Книга - Le Don du Combat

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Le Don du Combat
Morgan Rice


L'anneau Du Sorcier #17
L’ANNEAU DU SORCIER a tous les ingrédients pour un succès immédiat : intrigue, contre-intrigue, mystère, de vaillants chevaliers, des relations s’épanouissant remplies de cœurs brisés, tromperie et trahison. Cela vous tiendra en haleine pour des heures, et conviendra à tous les âges. Recommandé pour les bibliothèques de tous les lecteurs de fantasy. Books and Movie Review, Roberto Mattos (à propos de la Quête des Héros) LE DON DU COMBAT (Tome 17) est le final de la série bestseller de L’ANNEAU DU SORCIER, qui a débuté avec LA QUETE DES HEROS (Tome 1) ! Dans LE DON DU COMBAT, Thor rencontre son plus grand et dernier défi, tandis qu’il s’aventure plus profondément dans la Terre du Sang pour tenter de secourir Guwayne. Rencontrant des adversaires plus puissants qu’il n’aurait pu l’imaginer, Thor prend rapidement conscience qu’il affronte une armée de ténèbres, une contre laquelle ses pouvoirs ne font pas le poids. Quand il apprend qu’un objet sacré pourrait lui donner le pouvoir dont il besoin – un objet qui a été tenu secret pendant une éternité – il doit s’embarquer dans une dernière quête pour le récupérer avant qu’il ne soit trop tard, avec le destin de l’Anneau pesant dans la balance. Gwendolyn tient sa promesse faite au Roi de la Crête, entre dans la Tour se confronte au chef du culte pour apprendre le secret qu’il dissimule. La révélation l’envoie vers Argon, et en fin de compte au maître d’Argon – où elle apprend le plus grand des secrets, un qui pourrait changer le destin de son peuple. Quand la Crête est découverte par l’Empire, l’invasion commence et, attaqués par la plus grande des armées connues, il échoit à Gwendolyn de la défendre, et de mener pour un dernier exode de masse. Les frères de Légion de Thor, seuls, font face à des risques inimaginables, tandis qu’Ange est en train de succomber à sa lèpre. Darius se bat pour sa vie aux côtés de son père dans la capitale de l’Empire, jusqu’à ce qu’un développement inattendu le pousse, sans plus rien à perdre, à finalement exploiter ses propres pouvoirs. Erec et Alistair atteignent Volusia, se battant pour se frayer un chemin pour remonter la rivière, et ils poursuivent leur quête pour Gwendolyn et les exilés, tandis qu’ils font face à des batailles inopinées. Et Godfrey réalise qu’il doit, en fin de compte, prendre une décision pour être l’homme qu’il veut être. Volusia, encerclée par tous les pouvoirs des Chevaliers des Sept, doit se soumettre à un test en tant que déesse et découvrir si elle seule a le pouvoir d’écraser les hommes et diriger l’Empire. Pendant qu’Argon, qui fait face à la fin de ses jours, réalise que le temps est venu de se sacrifier. Tandis que le bien et le mal pèsent dans la balance, une dernière bataille épique – la plus grande de toutes – déterminera l’issue de l’Anneau pour toujours. Avec un univers élaboré et des personnages sophistiqués, LE DON DU COMBAT est un récit épique d’amis et d’amants, de rivaux et de prétendants, de chevaliers et de dragons, d’intrigues et de machinations, de passage à l’âge adulte, de cœurs brisés, de déceptions, d’ambition et de trahisons. C’est une histoire d’honneur et de courage, de sort et de destinée, de sorcellerie. C’est un ouvrage de fantasy qui nous emmène dans un monde inoubliable, et qui plaira à tous. LE DON DU COMBAT est le plus long des livres de la série, avec 93. 000 mots ! Et la nouvelle série épique de fantasy de Morgan Rice, LE REVEIL DES DRAGONS (ROIS ET SORCIERS – Tome 1) est aussi disponible ! Rempli d’action… L’écriture de Rice est respectable et la prémisse intrigante. – PublishersWeekly (à propos de La Quête des Héros)





Morgan Rice

Le don du combat (Tome 17 de l’Anneau du Sorcier)




À propos de Morgan Rice

Morgan Rice est l'auteur à succès n°1 et l'auteur à succès chez USA Today de la série d'épopées fantastiques L'ANNEAU DU SORCIER, qui compte dix-sept tomes, de la série à succès n°1 SOUVENIRS D'UNE VAMPIRE, qui compte onze tomes (pour l'instant), de la série à succès n°1 LA TRILOGIE DES RESCAPÉS, thriller post-apocalyptique qui contient deux tomes (pour l'instant) et de la nouvelle série d'épopées fantastiques ROIS ET SORCIERS. Les livres de Morgan sont disponibles en édition audio et papier, et des traductions sont disponibles en plus de 25 langues.

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Sélection de critiques pour Morgan Rice

« L’ANNEAU DU SORCIER a tous les ingrédients pour un succès immédiat : intrigue, contre-intrigue, mystère, de vaillants chevaliers, des relations s’épanouissant remplies de cœurs brisés, tromperie et trahison. Cela vous tiendra en haleine pour des heures, et conviendra à tous les âges. Recommandé pour les bibliothèques de tous les lecteurs de fantasy. »



    --Books and Movie Review, Roberto Mattos

« [Un ouvrage] de fantasy épique et distrayant. »



    --KirkusReviews

« Le début de quelque chose de remarquable ici. »



    --San Francisco Book Review

« Rempli d’action… L’écriture de Rice est respectable et la prémisse intrigante. »



    --PublishersWeekly

« [Un livre de] fantasy entrainant… Seulement le commencement de ce qui promet d’être une série pour jeunes adultes épique. »



    --Midwest Book Review



Du même auteur


Livres de Morgan Rice

DE COURONNES ET DE GLOIRE

ESCLAVE, GUERRIERE, REINE (Tome n°1)



ROIS ET SORCIERS

LE RÉVEIL DES DRAGONS (Tome n°1)

LE RÉVEIL DU VAILLANT (Tome n°2)

LE POIDS DE L'HONNEUR (Tome n°3)

UNE FORGE DE BRAVOURE (Tome n°4)

UN ROYAUME D'OMBRES (Tome n°5)

LA NUIT DES BRAVES (Tome n°6)



L'ANNEAU DU SORCIER

LA QUÊTE DES HÉROS (Tome 1)

LA MARCHE DES ROIS (Tome 2)

LE DESTIN DES DRAGONS (Tome 3)

UN CRI D'HONNEUR (Tome 4)

UNE PROMESSE DE GLOIRE (Tome 5)

UN PRIX DE COURAGE (Tome 6)

UN RITE D'ÉPÉES (Tome 7)

UNE CONCESSION D'ARMES (Tome 8)

UN CIEL DE SORTILÈGES (Tome 9)

UNE MER DE BOUCLIERS (Tome 10)

UN RÈGNE D'ACIER (Tome 11)

UNE TERRE DE FEU (Tome 12)

UNE LOI DE REINES (Tome 13)

UN SERMENT FRATERNEL (Tome 14)

UN RÊVE DE MORTELS (Tome 15)

UNE JOUTE DE CHEVALIERS (Tome 16)

LE DON DE BATAILLE (Tome 17)



TRILOGIE DES RESCAPÉS

ARÈNE UN: SLAVERSUNNERS (Tome n°1)

ARÈNE DEUX (Tome n°2)



SOUVENIRS D'UNE VAMPIRE

TRANSFORMÉE (Tome n°1)

AIMÉE (Tome n°2)

TRAHIE (Tome n°3)

PRÉDESTINÉE (Tome n°4)

DÉSIRÉE (Tome n°5)

FIANCÉE (Tome n°6)

VOUÉE (Tome n°7)

TROUVÉE (Tome n°8)

RENÉE (Tome n°9)

ARDEMMENT DÉSIRÉE (Tome n°10)

SOUMISE AU DESTIN (Tome n°11)

OBSESSION (Tome n°12)














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Copyright © 2014 par Morgan Rice

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Il s'agit d'une œuvre de fiction. Les noms, les personnages, les entreprises, les organisations, les lieux, les évènements et les incidents sont le fruit de l'imagination de l'auteur ou sont utilisés dans un but fictionnel. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou mortes, n'est que pure coïncidence.

Image de couverture : Copyright Photosani, utilisée en vertu d'une licence accordée par Shutterstock.com.








À Jake Maynard.

Un véritable guerrier.





« Tu viens à moi avec une épée, une lance et un javelot—

Mais je viens à toi avec le Nom du Seigneur, Maître de Légions, Dieu des bataillons. »

    – David à Goliath
    I Samuel, 17:45






CHAPITRE UN


Thorgrin, debout sur le navire qui tanguait violemment, regarda devant lui et lentement, horrifié, commença à prendre conscience de ce qu’il venait juste de faire. Sous le choc, il baissa les yeux sur ses propres mains, serrant encore l’Épée du Mort, puis releva le regard pour voir, à seulement quelques dizaines de centimètres, le visage de son meilleur ami, Reece, qui le dévisageait, les yeux écarquillés à cause de la douleur et de la trahison. Les mains de Thor tremblaient fortement, tandis qu’il réalisait qu’il avait tout juste poignardé son meilleur ami au torse, et qu’il le regardait mourir sous ses yeux.

Thor n’arrivait pas à comprendre ce qu’il s’était passé. Pendant que le navire à se tourner et retourner, les courants continuaient à le pousser à travers le Détroit de la Folie, jusqu’à ce que finalement, ils émergent de l’autre côté. Les courants se calmèrent, le bateau se stabilisa, et les épais nuages commencèrent à se lever tandis qu’en une dernière accélération, ils arrivèrent dans les eaux calmes.

Quand ils l’eurent fait, le brouillard qui enveloppait l’esprit de Thor se leva, et il commença à sentir son ancien soi, à voir de nouveau le monde avec clarté. Il contempla Reece devant lui, et son cœur se brisa quand il se rendit compte qu’il ne s’agissait pas du visage d’un ennemi, mais celui de son meilleur ami. Il réalisa lentement ce qu’il avait fait, réalisa qu’il avait été sous l’emprise de quelque chose de plus grand que lui-même, un esprit de folie qu’il ne pouvait pas contrôler, qui l’avait forcé à commettre cet acte horrible.

« Non ! » cria Thorgrin, la voix cassée par l’angoisse.

Thor retira l’Épée du Mort de la poitrine de son meilleur ami, et ce faisant, Reece haleta et commença à s’effondrer. Thor jeta l’épée, ne voulant plus poser les yeux dessus, et elle atterrit avec un bruit sourd sur le pont, tandis que Thor tombait à genoux et rattrapait Reece, le tenant dans ses bras, déterminé à le sauver.

« Reece ! » s’écria-t-il, accablé par la culpabilité.

Thor tendit la main et appuya sa paume contre la blessure, pour essayer de stopper le saignement. Mais il pouvait sentir le sang chaud courir à travers ses doigts, pouvait sentir la vie de Reece s’écouler hors de lui pendant qu’il le tenait dans ses bras.

Elden, Matus, Indra et Ange se précipitèrent en avant, eux aussi, enfin libérés des griffes de leur folie, et ils se rassemblèrent autour. Thor ferma les yeux et pria de toutes ses forces que son frère revienne à lui, que lui, Thor, se voie accordé une chance de rectifier son erreur.

Thor entendit des bruits de pas, et leva les yeux pour voir Selese accourir, le teint plus pâle que jamais, les yeux embrasés par une lueur venue d’un autre monde. Elle tomba à genoux devant Reece, le prit dans ses bras, et quand elle le fit, Reece le laissa partir, en voyant la lumière qui l’englobait, et en se souvenant de ses pouvoirs en tant que guérisseuse.

Selese regarda Thor, les yeux brûlant intensément.

« Seul toi peux le sauver », dit-elle urgemment. « Place ta main sur sa blessure, maintenant ! » ordonna-t-elle.

Thor tendit le bras et posa sa paume sur le torse de Reece, et ce faisant, Selese posa sa main par-dessus la sienne. Il pouvait sentir la chaleur et le pouvoir courir à travers sa paume, sur sa main, et à l’intérieur de la blessure de Reece.

Elle ferma les yeux et commença à fredonner, et Thor sentit une vague de chaleur s’élever dans le corps de son ami. Thor pria de toutes ses forces pour que son frère revienne à lui, pour qu’il soit pardonné pour cette folie qui l’avait conduit à faire cela.

Pour le plus grand soulagement de Thor, Reece ouvrit doucement les yeux. Il cilla et regarda vers le ciel, puis s’assit lentement.

Thor observa, stupéfait, Reece battre des paupières, et baissa les yeux sur sa plaie : elle était complètement guérie. Thor était sans voix, bouleversé, admiratif face aux pouvoirs de Selese.

« Mon frère ! » s’écria Thor.

Il tendit les bras et l’étreignit, et Reece, désorienté, l’enlaça lentement en retour, tandis que Thor l’aidait à se remettre sur pieds.

« Tu es vivant ! » s’exclama Thor, osant à peine y croire, serrant son épaule. Thor pensa à toutes les batailles dans lesquelles ils avaient été impliqués ensemble, à toutes leurs aventures, et il n’aurait pu supporter l’idée de le perdre.

« Et pourquoi ne le serais-je pas ? », dit Reece en clignant des yeux, confus. Il regarda tout autour de lui les visages interrogatifs de la Légion, et parut perplexe. Les autres s’avancèrent et l’étreignirent, un par un.

Pendant que les autres approchaient, Thor parcourut les environs du regard, fit le point, et se rendit soudain compte,  avec horreur, que quelqu’un manquait : O’Connor.

Thor se précipita jusqu’au bastingage et chercha frénétiquement dans les eaux, se rappelant qu’O’Connor, à l’apogée de sa folie, avait bondi du navire dans les courants tumultueux.

« O’Connor ! » hurla-t-il.

Les autres se hâtèrent à ses côtés et scrutèrent les eaux, eux aussi. Thor gardait les yeux fixés vers le bas, et tendit le cou pour regarder vers le Détroit, dans les eaux en furie, épaisses de sang – et ce faisant, il vit O’Connor, qui se débattait, en train d’être emporté juste au bord du Détroit.

Thor ne perdit pas de temps ; il régit instinctivement et sauta sur le bastingage, puis plongea tête la première par-dessus bord, dans la mer.

Submergé, surpris par sa chaleur, Thor sentit combien cette eau état épaisse, dense, comme s’il nageait dans du sang. Nager dans l’eau, qui était si chaude, était comme nager dans de la boue.

Il fallut toute la force de Thor pour progresser à travers l’eau visqueuse, jusqu’à la surface. Il braqua son regard vers O’Connor, qui commençait à couler, et il pouvait voir la panique dans ses yeux. Il pouvait aussi voir, alors qu’O’Connor passait la frontière avec la haute mer, la folie commencer à le quitter.

Cependant, alors qu’il se démenait, il commençait à couler, et Thor sut que s’il ne l’atteignait pas bientôt, il sombrerait au fond du Détroit et ne serait jamais retrouvé.

Thor redoubla d’efforts, nageant de toutes ses forces, malgré la douleur intense et l’épuisement qu’il ressentait dans ses épaules. Et pourtant, juste quand il se rapprochait, O’Connor commença à s’enfoncer dans l’eau.

Thor eut une poussée d’adrénaline en voyant son ami disparaître sous la surface, et sut que c’était maintenant ou jamais. Il se jeta en avant, plongea sous l’eau, et donna un grand coup de pied. Il nagea sous l’eau, luttant pour ouvrir les yeux et voir à travers l’épais liquide ; il ne le pouvait pas. Ils piquaient trop.

Thor ferma les yeux et fit appel à son instinct. Il invoqua une part profonde en lui qui pouvait voir sans regarder.

Avec un autre mouvement désespéré, Thor tendit les bras, tâtonnant dans les eaux devant lui, et sentit quelque chose : une manche.

Ravi, il empoigna O’Connor et le tint fermement, stupéfait par son poids tandis qu’il coulait.

Thor tira avec force tout en se retournant et, de toutes ses forces, visa à remonter à la surface. Il était à l’agonie, chaque muscle de son corps protestait, tandis qu’il battait des jambes et nageait vers la liberté. Les eaux étaient si denses, maintenaient tant de pression, ses poumons paraissaient être sur le point d’exploser. À chaque coup de sa main, il avait l’impression de tirer l’univers.

Juste quand il pensait qu’il n’y arriverait jamais, qu’il sombrerait à nouveau dans les abîmes avec O’Connor et mourrait ici dans ce lieu terrible, Thor fit soudain surface. Haletant, il se tourna, regarda tout autour où il était et vit, avec soulagement, qu’ils avaient émergé de l’autre côté du Détroit de la Folie, dans les eaux libres. Il vit la tête d’O’Connor apparaître à côté de lui et remarqua que, lui aussi, chercher à reprendre sa respiration, et son soulagement fut complet.

Thor observa la folie quitter son ami et la lucidité lentement revenir dans ses yeux.

O’Connor battit des paupières plusieurs fois, toussant et recrachant l’eau, puis il regarda Thor d’un air interrogateur.

« Que faisons-nous ici ? » demanda-t-il, confus. « Où sommes-nous ? »

« Thorgrin ! » s’écria une voix.

Thor entendit un bruit d’éclaboussure, se tourna et vit une corde lourde atterrir dans l’eau à côté de lui. Il leva les yeux et vit Ange debout là, rejointe par les autres au bastingage du navire, qui avait fait demi-tour pour les rejoindre.

Thor l’agrippa, empoigna O’Connor avec l’autre main, et quand il l’eut fait la corde bougea, Elden la saisit et avec sa grande force les tira tous deux le long de la coque. Les autres membres de la Légion se joignirent à lui et tirèrent, un coup à la fois, jusqu’à ce que Thor sente qu’il s’élevait dans les airs et, enfin, par-dessus bord. Ils atterrirent tous deux sur le pont du navire avec un bruit sourd.

Thor, exténué, à court de souffle, recrachant encore de l’eau de mer, s’étala sur le pont à côté d’O’Connor ; ce dernier se tourna et regarda vers lui, également éreinté, et Thor put voir de la reconnaissance dans ses yeux. Il pouvait voir qu’O’Connor le remerciait. Aucun mot n’avait besoin d’être prononcé – Thor comprenait. Ils avaient un code silencieux. Ils étaient frères de Légion. Se sacrifier les uns pour les autres était ce qu’ils faisaient. C’était ce pour quoi ils vivaient.

Soudain, O’Connor se mit à rire.

Au premier abord Thor fut inquiet, se demandant si la folie pesait encore sur lui, mais ensuite il se rendit compte qu’O’Connor allait bien. Il était simplement à nouveau lui-même. Il riait de soulagement, riait de joie d’être en vie.

Thor commença à rire, lui aussi, le stress était derrière lui, et tous les autres se joignirent à eux. Ils étaient en vie ; contre toute attente, ils étaient en vie.

Les autres membres de la Légion s’avancèrent, empoignèrent O’Connor et Thor et les remirent sur pieds. Ils se serrèrent tous la main, s’étreignirent gaiement, leur navire, enfin, entra dans des eaux dont la navigation s’annonçait douce.

Thor regarda au loin et vit avec soulagement qu’ils s’éloignaient de plus en plus du Détroit, et la lucidité les envahissait tous. Ils avaient réussi ; ils étaient passés à travers le Détroit, bien qu’à un prix lourd. Thor ne pensait pas qu’ils pourraient survivre à une autre traversée.

« Là ! » s’écria Matus.

Thor se tourna avec les autres et suivit son doigt du regard tandis qu’il montrait – et il fut stupéfait par la vue s’offrant à eux. Il vit un tout nouveau panorama s’étendre devant eux à l’horizon, un nouveau paysage dans cette Terre du Sang. C’était une perspective pleine d’obscurité, avec des nuages sombres qui s’attardaient bas à l’horizon, l’eau était encore épaisse de sang – et pourtant à présent, le contour du rivage était plus proche, plus visible. Il était noir, dépourvu d’arbres ou de vie, ressemblait à des cendres et de la boue.

