Книга - Réaction en Chaîne

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Réaction en Chaîne
Blake Pierce


Une Enquête de Riley Paige #2
Des femmes sont retrouvées mortes dans l’état de New York, leurs corps suspendus par des chaînes. Quand le FBI est appelé en renfort, ils n’hésitent pas une seule seconde devant la nature étrange des meurtres – et l’absence de pistes crédibles. Ils savent qu'un seul agent pourra résoudre l'enquête : l'agent spécial Riley Paige. Secouée par sa précédente affaire, Riley hésite. Elle est convaincue qu’un tueur en série – son ancien tourmenteur – la harcèle. Cependant, elle sait que sa capacité à pénétrer les esprits malades et sa nature obsessive seront nécessaires pour venir à bout de l’enquête. Elle ne peut tout simplement pas refuser – même si cela doit la pousser dans ses derniers retranchements. Ses recherches l’emportent très loin, entre les illusions du tueur, un orphelinat, une prison, dans l’espoir de cerner sa psychose. Quand elle réalise qu’elle a affaire à un véritable psychopathe, elle comprend qu’il frappera à nouveau très bientôt. Mais la propre carrière de Riley est en jeu et sa famille est devenue une cible. Sa psyché fragile menace de s’effondrer sous le poids des responsabilités. Pour elle, c’est trop – et trop tard. Sombre thriller psychologique au suspense insoutenable, REACTION EN CHAINE est la deuxième enquête d’une nouvelle série de thrillers qui met en scène un personnage principal attachant et qui vous poussera à lire jusqu'à tard dans la nuit. Le tome 3 des enquêtes de Riley Paige sera bientôt disponible.





Blake Pierce

REACTION EN CHAINE UNE ENQUÊTE DE RILEY PAIGE—TOME 2




Blake Pierce

Blake Pierce est l’auteur de la populaire série de thrillers RILEY PAIGE, qui comprend les romans suivants : SANS LAISSER DE TRACES (tome 1), REACTION EN CHAINE (tome 2) et LA QUEUE ENTRE LES JAMBES (tome 3).



Fan depuis toujours de polars et de thrillers, Blake adore recevoir de vos nouvelles. N'hésitez pas à visiter son site web www.blakepierceauthor.com (http://www.blakepierceauthor.com/) pour en savoir plus et rester en contact !



Copyright © 2013 par Blake Pierce. Tous droits réservés. Sauf dérogations autorisées par la Loi des États-Unis sur le droit d'auteur de 1976, aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, distribuée ou transmise sous quelque forme que ce soit ou par quelque moyen que ce soit, ou stockée dans une base de données ou système de récupération, sans l'autorisation préalable de l'auteur. Ce livre électronique est réservé sous licence à votre seule jouissance personnelle. Ce livre électronique ne saurait être revendu ou offert à d'autres personnes. Si vous voulez partager ce livre avec une tierce personne, veuillez en acheter un exemplaire supplémentaire par destinataire. Si vous lisez ce livre sans l'avoir acheté ou s'il n'a pas été acheté pour votre seule utilisation personnelle, vous êtes prié de le renvoyer et d’acheter votre exemplaire personnel. Merci de respecter le difficile travail de cet auteur. Il s'agit d'une œuvre de fiction. Les noms, les personnages, les entreprises, les organisations, les lieux, les événements et les incidents sont le fruit de l'imagination de l'auteur ou sont utilisés dans un but fictionnel. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou mortes, n'est que pure coïncidence. Image de couverture : Copyright GoingTo, utilisée en vertu d'une licence accordée par Shutterstock.com.



DU MÊME AUTEUR




LES ENQUÊTES DE RILEY PAIGE




SANS LAISSER DE TRACES (Tome 1)


REACTION EN CHAINE (Tome 2)


LA QUEUE ENTRE LES JAMBES (Tome 3)


TABLE DES MATIÈRES




Prologue


Cap’taine Jimmy Cole terminait de raconter à ses passagers une vieille histoire de fantômes du fleuve Hudson. Une des meilleures, avec un assassin armé d’une hache et enveloppé dans un manteau sombre. L’histoire parfaite pour les nuits brumeuses comme celle-ci. Il se renversa dans son siège pour reposer ses genoux, qui couinaient après les opérations chirurgicales diverses et trop nombreuses. Pour la millième fois, il songea à sa retraite. Il avait visité tous les replis du fleuve. Un de ces quatre, même ce petit bateau de pêche, le Suzy, finirait par avoir sa peau.

Sa tournée terminée, il fit virer le bateau en direction du rivage. Alors que l’embarcation se rapprochait tranquillement du ponton de Reedsport, l’un des passagers poussa un cri, tirant le capitaine de sa rêverie.

– Eh, Cap’taine, c’est pas votre fantôme, là-bas ?

Jimmy ne prit pas la peine de jeter un coup d’œil. Ces quatre passagers – deux jeunes couples de vacanciers – étaient tous ronds comme des billes. Un des deux gars essayait sans doute d’effrayer les filles.

Ce fut alors qu’une de leurs compagnes renchérit :

– Ah oui, je le vois aussi. C’est bizarre, non ?

Jimmy se tourna à demi vers ses passagers. Putain de fêtards. C’était la dernière fois qu’il acceptait de naviguer la nuit.

Le deuxième homme pointa à son tour son doigt vers le rivage.

– Par là-bas, dit-il.

Sa femme couvrit ses yeux.

– Oh, je ne peux pas regarder ! s’exclama-t-elle en éclatant d’un rire nerveux et embarrassé.

Exaspéré, Jimmy comprit qu’ils ne le laisseraient pas tranquille et se tourna vers la direction indiquée.

Entre les arbres, quelque chose accrocha son regard. Une silhouette vaguement humaine reluisait. Quoi que ce fût, cela flottait au-dessus du sol, mais c’était trop loin pour y voir clair.

Avant que Jimmy n’ait eu le temps de saisir ses jumelles, la silhouette disparut derrière les arbres.

La vérité, c’était que Jimmy, lui aussi, avait lampé quelques bières. Ce n’était pas un problème – du moins, pas pour lui. Il connaissait bien le fleuve. Et il aimait son travail. Il appréciait particulièrement le fleuve la nuit, quand les eaux coulaient d’un air si paisible qu’elles paraissaient presque immobiles. Peu de choses auraient pu briser le calme qu’il ressentait.

Il ralentit et les défenses du Suzy heurtèrent le ponton. Fier de son amarrage en douceur, il coupa le moteur.

Les passagers titubèrent hors du bateau en gloussant, avant de remonter le ponton en direction du B&B qu’ils avaient réservé. Heureusement, ils avaient déjà payé la traversée.

Cependant, Jimmy ne put s’empêcher de repenser à l’étrange silhouette. C’était assez loin d’ici et il était impossible d’apercevoir quoi que ce fût du ponton. Qu’est-ce qu’il avait bien pu voir ? Quoi ou qui ?

Agacé, il comprit qu’il ne fermerait pas l’œil avant d’en avoir eu le cœur net. Il était comme ça.

Jimmy poussa un soupir sonore et partit à pied, en suivant la voie de chemin de fer qui longeait le rivage. Cette ligne avait été utilisée une centaine d’années plus tôt, à l’époque où Reedsport était envahie par les bordels et les maisons de jeu. A présent, cette voie de chemin de fer n’était plus que la relique d’un passé révolu.

Au détour d’un virage, Jimmy aperçut un vieil entrepôt construit près de la ligne. Quelques lampes de sécurité jetaient une faible lumière. Ce fut alors qu’il la vit : une forme humaine luisante semblait flotter dans les airs. Elle était suspendue à un poteau électrique.

En s’approchant pour l’examiner de plus près, Jimmy fut parcouru d’un frisson. C’était bien un corps humain, mais toute trace de vie l’avait déserté. Le corps lui faisait face, emmailloté dans une sorte de tissu, enveloppé de chaînes qui se croisaient et s’entrecroisaient – bien plus que nécessaire pour retenir un prisonnier. Les chaînes brillaient sous la lumière des spots

Oh merde, pas ça, pas encore…

Jimmy ne put s’empêcher de penser au meurtre sordide qui avait secoué la région, quelques années auparavant.

Ses genoux flageolants, il contourna le corps et s’approcha pour examiner son visage. Il faillit tomber à la renverse. Il la connaissait. C’était une femme du coin, une infirmière, une amie de Jimmy depuis des années. Sa gorge avait été tranchée. Sa bouche morte était maintenue ouverte, bâillonnée par une grosse chaîne qui faisait le tour de sa tête.

Jimmy s’étrangla d’horreur et de chagrin.

L’assassin était de retour.




Chapitre 1


L’agent spécial Riley Paige restait pétrifiée, les yeux écarquillés. La poignée de gravier sur son lit n’avait rien à faire là. Quelqu’un s’était introduit chez elle et les avait déposés là – quelqu’un qui lui voulait du mal.

Elle sut immédiatement que les gravillons étaient un message et que le message venait d’un vieil ennemi. Elle ne l’avait pas tué et c’était ce que signifiait ce message.

Peterson est vivant.

Tout le corps de Riley trembla en y pensant.

Elle s’en doutait depuis longtemps et, à présent, elle en était certaine. Pire encore : il s’était introduit chez elle. Cette pensée lui donnait envie de vomir. Et s’il était encore dans la maison ?

Le souffle coupé par la peur, Riley comprit que ses ressources physiques seraient limitées en cas d’attaque. Elle venait de survivre à une rencontre mortelle avec un tueur sadique. Des bandages couvraient sa tête et des bleus son corps. Pourrait-elle l’affronter s’il se trouvait encore dans la maison ?

