Книга - Un mauvais pressentiment

a
A

Un mauvais pressentiment
Blake Pierce


Une Enquête de Keri Locke #1
Une histoire haletante qui vous accroche dès le premier chapitre pour ne plus vous lâcher Midwest Book Review, Diane Donovan (au sujet de Sans laisser de traces) Blake Pierce, auteur à succès de romans policiers, nous livre son dernier chef-d’œuvre de suspense. Keri Locke, une agent du service des personnes disparues au sein de la police de Los Angeles, n’a qu’une obsession : retrouver sa fille, qui a été enlevée des années plus tôt et n’a jamais été retrouvée. Keri noie sa peine en s’investissant à corps perdu dans ses enquêtes sur des personnes disparues à Los Angeles. Un après-midi, elle reçoit un appel d’une maman inquiète, dont la fille adolescente ne donne plus de nouvelles depuis deux heures. Malgré qu’on lui ordonne de l’ignorer, Keri est touchée par l’accent désespéré de cette mère, et décide de mener l’enquête. Ce qu’elle va découvrir est choquant : l’adolescente, qui est aussi la fille d’un sénateur américain, avait de nombreux secrets. Tout semble indiquer une fugue, et Keri est dessaisie de l’affaire. Et pourtant, malgré la pression de ses supérieurs, des médias, et malgré l’absence de pistes, Keri persiste. Brillante et obstinée, Keri sait qu’elle n’a que 48 heures pour retrouver la jeune fille vivante. Un mauvais pressentiment est un thriller psychologique au suspense haletant, qui ouvre une nouvelle série de romans – et une nouvelle enquêtrice attachante – et qui vous tiendra en haleine jusqu’à la fin. Un chef-d’œuvre de suspense et de mystère ! L’auteur a parfaitement réussi à développer la psychologie des personnages, qui sont si bien décrits qu’on se sent dans leur peau et qu’on a peur pour eux. L’intrigue est très bien ficelée et vous captivera tout au long du livre. Ce roman plein de rebondissements vous tiendra en haleine jusqu’à la toute dernière page. Books and Movie Reviez, Roberto Mattos (au sujet de Sans laisser de traces) Le deuxième tome de la série Keri Locke sera bientôt disponible.





Blake Pierce

UN MAUVAIS PRESSENTIMENT




Blake Pierce

Blake Pierce est l’auteur de la populaire série de thrillers RILEY PAIGE. Il y a sept tomes, et ce n’est pas fini ! Blake Pierce écrit également les séries de thrillers MACKENZIE WHITE (cinq tomes, série en cours), AVERY BLACK (quatre tomes, série en cours) et depuis peu KERI LOCKE.

Fan depuis toujours de polars et de thrillers, Blake adore recevoir de vos nouvelles. N'hésitez pas à visiter son site web www.blakepierceauthor.com (http://www.blakepierceauthor.com/) pour en savoir plus et rester en contact !



Copyright © 2016 par Blake Pierce. Tous droits réservés. Sauf dérogations autorisées par la loi des Etats-Unis sur le droit d’auteur de 1976, aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, distribuée sous quelque forme que ce soit ou par quelque moyen que ce soit, ou stockée dans une base données ou système de récupération, sans l’autorisation préalable de l’auteur. Ce livre électronique est réservé sous licence à votre seule utilisation personnelle. Ce livre électronique ne saurait être revendu ou offert à d’autres personnes. Si vous souhaitez partager ce livre avec une tierce personne, veuillez en acheter un exemplaire supplémentaire pour chaque destinataire. Si vous lisez ce livre sans l’avoir acheté ou s’il n’a pas été acheté pour votre seule utilisation personnelle, vous êtes prié de le renvoyer et d’acheter votre propre exemplaire. Merci de respecter le dur travail de cet auteur. Il s’agit d’une œuvre de fiction. Les noms, personnages, entreprises, organisations, lieux, évènements et péripéties sont le fruit de l’imagination de l’auteur ou sont utilisés dans un but de fiction. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, n’est que pure coïncidence. Image de couverture : Copyright Anna Caczi, utilisée en vertu d’une licence accordée par Shutterstock.com



DU MÊME AUTEUR

LES ENQUÊTES DE RILEY PAIGE

SANS LAISSER DE TRACES (Tome 1)

REACTION EN CHAINE (Tome 2)

LA QUEUE ENTRE LES JAMBES (Tome 3)

LES PENDULES À L’HEURE (Tome 4)

QUI VA A LA CHASSE (Tome 5)

A VOTRE SANTÉ (Tome 6)

DE SAC ET DE CORDE (Tome 7)

UN PLAT QUI SE MANGE FROID (Tome 8)



LES ENQUÊTES DE MACKENZIE WHITE

AVANT QU’IL NE TUE (Tome 1)

AVANT QU’IL NE VOIE (Tome 2)

AVANT QU’IL NE CONVOITE (Tome 3)



LES ENQUÊTES D’AVERY BLACK

RAISON DE TUER (Tome 1)

RAISON DE COURIR (Tome 2)

RAISON DE SE CACHER (Tome 3)



LES ENQUETES DE KERI LOCKE

UN MAUVAIS PRESSENTIMENT (TOME 1)

DE MAUVAIS AUGURE (TOME 2)

L’OMBLRE DU MAL (TOME 3)




PROLOGUE


Il vérifia sa montre : 14h59. La cloche de l’école allait sonner dans moins d’une minute. Ashley habitait à douze rues de l’école, soit un peu plus d’un kilomètre, et faisait généralement le trajet à pied. Sa seule crainte était qu’aujourd’hui, elle ait exceptionnellement de la compagnie en chemin.

Peu après la sortie du flot d’écoliers, il la vit se diriger vers la grand-rue, accompagnée de deux autres filles. Consterné, il les vit s’arrêter à un passage piéton en discutant. Ce n’était pas possible – il fallait que les deux filles s’en aillent, il fallait qu’Ashley se retrouve toute seule. Il le fallait.

Il sentit l’angoisse monter. C’était son jour, l’occasion parfaite. Assis à l’avant de sa fourgonnette, il s’appliqua à maîtriser ce qu’il surnommait son « moi véritable ». C’était son moi véritable qui faisait ses expériences particulières sur ses sujets d’étude, chez lui. C’était son moi véritable qui lui permettait de passer outre les hurlements et les implorations de ses sujets d’étude, afin de se concentrer sur ses précieuses recherches.

Il lui fallait dissimuler son ‘moi véritable’ avec soin : il devait se rappeler de les appeler ‘filles’ et non ‘sujets d’étude’. Il devait se rappeler d’utiliser de vrais prénoms, tels que « Ashley ». Il devait se rappeler qu’aux yeux des gens, il avait l’air parfaitement normal, et que tant qu’il agissait normalement, personne ne soupçonnerait ce qui était tapi au fond de lui.

Cela faisait des années qu’il se comportait de façon aussi normale que possible, et certains le qualifiaient même de beau parleur. Il s’en réjouissait, car cela signifiait qu’il jouait bien son rôle. Et, en se comportant de la sorte, il était parvenu à créer une vie, une vie que certains pouvaient envier. Ainsi, il pouvait se cacher au vu de tous. Aujourd’hui, toutefois, il sentait son « moi véritable » gonfler dans sa poitrine et le supplier d’être libéré, au point qu’il peinait à maîtriser ses désirs. Il lui fallait les contenir.

Il ferma les yeux et inspira profondément, essayant de se remémorer les instructions. Il inspira l’air pendant plusieurs secondes, avant de le laisser s’échapper en formant le son qu’il avait appris à faire.

« Ohhmmmm… »

Lorsqu’il rouvrit les yeux, il ressentit une bouffée de soulagement en voyant que les deux amies d’Ashley avaient tourné dans Clubhouse Avenue, pour se diriger vers le plan d’eau. Ashley, elle, continuait seule sa route sur la grand-rue, longeant le parc pour chiens.

Occasionnellement, elle ralentissait le pas à ce niveau, pour regarder les chiens jouer et pourchasser les balles de tennis qu’on leur envoyait. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, elle marchait d’un pas décidé, comme si elle avait un but précis en tête. Si elle avait su ce qui l’attendait, son pas n’aurait pas été aussi alerte.

À cette pensée, un rictus amusé se dessina sur son visage.

Il l’avait toujours trouvée attirante. Il calqua l’allure de la fourgonnette sur celle d’Ashley, prenant garde de laisser traverser les hordes de collégiens, tout en admirant sa silhouette mince et athlétique. Elle portait une jupe rose qui s’arrêtait au-dessus du genou, et un haut bleu moulant.

Il décida de passer à l’acte.

Un sentiment de calme l’envahit. Il s’empara de la cigarette électronique qui attendait sur le tableau de bord et appuya d’un geste léger sur l’accélérateur afin de parvenir à sa hauteur. Il l’interpella : « Salut. »

Surprise, elle jeta un coup d’œil dans la fourgonnette, les yeux plissés. De toute évidence, elle ne parvenait pas à l’identifier. « C’est moi », dit-il nonchalamment. Il arrêta le van et se pencha pour ouvrir la portière passager, afin qu’elle puisse distinguer son interlocuteur. Elle s’approcha pour mieux le voir, et sembla le reconnaître après un instant d’hésitation.

« Ah, salut. Désolée, fit-elle.

– Pas de problème » Il prit une longue bouffée de sa cigarette électronique. Elle observa l’appareil qu’il tenait.

« Je n’avais jamais vu de cigarette électronique pareille !

– Tu veux essayer ? »

Il avait posé la question du ton le plus désinvolte possible. Elle acquiesça et s’approcha de lui. Il se pencha également vers elle, comme s’il allait lui tendre sa cigarette. Mais quand elle fut à moins d’un mètre, il actionna un dispositif sur l’appareil, qui vaporisa un petit nuage d’une substance chimique droit sur le visage de la jeune fille. Sans attendre, il plaqua un masque sur son propre visage, afin de ne pas inhaler la substance.

Son geste avait été si rapide et discret qu’Ashley ne l’avait même pas remarqué – et son corps commença à s’affaisser avant qu’elle puisse réagir. Elle était déjà à moitié inconsciente, et penchée vers l’intérieur du véhicule. Il lui suffit de l’attraper et de la glisser sur le siège passager. Aux yeux d’un passant, elle aurait presque eu l’air  de monter dans la fourgonnette de son propre chef.

Son cœur battait la chamade, mais il se força à rester calme. Il avait fait le plus dur.

Il tendit le bras au-dessus de son sujet d’étude pour fermer la portière, puis attacha la ceinture de sécurité sur le corps inerte, avant d’attacher la sienne. Enfin, il prit une dernière grande respiration – inspiration, expiration…

Lorsqu’il fut certain que la voie était libre, il repartit sur la route. Quelques rues plus loin, la fourgonnette s’inséra dans le trafic d’un après-midi comme les autres, dans le sud de la Californie. Il était un automobiliste comme les autres, frayant son chemin dans un océan de destins.




CHAPITRE 1


Lundi, en fin d’après-midi



La détective Keri Locke se promit de ne pas y aller.

Elle était la plus jeune parmi les agents du service « personnes disparues » du secteur Ouest du LAPD – la police de Los Angeles –, et l’on s’attendait d’elle qu’elle travaille plus dur que quiconque dans son service. Elle avait rejoint la police quatre ans plus tôt, et en avait aujourd’hui trente-cinq. Elle avait souvent l’impression qu’elle n’avait pas le droit à l’erreur, ni même d’avoir l’air de prendre une pause.

Autour d’elle, le service fourmillait d’activité. Au bureau d’à côté, une femme âgée, d’origine latino-américaine, recueillait le témoignage d’une victime de vol à l’arrachée. Un peu plus loin, on interrogeait un agresseur. C’était un après-midi typique de son quotidien, qui avait fini par devenir normal pour elle.

Et pourtant, comme d’habitude, une envie la démangeait, refusait d’être ignorée.

Elle céda. Elle se leva et prit la direction de la baie vitrée qui donnait sur Culver Boulevard. Plantée là, elle apercevait son faible reflet, qui semblait fantomatique sous les rayons dansants du soleil.

Fantomatique – c’était également l’impression qu’elle avait d’elle-même. Elle savait être une femme séduisante. 167 centimètres pour 59 kilos (60, pour être honnête), une chevelure blond cendré et une ligne qui n’avait pas trop souffert de la grossesse. Elle faisait encore tourner quelques têtes.

Mais il suffisait d’y regarder de plus près pour s’apercevoir que ses yeux marron étaient injectés de sang, son front creusé de rides prématurées, et son teint  d’une pâleur, eh bien… fantomatique.

Comme tous les jours, elle portait une simple chemise rentrée dans un pantalon noir, et des chaussures plates, noires, qui lui donnaient l’air sérieux tout en lui permettant de courir. Ses cheveux étaient relevés en queue-de-cheval. C’était là son uniforme standard. La seule variable était la couleur de la chemise, qui changeait tous les jours. Cela renforçait le  sentiment qu’elle avait de jalonner sa vie plutôt que de la vivre.