Le rythme cardiaque de Thor s’accéléra quand, au loin, il repéra un château noir, fait de ce qui semblait être de la terre, des cendres et de la boue, s’élevant du sol comme s’il faisait un avec lui. Thor pouvait sentir le mal qui en émanait.

Un étroit canal menait au château, sur ses rives étaient alignés des flambeaux, et il était bloqué par un pont-levis. Thor vit les torches brûlant aux fenêtres du château, et il éprouva une soudaine certitude : de tout son cœur, il savait que Guwayne était à l’intérieur, et l’attendait.

« Pleines voiles ! » s’écria Thor, qui sentait qu’il reprenait le contrôle, avec un nouvel objectif.

Ses frères se mirent en action, hissèrent les voiles tandis qu’ils prenaient la brise forte qui se levait derrière eux et les propulsait en avant. Pour la première fois depuis qu’ils avaient pénétré dans la Terre du Sang, Thor ressentit de l’optimisme, qu’ils pourraient vraiment trouver son fils et le sauver de là.

« Je suis heureuse que tu sois en vie », dit une voix.

Thor pivota et baissa les yeux pour voir Ange lui sourire, tirant sur sa chemise. Il sourit, s’agenouilla à côté d’elle, et l’enlaça.

« Tout comme moi pour toi », répondit-il.

« Je ne comprends pas ce qui s’est passé », dit-elle. « À un moment j’étais moi-même, et le suivant…c’était comme si je ne me reconnaissais plus. »

Thor secoua lentement la tête, tentant d’oublier.

« La folie est le pire des ennemis », répondit-il. « Nous sommes nous-mêmes  des ennemis que nous ne pouvons vaincre. »

Elle fronça les sourcils, soucieuse.

« Cela se reproduira-t-il ? » demanda-t-elle. « Y a-t-il quelque chose d’autre dans cet endroit qui soit similaire ? » le questionna-t-elle, la peur dans la voix tandis qu’elle examinait l’horizon.

Thor le scruta, lui aussi, se demandant la même chose lui aussi – quand bien trop rapidement, à sa grande épouvante, la réponse se jeta sur eux.

Un incroyable bruit d’éclaboussure s’éleva, comme le bruit d’une baleine faisant surface, et Thor fut stupéfait de voir la créature la plus hideuse qu’il ait jamais vue émerger devant lui. Elle ressemblait à un monstrueux calmar, de quinze mètres de haut, rouge vif, de la couleur du sang, et elle se profila par-dessus le bateau tandis qu’elle jaillissait des eaux avec ses innombrables tentacules de neuf mètres de long, dont des dizaines s’étiraient dans toutes les directions. Ses perçants yeux jaunes les fusillaient du regard, emplis de fureur, tandis que son énorme gueule, dans laquelle s’alignaient des crocs jaunes et aiguisés, s’ouvrait avec un son répugnant. La créature occultait le peu de lumière que le ciel sombre permettait d’avoir, et elle poussa un hurlement perçant, surnaturel, tout en commençant à fondre sur eux, les tentacules écartés, prête à dévorer le navire tout entier.

Thor la contempla avec terreur, pris dans son ombre avec tous les autres, et il sut qu’ils étaient passés d’une mort certaine à une autre.




CHAPITRE DEUX


Le commandant de l’Empire cravacha encore et encore son zerta tout en galopant à travers la Grande Désolation, suivant la piste, comme il l’avait fait pendant des jours, sur le sol du désert. Derrière lui, ses hommes chevauchaient, haletants, sur le point de s’effondrer, car il ne leur avait pas laissé un instant pour se reposer durant tout le temps qu’ils avaient avancé – même pendant la nuit. Il savait comment pousser les zertas au maximum – et il savait comment mener les hommes, aussi.

Il n’avait aucune pitié pour lui-même, et il n’en avait certainement pas pour ses hommes. Il voulait qu’ils soient insensibles à l’épuisement, à la chaleur et au froid – en particulier quand ils étaient sur une mission aussi sacrée que celle-là. Après tout, si la piste menait réellement là où il espérait – vers la légendaire Crête elle-même – cela pourrait changer le sort tout entier de l’Empire.

Le commandant plongea ses talons dans le dos du zerta jusqu’à ce qu’il hurle, le forçant à aller encore plus vite, jusqu’à ce qu’il trébuche presque sur lui-même. Il plissa les yeux dans le soleil, scrutant les traces tout en progressant. Il avait suivi bien des pistes dans sa vie, et avait tué bien des personnes à leur fin – pourtant il n’avait jamais suivi de piste aussi captivante que celle-là. Il pouvait sentir combien il était proche de la plus grande découverte de l’histoire de l’Empire. Son nom serait commémoré, chanté pendant des générations.

Ils gravirent une crête dans le désert, et il commença à entendre un faible bruit s’élever, comme un orage couvant ; il regarda au loin quand ils l’eurent franchie, s’attendant à voir une tempête de sable venant dans leur direction, et il fut choqué, à la place, de repérer un mur de sable stationnaire, à une centaine de mètres, s’élevant droit du sol vers les cieux, tournoyant et tourbillonnant, comme une tornade sur place.

Il s’arrêta, ses hommes à côté de lui, et observa, curieux, car elle ne semblait pas bouger. Il ne pouvait comprendre. C’était un mur de sable faisant rage, mais il ne se rapprochait pas. Il se demanda ce qui se trouvait de l’autre côté. D’une certaine manière, il le sentait, c’était la Crête.

« Votre piste s’achève », dit un de ses soldats avec dérision.

« Nous ne pouvons pas passer à travers ce mur », dit un autre.

Le commandant secoua lentement la tête, les sourcils froncés avec conviction.

« Et si une contrée s’étend de l’autre côté de ce sable ? » rétorqua-t-il.

« De l’autre côté ? » demanda un soldat. « Vous êtes fou. Ce n’est rien qu’un nuage de sable, une étendue aride sans fin, comme le reste de ce désert. »

« Admettez votre échec », dit un autre soldat. « Faites demi-tour maintenant – ou sinon, nous nous en retournerons sans vous. »

Le commandant pivota et fit face à ses soldats, abasourdi par leur insolence – et vit mépris et rébellion dans leurs yeux. Il savait qu’il devait agir rapidement s’il voulait l’étouffer.

Dans un soudain élan de rage, le commandant se baissa, prit une dague à sa ceinture, porta un coup vers l’arrière, dans un seul geste vif, et la logea dans la gorge du soldat. Ce dernier hoqueta, puis tomba en arrière de son zerta et heurta le sol, une mare de sang frais se forma par terre. En quelques instants, une nuée d’insectes apparut, sortie de nulle part, recouvra son corps et le dévora.

Les autres soldats considéraient à présent leur commandant avec crainte.

« Y a-t-il quelqu’un d’autre qui souhaiterait défier mon commandement ? » demanda-t-il.

Les hommes le dévisagèrent nerveusement, mais cette fois ne dirent rien.

« Soit le désert vous tuera », dit-il, « ou je le ferais. C’est votre choix. »

Le commandant s’élança en avant, baissa la tête, et poussa un grand cri de guerre tandis qu’il galopait droit vers le mur de sable, sachant que cela pourrait entrainer sa mort. Il savait que ses hommes suivraient, et un instant après il entendit le bruit de leurs zertas, et sourit de satisfaction. Parfois ils avaient seulement besoin d’être maintenus dans les rangs.

Il poussa un cri perçant en pénétrant dans la tornade de sable. Il avait l’impression que des tonnes de sable pesaient sur lui, frottant contre sa peau dans tous les sens tandis qu’il chargeait de plus en plus profondément en son sein. C’était si bruyant, sonnant comme des milliers de frelons dans ses oreilles, pourtant il progressait encore, éperonnant son zerta, le forçant, même s’il protestait, à s’y enfoncer de plus en plus. Il pouvait sentir le sable érafler sa tête, ses yeux et son visage, et il avait l’impression qu’il allait être mis en pièces.

Pourtant il persévérait.

Juste alors qu’il se demandait si ses hommes avaient raison, si ce mur ne menait nulle part, s’ils allaient tous mourir là dans cet endroit, au grand soulagement du commandant, il jaillit hors du sable et à nouveau dans la lumière du jour, sans plus de sable pour le frotter, plus de bruit dans ses oreilles, rien que le ciel et l’air – qu’il n’avait jamais été si heureux de voir.

Tout autour de lui, ses hommes sortirent, eux aussi, tous irrités et en sang comme lui, de même que leurs zertas, tous paraissant plus morts que vifs – mais tous en vie.

Et alors qu’il levait les yeux et regardait devant lui, le cœur du commandant s’emballa soudain en s’arrêtant sur la vue saisissante. Il ne put plus respirer en admirant le panorama, et lentement mais sûrement, il sentit son cœur se gonfler d’un soudain sentiment de victoire, de triomphe. Des pics majestueux s’élevaient droit vers le ciel, formant un cercle. Un lieu qui ne pouvait être qu’une chose :

La Crête.

Elle se tenait là à l’horizon, s’élançant dans les airs, magnifique, vaste, et elle s’étirait à perte de vue des deux côtés. Et là, au sommet, brillant dans la lumière du soleil, il fut stupéfait de voir des milliers de soldats dans des armures étincelantes, en patrouille.

Il l’avait trouvée. Lui, et lui seul, l’avait trouvée.

Ses hommes s’arrêtèrent abruptement à côté de lui, et il put les voir, eux aussi, lever les yeux avec admiration et émerveillement, bouche bée, tous pensant à la même chose que lui : ce moment était historique. Ils allaient tous devenir des héros, connus pour des générations dans les traditions de l’Empire.

Avec un large sourire, le commandant se retourna et fit face à ses hommes, qui le regardaient à présent avec déférence ; puis il tira sèchement sur son zerta et fit demi-tour, s’apprêtant à chevaucher à nouveau à travers le mur de sable – et à refaire tout le chemin, sans s’arrêter, jusqu’à ce qu’il atteigne la base de l’Empire et rapporte au Chevaliers des Sept ce qu’il avait personnellement découvert. D’ici quelques jours, il le savait, toutes les forces de l’Empire assailliraient ce lieu, le poids de millions d’hommes résolus à détruire. Ils passeraient à travers ce mur de sable, escaladeraient la Crête, et écraseraient ces chevaliers, prendraient le contrôle du dernier territoire libre de l’Empire.

« Hommes », dit-il, « notre temps est venu. Préparez-vous à avoir vos noms gravés pour l’éternité. »




CHAPITRE TROIS


Kendrick, Brandt, Atme, Koldo et Ludvig cheminaient à travers la Grande Désolation, vers les soleils levants de l’aube du désert, marchant à pied, comme ils l’avaient fait durant toute la nuit, déterminés à secourir le jeune Kaden. Ils marchaient d’un air sombre, dans un rythme silencieux, chacun avec la main sur son arme, le regard attentif, suivant la piste des Marcheurs des Sables. Les centaines de traces de pas les menaient de plus en plus profondément dans ce paysage de désolation.

Kendrick commençait à se demander si cela se terminerait un jour. Il s’étonnait de s’être retrouvé une fois encore dans cette position, de retour dans ce désert dans lequel il avait juré de ne plus remettre les pieds – surtout à pied, sans chevaux, sans provisions, et aucun moyen de rentrer. Ils avaient fondé tous leurs espoirs sur les autres chevaliers de la Crête, pour qu’ils reviennent à eux avec les chevaux – mais sinon, ils s’étaient offert un aller simple pour une quête sans retour.

Mais c’était ce que la bravoure signifiait, Kendrick le savait. Kaden, un excellent jeune guerrier au grand cœur, avait noblement monté la garde, s’était bravement aventuré dans le désert pour faire ses preuves pendant qu’il faisait le guet, et avait été enlevé par ces bêtes sauvages. Koldo et Ludvig ne pouvaient pas tourner le dos à leur frère cadet, même si la chance était mince – et Kendrick, Brandt, Atme ne pouvaient pas se détourner d’eux tous ; leur sens du devoir et de l’honneur les contraignait à faire autrement. Ces bons guerriers de la Crête les avaient accueillis avec hospitalité et grâce quand ils avaient eu le plus besoin d’eux – et maintenant il était temps de leur rendre la faveur – quel que soit le prix. La mort signifiait peu pour lui – mais l’honneur signifiait tout.

« Parlez-moi de Kaden », dit Kendrick en se tournant vers Koldo, voulant briser la monotonie du silence.

Koldo leva les yeux, surpris après cette profonde quiétude, et soupira.

« Il est un des meilleurs jeunes guerriers que vous rencontrerez jamais », dit-il. « Son cœur est toujours plus grand que son âge. Il voulait être un homme avant même d’être un garçon, voulait brandir une épée avant même de pouvoir en tenir une. »

Il secoua la tête.

« Cela ne me surprend pas qu’il se soit aventuré trop profondément, soit le premier de la patrouille à être pris. Il ne reculait devant rien – en particulier si cela signifiait veiller sur les autres. »

Ludvig intervint.

« Si n’importe lequel d’entre nous devait être pris », dit-il, « notre petit frère serait le premier à se porter volontaire. Il est le plus jeune d’entre nous, et il représente ce qu’il y a de mieux en nous. »

Kendrick en avait supposé autant d’après ce qu’il avait vu en parlant à Kaden. Il avait reconnu l’esprit du guerrier en lui, même avec son jeune âge. Kendrick savait, comme il l’avait toujours su, que l’âge n’avait rien à voir avec le fait d’être un guerrier : l’esprit du guerrier résidait en quelqu’un, ou pas. L’esprit ne pouvait pas mentir.

Ils continuèrent à marcher pendant un long moment, retombant dans leur silence constant tandis que les soleils montaient plus haut, jusqu’à ce que finalement Brandt se racle la gorge.

« Et qu’en est-il de ces Marcheurs des Sables ? » demanda Brandt à Koldo.

Ce dernier se tourna vers lui pendant qu’ils avançaient.

« Un groupe de nomades vicieux », répondit-il. « Plus des bêtes que des hommes. Ils sont connus pour patrouiller à la périphérie du Mur de Sable. »

« Des charognards », intervint Ludvig. « Ils sont connus pour entrainer leurs victimes loin dans le désert. »

« Vers où » demanda Atme.

Koldo et Ludvig échangèrent un regard sinistre.

« Vers là où ils se rassemblent – là où ils accomplissent un rituel et les mettent en pièces. »

Kendrick tressaillit à la pensée de Kaden, et au sort qui l’attendait.

« Alors il y a peu de temps à perdre », dit Kendrick. « Courons, d’accord ? »

Ils se regardèrent tous les uns les autres, connaissant l’immensité de cet endroit et la longue course qu’ils auraient devant eux – en particulier avec la chaleur qui augmentait et leur armure. Ils savaient tous combien il était risqué de ne pas doser leurs efforts dans ce milieu impitoyable.

Pourtant ils n’hésitèrent pas ; ils se mirent à courir ensemble. Ils couraient vers le néant, de la sueur coula bientôt sur leurs visages, sachant que s’ils ne trouvaient pas Kaden rapidement, ce désert les tuerait tous.


*

Kendrick haletait tout en courant, le second soleil était maintenant haut au-dessus de leurs têtes, sa lumière aveuglante, sa chaleur étouffante, et cependant lui et les autres continuaient à courir, tous essoufflés, leur armure cliquetant. De la sueur dégoulinait le long du visage de Kendrick et piquait tant ses yeux qu’il pouvait à peine voir. Alors que ses poumons étaient prêts à exploser, il n’avait jamais imaginé à quel point il pouvait avoir si terriblement envie d’oxygène. Kendrick n’avait jamais expérimenté quoi que ce soit de similaire à la chaleur de ces soleils, si intense, comme si elle allait dessécher la peau sur son corps.

Ils ne progresseraient guère plus loin avec cette chaleur, à ce rythme, Kendrick le savait ; bien assez tôt, ils mourraient tous là dehors, s’effondreraient, ne deviendraient rien d’autre que de la nourriture pour les insectes. En effet, tandis qu’ils couraient, Kendrick entendit un cri strident, distant, et leva les yeux pour voir des vautours décrire des cercles, comme ils l’avaient fait depuis des heures, perdant de l’altitude. Ils étaient toujours les plus futés : ils savaient quand une mort fraîche était imminente.

Tandis que Kendrick regardait fixement les traces de pas des Marcheurs des Sables, qui s’estompaient encore à l’horizon, il ne pouvait pas comprendre comment ils avaient couvert une telle distance si rapidement. Il priait seulement pour que Kaden soit en vie, que tout cela n’ait pas été pour rien. Mais il ne pouvait pas, malgré lui, s’empêcher de se demander s’ils l’atteindraient tout bonnement. C’était comme suivre des empreintes dans un océan à marée descendante.

Kendrick jeta quelques regards autour de lui et vit les autres effondrés eux aussi, tous titubant plus que courant, tous à peine sur pieds – mais tous déterminés, comme lui, à ne pas s’arrêter. Kendrick le savait – ils le savaient tous – que dès qu’ils arrêteraient de bouger, ils seraient tous morts.

Kendrick voulait casser la monotonie du silence, mais il était trop fatigué pour parler aux autres à présent, et il força se jambes à avancer, avec l’impression qu’elles pesaient des tonnes. Il n’osa même pas utiliser de l’énergie pour lever les yeux vers l’horizon, sachant qu’il ne verrait rien, sachant qu’il était condamné à mourir là après tout. À la place, il regarda par terre, observant la piste, préservant toute la précieuse énergie qu’il lui restait.

Kendrick entendit un bruit, et d’abord fut certain qu’il s’agissait de son imagination ; mais il se fit entendre à nouveau, un bruit distant, comme le bourdonnement d’abeilles, et cette fois il s’obligea à lever les yeux, sachant que c’était stupide, que rien ne pouvait être là, et craignant d’avoir bon espoir.

Mais cette fois-ci, la vue devant lui fit palpiter son cœur d’excitation. Là, devant lui, à peut-être cent mètres, se tenait un rassemblement de Marcheurs des Sables.

Kendrick donna un coup de coude aux autres, et chacun leva les yeux, tiré de ses rêveries, et ils le virent chacun avec un choc. Le combat était là.

Kendrick baissa la main et saisit son arme, tout comme le firent les autres, et ressentit la familière poussée d’adrénaline.

Les Marcheurs des Sables, des dizaines d’entre eux, se tournèrent et les repérèrent ; eux aussi se préparèrent et leur firent face. Ils poussèrent des cris stridents et se mirent à courir.

Kendrick leva son épée haut et laissa échapper un grand cri de guerre, prêt, au moins, à tuer ses ennemis – ou mourir en essayant.




CHAPITRE QUATRE


Gwen marchait solennellement à travers la capitale de la Crête, Krohn à ses côtés, Steffen derrière elle, sa tête lui tournait tandis qu’elle réfléchissait aux mots d’Argon. D’un côté, elle était ravie qu’il ait récupéré, qu’il soit revenu à lui – cependant sa prophétie fatidique résonnait dans sa tête comme un sort, comme une cloche carillonnant dans sa tête. D’après ses sinistres et énigmatiques déclarations, on aurait dit qu’elle n’était pas censée être réunie avec Thor pour toujours.

Gwen ravalait ses larmes tout en marchant rapidement, avec décision, en direction de la tour. Elle tentait de refouler ses mots, refusant de laisser des prophéties ruiner sa vie. C’était ainsi qu’elle avait toujours été, et ce dont elle avait besoin pour demeurer forte. Le futur était peut-être écrit, et pourtant elle sentait qu’il pouvait aussi être altéré. Le destin, elle en avait conscience, était malléable. Il fallait le vouloir assez fort, être prêt à abandonner assez – quel que soit le prix.