Riley tira immédiatement son arme. Les mains tremblantes, elle se dirigea vers son placard et l’ouvrit à la volée. Personne ne s’y cachait. Elle jeta un coup d’œil sous le lit. Personne, là non plus.

Riley se força à éclaircir ses idées. Etait-elle entrée dans la chambre depuis qu’elle était revenue à la maison ? Oui, bien sûr, puisqu’elle avait posé l’étui de son arme sur la commode, près de la porte. Mais elle n’avait pas allumé la lumière, elle n’avait pas jeté le moindre regard dans sa chambre. Elle s’était contentée de faire un pas dans l’entrebâillement de la porte et de déposer l’étui sur la commode, avant de repartir dans le couloir. Elle avait enfilé une robe de nuit dans la salle de bain.

Pendant tout ce temps, son ennemi était-il resté tapi dans la maison ? Après leur retour, Riley et April avait discuté en regardant la télévision jusqu’à tard dans la nuit. Ensuite, April était partie se coucher. Dans une petite maison comme la leur, il fallait une grande discrétion et beaucoup de patience pour rester caché. Mais Riley était obligée d’envisager la possibilité.

Elle fut soudain prise d’un doute terrible.

April !

Riley s’empara d’une lampe torche posée sur la table de nuit. Son arme dans l’autre main, elle quitta la chambre et alluma le couloir. Comme rien ne bougeait, elle se précipita vers la chambre de April et ouvrit la porte à la volée. La pièce était plongée dans l’obscurité. Riley alluma la lumière.

Sa fille était déjà couchée.

– Qu’est-ce qu’il y a, Maman ? demanda April en plissant les yeux.

Riley fit quelques pas dans la pièce.

– Reste au lit, dit-elle. Reste où tu es.

– Maman, tu me fais peur, dit April d’une voix tremblante.

Tant mieux : Riley avait peur, elle aussi, et April avait toutes les raisons de s’inquiéter. Elle se dirigea vers le placard de April qu’elle éclaira avec sa lampe torche. Entre les lames, elle vit que personne ne s’y cachait. Personne non plus sous le lit de April.

Que faire, à présent ? Il fallait qu’elle fouille tous les recoins de sa maison.

Riley savait très bien ce que son ancien partenaire Bill Jeffreys lui aurait dit :

Putain, Riley, appelle ! Demande de l’aide !

Sa fâcheuse tendance à tout régler seule l’avait toujours rendu furieux. Mais, cette fois, elle allait suivre son conseil. April était avec elle et Riley ne voulait prendre aucun risque.

– Enfile une robe de chambre et des chaussures, dit-elle à sa fille, mais ne quitte pas ta chambre – pas encore.

Riley retourna dans sa chambre et décrocha le téléphone sur sa table de nuit. Elle composa le numéro de l’Unité d’Analyse Comportementale. Dès qu’une voix lui répondit, elle siffla :

– Ici l’agent spécial Riley Paige. Un intrus s’est introduit chez moi. Il est peut-être encore ici. J’ai besoin d’aide. Vite !

Elle réfléchit une seconde, avant d’ajouter :

– Envoyez une équipe de la police scientifique.

– Tout de suite, répondit la voix.

Riley mit fin à l’appel. A l’exception de deux chambres et du couloir, la maison était encore plongée dans l’obscurité. Il pouvait être n’importe où, tapi dans l’ombre, à attendre le meilleur moment pour attaquer. Cet homme l’avait prise par surprise une fois, déjà, et elle avait failli en mourir.

Riley alluma toutes les lumières sur son passage, le poing toujours refermé sur son arme. Elle couvrit toute la maison, éclairant les placards et les recoins sombres.

Enfin, elle leva les yeux vers la trappe qui menait au grenier au moyen d’une petite échelle rétractable. Allait-elle oser monter pour jeter un coup d’œil ?

Ce fut alors que les sirènes de police retentirent. Riley poussa un énorme soupir de soulagement. Le Bureau avait dû contacter la police locale, car l’UAC se trouvait à plus d’une demi-heure de route.

Elle retourna dans sa chambre pour enfiler des chaussures et une robe de chambre, avant de passer voir April.

– Viens avec moi, dit-elle. Ne t’éloigne pas.

L’arme toujours dans la main droite, Riley referma son bras gauche sur les épaules de sa fille. La pauvre gamine tremblait d’effroi. Riley la conduisit jusqu’à la porte d’entrée et l’ouvrit, au moment même où des policiers en uniformes envahissaient le trottoir.

Le chef d’équipe s’élança vers elle, arme au poing.

– Quel est le problème ? demanda-t-il.

– Quelqu’un est venu chez moi, dit Riley. Il est peut-être encore ici.

L’homme jeta un coup d’œil incertain vers son arme.

– Je suis du FBI, dit Riley. Des agents seront bientôt là. J’ai déjà fouillé la maison, sauf le grenier. Il y a une porte dans le hall.

Le policier se retourna :

– Bowers, Wright, rentrez et fouillez le grenier. Les autres, passez le jardin au peigne fin.

Bowers et Wright s’engouffrèrent dans le vestibule et firent descendre l’échelle. Tous deux tirèrent leurs armes. L’un attendit en bas, pendant que l’autre escaladait les échelons. Il promena le faisceau de sa lampe torche dans le grenier, avant de disparaître tout à fait.

Bientôt, il s’écria :

– Il n’y a personne !

Riley aurait voulu en être soulagée. La vérité, c’était qu’elle avait espéré que les policiers le trouveraient là-haut et l’arrêteraient ou, mieux encore, le tueraient. Elle était certaine, en revanche, qu’ils ne le trouveraient pas dans son jardin.

– Vous avez une cave ? demanda le chef d’équipe.

– Non, juste un vide sanitaire, dit Riley.

Le policier se tourna vers ses hommes :

– Brenson, Pratt, allez vérifier sous la maison.

April s’accrochait à sa mère comme à une bouée de sauvetage.

– Qu’est-ce qui se passe, Maman ? demanda-t-elle.

Riley hésita. Pendant des années, elle avait évité de raconter à April les histoires sordides de son travail. Elle avait récemment compris qu’elle s’était montrée trop protectrice. Elle avait raconté à April l’expérience traumatisante qu’elle avait vécue aux mains de Peterson – du moins, elle lui en avait dit suffisamment. Elle avait également avoué à sa fille qu’elle n’était pas certaine que l’homme fût vraiment mort.

Mais que pouvait-elle dire à April, à présent ? Elle n’en était pas sûre.

Avant qu’elle n’ait eu le temps de se décider, April reprit la parole :

– C’est Peterson, n’est-ce pas ?

Riley la serra contre elle. Elle hocha la tête, en tâchant de réprimer les tremblements de son corps.

– Il est encore en vie.




Chapitre 2


Une heure plus tard, la maison de Riley grouillait d’hommes et de femmes dont les uniformes portaient l’insigne du FBI. Des agents fédéraux lourdement armés et une équipe scientifique collaboraient avec la police locale.

– Ramassez ces gravillons, dit Craig Huang. Nous en aurons besoin pour repérer les traces d’ADN ou les empreintes.

Riley n’avait pas été ravie d’apprendre que Huang était en charge de l’équipe. Il était encore très jeune et leur précédente collaboration ne s’était pas bien passée. Cependant, elle était obligée de constater qu’il donnait des ordres clairs et organisait la situation de façon efficace.

L’équipe de la police scientifique passait la maison au peigne fin, à la recherche d’empreintes étrangères. D’autres agents avaient disparu derrière la demeure dans l’espoir de retrouver des traces de pneus ou celles d’une piste forestière qu’aurait pu emprunter l’intrus. Comme tout se déroulait dans le calme, Huang conduisit Riley dans la cuisine pour lui parler seul à seul. Ils s’assirent à table. April les rejoignit, encore très secouée.

– Alors, qu’en pensez-vous ? demanda Huang. Croyez-vous que nous allons le retrouver ?

Riley poussa un soupir de découragement.

– Non, je crois qu’il est parti depuis longtemps. Il a dû venir plus tôt dans la soirée, avant que ma fille et moi ne rentrions.

Une agente sanglée dans un gilet pare-balles fit irruption par la porte de derrière. Elle avait les cheveux sombres, les yeux sombres et la peau sombre. Elle semblait, en outre, encore plus jeune que Huang.

– Agent Huang, j’ai trouvé quelque chose, dit la femme. Des égratignures sur la serrure de la porte de derrière. On dirait qu’elle a été forcée.

– Bien joué, Vargas, dit Huang. Maintenant, nous savons comment il est entré. Pouvez-vous rester avec Riley et sa fille quelques instants ?

Le visage de la jeune femme s’éclaira.

– Avec plaisir, dit-elle.

Elle s’assit à son tour, alors que Huang rejoignait ses agents dans le jardin.

– Agent Paige, je suis l’agent Maria de la Luz Vargas Ramirez, dit-elle en esquissant un sourire denté. Je sais, c’est long. Un nom à la mexicaine. On m’appelle Lucy Vargas, pour simplifier.

– Je suis contente de vous savoir ici, Agent Vargas, dit Riley.

– Appelez-moi Lucy, je vous en prie.

La jeune femme se tut un instant, sans quitter Riley des yeux. Enfin, elle reprit la parole :

– Agent Paige, j’espère que je ne dépasse pas les bornes, mais… C’est vraiment un honneur de vous rencontrer. Je suis votre travail depuis que j’ai commencé ma formation. Votre carrière est impressionnante.

– Merci, répondit Riley.

Lucy sourit avec admiration.

– Je veux dire, la façon dont vous avez bouclé le dossier Peterson… C’est une histoire fascinante.

