yeux, s’arrêta puis recommença à plusieurs reprises. Ce ne fut que la quatrième fois où il essaya désespérément de lui demander d’interdire qu’on le replonge dans le sommeil que les sédatifs commencèrent à faire effet. Son clignement des yeux ralentit avant de s’arrêter complètement. Ses yeux se refermèrent.

Jessie se tourna vers le docteur en s’essuyant les larmes des yeux.

– On va parler dehors, dit-il gentiment. On ne sait jamais ce qu’ils entendent.

Jessie le suivit dans le hall et jusque dans la salle d’attente, où il s’assit. Elle l’imita.

– Comment tenez-vous ? demanda-t-il.

– Je me débrouille, dit-elle vite. Vous n’avez pas besoin de me réconforter ou de minimiser les faits, docteur. Dites-moi seulement où nous en sommes.

– OK. Ce que nous venons de voir a été prometteur. Je sais que Ryan s’est agacé à la fin. Cependant, vu ce qu’il a subi, avoir de la mobilité à ce stade est un signe positif. Cela dit, une route longue et difficile l’attend. Même s’il ne subit aucun dégât à long terme, rien que le fait d’être alité et sous respiration artificielle si longtemps peut entraîner des séquelles. Il aura besoin de beaucoup de kinésithérapie pour récupérer son habileté motrice de base. Il aura beaucoup de mal à marcher. Cela lui prendra peut-être de nombreux mois. De plus, il risquera d’avoir des dégâts permanents aux cordes vocales.

Jessie soupira mais, comme elle ne dit rien, le Dr Badalia poursuivit.

– C’est le scénario le plus optimiste, mais il faut que vous vous prépariez à d’autres. Il pourra subir d’autres dégâts que nous ne sommes pas encore capables de déterminer.

– Comme quoi ?

– Comme des affections nerveuses dues à la blessure causée par le couteau. De plus, il pourrait souffrir de lésions permanentes aux poumons. Certaines personnes guérissent complètement de cette sorte de chose, mais d’autres ont besoin d’une assistance constante, comme des réservoirs d’oxygène, des tuyaux respiratoires, cette sorte de chose. Enfin, il reste le risque qu’il ait subi une certaine quantité de lésions cérébrales.

Jessie le regarda, interloquée. C’était la première fois qu’elle entendait quelqu’un dire ça.

– Avez-vous vu des signes de cela ?

– C’est encore trop tôt pour le dire. Je sais que vous avez commencé à effectuer un massage cardiaque peu après son coup de poignard mais, au moins quelques fois, il a eu un accès limité à l’oxygène. Ses réactions de la nuit dernière et d’aujourd’hui sont prometteuses. Il a semblé comprendre ce que nous disions et répondre en conséquence, mais nous lui avons posé des questions simples et demandé d’effectuer des tâches élémentaires. Nous devrons attendre longtemps avant de pouvoir vérifier s’il a subi des pertes dans ses fonctions cérébrales supérieures ou dans sa mémoire.

– Dans sa mémoire ? répéta Jessie, de plus en plus choquée.

– Oui. Parfois, les blessures traumatiques, les comas artificiels ou la privation d’oxygène peuvent causer une perte de mémoire à court terme ou même permanente. Comme il a subi ces trois choses, nous ne pouvons pas éliminer ces risques.

Jessie resta assise en silence et essaya de digérer toutes ces terribles éventualités.

– Écoutez, vous m’avez demandé de ne pas minimiser les faits, donc, je vous ai tout dit. Cependant, aucune de ces issues n’est certaine. Il pourrait repartir travailler dans la police, en pleine forme, dans huit à douze mois.

– Ou alors ? insista Jessie, sentant qu’il n’avait pas tout dit.

– Ou alors, il pourra avoir besoin de soins permanents et continus dans un établissement de soins de longue durée. De plus, il peut aussi régresser et nous serions confrontés au pire des scénarios. La période actuelle est très imprévisible.

– Ouah, dit Jessie en secouant la tête, incrédule. J’ai pu lui tenir la main et le regarder dans les yeux. Je ne m’attendais pas à découvrir des perspectives aussi sombres.

Ils restèrent silencieux pendant un moment.

– Mme Hunt, puis-je vous donner un conseil ?

Jessie leva les yeux. L’expression habituellement austère du docteur s’était légèrement adoucie.

– Bien sûr.

– Je connais votre métier et je sais donc que vous avez l’habitude d’analyser vos problèmes actuels de manière méthodique et d’avoir au moins un certain degré de contrôle sur votre situation. En tant que docteur, j’aime moi aussi contrôler la situation. Cependant, en vérité, dans cette situation-là, on a très peu de contrôle. Vous pouvez venir, le soutenir, lui montrer que vous l’aimez et que vous êtes là pour lui mais, à ce stade du processus, vous n’avez aucun intérêt à vous inquiéter de ce qui pourrait se passer. Vous n’y pouvez rien. De plus, toute cette inquiétude vous épuiserait et vous auriez du mal à être là pour Ryan de la façon dont il en a besoin.

– Donc, voici ce que je vous conseille : quand vous êtes avec lui, soyez entièrement dans le moment présent mais, quand vous n’êtes pas avec lui, vivez votre vie. Voyez vos amis. Buvez du vin. Partez en randonnée. Enfin, ne vous sentez pas coupable de le faire. Ces moments de repos vous donneront la force d’être là pour lui quand il aura vraiment besoin de vous. Selon mon expérience, la meilleure façon que vous ayez de prendre soin de lui, c’est de prendre soin de vous-même.

Il sourit presque chaleureusement.

– Merci, docteur, dit-elle.

– Pas de problème. Il faut que j’y aille, mais je vous tiendrai au courant.

Il quitta la salle d’attente. Jessie y resta et regarda autour d’elle d’un air distrait. Il y avait une demi-douzaine d’autres personnes et elles donnaient toutes la même impression d’être sous le choc qu’elle, comme elle le savait. Elle se demanda brièvement quelle horreur personnelle les avait emmenées là. Est-ce que l’une d’entre elles avait perdu son mentor et presque perdu son âme-sœur dans la même semaine ? Avant qu’elle n’ait pu broyer du noir plus longtemps, son téléphone sonna. C’était le capitaine Decker, qui avait encore été son patron trois jours auparavant. Elle refusa l’appel, se leva et se rendit au parking couvert.

Alors qu’elle montait dans sa voiture, elle sentit la vibration qui indiquait qu’elle avait un message vocal. Elle fut tentée de le supprimer sans l’écouter mais ne put s’y résoudre. Cela aurait été vraiment impoli et, de plus, une partie d’elle-même avait très envie de savoir ce que le capitaine voulait. Elle écouta le message.

– Bonjour, Hunt. J’espère que vous allez bien. Je prévois d’aller rendre visite à Hernandez à l’hôpital cet après-midi. J’ai entendu dire qu’il s’était brièvement réveillé la nuit dernière. C’est une bonne chose, mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle j’appelle. Je sais que vous nous avez quittés vendredi et je m’excuse de vous demander ça, mais j’ai besoin d’aide. On vient de nous confier une affaire énorme, incroyablement médiatisée. Normalement, j’y aurais assigné Hernandez mais, comme il n’est pas disponible, je vais y assigner Trembley, qui n’a jamais eu d’affaire aussi importante. De plus, la section a beaucoup trop peu de profileurs qualifiés depuis que vous êtes partie et depuis que … vous savez … Moses. Si vous pouviez juste m’aider sur cette affaire-là, même à titre consultatif, je vous en serais éternellement reconnaissant. Tenez-moi au courant.

Jessie effaça le message, rangea son téléphone et sortit du parking couvert.

Elle avait de la peine pour Decker, mais il y aurait toujours une autre grande affaire qu’il faudrait résoudre. Jessie voulait préserver sa santé mentale et cela supposait ne plus effectuer ce travail-là.

En outre, pour l’instant, elle avait une autre tâche à accomplir, une tâche qu’elle redoutait.




CHAPITRE QUATRE


Hannah avait décidé qu’elle avait quelque chose d’anormal.

Elle avait essayé de gagner du temps et elle était restée au lit, où elle avait tenté de penser à autre chose en se demandant comment elle allait passer cette dernière semaine de vacances avant qu’elle ne soit obligée d’aller à l’école d’été pour rattraper tout ce qu’elle avait raté dans son année de première. Il n’y avait pas de bons films à voir. En voiture, la plage était trop loin de l’appartement de Kat, qui était dans le centre-ville. En outre, Hannah n’avait pas de voiture. Tous ses vieux amis, ceux qu’elle avait perdus de vue, habitaient dans la Vallée de San Fernando. Enfin, elle n’avait pas noué de nouvelles amitiés depuis que sa vie s’était transformée en roman d’aventures.

Cependant, elle avait beau essayer de s’occuper le cerveau, ses pensées revenaient toujours à la conclusion qu’elle avait atteinte. Finalement, elle avait décidé de consulter à nouveau la page web en question. Cette page de la Mayo Clinic était spécifiquement dédiée au trouble de personnalité antisociale, ou sociopathie. Ils le décrivaient comme une maladie mentale « dans le cadre de laquelle une personne montre une indifférence constante pour le bien et le mal et ignore les droits et les sentiments des autres ». La page disait aussi que les sociopathes « ont tendance à se mettre à dos, manipuler ou traiter les autres avec cruauté ou avec une indifférence insensible. Ils ne montrent aucun signe de culpabilité ou de remords pour leur comportement ».

Ça me rappelle quelqu’un.