C’était un de ces moments. Gwen refusait catégoriquement de laisser Thorgrin et Guwayne s’éloigner d’elle, et elle éprouvait une détermination grandissante. Elle défierait son destin, quoiqu’il en coûte, sacrifierait ce que l’univers demanderait d’elle. En aucune circonstance elle ne traverserait la vie sans revoir Thor et Guwayne.

Comme s’il entendait ses pensées, Krohn gémit à ses pieds, se frotta à sa jambe tandis qu’ils marchaient dans les rues. Tirée de ses pensées, Gwen leva les yeux et vit la tour menaçante devant elle, rouge, circulaire, s’élevant juste au centre de la capitale, et elle se souvint : le culte. Elle avait promis au Roi qu’elle pénétrerait dans la tour et tenterait de sauver son fils et sa fille des griffes de ce culte, affronter son chef à propos des livres anciens, du secret qu’ils dissimulaient qui pourrait sauver la Crête de la destruction.

Le cœur de Gwen battait tandis qu’elle s’approchait de la tour ; anticipant la confrontation à venir. Elle voulait aider le Roi, et la Crête, mais plus que tout, elle voulait être là dehors, à la recherche de Thor, de Guwayne, avant qu’il ne soit trop tard pour eux. Si seulement, elle le souhaitait, elle avait un dragon à ses côtés, comme avant ; si seulement Ralibar pouvait revenir à elle et l’emmener loin à travers le monde, loin d’ici, loin des problèmes de l’Empire et à nouveau de l’autre côté du monde, jusqu’à Thorgrin et Guwayne, une fois encore. Si seulement ils pouvaient tous retourner dans l’Anneau et vivre la vie qu’ils avaient autrefois.

Cependant elle savait qu’il s’agissait de rêves puérils. L’Anneau était détruit, et la Crête était tout ce qu’il lui restait. Elle devait affronter sa réalité actuelle et faire ce qu’elle pouvait pour aider à sauver cet endroit.

« Ma dame, puis-je vous accompagner à l’intérieur de cette tour ? »

Gwen se retourna en entendant la voix, tirée de sa rêverie, et elle fut soulagée de voir son vieil ami Steffen à côté d’elle, une main sur son épée, marchant d’un air protecteur, désireux, comme toujours, de veiller sur elle. Il était le conseiller le plus loyal qu’elle ait, elle le savait, alors qu’elle réfléchissait à depuis quand il avait été avec elle, et elle ressentit un élan de gratitude.

Alors que Gwen s’arrêtait face au pont-levis devant eux, menant à la tour, il la regarda fixement avec un air suspicieux.

« Je n’ai pas confiance en cet endroit », dit-il.

Elle posa une main réconfortante sur son poignet.

« Tu es un véritable ami, et loyal, Steffen », répondit-elle. « J’estime ton amitié, et ta loyauté, mais c’est une chose que je dois faire seule. Je dois découvrir ce que je peux, et t’avoir là les mettra sur leurs gardes. Du reste », ajouta-t-elle, tandis que Krohn geignait, « j’aurais Krohn. »

Gwen regarda par terre, vit Krohn les yeux levés vers elle avec espoir, et elle hocha de la tête.

Steffen opina.

« Je vous attendrais ici », dit-il, « et s’il y un problème quelconque à l’intérieur, je viendrais pour vous. »

« Si je ne trouve pas ce dont j’ai besoin dans cette tour », répondit-elle, « je crains qu’il n’y ait des problèmes bien plus grands qui nous attendent tous. »


*

Gwen marchait lentement sur le pont-levis, Krohn à côté d’elle, ses pas résonnaient sur le bois, par-dessus les eaux ondoyantes. Tout le long du pont s’alignaient des dizaines de moines, debout dans un garde-à-vous parfait, silencieux, portant des robes écarlates, les mains dissimulées à l’intérieur, et les yeux fermés. Ils formaient un étrange ensemble de gardes, désarmés, incroyablement obéissants, montant la garde là depuis Gwen ignorait combien de temps. Elle s’émerveilla face à leur loyauté et leur dévotion intense vis-à-vis de leur chef, et elle réalisa que c’était comme le Roi l’avait dit : ils le vénéraient tous comme un dieu. Elle se demanda dans quoi elle mettait les pieds.

Tandis qu’elle s’approchait, Gwen leva les yeux vers la gigantesque porte en plein cintre qui se profilait devant elle, faite de chêne ancien, sculptée de symboles qu’elle ne comprenait pas, et elle observa avec émerveillement pendant que plusieurs moines s’avançaient et les ouvraient. Elles craquèrent, révélant un intérieur dans la pénombre, éclairé seulement par des torches, et un courant d’air frais vint à elle, à la légère odeur d’encens. Krohn se raidit à côté d’elle, grognant ; Gwen entra et les entendit claquer derrière elle.

Le bruit résonna à l’intérieur, et il fallut un moment à Gwen pour s’orienter. Il faisait sombre à l’intérieur, les murs étaient éclairés seulement par des torches et par la lumière filtrante du soleil qui se déversait à travers des vitraux haut en dessus. L’air paraissait sacré, silencieux, et elle eut l’impression d’être rentrée dans une église.

Gwen leva les yeux et vit que la tour s’élevait en spirale encore plus haut, avec des rampes circulaires et graduelles qui menaient dans les étages. Il n’y avait pas de fenêtres, et les murs résonnaient du faible son des chants. L’encens pesait lourdement dans l’air ici, et des moines apparaissaient ou disparaissaient partout, entrant ou sortant des pièces, comme en transe. Certains balançaient de l’encens et d’autres chantaient, pendant que d’autres étaient silencieux, perdus dans leur réflexion, et Gwen s’interrogea plus quant à la nature de ce culte.

« Mon père vous a-t-il envoyée ? » résonna une voix.

Gwen, surprise, tourna les talons pour voir un homme debout à quelques mètres de là, vêtu d’une longue robe écarlate, lui souriant avec bonhomie. Elle pouvait à peine croire combien il ressemblait à son père, le Roi.

« Je savais qu’il enverrait quelqu’un tôt ou tard », dit Kristof. « Ses efforts pour me ramener dans le droit chemin sont infinis. S’il vous plaît, venez », lui fit-il signe en se tournant sur le côté et en faisant un geste de la main.

Gwen se mit à côté de lui pendant qu’ils marchaient dans un couloir de pierre voûté, montant progressivement le long de rampes en cercle vers les niveaux supérieurs de la tour. Gwen se retrouva prise au dépourvu ; elle s’était attendue à un moine fou, à un fanatique religieux, et fut surprise de trouver quelqu’un d’affable et accommodant, et à l’évidence avec toute sa tête. Kristof ne ressemblait pas la personne perdue et folle pour qui son père l’avait fait passer.

« Votre père vous demande », dit-elle en fin de compte, brisant le silence après qu’ils aient dépassé un moine descendant dans l’autre sens, sans jamais lever les yeux du sol. « Il veut que je vous ramène à la maison. »

Kristof secoua la tête.

« C’est le problème avec mon père », dit-il. « Il pense qu’il a trouvé le seul véritable foyer dans le monde. Mais j’ai appris quelque chose », ajouta-t-il en lui faisant face. « Il y a beaucoup de véritables foyers dans ce monde. »

Il soupira et continua à marcher. Gwen voulait lui laisser de l’espace, ne voulait pas insister trop lourdement.

« Mon père n’a jamais accepté qui je suis », ajouta-t-il finalement. « Il n’apprendra jamais. Il reste bloqué dans ses vieilles croyances limitées – et il veut me les imposer. Mais je ne suis pas lui – et il ne l’acceptera jamais. »

« Votre famille ne vous manque-t-elle pas ? » demanda Gwen, surprise qu’il puisse dédier sa vie à cette tour.

« Si », répondit-il avec franchise, ce qui la surprit. « Beaucoup. Ma famille est tout pour moi – mais ma vocation spirituelle compte plus. Ma maison est ici désormais », dit-il, tournant le long d’un couloir tandis que Gwen suivait. « Je sers Eldof maintenant. Il est mon soleil. Si vous le connaissiez », dit-il en se tournant vers Gwen et en la dévisageant avec une intensité qui l’effraya, « il serait le vôtre aussi. »

Gwen détourna le regard, n’aimant pas cet air de fanatisme dans ses yeux.

« Je ne sers personne hormis moi-même », répondit-elle.

Il lui sourit.

« Peut-être est-ce la source de tous vos soucis terrestres », répondit-il. « Personne ne peut vivre dans un monde où ils ne servent pas quelqu’un d’autre. En ce moment même, vous servez quelqu’un d’autre. »

Gwen le dévisagea avec suspicion.

« Comment cela ? » demanda-t-elle.

« Même si vous pensez vous servir vous-même », répondit-il, « vous êtes trompée. La personne que vous servez n’est pas vous, mais plutôt la personne que vos parents ont modelée. C’est vos parents que vous servez – et toutes leurs croyances, transmises par leurs parents. Quand serez-vous assez téméraire pour vous débarrasser de leurs croyances et vous servir vous ? »

Gwen fronça les sourcils, ne gobant pas sa philosophie.

« Et endosser les croyances de qui à la place ? » demanda-t-elle. « Celles d’Eldof ? »

Il secoua la tête.

« Eldof n’est qu’un conduit », répondit-il. « Il aide à se défaire de qui vous étiez. Il vous aide à trouver votre véritable personne, tout ce que vous étiez censée être. C’est elle que vous devez servir. C’est elle que vous ne découvrirez jamais jusqu’à ce que votre faux moi soit libéré. C’est ce que fait Eldof : il nous libère tous. »

Gwendolyn regarda à nouveau ses yeux brillants, et elle put voir à quel point il était dévot – et cette dévotion l’alarma. Elle pouvait immédiatement dire qu’il était au-delà de la raison, qu’il ne quitterait jamais cet endroit.

C’était effrayant, cette toile qu’Eldof avait tissée pour attirer tous ces gens à l’intérieur et les piéger là – une philosophie sans mérite, avec une logique qui lui appartenait à elle seule. Gwen ne voulait pas en entendre plus ; c’était une toile qu’elle était décidée à éviter.

Gwen tourna et continua à marcher, se débarrassa de tout cela d’un frisson, et continua à monter le long de la rampe, tournant dans la tour, de plus en plus haut, où que cela la mène. Kristof se mit à côté d’elle.

« Je ne suis pas venue pour discuter des mérites de votre culte », dit Gwen. « Je ne peux pas vous convaincre de retourner auprès de votre père. Je lui ai promis de demander, et je l’ai fait. Si vous ne faites pas grand cas votre famille, je ne peux pas vous l’apprendre. »

Kristof la regarda en retour avec un air grave.

« Et pensez-vous que mon père estime la famille ? » demanda-t-il.

« Beaucoup », répondit-elle. « Au moins d’après ce que je peux voir. »

Kristof secoua la tête.

« Laissez-moi vous montrer quelque chose. »

Kristof prit son coude et la mena le long d’un autre couloir vers la gauche, puis grimpa une longue volée de marches s’arrêtant devant une épaisse porte de chêne. Il la regarda avec un air lourd de sens, puis l’ouvrit, révélant des barres de fer.

Gwen se tint là, curieuse, nerveuse de voir ce qu’il voulait lui montrer – puis elle s’avança et jeta un regard à travers les barreaux. Elle fut horrifiée de voir une belle jeune fille assise seule dans la cellule, regardant fixement par la fenêtre, ses longs cheveux pendant sur son visage. Bien que ses yeux soient grand ouverts, elle ne semblait pas remarquer leur présence.

« C’est ainsi que mon père prend soin de sa famille », dit Kristof.

Gwen reporta ses yeux sur lui, curieuse.

« Sa famille ? » demanda-t-elle, sidérée.

Kristof acquiesça.

« Kathryn. Son autre fille. Celle qu’il cache au monde. Elle a été reléguée là, dans cette cellule. Pourquoi ? Car elle est touchée. Car elle n’est pas parfaite, comme lui. Car il a honte d’elle. »

Gwen fit silence, sentant un nœud à l’estomac tout en observant avec tristesse la fille, voulant l’aider. Elle commençait à s’interroger à propos du Roi, et commençait à se demander s’il y avait une part de vérité dans les mots de Kristof.

« Eldof attache de l’importance à la famille », poursuivit Kristof. « Il n’abandonnerait jamais un des siens. Il estime nos véritables moi. Personne n’est chassé par honte. C’est le fléau de l’orgueil. Et ceux qui sont touchés sont les plus proches de leur vrai moi. »

Kristof soupira.

« Quand vous rencontrerez Eldof », dit-il, « vous comprendrez. Il n’y a personne comme lui, et il n’y en aura jamais. »

Gwen pouvait voir le fanatisme dans ses yeux, pouvait voir combien il était perdu dans cet endroit, ce culte, et elle sut qu’il était perdu trop loin pour retourner un jour vers le Roi. Elle jeta un coup d’œil et vit la fille du Roi assise là, et se sentit envahie de tristesse pour elle, pour ce lieu tout entier, pour leur famille déchirée. Son image parfaite de la Crête, de la famille royale irréprochable, se désagrégeait. Cet endroit, comme n’importe quel autre, possédait sa propre face cachée sombre. Une guerre silencieuse faisait rage ici, et c’était une guerre des croyances.

C’était une bataille que Gwen savait ne pas pouvoir gagner. Elle n’en avait pas le temps non plus. Gwen pensa à sa propre famille abandonnée, et elle ressentit l’urgence pressante de secourir son mari et son fils. Sa tête tournoyait dans cet endroit, avec l’encens lourd dans l’air et l’absence de fenêtres qui la désorientait, elle voulait obtenir ce dont elle avait besoin et partir. Elle tenta de se remémorer la raison pour laquelle elle était venue ici, puis cela lui revint : pour sauver la Crête, comme elle l’avait promis au Roi.

« Votre père croit que cette tour détient un secret », dit Gwen, en venant au fait, « un secret qui pourrait sauver la Crête, pourrait sauver votre peuple. »

Kristof sourit et croisa les doigts.

« Mon père et ses croyances », répondit-il.

Gwen fronça les sourcils.

« Êtes-vous en train de dire que c’est faux ? » demanda-t-elle. « Qu’il n’y a pas de livres anciens ? »

Il fit une pause, détourna le regard, puis soupira profondément et demeura silencieux pendant un long moment. En fin de compte, il continua.

« Ce qui devrait vous être révélé, et quand », dit-il, « me dépasse. Seul Eldof peut répondre à vos questions. »

Un sentiment d’urgence s’éleva en Gwen.

« Pouvez-vous me mener à lui ? »

Kristof sourit, pivota, et commença à marcher le long d’un couloir.

« Aussi sûrement », dit-il, marchant rapidement, déjà loin, « qu’un papillon de nuit vers une flamme. »




CHAPITRE CINQ


Stara se tenait sur la plateforme précaire en essayant de ne pas regarder vers le bas tandis qu’elle était hissée de plus en plus haut vers le ciel, voyant le paysage s’étendre à chaque secousse de la corde. La plateforme s’élevait de plus en plus haut le long du bord de la Crête, et Stara se tint là, le cœur battant, dissimulée, le capuchon rabattu sur son visage, et de la sueur coulait le long de son dos tandis qu’elle sentait la chaleur du désert augmenter. C’était étouffant à cette hauteur, et le jour s’était à peine levé. Tout autour d’elle résonnaient les bruits toujours présents des cordes et poulies, de roues grinçantes, pendant que les soldats tiraient et tiraient, aucun ne réalisant qui elle était.

Bientôt, cela s’arrêta, et tout fut immobile tandis qu’elle se tenait à la cime de la Crête – le seul son était le hurlement du vent. La vue était époustouflante, lui donnait l’impression qu’elle se tenait au sommet du monde.

Cela lui rappela des souvenirs. Stara se remémora la première fois où elle était arrivée à la Crête, juste après la Grande Désolation, avec Gwendolyn, Kendrick et tous les autres traînards, la plupart plus morts que vifs. Elle savait qu’elle était chanceuse d’avoir survécu, et au premier abord, la vue de la Crête avait été un grand cadeau, avait été une vue salvatrice.

Et pourtant maintenant elle était là, prête à partir, à descendre de la Crête encore une fois sur sa face extérieure, à se diriger dans la Grande Désolation, de retour dans ce qui serait une mort certaine. À côté d’elle, son cheval s’agita, ses fers cliquetèrent sur la plateforme creuse. Elle tendit la main et caressa sa crinière pour le rassurer. Ce cheval serait son salut, son moyen pour sortir de cet endroit ; cela ferait de sa traversée de la Grande Désolation un scénario très différent de ce que cela avait été.

« Je ne me souviens pas d’ordres de notre commandant à propos de cette visite », s’éleva la voix autoritaire d’un soldat.

Stara se tint très calme, sachant qu’ils parlaient d’elle.

« Alors je vais aborder cela avec votre commandant lui-même – et avec mon cousin, le Roi », répondit Fithe avec assurance, debout à côté d’elle, sonnant aussi convaincant que d’ordinaire.

Stara savait qu’il mentait, et elle savait qu’il risquait sa vie pour elle – et elle lui en était pour toujours reconnaissante. Fithe l’avait surprise en tenant parole, en faisant tout en son pouvoir, comme il l’avait promis, pour l’aider à quitter la Crête, pour l’aider à avoir une chance de sortir et trouver Reece, l’homme qu’elle aimait.

Reece. Le cœur de Stara était douloureux en y pensant. Elle quitterait cet endroit, aussi sûr soit-il, traverserait la Grande Désolation, les océans, le monde, juste pour une chance de lui dire combien elle l’aimait.

Bien qu’elle détesta mettre Fithe en péril, elle en avait besoin. Elle avait besoin de tout risquer pour celui qu’elle aimait. Elle ne pouvait pas rester en sécurité dans la Crête, peu importait à quel point elle était splendide, riche et sûre, jusqu’à ce qu’elle soit réunie avec Reece.

Les portes de fer de la plateforme s’ouvrirent en grinçant, et Fithe prit son bras, l’accompagnant, tandis qu’elle portait son capuchon bas, son déguisement fonctionnait. Ils sortirent de la plateforme en bois, sur le dur plateau de pierre au sommet de la Crête. Un vent hurlant passait à travers, assez fort pour presque la déséquilibrer, et elle agrippa la crinière du

cheval, le cœur battant tandis qu’elle levait les yeux, et voyait la vaste étendue, la folie de ce qu’elle s’apprêtait à faire.

« Gardez la tête baissée et votre capuchon descendu », murmura Fithe urgemment. « S’ils vous voient, s’ils voient que vous êtes une fille, ils sauront que vous n’êtes pas censée être là-haut. Ils vous renverront. Attendez jusqu’à ce que nous atteignions l’extrémité de la Crête. Il y a une autre plateforme qui attend pour vous faire descendre de l’autre côté. Elle vous emmènera – et vous seule. »

La respiration de Stara s’accéléra tandis que tous deux traversaient le large plateau de pierre, passant des chevaliers, en marchant rapidement, Stara garda la tête basse, loin des yeux indiscrets des soldats.

Finalement, ils s’arrêtèrent, et il murmura :

« D’accord. Levez les yeux. »

Stara repoussa son capuchon, les cheveux recouverts de sueur, et quand elle le fit, elle fut stupéfaite par la vue : deux énormes et beaux soleils, encore rouges, s’élevaient dans le magnifique matin du désert, le ciel était couvert de millions de nuances de rose et de violet. On aurait dit qu’il s’agissait de l’aube du monde.

En regardant au loin, elle vit la Grande Désolation tout entière se déployer devant elle, semblant s’étirer jusqu’au bout du monde. Elle chancela à cause de sa crainte des hauteurs, et souhaita immédiatement ne pas l’avoir fait.

En contrebas, elle vit l’à-pic abrupt, jusqu’à la base de la Crête. Et devant elle, elle vit la plateforme solitaire, vide, qui l’attendait.

Stara se tourna et leva les yeux vers Fithe, qui la dévisageait avec un air éloquent.