Riley secoua la tête.

– Si seulement c’était aussi simple, dit-elle. Il n’est pas mort. C’est lui qui s’est introduit chez moi, aujourd’hui.

Lucy lui renvoya un regard stupéfait.

– Mais tout le monde dit que…, commença-t-elle.

Riley l’interrompit.

– Quelqu’un d’autre pensait qu’il était en vie. Marie, la femme que j’ai secourue. Elle était certaine qu’il traînait dans le coin et la harcelait. Elle…

Riley se tut, envahie soudain par le souvenir douloureux du corps de Marie pendu au plafonnier.

– Elle s’est suicidée, dit Riley.

Lucy écarquilla les yeux, d’un air à la fois surpris et horrifié.

– Je suis désolée, dit-elle.

Une voix familière retentit alors.

– Riley ? Tu vas bien ?

Elle se retourna vers Bill Jeffreys, qui se tenait dans l’encadrement de la porte, visiblement anxieux. Le FBI avait dû le prévenir et il avait fait le trajet en voiture.

– Je vais bien, Bill, dit-elle. April va bien aussi. Assied-toi.

Bill prit place à côté de Riley, de April et de Lucy qui le regardait avec sidération, étonnée de rencontrer une deuxième légende du FBI – ancien partenaire de Riley – dans la même journée.

Huang surgit à nouveau.

– Personne dans la maison ou dehors, dit-il à Riley. Mes hommes ont rassemblé tout ce qu’ils ont pu trouver, mais ce n’est pas grand-chose. Nous verrons ce que les techniciens du labo seront capables d’en faire…

– C’est ce que je craignais, dit Riley.

– On dirait qu’il est temps pour nous de repartir, dit Huang.

Il quitta la cuisine pour donner l’ordre à ses agents.

Riley se tourna vers sa fille.

– April, tu vas rester chez ton père, ce soir.

April écarquilla les yeux.

– Je te laisse pas ici toute seule, dit-elle. Et j’ai pas envie de rester chez Papa.

– Mais tu dois y aller, dit Riley. Tu n’es pas en sécurité ici.

– Mais Maman…

Riley l’interrompit :

– April, je ne t’ai pas tout dit sur cet homme. Il y a des détails sordides que tu ne connais pas. Tu seras plus en sécurité chez ton père. Je passerai te prendre demain, après les cours.

Avant que April n’ait eu le temps de protester, Lucy prit la parole :

– Ta mère a raison, April. Crois-moi. En fait, c’est un ordre. Je vais demander à un ou deux agents de te conduire là-bas. Agent Paige, avec votre permission, je vais appeler votre ex-mari pour lui expliquer la situation.

La proposition de Lucy prenait Riley par surprise, mais c’était une agréable surprise. Lucy avait compris d’une façon instinctive et presque mystérieuse que Riley n’avait pas envie de passer ce coup de fil. Ryan prendrait la nouvelle plus au sérieux si elle venait d’un autre agent – n’importe qui sauf Riley. En outre, Lucy avait convaincu April.

L’agente avait non seulement repéré les égratignures sur la serrure, elle avait également fait preuve d’empathie. Or, l’empathie était une grande qualité chez un agent de l’UAC – une qualité malheureusement trop souvent usée par le stress du métier.

Cette femme est douée, pensa Riley.

– Allez, dit Lucy à April. On va appeler ton père.

April foudroya Riley du regard, mais se leva de table et suivit Lucy dans le salon. Riley les entendit passer l’appel.

Elle demeura seule avec Bill. Même s’il ne restait plus rien à faire, il était agréable d’avoir Bill à ses côtés. Ils avaient travaillé ensemble pendant des années. Elle avait toujours pensé qu’ils se complétaient – tous deux avaient la quarantaine et quelques cheveux blancs. Ils étaient tous deux dévoués à leur travail et cela avait affecté leurs deux mariages. En outre, Bill était solide par la stature et le tempérament.

– C’était Peterson, dit Riley. Il est venu.

Bill ne répondit pas, visiblement peu convaincu.

– Tu ne me crois pas ? dit Riley. Il y avait des gravillons sur mon lit. Il est venu les poser là. Il n’y a pas d’autre explication.

Bille secoua la tête.

– Riley, je suis sûr que quelqu’un s’est introduit chez toi, dit-il. Tu n’as pas rêvé. Mais Peterson ? J’en doute fortement.

Une bouffée de colère submergea Riley.

– Bill, écoute-moi. J’ai entendu quelque chose frapper ma porte d’entrée une nuit et, quand j’ai ouvert, il y avait du gravier sur mon perron. Marie a aussi entendu quelqu’un jeter du gravier sur la fenêtre de sa chambre. Qui d’autre ça pourrait être ?

Bill soupira et secoua la tête.

– Riley, tu es fatiguée, dit-il. Et quand on est fatigué, on croit à n’importe quoi. Cela arrive à tout le monde.

Riley ravala des sanglots amers. Auparavant, Bill aurait fait confiance à l’instinct de Riley sans aucune arrière-pensée, mais ces jours étaient révolus. Elle savait pourquoi. Quelques nuits plus tôt, elle lui avait téléphoné complètement soûle pour lui proposer une relation plus intime. Un terrible souvenir. Elle n’avait pas bu une seule goutte depuis, mais rien n’était plus comme avant entre elle et Bill.

– Je sais ce qui se passe, Bill, dit-elle. C’est à cause de ce coup de fil stupide. Tu ne me fais plus confiance.

La voix de Bill trahit sa colère :

– Putain Riley, j’essaye juste d’être réaliste !

– Va-t-en, Bill, siffla Riley.

– Mais…

– Tu me crois ou tu ne me crois pas. A toi de voir. Mais je veux que tu partes.

Avec un air résigné, Bill se leva et s’en alla.

A travers l’embrasure de la porte, Riley vit que tous les autres avaient également quitté la maison, y compris April. Seule Lucy demeurait. Elle rejoignit Riley dans la cuisine.

– l’agent Huang laisse quelques agents ici, dit-elle. Ils vont surveiller la maison toute la nuit, depuis une voiture garée dans la rue. Je ne sais pas si c’est une bonne idée de vous laisser toute seule à l’intérieur. Je serais ravie de rester.

Riley y réfléchit. Ce qu’elle voulait – ce dont elle avait besoin –, c’était surtout d’être crue. Peterson n’était pas mort. Parviendrait-elle à convaincre Lucy ? Riley en doutait. Ç’aurait été un effort désespéré et vain.

– Ça ira, Lucy, dit Riley.

Lucy hocha la tête et quitta la cuisine. Riley entendit les derniers agents partir en refermant la porte derrière eux. Riley se leva et fit le tour des portes donnant vers l’extérieur, pour s’assurer qu’elles étaient toutes fermées. Elle plaça deux chaises devant la porte de derrière. Si quelqu’un tentait de forcer la serrure, les chaises feraient du bruit.

Elle balaya alors le salon du regard. La maison était étrangement lumineuse, car toutes les lumières étaient allumées.

Il faut que j’éteigne tout, pensa-t-elle.

Alors qu’elle tendait le doigt vers l’interrupteur du salon, son bras s’arrêta. Elle ne pouvait pas éteindre. Elle était pétrifiée par la terreur.

Peterson, elle le savait, reviendrait.




Chapitre 3


Riley hésita quelques instants avant d’entrer dans le bâtiment de l’Unité d’Analyse Comportementale. Etait-elle prête à affronter le regard des autres ? Elle n’avait pas dormi de la nuit. Elle était épuisée. La terreur et l’adrénaline l’avaient empêchée de fermer l’œil. Elle se sentait vidée de toute énergie.

Riley prit une grande inspiration.

Le seul moyen de sortir, c’est de passer au travers.

Elle rassembla sa détermination et pénétra dans la masse vivante des agents du FBI, des spécialistes et des employés. Alors qu’elle traversait l’open space, des visages familiers la dévisagèrent par-dessus les écrans d’ordinateur. La plupart lui adressèrent un sourire ou levèrent le pouce d’un air appréciateur. Riley se félicita d’être venue. Elle avait besoin de se changer les idées.

– Bien joué pour le tueur de poupées, lança un jeune agent.

Riley mit quelques secondes avant de comprendre. Elle réalisa que ce devait être le nouveau surnom de Dirk Monroe, le psychopathe qu’elle avait arrêté quelques jours plus tôt. Ce surnom lui allait bien.

Elle remarqua que certains visages la dévisageaient avec plus de circonspection. Ils avaient dû entendre parler de l’incident de la veille, quand une équipe entière du FBI s’était précipitée chez elle après son appel hystérique. Ils se demandent si j’ai encore toute ma tête, pensa-t-elle. Pour ce qu’elle en savait, personne d’autre au Bureau ne croyait une seconde que Peterson était encore vivant.

Riley s’arrêta devant le bureau de Sam Flores, un technicien du labo aux lunettes cerclées de noir, penché sur son ordinateur.

– Vous avez du nouveau, Sam ? demanda Riley.

Sam leva les yeux de son écran.

– Vous parlez de votre intrus d’hier, n’est-ce pas ? Je suis en train de consulter les rapports préliminaires. Il n’y a pas grand-chose, malheureusement. Les gars du labo n’ont rien trouvé sur le gravier – pas de fibres, pas d’ADN. Pas d’empreintes digitales non plus.

Riley poussa un soupir de découragement.

– Tenez-moi au courant, si ça change, dit-elle en tapotant l’épaule de Flores.

– Je n’y compterais pas, à votre place, dit Flores.