Avant même que la docteure Lemmon n’ait commencé à poser ses questions lors des séances de psychothérapie qui avaient mené à ces interrogations, Hannah s’était demandé pourquoi elle se comportait de certaines manières. Pourquoi avait-elle réagi au meurtre de ses parents adoptifs avec plus de curiosité que d’horreur ? Quand elle avait vu un tueur en série assassiner un homme sous ses yeux et quand le tueur avait tenté de la convaincre de l’imiter, pourquoi n’avait-elle pas été remplie de la révulsion à laquelle elle se serait attendue ? Pourquoi le meurtre de Garland Moses, un vieil homme qui avait toujours été gentil avec elle, ne lui avait-il inspiré aucune réaction forte ? Pourquoi ne faisait-elle que regretter sa présence grincheuse ?

Alors, la dernière question, celle qui l’obsédait le plus, lui revint en tête. Que ressentirait-elle s’il arrivait quelque chose à Jessie, sa demi-sœur, la personne qui assurait sa tutelle, sa protectrice dévouée ? Elle serait « triste », bien sûr, mais serait-ce à cause de la perte d’un proche ou juste à cause de la perte d’une personne qui rendait sa vie plus simple et plus stable ? Pleurerait-elle la demi-sœur disparue ou serait-elle seulement dérangée parce que cela lui compliquerait la vie ?

Est-ce que je suis vraiment anormale ?

Elle décida qu’il fallait qu’elle trouve la réponse. Elle avait suivi assez de cours de sciences pour connaître la règle de base : il faut tester une théorie pour la valider ou la réfuter. Cependant, quelle serait la meilleure façon de s’y prendre ?

Quelqu’un frappa à la porte et Kat passa la tête par l’ouverture.

– Tu fais quoi ? demanda-t-elle avec désinvolture.

– Oh, je vérifiais juste ce qu’il faut que je lise cet été pour ne pas être dépassée quand je commencerai l’école la semaine prochaine, mentit-elle joyeusement.

– OK, dit Kat, apparemment satisfaite. Il faut que je sorte pour une affaire. Je peux te laisser un peu toute seule ?

– Aucun problème. Je vais probablement regarder la télé. Ou alors, je chercherai ce qui est inflammable dans ton appartement.

Kat garda pour elle ce que lui inspirait cette réplique.

– Bonne idée, préféra-t-elle répondre. À plus tard.

Kat referma la porte et Hannah se retrouva seule avec ses pensées.

C’était facile.

Elle avait menti sans difficulté et sans idée ni objectif.

Est-ce normal ?

Elle décida alors qu’une expérimentation plus formelle serait requise. Avant qu’elle ne puisse déterminer si ses limites étaient ordinaires, il fallait qu’elle découvre en quoi elles consistaient.

Je me demande si je pourrai obtenir des récompenses pour ce travail.


*

Jessie n’arrivait pas à se décider.

Cela faisait dix minutes qu’elle était assise dans sa voiture devant la demeure de Garland Moses, maison pittoresque sans étage construite à Mid-City dans les années cinquante. Finalement, à contrecœur, elle sortit de sa voiture et alla jusqu’à la porte de la maison. Elle évitait cette corvée depuis plusieurs jours.

Garland Moses, son mentor et ami, assassiné par son ex-mari assoiffé de vengeance, n’avait qu’une nièce pour toute famille, une femme assez agréable que Jessie avait rencontrée à son enterrement. Cependant, ils n’avaient pas été très proches, elle et Garland, et elle n’était venue à Los Angeles que pour rendre hommage à son oncle.

Elle ne voulait pas examiner ses effets personnels ou s’occuper de sa maison. Donc, elle avait demandé à Jessie, qui, savait-elle, avait été proche de son oncle, d’assumer cette tâche. Jessie avait accepté sans enthousiasme, surtout parce qu’elle avait senti qu’elle avait des devoirs envers l’homme qui lui avait appris à être à la fois une profileuse criminelle et un être humain à peu près fonctionnel.

Cependant, quand elle se retrouva sur le porche de Garland et se prépara à suivre ses mesures de sécurité complexes pour entrer, elle eut très envie de s’en aller et de ne rien faire du tout. Après avoir rendu à son petit copain infirme qui avait peut-être des lésions cérébrales, elle ne tenait vraiment pas à examiner les effets personnels d’un homme qui était mort parce qu’il l’avait connue.

Assez. Tu t’es engagée. Respecte ton engagement.

Secouant la tête parce qu’agacée par elle-même, Jessie alla jusqu’à la porte d’entrée de la maison petite mais impeccable de Garland. Quand elle y fut, elle suivit les instructions détaillées que l’avocat lui avait données avant qu’elle ne vienne ici pour la première fois.

Elle saisit un code à six chiffres sur le pavé numérique qui se trouvait à côté de la sonnette. Une couverture métallique se rétracta et Jessie aperçut un petit scanner. Jessie se pencha légèrement et l’appareil lui scanna les yeux. Alors, elle plaça la paume sur une vitre en verre placée sous le scanner et attendit qu’elle lise ses empreintes digitales. Après cela, elle chuchota les mots « Nickel Diner café noir » dans un micro. Ce ne fut qu’à ce moment-là que la porte d’entrée se déverrouilla avec un clic.

Jessie entra et regarda autour d’elle. Après discussion avec l’avocat de Garland, ils avaient convenu que la maison serait vendue à un prix proche de la valeur du marché. Les meubles seraient offerts à plusieurs refuges pour femmes des environs.

Il ne lui restait qu’à examiner ses papiers et ses effets personnels. C’était une tâche non moins intimidante. La dernière fois qu’elle était venue ici, une semaine auparavant, elle avait découvert que Garland gardait des fichiers sur toutes les affaires sur lesquelles il avait enquêté, aussi bien au FBI que, plus tard, à la Police de Los Angeles en tant que consultant. Il y avait de quoi remplir plusieurs casiers à la banque et la plus grande partie n’avait jamais été numérisée.

Il y avait quelques exceptions. Dans son coffre-fort, Jessie trouva des clés USB avec des documents sur une vingtaine d’affaires qui, non résolues, avaient visiblement troublé Garland. Toutefois, il n’y avait qu’une boîte ignifuge dont tout le contenu, papier et numérique, était conservé dans le coffre-fort. Cette affaire était celle du Chasseur Nocturne.

Jessie connaissait cette affaire de près. On l’enseignait au FBI et dans tous les postes de police de la région. Le Chasseur Nocturne était un tueur en série notoire qui avait tué et démembré plus de cinquante personnes sur la Côte Est dans les années 1990 avant que Garland ne le rattrape. Malheureusement, le Chasseur Nocturne avait pris le dessus puis capturé et torturé Garland pendant deux jours. Alors, le profileur avait réussi à se libérer et à utiliser la machette du tueur contre lui avant que l’homme ne s’éclipse dans la nuit.

Comme on ne l’avait jamais identifié et comme aucun des meurtres suivants n’avait correspondu au profil du Chasseur Nocturne, la plupart des gens avaient pensé qu’il avait dû mourir de ses blessures. Cependant, il était clair que Garland en avait douté. Il n’avait jamais parlé de cette affaire à Jessie, mais ses dernières notes ne remontaient qu’à trois mois, ce qui suggérait qu’il avait pensé que le coupable vivait peut-être encore quelque part. Jessie décida qu’elle ne jetterait aucun de ces documents.

Elle s’assit au bureau de Garland et imagina combien de fois il avait dû s’installer dans ce fauteuil en cuir confortable pour réfléchir à une affaire. Soudain, elle ressentit une vague d’émotion inattendue.

Depuis l’enterrement, Jessie avait la plupart du temps refusé de penser à Garland parce que cela la faisait trop souffrir. Son père biologique avait été un tueur en série qui avait disparu après avoir assassiné sa mère quand elle avait eu six ans. Ses parents adoptifs avaient été tués par ce même père tueur en série quelques années auparavant et, maintenant, ce qu’elle avait eu de plus proche d’une figure paternelle avait aussi disparu, lui aussi assassiné par une personne à laquelle elle aurait officiellement dû pouvoir faire confiance.

Elle écarta toute pensée de sa fin et essaya de se concentrer sur la manière dont il avait vécu. D’après un profil publié dans le journal, Garland Moses avait aidé à capturer au moins 1200 assassins dans sa carrière, dont une centaine de tueurs en série et de tueurs à la chaîne. De plus, ce compte n’incluait que les affaires résolues publiquement.

Cependant, la vie de Garland Moses ne s’était pas limitée aux affaires qu’il avait résolues. Jessie préférait se souvenir d’autres moments moins célèbres. Elle se souvint des petits déjeuners qu’elle avait mangés avec lui au Nickel Diner, dont le nom figurait dans le mot de passe qui déverrouillait sa porte, à quelques pâtés de maisons du Poste de Police Central où ils avaient travaillé tous les deux.

Elle se souvint que Garland avait été la seule personne apparemment capable de faire sourire Hannah, même quand elle avait été de très mauvaise humeur. Cet homme avait paru distant et sec, mais les deux sœurs avaient appris qu’il avait caché ainsi une personnalité étonnamment sentimentale. Jessie se souvint des nombreuses fois où il lui avait remonté le moral et avait montré qu’il avait confiance en ses capacités de jeune profileuse alors qu’elle en avait douté elle-même.