« Êtes-vous certaine ? » demanda-t-il doucement. Elle pouvait voir la crainte dans ses yeux.

Stara sentit un éclair d’appréhension la traverser, mais ensuite elle pensa à Reece, et elle acquiesça sans hésitation.

Il hocha gentiment de la tête vers elle.

« Merci », dit-elle. « Je ne sais pas comment je pourrais vous remercier un jour. »

Il sourit en retour.

« Trouvez l’homme que vous aimez », répondit-il. « Si cela ne peut être moi, au moins cela peut être quelqu’un d’autre. »

Il prit sa main, l’embrassa, s’inclina, tourna les talons et s’éloigna. Stara le regarda partir, le cœur plein de reconnaissance envers lui. Si elle n’avait pas aimé Reece de cette manière, peut-être serait-il un homme qu’elle aimerait.

Stara se retourna, s’arma de courage, tint la crinière du cheval, et fit un premier pas fatidique sur la plateforme. Elle essaya de ne pas regarder au loin la Grande Désolation, le périple qui l’attendait et qui signifierait probablement sa mort. Mais elle le fit.

Les cordes craquèrent, la plateforme se balança, et tandis que les soldats abaissaient les cordes, trente centimètres à la fois, elle commença sa descente, toute seule, sans le néant.

Reece, pensa-t-elle, il se peut que je meure. Mais je traverserais le monde pour toi.




CHAPITRE SIX


Erec se tenait à la proue du navire, Alistair et Strom à ses côtés, et scrutait attentivement les eaux tumultueuses de l’Empire en contrebas. Il observa les courants violents déporter le navire vers la gauche, l’éloignant du passage qui les aurait menés à Volusia, Gwendolyn et les autres – et il se sentit écartelé. Il voulait secourir Gwendolyn, bien évidemment ; mais il devait aussi accomplir sa promesse sacrée faite à ces villageois affranchis, de libérer le village voisin et balayer la garnison toute proche. Après tout, s’il ne le faisait pas, alors les soldats de l’Empire tueraient bientôt les hommes libres, et tous les efforts d’Erec pour les délivrer auraient été vains, laissant à nouveau leur village aux mains de l’Empire.

Erec leva les yeux et étudia l’horizon, parfaitement conscient du fait que chaque instant qui passait, chaque rafale de vent, chaque coup de rame, l’emmenaient plus loin de Gwendolyn, de sa mission initiale ; et pourtant parfois, il le savait, on devait se détourner d’une mission dans le but de faire ce qui était le plus honorable et juste. Parfois la mission, réalisa-t-il, n’était pas toujours ce que l’on pensait. Parfois elle était en perpétuel changement ; parfois c’était un voyage mineur en cours de route qui s’avérait devenir la réelle mission.

Cependant, Erec se résolut en son for intérieur à vaincre la garnison de l’Empire aussi vite que possible et à reprendre l’embranchement de la rivière vers Volusia, pour sauver Gwendolyn avant qu’il ne soit trop tard.

« Monsieur ! » cria une voix.

Erec leva les yeux pour voir un de ses soldats, en hauteur sur un mât, pointer du doigt vers l’horizon. Il se tourna pour regarder, et alors que leur navire passait un méandre de la rivière et que le courant s’accélérait, le sang d’Erec palpita en voyant un fort de l’Empire, grouillant de soldats, perché au bord du cours d’eau. C’était un édifice gris, carré, en pierre, bas, des contremaîtres de l’Empire étaient alignés tout autour – aucun ne surveillant la rivière. À la place, ils observaient tous le village d’esclaves en contrebas, rempli de villageois, tous soumis au fouet et au bâton des contremaîtres. Les soldats fouettaient sans pitié les villageois, les torturaient dans les rues par de rudes tâches, pendant que les soldats au-dessus regardaient et riaient de la scène.

Erec rougit d’indignation, bouillonnant face à l’iniquité de tout cela. Il se sentit légitimé dans sa décision de conduire ses hommes de ce côté de la rivière, et était déterminé à réparer cette injustice, à leur faire payer. Ce n’était peut-être qu’une goutte dans le vase de la supercherie de l’Empire, et pourtant on ne pouvait jamais sous-estimer, Erec le savait, ce que la liberté signifiait à même peu de gens.

Erec vit les rives bordées de navires de l’Empire, gardés d’un œil distrait, personne ne suspectant une attaque. Bien sûr, ils ne le feraient pas : il n’y avait pas de forces hostiles dans l’Empire, aucune que sa vaste armée pourrait craindre.

Aucune, c’est-à-dire, hormis celle d’Erec.

Erec savait que même si lui et ses hommes étaient en sous-nombre, ils avaient toujours l’avantage de la surprise. S’ils pouvaient frapper assez rapidement, peut-être pourraient-ils les éliminer tous.

Erec se tourna vers ses hommes et vit Strom debout là à côté de lui, attendant impatiemment ses ordres.

« Prends le commandement du navire à côté de moi », ordonna Erec à son jeune frère – et à peine avait-il prononcé les mots que son frère passait à l’action. Il courut à travers le pont, bondit du bastingage sur l’embarcation naviguant à côté d’eux, où il se dirigea rapidement vers la proue et prit le commandement.

Erec se tourna vers ses soldats, qui se massaient autour de lui sur son navire, attendant ses ordres.

« Je ne veux pas qu’ils soient alertés de notre présence », dit-il. « Nous devons nous rapprocher autant que possible. Archets – à vos postes ! » s’écria-t-il. « Et vous tous, prenez vos lances et agenouillez-vous ! »

Les soldats se mirent en position, accroupis le long du bastingage, des rangées et des rangées de soldats d’Erec alignés, tous tenant leurs lances et arcs, tous biens disciplinés, attendant patiemment son ordre. Les courants s’accrurent, Erec vit les forces de l’Empire se profiler non loin, et il sentit un frisson familier dans ses veines : du combat planait dans l’air.

Ils se rapprochèrent encore et encore, maintenant à seulement cent mètres, et le cœur d’Erec palpitait, espérant qu’ils ne soient pas repérés, sentant l’impatience de ses hommes autour de lui, qui attendaient pour attaquer. Ils devaient juste arriver à portée, et chaque clapotis de l’eau, chaque centimètre parcouru, il le savait, était inestimable. Ils n’avaient qu’une chance avec leurs lances et flèches, et ils ne pouvaient la manquer.

Allez, pensa Erec. Juste un peu plus près.

Le cœur d’Erec se serra quand un soldat se tourna soudain nonchalamment et scruta les eaux – puis plissa des yeux, confus. Il était sur le point de les repérer – et c’était trop tôt. Ils n’étaient pas encore à portée.

Alistair, à côté de lui, le vit aussi. Avant qu’Erec puisse donner l’ordre pour entamer la bataille plus tôt, elle se mit subitement debout et, avec une expression sereine et confiante, leva sa main droite. Une boule jaune y apparut, elle ramena son bras en arrière puis la lança.

Erec observa avec émerveillement tandis que l’orbe flottait haut dans les airs au-dessus d’eux, puis retomba, comme un arc-en-ciel, et descendit sur eux. Rapidement une brume apparut, obscurcissant leur vision et les protégeant des yeux de l’Empire.

Le soldat de l’Empire scrutait à présent la brume, confus, sans rien y voir. Erec se tourna vers Alistair et lui sourit en sachant que, une fois encore, ils auraient été perdus sans elle.

La flotte d’Erec continuait à avancer, maintenant parfaitement dissimulée, et Erec jeta un regard à Alistair, reconnaissant.

« Votre main est plus forte que mon épée, ma dame », dit-il en s’inclinant.

Elle sourit.

« C’est toujours à toi de gagner ta bataille », répondit-elle.

Les vents les poussaient plus près, la brume restait avec eux, et Erec pouvait voir tous ses hommes désireux de décocher leurs flèches, de projeter leurs lances. Il comprenait ; sa lance le démangeait dans sa paume, à lui aussi.

« Pas encore », murmura-t-il à ses hommes.

Alors qu’ils écartaient la brume, Erec commença à entrevoir brièvement les soldats de l’Empire. Ils se tenaient sur les remparts, leurs dos musculeux luisants, levant haut leurs fouets et frappant les villageois, le claquement était audible même depuis là. Les autres soldats se tenaient les yeux rivés vers la rivière, manifestement appelés par l’homme de garde, et ils examinaient avec attention le brouillard, comme s’ils suspectaient quelque chose.

Erec était maintenant si proche, ses navires à peine à trente mètres, le cœur battant dans ses oreilles. La brume d’Alistair commençait à se dissiper, et il sut que le moment était venu.

« Archers ! » ordonna Erec. « Feu ! »

Des dizaines de ses archers, tout le long de sa flotte, se mirent debout, visèrent et tirèrent.

Le ciel fut soudain empli du bruit des flèches quittant la corde, volant à travers les airs – et il s’assombrit avec le nuage des pointes de flèche mortelles, volant dans un large arc de cercle, puis s’inclinant vers le bas en direction du rivage.

Un instant après des cris résonnèrent, tandis que le nuage de flèches létales s’abattait sur les soldats de l’Empire qui fourmillaient dans le fort. La bataille avait commencé.

Des cors sonnèrent partout, tandis que la garnison de l’Empire était alertée et se rassemblait pour se défendre.

« LANCES ! » cria Erec.

Strom fut le premier à se mettre debout et à propulser sa lance, une lance magnifique en argent, sifflant dans les airs en volant à une vitesse phénoménale, puis elle trouva sa place dans le cœur du commandant de l’Empire, ahuri.

Erec lança la sienne dans la foulée, prenant part en projetant sa lance dorée, et élimina un commandant de l’Empire de l’autre côté du fort. Tout le long de sa flotte ses rangs d’hommes se joignirent à lui, projetant leurs lances et abattant des soldats de l’Empire étonnés qui eurent à peine le temps de se rallier.

Des dizaines d’entre eux tombèrent, et Erec sut que sa première volée avait été un succès ; cependant des centaines de soldats restaient encore, et alors que le navire d’Erec s’arrêtait, s’échouant rudement sur la berge, il sut que le moment était venu pour le combat au corps-à-corps.

« Chargez ! » hurla-t-il.

Erec dégaina son épée, sauta par-dessus le bastingage, et bondit dans les airs, chutant de quatre bons mètres avant d’atterrir sur les rives sableuses de l’Empire. Tout autour de lui ses hommes suivirent, forts de plusieurs centaines, tous chargeant à travers la plage, esquivant les flèches et lances de l’Empire tandis qu’ils jaillissaient de la brume et à travers le sable vers le fort de l’Empire. Les soldats de l’Empire se rassemblèrent, eux aussi, se précipitant pour venir à leur rencontre.

Erec se tint prêt tandis qu’un soldat de l’Empire imposant chargeait droit sur lui, hurlant, soulevait sa hache et l’abattait en diagonale vers sa tête. Erec esquiva, le frappa au ventre, et poursuivit. Erec, dont les réflexes de combat se mettaient en marche, frappa un autre soldat au cœur, évita le coup de hache d’un autre, puis pivota et en entailla un en travers du torse. Un autre s’élança sur lui par-derrière, et sans se retourner, il lui donna un coup de coude dans le foie, le faisant tomber à genoux.

Erec courait à travers les rangs de soldats, plus rapide, vif et fort que n’importe qui sur le terrain, menant ses hommes pendant que, un à la fois, ils éliminaient les soldats de l’Empire, se frayant un chemin vers le fort. Les affrontements gagnèrent en densité, au corps-à-corps, et ces soldats de l’Empire, de presque deux fois leur taille, étaient des adversaires féroces. Cela brisait le cœur d’Erec de voir tant de ses homes tomber autour de lui.

Mais Erec, déterminé, se mouvait comme un éclair. Strom à côté de lui, et il les déjouait tous de tous côtés. Il traversait la plage comme un démon libéré des enfers.

Assez rapidement, la tâche fut achevée. Tout était calme sur le sable, alors que la plage, rougie, était recouverte de corps, la plupart de soldats de l’Empire. Bien trop d’entre eux, toutefois, étaient les corps de ses propres hommes.

Erec, empli de rage, se rua vers le fort, grouillant encore de soldats. Il prit les degrés de pierre le long de son abord, tous ses hommes derrière lui, et rencontra un soldat qui descendait en courant vers lui. Il le poignarda au cœur, juste avant qu’il ne puisse abattre un marteau à deux mains sur sa tête. Erec fit un pas de côté et le soldat, mort, dégringola dans les marches à côté de lui. Un autre soldat apparut, donnant un coup vers Erec avant qu’il ne puisse réagir –Strom s’avança, et avec un grand fracas et un nuage d’étincelles, il para le coup avant qu’il ne puisse atteindre son frère, puis frappa le soldat avec la garde de son épée, le faisant tomber par-dessus le bord, et l’envoya à sa mort en hurlant.

Erec continua à charger, montant les marches quatre à quatre jusqu’à ce qu’il atteigne le niveau supérieur du fort de pierre. Les dizaines de soldats de l’Empire qui restaient là étaient à présent terrifiés, voyant tous leurs frères morts – et à la vue d’Erec et ses hommes arrivant aux étages, ils tournèrent les talons et commencèrent à fuir. Ils se précipitaient pour descendre de l’autre côté du fort, dans les rues du village – et ce faisant, ils rencontrèrent une surprise : les villageois étaient maintenant enhardis. Leurs expressions apeurées se transformèrent en rage et, comme un seul homme, ils se soulevèrent. Ils s’en prirent à leurs geôliers de l’Empire, s’emparèrent des fouets dans leurs mains, et commencèrent à fouetter les soldats tandis qu’ils courraient dans l’autre direction.

Les soldats de l’Empire ne s’attendaient pas à cela et, un à un, ils tombèrent sous les fouets des esclaves. Ces derniers continuèrent à les frapper alors qu’ils étaient allongés au sol, encore et encore et encore, jusqu’à ce que finalement, ils arrêtent de bouger. La justice avait été faite.

Erec se tint là, en haut du fort, haletant, ses hommes à côté de lui, et fit le bilan dans le silence. La bataille était terminée. En contrebas, il fallut une minute aux villageois hébétés pour analyser ce qu’il venait de se produire, mais assez vite ils le firent.

Un à la fois, ils commencèrent à pousser des exclamations, et une grande clameur s’éleva vers les cieux, de plus en plus forte, tandis que leurs visages s’emplissaient de joie pure. C’était une clameur de liberté. Cela, Erec le savait, faisait que ça en valait la peine. Cela, il le savait, était ce que signifiait la bravoure.




CHAPITRE SEPT


Godfrey était assis sur le sol de pierre dans la chambre souterraine du palais de Silis, Akorth, Fulton et Merek à côté de lui, Dray à ses pieds, Silis et ses hommes en face d’eux. Ils étaient tous assis sombrement, têtes baissées, les mains autour de leurs genoux, sachant qu’ils participaient tous à une veillée funèbre. La chambre tremblait avec les tambourinements sourds de la guerre au-dessus, de l’invasion de Volusia, le bruit de leur cité en train d’être saccagée résonnait dans leurs oreilles. Ils restaient tous assis là, patientant, tandis que les Chevaliers des Sept mettaient Volusia en pièces au-dessus de leurs têtes.

Godfrey prit une autre longue goulée de son outre de vin, la dernière restante dans la cité, essayant d’anesthésier la douleur, la certitude de sa mort imminente aux mains de l’Empire. Il fixait ses pieds du regard, se demandait comment tout avait pu en arriver là. Des lunes auparavant, il avait été en sécurité dans l’Anneau, passant sa vie à boire, sans aucun souci hormis de savoir dans quelle taverne ou quel bordel il irait chaque soir. Maintenant il était là, de l’autre côté de la mer, dans l’Empire, piégé sous terre dans une cité en ruine, après s’être lui-même emmuré dans son propre cercueil.

Sa tête bourdonnait, et il essaya de vider son esprit, de se concentrer. Il avait conscience de ce que ses amis pensaient, pouvait le sentir dans le dédain de leurs regards noirs : ils n’auraient jamais dû l’écouter ; ils auraient dû tous s’échapper quand ils en avaient eu l’occasion. S’ils n’avaient pas rebroussé chemin pour Silis, ils auraient pu atteindre le port, embarquer sur un bateau, et auraient maintenant été loin de Volusia.

Godfrey tenta de trouver du réconfort dans le fait qu’il avait, au moins, retourné une faveur, et avait sauvé la vie de cette femme. S’il ne l’avait pas atteinte à temps pour la prévenir de descendre, elle aurait certainement été en haut et morte à présent. Cela avait dû valoir quelque chose, même si c’était inhabituel chez lui.

« Et maintenant ? » demanda Akorth.

Godfrey se tourna et le vit le regarder d’un air accusateur, prononçant à haute voix la question qui brûlait manifestement dans tous leurs esprits.

Godfrey regarda autour de lui et examina la petite pièce sombre, les torches vacillantes, presque éteintes. Leurs maigres provisions et une outre de bière étaient tout ce qu’ils avaient, posées dans un coin. C’était une veillée funèbre. Il pouvait encore entendre le bruit de la guerre en haut, même à travers ces murs épais, et il se demanda durant combien de temps ils pourraient surmonter cette invasion. Des heures ? Des jours ? Combien de temps passerait-il avant que les Chevaliers des Sept conquièrent Volusia ? Partiraient-ils ?

« Ils ne sont pas après nous », observa Godfrey. « C’est l’Empire qui combat l’Empire. Ils sont en vendetta après Volusia. Ils n’ont pas de problèmes avec nous. »

Silis secoua la tête.

« Ils occuperont ce lieu », dit-elle lugubrement, sa voix forte transperçant le silence. « Les Chevaliers des Sept ne battent jamais en retraite. »

Ils retombèrent tous dans le silence.

« Alors pendant combien de temps pouvons-nous vivre là ? » demanda Merek.

Silis secoua la tête en jetant un regard à leurs provisions.

« Une semaine, peut-être », répondit-elle.

Un grondement phénoménal se fit entendre en haut, et Godfrey tressaillit en sentant le sol trembler sous ses pieds.

Silis bondit sur ses pieds, agitée, fit les cent pas, examinant le plafond tandis que de la poussière commençait à en tomber, pleuvant sur eux. Cela sonnait comme une avalanche de pierres au-dessus d’eux, et elle le scruta avec l’inquiétude d’une propriétaire.

« Ils ont ouvert une brèche dans mon château », dit-elle, plus pour elle-même que pour eux.

Godfrey vit une expression peinée sur son visage, et il le reconnut comme étant celui d’une personne perdant tout ce qu’elle avait.

Elle se tourna et regarda Godfrey avec gratitude.

« J’aurais été là-haut sans vous. Vous nous avez sauvé la vie. »

Godfrey soupira.

« Et pour quoi ? » demanda-t-il, contrarié. « Quel bien cela a-t-il fait ? Pour que nous puissions mourir tous ensemble ici en bas ? »

Silis paraissait abattue.

« Si nous restons là », demanda Merek, « est-ce que nous mourrons tous ? »

Silis se tourna vers lui et hocha tristement de la tête.

« Oui », répondit-elle faiblement. « Pas aujourd’hui ou demain, mais d’ici quelques jours, oui. Ils ne peuvent pas arriver jusqu’ici – mais nous ne pouvons pas aller là-haut. Bientôt nos provisions seront épuisées. »

« Alors quoi ensuite ? » l’interrogea Ario en lui faisant face. « Comptez-vous mourir ici ? Parce que moi, pour ma part, je n’en ai pas l’intention. »

Silis faisait les cent pas, sourcils froncés, et Godfrey put la voir réfléchir longuement.

Puis, finalement, elle s’arrêta.

« Il y a une chance », dit-elle. « C’est risqué. Mais cela pourrait marcher. »

Elle se tourna, leur fit face, et Godfrey retint son souffle, d’espoir et d’attente.