Keri perçut un mouvement du coin de l’œil et sortit de sa rêverie. Elles arrivaient.

En contrebas, Culver Boulevard était presque désert. Il était bordé d’une piste pour les vélos et les joggeurs. En général, en fin d’après-midi, les trottoirs étaient bondés, mais aujourd’hui régnait une chaleur accablante, sans un souffle d’air – alors même que la plage était à moins de dix kilomètres. Les parents qui d’ordinaire amenaient leurs enfants à l’école à pied avaient opté pour leurs voitures climatisées. Tous, sauf un.

À exactement 16 :12, réglée comme une horloge, une jeune fille de sept ou huit ans apparut, pédalant lentement sur son vélo. Elle portait une jolie robe blanche. Sa mère, plutôt jeune, était à la traîne derrière elle, le cartable de sa fille jeté sur l’épaule.

Keri sentit l’angoisse monter dans sa gorge et elle se retourna pour vérifier qu’on ne l’observait pas. Personne ne prêtait attention à elle. Alors, elle céda à l’envie qui la tenaillait depuis le début de la journée et fixa du regard la mère et sa fille.

Elle les contempla avec jalousie et ferveur. Malgré qu’elle les ait épiées un nombre incalculable de fois, elle ne parvenait pas à croire à quel point cette fillette ressemblait à Evie. Elle avait les mêmes cheveux blonds ondulés, les mêmes yeux verts, et le même sourire de guingois.

Elle resta debout au même endroit, dans un état second, bien après que la mère et sa fille eussent disparu.

Lorsque finalement elle se secoua et se décida à retourner à son bureau, sa voisine hispanique se préparait à partir. L’agresseur avait été entendu, et un nouveau délinquant menotté, l’air renfrogné, avait investi son siège, flanqué d’un agent de police.

Keri jeta un coup d’œil à l’horloge digitale suspendue au-dessus de la machine à café. 16 :22.

Je suis vraiment restée dix minutes entières devant cette fenêtre ? C’est en train d’empirer, pas le contraire…

Elle retourna à son bureau, tête baissée, s’efforçant de ne pas croiser le regard de ses collègues curieux. Elle s’assit et contempla la pile de dossiers sur son bureau. Le dossier Martine était presque achevé, et n’attendait que le tampon du procureur pour être transféré dans l’armoire des dossiers « en attente de procès ».

Le dossier Sanders était en suspens jusqu’à ce qu’elle obtienne le rapport de la police scientifique. La police du secteur Rampart, un quartier de Los Angeles, avait demandé aux agents du secteur Ouest  de faire des recherches sur une prostituée dénommée Roxie. Cette dernière avait disparu, et une de ses amies leur avait expliqué qu’elle avait commencé à travailler dans le secteur Ouest. Ils espéraient qu’un agent du service de Keri pourrait le confirmer – ainsi, ils n’auraient pas besoin d’ouvrir un nouveau dossier.

Ce qui était délicat, dans les dossiers « personnes disparues », c’était qu’il est tout à fait autorisé de disparaître. Tout du moins, pour les adultes. La police avait un peu plus de marge de manœuvre lorsqu’il s’agissait de mineurs, en fonction de leur âge. Toutefois, de manière générale, rien n’interdit à un adulte de laisser tomber sa vie et disparaître. Cela arrive plus souvent qu’on ne l’imagine. Si rien n’indique une activité criminelle, les autorités ont des pouvoirs d’investigation limités. C’est pour cette raison que les dossiers tels que celui de Roxie passaient à travers les mailles du filet.

Keri se rendit compte que rien ne justifiait qu’elle reste au bureau passé 17h. Elle poussa un soupir de résignation.

Yeux fermés, elle visualisa le moment, dans moins d’une heure, où elle se verserait trois doigts de whiskey Glenlivet – peut-être quatre – après avoir regagné son bateau habitable Sea Cups. Elle mangerait des restes de plats chinois à emporter et regarderait quelques épisodes de Scandal. Si cette forme de psychothérapie maison venait à faillir, elle se retrouverait sur le divan de Dr Blanc, une perspective peu réjouissante.

Elle avait commencé à ranger ses dossiers, se préparant à partir, lorsque Ray fit irruption et s’affala dans la chaise en face d’elle, de l’autre côté du bureau qu’ils partageaient. Ray était officiellement l’agent Raymond Sands, de son petit nom Big, son collègue depuis presque un an, et son ami depuis sept ans.

Son surnom, « Big », lui collait tout à fait. Ray (car Keri ne l’appelait jamais « Big », inutile de flatter excessivement son ego), était en effet un grand gaillard noir d’1,93 mètres et 104 kg. Il avait un crâne chauve et luisant, une dent cassée, un bouc tiré au cordeau, et un penchant pour les chemises trop petites, qui faisaient ressortir ses muscles.

À quarante ans, Ray ressemblait toujours au boxeur olympique médaillé de bronze qu’il avait été à vingt ans, et au challenger professionnel, catégorie poids lourds, qu’il est resté jusqu’à 28 ans. C’est à cet âge-là qu’un petit boxeur gaucher mal rafistolé et plus petit que lui d’une tête lui avait éclaté l’œil droit et anéanti sa carrière. Ray avait porté un cache-œil pendant deux ans avant de se résoudre à se faire implanter un œil de verre. Ce qui lui convenait très bien.

Tout comme Keri, Ray avait rejoint le LAPD à un âge plus avancé que la moyenne. La trentaine entamée, il cherchait un sens à sa vie. Il avait grimpé les échelons très vite et était aujourd’hui le plus ancien détective du service des personnes disparues.

« Tu as la tête d’une femme qui ne rêve que de l’océan et d’un verre de whiskey, fit-il.

– Ça se voit tant que ça ?

– Je suis bon détective. Mes capacités d’observation sont sans pareille. En plus, tu as déjà évoqué deux fois ta palpitante soirée à venir…

– Que veux-tu, je suis acharnée dans mes projets, Raymond ».

Il sourit. Son œil trahissait la tendresse que son attitude cachait. Keri était la seule autorisée à l’appeler par son vrai prénom, et il lui arrivait d’abuser de sa prérogative en accolant au prénom des épithètes peu flatteuses. Il lui rendait sans hésiter la monnaie de sa pièce.

« Bon, écoute, Princesse Sourire, tu ferais mieux de passer les dernières minutes de ta journée de travail à vérifier le rapport de la police scientifique, pour le dossier Sanders… au lieu de rêver de ton whiskey alors qu’il fait encore jour !

– Boire la journée ? » Elle fit semblant de se vexer. « C’est acceptable si je commence après 17 heures, M. Hulk. »

Il allait répliquer quand le téléphone sonna. Keri décrocha avant que Ray ne puisse riposter. Elle lui tira la langue, taquine.

« Police de Los Angeles, service des personnes disparues. Agent Locke à l’appareil. »

Ray décrocha son combiné pour écouter, sans intervenir. La femme à l’autre bout de la ligne semblait jeune, fin de la vingtaine ou début de la trentaine. Avant même qu’elle ait expliqué pourquoi elle appelait, Keri sentit l’inquiétude dans sa voix.

« Je m’appelle Mia Penn. J’habite près de Dell Avenue, dans le quartier de Venice, du côté des canaux. Je m’inquiète pour ma fille, Ashley. Elle aurait du arriver à la maison à trois heures et demie, et elle savait qu’on devait aller à un rendez-vous chez le dentiste à 16h45. Elle m’a envoyé un message juste avant de partir de l’école à 15h mais elle n’est jamais arrivée à la maison, et elle ne répond pas aux appels et aux messages. Ça ne lui ressemble pas ! Elle est très responsable.

– Mme Penn, Ashley rentre-t-elle à la maison à pied ou en voiture ? demanda Keri.

– À pied, elle n’a que quinze ans. Elle n’a même pas commencé à préparer le code de la route ! »

Keri jeta un coup d’œil à Ray. Elle savait ce qu’il allait dire, et elle savait qu’il aurait raison. Mais quelque chose, dans la voix de Mia Penn, l’interpellait. Elle devinait que cette femme ne maîtrisait qu’à grand-peine sa panique, qui bouillonnait sous la surface. Elle voulait demander à Ray de passer outre le protocole habituel, mais elle ne parvenait pas à trouver une bonne justification.

« Mme Penn, je suis l’agent Ray Sands. Je me joins à la discussion. Je voudrais que vous respiriez calmement et que vous me disiez s’il est déjà arrivé que votre fille arrive en retard à la maison. »

Mia Penn se hâta de répondre, oubliant de respirer : « Oui, bien sûr » admit-elle, tentant de cacher son exaspération. « Comme je vous ai dit, elle a quinze ans. Mais elle a toujours appelé ou envoyé un message si elle avait plus d’une heure de retard. Et ça n’est jamais arrivé alors que nous avions un rendez-vous prévu ! ».

Ray répondit sans tenir compte du regard désapprobateur de Keri.

« Mme Penn, votre fille est mineure. En conséquent, les dispositions sur les personnes portées disparues sont différentes que s’il s’agissait d’un adulte. Nous avons plus de marge pour enquêter. Mais pour être honnête, une adolescente qui ne répond pas aux appels de sa mère et qui n’est pas rentrée deux heures après la sortie des cours, cela ne va pas provoquer une réaction immédiate, comme vous l’espérez. À ce stade, nous ne pouvons pas faire grand-chose. Dans une situation comme celle-ci, le mieux que vous puissiez faire serait de venir au commissariat et faire un rapport. Ça serait une très bonne idée, ça ne coûte rien et ça pourrait accélérer les choses au cas où nous aurions besoin de mobiliser plus de moyens. »

Il y eut un long silence. Lorsque Mia Penn répondit, sa voix avait un accent tranchant qu’elle n’avait pas auparavant.

« Et dans combien de temps aurons-nous besoin de mobiliser plus de moyens, Monsieur l’agent ? demanda-t-elle. Est-ce que deux heures de plus suffiront ? Dois-je attendre qu’il fasse nuit ? Qu’elle ne soit pas rentrée demain matin ? Je parie que si c’était… »

Elle s’interrompit. Quoi qu’elle ait eu l’intention de dire, elle semblait savoir que ce serait contreproductif. Ray s’apprêtait à répondre mais Keri lui fit signe et lui adressa un regard signifiant « laisse-moi faire ».

« Écoutez, Mme Penn, c’est de nouveau l’agent Locke. Vous avez dit que vous habitez dans le quartier des canaux de Venice ? C’est sur mon chemin pour rentrer chez moi. Donnez-moi votre adresse email, je vous enverrai le formulaire pour déclarer une disparition. Vous pouvez commencer à le remplir et je m’arrêterai chez vous pour vous aider à le finir et pour le faire traiter plus vite. Ça vous va ?

– Oui, c’est très bien, agent Locke. Je vous remercie.

– Pas de problème. Et peut-être qu’Ashley sera rentrée d’ici là et je pourrai lui passer un savon sur la nécessité de répondre aux appels de sa mère. »

Keri ramassa ses clés et son sac, prête à se rendre chez les Penn. Ray n’avait pas dit un mot. Elle savait qu’il fulminait, mais elle ne voulait pas croiser son regard. S’il croisait son regard, il allait lui faire la leçon, et elle n’en avait aucune envie.

Mais apparemment, Ray avait bien l’intention de la sermonner :

« Les canaux de Venice ne sont pas sur ton chemin.

– C’est juste un petit détour, fit-elle sans le regarder.  Je serai à la maison un peu plus tard que prévu, et alors ? Mon épisode de Scandal peut attendre. »

Ray se renfonça dans sa chaise.

« Et alors ? Alors, Keri, ça fait un an que tu es enquêtrice ici. Je suis content de t’avoir pour collègue, et tu as fait du super boulot, même avant d’obtenir ton insigne. Le dossier Gonzales, par exemple – je ne pense pas que j’aurais pu l’élucider tout seul, et pourtant ça fait dix ans que je travaille ici. Tu as un instinct pour ces choses, et c’est pour ça qu’on faisait appel à toi. C’est pour ça que tu as le potentiel pour être une grande enquêtrice.

– Merci… fit-elle, tout en sachant qu’il n’en avait pas fini.

– Mais tu as une faiblesse, et elle va te détruire si tu ne la maîtrises pas. Tu dois laisser le système de la police faire son travail. C’est pour ça qu’il existe. 75% de notre travail se résout tout seul dans les vingt-quatre heures, sans notre intervention. Nous devons laisser ces 75% de côté et se concentrer sur les 25% restants. Sinon, on va s’épuiser, et on risquerait de devenir improductifs, ou pire : contreproductifs. Et ce serait trahir les gens qui ont réellement besoin de nous. Notre travail, c’est aussi de choisir quels combats mener et lesquels abandonner.

– Ray, je ne demande pas qu’on déclenche une alerte enlèvement au niveau national. Je veux juste aider une maman inquiète à remplir un formulaire, et, je t’assure, c’est juste un petit détour pour moi.

– Et … ? demanda-t-il.