Riley poursuivit dans la zone du bâtiment réservée aux agents vétérans. En longeant les bureaux délimités par de grandes vitres, elle constata que Bill n’était pas là. C’était un soulagement, mais elle savait qu’un jour ou l’autre, elle serait obligée de dissiper le malaise qui traînait entre eux.

En pénétrant dans son propre bureau, toujours bien organisé et en ordre, Riley remarqua immédiatement qu’un message téléphonique l’attendait. Mike Nevins, le psychiatre de l’unité de Washington D.C., qu’elle contactait parfois au cours d’une enquête, l’avait appelée. Au fil des années, elle avait pu constater qu’il était une source intarissable de perspicacité et de réflexion – et pas seulement pour résoudre une affaire. Mike avait aidé Riley à dompter son stress post-traumatique, après son séjour sinistre aux mains de Peterson. Il avait dû l’appeler pour prendre de ses nouvelles, comme il le faisait souvent.

Elle était sur le point de le rappeler quand la large carrure de l’agent spécial Brent Meredith apparut dans l’encadrement de la porte. Les traits anguleux et sombres du chef de l’unité laissaient deviner sa personnalité déterminée et pragmatique. Riley se sentit immédiatement soulagée et rassurée par sa présence.

– Bon retour chez nous, Agent Paige, dit-il.

Riley lui serra la main.

– Merci, Agent Meredith.

– J’ai entendu dire que vous aviez vécu une autre de vos aventures hier soir. J’espère que vous allez bien.

– Je vais bien, merci.

Meredith la couva d’un regard inquiet et Riley comprit qu’il tentait d’évaluer sa capacité à reprendre le travail.

– Voudriez-vous m’accompagner dans la salle de repos pour prendre un café ? demanda-t-il.

– Merci, mais je dois consulter quelques dossiers. A un autre moment.

Meredith hocha la tête sans mot dire. Riley savait qu’il attendait qu’elle parle de son aventure. Il avait sans doute entendu dire que Riley était convaincue d’avoir eu affaire à Peterson. Il lui laissait une chance d’exprimer son opinion. Cependant, Meredith n’était pas plus susceptible qu’un autre de croire à l’hypothèse de Riley.

– Eh bien, je vous laisse, dit-il. Faites-moi savoir si vous souhaitez prendre un café ou déjeuner.

– Promis.

Meredith s’interrompit et se tourna une dernière fois vers Riley.

Lentement et posément, il lui dit :

– Soyez prudente, Agent Paige.

Il y avait un monde d’inquiétude et de sens derrière ces mots. Peu de temps auparavant, un autre gros bonnet de l’agence l’avait suspendue pour insubordination. Elle avait été réintégrée, mais sa position demeurait instable. Riley sentit que Meredith lui donnait un avertissement amical. Il ne voulait pas la voir saboter sa propre carrière. Et créer un tapage autour de Peterson pouvait la mettre dans une situation délicate, notamment vis-à-vis des agents qui avaient bouclé l’enquête.

Dès qu’elle fut seule, Riley tira de son cabinet le dossier épais de l’affaire Peterson. Elle l’ouvrit sur son bureau et le feuilleta rapidement, pour se rafraîchir la mémoire. Ce qui se trouvait là-dedans n’était guère utile.

L’homme demeurait une énigme. Il n’existait aucune trace de son existence avant que Bill et Riley ne se lancent sur sa piste. Peterson n’était peut-être même pas son vrai nom, et de nombreux prénoms divers lui avaient été attachés.

Alors que Riley feuilletait le dossier, elle tomba sur des photographies de ses victimes – des femmes retrouvées au fond de tombes étroites et creuses. Toutes portaient des marques de brûlures et avaient été étranglées. Riley frissonna en repensant aux larges et puissantes mains qui l’avaient enfermée dans une cage comme un animal.

Personne ne savait combien de femmes il avait tuées. Certains corps n’avaient peut-être pas été découverts. Avant que Marie et Riley ne s’échappent et ne racontent l’horreur de leur expérience, personne n’avait jamais su combien il aimait torturer les femmes dans l’obscurité avec un chalumeau au propane. Et, aujourd’hui, personne ne voulait croire que cet homme était encore en vie.

Cette histoire pesait de tout son poids sur le moral de Riley. Elle était connue pour sa capacité à pénétrer les esprits malades – une capacité qui l’effrayait parfois. Mais elle n’avait jamais su pénétrer l’esprit de Peterson. Aujourd’hui, elle avait le sentiment de le comprendre de moins en moins.

Il n’avait jamais eu le profil d’un psychopathe organisé. Le fait qu’il eût laissé des victimes dans des tombes ouvertes suggérait même le contraire. Ce n’était pas un perfectionniste. Cependant, il était assez méticuleux pour ne pas laisser traîner des indices. L’homme était un véritable paradoxe.

Riley se rappela des mots que Marie avait employés, peu avant son suicide.

« Peut-être que c’est un fantôme, Riley. Peut-être que c’est ce qui s’est passé quand tu l’as fait exploser. Tu as tué son corps, mais tu n’as pas tué sa méchanceté. »

Ce n’était pas un fantôme, et Riley le savait. Elle était certaine – plus certaine que jamais – qu’il se trouvait quelque part, encore bien vivant, et qu’il avait fait de Riley sa prochaine victime. Bien sûr, il aurait pu tout aussi bien être un fantôme : après tout, personne ne croyait en son existence.

– Où es-tu, espèce de connard ? murmura-t-elle entre ses dents.

Elle n’en savait rien et elle n’avait aucun moyen de le savoir. Elle était pieds et poings liés. Elle n’avait pas d’autre choix que mettre cette affaire de côté pour le moment. Elle referma le dossier et le reposa à sa place dans le cabinet.

Son téléphone sonna. Elle vit que l’appel était destiné à tous les agents spéciaux : l’accueil utilisait cette ligne quand une personne demandait à parler à n’importe quel agent. Selon une règle tacite, celui qui décrochait le téléphone en premier prenait l’affaire.

– Agent spécial Riley Paige. Que puis-je faire pour vous ?

La voix qui lui répondit parut préoccupée.

– Agent Paige, ici Raymond Alford, chef de police à Reedsport, dans l’état de New York. Nous avons un sérieux problème. Vous accepteriez de prendre l’appel en vidéo conférence ? Ce serait plus facile pour vous expliquer. Et j’aimerais vous montrer quelques images.

La curiosité de Riley était piquée.

– Certainement, dit-elle.

Elle communiqua à Alford ses coordonnées. Quelques minutes plus tard, elle lui parlait par Webcams interposées. L’homme était élancé et perdait ses cheveux – il semblait relativement âgé. L’expression sur son visage trahissait son anxiété et sa fatigue.

– Nous avons eu un meurtre ici, la nuit dernière, dit Alford. Un meurtre assez moche. Je vous montre…

Une photographie apparut sur l’écran de Riley. Elle représentait le corps d’une femme pendu par des chaînes au-dessus d’une voie de chemin de fer. Le corps était bizarrement vêtu.

– Que porte la victime ? demanda Riley.

– Une camisole de force, dit Alford.

Riley sursauta. En y regardant de plus près, elle vit qu’il avait raison. La photographie disparut, remplacée par le visage de Alford.

– Monsieur Alford, je vous remercie de nous avoir contactés, mais qu’est-ce qui vous fait croire que c’est une affaire pour l’Unité d’Analyse Comportementale du FBI ?

– Parce que la même chose nous est arrivée il y a cinq ans, dit Alford.

Un deuxième corps apparut sur l’écran. La jeune femme était également sanglée dans une camisole de force et enveloppée de chaînes.

– A l’époque, il s’agissait d’une femme qui travaillait à temps partiel dans la prison, Marla Blainey. C’était la même façon de procéder – sauf que Blainey avait été jetée dans la rivière, pas pendue.

Le visage de Alford réapparut.

– Cette fois, c’est Rosemary Pickens, une infirmière du coin, dit-il. Personne ne pourrait imaginer le motif, pour l’une ou l’autre. Elles étaient toutes les deux très aimées.

Alford s’avachit et secoua la tête.

– Agent Paige, moi et mes hommes, nous pataugeons. C’est peut-être un tueur en série, ou bien un imitateur. Le problème, c’est que ça n’a pas de sens. Nous n’avons pas ce genre de problèmes à Reedsport. Ce n’est qu’une petite bourgade pour les touristes le long du fleuve Hudson. Il n’y a que sept mille habitants.  Parfois, nous avons une bagarre ou nous repêchons un touriste tombé dans la rivière. Mais guère plus…

Riley réfléchit un instant. Cela ressemblait à une affaire pour le Bureau. Il faudrait qu’elle transmette l’appel de Alford à Meredith.

En levant les yeux, elle vit que Meredith n’était pas encore revenu de sa pause café. Elle lui parlerait de l’affaire plus tard dans la journée. En attendant, elle pouvait creuser le dossier.

– Les causes de la mort ? demanda-t-elle.

– La gorge tranchée, toutes les deux.

Riley dissimula sa surprise. Les étranglements et les coups étaient beaucoup plus courants.

Ce tueur opérait de façon inhabituelle. Cependant, il correspondait au profil que Riley connaissait le mieux et dont elle s’était faite la spécialiste. Elle serait déçue de ne pas pouvoir apporter son expérience au dossier : étant donné son traumatisme récent, on ne lui confierait pas l’affaire.

– Avez-vous descendu le corps ? demanda Riley.

– Pas encore, dit Alford. Elle est encore suspendue là-haut.

– Laissez-le là où il est pour le moment. Attendez l’arrivée de nos agents.

La perspective ne réjouissait pas Alford.

– Agent Paige, ça risque d’être difficile. Il est juste au-dessus de la voie ferrée et on peut le voir depuis le fleuve. La ville n’a pas besoin de ce genre de publicité. On me pousse à le descendre.