« Du temps de mon père, il y avait un passage souterrain sous le château », dit-elle. « Il passe à travers les murs du château. Nous pourrions le trouver, s’il existe encore, et partir de nuit, à la faveur de l’obscurité. Nous pouvons essayer de nous frayer un chemin à travers la cité, vers le port. Nous pouvons prendre un de mes navires, s’il en reste encore, et appareiller depuis cet endroit. »

Un long silence incertain tomba sur la pièce.

« Risqué », dit finalement Merek, la voix grave. « La cité va fourmiller de gens de l’Empire. Comment sommes-nous censés la traverser sans nous faire tuer ? »

Silis haussa les épaules.

« Vrai », dit-elle. « S’ils nous capturent, nous serons tués. Mais si nous sortons quand il fait assez sombre, et que nous tuons tous ceux qui se tiennent en travers de notre route, peut-être atteindrons nous le port. »

« Et si nous trouvons le passage et arrivons jusqu’au port, et que vos navires n’y sont pas ? » demanda Ario.

« Aucun plan n’est certain », dit-elle. « Il se peut très bien que nous mourions là dehors – et il se peut très bien que nous mourions ici en bas. »

« La mort viendra pour nous tous », intervint Godfrey, qui éprouvait une nouvelle motivation en se mettant debout et en faisant face aux autres, plein de détermination alors qu’il surmontait ses peurs. « C’est une question à propos de la manière dont nous souhaitons mourir : ici, tapis comme des rats ? Ou là-haut, visant notre liberté ? »

Lentement, un à la fois, les autres se mirent tous debout. Ils lui firent face et hochèrent tous solennellement de la tête en réponse.

Il sut, à ce moment-là, qu’un plan avait été créé. Cette nuit, ils s’échapperaient.




CHAPITRE HUIT


Loti et Loc marchaient côte à côte sous le soleil brûlant du désert, tous deux enchaînés l’un à l’autre, tout en étant fouettés par les contremaîtres derrière eux. Ils cheminaient à travers l’étendue désolée et pendant qu’ils le faisaient, Loti se demanda une fois encore pourquoi son frère les avait portés volontaires pour ce travail dangereux et éreintant. Était-il devenu fou ?

« À quoi pensais-tu ? » lui murmura-t-elle. Ils étaient poussés par-derrière et quand Loc perdit l’équilibre et trébucha vers l’avant, Loti le prit par son bon bras avant qu’il ne tombe.

« Pourquoi nous as-tu portés volontaires ? » ajouta-t-elle.

« Regarde droit devant », dit-il en reprenant son équilibre. « Que vois-tu ? »

Loti leva les yeux et ne vit rien hormis le désert monotone qui s’étirait devant eux, plein d’esclaves, le sol dur à cause des rochers ; au-delà de cela, elle vit une pente menant à une crête, au sommet de laquelle travaillaient une dizaine d’esclaves supplémentaires. Partout se trouvaient des contremaîtres, le bruit des fouets pesait dans l’air.

« Je ne vois rien », répondit-elle, impatiente, « à part plus de la même chose : des esclaves exploités jusqu’à la mort par des contremaîtres. »

Loti ressentit soudain une douleur cuisante dans le dos, comme si sa peau lui était arrachée, et elle poussa un cri alors qu’elle était fouettée, la lanière lui entaillant la peau.

Elle se retourna pour voir le visage renfrogné d’un contremaître derrière elle.

« Taisez-vous ! » ordonna-t-il.

Loti eut envie de pleurer à cause de la douleur intense, mais elle tint sa langue et continua à marcher à côté de Loc, ses chaînes s’entrechoquant sous le soleil. Elle se jura de tuer tous ces membres de l’Empire sitôt qu’elle le pourrait.

Ils continuèrent à marcher en silence, le seul bruit était celui de leurs bottes crissant sur les pierres. Finalement, Loc s’avança doucement plus près d’elle.

« Ce n’est pas ce que tu vois », murmura-t-il, « mais ce que tu ne vois pas. Regarde de plus près. Là-haut, sur la crête. »

Elle étudia le paysage, mais ne vit rien.

« Il n’y a qu’un contremaître là-haut. Un. Pour deux douzaines d’esclaves. Regarde derrière, dans la vallée, et vois combien il y en a là. »

Loti jeta furtivement un regard en arrière par-dessus son épaule, et dans la vallée qui s’étendait en contrebas, elle vit des dizaines de contremaîtres supervisant des esclaves, qui cassaient des rochers et labouraient la terre. Elle se retourna et regarda à nouveau vers la crête, et elle comprit pour la première fois ce que son frère avait à l’esprit. Non seulement il n’y avait qu’un seul contremaître, mais encore mieux, il y avait un zerta à côté de lui. Un moyen de s’échapper.

Elle était impressionnée.

Il hocha de la tête d’un air entendu.

« Le sommet de la crête est le poste de travail le plus dangereux », murmura-t-il. « Le plus chaud, le moins convoité, à la fois par les esclaves et les contremaîtres. Mais ça, ma sœur, c’est une opportunité. »

Loti reçut soudain un coup de pied dans le dos, et elle tituba vers l’avant avec Loc. Tous deux se redressèrent et poursuivirent vers la crête, Loti luttant pour respirer, tentant de reprendre son souffle sous la chaleur montante tandis qu’ils grimpaient. Mais cette fois-ci, quad elle regarda en arrière, son cœur se gonfla d’optimisme, battant plus vite dans sa gorge : enfin, ils avaient un plan.

Loti n’avait jamais considéré son frère comme étant audacieux, aussi prêt à prendre un tel risque, à affronter l’Empire. Mais maintenant qu’elle le regardait, elle pouvait voir le désespoir dans ses yeux, pouvait voir qu’il pensait enfin comme elle. Elle le voyait sous un nouveau jour, et l’admirait grandement pour cela. C’était exactement le genre de plan auquel elle serait elle-même arrivée.

« Et pour nos chaînes ? » lui murmura-t-elle en réponse, en s’assurant que les contremaîtres n’observent pas.

Loc fit un geste de la tête.

« Sa selle », répondit-il. « Regarde de plus près. »

Loti regarda et vit la longue épée qui y était suspendue ; elle réalisa qu’ils pouvaient s’en servir pour briser leurs entraves. Ils pouvaient prendre la fuite.

Ressentant de l’optimisme pour la première fois depuis leur capture, Loti passa en revue les autres esclaves à la cime. Ils étaient tous des hommes et femmes brisés, courbés inconsidérément sur leurs tâches, aucun défi ne restant dans leurs yeux ; elle sut immédiatement qu’ils ne leur seraient d’aucune aide. Cela lui convenait – ils n’avaient pas besoin de leur aide. Ils n’avaient besoin que d’une chance, et pour tous ces autres esclaves qu’ils servent de distraction.

Loti sentit un dernier coup de pied brutal dans les reins, elle tituba vers l’avant et atterrit tête la première dans la poussière alors qu’ils atteignaient le sommet de la crête. Elle sentit des mains rudes la remettre sur pieds, et se tourna pour voir le contremaître la pousser brusquement avant de tourner les talons et de se diriger vers le bas de la colline, les laissant là.

« Mettez-vous en rang ! » hurla un nouveau contremaître, le seul à la cime.

Loti sentit ses mains calleuses l’agripper par la nuque et la pousser ; ses chaînes cliquetèrent tandis qu’elle se précipitait en avant, trébuchant dans le champ de travail des esclaves. On lui tendit une longue houe avec une extrémité en fer, puis une dernière poussée alors que le contremaître de l’Empire attendait d’elle qu’elle commençât à labourer avec tous les autres.

Loti se retourna, vit Loc lui jeter un regard entendu, et elle sentit le feu brûler dans ses veines ; elle savait que c’était maintenant ou jamais.

Loti laissa échapper un cri, leva sa houe, la fit tourner et l’abattit de toutes ses forces. Elle fut choquée de sentir le bruit sourd, de la voir logée dans l’arrière de la tête du contremaître.

Loti l’avait faite tournoyer si vite, avec tant de résolution, qu’à l’évidence il ne s’y était pas attendu. Il n’eut même pas le temps de réagir. Manifestement aucun esclave ici, encerclé par tous ces contremaîtres et sans nulle part où fuir, n’aurait osé commettre un tel acte.

Loti sentit la vibration de la houe à travers ses mains et ses bras, et elle contempla, hébétée, ensuite avec satisfaction, le garde tituber puis tomber. Avec son dos brûlant encore des coups, elle avait le sentiment que c’était justifié.

Son frère s’avança, leva sa propre houe, et alors que le contremaître commençait à se tordre, il l’abattit droit sur sa nuque.

Enfin, le contremaître demeura immobile.

Haletante, couverte de sueur, le cœur encore battant, Loti lâcha son outils, incrédule, éclaboussée par le sang de l’homme, et échangea un regard avec son frère. Ils l’avaient fait.

Loti pouvait sentir les regards curieux de tous les autres esclaves autour d’elle, elle se tourna et vit qu’ils observaient tous, bouche bée. Ils étaient tous appuyés sur leurs houes, avaient cessé le travail, et leur jetaient un regard horrifié et médusé.

Loti savait qu’elle n’avait pas de temps à perdre. Elle courut, Loc à côté d’elle, enchaînés ensemble, vers le zerta, tira l’épée longue de la selle avec les deux mains, la souleva haut, et se tourna.

« Attention ! » cria-t-elle à Loc.

Il se tint prêt tandis qu’elle l’abaissait de toutes ses forces et tranchait leurs chaînes. Elles dirent des étincelles, et elle ressentit la liberté satisfaisante de leurs entraves brisées.

Elle se tourna pour partir quand elle entendit un cri.

« Et pour nous ? » s’écria une voix.

Loti pivota pour voir les autres esclaves arriver en courant, en tendant leurs chaînes. Elle se retourna et vit le zerta qui attendait, elle savait que le temps était précieux. Elle voulait se diriger vers l’est dès qu’elle le pourrait, aller vers Volusia, le dernier endroit vers lequel elle savait que Darius se dirigeait. Peut-être le trouverait-elle là. Mais en même temps, elle ne pouvait supporter la vue de ses frères et sœurs enchaînés.

Loti se précipita en avant, à travers la foule d’esclaves, tranchant les entraves de tous côtés, jusqu’à ce que tous soient libres. Elle ignorait où ils iraient maintenant qu’ils l’étaient, mais au moins ils avaient la liberté de faire ce qu’ils voulaient.

Loti se tourna, enfourcha le zerta, et tendit une main à Loc. Il lui donna la sienne et elle le hissa – puis donna un violent coup de talon dans les côtes.

Alors qu’ils partaient, Loti se réjouissait de sa liberté, au loin, elle pouvait déjà entendre les cris des contremaîtres de l’Empire, tous en train de la repérer. Mais elle n’attendit pas. Elle tourna et dirigea le zerta le long de la crête, sur le versant opposé, elle et son frère bondirent dans le désert, s’éloignant des contremaîtres – et de l’autre côté de la liberté.




CHAPITRE NEUF


Darius leva les yeux, abasourdi, le regard fixé sur les yeux du mystérieux homme agenouillé au-dessus de lui.

Son père.

Alors que Darius avait le regard plongé dans les yeux de cet homme, tout sens du temps et de l’espace s’estompa, sa vie tout entière figée dans cet instant. Tout se mit soudain en place : cette sensation que Darius avait eue dès le moment où il avait posé les yeux sur lui. Cet air familier, ce petit quelque chose qui l’avait tiraillé à la limite de sa conscience, qui l’avait importuné depuis qu’ils s’étaient rencontrés.

Son père.

Le mot ne semblait même pas réel.

Il était là, agenouillé au-dessus de lui, juste après avoir sauvé la vie de Darius, paré un coup mortel du soldat de l’Empire, un qui aurait probablement tué Darius. Il avait risqué sa vie pour s’aventurer ici, seul, dans l’arène, au moment où Darius avait été sur le point de mourir.

Il avait tout risqué pour lui. Son fils. Mais pourquoi ?

« Père », dit Darius en retour, plutôt un murmure, émerveillé.

Darius ressentit un élan de fierté en réalisant qu’il était parent avec cet homme, cet excellent guerrier, le meilleur qu’il ait jamais rencontré. Cela lui faisait penser que, peut-être, il pourrait être un plus grand guerrier, lui aussi.

Son père se baissa et attrapa la main de Darius, d’une poigne ferme et forte. Il tira Darius, le remit sur pieds, et quand il le fit, Darius se sentit régénéré. Il avait l’impression d’avoir une raison de se battre, une raison de persévérer.

Darius se baissa immédiatement, saisit son épée tombée au sol, puis se retourna, avec son père, et ils firent face ensemble aux hordes de soldats de l’Empire qui arrivaient. Avec ces hideuses créatures à présent mortes, son père les ayant toutes tuées, les cors avaient sonné, et l’Empire avait envoyé une nouvelle vague de soldats.

La foule rugit, et Darius regarda les visages hideux des soldats de l’Empire qui se ruaient sur eux, brandissant de longues lances. Darius se concentra, et il sentit l’univers ralentir tandis qu’il se préparait à se battre pour sa vie.

Un soldat chargea et projeta sa lance vers son visage, et Darius esquiva juste avant qu’elle ne touche son œil ; ensuite, il fit tournoyer son épée et alors que le soldat s’approchait pour le tacler, Darius le frappa violemment à la tempe avec la garde de son épée, l’envoyant à terre. Darius se baissa rapidement alors qu’un autre soldat lui portait un coup d’épée à la tête, puis fit une fente vers l’avant et le poignarda au ventre.

Un autre soldat chargea sur le côté, la lance dirigée vers les côtes de Darius, trop rapide pour que ce dernier puisse réagir ; pourtant il entendit le bruit du bois contre le métal, et se tourna avec gratitude pour voir son père apparaître et utiliser son bâton pour bloquer la lance avant qu’elle ne touche Darius. Ensuite, il fit un pas en avant et planta son bâton entre les deux yeux du soldat, ce qu’il l’envoya au sol.

Son père pivota avec son bâton et fit face au groupe d’attaquants, le cliquetis de son arme emplissait l’air tandis qu’il détournait un coup de lance après l’autre. Son père dansait entre les soldats, comme une gazelle serpentant entre les hommes, et il maniait son bâton comme une beauté, tournoyant et frappant les soldats de manière experte, avec des coups bien placés dans la gorge, entre les yeux, au diaphragme, abattant des hommes dans toutes les directions. Il était comme l’éclair.

Darius, inspiré, se battait comme un homme possédé, tirant de l’énergie de lui ; il entaillait, esquivait et frappait d’estoc, son épée rencontrait les autres dans un fracas, des étincelles volaient pendant qu’il avançait intrépidement dans le groupe de soldats. Ils étaient plus grands que lui, mais Darius avait plus d’esprit et, contrairement à eux, se battait pour sa vie – et pour son père. Il dévia plus d’un coup destiné à ce dernier, le sauvant d’une mort imprévue. Darius faisait tomber des soldats de gauche à droite.

Le dernier soldat de l’Empire se précipita vers Darius, levant haut son épée, par-dessus sa tête, des deux mains – et alors qu’il le faisait, Darius se jeta en avant et lui transperça le cœur. Les yeux de l’homme s’écarquillèrent, il se figea lentement, et tomba au sol, mort.

Darius se tint à côté de son père, tous deux dos à dos, à bout de souffle, examinant leur œuvre. Tout autour d’eux, des soldats de l’Empire gisaient morts. Ils avaient gagné.

Darius avait le sentiment que là, aux côtés de son père, ils pouvaient affronter tout ce que le monde lui envoyait ; il avait le sentiment qu’ensemble, ils constituaient une force inarrêtable. Et cela paraissait irréel d’être vraiment en train de se battre à côté de son père. Son père, dont il avait toujours rêvé qu’il soit en grand guerrier. Son père n’était pas, après tout, une simple personne ordinaire.

Un chœur de cors sonna, et la foule poussa des acclamations. Au premier abord Darius espéra qu’ils applaudissaient sa victoire, mais ensuite d’énormes portes de fer s’ouvrirent à l’autre bout de l’arène, et il sut que le pire ne faisait que commencer.

Le son d’une trompette s’éleva, plus fort qu’aucun que Darius ait jamais entendu, et cela lui prit un moment pour se rendre compte qu’il ne s’agissait pas de la trompette d’un homme – mais plutôt celle d’un éléphant. Tandis qu’il observait la porte, le cœur battant, apparurent soudain, à sa grande stupeur, deux éléphants, tout noirs, avec de longues défenses luisantes et blanches, la gueule tordue de rage tandis qu’ils les rejetaient en arrière et barrissaient.

Le bruit faisait même vibrer l’air. Ils soulevèrent leurs membres antérieurs puis les abattirent dans un fracas, piétinant le sol si puissamment qu’il trembla, déséquilibrant Darius et son père. Des soldats de l’Empire les chevauchaient, brandissant des lances et des épées, revêtus de la tête au pied d’une armure.

Alors que Darius les observait, les yeux levés vers ces bêtes, plus grandes que tout ce qu’il avait rencontré dans sa vie, il sut qu’il était impossible que lui et son père puissent gagner. Il se tourna et vit son père debout là, bravement, sans reculer alors qu’il regardait stoïquement la mort dans les yeux. Cela donna de la force à Darius.

« Nous ne pouvons gagner, Père », dit Darius, énonçant l’évidence alors que les éléphants commençaient à charger.

« Nous l’avons déjà fait, mon fils », dit son père. « En nous tenant là et en leur faisant face, en en tournant pas les talons pour courir, nous les avons vaincus. Il se peut que nos corps meurent ici aujourd’hui, mais notre souvenir perdurera – et ça en sera un de courage ! »

Sans ajouter un mot, son père laissa échapper un cri et commença à charger, et Darius, inspiré, cria et s’élança à côté de lui. Tous deux se ruaient pour aller à la rencontre des éléphants, courant aussi vite qu’ils le pouvaient, n’hésitant même pas pour affronter la mort en face.

Le moment de l’impact ne fut pas ce à quoi Darius s’était attendu. Il esquiva une lance alors que le soldat, perché sur l’éléphant, la projetait droit sur lui, puis il leva son épée et frappa le pied de l’animal tandis qu’il chargeait droit sur lui. Darius ignorait comment attaquer un éléphant, ou si le coup aurait un impact quelconque.

Il n’en eut aucun. Le coup de Darius lui écorcha à peine la peau. La bête massive, enragée, baissa sa trompe et la balança sur le côté, touchant Darius au niveau des côtes.

Darius s’envola dans les airs sur neuf mètres, le souffle coupé, et atterrit sur le dos, roulant dans la poussière. Il roula et roula, tentant de reprendre sa respiration tandis qu’il entendait les cris sourds de la foule.

Il se tourna et essaya d’entrapercevoir son père, inquiet pour lui, et du coin de l’œil il le vit propulser sa lance droit vers le haut, visant un des énormes yeux de l’éléphant, puis roula hors de sa trajectoire tandis qu’il chargeait vers lui.

Ce fut un coup parfait. Elle se logea fermement dans son œil et ce faisant l’animal poussa un hurlement et barrit, ses genoux se dérobèrent tandis qu’il titubait et chutait, entrainant l’autre éléphant avec lui dans un gigantesque nuage de poussière.

Darius se remit sur pieds, inspiré et déterminé, et il jeta son dévolu sur un des soldats de l’Empire, qui était tombé et roulait sur le sol. Le soldat se mit à genoux, puis se tourna et, serrant encore sa lance, visa le dos du père de Darius. Son père se tenait là, inconscient du danger, et Darius sut que dans un instant il serait mort.

Darius se mit en action. Il s’élança vers le soldat, leva son épée, et fit tomber la lance de sa main – puis la fit tournoyer et le décapita.

La foule l’acclama.

Mais Darius eut peu de temps pour savourer son triomphe : il entendit un grand grondement, et se tourna pour voir que l’autre éléphant s’était relevé – et son cavalier – et se ruait sur lui. N’ayant pas le temps de s’éloigner du passage, Darius s’allongea sur le dos, prit la lance, et la tint droite, tandis que le pied de l’éléphant s’abaissait. Il attendit jusqu’au dernier moment, puis roula hors de sa trajectoire alors que la bête s’apprêtait à la piétiner.