– Et il y avait quelque chose d’inquiétant dans sa voix. Elle a omis de nous dire quelque chose. C’est pour ça que je veux lui parler face à face. Il se peut que je me trompe, et dans ce cas, je m’en irai. »

Ray secoua la tête. Il tenta une dernière fois :

« Combien d’heures est-ce que tu as perdues à enquêter sur ce jeune sans-abri dont tu étais certaine qu’il avait disparu ? Quinze heures ? »

Keri haussa les épaules.

« Mieux vaut être trop prudent, murmura-t-elle.

– Mieux vaut être salariée que d’être virée pour mauvaise utilisation des ressources du département, rétorqua-t-il.

– Il est 17h passées.

– Et alors ?

– Ça veut dire que j’ai fini ma journée de travail. Et cette mère m’attend.

– On dirait que tes journées de travail ne finissent jamais. Appelle-la, Keri. Dis-lui de t’envoyer par email le formulaire, ou de t’appeler si elle a des questions. Mais tu dois rentrer à la maison. »

Elle avait atteint les limites de sa patience. « On se voit demain, M. Propre », lui dit-elle avec une tape sur l’épaule.

Elle se dirigea vers le parking, où l’attendait sa Toyota Prius. Elle essayait déjà de visualiser le trajet le plus court pour se rendre dans le quartier des canaux de Venice. Elle avait un sentiment d’urgence inexplicable.

Un sentiment très désagréable.




CHAPITRE 2


Lundi, en fin d’après-midi



Keri, au volant de sa Prius argentée, se faufila dans le trafic jusqu’à la périphérie ouest du quartier de Venice. Elle conduisait plus vite que nécessaire. Un pressentiment la dirigeait, qui enflait dans sa poitrine, un pressentiment qui ne lui plaisait pas le moins du monde.

Les canaux se trouvaient non loin de plusieurs hauts lieux touristiques tels que le Boardwalk ou Muscle Beach, la plage des bodybuilders. Elle dut parcourir plusieurs fois Pacific Avenue avant de trouver une place pour se garer. Elle sauta de sa voiture et se laissa guider par son téléphone.

Les canaux de Venice sont un entrelacs de canaux creusés par l’homme au début du 20


siècle, et inspirés des canaux de la ville éponyme, en Italie. Ils recouvrent environ dix pâtés d’immeubles au sud de Venice Boulevard. Quelques-unes des maisons qui bordaient les canaux étaient modestes, mais la plupart étaient des demeures extravagantes, dans le style balnéaire. Bien que les emplacements soient petits, les maisons les plus somptueuses atteignaient presque dix millions de dollars.

Celle où se rendait Keri était parmi les plus impressionnantes. Elle s’élevait sur trois étages, dont seul le dernier était visible de la rue, à cause des hauts murs recouverts de stucs qui ceignaient la propriété. Elle en fit le tour pour arriver à l’entrée principale, remarquant de nombreuses caméras de sécurité fixées au mur d’enceinte et sur la maison elle-même. Plusieurs d’entre elles semblaient pivoter pour suivre ses mouvements.

Pourquoi est-ce qu’une mère ayant la vingtaine habite ici avec sa fille adolescente ? Et pourquoi tant de caméras de sécurité ?

Elle parvint au portail en fer forgé et fut surprise de le trouver ouvert. Elle s’engagea dans le jardin et la porte d’entrée de la maison s’ouvrit avant qu’elle ait le temps de toquer.

Une femme s’avança pour l’accueillir. Elle portait une paire de jeans délavée et un débardeur blanc, et avait une longue chevelure châtain. Elle était pieds nus. Comme Keri l’avait deviné en l’entendant au téléphone, elle avait l’air d’avoir moins de trente ans. Elle faisait la même taille que Keri, bien que plus mince, et était bronzée et svelte. De plus, malgré l’expression anxieuse sur son visage, elle était belle.

La première chose qui vint à l’esprit de Keri fut qu’elle avait en face d’elle une femme-trophée.

« Mia Penn ? demanda Keri.

– Oui, rentrez, je vous prie, agent Locke. J’ai rempli le formulaire que vous m’avez envoyé. »

À l’intérieur, l’entrée était imposante, avec un double escalier en marbre menant à l’étage. Il semblait y avoir plus d’espace que sur un terrain de football. La décoration était impeccable : les murs recouverts de tableaux, et l’espace ponctué de sculptures posées sur des guéridons ouvragés. L’ensemble aurait pu sortir du magazine Maisons et jardins pour démoraliser les pauvres mortels.

Keri reconnut un tableau bien placé comme étant un Delano, ce qui en faisait un objet plus coûteux que la misérable péniche qu’elle habitait depuis vingt ans.

Mia Penn conduisit Keri vers un salon plus modeste, et lui offrit un siège et une eau minérale. Dans un coin de la pièce se tenait debout un homme bâti comme une armoire à glace, vêtu de vêtements de sport. Il ne dit rien, mais ses yeux ne quittaient pas Keri. Elle remarqua un renflement sur sa hanche droite, sous la veste.

Un flingue. Ça doit être un garde du corps.

Dès que Keri fut assise, son hôte se lança. « Ashley ne répond toujours pas à mes appels et messages. Elle n’a rien posté sur les réseaux sociaux depuis la sortie des cours. Rien sur Twitter, ni Facebook, ni Instagram. » Elle expira et ajouta : « Merci d’être venue. Vous ne pouvez pas savoir à quel point ça me touche. »

Keri acquiesça. Elle détaillait Mia Penn, tentant de prendre sa mesure. Tout comme lors de leur conversation téléphonique, elle semblait véritablement affolée.

Elle a l’air d’être vraiment inquiète pour sa fille. Mais elle cache quelque chose.

« Vous êtes plus jeune que je ne le pensais, dit-elle finalement.

– J’ai trente ans. J’ai eu Ashley quand j’avais quinze ans.

– Ouah…

– Oui, c’est la réaction de la plupart des gens. J’ai l’impression que, parce que nous sommes si proches en âge, nous avons un lien particulier. Je vous jure que parfois, je sais ce qu’elle ressent avant même de la voir. Je sais que ça semble absurde mais nous avons un lien spécial. Et je sais que ça ne prouve rien pour vous, mais je sens qu’il y a un problème.

– Ne commençons pas à paniquer » fit Keri.

Elles passèrent en revue les informations qu’elles avaient. Mia avait vu sa fille pour la dernière fois le matin même. Tout allait bien. Au petit-déjeuner, elles avaient mangé du yaourt avec du muesli et des fraises. Ashley était partie à l’école de bonne humeur.

La meilleure amie d’Ashley était Thelma Gray. Mia l’avait appelée quand elle avait constaté qu’Ashley ne revenait pas à l’heure prévue. D’après Thelma, Ashley était bien allée au dernier cours de la journée, un cours de mathématiques, et elle l’avait vue pour la dernière fois autour de 14h. Thelma n’avait aucune idée de la raison pour laquelle Ashley n’était pas rentrée.

Mia avait aussi parlé au petit copain d’Ashley, un garçon sportif nommé Denton Rivers. Denton déclarait avoir vu Ashley à l’école le matin seulement. Il lui avait envoyé quelques messages après les cours, sans réponse.

Ashley ne prenait pas de médicaments, n’avait aucun problème de santé. Mia dit qu’elle avait inspecté la chambre de sa fille et n’avait rien trouvé d’anormal.

Keri notait tout cela sur son carnet, soulignant les noms de ceux qu’elle contacterait ensuite.

« Mon mari devrait rentrer du travail d’un instant à l’autre. Je sais qu’il veut vous parler également. »

Keri leva les yeux. Quelque chose avait changé dans la voix de Mia. Elle semblait mesurée, plus prudente.

Quoi qu’elle cache, je parie que ça a à voir avec lui.

« Et comment s’appelle votre mari ? demanda-t-elle d’un ton enjoué.

– Stafford.

– Attendez un peu, s’écria Keri. Votre mari est Stafford Penn ? Le sénateur Stafford Penn ?

– Oui.

– C’est une information importante, Mme Penn. Vous auriez du le mentionner plus tôt.

– Stafford m’a demandé de ne pas le dire, s’excusa-t-elle.

– Pourquoi ?

– Il dit qu’il veut voir ça avec vous quand il arrive.

– Et quand est-ce qu’il va arriver, déjà ?

– Dans moins de dix minutes, certainement. »

Keri la dévisagea, sans arriver à décider si elle devait insister. Finalement, elle choisit de s’abstenir.

« Vous avez des photos d’Ashley ? »

Mia Penn lui tendit son téléphone. Son fond d’écran était une photo d’une adolescente en robe d’été. On aurait dit la petite sœur de Mia. Excepté les cheveux blonds d’Ashley, elles se ressemblaient en tous points. Ashley était légèrement plus grande, plus athlétique et plus bronzée. La robe ne cachait pas ses jambes musclées et ses épaules puissantes. Keri devina qu’elle faisait régulièrement du surf.

« Se pourrait-il qu’Ashley ait oublié le rendez-vous et soit allée à la plage faire un peu de surf ? »

Mia sourit pour la première fois.

« Je suis impressionnée, agent Locke. Vous avez deviné ça grâce à une seule photo ? En tout cas, non, Ashley ne fait du surf que le matin – les vagues sont plus belles et il y a moins de chahuteurs. J’ai vérifié dans le garage et sa planche de surf est à sa place.

– Pouvez-vous m’envoyer cette photo ainsi que d’autres photos de son visage, avec et sans maquillage ? »

Alors que Mia s’exécutait, Keri lui demanda : « Où est-ce qu’elle va à l’école ?

– Au lycée de West Venice. »

Keri fut incapable de masquer sa surprise. West Venice était un grand établissement public, un mélange métissé de milliers de jeunes, avec tout ce que cela implique. Elle avait déjà interpellé de nombreux lycéens fréquentant West Venice.

Pourquoi diable est-ce que la fille d’un riche sénateur irait là-bas plutôt que dans un établissement privé de luxe ?

Mia avait noté la surprise de Keri.

« Stafford n’aime pas ça. Il a toujours voulu qu’elle aille dans une école privée, pour être sur la voie royale pour Harvard – c’est là qu’il est allé. Il ne voulait pas juste un meilleur enseignement mais aussi une plus grande sécurité, ajouta-t-elle. Moi, j’ai toujours voulu qu’elle aille dans une école publique, pour être avec toutes sortes d’enfants, apprendre les réalités de la vie. C’est une des seules choses pour lesquelles j’ai eu gain de cause face à lui. Si Ashley devait avoir des problèmes à cause de cet établissement, ça sera de ma faute. »

Keri s’empressa de la rassurer. « D’abord, Ashley n’aura aucun problème. Ensuite, si quelque chose devait lui arriver, ça serait de la faute de la personne qui lui a fait du mal, et certainement pas la faute de sa mère qui l’aime. »

Elle essaya de deviner si Mia était convaincue, sans arriver à le déterminer. En vérité, elle voulait la rassurer avant tout pour qu’elle ne s’effondre pas, et qu’elle puisse continuer à leur fournir des informations précieuses. Elle décida d’insister.

« Parlons un peu de ça. Est-ce que vous savez si quiconque pourrait avoir des raisons de lui faire du mal ? À elle, à vous ou encore à Stafford ?

– Ashley et moi, non. Pour Stafford, il n’y a rien de précis, pour autant que je sache. Mais le travail qu’il fait comporte un risque… Je veux dire, il reçoit des menaces de mort d’électeurs qui affirment être des extra-terrestres… Donc c’est difficile de savoir ce qu’il faut prendre au sérieux !

– Et personne ne vous a demandé de rançon, n’est-ce-pas ? » demanda Keri.

Une angoisse soudaine apparut sur le visage de Mia.

« Vous pensez qu’il pourrait s’agir de ça ?

– Non, non, je ne vais que survoler les possibilités. Pour le moment, je ne pense pas encore que ce soit grave. C’est juste la procédure.

– Non, personne n’a demandé de rançon.

– De toute évidence, vous avez de l’argent… »

Mia acquiesça. « Je viens d’une famille très riche. Mais personne ne le sait, tout le monde s’imagine que notre argent vient de Stafford.

– Et, juste par curiosité, de combien d’argent s’agit-il ? » demanda Keri.

Parfois, son travail rendait tout discrétion impossible.

« Je ne sais pas exactement, répondit Mia. Nous avons une maison de plage à Miami et un appartement à San Francisco. Les deux sont au nom de notre compagnie. Nous sommes actifs sur le marché et possédons de nombreux autres biens. Vous avez vu toutes les œuvres d’art dans la maison.  Globalement, nous sommes entre cinquante-cinq et soixante millions.

– Est-ce qu’Ashley est au courant ? »

Mia haussa les épaules.

« Plus ou moins… Elle ne connaît pas les montants exacts mais elle sait que nous avons beaucoup de biens, et que le public n’est pas censé être au courant pour tout. Stafford préfère se présenter comme un homme du peuple.

– Est-ce qu’elle pourrait en parler à ses amis, par exemple ?