Sentant les larmes lui monter aux yeux, Jessie tendit la main vers le bureau pour prendre un mouchoir en papier dans la boîte. Pendant qu’elle s’essuyait les yeux, elle remarqua que quelque chose lui avait échappé la dernière fois qu’elle était venue ici. C’était un petit presse-papiers en métal qui avait la forme d’une tasse à café. Dessus, il y avait une inscription minuscule. Elle prit le presse-papiers et le tourna dans la lumière pour mieux pouvoir lire les petits mots inscrits dessus. Ces mots lui étaient familiers, mais elle ne se serait pas attendue à les trouver sur le bureau d’un homme aussi peu religieux que Garland Moses. Ces mots étaient :

Celui qui tue une vie tue le monde entier et celui qui sauve une vie sauve le monde entier.

Jessie contempla longtemps cette phrase. Même si Garland ne l’avait jamais prononcée à voix haute, il était clair que, à sa façon ronchonne et sans prétention, il l’avait prise pour maxime. Il l’avait vécue, même s’il ne l’avait jamais prononcée. Jessie se demanda ce qu’il aurait pensé s’il l’avait vue effacer le message vocal du capitaine Decker. Aurait-il secoué la tête, vaguement déçu ? Si Ryan pouvait parler, qu’en dirait-il ?

Avant de savoir ce qu’elle faisait, Jessie prit son téléphone et appela le capitaine Decker.




CHAPITRE CINQ


Jessie constata que les gens étaient étonnés de la voir.

Quand elle traversa la grande salle du poste pour aller dans le bureau de Decker, elle pensa repérer aussi quelques regards malveillants. Elle fit semblant de ne pas les remarquer.

Quand elle avait quitté la section, elle avait été formellement innocentée de l’accusation d’avoir posté des messages racistes sur Facebook. Les preuves avaient montré que son compte, rarement utilisé, avait été piraté, mais quelques-uns de ses ex-collègues semblaient avoir encore leurs doutes. Elle soupçonnait que c’était pour cela qu’ils la regardaient de travers. Cependant, la plupart des gens semblaient juste étonnés de la voir trois jours après qu’elle avait officiellement pris congé de la Police de Los Angeles.

Elle frappa à la porte de Decker, qui était légèrement entrebâillée, et attendit qu’il réponde. En dépit de toute logique, elle jeta un coup d’œil à la zone de travail de la Section Spéciale Homicides. Actuellement, elle était vide, ce qui suggérait que tout le monde était parti enquêter sur une affaire. Le vieux bureau de Jessie était vide. En face, il y avait celui de Ryan, qui était encore couvert de papiers comme s’il les y avait laissés pour aller boire un café et revenir à tout moment.

– Entrez, dit une voix familière.

Elle entra dans le bureau et ferma la porte derrière elle. Il y avait deux personnes dans la pièce. Le capitaine Roy Decker se tenait derrière son bureau. D’une façon ou d’une autre, il avait l’air remarquablement plus âgé que quand elle l’avait vu le vendredi dernier. Il était grand et maigre et sa poitrine creuse semblait s’effondrer sur elle-même. Il avait soixante ans, mais les rides profondes qu’il avait au visage donnaient plutôt l’impression qu’il en avait soixante-dix. Sur la tête, quelques mèches très désordonnées de cheveux gris s’accrochaient désespérément à son cuir chevelu.

Malgré tout cela, il était encore redoutable d’une façon ou d’une autre. Il portait un costume amidonné impeccable et une cravate comme s’il comptait entrer dans une salle de réunion du conseil d’une des entreprises les plus riches du pays. Son nez proéminent tressaillit légèrement comme s’il sentait des preuves à ce moment-même. Quant à ses yeux perçants de faucon, ils vrillèrent Jessie sur place en l’évaluant d’un seul regard.

– Je suis content de vous voir, Hunt, dit-il. Merci d’être venue. Je peux vous dire que Trembley ici présent a été content quand je lui ai annoncé la nouvelle.

Jessie jeta un coup d’œil à l’inspecteur Alan Trembley, qui était en train de se lever du sofa usé qui se trouvait contre le mur. Même s’ils avaient tous les deux commencé à travailler au Poste Central vers la même période, deux ans auparavant, Jessie ne pouvait s’empêcher de le considérer comme un bleu. C’était peut-être juste parce qu’il avait l’air si inexpérimenté par rapport à Ryan, ou alors, c’était peut-être parce qu’il ressemblait à un enfant à taille d’homme.

Trembley avait vingt-neuf ans, seulement un an de moins que Jessie, mais il donnait l’impression qu’il était encore à l’université. Ses cheveux blonds frisés étaient mal coiffés, ses lunettes tachées et sa veste de sport semblait avoir au moins deux tailles de trop, comme s’il l’avait empruntée à son père. Quand il se leva, nerveux, il faillit trébucher sur ses mocassins usés.

– Salut, Jessie, dit-il avec un sourire penaud. Je suis content que tu viennes m’aider.

– Comment ça va, Trembley ? demanda-t-elle.

– Oh, tu sais, aussi bien que d’habitude.

– Parfait, dit-elle en se retournant vers Decker. Bon, avant que nous n’allions plus loin, je veux juste être claire. Je suis venue vous écouter. Je ne m’engage à rien. Je vous le dis pour qu’on se comprenne.

Decker hocha la tête.

– J’aurais volontiers évité de vous appeler, mais nous sommes en sous-effectif. Toute la SSH, mis à part Trembley, travaille déjà sur d’autres affaires. L’inspecteur Reid enquête sur deux corps trouvés dans le parc historique d’État de Los Angeles. On dirait qu’ils ont été découpés et que les morceaux ont été enfouis à la hâte çà et là. Ils ont de quoi s’amuser.

Jessie ne dit rien, car elle sentait clairement qu’il n’avait pas fini. Elle avait raison.

– L’inspectrice Pointer enquête sur un meurtre à la chaîne près du complexe de divertissements de L.A. Live, poursuivit-il. Comme Hernandez n’est pas disponible, nous avons même demandé à Parker de la Brigade des Mœurs d’aider Pointer. De plus, comme Moses nous a quittés et comme vous êtes partie, nous avons demandé de l’aide à une autre division, qui doit nous envoyer un profileur. Nous n’avons pas encore de réponse mais, honnêtement, après vous avoir eus, vous et Moses, appeler une équipe de secours ne m’enthousiasme pas du tout.

– Compris, répondit Jessie, qui refusait d’accepter quoi que ce soit par culpabilité. Donc, en quoi consiste cette affaire ?

– Je vais vous donner la version courte, répondit Decker. C’est parce que, bien qu’une équipe d’inspecteurs du Poste de Hollywood soit déjà sur place, les responsables des lieux exigent que la SSH les remplace.

– Ils exigent ? répéta Jessie, incrédule. Je croyais que vous décidiez sur quelles affaires la SSH enquête.

– J’aurais enquêté sur cette affaire même si personne ne nous l’avait demandé, lui assura-t-il. Voici pourquoi : la victime est l’actrice Corinne Weatherly. Vous savez qui c’est ?

Jessie se creusa la cervelle.

– Je sais qui c’est, mais je ne peux pas dire que je connais son œuvre ; j’ai peut-être vu un ou deux films.

– Trembley pourra vous renseigner en route si vous prenez l’affaire. On dirait qu’elle a été tuée (étranglée, en fait) dans les Studios Sovereign pendant la nuit dernière après avoir fini sa journée de tournage. On ne l’a retrouvée que ce matin. Selon les premières déductions, elle a été tuée dans son mobile home puis le cadavre a été porté dans la section des accessoires. Apparemment, quand le mouleur en chef a découvert le corps, à première vue, il n’a même pas compris que c’était un vrai corps. Weatherly tournait dans un film d’horreur et la section regorgeait de faux cadavres. Vous pouvez imaginer la panique qu’il a ressentie quand il s’est rendu compte qu’elle était à la fois réelle et morte.

– Qu’est-ce que c’est qu’un mouleur ? dit Jessie.

Trembley intervint.

– C’est la personne chargée des effets spéciaux et du maquillage qui réalise les fausses blessures et donne un air réaliste au sang.

– OK, dit-elle en grimaçant. Ça a l’air dégoûtant.

Trembley eut l’air étonné par sa réponse.

– Je trouve surprenant qu’une profileuse criminelle confrontée à la brutalité réelle soit impressionnée par un homme qui crée de fausses blessures, fit-il remarquer.

– Bien vu, Trembley, dit Jessie.

– Bon, dit Decker en les interrompant impatiemment, les cadres du studio en font tout une affaire. L’identité de la victime a déjà fuité et ils veulent pouvoir déclarer au public que c’est l’unité anti-homicide la plus spécialisée de la Police de Los Angeles qui s’occupe de la situation. Ce n’est pas absurde mais, si nous n’envoyons pas nos meilleurs éléments résoudre cette affaire, ça donnera une mauvaise image de la section et de moi-même. Sans vouloir offenser Trembley ici présent, Ryan Hernandez est le meilleur inspecteur de la section et, comme Moses est mort, vous êtes de loin la meilleure profileuse que nous ayons.

– Avions, corrigea Jessie.

– Avions, concéda-t-il. Donc, si je n’ai pas Hernandez, il me faut au moins votre aide. C’est une affaire trop en vue pour que je la confie à des éléments de second rang.

Jessie n’apprécia pas ce que cela impliquait.

– Donc, si la victime avait été une employée d’épicerie inconnue de Hollywood, vous auriez accepté d’employer des … Quel terme avez-vous employé, déjà ? Des « éléments de second rang » ?

– Ne me compliquez pas la tâche, Hunt. Si cela avait été une employée d’épicerie, on ne nous aurait jamais appelés. Vous savez ce que fait la SSH. C’est notre spécialité. Alors, acceptez-vous de m’aider ?