Darius sentit un grand courant d’air quand le pied de l’éléphant passa à côté de lui, le manquant de quelques centimètres, puis entendit un cri et le bruit de la lance pénétrant dans la chair alors qu’il se tournait pour voir l’éléphant marcher dessus. La lance se tenait droite, à travers sa chair et ressortait de l’autre côté.

L’éléphant rua et poussa un cri strident, courant en cercles, et ce faisant, le soldat de l’Empire qui le chevauchait perdit l’équilibre et tomba, de quinze bons mètres, hurlant alors que son atterrissage était fatal, écrasé par la chute.

L’éléphant, toujours fou de rage, se tourna de l’autre côté et percuta Darius avec sa trompe, l’envoyant voler une fois encore, valdinguer dans une autre direction ; Darius avait l’impression que toutes ses côtes étaient en train de se casser.

Pendant que Darius rampait à quatre pattes, tentant de reprendre son souffle, il leva les yeux et vit son père combattant vaillamment contre plusieurs soldats de l’Empire, qui étaient sortis des portes pour assister les autres. Il tournoyait, frappait de taille et d’estoc avec son bâton, abattant plusieurs d’entre eux dans toutes les directions.

Le premier éléphant qui avait chuté, la lance toujours dans l’œil, se remit sur pieds, fouetté par un autre soldat de l’Empire qui avait bondi sur son dos. Sous ses ordres, l’animal rua, puis chargea droit vers le père de Darius qui, inconscient, continuait de se battre avec les soldats.

Darius le vit se produire alors qu’il se tenait là, impuissant, son père trop éloigné de lui, et lui incapable d’arriver là-bas à temps. Le temps ralentit, alors qu’il voyait l’éléphant tourner droit vers lui.

« NON ! » hurla Darius.

Darius contempla avec horreur l’éléphant qui se précipitait en avant, droit vers son père, qui ne se doutait de rien. Darius s’élança à travers le champ de bataille, se précipita pour le sauver à temps. Pourtant, il le savait alors même qu’il courait, que c’était vain. C’était comme observer son univers s’effondrer au ralenti.

L’éléphant baissa ses défenses, chargea, et empala son père dans le dos.

Son père poussa un cri, de sang coulant de sa bouche, tandis que l’éléphant le soulevait dans les airs.

Darius sentit son propre cœur se serrer en voyant son père, le guerrier le plus courageux qu’il ait jamais vu, haut dans les airs, empalé par la défense, luttant pour se libérer alors même qu’il était en train de mourir.

« PÈRE ! » hurla Darius.




CHAPITRE DIX


Thorgrin se tenait à la proue du navire, resserra sa prise sur la garde de son épée, et leva les yeux, de stupeur et d’horreur, vers le titanesque monstre marin qui émergeait des profondeurs de l’eau. Il était de la même couleur que la mer de sang en dessous, et tandis qu’il s’élevait de plus en plus haut, il obscurcit le peu de lumière qu’il y avait dans cette Terre du Sang. Elle ouvrit ses grandes mâchoires, révélant des dizaines de rangées de crocs, et elle déploya ses tentacules dans toutes les directions, certains d’entre eux plus longs que le bateau, comme si une créature des profondeurs même de l’enfer se tendait vers eux pour les étreindre.

Puis elle plongea vers le navire, prête à tous les engloutir.

À côté de Thorgrin, Reece, Selese, O’Connor, Indra, Matus, Elden et Ange se tenaient tous avec leurs armes à la main, gardant bravement leur position face à cette bête. Thor affermit sa résolution en sentant l’Épée des Morts vibrer dans sa main, et il sut qu’il devait agir. Il devait protéger Ange et les autres, et il savait qu’il ne pouvait pas attendre que la bête vienne à eux.

Thorgrin bondit en avant pour aller à sa rencontre, en haut du bastingage, leva son épée au-dessus de sa tête, et alors qu’un des tentacules arrivait horizontalement vers lui, il tournoya et le trancha. L’énorme tentacule, coupé, tomba sur le navire avec un bruit sourd, secouant le bateau, puis glissa le long du pont jusqu’à ce qu’il heurte le bastingage.

Les autres n’hésitèrent pas non plus. O’Connor décocha une volée de flèches vers les yeux de la bête, pendant que Reece coupait un autre tentacule s’abattant vers la taille de Selese. Indra envoya sa lance, transperçant son poitrail, Matus fit tourner son fléau, tranchant un autre tentacule, et Elden utilisa sa hache, en découpant deux en un seul coup. À l’unisson, la Légion s’abattit sur la bête, l’attaquant comme une machine aux rouages bien huilés.

La bête hurlait de rage, car elle avait perdu plusieurs membres, transpercée par des flèches et des lances, à l’évidence prise au dépourvu par cette attaque coordonnée. Ses premiers assauts cessèrent, elle hurla encore plus fort, frustrée, sauta haut dans les airs, puis tout aussi rapidement plongea sous la surface, créant de grandes vagues et laissant le navire balloter dans son sillage.

Thor demeura le regard fixe dans le silence soudain, perplexe, et pendant une seconde il pensa qu’elle avait peut-être battu en retraite, qu’ils l’avaient vaincue, en particulier en voyant le sang de la bête former une nappe à la surface. Mais ensuite il eut le mauvais pressentiment que tout était devenu trop calme, trop rapidement.

Et après, trop tard, il réalisa ce que la bête s’apprêtait à faire.

« ACCROCHEZ-VOUS ! » cria Thor aux autres.

Thor avait à peine prononcé les mots quand il sentit leur navire s’élever des eaux, instable, de plus en plus haut, jusqu’à ce qu’il soit dans les airs, dans les tentacules de la bête. Thor regarda en bas et vit la bête en dessous, ses tentacules enroulés tout autour du navire de la proue à la poupe. Il se prépara au choc à venir.

La bête lança le navire, et il s’envola comme un jouet dans l’air, tous essayant de s’accrocher et de tenir bon, jusqu’à ce que finalement il atterrisse à nouveau dans l’océan, en tanguant violemment.

Thor et les autres perdirent leur prise et glissèrent le long du pont dans toutes les directions, percutant le bois pendant que le navire se tournait et se retournait. Thor repéra Ange, qui glissait sur le pont, vers le bastingage, prête à passer par-dessus bord ; il tendit le bras et agrippa sa petite main, la tenant fermement tandis qu’elle le regardait avec panique.

Finalement, le navire se redressa. Thor se remit sur pieds, comme le firent les autres, se préparant pour l’attaque suivante, et dès qu’ils l’eurent fait, il vit la bête nager vers eux à toute vitesse, agitant ses tentacules. Elle agrippa l’embarcation de tous les côtés, ses tentacules grimpaient par-dessus le bord, sur le pont, et venaient droit sur eux.

Thor entendit un cri, jeta un coup d’œil et vit Selese, un tentacule enroulé autour de la cheville, glisser à travers le pont, tirée par-dessus bord. Reece pivota et trancha le membre, mais tout aussi vite un autre saisit son bras. De plus en plus de tentacules escaladaient le navire, et tandis que Thor en abattait un sur sa propre cuisse, il regarda autour de lui et vit tous ses frères de la Légion frappant sauvagement, coupant des tentacules. Pour un qu’ils sectionnaient, deux autres apparaissaient.

Le navire tout entier était recouvert, et Thor sut que s’il ne faisait pas quelque chose rapidement, ils sombreraient tous pour de bon. Il entendit un cri strident, haut dans le ciel, et quand il leva les yeux, il vit une des créatures démoniaques libérées de l’enfer, volant haut au-dessus de leur tête, regardant en bas avec un air moqueur tout en s’éloignant.

Thor ferma les yeux, sachant qu’il s’agissait d’une de ses épreuves, un des moments capitaux de sa vie. Il essaya de bloquer le monde extérieur, de se concentrer intérieurement. Sur son entraînement. Sur Argon. Sur sa mère. Sur ses pouvoirs. Il était plus fort que l’univers, il le savait. Il y avait des pouvoirs profondément enfouis en lui, des pouvoirs supérieurs au monde physique. Cette créature était sur cette terre – cependant les pouvoirs de Thor étaient plus grands. Il pouvait invoquer les forces de la nature, les forces mêmes qui avaient créé cette bête, et la renvoyer dans l’enfer d’où elle était venue.

Thor sentit l’univers ralentir autour de lui. Il sentit une chaleur s’élever dans ses paumes, se propager dans ses bras, ses épaules, puis revenir, fourmillante, dans la pointe de ses doigts. Avec l’impression d’être invincible, Thor ouvrit les yeux. Il sentait un pouvoir incroyable briller à travers eux, le pouvoir de l’univers.

Thor tendit les bras et posa une main sur le tentacule de la bête, et ce faisant, il le calcina. La bête le retira immédiatement de sa cuisse, comme si elle avait été brûlée.

Thor se tint comme un homme nouveau. Il se tourna et vit la tête de la créature se soulever le long du bord du navire, gueule ouverte, s’apprêtant à les avaler tous. Il vit ses frères et sœurs de la Légion glisser, sur le point d’être trainés par-dessus bord.

Thor poussa un grand cri de guerre et s’élança vers la bête. Il plongea vers elle avant qu’elle ne puisse atteindre les autres, renonçant à son épée, et à la place il tendit ses mains brûlantes. Il s’agrippa à la tête du monstre, et posa ses paumes dessus, et quand il le fit, il les sentit la consumer.

Thor s’accrocha fermement pendant que la bête hurlait et se contorsionnait, essayant de se libérer de son emprise. Lentement, un tentacule à la fois, elle commença à relâcher sa prise sur le bateau, et ce faisant, Thor sentit son pouvoir grandit en lui. Il empoigna résolument la bête, leva ses deux mains, et quand il le fit, il sentit le poids de la créature, qui s’élevait de plus en plus haut dans les airs. Rapidement elle plana au-dessus des paumes de Thor, le pouvoir en lui la maintenant à flot.

Ensuite, quand la bête fut à neuf bons mètres de hauteur, Thor se tourna et dirigea ses mains vers l’avant.

Le monstre s’envola, au-dessus du navire, hurlant et tournoyant. Il vola dans les airs sur une trentaine de mètres, jusqu’à ce que finalement il devienne inerte. Il tomba dans la mer dans une grande éclaboussure, puis coula sous la surface.

Mort.

Thor se tint là en silence, le corps tout entier encore chaud, et lentement, un à la fois, les autres se regroupèrent, se remettant sur pieds et se rapprochant de lui. Thor se tenait là, à bout de souffle, hébété, regardant vers la mer de sang. Au-delà, à l’horizon, ses yeux fixaient le château noir, qui planait sur cette terre, ce lieu dont il savait qu’il détenait son fils.

Le temps était venu. Il n’y avait rien pour l’arrêter à présent, et il était temps, enfin, de récupérer son fils.




CHAPITRE ONZE


Volusia se tenait devant ses nombreux conseillers dans les rues de la capitale de l’Empire, les yeux fixés sur le miroir dans sa main, médusée. Elle examina son nouveau visage sous tous les angles – la moitié était encore belle, et l’autre défigurée, fondue – et elle éprouva une vague de dégoût. Le fait que la moitié de sa beauté demeure encore rendait d’une certaine manière tout cela pire. Cela aurait été plus facile, réalisa-t-elle, si son visage tout entier avait été défiguré – ainsi elle n’aurait pu se souvenir de rien à propos de son ancienne apparence.

Volusia se remémora sa beauté éblouissante, la base de son pouvoir, qui l’avait portée à travers chaque évènement de sa vie, qui lui avait permis de manipuler hommes et femmes indifféremment, de mettre les hommes à genoux d’un seul regard. Maintenant, tout cela avait disparu. Maintenant, elle n’était qu’une fille de dix-sept ans parmi d’autres – et pire, un demi-monstre. Elle ne pouvait supporter la vue de son propre visage.

Dans un accès de rage et de désespoir, jeta le miroir au sol et le regarda se casser en morceaux dans les rues immaculées de la capitale. Tous ses conseillers se tinrent là, silencieux, le regard détourné, se gardant bien de lui parler à ce moment-là. Il était aussi évident pour elle, tandis qu’elle scrutait leurs traits, qu’aucun d’entre eux ne voulait la regarder, voir l’horreur qu’était à présent son visage.

Volusia parcourut les alentours du regard à la recherche des Volks, avide de les mettre en pièce – mais ils étaient déjà partis, avaient disparu dès qu’ils lui avaient lancé ce sort terrible. Elle avait été prévenue de ne pas s’unir avec eux, et à présent elle réalisait que tous les avertissements avaient été justes. Elle l’avait chèrement payé. Un prix qui ne pourrait jamais être retourné.

Volusia voulait déverser sa rage sur quelqu’un, et ses yeux s’arrêtèrent sur Brin, son nouveau commandant, un guerrier sculptural âgé d’à peine quelques années de plus qu’elle, qui lui avait fait la cour pendant des lunes. Jeune, grand, musclé, il était d’une beauté renversante et l’avait convoitée tout le temps qu’elle l’avait connu. Pourtant maintenant, à sa fureur, il ne voulait pas même croiser son regard.

« Toi », lui siffla Volusia, à peine capable de se contenir. « Ne vas-tu même pas me regarder ? »

Volusia rougit quand il releva son regard mais sans la regarder dans les yeux. C’était son sort désormais, pour le restant de sa vie, elle le savait, d’être considérée comme un monstre.

« Suis-je répugnante pour toi maintenant ? » demanda-t-elle, la voix brisée de désespoir.

Il baissa la tête, mais ne répondit pas.

« Très bien », dit-elle finalement, après un long silence, déterminer à se venger sur quelqu’un, « alors je te l’ordonne : tu contempleras le visage que tu hais le plus. Tu me prouveras que je suis belle. Tu coucheras avec moi. »

Le commandant leva les yeux et croisa les siens pour la première fois, de la peur et de l’horreur dans son expression.

« Déesse ? » demanda-t-il, la voix brisée, terrifié, sachant qu’il risquait la mort s’il défiait son ordre.

Volusia esquissa un large sourire, heureuse pour la première fois, en prenant conscience que cela serait une vengeance parfaite : coucher avec l’homme qui la trouvait la plus répugnante.

« Après toi », dit-elle, en faisant un pas de côté et un geste vers sa chambre.


*

Volusia se tenait devant la grande fenêtre en plein cintre ouverte, au dernier étage du palais de la capitale de l’Empire, et pendant que les soleils matinaux se levaient, les rideaux se gonflant contre son visage, elle pleura silencieusement. Elle pouvait sentir les larmes couler le long du côté intact de son visage mais pas de l’autre, le côté qui avait fondu. Il était engourdi.

Un léger ronflement ponctuait l’air, et Volusia jeta un regard par-dessus son épaule pour voir Brin étendu là, encore endormi, le visage crispé dans une expression de dégoût, même dans son sommeil. Il avait détesté chaque instant qu’il avait passé avec elle, elle le savait, et cela assouvissait un peu sa vengeance. Pourtant elle ne se sentait pas satisfaite. Elle ne pouvait pas le déverser sur les Volks, et elle ressentait encore un besoin de représailles.

C’était un petit morceau de vengeance, difficilement celui qu’elle désirait ardemment. Les Volks, après tout, avaient disparu, alors qu’elle était encore là, le matin suivant, encore en vie, encore coincée avec elle-même, comme elle le serait pour le restant de sa vie. Coincée avec cette apparence, ce visage défiguré, que même elle ne pouvait supporter.

Volusia essuya une larme et regarda au loin, au-delà des lignes de la cité, au-delà des murs de la capitale, à l’horizon. Alors que les soleils se levaient, elle commença à voir les plus faibles traces des armées des Chevaliers des Sept, leurs bannières noires à l’horizon. Ils étaient postés là dehors, et leurs armées s’organisaient. Ils étaient en train de l’encercler lentement, rassemblant des millions d’hommes de tous les coins de l’Empire, se préparant tout à envahir. À l’écraser.

Elle se réjouissait de la confrontation. Elle n’avait pas besoin des Volks, elle le savait. Elle n’avait pas besoin de ses hommes. Elle pouvait les tuer tous toute seule. Elle était, après tout, une déesse. Elle avait quitté le royaume des mortels depuis longtemps, et maintenant elle était une légende, une légende que personne, et aucune armée dans le monde ne pouvait arrêter. Elle les accueillerait seule, et les tuerait tous, pour toujours.

Ensuite, en fin de compte, il n’y aurait plus personne pour l’affronter. Alors, ses pouvoirs seraient suprêmes.

Volusia entendit un bruissement derrière elle et, du coin de l’œil, elle décela un mouvement. Elle vit Brin se lever du lit, repousser ses draps et commencer à s’habiller. Elle le vit se déplacer furtivement, prenant soin d’être silencieux, et elle prit conscience qu’il voulait sortir de la pièce avant qu’elle ne le voie – pour qu’il n’ait plus jamais à poser à nouveau les yeux sur son visage. Cela ajoutait une insulte à la blessure.

« Oh, Commandant », s’écria-t-elle nonchalamment.

Elle le vit se figer sur place de peur ; il se tourna et jeta un regard vers elle à contrecœur, et ce faisant, elle sourit en retour, le torturant avec la monstruosité de ses lèvres décomposées.

« Viens ici, Commandant », dit-elle. « Avant que tu ne partes, il y a quelque chose que je veux te montrer. »

Il pivota lentement et marcha, traversant la pièce jusqu’à ce qu’il atteigne son côté, et se tint là, regardant dehors, regardant n’importe où hormis son visage.

« N’as-tu pas un doux baiser d’adieu pour ta Déesse ? » demanda-t-elle.

Elle pouvait le voir tressaillir, même légèrement, et elle sentit une colère renouvelée brûler en elle.

« Peu importe », ajouta-t-elle, son expression s’assombrissant. « Mais il y a, au moins, quelque chose que je veux te montrer. Regarde. Tu vois là dehors, à l’horizon ? Regarde de plus près. Dis-moi ce que tu vois là-bas. »

Il fit un pas en avant et elle posa une main sur son épaule. Il se pencha en avant et examina l’horizon, et ce faisant, elle vit ses sourcils se froncer, confus.

« Je ne vois rien, Déesse. Rien qui ne sorte de l’ordinaire. »

Volusia esquissa un grand sourire, sentant son vieux caractère vindicatif monter en elle, sentant son vieux besoin de violence, de cruauté.

« Regarde de plus près, Commandant », dit-elle.

Il se pencha en avant, juste un peu plus, et avec un geste rapide, Volusia empoigna sa chemise par derrière, et de toutes ses forces, le jeta tête la première par la fenêtre.

Brin hurla tout en battant des pieds et des mains, dans les airs, tombant de toute la hauteur, trente mètres, jusqu’à ce finalement il atterrisse tête la première, mort sur l’instant, dans les rues en contrebas. Le bruit sourd résonna dans les rues autrement calmes.

Volusia esquissa un large sourire, examinant son corps, éprouvant enfin une sensation de vengeance.

« C’est toi que tu vois », répondit-elle. « Qui est le moins monstrueux de nous deux maintenant ? »




CHAPITRE DOUZE


Gwendolyn marchait dans les corridors sombres de la tour des Chercheurs de Lumière, Krohn à côté d’elle, montant lentement la rampe sur les côtés de l’édifice. Sur le chemin étaient alignées des torches et des fidèles du culte, debout silencieusement au garde-à-vous, mains cachées dans leur robe, et la curiosité de Gwen augmenta tandis qu’elle continuait à grimper un étage après l’autre. Le fils du Roi, Kristof, l’avait menée sur la moitié du trajet après leur rencontre, puis avait tourné les talons et était descendu, l’informant qu’elle devrait achever son périple seule pour voir Eldof, qu’elle seule pouvait lui faire face. La manière dont ils parlaient tous de lui, c’était comme s’il était un dieu.