– Non. Nous lui avons clairement ordonné de ne pas le faire, fit-elle en soupirant. Mon Dieu, je suis vraiment en train de déblatérer sur notre fortune, Stafford serait furieux.

– Stafford et vous, vous vous entendez bien ?

– Oui, bien sûr.

– Et Ashley ? Vous vous entendez bien avec elle ?

– C’est la personne dont je suis la plus proche au monde.

– Ok. Est-ce que Stafford s’entend bien avec elle ?

– Oui.

– Est-ce qu’elle pourrait avoir une raison de fuguer ?

– Non, impossible. Il ne s’agit pas d’une fugue.

– Comment a été l’humeur d’Ashley, récemment ?

– Ça va. Elle est heureuse, stable, tout va bien.

– Pas de problèmes de garçons…

– Non.

– Et concernant les drogues et l’alcool ?

– Je ne peux pas dire qu’elle n’ait rien fait. Mais en général, c’est une jeune fille responsable. Cet été, elle a suivi une formation de jeune sauveteur en mer, et elle a du se lever tous les matins à cinq heures. Elle est très constante. En plus, je ne vois pas comment elle pourrait déjà s’ennuyer à l’école, ce n’est que la deuxième semaine de l’année scolaire !

– Il n’y a pas de problèmes avec ses camarades ?

– Non. Elle aime ses profs, elle s’entend bien avec tous ses camarades. Elle va faire des essais pour intégrer l’équipe féminine de basket. »

Keri la scruta et lui demanda : « Alors, à votre avis, qu’est ce qui se passe ? »

Un voile de confusion recouvrit le regard de Mia. Ses lèvres tremblaient. « Je ne sais pas, fit-elle, tournant les yeux vers la porte d’entrée. Où peut bien être Stafford ? »

Au même moment, le sénateur Stafford Penn apparut. Keri l’avait vu des dizaines de fois à la télévision, mais l’écran ne rendait pas justice à son charisme. Il avait autour de quarante-cinq ans, était grand et vigoureux, avec des cheveux blonds comme ceux d’Ashley, une mâchoire volontaire, et des yeux verts perçants. Il était doté d’un magnétisme presque palpable. Keri déglutit en lui tendant sa main.

« Stafford Penn », dit-il tout en sachant qu’elle connaissait déjà son nom. Keri sourit.

« Keri Locke, agent du service des personnes disparues du LAPD. »

Stafford fit une bise rapide à sa femme et s’assit à son côté. Il ne perdit pas une minute en civilités.

« Nous vous sommes reconnaissants d’être venue. Mais, personnellement, je pense qu’on peut mettre ça de côté jusqu’à demain matin. »

Incrédule, Mia le dévisagea.

« Stafford… commença-t-elle.

– Les enfants finissent toujours par s’éloigner de leurs parents, continua-t-il. Ils se sèvrent, ça fait partie de l’adolescence. Si Ashley était un garçon, nous aurions connu cette situation déjà il y a deux ou trois ans. C’est pour ça que j’ai demandé à Mia d’être discrète en vous appelant. Je suis certain que ceci va se reproduire de nombreuses fois et je ne veux pas être accusé de crier au loup.

– Donc vous pensez qu’il n’y a aucun problème ? » demanda Keri.

Il secoua la tête.

« Non. Je pense qu’Ashley est une ado qui fait ce que font les ados. Honnêtement, je suis plutôt content que ce jour soit venu, car ça montre qu’elle devient plus indépendante. Retenez ce que je vous dis : je vous assure qu’elle va revenir ce soir. Au pire, demain matin, sans doute avec la gueule de bois. »

Mia était toujours incrédule.

« Pour commencer, fit-elle, nous sommes un lundi après-midi en pleine année scolaire – ce ne sont pas les vacances d’été à Miami ! Et de deux, elle ne ferait jamais ça. »

Stafford secoua la tête.

« Il nous arrive à tous de faire quelques conneries, Mia. Lors de mon quinzième anniversaire, j’ai bu dix bières en l’espace de deux heures. J’ai passé les trois jours suivants à vomir… Ça a bien fait rire mon père. Je pense qu’il était plutôt fier de moi, en fait. »

Keri opina de la tête, faisant mine de trouver ça complètement normal. Inutile de se mettre à dos un sénateur si on pouvait l’éviter.

« Merci, Monsieur.  Vous avez sans doute raison. Mais puisque je suis ici, vous permettez que je jette un œil à la chambre d’Ashley ? »

Il haussa les épaules et indiqua les escaliers de marbre. « Allez-y ».

À l’étage, au bout du couloir, Keri trouva la chambre d’Ashley et ferma la porte. La décoration correspondait à ses attentes : un lit luxueux, des commodes assorties, des posters de la chanteuse Adele et de la légendaire surfeuse amputée d’un bras Bethany Hamilton.

Il y avait une lampe magma rétro sur la table de chevet, et une peluche sur son oreiller. La peluche était si vieille et en lambeaux qu’il était impossible de déterminer si c’était un chien ou un mouton.

Keri alluma l’ordinateur portable Apple qui se trouvait sur son bureau, et fut surprise qu’il ne soit pas protégé par un mot de passe.

Quel genre d’adolescent laisserait son ordinateur ouvert sur son bureau, susceptible d’être fouillé par n’importe quel adulte curieux ?

L’historique de recherche montrait les sites visités dans les deux derniers jours ; les précédents avaient été effacés. Ses recherches avaient trait à un devoir de biologie qu’elle préparait. Elle avait également visité les sites d’agences de mannequins locales, ainsi que d’agences à Los Angeles et Las Vegas. Un autre lien menait au site d’une prochaine compétition de surf à Malibu. Enfin, elle était allée sur le site d’un groupe de musique local nommé Rave.

Soit cette fille est la sainte-nitouche la plus ennuyante de tous les temps, soit elle fait exprès de laisser ces liens pour donner l’image qu’elle veut à ses parents.

L’instinct de Keri lui dit que la seconde option était la bonne.

Elle s’assit au pied du lit d’Ashley et ferma les yeux, tentant de se mettre dans la peau d’une adolescente de quinze ans. Elle en avait été une. Elle espérait toujours qu’elle en serait un jour la mère. Après deux minutes, elle ouvrit les yeux et essaya de poser un regard neuf sur la pièce. Elle parcourut des yeux les étagères, cherchant quoi que ce soit d’inhabituel.

Elle allait laisser tomber quand elle remarqua le livre de mathématiques au bout de l’étagère : Algèbre niveau 3


.  Mia n’avait-elle pas dit qu’Ashley était en seconde ? Son amie Thelma l’avait vue en cours de mathématiques.

Alors pourquoi garde-t-elle un vieux manuel ? Au cas où elle aurait besoin de revoir les bases ?

Keri s’empara du manuel et commença à le feuilleter. Aux deux-tiers du livre, deux pages étaient scotchées ensemble. Elles enfermaient quelque chose de dur. Keri trancha le scotch et quelque chose tomba au sol. Elle le ramassa. C’était un faux permis de conduire extrêmement bien réalisé, affichant la photo d’Ashley.

Le nom mentionné était Ashlynn Penner, et la date de naissance lui donnait vingt-deux ans.

Sa découverte avait rassuré Keri, qui se sentait sur la bonne voie. Elle se dépêcha de fouiller le reste de la pièce, ne sachant pas combien de temps il lui restait avant que les Penn ne deviennent soupçonneux. Au bout de cinq minutes, elle trouva autre chose : coincé dans une chaussure de sport au fond du placard se trouvait un étui pour pistolet 9mm, vide.

Elle sortit un sachet pour y mettre les preuves – l’étui et le faux permis de conduire – puis quitta la chambre. Mia Penn se dirigeait vers elle dans le couloir, alors qu’elle refermait la porte. Keri se douta tout de suite qu’il était arrivé quelque chose.

« Je viens de recevoir un appel de Thelma, la copine d’Ashley. Elle a parlé à plusieurs personnes de la disparition d’Ashley. Elle dit qu’une autre amie à elles nommée Miranda Sanchez a vu Ashley monter dans une fourgonnette noire sur Main Street, à côté du parc pour chiens non loin de l’école. Elle a dit qu’elle ne savait pas si Ashley était montée volontairement ou si on l’avait tirée à l’intérieur. Ça ne lui avait pas semblé bizarre jusqu’à ce qu’elle entende qu’Ashley avait disparu. »

Malgré les battements précipités de son cœur, Keri s’efforça de garder une expression neutre.

« Connaissez-vous quelqu’un qui possède une fourgonnette noire ?

– Non, personne. »

Keri s’élança vers l’escalier pour sortir, Mia sur ses talons.

« Mia, vous devez appeler le service, la même ligne que vous avez appelée pour m’avoir. Dites à la personne qui va décrocher – ça sera sans doute un homme nommé Suarez – que je vous ai ordonné d’appeler. Donnez-lui la description physique d’Ashley et de la tenue qu’elle portait. Donnez-lui aussi les noms et coordonnées de toutes les personnes dont vous m’avez parlé : Thelma, Miranda, le petit ami Denton Rivers, tout le monde. Ensuite, dites-lui de m’appeler.

– Pourquoi est-ce que vous avez besoin de toutes ces informations ?

– Nous allons les interroger, tous.

– Vous me faites peur. La situation est grave, n’est-ce pas ? demanda Mia.

– Peut-être pas. Mais mieux vaut prévenir que guérir.

– Qu’est ce que je peux faire d’autre ?

– Vous devez rester ici, au cas où Ashley revienne ou si elle appelle. »

Elles arrivèrent en bas. Keri cherchait des yeux Stafford.

« Où est votre mari ?

– Il a du retourner au bureau. »

Keri se retint de faire une remarque, et se hâta vers la porte. Mia cria derrière elle : « Où allez-vous ? ». Sans se retourner, Keri lui répondit :

« Je vais retrouver votre fille. »




CHAPITRE 3


Lundi, en début de soirée



À l’extérieur, le bitume réverbérait la chaleur, et Keri se précipita vers sa voiture en essayant de l’ignorer. Des perles de sueur se formaient déjà sur son front. En composant le numéro de Ray, elle jura intérieurement.

On est mi-septembre, à quelques lieues de l’océan pacifique, merde ! Quand est-ce que cette chaleur va diminuer ?

Au bout d’une demi douzaine de sonneries, Ray décrocha le téléphone.

«  Quoi ? dit-il d’un ton essoufflé et irrité.

– Viens me retrouver sur Main Street, en face du lycée West Venice.

– Quand ?

– Maintenant, Raymond.

– Une seconde. »

Elle l’entendait s’agiter et grommeler dans sa barbe. Il semblait avoir de la compagnie. Lorsqu’il reprit le téléphone, il avait manifestement changé de pièce.

« J’étais, comment dire, plutôt pris, Keri.

– Eh bien, libère-toi, Monsieur l’agent. Nous avons une enquête à mener.

– Ne me dis pas qu’il s’agit de la femme à Venice ? fit-il, exaspéré.

– C’est bien ça. Et s’il te plaît, change de ton. À moins que tu n’estimes que l’enlèvement de la fille d’un sénateur, disparue dans une fourgonnette noire, ne mérite pas qu’on s’en occupe ?

– Mon Dieu. Pourquoi n’a-t-elle pas dit tout de suite que son mari est sénateur ?

– Parce qu’il lui a demandé de ne pas le faire. Il était aussi détaché que toi, peut-être même plus. Attends une seconde. »

Elle avait atteint sa voiture. Elle mit le haut-parleur, jeta son téléphone sur le siège passager, et s’assit au volant. En prenant la route, elle lui expliqua le reste : le faux permis de conduire, l’étui de pistolet, la copine qui avait vu Ashley monter dans le fourgon – peut-être contrainte –, et son projet d’interroger toutes les personnes concernées. Alors qu’elle achevait son exposé, un double appel s’afficha.

« Suarez est en train de m’appeler. Je vais lui donner toutes les informations. C’est bon ? Tu t’es libéré ?

– Je suis en train de monter en voiture, dit-il sans mordre à l’hameçon. J’arrive dans un quart d’heure.

– J’espère que tu as fait tes plus plates excuses à ta partenaire, qui qu’elle soit, ajouta Keri d’un ton moqueur.

– Ce n’est pas le genre de nana avec qui je dois m’excuser, répondit-il.

– Sans surprise. »

Elle raccrocha sans plus de cérémonie.


*

Un quart d’heure plus tard, Keri et Ray descendaient Main Street, au niveau où Ashley Penn était montée dans le fourgon – que ce soit de gré ou de force. Il n’y avait rien d’inhabituel à signaler. Du parc pour chiens bordant la route s’élevaient les jappements ravis des chiens et les cris de leurs maîtres, qui les appelaient de noms comme Théodore, Pavlov ou Deborah.

Ah, Venice et ses riches bobos propriétaires de chiens.

Keri s’appliqua à bannir ses pensées parasites et à se concentrer. Il n’y avait rien d’anormal dans la rue. Ray semblait du même avis.