Decker avait commencé sa phrase d’un ton grincheux mais, à la fin de sa phrase, son ton avait frôlé la supplication. Pour autant que Jessie se souvienne, c’était la première fois qu’il prenait ce ton-là. Elle ne put s’empêcher de ressentir une certaine compassion pour lui. En ce moment, malgré tout ce qui l’incitait à refuser, elle savait qu’elle allait dire oui.

– Si j’accepte, commença-t-elle, ce ne sera que pour cette fois-ci, comme consultante, comme Garland le faisait avant moi. Je ne suis pas employée de la Police de Los Angeles et on ne s’attendra pas à ce que je continue après cette affaire. D’accord ?

– D’accord, dit immédiatement Decker.

– J’ai des entretiens d’embauche à plusieurs universités la semaine prochaine. Je ne les manquerai pas, que cette affaire soit résolue ou pas. Je ne bousculerai pas ma vie pour elle, capitaine. C’est pour cette raison que je suis partie. Est-ce que c’est clair ?

– Limpide, dit-il en formant un début de sourire.

– Quant à Trembley ici présent, il devra faire des efforts, ajouta-t-elle. Pas question qu’il fasse le bête.

L’inspecteur eut l’air déçu, mais il ne dit rien.

– Je ne peux pas vous promettre ça, admit Decker avec ironie.

– Moi, si, lança Trembley, qui s’était vite remis de ses émotions.

Jessie le regarda. Il débordait d’enthousiasme et bondissait presque sur place. En ce moment-là, il était l’incarnation même de la bêtise.

– Allons-y, soupira-t-elle. C’est toi qui conduis.




CHAPITRE SIX


Alors qu’ils n’avaient été que cinq minutes dans la voiture, Jessie commença à regretter sa décision.

Trembley parlait sans arrêt et passait du coq à l’âne sans cohérence visible.

– Trembley ! finit-elle par dire pour l’interrompre. Calme-toi.

– Désolé, dit-il.

Elle jeta un coup d’œil à son téléphone qui vibrait. Jessie avait envoyé un SMS à Hannah pour lui dire qu’elle aidait la police sur une affaire. Elle vit alors que Hannah avait répondu en envoyant une unique émoticône à visage de fou. Quand Jessie expliquerait sa décision ce soir, ça serait dur. Kat n’avait pas encore répondu.

– Récapitulons ce que nous savons sur Corinne Weatherly et ce film, dit-elle. Je suppose que tu as des informations ?

– Ouais, dit-il avec un enthousiasme débridé avant de se calmer un peu. Je veux dire, oui. Est-ce que tu la connais ?

– Je ne suis pas très fan. Je sais qu’elle a tourné dans un film romantique il y a longtemps puis qu’elle a continué avec des films d’horreur. De plus, elle a participé à une émission nulle sur la police il y a longtemps. C’est tout ce que je sais.

– Tu sais le principal, confirma Trembley, qui semblait maintenant contrôler son exubérance. Elle a eu plusieurs petits rôles avant de devenir célèbre dans la comédie romantique Pétales et Irritabilité. Après, elle a obtenu le rôle principal dans le film d’horreur Maraudeur. Par contre, après ça, elle n’a pas vraiment percé. Elle a fait la suite du Maraudeur, qui était nulle. Les quelques années qui ont suivi, elle a participé à beaucoup d’autres trucs. Certains ont bien commencé mais ont fini par être nuls. Elle était dans la série Les Profileurs de Tacoma. Je croyais que tu l’aurais regardée.

– Je crois qu’elle a été diffusée pendant que j’étudiais pour ma maîtrise en psychologie judiciaire. À cette époque-là, je n’avais pas le temps de regarder grand-chose.

– Tu n’as pas manqué grand-chose, concéda Trembley. Elle se déroulait à Tacoma, mais ils l’ont filmée à Vancouver. Elle n’a duré que trois ans. Après ça, Corinne Weatherly a fait beaucoup de nullités. Je ne t’embêterai pas en rentrant dans les détails. Ce nouveau film était censé être son grand retour. C’était un autre Maraudeur, mais il devait renouveler le genre. Ils avaient embauché un réalisateur étranger à la mode. En fait, j’aurais voulu le voir, ce film. Je ne sais pas ce qu’ils vont faire, maintenant.

– Est-ce que les inspecteurs du Poste de Hollywood acceptent qu’on les remplace ? demanda-t-elle.

– J’ai parlé à une inspectrice de cette équipe avant que tu n’arrives au poste. Elle s’appelle Bray. Elle avait l’air un peu vexée, mais j’ai compris qu’elle était aussi un peu soulagée. Je crois qu’ils n’ont pas envie de subir le tohu-bohu que cette affaire va générer. Je veux dire, c’est quand même du lourd.

Jessie l’observa du coin de l’œil.

– Tu es sûr que tu vas pouvoir supporter ça, Trembley ? Je ne veux pas que tu t’affoles parce qu’on va croiser un groupe de célébrités. Il faut que tu gardes une distance professionnelle. Est-ce que tu peux le faire ?

Il eut l’air légèrement offensé.

– Bien sûr, dit-il.

Jessie n’en était pas entièrement convaincue.


*

Quand ils arrivèrent aux Studios Sovereign, Jessie remarqua qu’un petit mémorial avait été érigé près de la porte de l’entrée principale. Il n’y avait que quatre personnes avec quelques bougies et quelques affiches. Jessie ne savait pas si cela signifiait que Weatherly n’avait pas été si populaire que ça ou si la nouvelle ne s’était pas encore répandue.

Un vigile du studio corpulent à l’expression affable du nom de Paul les attendait. Il les dirigea vers le parking des invités, les suivit en voiturette de golf jusqu’à l’endroit où ils se garèrent et leur proposa de monter avec lui.

– Nous devons traverser la moitié du parking, dit-il pour s’expliquer. Ce serait loin, à pied.

Ils montèrent et il partit sur le sentier pavé. Jessie, qui avait étudié à l’Université de Californie du Sud et passé la plus grande partie de sa jeunesse en ville, n’avait jamais été impressionnée par sa proximité avec l’univers du cinéma, mais elle devait admettre que c’était très cool de pouvoir visiter un bâtiment où l’on tournait des films depuis presque cent ans. En route, ils passèrent devant un immense parking extérieur fermé situé en contrebas avec un énorme écran couleur ciel au fond.

– Qu’est-ce que c’est ? demanda Jessie en désignant l’endroit.

Paul le vigile suivit son doigt et sourit.

– Quand une production a besoin de tourner dans l’eau en environnement sécurisé, elle peut utiliser ça. Ils remplissent le parking avec de l’eau et il devient un énorme réservoir d’eau. Alors, ils peuvent projeter l’arrière-plan qu’ils veulent sur l’écran et, comme ça, vous êtes au milieu de l’océan, si vous le désirez.

Trembley se tourna vers Jessie avec une expression qui disait « C’est incroyable ». Elle lui adressa un regard noir et austère pour lui rappeler qu’il fallait qu’il se maîtrise. Cependant, Trembley devint presque fou quand la voiturette dépassa le réservoir et qu’il vit ce qu’il y avait derrière. Ils traversaient une restitution de plusieurs sections de New York City.

Une vitrine de bodega se dressait à côté d’une pizzeria. Ils passèrent devant un panneau de station de métro et Trembley se leva dans la voiturette pour voir jusqu’où les marches descendaient vraiment. Derrière les façades, Jessie remarqua qu’il n’y avait que des échafaudages et du vide. Ils passèrent un coin et l’apparence de la nouvelle rue changea du tout au tout.

– Quelle partie de la ville est-ce censé être ? demanda Trembley, incapable de se retenir.

– Là, c’est le Lower East Side, lui dit Paul le vigile quand ils passèrent devant une rangée de maisons de ville mitoyennes en grès rouge, mais nous avons aussi d’autres pâtés de maisons comme Greenwich Village, le Financial District et même Brooklyn. Nous avons aussi une rue de Chicago. La scène de crime est près de SoHo.

Cette dernière phrase fit disparaître une partie de son enthousiasme du visage de Trembley. Il se tut. Quelques secondes plus tard, ils s’arrêtèrent au fond du faux quartier, à côté d’une énorme salle de tournage avec « 32 » peint dessus.

– On y est, dit Paul comme si ce n’avait pas été évident, vu la foule qui s’affairait derrière le ruban jaune que la police avait installé près du studio.

– Paul, puis-je vous demander quelque chose ? essaya Jessie.

– Vous pouvez me demander ce que vous voulez, mais je ne vous promets pas d’avoir les réponses.

– J’en doute un peu, répliqua-t-elle. Vous semblez être la sorte de personne qui sait ce qui se passe par ici. Depuis combien de temps travaillez-vous dans ces studios ?

– Huit ans, dit-il. Avant, j’ai travaillé sept ans chez Sony. Je crois que je vais rester ici.

– Donc, vous savez comment ces endroits fonctionnent, dit-elle. À quoi ressemble le gardiennage de nuit, ici ? Est-il strict ou plus détendu ?

– Ça dépend. Il y a toujours du personnel. En général, nous fermons les portes latérales autour de minuit, mais il y a toujours quelqu’un à la porte principale. De plus, il y a des vigiles qui surveillent le parking toute la nuit. Cependant, s’il y a des tournages en cours la nuit, il nous faut bien évidemment plus de personnel.

– Y avait-il des tournages la nuit dernière ? demanda-t-elle.

– Tout devait se terminer à vingt-trois heures mis à part la production qui avait lieu juste ici, le film Maraudeur. Cependant, ils ont quand même fini tôt eux aussi, donc, nous en sommes restés à l’équipe de base.

– Savez-vous pourquoi ils ont fini tôt ? demanda Trembley.