De doux chants emplissaient l’air, ainsi que de l’encens, pendant que Gwen que montait sur la rampe à pente très douce, et s’interrogeait : Quel secret gardait Eldof ? Lui donnerait-il le savoir dont elle avait besoin pour sauver le Roi et sauver la Crête ? Serait-elle un jour capable d’extraire la famille du Roi de ce lieu ?

Alors que Gwen passait un angle, la tour s’ouvrit soudain, et elle eut le souffle coupé par la vue. Elle pénétrait dans une pièce élancée aux plafonds d’une trentaine de mètres, aux murs de laquelle s’alignaient des vitraux, du sol au plafond. Une lumière feutrée inondait la salle, pleine d’écarlate, de pourpre et de rose, donnant à la chambre un caractère céleste. Et ce qui rendait tout cela encore plus surréel que le reste était de voir un homme assis seul dans ce vaste lieu, au centre de la pièce, les rayons de lumière tombant sur lui comme pour l’illuminer lui et lui seul.

Eldof.

Le cœur de Gwen palpita quand elle le vit assis là de l’autre côté de la pièce, comme un dieu tombé du ciel. Il était assis là, mains croisées dans sa cape dorée étincelante, la tête complètement chauve, sur un énorme trône magnifique sculpté dans l’ivoire, des torches de chaque côté du siège et de la rampe qui y menait, éclairant la pièce obliquement. Cette pièce, ce trône, cette rampe qui y menait – c'était plus impressionnant que d’approcher le Roi. Elle réalisa immédiatement pourquoi le Roi se sentait menacé par sa présence, son culte, sa tour. Tout était conçu pour inspirer l’admiration, l’effroi et la soumission.

Il ne lui fit pas signe, ou même ne lui adressa pas un regard et Gwen, ne sachant pas ce que faire, commença l’ascension de la longue passerelle dorée menant à son trône. En chemin elle vit qu’elle n’était pas seule là après tout, car dissimulés dans l’ombre se tenaient des rangées de fidèles, tous alignés, yeux fermés, mains rentrées dans leurs capes, le long de la rampe. Elle se demanda combien de milliers de fidèles il avait.

Elle s’arrêta enfin quelques mètres devant le trône et leva les yeux.

Il la regarda en retour avec des yeux qui semblaient anciens, d’un bleu glacial, luisants, et alors qu’il lui souriait, ses yeux ne montraient aucune chaleur. Ils étaient hypnotisant. Cela lui rappelait d’être en présence d’Argon.

Elle ne savait pas quoi dire pendant qu’il la dévisageait, regard baissé ; elle avait l’impression qu’il scrutait son âme. Elle se tint là dans le silence, attendant jusqu’à ce qu’il soit prêt, et à côté d’elle, elle pouvait sentir Krohn se raidir, également sur le qui-vive.

« Gwendolyn du Royaume Ouest de l’Anneau, fille du Roi MacGil, dernier espoir pour sauver son peuple – et le nôtre », prononça-t-il lentement, comme s’il lisait un vieux texte, la voix plus profonde qu’aucune autre qu’elle ait entendu, sonnant comme si elle avait résonné depuis les pierres elles-mêmes. Ses yeux transperçaient les siens, et sa voix était hypnotisante. Tandis qu’elle avait le regard fixé sur eux, cela lui fit perdre tout sens de l’espace, du temps et du lieu, et déjà, Gwen pouvait se sentir aspirée par son culte de la personnalité. Elle se sentait fascinée, comme si elle ne pouvait pas regarder ailleurs, même si elle essayait. Elle eut immédiatement l’impression qu’il était le centre du monde, et elle comprit sur le champ comment tous ces gens en étaient venus à le vénérer et à le suivre.

Gwen le fixait des yeux en retour, momentanément à court de mots, quelque chose qui lui était rarement arrivé. Elle ne s’était jamais sentie aussi éblouie – elle, qui avait été devant beaucoup de Rois et Reine ; elle, qui était Reine elle-même ; elle, la fille d’un Roi. Cet homme avait une qualité en lui, quelque chose qu’elle ne pouvait pas vraiment décrire ; pendant un moment, elle oublia même pourquoi elle était venue là.

Finalement, elle vida son esprit assez longtemps pour être capable de parler.

« Je suis venue », commença-t-elle, « car— »

Il rit, l’interrompant, un son court et profond.

« Je sais pourquoi vous êtes venue », dit-il. « Je le savais avant que vous ne le sachiez. J’avais connaissance de votre arrivée dans cet endroit – en fait, je le savais avant même que vous ne traversiez la Grande Désolation. Je savais à propos de votre départ de l’Anneau, votre voyage jusqu’aux Îles Septentrionales, et de vos périples à travers la mer. Je connais votre mari, Thorgrin, et votre fils, Guwayne. Je vous ai observée avec un grand intérêt, Gwendolyn, pendant des siècles, je vous ai surveillée. »

Gwen frissonna à ses mots, face à cette familiarité de la part d’une personne qu’elle ne connaissait pas. Elle ressentit un picotement dans ses bras, le long de son dos, se demandant comment il savait tout cela. Elle sentit qu’une fois qu’elle était dans son orbite, elle ne pourrait s’échapper même si elle essayait.

« Comment savez-vous tout cela ? » demanda-t-elle.

Il sourit.

« Je suis Eldof. Je suis à la fois le début et la fin du savoir. »

Il se mit debout, et elle fut stupéfaite de voir qu’il était deux fois plus grand qu’aucun homme qu’elle ait rencontré. Il se rapprocha d’un pas, le long de la rampe, et avec ses yeux si magnétiques, Gwen eut l’impression qu’elle ne pouvait pas bouger en sa présence. C’était si dur de se concentrer devant lui, de formuler une pensée indépendante pour elle-même.

Gwen se força à se vider l’esprit, à se concentrer sur l’affaire en cours.

« Votre Roi a besoin de vous », dit-elle. « La Crête a besoin de vous. »

Il rit.

« Mon Roi ? » répéta-t-il avec dédain.

Gwen s’obligea à insister.

« Il croit que vous savez comment sauver la Crête. Il croit que vous lui dissimulez un secret, un qui pourrait sauver cet endroit et tous ces gens. »

« C’est vrai », répondit-il laconiquement.

Gwen fut décontenancée par sa réponse immédiate et franche, et savait à peine quoi répondre. Elle s'était attendue à ce qu’il le nie.

« Vous le faites ? » demanda-t-elle, interloquée.

Il sourit mais ne dit rien.

« Mais pourquoi ? » demanda-t-elle. « Pourquoi ne partagez-vous pas ce secret ? »

« Et pourquoi devrais-je faire cela ? » demanda-t-il.

« Pourquoi ? », demanda-t-elle, déconcertée. « Évidemment, pour sauver ce royaume, pour sauver son peuple. »

« Et pourquoi voudrais-je faire cela ? » insista-t-il.

Gwen plissa les yeux, confuse ; elle n’avait aucune idée de comment répondre. En fin de compte, elle soupira.

« Votre problème », dit-il, « est que vous croyez que tout le monde doit être sauvé. Mais c’est là que vous avez tort. Vous considérez le temps du seul point de vue des décennies ; je les vois en termes de siècles. Vous considérez les gens comme indispensables ; je les vois comme de simples rouages dans la grande roue du destin et du temps. »

Il fit un pas de plus, les yeux brûlants.

« Certaines personnes, Gwendolyn, sont destinées à mourir. Certaines personnes doivent mourir. »

« Doivent mourir ? » demanda-t-elle, horrifiée.

« Certaines doivent mourir pour en libérer d’autres », dit-il. « Certaines doivent tomber pour que d’autres puissent se lever. Qu’est-ce qui rend une personne plus importante qu’une autre ? Une place plus importante que l’autre ? »

Elle réfléchit à ses mots, de plus en plus confuse.

« Sans destruction, sans dévastation, la pousse ne peut pas suivre. Sans les sables stériles du désert, il ne peut y avoir de fondations sur lesquelles construire de grandes cités. Qu’est-ce qui compte le plus : la destruction, ou la croissance à suivre ? Ne comprenez-vous pas ? Qu’est-ce que la destruction, sinon une fondation ? »

Gwen, embrouillée, tentait de comprendre, mais ses mots ne faisaient qu’approfondir sa confusion.

« Alors allez-vous rester à ne rien faire et laisser la Crête et son peuple mourir ? », demanda-t-elle. « Pourquoi ? Comment cela pourrait-il vous bénéficier ? »

Il rit.

« Pourquoi tout devrait-il être toujours fait pour un bénéfice ? » demanda-t-il. « Je ne les sauverais pas, car ils ne sont pas censés être sauvés », dit-il avec emphase. « Cet endroit, la Crête, n’est pas supposé survivre. Elle est censée être détruite. Ce Roi est destiné à être détruit. Tous ces gens sont destinés à être détruits. Et ce n’est pas à moi de me tenir sur la voie du destin. Il m’a été accordé le don de voir dans le futur – mais c’est un don dont je n’abuserais pas. Je ne changerais pas ce que je vois. Qui suis-je pour me mettre en travers du destin ? »

Gwendolyn ne pouvait s’empêcher de penser à Thorgrin, à Guwayne.

Eldof esquissa un large sourire.

« Ah oui », dit-il en regardant droit vers elle. « Votre époux. Votre fils. »

Gwen le regarda en retour, abasourdie, se demandant comment il avait lu dans son esprit.

« Vous voulez tant les aider », ajouta-t-il, puis il secoua la tête. « Mais parfois vous ne pouvez changer le destin. »

Elle rougit et chassa ses mots, déterminée.

« Je changerais le destin », dit-elle catégoriquement. « Quoi qu’il faille. Même si je dois abandonner ma propre âme. »

Eldof la dévisagea longuement, l’étudiant.

« Oui », dit-il. « Vous le ferez, n’est-ce pas ? Je peux voir cette force en vous. L’esprit d’un guerrier. »

Il l’examina, et pour la première fois elle vit une part de certitude dans son expression.

« Je ne m’étais pas attendu à trouver cela en vous », poursuivit-il, la voix humble. « Il y a quelques personnes choisies, comme vous, qui ont le pouvoir de changer le destin. Mais le prix que vous paierez est très grand. »

Il soupira, comme s’il chassait une vision.

« Dans tous les cas », poursuivit-il, « vous ne changerez pas l’avenir ici – pas dans la Crête. La mort est en train d’arriver ici. Ce dont ils ont besoin n’est pas un sauvetage – mais un exode. Ils ont besoin d’un nouveau chez, pour les mener à travers la Grande Désolation. Je pense que vous savez déjà de qui il s’agit. »

Gwen frissonna à ses mots. Elle ne pouvait s’imaginer avoir la force de traverser à nouveau tout cela.

« Comment puis-je les mener ? » demanda-t-elle, exténuée par cette pensée. « Et quel endroit reste-t-il où aller ? Nous sommes au milieu de nulle part. »

Il se détourna, devenant silencieux, et alors qu’il commençait à s’éloigner, Gwen éprouva un soudain désir brûlant d’en savoir plus.

« Dites-moi », dit-elle, en se précipitant et en agrippant son bras.

Il se tourna et regarda sa main, comme si un serpent le touchait, jusqu’à ce que finalement elle la retire. Plusieurs moines sortirent précipitamment de l’ombre et restèrent non loin, la regardant avec colère – jusqu’à ce que finalement Eldof leur fasse un signe de la tête, et ils se retirèrent.

« Dites-moi », lui dit-elle, « je vous répondrais une fois. Que souhaitez-vous savoir ? »

« Guwayne », dit-elle, à bout de souffle. « Mon fils. Comment puis-je le retrouver ? Comment puis-je changer le destin ? »

Il la regarda longuement.

« La réponse a été devant vous tout le long, et pourtant vous ne voyez pas. »

Gwen se creusa la tête, désespérée de savoir, cependant elle ne pouvait comprendre ce que c’était.

« Argon », ajouta-t-il. « Il reste un secret qu’il a craint de vous dire. C’est là que la réponse se trouve. »

Gwen fut abasourdie.

« Argon ? » demanda-t-elle. « Est-ce qu’Argon sait ? »

Eldof secoua la tête.

« Il l’ignore. Mais son maître sait. »

L’esprit de Gwen tournoyait.

« Son maître ? » demanda-t-elle.

Gwen n’avait jamais envisagé qu’Argon ait un maître.

Eldof acquiesça.

« Demandez à ce qu’il vous mène à lui », dit-il, un caractère définitif dans la voix. « Les réponses que vous recevrez surprendront même vous. »




CHAPITRE TREIZE


Mardig se pavanait dans les couloirs du château avec détermination, le cœur battant pendant qu’il considérait dans son esprit ce qu’il était sur le point de faire. Il tendit la main vers le bas et avec une paume moite serra la dague dissimulée à sa taille. Il parcourait le même passage qu’il avait emprunté des millions de fois auparavant – en route pour voir son père.

La chambre du Roi n’était pas loin maintenant, et Mardig faisait des tours et détours le long des couloirs familiers, passait tous les gardes qui s’inclinaient avec révérence à la vue du fils du Roi. Mardig savait qu’il avait peu à craindre d’eux. Personne n’avait idée de ce qu’il s’apprêtait à faire, et personne ne saurait ce qu’il s’était passé jusque longtemps après que l’acte eut été commis – et le royaume était sien.

Mardig ressentit un tourbillon d’émotions contradictoires tandis qu’il se forçait à mettre un pied devant l’autre, les genoux tremblant, se forçait à demeurer résolu alors qu’il se préparait à commettre l’acte auquel il avait songé toute sa vie. Son père avait toujours été un oppresseur pour lui, l’avait toujours désapprouvé, pendant qu’il avait toujours approuvé ses autres guerriers de fils. Il avait même approuvé sa fille plus que lui. Tout cela parce que lui, Mardig, avait choisi de ne pas prendre part à cette culture de la chevalerie ; tout cela parce qu’il préférait boire du vin et courir après les femmes – au lieu de tuer d’autres hommes.

Aux yeux de son père, cela faisait de lui un échec. Son père avait vu d’un mauvais œil tout ce que Mardig avait fait, ses yeux désapprobateurs le suivaient dans tous les coins, et Mardig avait toujours rêvé d’un moment de rendre des comptes. Et en même temps, Mardig pouvait prendre le pouvoir pour lui-même. Tout le monde s’était attendu à ce que la royauté échoie à un de ses frères, à l’aîné, Koldo, ou si ce n’était à lui, alors au jumeau de Mardig, Ludvig. Mais Mardig avait d’autres plans.

Alors que Mardig tournait à un angle, les soldats de garde s’inclinèrent révérencieusement, et se pivotèrent pour lui ouvrir sans même demander pourquoi.

Mais soudain, l’un d’eux s’arrêta, contre toute attente, et se tourna pour le regarder.

« Mon seigneur », dit-il, « le Roi ne nous a pas informés d’une quelconque visite ce matin. »

Le cœur de Mardig commença à palpiter, mais il s’efforça d’apparaître téméraire et confiant ; il se tourna et dévisagea le soldat, d’un regard supérieur, jusqu’à ce qu’il puisse voir le soldat incertain de lui-même.

« Et suis-je un simple visiteur ? » demanda froidement Mardig, faisant de son mieux pour ne pas paraître effrayé.

Le garde recula lentement puis s’écarta rapidement, et Mardig passa la porte ouverte, les gardes la refermèrent derrière lui.

Mardig marcha fièrement dans la pièce, et ce faisant, il vit les yeux étonnés de son père, qui était en train de se tenir à la fenêtre et regardait pensivement son royaume dehors. Il lui fit face, confus.

« Mardig », dit son père, « à quoi dois-je ce privilège ? Je ne t’ai pas appelé. Tu n’as pas non plus daigné me rendre visite ces dernières lunes –à moins que tu ne veuilles quelque chose. »

Le cœur de Mardig tambourinait dans sa poitrine.

« Je ne suis pas venu pour vous demander quoi que ce soit, Père », répondit-il. « Je suis venu prendre. »

Son père paraissait perdu.

« Pour prendre ? » demanda-t-il.

« Pour prendre ce qui est mien », répondit Mardig.

Mardig fit plusieurs grands pas à travers la pièce, s’armant de courage, tandis que son père l’observait, perplexe.

« Qu’est-ce qui est tien ? » demanda-t-il.

Mardig sentit ses mains en sueur, la dague dans sa main, et ignorait s’il pouvait en finir avec ça.

« Voyons, le royaume », dit-il.

Mardig dévoila lentement la dague dans sa main, voulant que son père la voie avant qu’il ne le poignarde, voulant que son père voie directement combien il le haïssait. Il voulait voir l’expression de peur, de stupéfaction, de rage de son père.

Mais quand son père baissa les yeux, ce ne fut pas le moment auquel Mardig s’était attendu. Il avait pensé que son père résisterait, riposterait ; mais à la place, il leva le regard vers lui avec tristesse et compassion.

« Mon garçon », dit-il. « Tu es toujours mon fils, malgré tout, et je t’aime. Je sais, au fond de ton cœur, que tu ne penses pas cela. »

Mardig plissa les yeux, confus.

« Je suis malade, mon fils », poursuivit le Roi. « Bientôt, je serais mort. Quand ce sera le cas, le Royaume passera à tes frères, pas à toi. Même si tu me tuais maintenant, tu n’y gagnerais rien. Tu serais toujours le troisième dans le rang. Donc pose ton arme et étreins-moi. J’aime encore, comme tout père le ferait. »

Mardig, dans un soudain élan de rage, les mains tremblantes, bondit en avant et plongea profondément la dague dans le cœur de son père.

Ce dernier se tint là, les yeux exorbités d’incrédulité, tandis que Mardig le tenait fermement et le regardait dans les yeux.

« Ta maladie t’a rendu faible, Père », dit-il. « Il y a cinq ans je n’aurais jamais pu faire cela. Et un royaume ne mérite pas un roi faible. Je sais que tu mourras bientôt – mais ce n’est pas assez tôt pour moi. »

Son père s’effondra enfin au sol, immobile.

Mort.

Mardig baissa les yeux, haletant, encore choqué par ce qu’il venait juste de faire. Il essuya sa main sur sa robe, puis jeta le couteau, qui atterrit par terre dans un cliquetis.

Mardig fusilla son père du regard.

« Ne t’inquiète pas à propos de mes frères, Père », ajouta-t-il. « J’ai un plan pour eux aussi. »

Mardig enjamba le corps de son père, approcha de la fenêtre, et contempla la capitale en contrebas. Sa cité.

Maintenant tout était à lui.




CHAPITRE QUATORZE


Kendrick leva son épée et para le coup alors qu’un Marcheur des Sables abattait sa griffe aiguisée comme un rasoir vers son visage. Il l’arrêta avec un bruit métallique, des étincelles jaillirent, et Kendrick esquiva, tandis que la créature faisait glisser ses griffes le long de la lame et frappait horizontalement vers sa tête.

Kendrick pivota et frappa, mais la créature était étonnamment rapide. Elle recula, l’épée de Kendrick la manqua de peu. Elle se jeta en avant, bondit haut dans les airs et vint droit sur Kendrick – et cette fois-ci, il était préparé. Il avait sous-estimé sa vitesse, mais ne le ferait pas une seconde fois. Kendrick s’accroupit bas et leva son épée – et il laissa la bête s’empaler elle-même, passer droit à travers la lame.

Kendrick se leva sur ses genoux puis frappa à l’horizontale et bas, coupant les jambes de deux Marcheurs des Sables qui se dirigeaient vers lui. Ensuite, il donna un coup d’épée en arrière, en transperçant un dans le ventre avant qu’il n’atterrisse sur son dos.