« Je me demande si elle peut avoir décidé de partir, ou de fuguer, fit-il.

– Je n’exclus pas la possibilité. En tout cas, elle n’est certainement pas la petite princesse innocente que sa mère s’imagine.

– Elles ne le sont jamais…

– Quoi qu’il lui soit arrivé, c’est possible qu’elle l’ait voulu. Plus nous réussirons à nous immiscer dans sa vie, plus nous en saurons. Il nous faut parler à des gens qui ne nous serviront pas le discours officiel, comme le faisait ce sénateur. Je ne sais pas ce qu’il a, mais il était plutôt mal à l’aise à l’idée que je me renseigne à leur sujet.

– Pourquoi, à ton avis ?

– Aucune idée. J’ai juste le sentiment qu’il cache quelque chose. Je n’ai jamais vu un parent aussi indifférent à la disparition de son enfant. Il m’a servi une histoire sur les bêtises qu’il faisait à quinze ans – comme quoi il se serait complètement soûlé pour son anniversaire… Il en faisait trop. »

Ray grimaça.

« Tu as bien fait de ne pas insister, fit-il. C’est bien la dernière chose dont on ait besoin : un adversaire qui porte le titre de sénateur.

– Je m’en fous, de son titre.

– Tu ne devrais pas. Il lui suffirait de deux mots à Beecher ou à Hillman, et tu serais hors jeu.

– Je l’étais il y a cinq ans.

– Ne dis pas ça…

– Tu sais que c’est vrai.

– Bon, parlons d’autre chose » dit Ray.

Hésitante, elle leva les yeux sur lui, puis observa le parc pour chiens. À quelques mètres d’eux, un chiot à la fourrure marron se roulait dans la terre avec délices.

« Tu veux que je te raconte un truc que je ne t’avais jamais dit ? demanda-t-elle.

– Pas sûr…

– Après ce qui s’est passé, tu sais…

– Avec Evie ? »

Keri sentit son cœur se serrer en entendant le nom de sa fille.

« Oui. Juste après que c’est arrivé, pendant un moment, j’ai essayé désespérément de tomber enceinte. Ça a duré deux ou trois mois. Stephen ne tenait pas le coup. »

Ray restait silencieux.

Elle poursuivit : « Et un matin, je me suis levée, et je me détestais. C’était comme si j’avais perdu un chien et que j’étais allée directement au chenil pour le remplacer. Je me sentais lâche, comme si je ne m’occupais que de moi-même alors que j’aurais du me concentrer sur Evie. Je laissais tomber Evie au lieu de me battre pour la retrouver.

– Keri, tu dois arrêter ça. Tu te fais du mal, vraiment.

– Ray, je sens qu’elle est là. Elle est en vie. Je ne sais pas où, ni comment, mais elle est en vie. »

Il prit sa main. « Je sais, fit-il.

– Elle a treize ans, maintenant.

– Je sais. »

Ils remontèrent la rue en silence. Lorsqu’ils arrivèrent au croisement de Westminster Avenue, Ray dit, d’un ton professionnel : « Écoute, on peut suivre toutes les pistes qu’on trouve. Mais il s’agit de la fille d’un sénateur. Si jamais elle a vraiment été enlevée, les gros bonnets vont se saisir de l’affaire. D’ici à demain matin, le FBI sera de la partie, et les hauts gradés du LAPD aussi. Toi et moi, on va être mis de côté. »

C’était sans doute vrai, mais Keri n’en avait que faire – elle verrait bien, le lendemain matin. Pour le moment, elle voulait faire avancer son enquête. Elle soupira et ferma les yeux.

Ray, étant son coéquipier depuis plus d’un an, avait appris à ne pas la déranger quand elle essayait de se concentrer.

Au bout de trente secondes, elle rouvrit les yeux et parcourut la rue du regard. Elle montra du doigt un commerce situé de l’autre côté du carrefour. « Là-bas », fit-elle en se dirigeant vers l’endroit.

Cette partie de Venice, au nord de Washington Boulevard et jusqu’à Rose Avenue, était une étrange mosaïque d’humanités. Au sud se trouvaient les demeures des canaux de Venice ; à l’est les magasins cossus de Abbot Kinney Boulevard ; au nord, la zone industrielle ; et enfin, le long de la plage, la zone parfois mal famée des skateurs et des surfeurs.

Dans toute cette zone, il y avait des gangs. Ils étaient actifs de nuit, notamment du côté de la plage. La police de Los Angeles dénombrait quatorze gangs actifs dans le quartier étendu de Venice. Au moins cinq d’entre eux considéraient que l’endroit où se tenait Keri leur appartenait.

Il y avait un gang de noirs, deux gangs de latinos, un groupe de motards suprématistes blancs, et un gang composé principalement de surfeurs trafiquants de drogues et d’armes. Ils coexistaient non sans difficultés sur les mêmes rues que les représentants branchés de la génération Y, les prostituées, les touristes béats, les vétérans de guerre sans-abri, et les riverains, fanatiques de graines germées de la première heure.

En conséquence, les commerces dans le quartier allaient des bars clandestins de hipsters aux salons de tatouage au henné, en passant par les dispensaires de cannabis thérapeutique, ou encore les officines de garants de caution judiciaire, comme celui devant lequel se trouvait Keri.

L’officine était située au deuxième étage d’un immeuble récemment rénové, juste au-dessus d’un bar à jus de fruits frais.

« Regarde », dit-elle. Au-dessus de la porte d’entrée, un panneau indiquait : Garant de caution judiciaire Briggs.

« Oui, et donc ? fit Ray.

– Regarde au-dessus du panneau. »

Il plissa son bon œil et distingua finalement une minuscule caméra de surveillance. Il se tourna pour voir ce qu’elle captait. La caméra était pointée sur le carrefour derrière eux. Un peu plus loin, on voyait la partie de Main Street qui longeait le parc pour chiens, où Ashley était supposément entrée dans un fourgon.

« Bien vu », fit-il.

Keri recula et étudia les environs. C’était sans doute plus animé qu’au moment de la disparition d’Ashley, mais ça n’était en aucun cas un endroit calme.

« Si tu devais enlever quelqu’un, tu le ferais ici ? demanda-t-elle.

– Moi ? Non, tu sais bien que je suis plutôt fan des ruelles sombres, fit-il.

– Quel genre de personne est suffisamment sûre d’elle pour kidnapper une gamine en plein jour, au vu et au su de tous, à un carrefour très passant ?

– C’est ce qu’on va découvrir. »

Ils se dirigèrent vers l’entrée du bâtiment, puis montèrent au deuxième étage. La porte du bureau de Briggs était ouverte. À l’intérieur, sur la droite, un homme au ventre énorme était avachi dans un fauteuil, feuilletant un magazine sur les armes à feu.

Il leva la tête à l’arrivée de Ray et Keri, et décida qu’ils étaient inoffensifs. Il leur indiqua le fond de la pièce. Un autre homme, aux cheveux longs et à la barbe broussailleuse, leur fit signe de s’approcher. Ils s’assirent et attendirent patiemment qu’il finisse de s’occuper du client qu’il avait au téléphone. Apparemment, l’ennui n’était pas le versement de 10%, mais le dépôt de garantie pour la somme totale. Il lui fallait un acte fiduciaire pour la maison, ou encore une voiture avec acte de propriété, quelque chose de ce type.

Keri entendait l’interlocuteur de Briggs le supplier, mais Briggs restait impassible.

Au bout d’une minute, il raccrocha et s’intéressa aux deux personnes assises en face de lui.

« Stu Briggs, dit-il. Qu’est ce que je peux faire pour vous, monsieur et madame les enquêteurs de police ? »

Aucun des deux n’avait montré son insigne – Keri en fut impressionnée. Avant qu’elle ne puisse répondre, il reconnut Ray et s’exclama : « Ray Sands ! Le Marchand de Sable ! Ça alors ! J’ai vu votre dernier combat, celui avec le gaucher, comment il s’appelait, déjà ?

– Lenny Jack.

– Ouais, c’est ça, Lenny Jack – l’attaque Jack ! Il lui manquait un doigt, je crois ? Le petit doigt ?

– C’est arrivé après.

– En tout cas, petit doigt ou pas, je pensais que le combat était gagné pour vous ! Il avait les jambes en coton, la tête en sang, il chancelait. Une droite de plus, c’est tout ce qu’il manquait pour gagner. Même un petit coup aurait suffi ! On aurait dit qu’un souffle d’air pourrait le renverser.

– C’est ce que j’ai cru, moi aussi, admit Ray. C’est sans doute pour ça que j’ai baissé la garde. Sauf qu’apparemment, il lui restait assez de force pour donner un dernier coup. »

Briggs haussa les épaules. « Eh ouais. J’ai perdu de l’argent sur ce combat. » Il sembla se rendre compte que sa perte n’avait pas été aussi grave que celle de Ray, et ajouta : « Enfin, pas tant que ça, comparé à vous. C’est pas si mal, l’œil de verre, je pense que la plupart des gens ne s’en rendraient pas compte – moi je le sais parce que j’ai vu le combat. »

Il reprit son souffle. S’ensuivit un long silence gêné.

« Donc vous êtes rentré dans la police, dit finalement Briggs. Et pourquoi donc Ray Sands, le Marchand de Sable, se trouve-t-il à mon bureau avec cette jolie petite dame – pardon, cette jolie petite agent de police ? »

Malgré son agacement, Keri choisit de laisser couler. Ils avaient des choses plus importantes à régler.

« On voudrait regarder les enregistrements de votre caméra de surveillance, dit Ray. Particulièrement de 14 :45 à 16 :00.

– Pas de problème », dit Briggs comme si c’était la chose la plus naturelle du monde.

La caméra de sécurité était essentielle au bureau de Briggs, compte tenu de la clientèle de l’établissement. Les images qu’elle enregistrait n’étaient pas seulement transmises à un écran de surveillance, mais enregistrées sur un disque dur. La caméra filmait en grand angle et couvrait tout le carrefour de Main et Westminster Street. La qualité de l’image était exceptionnelle.

Keri et Ray furent installés dans une petite pièce à l’arrière pour visionner l’enregistrement. La partie de Main Street qui longeait le parc pour chien était visible sur un demi-pâté de maisons. Ils espéraient que ce qui s’était passé avait bien eu lieu à cet endroit-là.

Rien d’intéressant n’eut lieu jusqu’à 15h05. À ce moment, un flot d’enfants se déversa sur la route, se dispersant de tous les côtés. À 15h08, Ashley apparut à l’écran. Ray ne la reconnut pas immédiatement ; Keri la lui indiqua. C’était une jeune fille à l’allure sûre d’elle dans sa jupe et son haut moulant.

Juste après apparut la fourgonnette noire. Elle roula à la hauteur d’Ashley. Les vitres étaient fortement teintées – plus que ne le permettait la loi. Le visage du conducteur était caché par la visière d’une casquette. Les deux pare-soleil étaient baissés et le reflet éblouissant du soleil de l’après-midi empêchait de voir l’intérieur du véhicule.

Ashley s’arrêta et sembla scruter l’intérieur du véhicule. Apparemment, le conducteur était en train de dire quelque chose. Elle répondit et s’approcha. Alors qu’elle s’avançait, la portière côté passager s’ouvrit. Ashley continuait de parler, et se penchait maintenant vers l’intérieur du fourgon. Elle était en pleine conversation avec le conducteur. Ensuite, tout d’un coup, elle fut à l’intérieur.

Il était impossible de dire si elle était montée de son plein gré ou si elle avait été happée par le conducteur. Au bout de quelques secondes, la fourgonnette repartit dans la rue, emmenant Ashley. Pas de crissement de pneus, pas d’excès de vitesse. Rien à signaler.

Ils analysèrent la scène plusieurs fois de suite, d’abord à vitesse normale, puis au ralenti. Finalement, Ray haussa les épaules. « Je ne sais pas, je n’arrive pas à déterminer. Elle s’est retrouvée à l’intérieur, c’est tout ce qu’on peut affirmer. Impossible de dire si elle est montée de gré ou de force. »

Keri était de son avis. C’était rageant – l’enregistrement laissait le doute. Quelque chose clochait, mais Keri ne parvenait pas à mettre le doigt dessus. Elle revint en arrière, pour arrêter l’image au moment où la fourgonnette était le plus près de la caméra.

Le véhicule était entièrement dans l’ombre, et il était toujours impossible de voir l’intérieur. Toutefois, une chose était visible. « Tu vois ce que je vois ? » fit-elle. Ray opina du chef. « La plaque d’immatriculation a été masquée. C’est carrément suspect, fit-il.

– Je suis d’accord. »

Le portable de Keri sonna. Il s’agissait de Mia Penn. Mia ne s’embarrassa pas de politesses, et expliqua sans attendre : « Je viens d’avoir l’amie d’Ashley, Thelma, au téléphone. Elle dit qu’elle a reçu un appel du téléphone d’Ashley, elle pense que l’appel a été lancé involontairement. Elle a entendu des cris, comme si des gens se disputaient, il y avait de la musique forte. Elle ne pouvait pas dire qui c’était mais elle pense que ça peut être Denton Rivers.