Paul remua sur un pied puis sur l’autre, mal à l’aise.

– Allez, Paul, dit Jessie pour le réconforter. Vous savez pourquoi nous sommes ici. De plus, vous savez que ces cadres du studio vont nous donner la version édulcorée. Un homme comme vous, qui entend tout, connaît forcément la vérité.

Paul céda parce qu’il aimait qu’on le flatte ou parce qu’il n’arrivait plus à se taire.

– Officiellement, il y avait des problèmes techniques avec la séquence qu’ils voulaient terminer. Officieusement, j’ai entendu dire que Mme Weatherly s’était mise en colère contre son collègue, Terry Slauson ; elle disait qu’il était trop brutal avec elle dans la scène qu’ils filmaient.

– L’était-il ? demanda Jessie.

Paul haussa les épaules.

– Comme je n’y étais pas, je ne peux rien dire de certain mais, franchement, bien que je n’aime pas critiquer les morts, Mme Weatherly s’en prenait toujours à quelqu’un pour quelque chose. La semaine dernière, elle m’a crié dessus parce que j’avais tourné trop vite dans cette voiturette-là ; elle m’a traité de gros c… peu importe. Disons juste que toutes ses plaintes n’étaient pas justifiées.

Trembley semblait très déçu par la description que Paul avait donnée de l’actrice. Jessie essaya de contrôler son exaspération et se concentra sur Paul.

– Et les harceleurs ? On vous avertit si un acteur a été menacé, non ? Est-ce qu’on vous donne des photos ou des injonctions restrictives ?

– Ce n’est pas automatique, lui dit-il, mais, d’habitude, un membre de l’équipe des acteurs nous avertit s’il y a un problème. Quelques fous ont parfois essayé d’entrer dans les studios.

– Est-ce que l’équipe de Corinne Weatherly, peut-être un garde du corps, vous a déjà mentionné des problèmes ?

Paul gloussa avant de se reprendre.

– Je suis désolé. Je n’aurais pas dû. C’est juste que Mme Weatherly n’avait pas d’équipe et encore moins un garde du corps. La production lui a assigné une assistante, mais elle n’était pas vraiment en position d’avoir une équipe mobile, si vous me comprenez. En outre, si quelqu’un avait harcelé Mme Weatherly, je vous promets qu’elle nous l’aurait signalé en personne et avec vigueur.

Jessie hocha la tête. À sa grande surprise, Trembley prit la parole.

– Donc, vous dites qu’elle n’avait pas de garde du corps. Elle se promenait dans les studios toute seule ?

– Bien sûr, dit Paul, un peu interloqué. C’est en partie pour cela que les productions filment dans un seul studio. Je veux dire, comme ça, elles ont un environnement de tournage plus contrôlé où tout ce dont elles ont besoin est facilement accessible, mais c’est aussi plus sécurisé. En théorie, tous ceux qui sont dans les studios sont autorisés à y être. C’est un lieu de travail, comme un immeuble de bureaux mais en plus humble. Cela signifie que les acteurs, même les plus célèbres, peuvent en général marcher tranquillement. J’ai vu des grandes stars faire la queue à la cafétéria du studio en attendant qu’on leur apporte leurs bâtonnets de poulet pané et des producteurs célèbres porter leurs caisses de scripts dans leur voiture. C’est censé être un environnement sécurisé et, d’habitude, ça l’est. Malheureusement, ce matin, nous avons eu quelques problèmes avec des paparazzis qui ont tenté de passer par-dessus la clôture pour pouvoir prendre quelques photos impromptues du studio, ici. Cela dit, nous avons réussi à les attraper tous.

Jessie vit une petite femme de presque quarante ans approcher rapidement d’eux. Trembley la remarqua lui aussi.

– Je crois que c’est l’inspectrice Bray, marmonna-t-il à voix basse.

– Merci, Paul, dit Jessie au vigile. Vous nous avez beaucoup aidés. Je promets que nous garderons pour nous ce que vous nous avez révélé officieusement.

Paul hocha la tête, monta dans la voiturette et réussit à s’éloigner au moment où Bray arrivait. De près, Jessie vit que l’inspectrice avait des cheveux châtain clair fins et apparemment cassants, des yeux gris fatigués et ce qui semblait être des taches de feutre au bout des doigts. Son chemisier était aussi mal reboutonné et taché.

– Karen Bray, Poste de Hollywood, dit-elle en tendant la main. Je suppose que vous êtes les gars de la SSH ?

– Alan Trembley, dit son collègue en prenant la main de Bray et en la secouant vigoureusement. Voici notre profileuse, Jessie Hunt.

– Je sais qui vous êtes, dit Bray. En fait, vous êtes presque aussi célèbre que Weatherly, dans cette ville. L’année dernière, on a probablement parlé plus souvent de vous que d’elle.

– Ça a dû cesser, dit Trembley.

L’inspecteur comprit trop tard que ce propos était déplacé. Les deux femmes le contemplèrent en silence pendant un moment puis Jessie se remit de ses émotions.

– En fait, j’ai quitté la police la semaine dernière, dit-elle vite en espérant tirer Trembley d’embarras. Je suis juste ici en tant que consultante.

– Oui, j’ai aussi entendu dire ça, fit remarquer Bray.

– Vous semblez être au courant de tout, inspectrice Bray, répondit Jessie. Je ne sais pas si je serais aussi clairement au courant des choses après avoir tout juste dormi et avoir dû aider quelqu’un à terminer un – un devoir d’arts plastiques ?

Bray la contempla d’un air incrédule.

– Un devoir de sciences de CE1, en fait, dit-elle lentement. Nous avons travaillé dessus jusqu’après minuit et je me suis levée à cinq heures pour le terminer. Comment savez-vous ça ?

– En tant que profileuse, je me dois de faire des miracles de temps à autre ! dit Jessie.

Alors, elle se pencha près de la dame et lui murmura quelque chose à l’oreille pour que Trembley ne puisse pas l’entendre.

– Plus tard, passez aux toilettes. L’encre que vous avez utilisée pour ce devoir de sciences vous a taché le chemisier et il est mal boutonné.

Bray la contempla bouche bée puis la gratifia d’un petit sourire.

– Merci. Ah, la maternité ! dit-elle finalement. Au fait, désolée pour Moses. Je sais que vous étiez proches, vous deux. Tout le monde avait énormément de respect pour cet homme. Désolée aussi pour votre collègue – Hernandez, c’est ça ? Comment va-t-il ?

– Merci. C’est difficile à dire. Certains jours sont meilleurs que d’autres, vous savez ?

Bray hocha la tête puis haussa les épaules comme pour dire « Qu’y pouvons-nous ? ». Apparemment, la partie de leur conversation dédiée à la compassion avait pris fin.

– Bon, eh bien, je suppose que vous voulez savoir ce que nous avons découvert.

– Ça serait parfait, dit Trembley.

– Ne vous faites pas d’illusions. Ce n’est pas grand-chose.




CHAPITRE SEPT


Ils regardaient attentivement les vidéos de surveillance.

Une caméra fixée au plafond avait filmé l’agresseur au bord de l’écran pendant qu’il traînait Corinne Weatherly dans la section des accessoires.

– Après ça, il n’y a rien pendant un moment, jusqu’à ça, dit Bray en avançant rapidement jusqu’à l’endroit où le coupable quittait le studio de tournage et partait dans le décor de New York.

– C’est tout ? demanda Trembley.

Bray hocha la tête. Jessie se rendit compte que l’inspectrice avait raison. Si ces rares extraits de vidéo étaient tout ce qu’ils avaient, ça ne leur faisait pas grand-chose.

De plus, les images n’étaient pas de très bonne qualité. Pire encore, les caméras étaient montées si haut qu’il n’y avait aucun moyen d’évaluer la taille, le poids ou la carrure générale du coupable. Tout ce qu’ils pouvaient dire, c’était que le tueur ne portait que du noir, dont une cagoule noire.

– Donc, le tueur a disparu après ça ? demanda Jessie à Bray.

– D’après ce que révèlent les caméras, oui. Le problème, c’est qu’il n’y en a que dans les zones très fréquentées. Or, comme il y en a beaucoup, c’est difficile de surveiller toutes les caméras en temps réel. Si un vigile du bureau ne regarde pas le bon écran au bon moment, on peut facilement rater ce qui se passe. Donc, si une personne connaît bien les studios et sait comment fonctionne la sécurité par ici, surtout la nuit, elle peut échapper assez facilement aux caméras.

Trembley avait une suggestion.

– Cela signifie peut-être que nous devrions nous adresser aux gens qui gèrent la sécurité, dit-il. Avons-nous un journal qui indique qui était de service la nuit dernière ?

– Nous sommes très en avance sur vous, inspecteur, dit Bray. Nous avons non seulement ce journal, mais chaque agent de sécurité a une radio avec GPS qui permet de surveiller constamment où il est. Il doit aussi appeler le bureau principal toutes les quinze minutes. Nous connaissons les mouvements de tous les agents qui ont travaillé la nuit dernière et aucun d’eux n’était près du studio 32 ou du mobile home de Weatherly dans la plage horaire du crime.

– C’est terriblement commode pour le coupable, dit Jessie d’un air songeur. Comme vous l’avez dit, c’est presque comme si le tueur avait connu la meilleure heure pour commettre son forfait.

– C’est extrêmement louche, convint Bray.

– Comment se fait-il que nous n’ayons pas de vidéo où l’on verrait le tueur la traîner hors de son mobile home ? demanda Trembley.