– Laissez-le, dit Riley. Je sais que ce n’est pas facile, mais c’est important. Ce ne sera pas long. Des agents viendront dans l’après-midi.

Alford hocha la tête en signe d’acceptation résignée.

– Avez-vous d’autres photos de la dernière victime ? demanda Riley. Des gros plans ?

– Bien sûr, je reviens.

Riley se retrouva à examiner une série de photos détaillées du corps. La police locale avait fait du bon travail. On voyait que les chaînes comprimaient le corps et s’enroulaient de façon élaborée.

Enfin, une photo lui montra le visage de la victime.

Le cœur de Riley bondit dans sa poitrine. Les yeux globuleux de la femme sortaient presque de ses orbites et une chaîne bâillonnait sa bouche. Mais ce fut autre chose qui choqua Riley.

La femme ressemblait à Marie. Elle était plus âgée et plus ronde, mais tout de même, Marie lui aurait ressemblé si elle avait vécu quelques décennies de plus. L’image heurtait Riley de plein fouet. C’était comme si Marie tendait la main vers elle et lui demandait d’attraper ce tueur.

Elle sut qu’elle était obligée de prendre l’affaire.




Chapitre 4


Peterson roulait doucement, pas trop vite mais pas trop lentement non plus, satisfait d’avoir enfin repéré la gamine. Il avait fini par la trouver. Elle était là, la fille de Riley, seule, sur le chemin du lycée. Elle ne se doutait pas qu’il la suivait. Elle ne se doutait pas qu’il prévoyait de la tuer.

Elle s’arrêta brusquement de marcher et se retourna, comme se sentant observée. Indécise, elle resta un instant les bras ballants. Quelques élèves la dépassèrent et montèrent les marches qui menaient au lycée.

Peterson la dépassa à son tour au volant de sa voiture, dans l’attente d’une réaction.

La fille importait peu. Sa mère était la véritable cible de sa vengeance. Sa mère avait déjoué ses plans et elle allait devoir payer. Elle avait déjà payé, d’une certaine façon, quand Marie Sayles s’était suicidée. Mais, à présent, elle allait perdre la personne qui comptait le plus à ses yeux.

A sa grande satisfaction, la fille se remit en marche, en s’éloignant du lycée. Elle avait visiblement décidé de ne pas aller en cours aujourd’hui. Le cœur de Peterson battit plus vite dans sa poitrine – il était impatient d’agir. Mais il ne pouvait pas. Pas encore. Il allait devoir se montrer patient. Il y avait des témoins.

Peterson contourna un pâté de maison, en s’obligeant à la patience. Il réprima un sourire joyeux. Avec tout ce qu’il prévoyait de faire à sa fille, Riley souffrirait plus qu’elle ne l’aurait jamais cru possible. Quoique dégingandée et maladroite comme toutes les adolescentes, la fille ressemblait beaucoup à sa mère. Cela rendrait les choses d’autant plus satisfaisantes.

La fille marchait dans la rue à pas vifs. Il se gara sur le bas-côté et l’observa pendant quelques minutes. Il réalisa qu’elle suivait la route qui quittait le centre-ville. Si elle comptait rentrer à la maison à pied, ce serait peut-être le moment idéal pour l’attraper.

Le cœur battant à tout rompre, pressé de savourer sa victoire, Peterson contourna un autre pâté de maison.

Il fallait apprendre la patience, Peterson le savait. Il fallait apprendre à attendre le bon moment. Retarder le plaisir le rendait parfois plus intense. C’était une chose que Peterson avait apprise au cours de ses longues années de cruauté délicieuse.

Et il y a tant à attendre, pensa-t-il avec satisfaction.

En débouchant à nouveau sur la route principale, Peterson éclata de rire. La gamine essayait de faire du stop ! Dieu lui donnait un coup de pouce, aujourd’hui. A croire qu’il était destiné à la tuer.

Il se gara devant elle et lui adressa un sourire charmant.

– Je te dépose ?

La fille sourit à son tour.

– Merci. Ce serait génial.

– Où vas-tu ? demanda-t-il.

– Un peu plus loin, hors de la ville, dit-elle.

Elle lui donna l’adresse. Il répondit :

– J’y vais, justement. Monte !

La fille se glissa sur le siège passager. Avec une satisfaction grandissante, il s’aperçut qu’elle avait les yeux noisette de sa mère.

Peterson pressa la commande pour verrouiller les portes et fenêtres. Les oreilles pleines du ronflement de l’air conditionné, la fille ne remarqua pas son geste.


*

Un frisson d’adrénaline parcourut April quand elle attacha sa ceinture. C’était la première fois qu’elle faisait du stop. Sa mère aurait eu une crise cardiaque, si elle avait su.

Tant pis pour elle, songea April. Ce n’était pas très cool de sa part de l’avoir envoyé chez Papa, la nuit dernière. Tout ça parce qu’elle s’était mise dans la tête que Peterson était rentré chez elles par effraction. Ce n’était pas vrai et April le savait. Les deux agents qui l’avaient conduite chez Papa l’avaient dit. A les entendre, tout le Bureau pensait que Maman avait pété les plombs.

L’homme dit :

– Alors, qu’est-ce qui t’amène dans Fredericksburg ?

April se tourna vers lui. Il était agréable à regarder – un homme à la mâchoire volontaire, aux cheveux décoiffés et avec une barbe de trois jours. Il souriait.

– L’école, dit April.

– Un cours d’été ? demanda l’homme.

– Oui, dit April.

Elle n’allait pas lui dire qu’elle avait décidé de sécher les cours. Non pas qu’elle croyait que le type était du genre à la dénoncer à sa mère. Il avait l’air plutôt cool. Peut-être même que ça lui plairait de savoir qu’il aidait April à défier l’autorité parentale. Tout de même, il valait mieux rester discrète.

Le sourire de l’homme se fit malicieux.

– Et qu’est-ce ta mère pense du fait que tu fais du stop ? demanda-t-il.

April s’empourpra, embarrassée.

– Oh, ça ne la dérange pas, dit-elle.

L’homme ricana. Ce n’était pas un rire très agréable. Un détail frappa alors April : il lui avait demandé ce que pensait sa mère, pas ce que pensaient ses parents. Comment avait-il deviné ?

La circulation était assez dense à cette heure de la journée, surtout aux abords de l’école. Cela prendrait un bon moment pour rentrer. April espérait que l’homme ne chercherait pas à faire la conversation. Cela pourrait devenir gênant.

Au bout de quelques pâtés de maison parcourus en silence, l’inconfort de April ne fit que croître. L’homme ne souriait plus. Son expression s’était même franchement assombrie. Elle remarqua que les portes étaient verrouillées. Elle tenta discrètement de presser le bouton de la fenêtre du côté passager. En vain.

La voiture s’engagea derrière une file de véhicules qui attendaient le feu vert pour tourner à gauche. L’homme enclencha à son tour son clignotant. Une soudaine bouffée d’angoisse saisit April.

– Heu… On doit aller tout droit, dit-elle.

L’homme ne répondit pas. Ne l’avait-il pas entendue, tout simplement ? Mais April n’eut pas le courage de répéter. Peut-être qu’il voulait prendre une autre route. Non : April ne pouvait imaginer rejoindre la maison par cette route-là.

Que faire ? Crier à l’aide ? Quelqu’un l’entendrait ? Et si l’homme n’avait réellement pas entendu ce qu’elle lui avait dit ? Et s’il ne lui voulait aucun mal ? Ce serait très embarrassant.

Elle vit alors une silhouette familière remonter le trottoir, son sac renversé sur l’épaule. C’était Brian, son petit ami – enfin, plus ou moins son petit ami. Elle toqua vivement contre la vitre.

A son grand soulagement, Brian tourna la tête et la vit.

– Tu veux monter ? articula-t-elle.

Brian sourit et hocha la tête.

– Oh, c’est mon copain, dit April. On peut s’arrêter pour l’emmener, s’il vous plait ? Il va chez moi, de toute façon.

C’était un mensonge. April ne savait pas où se rendait Brian. L’homme fronça les sourcils et grogna. Cela ne lui faisait pas plaisir. Allait-il s’arrêter ? Le cœur de April battait la chamade.

Brian parlait avec animation au téléphone et attendait. Il regardait la voiture et April fut certaine qu’il avait une bonne image du conducteur. Elle se réjouit d’avoir un témoin potentiel, juste au cas où l’homme aurait eu des projets effroyables.

L’homme scruta Brian. Il vit qu’il parlait au téléphone. Et il vit que Brian le regardait droit dans les yeux.

Sans dire un mot, il déverrouilla les portières. April fit signe à Brian de s’asseoir sur le siège arrière. Celui-ci se glissa à son tour dans le véhicule, refermant la portière au moment où le feu passait au vert. La file de voitures se mit en branle.

– Merci, M’sieur, dit Brian vivement.

La mine renfrognée, l’homme ne répondit pas.

– Il nous ramène chez moi, Brian, dit April.

– Super, répondit Brian.

April se sentit mieux. Si l’homme avait réellement eu de mauvaises intentions, il n’allait quand même pas les kidnapper tous les deux, elle et Brian. A présent, il était obligé de les déposer chez elle.

April se demanda si elle allait devoir parler à sa mère de l’homme et de ses soupçons. Non : cela voudrait dire admettre qu’elle avait séché les cours et qu’elle avait fait du stop. Maman la priverait de sortie.

En plus, pensa-t-elle, le conducteur ne pouvait pas être Peterson.

Peterson était un tueur psychopathe, pas un type normal dans une voiture.