– Le petit copain d’Ashley ?

– Oui. J’ai appelé Denton, sur son propre téléphone, pour lui demander s’il avait eu des nouvelles d’Ashley, sans lui dire que je venais d’avoir Thelma. Il a dit qu’il n’a plus vu ni contacté Ashley depuis la fin des cours, mais il avait l’air louche. En plus, j’ai entendu en fond une chanson de Drake, « Summer Sixteen », donc j’ai rappelé Thelma pour lui demander si c’était bien la chanson qu’elle entendait quand elle a eu l’appel involontaire du téléphone d’Ashley. Elle m’a confirmé que c’était celle-là. Donc je vous ai tout de suite appelée. Denton Rivers a le téléphone de ma fille et je pense qu’il pourrait avoir ma fille aussi !

– Ok, Mia, c’est très bien, vous avez fait un super boulot. Mais vous devez garder votre calme. Quand vous raccrocherez, vous m’enverrez tout de suite l’adresse de Denton Rivers. Et n’oubliez pas, il se peut que tout ceci soit parfaitement innocent. »

Elle raccrocha et croisa le regard de Ray. Son œil montrait qu’il pensait la même chose qu’elle. Son téléphone vibra quand elle reçut le message de Mia. Elle transmit l’adresse à Ray pendant qu’ils dévalaient les escaliers.

« Il faut faire vite, fit-elle en se précipitant vers sa voiture. Ça n’est pas innocent du tout. »




CHAPITRE 4


Lundi, en début de soirée



Dix minutes plus tard, Keri passait devant la maison de Denton Rivers. Elle ralentit pour étudier la maison, et se gara quelques rues plus loin, suivie de Ray. Elle ressentait le pincement au ventre qui annonçait des difficultés.

Et si Ashley était dans cette maison ? Et s’il lui avait fait du mal ?

La rue de Denton était un alignement de petits pavillons identiques, placés en rangs trop serrés. Il n’y avait aucun arbre, et les minuscules pelouses avaient séché depuis longtemps. De toute évidence, il y avait un monde entre Ashley et Denton. Dans ce quartier, au sud de Venice Boulevard, il n’y avait aucune maison valant des millions.

Keri et Ray se dirigèrent vers la maison de Denton. Keri vérifia sa montre : six heures et quelques. Le soleil commençait sa longue descente vers l’ouest, au-dessus de l’océan, mais il ne ferait nuit que dans quelques heures.

Lorsqu’ils atteignirent la maison de Denton, les fenêtres déversaient une musique assourdissante, que Keri ne reconnut pas.

Ils s’approchèrent silencieusement. À présent, ils percevaient les vociférations furieuses d’un homme. Ray dégaina son arme et fit signe à Keri de faire le tour de la maison, puis leva un doigt pour signifier qu’ils entreraient à l’intérieur dans exactement une minute. Elle regarda sa montre pour s’assurer du timing et hocha la tête. Elle sortit son arme, et contourna la maison avec précautions, en s’assurant de s’accroupir en passant devant les fenêtres.

Ray avait plus de bouteille, et il était généralement plus prudent qu’elle quand il s’agissait de pénétrer dans une propriété privée. Mais dans ce cas, il semblait persuadé que les circonstances étaient exceptionnelles, et justifiaient de se passer d’un mandat de perquisition. Il y avait un possible enlèvement, un suspect potentiel dans la maison, et des cris. Une intervention sans mandat était défendable.

Keri vérifia le portillon. Il était ouvert. Elle l’entrouvrit le plus lentement possible pour ne pas qu’il grince, et se faufila dans la propriété. Il était peu probable qu’on l’entende de l’intérieur, mais elle ne voulait pas prendre de risques.

Une fois dans le jardin, elle rasa le mur, sur le qui-vive. Dans un coin, il y avait un abri de jardin décrépit qui la mettait mal à l’aise. Sa porte en tôle rouillée semblait sur le point de tomber. Elle arriva sur la terrasse à l’arrière de la maison et s’immobilisa. Elle tendit l’oreille, au cas où elle entendrait la voix d’Ashley. Elle ne l’entendit pas.

À l’arrière de la maison, une porte en bois, déverrouillée, donnait sur une cuisine des années 1970. Keri distinguait quelqu’un dans le salon, au bout du couloir. C’était une personne chantant à tue-tête avec la musique en se trémoussant comme dans la fosse à un concert de rock. Toujours aucun signe d’Ashley.

Keri jeta un coup d’œil à sa montre. Ray allait faire irruption d’un instant à l’autre.

À la seconde prévue, Ray frappa un coup à la porte d’entrée. Elle ouvrit la porte en bois à l’arrière de la maison en même temps qu’il toquait, afin que le cliquetis de la poignée soit couvert. Elle attendit.

Un deuxième coup sur la porte lui offrit l’occasion d’ouvrir en même temps la porte de derrière. Elle parcourut rapidement la cuisine et le couloir, jetant un coup d’œil dans chaque pièce qu’elle dépassait.

À la porte d’entrée, Ray toquait encore, de plus en plus fort. Finalement, Denton l’entendit, s’arrêta de danser et se dirigea vers la porte. Keri voyait son visage dans le miroir accroché près de la porte. Denton semblait confus. C’était un beau garçon, aux cheveux bruns coupés court et aux yeux bleus. Son allure nerveuse suggérait qu’il faisait de la lutte plutôt que du football américain. Normalement, il devait être plutôt séduisant, mais en cet instant son visage était déformé par une grimace affreuse. Ses yeux étaient injectés de sang et il avait une entaille à la tempe.

Lorsqu’il ouvrit la porte, Ray brandit son insigne. « Ray Sands, LAPD, service des personnes disparues », dit-il d’une voix grave et ferme. « Je voudrais vous poser quelques questions au sujet d’Ashley Penn. »

Le garçon parut affolé. Keri connaissait bien cette expression – le gamin était prêt à déguerpir. Ray avait eu la même impression : « C’est rien de grave. Je veux juste qu’on discute un peu. ».

Keri avait remarqué un objet noir dans la main droite du garçon, mais ne parvenait pas à voir ce que c’était. Elle leva son arme et la pointa entre les omoplates de Denton. Lentement, elle enleva la sécurité sur son pistolet. Ray, du coin de l’œil, avait remarqué son mouvement. Il jeta un coup d’œil vers la main de Denton. Il voyait ce que c’était mais n’avait toujours pas levé son arme.

« Denton, tu as la télécommande de la chaîne stéréo à la main ?

– Ouais.

– Est-ce que tu pourrais la poser par terre devant toi ? »

Denton hésita. « Ok », fit-il avait de laisser tomber la télécommande. Ray rengaina son arme, ainsi que Keri.

Alors que Ray s’avancait à l’intérieur, Denton pivota et fut supris de trouver Keri devant lui.

« T’es qui ? demanda-t-il.

– Je suis l’agent Keri Locke, je travaille avec lui, fit-elle en désignant Ray. Sympa, ta maison. »

À l’intérieur, la maison était sens dessus dessous. Les lampes avaient été jetées contre les murs, les meubles renversés. Sur la table basse se trouvait une bouteille de whiskey à demi vide et un haut-parleur, d’où sortait la musique. Keri coupa le son. Une fois la pièce redevenue silencieuse, elle put l’examiner avec plus d’attention.

Il y avait du sang sur le tapis. Elle le remarqua, sans rien dire. Denton avait le bras droit lacéré, comme par des ongles. L’entaille sur sa tempe ne saignait plus, mais le sang autour était encore frais. Au sol étaient éparpillés les lambeaux d’une photo de lui et Ashley.

« Où sont tes parents ?

– Ma mère est au travail.

– Et ton père ?

– Il est plutôt occupé depuis qu’il est mort. »

Keri, sans se décontenancer, lui répondit : « Bienvenue au club. On recherche Ashley Penn.

– Elle peut aller se faire voir.

– Tu sais où elle est ?

– Non, et je m’en fous. Moi et elle, c’est fini.

– Elle est ici ?

– Est-ce que vous la voyez ? fit-il d’un ton sarcastique.

– Est-ce que son téléphone est ici ? insista Keri.

– Non.

– Est-ce que le téléphone que je vois dans ta poche arrière est celui d’Ashley ? »

Le garçon hésita un instant, puis dit : « Non. Je pense qu’il est temps pour vous de partir. »

Ray s’approcha du jeune homme, tendit la main, et dit : « Fais-moi voir ce portable. »

Denton déglutit avec force, puis finit par sortir le téléphone de sa poche pour le remettre à Ray. La coque de protection était rose et semblait coûteuse.

« C’est le téléphone d’Ashley ? » demanda Ray. Denton ne répondait pas.

« Je peux appeler le numéro d’Ashley et on verra bien s’il sonne, dit Ray. Ou bien tu peux me donner une réponse honnête.

– Ok, c’est le sien. Et alors ?

– Pose ton cul sur ce canapé et ne bouge pas », fit Ray. Puis, s’adressant à Keri : « Vas-y ».

Keri passa la maison au peigne fin. Il y avait trois petites chambres à coucher, une minuscule salle de bains, et un placard à linge. Rien ne laissait penser qu’il y avait eu une bagarre ou qu’on avait séquestré quelqu’un.

Elle trouva la trappe d’accès au grenier et fit descendre l’escalier à ressorts. Elle grimpa les vieilles marches grinçantes et, une fois dans le grenier, sortit sa lampe torche. Le grenier était exigu, le toit à seulement un peu plus d’un mètre du sol. Des poutres transversales entravaient l’accès au fond des combles. Ceux-ci ne contenaient pas grand-chose : quelques cartons recouverts de poussière, des toiles d’araignées par centaines, et une malle volumineuse, tout au fond du grenier.

Pourquoi a-t-on placé l’objet le plus lourd et le plus suspect tout au fond du grenier ? Ça a du être pénible de le tirer jusque là-bas.

Elle soupira. Évidemment, il fallait qu’on lui ait compliqué la vie en plaçant la malle tout au fond.

Elle entendit Ray l’appeler d’en bas : « Tout va bien ?

– Ouais. Je vérifie le grenier. »

Elle se hissa sur le plancher du grenier et rampa jusqu’au fond, en prenant garde de ne prendre appui que sur les poutres. Elle craignait qu’un faux pas ne fasse céder le plancher pourri sous son poids. Couverte de sueur et de toile d’araignées, elle atteignit la malle. Elle fut soulagée, en l’ouvrant, de constater qu’elle était vide. Pas de corps.

Elle la referma et rebroussa chemin.

Dans la salle à manger, Denton n’avait pas bougé d’un pouce. Ray était à cheval sur une chaise, en face de lui. Quand elle entra, il lui demanda : « Alors ?

– Rien, fit-elle en secouant la tête. Est-ce qu’on a appris où se trouvait Ashley, enquêteur Sands ?

– Pas encore, mais on y travaille, n’est-ce pas, M. Rivers ? »

Denton feignit de ne pas l’avoir entendu.

« Je peux voir le portable d’Ashley ? demanda Keri.

– Tiens, fit Ray en le lui tendant sans conviction. Il est protégé par un mot de passe. Il va falloir le donner au service informatique pour qu’ils le débloquent… »

Elle fixa Denton et lui demanda : « Donne-nous le mot de passe.

– Je ne le connais pas », dit-il d’un ton railleur.

L’expression sévère de Keri ne laissait pas de place au doute. « Je vais te le redemander une dernière fois, très poliment. Donne-nous son mot de passe. »

Le jeune homme tergiversa une seconde, puis avoua finalement : « C’est ‘chéri’ ».

S’adressant à Ray, Keri indiqua : « Je vais dehors pour jeter un coup d’œil au téléphone, et à la cabane dans le jardin aussi. »

Denton jeta un regard rapide vers le jardin, mais ne dit rien.

Dehors, Keri se servit d’une pelle rouillée pour faire sauter le cadenas de la porte de l’abri. Un rayon de soleil tombait à l’intérieur, passant à travers un trou dans le toit.

L’abri ne contenait que quelques vieux pots de peinture et outils de jardin. Aucun signe d’Ashley. Keri s’apprêtait à ressortir quand elle remarqua une pile de plaques d’immatriculation sur une étagère. Elle en compta six paires, comportant des vignettes pour l’année en cours.

Qu’est ce que ça fait ici, ça ? Je vais devoir les prendre.

Elle allait sortir quand un courant d’air fit claquer la porte. Elle se retrouva dans l’obscurité de l’abri de jardin, et sentit submergée par une vague de claustrophobie. Elle inspira profondément une fois, puis deux. La porte de l’abri s’entrouvrit sous l’effet d’une nouvelle brise, laissant entrer la lumière.

Voilà ce qu’a du ressentir ma petite Evie. Toute seule, jetée dans l’obscurité, désorientée. C’est donc ça qu’elle a vécu ? Pendant combien de temps est-ce qu’elle a vécu ce cauchemar ?