– Permettez que je vous montre, dit l’inspectrice Bray en les emmenant au mobile home de Weatherly. Il y a quelques choses qu’il faut que vous voyiez là-bas, de toute façon.

Quand ils passèrent devant plusieurs des membres de l’équipe de tournage qui s’affairaient aux alentours, Jessie entendit un homme très peu discret en jeans et en tee-shirt grommeler que, au moins, maintenant, ils n’auraient pas tous besoin d’aller à une thérapie de groupe. Elle fut tentée de s’arrêter et de lui demander ce qu’il entendait par là mais, avant qu’elle ne puisse le faire, Bray parla.

– On y est, dit-elle.

Ignorant la foule de badauds, elle se baissa pour passer sous le ruban jaune de la police et entra dans le mobile home. Jessie et Trembley la suivirent. Ils se retrouvèrent immédiatement dans un autre monde. Quand Jessie pensait à un mobile home, elle imaginait un bâtiment frêle et temporaire avec des parois intérieures en liège et des néons. Cet endroit-là ressemblait à un studio onéreux.

Il contenait tous les équipements auxquels elle n’avait pas eu accès dans son vieil appartement et qu’il n’y avait pas non plus chez Kat. Le salon avait une jolie causeuse le long d’un mur. En face de la causeuse, il y avait une très grande télévision. Derrière, au fond du mobile home, il y avait un lit queen size. Le long de l’autre mur, il y avait la cuisine, qui contenait un réfrigérateur / congélateur immense, un four à micro-ondes, un four et une cuisinière.

Juste de l’autre côté, on trouvait une salle de bains étonnamment grande avec une douche qui contenait un petit banc intégré. Quand Jessie se tourna dans l’autre sens, elle vit un espace maquillage avec son grand miroir et ses lampes intégrées. Sur le miroir, un mot était écrit avec ce qui semblait être du rouge à lèvres : « Boatwright ».

– Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle.

– C’est une des choses qu’il fallait que vous voyiez, répondit l’inspectrice Bray.

– Est-ce que c’est ce que je crois ? demanda Trembley en approchant du miroir.

– Ça dépend de ce que vous croyez, répondit Bray.

– Je crois que c’est un nom.

– Le nom de qui ? demanda Jessie.

– Si je devais deviner, je dirais « Miller Boatwright ».

Il s’arrêta comme s’il avait résolu l’affaire et attendait qu’on le félicite.

– Je ne sais pas qui c’est, dit simplement Jessie.

Trembley regarda l’inspectrice Bray, qui semblait tout aussi étonnée par sa remarque.

– Ouah, dit Trembley, stupéfait. Quand tu as dit que tu avais raté quelques années de culture populaire, c’était du sérieux.

– J’ai été un peu occupée, Trembley. Tu vas expliquer ou tu comptes faire des manières toute la matinée ?

– Désolé. Miller Boatwright est un producteur de Hollywood, un des meilleurs de l’industrie cinématographique. Vous connaissez sûrement Jerry Bruckheimer ou Brian Grazer, n’est-ce pas ? Il a produit quelques-uns des films les plus célèbres des vingt dernières années.

– OK, dit Jessie. Dans ce cas, qu’est-ce que ça signifie ? Est-il producteur pour ce film ?

– Je ne sais pas, mais il a été producteur de Pétales et Irritabilité, le rôle qui a permis à Corinne Weatherly de devenir célèbre. Le casting de ce film est devenu légendaire. Weatherly a battu plus de deux cents actrices, dont quelques célébrités, et a obtenu le rôle principal féminin. Boatwright l’a défendue contre des actrices plus célèbres. Le film a finalement été un succès énorme. Weatherly a été nominée pour le Golden Globe. C’est grâce à ce film qu’elle a obtenu le rôle principal dans le Maraudeur original qui, selon moi, fait partie des cinq meilleurs films d’horreur de toute l’histoire du cinéma.

– C’est assez intéressant, convint Bray.

– Où veux-tu en venir, Trembley ? demanda Jessie, dont l’exaspération montait.

– Ce que je veux dire, c’est que, de plus d’une manière, Corinne Weatherly doit sa carrière à Miller Boatwright. Donc, le fait que son nom soit écrit sur le miroir de maquillage du mobile home où elle a été tuée ne me semble pas être une coïncidence. Je ne sais pas si Weatherly l’a écrit ou si c’est le tueur qui l’a fait ou s’il faut considérer Boatwright comme un suspect, mais je crois que nous devrions probablement discuter avec ce monsieur. D’ailleurs, son bureau se trouve dans ces studios-là.

– Comment sais-tu ça ? demanda Jessie.

– Je croyais que nous avions compris que j’étais un passionné de cinéma, lui dit-il comme si c’était évident.

– Je pourrais imaginer un autre mot pour ce que tu es, répliqua-t-elle.

– Quoi qu’il en soit, je pense quand même que nous devrions lui parler.

– Bien, convint Jessie avant de se retourner vers Bray. Vous avez dit que vous pouviez nous montrer pourquoi il n’y pas de vidéo du moment où l’on sort Weatherly d’ici.

– Exact, dit Bray en hochant la tête. Voici pourquoi.

Elle alla au fond du mobile home et s’agenouilla au pied du grand lit. Ce ne fut qu’à ce moment que Jessie remarqua une marque rectangulaire sur le sol.

– C’est la porte coupe-feu, dit Bray. Tous les mobile homes sont équipés d’une porte de ce type au cas où la porte principale serait inaccessible. Elle ne peut s’ouvrir que de l’intérieur. Ne vous inquiétez pas. Nous avons déjà cherché s’il y avait des empreintes digitales et de l’ADN.

Elle appuya sur un bouton presque invisible situé sous le lit et la porte se déverrouilla. Bray retira le verrou et leur fit signe eux de baisser les yeux. Jessie s’approcha et comprit immédiatement ce qui s’était passé.

Sous le mobile home, il y avait une chaussure de femme. Jessie comprit que ce devait être la même que celle qu’on avait retrouvée sur le corps. Il y avait des bouts de tissu, apparemment d’un vêtement déchiré, sous le mobile home, où des fils avaient dû être arrachés quand le meurtrier avait traîné sa victime sur le sol.

– Donc, elle a été tuée ici, dit Jessie, puis traînée sous le mobile home jusqu’au studio. C’est pour ça qu’on n’a pas de vidéo de ce moment. Ai-je bien compris ?

– Cela semble s’être passé comme ça, confirma Bray.

– Pourquoi ne l’a-t-il pas laissée ici ? demanda Jessie. Pourquoi courir le risque de l’emmener à un endroit où on aurait pu les voir ou de rencontrer un problème inattendu ?

– Je ne connais pas la réponse à cette question mais, quand vous verrez le corps, je crois que vous comprendrez que, quelle qu’en soit la raison, le tueur a tenu à ce que Weatherly soit retrouvée où elle était, dans l’état où elle était.

Jessie et Trembley échangèrent des regards curieux.

– On vous suit, inspectrice, dit Trembley plus calmement que Jessie aurait cru possible.




CHAPITRE HUIT


Ils examinaient le corps de Corinne Weatherly.

Morte, elle était juste une personne ordinaire. L’aura de célébrité dont elle avait bénéficié de son vivant avait été effacée et remplacée par une peau froide et des yeux vides. Le corps qu’elle avait visiblement essayé d’entretenir avec tant de soin avait commencé à se déliter. Sa peau avait perdu son élasticité et ses membres étaient rigides.

Jessie essaya de prendre ses repères dans l’espace caverneux de la salle des accessoires. Trouver une morte dans un entrepôt, ça avait un côté bizarre. Partout où Jessie regardait, il y avait des faux cadavres et un nombre illimité de membres séparés en latex sanguinolent qui donnaient l’impression qu’on les avait arrachés à des torses. Jessie aurait cru être dans un établissement de conditionnement de viande, mais avec de faux humains. Plusieurs torses féminins « morts » avaient été placés en cercle autour de Corinne, au centre de la salle.

La médecin légiste adjoint se tenait humblement de côté, prête à récupérer le corps et à l’emporter à la morgue. Selon l’inspectrice Bray, elle attendait depuis une heure, mais on lui avait interdit de bouger le corps tant que les inspecteurs de la SSH ne l’auraient pas examiné.

– Désolé, lui dit Trembley. Nous allons faire vite.

Jessie lui fit signe de se rapprocher d’elle.

– Ne t’excuse jamais de faire ton travail, marmonna-t-elle à voix basse. Nous sommes ici pour résoudre ce meurtre, pas pour hâter les choses. Si nous avons besoin d’examiner le corps pendant deux heures avant qu’elle ne l’emporte, alors, on les prend, ces foutues deux heures, d’accord ?

– D’accord, dit Trembley en rougissant. Je voulais juste être poli.

– Décide quand tu dois être poli. Cette femme qui gît au sol mérite qu’on lui fasse justice aussi bien que possible, pas qu’on soit poli.

Elle sentait qu’il allait aussi s’excuser auprès d’elle et changea de sujet.

– Que penses-tu de ça ? demanda-t-elle en montrant d’un hochement de tête ce qu’ils avaient immédiatement remarqué tous les deux quand on leur avait présenté le corps.

Dans la main droite de Weatherly, il y avait une rose blanche. Visiblement, on l’y avait placée après la mort de l’actrice. Jessie ne comprenait pas sa signification. Quand elle regarda Trembley, elle constata qu’il avait son idée.

– Ça vient du film Pétales et Irritabilité, dit-il.

– J’ai vu le film, dit Jessie, mais il y a longtemps. Je crois que j’étais à l’université. Donc, je ne me souviens pas de la rose.