Et puis, après tout, Peterson était mort.




Chapitre 5


L’expression fermée et sombre de Brent Meredith laissait deviner que la demande de Riley ne lui plaisait pas.

– C’est un dossier pour moi, dit-elle. J’ai plus d’expérience avec ce genre de tueurs en série que tout autre agent.

Elle venait de lui décrire l’appel de la police de Reedsport pendant que Meredith l’écoutait, les mâchoires vissées.

Après un long silence, Meredith soupira :

– Je vous l’autorise, dit-il avec réticence.

Riley poussa un soupir de soulagement.

– Merci, Monsieur, dit-elle.

– Ne me remerciez pas, grommela-t-il. Je le fais contre mon gré. Je vous y autorise parce que vous avez les compétences particulières pour résoudre l’enquête. Votre expérience avec ce genre de tueurs est unique. Je vais vous assigner un partenaire.

Un éclair de découragement traversa Riley. Elle savait que travailler avec Bill n’était plus en option, pour le moment, et elle se demanda si Meredith savait pourquoi la tension était apparue entre les deux anciens partenaires autrefois si liés. Bill avait sans doute dit à Meredith qu’il voulait tout simplement travailler plus près de chez lui pour le moment.

– Mais, Monsieur…, commença-t-elle.

– Pas de mais, dit Meredith. Et arrêtez de vous la jouer loup solitaire. Ce n’est pas très intelligent, et c’est contre les règles. Vous avez failli vous faire tuer plus d’une fois. Le règlement, c’est le règlement. Je suis déjà censé vous envoyer en congé, après vos récents incidents, alors n’en rajoutons pas.

– Oui, Monsieur, répondit doucement Riley.

Meredith se frotta le menton, en considérant les différentes possibilités. Il dit :

– L’agent Vargas va travailler avec vous.

– Lucy Vargas ? demanda Riley.

Meredith se contenta de hocher la tête. L’idée ne plut pas à Riley.

– Elle était dans l’équipe qui est venue chez moi, la nuit dernière, dit Riley. Elle est impressionnante et je l’aime bien, mais c’est une débutante. D’habitude, je travaille avec un agent plus expérimenté.

Meredith se fendit d’un large sourire.

– Pendant sa formation, ses notes étaient éblouissantes. Elle est jeune, c’est vrai. Il est rare qu’un élève de l’académie soit accepté dans l’Unité juste après sa formation. Mais elle est vraiment douée. Elle est prête pour le terrain.

Riley comprit qu’elle n’avait pas le choix.

Meredith poursuivit :

– Quand serez-vous prête à partir ?

Riley parcourut en pensée la liste des préparatifs nécessaires. Parler à sa fille figurait en tête. Et après ? Son pack de voyage était dans son bureau. Elle allait devoir passer à la maison et s’assurer d’envoyer April chez son père, avant de retourner à Quantico.

– Donnez-moi trois heures, dit-elle.

– J’appelle un avion, dit Meredith. Je préviens le commissaire de Reedsport qu’une équipe est en route. Soyez sur la piste d’atterrissage dans trois heures exactement. Si vous êtes en retard, vous allez m’entendre.

Riley se leva nerveusement de son siège.

– Je comprends, Monsieur, dit-elle.

Elle faillit le remercier une deuxième fois et se rappela vivement qu’il lui avait recommandé de ne pas le faire. Elle quitta son bureau sans ajouter un mot.


*

Riley se gara devant chez elle moins d’une demi-heure plus tard et se précipita vers la porte d’entrée. Elle venait chercher son pack de voyage – une petite valise toujours préparée, prête à partir, et qui contenait des affaires de toilettes, un peignoir et une tenue de rechange. Il fallait qu’elle se dépêche pour avoir le temps d’expliquer la situation à April et à Ryan. La perspective de cette conversation ne l’enchantait pas, mais elle devait s’assurer de la sécurité de April pendant son absence.

En tournant la clé dans la serrure, elle s’aperçut que la porte était déjà ouverte. Riley l’avait refermée en partant. Elle en était certaine. Elle n’oubliait jamais. Tous ses sens en alerte, elle tira son arme et fit un pas dans le vestibule.

Alors qu’elle se déplaçait sans bruit dans la maison, son regard affûté balayant les coins et les recoins, un bruit sourd et ininterrompu la frappa soudain. Cela venait de l’autre côté de la maison. C’était de la musique. De la musique mise à plein volume.

C’est quoi, ça !?

Toujours en alerte, elle se faufila dans la cuisine. La porte de derrière bâillait et de la musique pop tonnait dans le jardin. Riley renifla dans l’air une odeur familière.

– Oh, merde, encore cette connerie, se dit-elle.

Elle rangea son arme dans son étui et passa la porte. Bien sûr, April était là, assise devant la table de pique-nique, en compagnie d’un garçon dégingandé de son âge. La musique sortait d’une paire d’enceintes posées sur la table.

Quand elle vit sa mère, April écarquilla des yeux paniqués. Elle écrasa vivement son mégot sous la table en plastique, sans doute dans l’espoir de le faire disparaître.

– N’essaye même pas, dit Riley en s’avançant vers elle. Je sais ce que tu trafiques.

Elle s’entendait à peine parler au-dessus de la musique. Elle tendit la main et éteignit le lecteur.

– C’est pas ce que tu crois, Maman, dit April.

– C’est exactement ce que je crois, répondit Riley. Donne-moi le reste.

En roulant les yeux au ciel, April lui tendit un sachet en plastique contenant un peu de marijuana.

– Je pensais que tu travaillais, dit April comme si cela justifiait tout.

Riley hésitait entre la colère et la déception. Elle avait déjà surpris April en train de fumer, mais leur relation s’était beaucoup améliorée depuis ce jour. Elle avait cru que ces bêtises étaient derrière elles.

Elle se tourna vers le garçon.

– Maman, c’est Brian, dit April. C’est un copain de l’école.

Le sourire vide et les yeux vitreux, le garçon tendit sa main vers Riley.

– Enchanté, Mme Paige, dit-il.

Riley l’ignora.

– Qu’est-ce que tu fais ici ? demanda-t-elle à April.

– Je vis là, répondit April en haussant les épaules.

– Tu sais très bien ce que je veux dire. Tu es censée être chez ton père.

April ne répondit pas. Riley jeta un coup d’œil à sa montre. Elle n’avait plus le temps. Il fallait qu’elle règle cette histoire rapidement.

– Dis-moi ce qui s’est passé, dit Riley.

April commençait à avoir l’air embarrassé. Elle ne s’était vraiment pas préparée à affronter sa mère.

– Je suis allée à l’école à pied, ce matin, dit-elle. J’ai rencontré Brian sur le chemin. On a décidé de pas y aller aujourd’hui. C’est pas grave si je manque un cours de temps en temps. Je suis déjà super bonne et l’exam n’est que vendredi.

Brian laissa échapper un gloussement nerveux.

– Ouais, April est super bonne en cours, Mme Paige, dit-il. Elle est super.

– Comment êtes-vous arrivés ici ? demanda Riley.

April détourna les yeux. Riley comprit immédiatement que sa fille rechignait à lui dire la vérité.

– Oh merde, vous avez fait du stop, c’est ça ? dit-elle.

– Le conducteur était très sympa, très calme, dit April. Brian était avec moi. On était en sécurité.

Riley luttait pour contrôler ses nerfs.

– Comment pouvais-tu savoir que vous étiez en sécurité ? April, tu ne dois jamais monter dans la voiture d’un inconnu. Et pourquoi es-tu revenue là, après la frayeur d’hier soir ? C’est terriblement imprudent. Et si Peterson traînait encore dans le coin ?

April esquissa un sourire, comme si elle en savait plus que sa mère.

– Arrête, Maman. Tu t’inquiètes trop. C’est ce que disent les autres agents. Les gars qui m’ont conduit chez Papa – je les ai entendus discuter. Ils disaient que Peterson était mort et que tu n’arrivais pas à l’accepter. Ils disaient que le gravier laissé sur ton lit, c’était sans doute juste une farce.

Riley bouillait de rage. Si elle mettait la main sur ces agents… Il fallait avoir un sacré culot pour contredire Riley devant sa fille. Elle songea à demander leurs noms à April, puis décida de laisser tomber l’affaire.

– Ecoute-moi, April, dit Riley. Je dois partir pendant quelques jours. Je dois partir immédiatement. Je t’emmène chez ton père. J’ai besoin que tu restes là-bas.

– Pourquoi je ne pourrais pas partir avec toi ? demanda April.

Les ados pouvaient être vraiment stupides et butés, parfois…, pensa Riley.

– Parce que tu dois terminer ce cours d’été, dit-elle. Tu dois passer l’examen, sinon tu prendras du retard. L’anglais fait partie des matières importantes et tu as tout loupé sans raison. En plus, je travaille. Ce n’est pas très sûr de traîner dans mes jambes quand je travaille. Tu devrais le savoir depuis le temps.

April ne répondit pas.

– Viens, dit Riley. Nous n’avons pas beaucoup de temps. Je dois préparer quelques affaires, et toi aussi. Ensuite, je t’emmène chez ton père.

En se tournant vers Brian, Riley ajouta :

– Et toi, je te dépose chez toi.

– Je peux faire du stop, dit Brian.

Riley se contenta de le foudroyer du regard.

– Ok, dit Brian d’un air intimidé.

Les deux jeunes gens suivirent Riley à l’intérieur de la maison.

– Dans la voiture, vous deux, dit-elle.

Les gamins quittèrent docilement la maison.

Riley referma le verrou qu’elle venait d’ajouter à la porte de derrière et fit le tour des portes et des fenêtres pour s’assurer que tout était verrouillé.