Les bêtes déferlaient sur lui depuis toutes les directions, et Kendrick se retrouva au milieu d’une vive bataille, Brandt et Atme d’un côté, Koldo et Ludvig de l’autre. Tous les cinq se soutinrent instinctivement les uns les autres, formant un cercle serré, dos à dos, frappant de taille et d’estoc, donnant des coups de pied, repoussant les créatures tandis qu’ils surveillaient chacun les arrières des autres.

Ils combattirent et combattirent et combattirent sous les soleils torrides, sans nul endroit où battre en retraite dans ce vaste espace ouvert. Les épaules de Kendrick étaient douloureuses, et il était couvert de sang jusqu’aux coudes, exténué par son long périple, par cette bataille interminable. Ils n’avaient pas de réserves, et nulle part où aller, et ils se battaient tous pour leur vie. Les cris enragés des créatures emplissaient les airs, pendant qu’elles tombaient à gauche et à droite. Kendrick savait qu’ils devaient être prudents ; ce serait un long chemin pour le retour, et si l’un d’entre eux était blessé, ce serait une situation désespérée.

Alors qu’ils se battaient, au loin, Kendrick aperçut le garçon, Kaden, et fut soulagé de voir qu’il était encore en vie. Il luttait, ses mains et bras liés derrière son dos, retenu par plusieurs créatures. Sa vue motiva Kendrick, lui rappela la raison pour laquelle il était venu pour commencer. Il se battait furieusement, redoublant ses efforts, tentant de passer à travers toutes ces bêtes et de se frayer un chemin jusqu’au garçon. Il n’aimait pas la manière dont ils le traitaient, et il savait qu’il devait l’atteindre avant que ces créatures fassent quoi que ce soit d’impulsif.

Kendrick grogna de douleur quand il sentit soudain une coupure en travers de son bras. Il se tourna pour voir une créature frapper à nouveau, s’abattant avec ses griffes aiguisées, droit vers son visage. Il ne pouvait réagir à temps, et il se prépara au coup, s’attendant à ce qu’il lui coupe le visage en deux – quand soudain Brandt se jeta en avant et transperça la créature à travers le torse avec son épée, sauvant Kendrick au dernier moment.

En même temps, Atme s’avança et frappa une créature juste avant qu’elle ne puisse plonger ses crocs dans la gorge de Brandt.

Kendrick pivota ensuite, entaillant deux créatures avant qu’elles se ne ruent sur Atme.

Il tourna et tourna, pivotant et frappant, affrontant chaque créature jusqu’à la dernière. Les bêtes tombaient à leurs pieds, s’empilaient sur le sable, et le sable devint rouge de sang.

Kendrick repéra, de coin de l’œil, plusieurs créatures se saisissant de Kaden et commençant à s’enfuir avec lui. Son cœur accéléra ; il savait qu’il s’agissait d’une situation désespérée. S’il les perdait de vue, ils disparaîtraient dans le désert et ils ne retrouveraient jamais Kaden.

Kendrick savait qu’il devait s’échapper. Il se libéra du combat, donnant des coups de coude à plusieurs créatures pour les écarter de son chemin, et poursuivit le garçon, laissant les autres pour combattre les bêtes. Plusieurs d’entre elles le pourchassèrent, et Kendrick se retourna, donnant des coups de pieds et d’épée pour les en dissuader tout en continuant. Kendrick se sentit être égratigné de tous côtés, mais quoi qu’il arrive, il ne s’arrêta pas. Il devait atteindre Kaden à temps.

Kendrick, repérant Kaden, savait qu’il devait l’arrêter ; il savait qu’il n’aurait qu’une chance pour ça.

Kendrick chercha à sa ceinture, saisit un couteau, et le lança. Il atterrit dans le cou d’une créature, la tuant avant qu’elle ne puisse plonger ses griffes dans la gorge de Kaden. Kendrick jaillit à travers la cohue, réduisant l’écart, courant jusqu’à Kaden, et en frappa un juste avant qu’il ne puisse l’achever.

Kendrick prit une position défensive par-dessus Kaden, qui gisait au sol, ligoté, tandis que Kendrick tuait tous ses ravisseurs. Alors que d’autres créatures se rapprochaient d’eux, Kendrick paraît leurs griffes dans chaque direction. Il se retrouva encerclé, frappant de taille dans toutes les directions, mais déterminé à sauver Kaden. Les autres, il pouvait le voir, étaient trop immergé dans la bataille pour se précipiter aux côtés de Kaden.

Kendrick souleva son épée et trancha les liens du garçon, le libérant.

« Prend mon épée ! » l’implora Kendrick.

Kaden saisit l’épée courte supplémentaire dans le fourreau de Kendrick, pivota et fit face au reste des créatures, aux côtés de Kendrick. Même s’il était jeune, Kendrick pouvait voir que le garçon était rapide, courageux et téméraire, et il fut ravi de l’avoir à ses côtés, combattant les bêtes.

Ils se battirent bien ensemble, abattant des créatures à gauche et à droite. Mais, pour autant qu’ils se battent, il y en avait simplement trop, et Kendrick et Kaden furent rapidement complètement encerclés.

Kendrick perdait de la force, ses épaules se fatiguaient, quand soudain, il vit que les créatures commençaient à tomber et entendit un grand cri de guerre venant de derrière eux. Kendrick fut enchanté de voir Koldo, Ludvig, Brandt et Atme forcer les lignes, tuant des bêtes dans toutes les directions. Encouragé, Kendrick riposta, dans un dernier effort, Kaden à côté de lui. Tous les six, combattant ensemble, étaient impossibles à arrêter, abattant toutes les créatures.

Kendrick se tint là dans le silence, à court de souffle sur le sable du désert, faisant le bilan ; il pouvait à peine croire ce qu’ils avaient tout juste fait. Tout autour d’eux s’empilaient les carcasses des bêtes, étalées dans diverses directions, le sable était rouge de sang. Lui et les autres étaient couverts de blessures, égratignés – mais ils se tenaient tous là, en vie. Et Kaden, qui souriait d’une oreille à l’autre, était libre.

Kaden tendit les bras et les étreignit tous, un à un, en commençant par Kendrick, le regardant avec un air qui en disait long. Il garda sa dernière étreinte pour Koldo, son frère aîné, et Koldo l’enlaça en retour, sa peau noire ondulant sous le soleil.

« Je ne peux pas croire que vous soyez venus pour moi », dit Kaden.

« Tu es mon frère », dit Koldo. « À quel autre endroit pourrais-je être ? »

Kendrick entendit un bruit, jeta un coup d’œil et vit les six chevaux que ces créatures avaient kidnappés, tous attachés ensemble par une corde – lui et les autres échangèrent un regard entendu.

Comme un seul homme, ils se précipitèrent tous et enfourchèrent les animaux, chacun à peine assis avant d’enfoncer leurs talons et de pousser les bêtes en avant, à nouveau dans la Désolation, tous se dirigeant vers la Crête, de retour, enfin, vers la maison.




CHAPITRE QUINZE


Erec se tenait à la poupe de son navire, prenant en charge l’arrière de sa flotte, et vérifia par-dessus son épaule une fois de plus avec anxiété. D’un côté, il était soulagé qu’ils aient réussi à écraser ce village de l’Empire, à bifurquer à nouveau sur la rivière vers Volusia, vers Gwendolyn ; de l’autre, il avait payé un lourd tribut, pas seulement en hommes, mais en temps – il avait supprimé l’avance qu’il leur restait sur le reste de la flotte de l’Empire. Alors qu’il jeta un regard en arrière, il les vit les suivre, bien trop proches, remontant la rivière en serpentant, à quelques centaines de mètres à peine, arborant les étendards noir et or de l’Empire. Il avait perdu son avance d’un jour sur eux, et maintenant ils le suivaient furieusement, comme un frelon poursuivant sa proie, leurs embarcations supérieures, mieux pourvues en hommes, se rapprochaient de plus en plus à chaque rafale de vent.

Erec se retourna et scruta l’horizon. Il savait d’après ses éclaireurs que Volusia se trouvait juste au-delà d’un méandre quelque part – cependant, au rythme auquel l’Empire réduisait l’écart, il se demanda si sa petite flotte l’atteindrait à temps. Il commençait à se rendre compte que s’ils n’y arrivaient pas à temps, ils devraient faire demi-tour et prendre position – et ce serait un combat, en étant autant en sous nombre, qu’ils ne pouvaient pas gagner.

Erec entendit un son qui lui hérissa les cheveux sur la nuque, il se retourna et leva les yeux pour voir une vue qui le laissa avec une crainte froide : une vague de flèches de l’Empire avait été envoyée, et elles volaient maintenant dans les airs, noircissant le ciel, se dirigeant, dans un grand arc de cercle, vers sa flotte. Erec se tint prêt et regarda avec soulagement la première volée atterrir dans l’eau tout autour de lui, à peut-être vingt mètres de son bateau, le bruit des flèches touchant l’eau sonnant comme une lourde pluie.

« FLÈCHES ! » hurla Erec, avertissant ses hommes pour qu’ils se mettent à couvert.

La plupart d’entre eux le fit, et pas un instant trop tôt. Une autre volée suivit rapidement, cela tirés par des arbalètes avec une portée plus grande, et Erec observa, horrifié, quand une atteint le pont de son navire et qu’un de ses soldats cria. Erec se tourna pour la voir dépassant de sa jambe, transpercée par une flèche perdue, la seule avec une portée juste assez grande pour frapper.

Erec éprouva une montée d’indignation – et d’urgence. L’Empire était à portée : bien trop vite ils seraient submergés, et avec la flotte de l’Empire comptant des milliers de navires, il n’y avait simplement aucune possibilité pour les hommes d’Erec de les battre. Erec savait qu’il devait réfléchir rapidement.

« Devons-nous nous tourner et combattre, mon frère ? » demanda Strom, venant à côté de lui.

Alistair regarda en arrière, elle aussi, calmement debout à côté de lui.

« Tu l’emporteras, mon amour », dit-elle. « Je l’ai vu. »

Erec se sentit encouragé par ses mots, comme toujours, et tandis qu’il fixait des yeux et étudiait le paysage, une idée vint à lui.

« Parfois », dit-il, « nous devons sacrifier pour accomplir quelque chose de plus grand. »

Erec se tourna vers son frère, confiant.

« Embarque sur le navire à côté de nous. Évacue-le, puis prend l’arrière », ordonna-t-il. Il prit ensuite le bras de Strom, et le regarda dans les yeux.

« Quand tu auras fini », ajouta-t-il, « enflamme-le, puis dirige-toi droit vers leur flotte. Tu sauteras sur mon navire avant que les flammes ne le recouvrent. »

Les yeux de Strom s’écarquillèrent, appréciant le plan. Il se mit en mouvement, courut et bondit du pont au navire à côté de lui, exécutant les ordres de son frère. Il commença à aboyer des ordres, et les hommes se mirent en rang tout autour de lui, se mettant en action et commençant à abandonner l’embarcation, sautant sur le pont de celui d’Erec. Ce dernier pouvait sentir le poids de son navire augmenter.

« Plus de rames ! » s’écria Erec, sentant qu’ils ralentissaient.

Il doubla le nombre de rameurs à bord, et ils poussèrent tous, se soulevant, tandis que le bateau d’Erec commençait à prendre de la vitesse.

« Répartissez-vous ! » ordonna Erec, réalisant que son navire allait trop lentement. « Sautez sur les autres bateaux ! »

Ses hommes firent selon ses ordres, bondissant de son embarcation vers plusieurs autres de sa flotte, distribuant leur poids également parmi elles. Finalement, le navire d’Erec se redressa et gagna en vitesse.

Erec se tourna pour voir le dernier homme sauter du bateau de Strom. Ce dernier leva une torche et courut le long du navire, mettant le feu à tout, puis la lança de toutes ses forces. La torche atterrit sur le mât, l’enflamma, déclenchant un énorme incendie, et Strom se tourna, retourna en bondissant sur l’embarcation de son frère, et se tint là, observant, tandis que le navire fantôme, en feu, dérivait le long du courant – droit vers la flotte de l’Empire.

« Ramez ! » cria Erec, voulant distancer plus le bateau en flammes, la flotte de l’Empire.

Ils gagnèrent de plus en plus de distance, remontant la rivière plus vite.

La flotte de l’Empire essaya de se détourner du chemin – mais il n’y avait nulle part où naviguer sur la rivière minuscule. Le navire enflammé causa le chaos. Ils l’attaquèrent, ne réalisant pas qu’il n’y avait pas d’équipage, et gaspillèrent de précieuses flèches et lances. Le bateau fut assailli depuis toutes les directions – mais rien ne pouvait arrêter son cours.

En quelques instants, le navire, une épave en feu, flottait droit vers le centre de la flotte de l’Empire, la séparant au milieu. Et ils n’avaient aucun moyen de l’arrêter.

L’embarcation en frappa d’autres, et tandis que des hommes criaient et sautaient hors de la trajectoire, des flammes commencèrent à les lécher, se propageant à gauche et à droite causant le chaos dans la flotte de l’Empire. Rapidement, plusieurs autres navires furent en feu, avec leurs soldats se ruant pour les éteindre.

« MONSIEUR ! », Erec entendit quelqu’un s’écrier.

Erec se tourna pour voir un des hommes pointant du doigt, et quand il regarda vers l’amont de la rivière, il fut frappé par une vue impressionnante : une cité majestueuse qui ne pouvait être autre que Volusia.

« Volusia », dit Alistair, de l’assurance dans la voix, et Erec sentit que cela devait être cela.

Il jeta un coup d’œil en arrière, vit qu’ils avaient gagné un temps précieux – peut-être des heures – et il sut qu’ils avaient une chance, quoique mince, de pénétrer dans la cité et d’en sortir avant que l’Empire ne puisse les rattraper.

Il se tourna et fit un signe de la tête à ses hommes.

« Pleine voile, droit devant », ordonna-t-il.


*

La flotte d’Erec, naviguant avec régularité pour la plupart de la journée, atteignit finalement un tournant dans le méandre, le courant augmentant, et ce faisant, Erec regarda au loin, en admiration face à la vue. S’étendant devant eux se tenait ce qui ne pouvait être que Volusia. Une cité magnifique, la plus somptueuse sur laquelle il ait jamais posé les yeux, elle était faite d’or, brillant même depuis là, ses édifices et rues plus ordonnés et raffinés que tout ce qu’il avait pu voir. Partout s’élevaient des statues, en forme de femme qui paraissait être une déesse, éblouissante dans le soleil, et il ne pouvait s’empêcher de se demander qui elle était, et quel culte la vénérait. Plus que tout, Erec était interloqué par son port scintillant, rempli de toutes sortes de navires et vaisseaux, pour une grande partie dorés, étincelants dans le soleil, si brillants qu’il du presque détourner le regard. L’océan se brisait sur ses rives, et Erec put voir immédiatement qu’il s’agissait d’une cité à la richesse et à la puissance phénoménales.

Alors qu’il l’examinait, Erec fut aussi surpris par quelque chose d’autre qu’il vit : des colonnes de fumée noire. Elles flottaient au-dessus de la cité, la recouvrant comme un manteau dans toutes les directions. Il ne pouvait en comprendre la raison. La cité était-elle en feu ? Au milieu d’un soulèvement ? Attaquée ?

C’était déroutant pour lui. Comment une telle cité, un tel bastion de puissance, pouvait-elle être attaquée ? Quelle force y avait-il dans l’Empire qui soit assez puissante pour assaillir une ville de l’Empire ?

Et ce qui l’inquiétait plus que tout : Gwendolyn était-elle impliquée ?

Erec plissa les yeux, se demandant s’il voyait des choses ; mais tandis qu’ils se rapprochaient, tandis qu’il entendait le bruit distinct d’hommes poussant des cris d’agonie, il réalisa qu’il avait raison. Et alors qu’il regardait de plus près, il cligna des yeux, confus. Il apparaissait que l’Empire attaquait l’Empire. Mais pourquoi ?

Partout, des hommes tombaient, des milliers de soldats se déversaient dans les rues, à travers les portes ouvertes de la cité, la saccageaient. Ces envahisseurs portaient une armure de l’Empire, mais elle était d’une couleur différente – toute noire. Il vit qu’ils arboraient un étendard distinct, et en observant de plus près, il le reconnut d’après ses livres d’histoire :





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L’ANNEAU DU SORCIER a tous les ingrédients pour un succès immédiat : intrigue, contre-intrigue, mystère, de vaillants chevaliers, des relations s’épanouissant remplies de cœurs brisés, tromperie et trahison. Cela vous tiendra en haleine pour des heures, et conviendra à tous les âges. Recommandé pour les bibliothèques de tous les lecteurs de fantasy. Books and Movie Review, Roberto Mattos (à propos de la Quête des Héros) LE DON DU COMBAT (Tome 17) est le final de la série bestseller de L’ANNEAU DU SORCIER, qui a débuté avec LA QUETE DES HEROS (Tome 1) ! Dans LE DON DU COMBAT, Thor rencontre son plus grand et dernier défi, tandis qu’il s’aventure plus profondément dans la Terre du Sang pour tenter de secourir Guwayne. Rencontrant des adversaires plus puissants qu’il n’aurait pu l’imaginer, Thor prend rapidement conscience qu’il affronte une armée de ténèbres, une contre laquelle ses pouvoirs ne font pas le poids. Quand il apprend qu’un objet sacré pourrait lui donner le pouvoir dont il besoin – un objet qui a été tenu secret pendant une éternité – il doit s’embarquer dans une dernière quête pour le récupérer avant qu’il ne soit trop tard, avec le destin de l’Anneau pesant dans la balance. Gwendolyn tient sa promesse faite au Roi de la Crête, entre dans la Tour se confronte au chef du culte pour apprendre le secret qu’il dissimule. La révélation l’envoie vers Argon, et en fin de compte au maître d’Argon – où elle apprend le plus grand des secrets, un qui pourrait changer le destin de son peuple. Quand la Crête est découverte par l’Empire, l’invasion commence et, attaqués par la plus grande des armées connues, il échoit à Gwendolyn de la défendre, et de mener pour un dernier exode de masse. Les frères de Légion de Thor, seuls, font face à des risques inimaginables, tandis qu’Ange est en train de succomber à sa lèpre. Darius se bat pour sa vie aux côtés de son père dans la capitale de l’Empire, jusqu’à ce qu’un développement inattendu le pousse, sans plus rien à perdre, à finalement exploiter ses propres pouvoirs. Erec et Alistair atteignent Volusia, se battant pour se frayer un chemin pour remonter la rivière, et ils poursuivent leur quête pour Gwendolyn et les exilés, tandis qu’ils font face à des batailles inopinées. Et Godfrey réalise qu’il doit, en fin de compte, prendre une décision pour être l’homme qu’il veut être. Volusia, encerclée par tous les pouvoirs des Chevaliers des Sept, doit se soumettre à un test en tant que déesse et découvrir si elle seule a le pouvoir d’écraser les hommes et diriger l’Empire. Pendant qu’Argon, qui fait face à la fin de ses jours, réalise que le temps est venu de se sacrifier. Tandis que le bien et le mal pèsent dans la balance, une dernière bataille épique – la plus grande de toutes – déterminera l’issue de l’Anneau pour toujours. Avec un univers élaboré et des personnages sophistiqués, LE DON DU COMBAT est un récit épique d’amis et d’amants, de rivaux et de prétendants, de chevaliers et de dragons, d’intrigues et de machinations, de passage à l’âge adulte, de cœurs brisés, de déceptions, d’ambition et de trahisons. C’est une histoire d’honneur et de courage, de sort et de destinée, de sorcellerie. C’est un ouvrage de fantasy qui nous emmène dans un monde inoubliable, et qui plaira à tous. LE DON DU COMBAT est le plus long des livres de la série, avec 93. 000 mots ! Et la nouvelle série épique de fantasy de Morgan Rice, LE REVEIL DES DRAGONS (ROIS ET SORCIERS – Tome 1) est aussi disponible ! Rempli d’action… L’écriture de Rice est respectable et la prémisse intrigante. – PublishersWeekly (à propos de La Quête des Héros)

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