Trembley jeta un coup d’œil à l’inspectrice Bray pour voir si elle voulait expliquer la chose elle-même, mais l’inspectrice haussa les épaules.

– Je me souviens qu’un homme lui en donnait une dans le film mais c’est à peu près tout.

Apparemment stupéfait, Trembley leur rappela l’histoire.

– Dans le film, elle incarne une femme du nom de Rosie qui possède un petit magasin de fleurs. Elle tombe amoureuse d’un mec charmant du nom de Dave qui entre dans le magasin. Cependant, il s’avère qu’il est un entrepreneur riche qui a acheté le terrain situé de l’autre côté de la rue afin d’y bâtir une énorme pépinière pour sa chaîne de magasins. Ils finissent par nouer une relation d’amour-haine.

– Je me souviens de cette partie, Trembley, dit Jessie. C’était surtout un plagiat de Vous avez un message, qui était un plagiat de Rendez-vous.

– Je croyais que tu n’aimais pas le cinéma, dit Trembley, impressionné.

– Je n’ai pas grandi dans un couvent, répondit Jessie. Continue.

– Eh bien, à la fin du film, il vient la trouver avec sa fleur préférée, une rose blanche, et il la demande en mariage.

– Oui, je me souviens, dit Jessie. Donc, tu penses que celui qui a tué Weatherly voulait que nous établissions ce rapprochement ?

– Cela me paraît assez évident, dit Trembley.

– Peut-être trop évident, ajouta l’inspectrice Bray.

– Peut-être, concéda Trembley, mais, d’une façon ou d’une autre, il semble clair que le coupable connaissait le film et le profil du personnage. C’était peut-être un fan obsessionnel. C’était peut-être une personne qui avait travaillé sur le tournage du film, mais il semble quand même que Pétales et Irritabilité soit d’une façon ou d’une autre lié à tout ça. Ça me fait encore plus penser qu’il faut qu’on parle à Boatwright.

– Ce n’est pas faux, dit vaguement Jessie, l’attention détournée par un petit homme rougeaud qui avançait vers eux. Inspectrice Bray, pourriez-vous nous dire qui est ce petit homme en colère qui vient vers nous ?

Bray se retourna et ses épaules s’affaissèrent de manière visible.

– C’est Anton Zyskowski, le réalisateur. Il y a plus joyeux. Courage.

Zyskowski s’arrêta devant eux et regarda directement Trembley en ignorant entièrement Jessie.

– Vous êtes l’inspecteur spécial ? demanda-t-il de façon autoritaire en levant les yeux vers Trembley qui, comme Jessie, le dépassait d’au moins quinze centimètres.

– L’inspecteur spécial ? répéta-t-il.

– Celui qui s’occupe des affaires spéciales, dit le petit homme avec un agacement évident. Cette femme dit qu’on ne peut plus tourner tant que l’inspecteur spécial n’est pas arrivé.

– J’imagine que je suis un des inspecteurs spéciaux, concéda Trembley. Nous formons une équipe.

– L’équipe, ça ne veut rien dire pour moi. J’ai besoin que la personne qui dirige l’enquête finisse son travail pour que je puisse recommencer à tourner. À chaque heure que nous passons sans tourner, nous perdons de nombreux dollars. Le temps, c’est de l’argent.

Jessie se mordit la langue et attendit de voir comment Trembley allait réagir. L’inspecteur regarda à nouveau le tout petit homme. Il commença à marmonner quelque chose sur la procédure. Jessie ne comprit pas de quoi il s’agissait. Elle douta sérieusement que le réalisateur l’ait mieux compris qu’elle.

Quand il devint manifeste que Trembley ne s’en sortait pas, Jessie avança. Zyskowski lui jeta brièvement un coup d’œil avant de recommencer à fixer Trembley d’un air intimidant.

– Vous êtes Anton, n’est-ce pas ? demanda-t-elle poliment.

– Mes amis m’appellent Anton, dit-il en la regardant de haut. Qui que vous soyez, vous pouvez dire M. Zyskowski.

À côté d’elle, l’inspectrice Bray se crispa. Jessie lui adressa un clin d’œil puis gratifia Anton Zyskowski de son sourire le plus éclatant et le moins sincère.

– Je m’appelle Jessie Hunt. Voilà comment ça va se passer, Anton, dit-elle en mettant fortement l’accent sur son nom. Le temps compte peut-être énormément pour vous, mais savez-vous ce qui compte encore plus pour nous ? C’est le cadavre qui gît au sol, à six mètres de vous. Or, comme ce corps est celui de l’actrice principale de votre film, j’aurais cru qu’il pourrait également compter pour vous.

– Bien sûr qu’il compte, répliqua-t-il, légèrement déconcerté par la réplique de Jessie. Je n’ai pas dit qu’il ne comptait pas, mais je suis en charge de ce film. Plus de trois cents emplois dépendent de moi. Je ne peux pas me contenter de pleurer la mort de Corinne. Il faut que je pense aux autres travailleurs. Il faut que je pense à l’investissement du studio. Ce n’est pas de gaieté de cœur que je le dis, mais il faut que je sois fort pour que le travail continue, malgré cette mort.

– Eh bien, Anton, dit Jessie, impassible, le travail devra attendre tant que nous n’aurons pas examiné la scène de crime. Franchement, je suis étonné que vous puissiez même continuer sans elle.

Elle regarda Anton essayer de se retenir, alors que son visage était passé du rouge à une nuance de violet.

– Les scènes de Corinne étaient presque terminées, expliqua-t-il. Pour celles qui restent, nous pourrons utiliser une doublure, ou des images numériques si nécessaire. Nous pouvons encore tourner quatre jours sans elle sans problème.

– Je crains que vous ne puissiez plus travailler dans le studio tant que l’équipe de la scène de crime ne l’aura pas examinée, lui déclara Jessie. Il faut encore que nos agents vérifient plusieurs endroits au cas où il s’y trouverait des empreintes digitales et d’autres preuves éventuelles. Cela risquera de prendre plusieurs heures supplémentaires. Je vous recommande de tourner les scènes que vous pouvez terminer ailleurs.

Anton donna l’impression que sa tête allait exploser.

– Tous nos décors sont là-bas, protesta-t-il. Je ne peux rien tourner ailleurs.

– On n’y peut pas grand-chose, Anton, mais voici ce que je propose : demandez à votre personnel de donner à l’inspectrice Bray ici présente une liste complète de toutes les personnes qui étaient sur le plateau de tournage la nuit dernière. Il faut que nous parlions à toutes ces personnes. Si elles ne sont pas déjà ici, faites-les venir. Nous vous donnerons quelques heures. Cela permettra à l’équipe de la scène de crime de finir son travail et à mon collègue et à moi de vérifier quelques pistes. Quand l’équipe de la scène de crime aura fini son travail et que nous aurons accès à tous vos travailleurs, vous pourrez recommencer à tourner. Qu’en dites-vous ?

– Ça coûtera des centaines de milliers de dollars au studio, se plaignit Anton, peut-être des millions.

Jessie haussa aimablement les épaules.

– Dans ce cas, je vous suggère de nous emmener tous vos travailleurs pour que nous puissions les interroger. Le plus vous serez préparé, le plus vite vous pourrez oublier la mort de votre actrice et reprendre le travail.

– Puis-je savoir si vous avez l’autorité pour ça ? demanda Anton d’un ton de défi.

Le sourire que Jessie avait affiché pendant toute leur conversation disparut.

– M. Zyskowski – Anton – vous pouvez être certain que, bien que je ne sois pas « inspectrice spéciale », je suis incontestablement la personne qui commande cette enquête. Je vous conseille fermement de ne pas me faire chier plus longtemps. Donc, rassemblez votre personnel et attendez que nous revenions. Maintenant, si vous voulez bien m’excuser, nous avons du travail.




CHAPITRE NEUF


Le bureau de Miller Boatwright était de l’autre côté des studios, à dix minutes à pied.

Ils s’y rendirent en laissant l’inspectrice Bray organiser le timing des interrogatoires des comédiens et de l’équipe de production qui aurait lieu plus tard. Sans Paul le vigile pour leur montrer le chemin, ils se perdirent deux fois mais, finalement, ils trouvèrent le bureau qu’ils cherchaient dans le Bâtiment Fairbanks, assez près de là où ils s’étaient garés.

Quand ils approchèrent, Trembley toussa légèrement d’une manière qui suggérait qu’il allait aborder un sujet difficile.

– Qu’y a-t-il, Trembley ? demanda Jessie, qui ne voulait pas attendre qu’il reprenne courage.

– Quoi ? Rien.

– Visiblement, il y a quelque chose, insista-t-elle. Dis-le-moi maintenant, qu’on s’en débarrasse avant de parler à Boatwright. J’ai besoin que tu sois concentré.

Trembley sembla se battre contre son bon sens puis finit par parler.

– C’est juste que tu as l’air extrêmement agressive, sur cette affaire. Je croyais que Decker voulait nous mettre ensemble parce que tu avais plus d’expérience avec les affaires très en vue et parce que tu étais plus … diplomate. Je crois qu’il s’attendait à ce que tu flattes l’ego à tous ces gens, mais on dirait que tu veux les mettre plus bas que terre.

– Je crois que tu as assez flatté de gens pour nous deux, répondit-elle d’un ton tranchant. En outre, de mon point de vue, je suis libre. Je ne travaille plus pour la Police de Los Angeles. Sur cette affaire, je ne suis que consultante, donc, je ne suis plus liée par toute cette bureaucratie. Si quelqu’un se plaint et si Decker n’est pas satisfait de moi, il pourra me virer et ça me permettra peut-être de prévoir quelques entretiens d’embauche de plus pour devenir enseignante. J’imagine que, pour résumer, avec tout ce que j’ai subi ces derniers temps, je n’ai plus la patience de me soucier d’autre chose que de l’affaire.