Dans sa chambre, elle ramassa son pack de voyage, après avoir vérifié que tout y était. En partant, elle jeta un dernier coup d’œil nerveux en direction de son lit, comme si les gravillons avaient pu revenir miraculeusement. L’espace d’un instant, elle se demanda pourquoi elle partait dans un autre état au lieu de rester pour pister le tueur qui les avait déposés là et qui s’amusait à la harceler.

En outre, les frasques de April l’inquiétaient. Pouvait-elle faire confiance à sa fille ? April pouvait-elle assurer sa propre sécurité, ici, à Fredericksburg ? Riley l’en avait crue capable, mais elle commençait à avoir des doutes.

Cependant, elle ne pouvait plus changer ses plans. Elle s’était engagée auprès du Bureau. Elle était obligée de partir. En sortant sur le perron, elle jeta un vif coup d’œil vers les bois sombres et denses, à la recherche d’un signe de Peterson.

Il n’y en avait aucune trace.




Chapitre 6


Riley gardait un œil sur l’horloge digitale de la voiture, alors qu’elle conduisait les jeunes dans Fredericksburg. Les minutes défilaient et les mots de Meredith résonnaient dans la tête de Riley.

Si vous êtes en retard, vous allez m’entendre.

Peut-être – seulement peut-être – qu’elle arriverait à temps sur la piste d’atterrissage. Elle avait prévu de passer rapidement pendre sa valise à la maison et les choses venaient de se compliquer. Pouvait-elle appeler Meredith et le prévenir qu’un problème familial menaçait de la mettre en retard ? Non, décida-t-elle. Son patron rechignait déjà à lui confier l’affaire. Elle ne pouvait attendre de lui un peu d’indulgence.

Heureusement, l’adresse de Brian se trouvait sur le chemin de la maison de Ryan. Quand Riley se gara sur le bas-côté, elle dit :

– Je dois dire à tes parents ce qui s’est passé.

– Ils sont pas là, répondit Brian en haussant les épaules. Papa est parti depuis longtemps, et Maman n’est pas souvent là.

Il sortit de la voiture, puis se retourna et dit :

– Merci de m’avoir raccompagné.

En le regardant s’éloigner, Riley se demanda quels parents laissaient un gamin comme ça tout seul. Ne savaient-ils pas qu’un ado se fourrait tout le temps dans des drôles de situations ?

Mais peut-être que sa mère n’a pas le choix, pensa Riley misérablement. Qui suis-je pour parler ?

Dès que Brian disparut à l’intérieur de la maison, Riley redémarra. April n’avait toujours pas prononcé un mot et elle ne semblait pas d’humeur à faire la conversation. Riley n’aurait su dire si son silence trahissait de la honte ou seulement de l’agacement. Elle réalisa qu’il y avait bien des choses qu’elle ne connaissait pas sur sa propre fille.

Riley était en colère, contre elle-même et contre April. La veille, elles avaient semblé être les meilleures amies du monde. Elle avait cru que April commençait à comprendre le stress qui pesait sur un agent du FBI. Mais Riley avait insisté pour envoyer April chez son père et, à présent, April se rebellait.

Riley devrait peut-être se montrer plus compréhensive. Elle-même avait toujours été un peu rebelle. Et elle savait ce que c’était de perdre sa mère et de s’éloigner de son père. April avait peur que la même chose lui arrive.

Elle a peur pour ma sécurité, réalisa Riley. Ces derniers mois, April avait été le témoin de ses souffrances physiques et émotionnelles. Après la frayeur de la veille, April était sans doute terrifiée et très inquiète. Riley devait être plus à l’écoute des sentiments de sa fille. N’importe qui, au même âge, aurait eu du mal à gérer les complications dans la vie de Riley.

Riley se gara devant la maison qu’elle avait autrefois partagée avec Ryan. C’était une belle demeure avec un portique – ou une porte cochère, comme disait Ryan. Ces derniers jours, Riley préférait se garer dans la rue, plutôt que de s’engager dans l’allée.

Elle ne s’était jamais sentie chez elle ici. Vivre dans une banlieue pavillonnaire respectable n’avait jamais été son truc. Son mariage, la maison, le voisinage… Tout ici représentait ce qu’elle ne s’était jamais crue capable d’accomplir.

Les années passant, Riley avait compris qu’elle était plus douée pour pénétrer un esprit malade qu’elle ne le serait jamais pour vivre une vie normale. Elle avait fini par abandonner son mariage, cette maison, ce voisinage et cela n’avait fait que renforcer son envie d’être, au moins, une bonne mère pour sa fille adolescente.

Comme April s’apprêtait à ouvrir la portière, Riley dit :

– Attends.

April se retourna et lui adressa un regard interrogateur.

Sans s’arrêter pour réfléchir, Riley dit :

– C’est bon. Je comprends.

April la fixa d’un regard stupéfait. L’espace d’un instant, elle sembla au bord des larmes. Riley était presque aussi surprise qu’elle. Elle ne savait pas très bien ce qui lui avait pris. Elle avait seulement compris instinctivement que l’heure n’était pas aux reproches, même si elle avait été sur le point d’en faire à April – avant de se raviser. Elle savait également au fond d’elle qu’elle avait dit exactement ce qu’il fallait dire.

Riley et April sortirent toutes deux de la voiture et marchèrent vers le perron. Riley espérait-elle que Ryan serait à la maison – ou, au contraire, qu’il n’y serait pas ? Elle n’avait pas envie de discuter, et elle avait déjà décidé de ne pas lui parler de la marijuana. Elle aurait dû, peut-être, mais elle n’avait pas le temps de gérer sa réaction. Toutefois, elle était bien obligée de lui expliquer pourquoi elle s’absentait pendant quelques jours.

Gabriela, la robuste Guatémaltèque qui travaillait comme bonne pour la famille depuis des années, accueillit Riley et April à l’entrée. Elle ouvrait de grands yeux inquiets.

– Hija, où étais-tu passée ? demanda-t-elle avec un fort accent espagnol.

– Je suis désolée, Gabriela, répondit docilement April.

Gabriela la fixa d’un regard scrutateur. Riley comprit à son expression qu’elle devinait que April avait fumé un joint.

– Tonta ! s’exclama-t-elle sèchement.

– Lo siento mucho, dit April d’un air contrit.

– Vente conmigo, dit Gabriela.

Alors qu’elle emportait April à l’intérieur, elle jeta à Riley un regard de désapprobation féroce.

Ce regard heurta Riley de plein fouet. Gabriela était une des rares personnes qui l’intimidaient. En outre, elle se débrouillait très bien avec April et, à cet instant, elle s’en sortait même bien mieux que Riley dans le rôle d’une mère.

Riley l’interpella :

– Ryan est ici ?

Tout en s’éloignant, Gabriela répondit :

– Sí.

Elle s’écria alors, comme pour se faire entendre dans toute la maison :

– Señor Paige, votre fille est rentrée.

Ryan apparut dans le couloir, habillé et coiffé pour partir. Il parut surpris de trouver Riley sur le perron.

– Qu’est-ce que tu fais là ? demanda-t-il. Où était April ?

– Elle était chez moi.

– Quoi ? Après tout ce qui s’est passé hier soir, tu l’as ramenée chez toi ?

Riley serra les dents, exaspérée.

– Je ne l’ai emmenée nulle part, dit-elle. Demande-lui, si tu veux savoir comment elle est arrivée là-bas. Je n’y peux rien, moi, si elle ne veut pas rester chez toi. Tu es le seul qui puisse y remédier.

– Tout est de ta faute, Riley. Tu ne la contrôles plus du tout.

Pendant une fraction de seconde, la fureur envahit Riley, mais elle se rendit compte qu’il avait peut-être raison. Ce n’était pas juste, mais Ryan savait très bien s’y prendre avec Riley.

Elle prit une profonde inspiration et dit :

– Ecoute, je quitte la ville pendant quelques jours. J’ai une affaire dans l’état de New York. April doit rester ici et elle doit faire profil bas. S’il te plait, explique la situation à Gabriela.

– Toi, tu lui expliques, à Gabriela, grogna Ryan. Je dois voir un client. Tout de suite.

– J’ai un avion à prendre. Tout de suite.

Ils se mesurèrent du regard. Leur dispute venait de heurter une impasse. En le regardant dans les yeux, Riley se rappela qu’elle l’avait aimé, autrefois. Et il l’avait aimée tout autant. A l’époque, ils étaient jeunes et pauvres : c’était avant qu’il ne devînt un avocat brillant et Riley un agent du FBI.

Elle ne put s’empêcher de remarquer qu’il était encore très séduisant. Il se donnait du mal pour conserver son apparence et passait beaucoup de temps à la salle de sport. Riley savait parfaitement qu’il y avait de nombreuses femmes dans sa vie. C’était en partie le problème : il profitait trop de sa vie de célibataire pour prendre à cœur son rôle de père.

Je ne fais pas forcément mieux, pensa-t-elle.

Ryan grogna alors :

– C’est toujours ton boulot.

Riley ravala sa colère. Ils en avaient déjà parlé, encore et encore. Apparemment, son boulot était trop dangereux ou sans intérêt. Le travail de Ryan, en revanche, rapportait de l’argent et était plus utile. Comme si gérer les procès de clients fortunés comptait plus que la guerre sans fin que Riley menait contre les forces du mal.

Cependant, elle n’avait pas le temps de ressasser cette vieille dispute. De toute façon, personne n’avait jamais gagné à ce jeu-là.

– Nous parlerons quand je rentrerai, dit-elle.

Elle tourna les talons et quitta la maison. Ryan referma la porte derrière elle.