Keri ravala un sanglot. Il lui était arrivé mille fois de s’imaginer sa fille séquestrée dans un endroit pareil. La semaine prochaine, cela ferait cinq ans exactement qu’elle avait été enlevée. Ça promettait d’être une journée pénible.

Il s’était passé beaucoup de choses entre-temps : la lutte sans espoir pour sauver son mariage avec Stephen, puis l’inévitable divorce, suivi d’un « congé sabbatique » de sa chaire de criminologie à l’université Loyola Marymount. Officiellement, c’était pour conduire des recherches indépendantes, mais en vérité, l’administration avait été contrainte de la remercier à cause de son problème d’alcool et de ses nombreuses aventures avec des étudiants.

À cette époque, les morceaux de sa vie brisée jonchaient son quotidien. Finalement, elle avait du accepter qu’elle serait incapable de retrouver sa fille : son ultime échec.

Elle essuya rapidement les larmes qui avaient commencé à couler, et se fustigea intérieurement.

Bon, tu as échoué avec ta fille, évite d’échouer avec Ashley. Reprends-toi !

Toujours debout dans l’abri de jardin, elle alluma le téléphone et composa le code secret : chéri. Le mot de passe fonctionna. Au moins, Denton avait dit la vérité à ce sujet.

Elle vérifia les photos. Il y en avait des centaines, la plupart étaient sans surprise : des selfies gentillets d’Ashley et de ses amis du lycée, d’elle et de Denton, quelques photos de Mia. Mais, au milieu de ces photos, il y avait d’autres images, plus choquantes.

Certaines avaient été prises dans un bar fermé – de toute évidence avant ou après les heures d’ouverture. Ces photos immortalisaient Ashley et ses amis, visiblement ivres, dans des sortes de soirées de beuverie : ils buvaient des shots d’alcool à la file, les filles prenaient des poses lascives pour l’appareil photo. Dans d’autres photos, ils fumaient des pipes à eau, ou roulaient des joints. Le décor était parsemé de bouteilles d’alcool.

Qui a bien pu fournir l’accès à un endroit pareil ? Quand est-ce qu’elle trouvait le temps de faire ça ? Quand Stafford était à Washington ? Comment est-ce possible que sa mère n’en ait aucune idée ?

Certaines photos, toutefois, étaient plus inquiétantes que d’autres. En effet, sur certaines, on apercevait un pistolet, un Sig-Sauer 9mm, à l’arrière-plan, posé négligemment sur une table à côté d’un paquet de cigarettes, ou encore, dans une autre photo, près d’un sachet de chips. Un autre cliché encore montrait Ashley dans un sous-bois, près d’un cours d’eau, visant des canettes de Coca avec le pistolet.

Pourquoi ? C’était juste pour rire ? Est-ce qu’elle voulait apprendre à se protéger ? Si oui, se protéger de quoi ?

Elle remarqua que les photos avec Denton devenaient sensiblement moins nombreuses au cours des trois derniers mois. Dans le même laps de temps, un jeune homme très séduisant, aux longs cheveux blonds, apparaissait de plus en plus souvent dans ses photos. Dans la plupart, il était torse nu, exhibant ses abdos, dont il semblait très fier. Une chose était sûre : ce n’était pas un lycéen. Il avait l’air d’avoir un peu plus de vingt ans.

Est-ce que c’est lui qui leur donnait accès à ce bar ?

De plus, Ashley avait pris de nombreuses photos érotiques d’elle-même. Dans certaines d’entre elles, elle montrait ses sous-vêtements, et dans d’autres, elle ne portait qu’un string. Dans la plupart, elle se caressait de façon suggestive. Les photos ne montraient jamais son visage, mais il était évident qu’il s’agissait d’Ashley : sa chambre, en arrière-plan, était clairement reconnaissable.

Keri reconnut l’étagère qui portait le manuel de mathématiques où elle cachait son faux permis de conduire. Dans une autre photo, on distinguait la peluche d’Ashley sur l’oreiller, la tête tournée comme si la vue d’Ashley était insoutenable. Keri eut un haut-le-cœur.

Elle quitta le dossier photos et vérifia les SMS. Les autoportraits érotiques avaient été envoyés un par un à un certain Walker, sans doute le garçon aux abdos, qui figurait dans ses photos. Les commentaires accompagnant les photos laissaient peu de place à l’imagination. Malgré le supposé lien « spécial » unissant Mia Penn à sa fille, Keri commençait à croire que Stafford la comprenait beaucoup mieux.

Un des messages envoyés à Walker, daté d’il y a quatre jours, disait : « J’ai officiellement largué Denton aujourd’hui. Je m’attends à ce qu’il fasse des histoires. Je te tiens au courant ».

Keri éteignit le téléphone et s’assit dans l’obscurité, cogitant. Elle ferma les yeux et laissa son esprit vagabonder. Une scène s’imposa à elle, si réaliste qu’elle avait l’impression d’y être.

C’était un dimanche matin de septembre, ensoleillé et agréable. Le ciel californien était uniformément bleu. Evie et elle étaient dans un parc de jeux. Stephen allait revenir cet après-midi-là d’un voyage de randonnées dans le parc national de Joshua Tree. Evie portait un débardeur violet, un short blanc, des chaussettes blanches ornés de dentelle, et des tennis. Elle souriait. Ses yeux étaient verts, ses cheveux blonds et ondulés tirés en deux couettes. Une de ses incisives était ébréchée.

Comme c’était une vraie dent et non une dent de lait, il allait bien falloir la faire réparer. Mais comme Evie paniquait complètement à chaque fois que Keri en parlait, ils ne s’en étaient toujours pas occupés.

Keri était assise sur la pelouse, pieds nus, des papiers éparpillés partout autour d’elle. Elle préparait le discours d’inauguration qu’elle allait prononcer le lendemain matin à la conférence californienne de criminologie. Elle avait même organisé l’intervention d’un autre invité, un détective du LAPD nommé Raymond Sands, qui l’avait conseillée pour quelques dossiers.

« Maman ! On va prendre une glace ? »

Keri vérifia sa montre. Elle avait presque fini, et il y avait un glacier sur le chemin du retour. « Dans cinq minutes, ok ?

– Ça veut dire que t’es d’accord ?

– Oui ! fit-elle en souriant.

– J’aurai le droit de prendre des M&M’s dessus ? Ou juste des morceaux de fruits ?

– Alors, voyons… Un indice… Quelle lettre vient après le L dans l’alphabet ?

– Euh… laquelle ?

– Le M ! Tu comprends ? Tu auras droit à des M&M’s !

– Bien sûr ! Je suis pas un bébé !

– C’est vrai, pardon. Donne-moi juste cinq minutes. »

Elle retourna à son discours. Peu de temps après, quelqu’un passa juste devant elle, plongeant dans l’ombre la page qu’elle avait sous les yeux. Agacée, elle tenta de retrouver sa concentration.

Tout d’un coup, un hurlement à glacer le sang résonna dans le parc. Keri sursauta et leva les yeux. Un homme en parka et casquette était en train de détaler à toutes jambes. Il était de dos, mais Keri voyait qu’il portait quelque chose dans ses bras.

Elle se leva d’un bond, cherchant désespérément sa fille des yeux. Evie n’était nulle part. Keri s’élança derrière l’inconnu avant même d’être sûre qu’il ait sa fille. Une seconde plus tard, la tête d’Evie apparut par-dessus l’épaule de son ravisseur, terrorisée.

« Maman ! » hurlait-elle.

Keri fonçait derrière l’homme, mais il avait beaucoup d’avance. Il atteignait le parking alors qu’elle n’avait parcouru que la moitié du parc. Elle s’époumona : « Evie ! Laissez-la ! Stop, arrêtez-le ! Il a pris ma fille ! »

Les promeneurs se retournaient sur elle, déconcertés. Personne ne vint à sa rescousse. Dans le parking, il n’y avait personne pour arrêter l’inconnu. Elle comprit où il se dirigeait : vers un fourgon blanc, tout au bout du parking, garé juste en face de la sortie. Il était à une quinzaine de mètres de son but quand Evie cria de nouveau :

« Maman, aide-moi ! Maman !

– J’arrive, mon bébé ! »

Keri redoubla d’efforts, les poumons en feu, les yeux brûlants de larmes. Elle avait atteint le parking. L’asphalte blessait ses pieds nus. Elle cria de nouveau : « Cet homme a pris ma fille ! Arrêtez-le ! »

Un adolescent en t-shirt et sa petite amie étaient en train de sortir de leur voiture, à quelques mètres du fourgon. Le ravisseur les dépassa en courant. Ils avaient l’air décontenancé, jusqu’à ce que Keri hurle encore : « Arrêtez-le ! »

Le garçon, hésitant, commença à se diriger vers le fourgon, puis accéléra le pas.

L’homme avait déjà atteint son véhicule, il ouvrit la portière d’un geste et jeta Evie à l’intérieur comme un sac de patates. Keri entendit le bruit sourd du corps de sa fille heurtant le côté du fourgon. Il claqua la portière et faisait en courant le tour de sa voiture pour monter derrière le volant, quand l’adolescent arriva à sa hauteur et agrippa son épaule.

L’homme pivota et Keri put distinguer son visage. Il portait des lunettes de soleil et une casquette tirée très bas. Malgré le voile de larmes, elle aperçut une mèche de cheveux blonds et ce qui ressemblait à un tatouage sur son cou.

Avant qu’elle puisse voir autre chose, l’homme leva le bras et asséna un coup de poing à l’adolescent, qui fut projeté contre la voiture à côté. Un craquement écœurant retentit. Elle vit l’homme dégainer un couteau et le plonger dans le torse du garçon. Il attendit une seconde pour vérifier que le garçon tombait bien à terre, avant de se précipiter dans le siège conducteur.

Keri, à bout de forces, se concentra sur son but. Elle entendit le moteur vrombir et vit le fourgon reculer, puis prendre la direction de la sortie. Elle était à une dizaine de mètres. Le fourgon était déjà en train d’accélérer sur la route. Elle continuait de courir mais sentait son corps lâcher. Elle baissa les yeux pour voir la plaque d’immatriculation, prête à l’imprimer dans sa mémoire.

Il n’y avait pas de plaque.

Elle voulut sortir ses clés de voiture, mais elles étaient dans son sac à main, sur la pelouse. Elle courut vers l’adolescent, dans l’espoir de prendre sa voiture. Mais quand elle parvint à son niveau, elle vit que sa petite copine, à genoux, sanglotait éperdument au-dessus de son corps sans vie.

Elle leva les yeux. Le fourgon était loin, à présent, un nuage de poussière derrière lui. Elle n’avait pas de numéro d’immatriculation, pas de véritable description à fournir, rien pour aider la police. Sa fille avait disparu et elle ne savait pas quoi faire.

Elle se laissa tomber au sol, à côté de l’adolescente éplorée, et leurs pleurs s’élevèrent à l’unisson.


*

Quand elle rouvrit les yeux, elle était de retour dans la maison de Denton. Elle ne se souvenait pas être sortie de la cabane et avoir traversé le jardin, et pourtant elle avait rejoint la cuisine des Rivers. Ça faisait deux fois aujourd’hui.

Ça empirait.

Elle regagna le salon, et demanda à Denton : « Où est Ashley ?

– Je ne sais pas.

– Pourquoi est-ce que tu as son portable ?

– Elle l’a laissé ici, hier.

– Tu mens. Elle t’a quitté il y a quatre jours. Elle n’est pas venue ici, hier. »

Denton se décomposa.

«  Bon, ça va, je le lui ai pris.

– Quand ?

– Cet après-midi, au lycée.

– Tu le lui as arraché des mains ?

– Non, j’ai fait semblant de me cogner contre elle en la croisant, et je l’ai sorti en douce de son sac.

– Tu connais quelqu’un qui possède un fourgon noir ?

– Non.

– Aucun ami à toi n’a de fourgon noir ?

– Non.

– Quelqu’un que tu aurais payé, peut-être ?

– Non.

– D’où viennent les éraflures sur ton bras ?

– Je sais pas.

– D’où vient le sang sur le tapis ?

– Je sais pas. »

Keri s’efforça de maîtriser la fureur qui montait en elle. Elle sentait qu’elle allait y céder. Le fixant du regard, d’une voix sans émotion, elle dit : « Je te laisse une dernière chance de répondre. Où est Ashley Penn ?

– Allez vous faire voir.

– Mauvaise réponse. Tu auras le temps d’y réfléchir sur le chemin du commissariat. »

Elle se détourna. Elle hésita un instant, puis se retourna soudainement et lui décocha un violent coup de poing, laissant se déchaîner toute sa frustration. Elle l’atteignit dans la tempe, exactement au niveau de son entaille. La blessure se rouvrit et du sang gicla partout, y compris sur la chemise de Keri.

Ray, stupéfait, la dévisageait. Puis, d’un geste vif, il attrapa Denton par le collet pour le faire se lever, et lui dit : « Tu l’as entendue ? Marche ! Et ne va pas trébucher et te cogner la tête encore une fois ! ».