Trembley hocha la tête. Visiblement, il ne tenait pas à contester ce point. Ils étaient presque à la porte du Bâtiment Fairbanks.

– Je n’ai pas eu l’occasion de te dire, de vraiment te dire, à quel point je suis désolé pour la mort de Garland et pour Ryan. Je sais que tu étais proche de Garland et je sais que Ryan compte visiblement beaucoup pour toi.

– Merci, Trembley.

– Je voulais te demander, sans t’offenser, si tu es sûre d’être en sécurité là où tu loges.

– Que veux-tu dire ? demanda Jessie en plissant les yeux.

– Ne t’énerve pas, d’accord ? commença-t-il. Je sais que tu avais beaucoup de mesures de sécurité à ton adresse précédente. Ryan en avait décrit la complexité. De plus, vu les menaces que tu avais subies, elles étaient logiques. Ton père avait essayé de te tuer. Ce tueur en série, Bolton Crutchfield, le voulait aussi. Ensuite, ton ex-mari s’est attaqué à toi à cet endroit-là. Donc, il était logique que tu prennes toutes ces précautions.

– Où veux-tu en venir, Trembley ? demanda-t-elle.

– Je voulais juste dire que, même si ces menaces spécifiques ont disparu, certaines existent encore. Ce policier corrompu que tu as fait arrêter, Hank Costabile, a été condamné la semaine dernière. Je sais qu’il aimerait se venger, peut-être en envoyant quelques collègues faire le sale boulot quand ils sont hors service. Ensuite, il y a aussi Andrea Robinson, la riche psychopathe qui est devenue ton amie puis a essayé de t’empoisonner quand tu t’es rendu compte qu’elle était une criminelle. Je sais qu’elle est dans un service de psychiatrie pénitentiaire mais, la dernière fois que tu es allée la voir, elle était gravement obsédée par ta personne. Si elle s’évadait d’une façon ou d’une autre, qui sait ce dont elle serait capable ?

– Tu ne penses pas que je pourrais gérer ça moi-même ? demanda Jessie sans animosité.

– Si. Tu l’as prouvé. Cependant, je suppose que l’appartement de ton amie détective privée n’est pas aussi bien équipé en mesures de sécurité que ton adresse précédente. De plus, même si Ryan n’était pas officiellement chez toi pour vous protéger, toi et Hannah, ça vous arrangeait d’avoir un policier décoré comme colocataire. Je dis seulement que Corinne Weatherly n’est peut-être pas la seule qui aurait pu bénéficier des services d’un garde du corps.

Jessie savait que Trembley essayait seulement de l’aider. Honnêtement, sa sécurité était encore fragile. De plus, comme son petit ami était à l’hôpital, comme son mentor avait été assassiné et comme sa sœur sursautait à chaque fois que l’on claquait une porte, Trembley n’avait pas tort de suggérer qu’elle devrait se protéger de manière proactive. Elle décida de lui répondre aimablement.

– J’apprécie ton inquiétude et tu as raison. Il y a encore des menaces sérieuses. C’est pour cela que je recherche activement un nouveau logement. Cependant, entre temps, Hannah et moi, nous vivons avec une ex-Ranger de l’armée américaine. De plus, j’ai quand même appris quelques choses en matière d’auto-défense à l’Académie du FBI quand j’ai suivi leur formation. Je crois qu’on se débrouillera pendant les quelques semaines qui suivront, même sans garde du corps, jusqu’à ce que je trouve un logement qui me plaise.

– OK, dit Trembley, mais je suis sûr que, si tu le lui demandais, le capitaine Decker enverrait une unité patrouiller régulièrement autour de chez ton amie, même si tu n’es plus leur employée, officiellement parlant.

– J’y penserai, promit Jessie. Entre temps, nous devrions peut-être nous concentrer sur ce Boatwright. Y a-t-il quoi que ce soit de spécial qu’il faut que je sache avant que nous ne lui parlions ?

– Je n’en sais pas plus que le fan de cinéma de base, répondit Trembley, mais ce gars a vraiment une réputation hors du commun.

– Qu’entends-tu par-là ?

– Je veux dire qu’il fait tout en grand. Il fait de grands films. Il a une grande personnalité. De plus, si les rumeurs sont fondées, il a aussi un gros appétit.

– Pour la nourriture ?

– Pour les femmes, dit Trembley. Il est réputé pour ses relations avec des actrices. On dit qu’il accorde des rôles en échange de faveurs sexuelles, mais ce ne sont que des suppositions. Je crois que personne n’a de preuve formelle. J’ai aussi entendu dire qu’il a du charme et que de nombreuses femmes le trouvent attirant. Tu pourras en juger par toi-même.

– On dirait un vrai charmeur, marmonna Jessie.

– Apparemment, c’en est un, même si, d’après ce que j’ai lu, il a aussi un caractère impressionnant. Je crois que, s’il est aussi riche et s’il a aussi bien réussi, c’est parce qu’il a pris l’habitude d’imposer sa volonté.

– Je n’accepte pas cette attitude, dit fermement Jessie.

– Je sais, dit prudemment Trembley, mais ne pourrais-tu pas éviter une confrontation ouverte avec ce gars ? Si tu l’agaces, il pourrait refuser de nous révéler plusieurs choses qui nous font besoin. En outre, tu es encore en train de te remettre de ton épaule disloquée et de tes brûlures, n’est-ce pas ?

– J’ai guéri presque entièrement, dit-elle en essayant de ne pas sourire. Je parie que je pourrais lui filer une bonne raclée.

Trembley eut l’air découragé. Jessie eut l’impression qu’elle regardait un petit chien tout triste.

– Je rigole, lui assura-t-elle. Je promets que je ne frapperai que s’il m’attaque en premier.

Le bureau de Miller Boatwright était à la fin du couloir au rez-de-chaussée du Bâtiment Fairbanks, un immeuble d’appartements converti en bureaux et dont la construction remontait à 1914, selon une plaque fixée au mur. La pancarte qui se trouvait sur la porte du bureau de Boatwright indiquait « Harlow Bungalow ».

– C’est une référence à Jean Harlow, chuchota Trembley en ouvrant la porte, une star des années trente.

Jessie, qui savait parfaitement bien qui était Jean Harlow, se contenta de remercier son collègue.

La porte d’entrée donnait sur une petite salle d’attente qui rappela à Jessie celle de sa psychothérapeute. L’endroit était étonnamment impersonnel, même s’il comportait une demi-douzaine de fauteuils en cuir anciens séparés par des tables basses en bois décorées avec soin. En face, il y avait une baie vitrée coulissante en verre dépoli qui faisait elle aussi penser à un cabinet médical. À côté, on voyait une porte en bois apparemment lourde.

– Puis-je vous aider ? dit une voix féminine semblant venir de nulle part.

Jessie et Trembley regardèrent autour d’eux pour en trouver l’origine.

– Par ici, dit la voix. Il y a une caméra dans le mur près de la fenêtre.

Trembley avança jusqu’à l’endroit indiqué et regarda la petite caméra. Ni lui ni Jessie ne l’avaient remarquée jusqu’à présent.

– Bonjour, dit-il d’une voix soudain nerveuse. Nous sommes venus parler à M. Boatwright.

Jessie ferma les yeux et se rappela de respirer et de ne pas crier. Elle ne comprenait pas pourquoi Trembley n’avait pas dit qui il était. Elle attendit que la voix le lui demande.

– Je suis désolée, mais M. Boatwright ne reçoit pas les gens sans rendez-vous. Sur son site web, Boatwright Films, il y a un numéro de téléphone et une page de messagerie avec des instructions. N’oubliez pas de préciser vos coordonnées et nous vous répondrons si nous sommes intéressés.





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«Dans ce chef-d’œuvre de suspense et de mystère, Blake Pierce a magnifiquement développé ses personnages en les dotant d’un versant psychologique si bien décrit que nous avons la sensation d’être à l’intérieur de leur esprit, de suivre leurs angoisses et de les encourager afin qu’ils réussissent. Plein de rebondissements, ce livre vous tiendra en haleine jusqu’à la dernière page.». –Books and Movie Reviews, Roberto Mattos (à propos de Sans Laisser de Traces). LE DÉGUISEMENT IDÉAL est le tome 10 tome d’une nouvelle série de suspense psychologique par l’auteur à succès Blake Pierce qui commence par LA FEMME PARFAITE, best-seller n°1 disponible en téléchargement gratuit qui a obtenu plus de 500 critiques à cinq étoiles… Quand une starlette exigeante de Hollywood est assassinée, Jessie doit évoluer dans le monde trouble des studios de cinéma, des directeurs de casting, des producteurs, des agents, des rivalités entre acteurs et d’un écosystème de personnes qui ont peut-être désiré la mort de la jeune femme… Après de nombreux coups de théâtre, Jessie se rend compte que la vérité pourrait être beaucoup plus inattendue qu’on ne le pense… Est-ce que Jessie, qui lutte encore contre ses démons personnels, pourra entrer dans l’esprit de l’assassin et l’arrêter avant qu’il ne tue quelqu’un d’autre? Thriller psychologique palpitant aux personnages inoubliables et au suspense haletant, LE DÉGUISEMENT IDÉAL est le tome 10 d’une nouvelle série fascinante qui vous tiendra éveillé tard la nuit… Le tome 11, LE SECRET IDÉAL, est maintenant disponible lui aussi!

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