Keri esquissa un sourire en coin, que Ray ne lui retourna pas. Il semblait abasourdi. Un tel geste pouvait lui coûter son poste. Keri, elle, n’en avait rien à faire. Elle voulait faire parler le garçon à tout prix.




CHAPITRE 5


Lundi soir



Au volant de sa Prius, Ray dans le siège passager, Keri suivait la voiture de police qu’ils avaient appelée et qui transportait Denton Rivers au commissariat. Keri écoutait silencieusement Ray passer des coups de fil.

L’officier responsable du secteur Ouest du LAPD était Reena Beecher, mais c’était le supérieur de Keri et Ray, le lieutenant Cole Hillman, qui allait s’occuper de la situation et lui faire des rapports. Ray était en train de le mettre au courant des évènements. Cole Hillman, aussi surnommé « le Marteau » par ses subalternes, était chargé des personnes disparues, des homicides, des vols, et des crimes sexuels.

Keri n’était pas une grande admiratrice du « Marteau ». À ses yeux, le lieutenant Hillman semblait accorder plus d’importance à son petit confort qu’aux enquêtes à mener. Peut-être que son grade l’avait ramolli. En tout cas, il n’hésitait pas à s’en prendre aux agents qui avaient trop de dossiers non résolus, d’où son surnom, qu’il semblait adorer.

Pour Keri, c’était un hypocrite. Il s’emportait quand les enquêtes prenaient du temps, mais ne supportait pas non plus que les agents prennent des risques pour résoudre ces mêmes enquêtes.

D’après elle, un surnom plus approprié aurait été « connard ». Mais puisqu’elle ne pouvait se permettre de lui donner le petit nom qu’elle aurait voulu, elle se rebellait en ne lui donnant pas non plus le surnom officiel qu’il affectionnait.

Keri roulait à toute vitesse pour tenir le rythme de la voiture de police devant eux. À côté d’elle, Ray récapitulait le déroulement des évènements pour Hillman. Il exposait qu’un appel en fin d’après-midi était devenu un potentiel enlèvement de la fille d’un sénateur. Il décrivit les images de la caméra de surveillance du garant de caution Briggs, ainsi que leur visite au domicile des Briggs – en omettant quelques détails.

« L’agent Locke et moi-même sommes donc en train d’amener Rivers au commissariat pour l’interroger davantage, finit d’expliquer Ray.

– Attends un peu, dit Hillman. Qu’est ce que fait Keri Locke sur ce dossier ? C’est bien au-dessus de son niveau de compétences, Sands.

– C’est elle qui a pris l’appel, lieutenant. Et c’est elle qui a découvert toutes les pistes qu’on a pour le moment. Nous sommes presque arrivés. Je vous tiendrai au courant.

– Bon, je vais arriver bientôt, moi aussi. Je dois appeler le capitaine Beecher, elle voudra être avertie.  J’ai convoqué tout le monde pour une réunion générale dans quinze minutes. »

Il raccrocha sans plus de cérémonie. Ray se tourna vers Keri et fit : « On va être éjectés du dossier dès qu’on leur aura fait un compte-rendu détaillé, mais au moins on aura progressé un peu. »

Keri se renfrogna. « Ils vont faire n’importe quoi, dit-elle.

– Tu n’es pas la seule enquêtrice valable dans le périmètre, tu sais.

– Je sais, il y a toi, aussi.

– Merci, camarade, pour ce compliment légèrement condescendant.

– De rien. Mais Hillman ne m’aime pas.

– C’est pas dit. Je pense juste qu’il te trouve un peu, comment dire… impétueuse, pour un agent avec si peu d’expérience.

– Peut-être. Ou alors, c’est juste un connard. C’est pas grave, je ne l’aime pas non plus.

– Pourquoi ?

– Parce que c’est un gratte-papier flagorneur et que ses démarches n’ont aucune originalité. En plus, quand on se croise dans le couloir, il ne me regarde jamais au-dessus de la poitrine.

– Ah. Eh bien, je dois dire que si tu vas en vouloir à tous les flics qui font ça, il ne restera que des connards. »

Keri le regarda d’un air entendu. « Exactement.

– Je vais essayer de ne pas me vexer, rétorqua-t-il.

– Ne sois pas si sensible, Colosse d’Acier. »

Il resta silencieux pendant un moment. Keri sentait qu’il voulait dire quelque chose, sans savoir comment aborder le sujet. Finalement, il fit : « On va parler de ce que tu as fait, dans la maison ?

– Qu’est ce que j’ai fait ?

– Tu as attaqué un adolescent.

– Ah, ça. Je préfèrerais qu’on n’en parle pas. D’ailleurs, il me semble que tu as dit qu’il s’est cogné en trébuchant.

– S’il s’avère qu’il est innocent, et s’il porte plainte, les conséquences pourraient être graves.

– Je ne me fais pas de soucis.

– Moi, oui. Peut-être parce qu’on approche de l’étape des cinq ans. Tu as pu voir le Dr Blanc, récemment ? »

Le silence de Keri était éloquent.

« Peut-être que tu devrais », murmura-t-il.

Keri s’engagea dans le parking du commissariat, ce qui mit un terme à leur discussion. À l’intérieur, Keri se chargea de déposer plainte pour le vol du portable d’Ashley. Pendant ce temps, Denton Rivers était placé dans une salle d’interrogatoire. Avec ça, ils pourraient le garder plusieurs heures. Avec un peu de chance, ça leur permettrait d’en savoir plus.

Ensuite, Ray et Keri se rendirent dans la salle de réunion, où les responsables du centre d’appel attribuaient les missions aux équipes, au début de chaque garde. La réunion générale allait commencer. Lorsqu’ils arrivèrent, Hillman était déjà là, ainsi que six des agents les plus chevronnés du service, dont deux du bureau chargé des homicides.

Ray était dans son élément, au contraire de Keri. En voyant les regards converger sur elle, elle se sentit comme un insecte observé à la loupe.

Ne te laisse pas démonter. Tu as ta place ici.

Le lieutenant Cole Hillman se leva pour prendre la parole. Il avait atteint la cinquantaine récemment, mais les sillons qui barraient son front suggéraient que les choses qu’il avait du affronter dans le cadre de son travail l’avaient fait vieillir prématurément. Sa tignasse poivre et sel ne se dégarnissait que légèrement au niveau des tempes. Il avait un torse massif et une bedaine qu’il tentait de camoufler sous des chemises flottantes. Il était 19h passées mais il portait toujours un costume-cravate. Keri ne se souvenait pas l’avoir jamais vu porter autre chose.

« Avant tout, merci d’être venu dans de si bref délais, dit-il. Comme la plupart d’entre vous sait déjà, cette enquête concerne Ashley Penn, la fille du sénateur Stafford Penn. Même s’il n’était pas un proche ami du maire et du gouverneur de Californie, ce dossier serait une priorité. Mais puisqu’il l’est, nous avons vraiment la pression. On peut s’attendre à ce que nos amis du FBI fourrent leur nez dans ce dossier très bientôt, mais pour le moment, on va faire comme si ça allait rester notre exclusivité. D’après ce que j’ai compris, le sénateur n’est pas convaincu qu’il s’agisse d’un enlèvement. Il pense que c’est possible que sa fille soit en train de faire la fête avec ses amis. C’est effectivement possible. La vidéo la montrant rentrer dans le fourgon ne permet pas de trancher. Mais tant qu’on n’est sûr de rien, on va suivre toutes les pistes qui s’offrent à nous, compris ? »

La salle fut parcourue d’un murmure d’assentiment. Plusieurs agents hochaient la tête. Hillman poursuivit : « Apparemment, la rumeur s’est déjà répandue dans le lycée d’Ashley, le lycée de West Venice. C’est en train de prendre de l’ampleur sur les réseaux sociaux. On a déjà reçu un appel d’un journaliste inquisiteur. D’ici à demain matin, l’affaire fera probablement la une de tous les journaux de Californie. Je tiens donc à être clair : si les médias vous sollicitent, et ils le feront certainement, vous ne ferez aucun commentaire. Peu importe le journaliste, vous les redirigerez vers le responsable communications. Compris ? »





Конец ознакомительного фрагмента. Получить полную версию книги.


Текст предоставлен ООО «ЛитРес».

Прочитайте эту книгу целиком, купив полную легальную версию (https://www.litres.ru/pages/biblio_book/?art=43692567) на ЛитРес.

Безопасно оплатить книгу можно банковской картой Visa, MasterCard, Maestro, со счета мобильного телефона, с платежного терминала, в салоне МТС или Связной, через PayPal, WebMoney, Яндекс.Деньги, QIWI Кошелек, бонусными картами или другим удобным Вам способом.



Une histoire haletante qui vous accroche dès le premier chapitre pour ne plus vous lâcher Midwest Book Review, Diane Donovan (au sujet de Sans laisser de traces) Blake Pierce, auteur à succès de romans policiers, nous livre son dernier chef-d’œuvre de suspense. Keri Locke, une agent du service des personnes disparues au sein de la police de Los Angeles, n’a qu’une obsession : retrouver sa fille, qui a été enlevée des années plus tôt et n’a jamais été retrouvée. Keri noie sa peine en s’investissant à corps perdu dans ses enquêtes sur des personnes disparues à Los Angeles. Un après-midi, elle reçoit un appel d’une maman inquiète, dont la fille adolescente ne donne plus de nouvelles depuis deux heures. Malgré qu’on lui ordonne de l’ignorer, Keri est touchée par l’accent désespéré de cette mère, et décide de mener l’enquête. Ce qu’elle va découvrir est choquant : l’adolescente, qui est aussi la fille d’un sénateur américain, avait de nombreux secrets. Tout semble indiquer une fugue, et Keri est dessaisie de l’affaire. Et pourtant, malgré la pression de ses supérieurs, des médias, et malgré l’absence de pistes, Keri persiste. Brillante et obstinée, Keri sait qu’elle n’a que 48 heures pour retrouver la jeune fille vivante. Un mauvais pressentiment est un thriller psychologique au suspense haletant, qui ouvre une nouvelle série de romans – et une nouvelle enquêtrice attachante – et qui vous tiendra en haleine jusqu’à la fin. Un chef-d’œuvre de suspense et de mystère ! L’auteur a parfaitement réussi à développer la psychologie des personnages, qui sont si bien décrits qu’on se sent dans leur peau et qu’on a peur pour eux. L’intrigue est très bien ficelée et vous captivera tout au long du livre. Ce roman plein de rebondissements vous tiendra en haleine jusqu’à la toute dernière page. Books and Movie Reviez, Roberto Mattos (au sujet de Sans laisser de traces) Le deuxième tome de la série Keri Locke sera bientôt disponible.

Как скачать книгу - "Un mauvais pressentiment" в fb2, ePub, txt и других форматах?

  1. Нажмите на кнопку "полная версия" справа от обложки книги на версии сайта для ПК или под обложкой на мобюильной версии сайта
    Полная версия книги
  2. Купите книгу на литресе по кнопке со скриншота
    Пример кнопки для покупки книги
    Если книга "Un mauvais pressentiment" доступна в бесплатно то будет вот такая кнопка
    Пример кнопки, если книга бесплатная
  3. Выполните вход в личный кабинет на сайте ЛитРес с вашим логином и паролем.
  4. В правом верхнем углу сайта нажмите «Мои книги» и перейдите в подраздел «Мои».
  5. Нажмите на обложку книги -"Un mauvais pressentiment", чтобы скачать книгу для телефона или на ПК.
    Аудиокнига - «Un mauvais pressentiment»
  6. В разделе «Скачать в виде файла» нажмите на нужный вам формат файла:

    Для чтения на телефоне подойдут следующие форматы (при клике на формат вы можете сразу скачать бесплатно фрагмент книги "Un mauvais pressentiment" для ознакомления):

    • FB2 - Для телефонов, планшетов на Android, электронных книг (кроме Kindle) и других программ
    • EPUB - подходит для устройств на ios (iPhone, iPad, Mac) и большинства приложений для чтения

    Для чтения на компьютере подходят форматы:

    • TXT - можно открыть на любом компьютере в текстовом редакторе
    • RTF - также можно открыть на любом ПК
    • A4 PDF - открывается в программе Adobe Reader

    Другие форматы:

    • MOBI - подходит для электронных книг Kindle и Android-приложений
    • IOS.EPUB - идеально подойдет для iPhone и iPad
    • A6 PDF - оптимизирован и подойдет для смартфонов
    • FB3 - более развитый формат FB2

  7. Сохраните файл на свой компьютер или телефоне.

Видео по теме - Une intuition ? Un pressentiment ?

Книги автора

Аудиокниги автора

Последние отзывы
Оставьте отзыв к любой книге и его увидят десятки тысяч людей!
  • константин александрович обрезанов:
    3★
    21.08.2023
  • константин александрович обрезанов:
    3.1★
    11.08.2023
  • Добавить комментарий

    Ваш e-mail не будет опубликован. Обязательные поля помечены *