Riley monta dans sa voiture et repartit. Il lui restait moins d’une heure pour atteindre Quantico. Le sang battait contre ses tempes. Tant de choses étaient arrivées en si peu de temps. A peine quelques heures plus tôt, elle avait décidé de prendre un nouveau dossier. A présent, elle se demandait si elle avait eu raison. April avait du mal à gérer le stress et, surtout, Peterson était de retour dans sa vie.

D’une manière ou d’une autre, cela pouvait fonctionner. Tant que April resterait chez son père, elle échapperait aux griffes de Peterson. Et Peterson ne ferait pas d’autres victimes en l’absence de Riley. Quoique désorientée par son profil, Riley était au moins sûre d’une chose : elle était la seule cible de sa vengeance. Elle, et personne d’autre, serait sa prochaine victime. Et il était de bon ton de s’éloigner pendant quelques jours.

Elle avait appris une leçon difficile au cours de sa dernière enquête – pas tout à la fois, pas toute la méchanceté du monde. Cette leçon se réduisait à une simple devise : un monstre après l’autre.

Et, pour le moment, elle se lançait à la recherche d’une brute particulièrement vicieuse. Un homme qui frapperait à nouveau très bientôt.




Chapitre 7


L’homme étalait des longueurs de chaînes sur l’établi, dans sa cave. Il faisait sombre dehors, mais les maillons d’acier luisaient sous la lumière crue de l’ampoule nue.

Il déroula l’une des chaînes sur toute sa longueur. Le cliquetis désagréable ravivait en lui de terribles souvenirs : il avait été attaché, mis en cage, harcelé avec des chaînes comme celle-ci. Il ne cessait de se répéter : je dois affronter mes peurs.

Pour cela, il devait se prouver à lui-même qu’il contrôlait ces chaînes. Trop souvent, par le passé, c’étaient ces chaînes qui l’avaient contrôlé, lui.

Il était terrible que quelqu’un d’autre eût à en souffrir. Pendant cinq ans, il avait cru laisser tout cela derrière lui. Son travail à l’église en tant que gardien de nuit l’avait beaucoup aidé. Il avait aimé ce boulot. Il avait aimé l’autorité de son statut. Il avait aimé se sentir fort et utile.

Mais, le mois dernier, ils lui avaient repris ce statut. Ils avaient besoin de quelqu’un de plus expérimenté, disaient-il, et avec de meilleures références – quelqu’un de plus grand et de plus costaud. Ils avaient promis de le garder pour travailler dans le jardin. Il aurait assez d’argent pour payer le loyer de sa minuscule maison.

Cependant, la perte de son boulot, la perte de l’autorité, l’avait profondément secoué et l’avait laissé désemparé. Sa pulsion s’était libérée – ce besoin désespéré de ne pas rester impuissant, de dominer les chaînes pour qu’elles ne prissent plus jamais le contrôle de sa personne. Il avait essayé d’échapper à sa pulsion, comme s’il pouvait abandonner ses ombres intérieures ici, dans la cave. La dernière fois, il avait roulé jusqu’à Reedsport pour lui échapper. Mais en vain.

Pourquoi ? Il avait bon cœur. Il aimait rendre service. Mais sa gentillesse finissait toujours par se retourner contre lui. Quand il avait aidé cette femme, cette infirmière, à porter ses courses dans sa voiture, à Reedsport, elle avait souri en disant :

– Quel bon garçon !

Il grimaçait encore en repensant à ce sourire et à ces mots.

« Quel bon garçon ! »

Sa mère avait dit la même chose, avec le même sourire, en le retenant attaché par la jambe avec une chaîne si courte qu’il ne pouvait attraper de la nourriture ou regarder par la fenêtre. Et les religieuses, elles aussi, avaient dit la même chose, avec le même sourire, en l’observant à travers le judas de la porte de sa petite prison.

« Quel bon garçon ! »

Tout le monde n’était pas cruel, il le savait. La plupart des gens avaient de bonnes intentions, surtout dans cette petite ville où il vivait depuis longtemps. Ils l’aimaient bien. Mais pourquoi s’évertuaient-ils à le traiter comme un enfant – et un enfant handicapé, en plus ? Il avait vingt-sept ans et il se savait brillant. Son esprit grouillait de pensées brillantes, et il se heurtait rarement à un problème qu’il était incapable de résoudre.

Bien sûr, il savait pourquoi les autres le voyaient ainsi : il pouvait à peine parler. Il bégayait. Il avait toujours bégayé. Il n’essayait même plus de discuter, même s’il comprenait tout ce que disaient les autres.

Et il était petit, et faible, et il avait les traits ronds d’un gamin – un de ces gamins nés avec une tare congénitale. Piégé dans ce crâne légèrement malformé bouillait un esprit remarquable, désireux d’accomplir des choses brillantes. Mais personne n’en savait rien. Personne. Pas même les médecins de l’hôpital psychiatrique.

Quelle ironie.

Les gens ne se doutaient pas qu’il connaissait ce genre de mots compliqués. Ironie. Mais il les connaissait.

A présent, il faisait rouler d’un geste nerveux un bouton dans le creux de sa main. Il l’avait ramassé sur la blouse de l’infirmière quand il l’avait pendue. Comme il pensait à elle, il se tourna vers le lit de camp où il l’avait gardée attachée pendant un peu plus d’une semaine. Il aurait aimé pouvoir lui parler, lui expliquer qu’il n’avait jamais voulu se montrer si cruel, lui dire qu’elle ressemblait beaucoup à sa mère et aux religieuses, voilà tout, surtout avec cet uniforme d’infirmière.

La vue de cet uniforme l’avait troublé. Ç’avait été la même chose avec l’autre femme, cinq ans plus tôt, la gardienne de prison. Les deux femmes s’étaient confondues dans sa tête avec sa mère, avec les religieuses, avec les employées de l’hôpital. Il avait tenté de les distinguer, de les dissocier, mais c’était une bataille perdue d’avance.

Il était soulagé d’en avoir terminé avec elle. C’était une terrible responsabilité de la garder ici, attachée, de lui donner de l’eau, de l’entendre gémir à travers la chaîne qu’il avait utilisée pour la bâillonner. Il n’avait ôté son bâillon que pour lui donner de l’eau avec une paille, de temps à autre. Et alors, elle avait essayé de crier.

Si seulement il avait pu lui expliquer qu’elle ne devait pas crier, qu’il y avait des voisins de l’autre côté de la rue et qu’ils ne devaient pas l’entendre. Si seulement il avait pu lui dire, elle aurait peut-être compris. Mais il n’avait pas pu, pas avec son bégaiement. A la place, il l’avait menacée en silence avec un rasoir affûté. Au bout d’un moment, même cette menace n’avait plus marché et il avait été obligé de lui trancher la gorge.

Il l’avait ensuite rapportée à Reedsport et pendue pour que tout le monde puisse la voir. Il n’était pas sûr de savoir pourquoi. Peut-être était-ce un avertissement. Si seulement les gens pouvaient comprendre. S’ils comprenaient, il ne serait pas obligé de se montrer si cruel.

Peut-être que c’était aussi sa façon de dire au monde à quel point il était désolé.

Parce qu’il était vraiment désolé. Il irait chez le fleuriste le lendemain pour acheter des fleurs – un petit bouquet bon marché – pour sa famille. Il ne pourrait pas parler au fleuriste, mais il pourrait lui écrire des instructions simples. Le cadeau serait anonyme. Et s’il parvenait à trouver un endroit pour se cacher, il irait peut-être au cimetière pour son enterrement. Il baisserait la tête comme n’importe quel endeuillé.

Il étala une autre chaîne sur son établi, en tirant sur les maillons aux extrémités pour assourdir le cliquetis. Au fond de lui-même, il savait que cela ne suffirait pas. Pour dominer les chaînes, il serait obligé de les utiliser à nouveau. Et il utiliserait également une autre des camisoles de force qu’il avait en sa possession. Quelqu’un d’autre allait devoir rester attaché, comme il était resté attaché.

Quelqu’un d’autre allait devoir souffrir et mourir.




Chapitre 8


Dès que Riley et Lucy descendirent de l’avion du FBI, un jeune policier en uniforme trottina vers elles sur le tarmac.

– Ce que je suis content de vous voir enfin ! dit-il. Le commissaire Alford est au bord de la crise de nerfs. Si quelqu’un ne descend pas le corps de Rosemary dans la seconde, il va faire une attaque. Les journalistes sont à fond sur l’affaire. Je m’appelle Tim Boyden.

Envahie par une soudaine contrariété, Riley se présenta, ainsi que Lucy. La presse était arrivée tôt et cela n’était pas bon signe. L’enquête commençait mal.

– Puis-je vous aider à porter quelque chose ? demanda Boyden.

– Non, ça ira, dit Riley.

Elle et Lucy n’avaient que deux petites valises.

Boyden pointa le doigt vers l’autre bout de la piste d’atterrissage.

– La voiture est là-bas, dit-il.

Le groupe marcha vivement dans la direction indiquée. Riley s’engouffra sur le siège passager, tandis que Lucy prenait place sur la banquette arrière.

– Nous ne sommes pas loin de la ville, dit Boyden en tournant la clef de contact. Putain, je le crois pas, ce qui s’est passé. Pauvre Rosemary. Tout le monde l’aime tant. Elle est toujours en train d’aider et de rendre service. Quand elle a disparu il y a une ou deux semaines, on s’est inquiétés. Mais personne n’aurait imaginé…

Sa voix traîna avant d’achever la phrase. Boyden secoua la tête d’un air à la fois horrifié et incrédule.

Lucy se pencha en avant.

– J’ai cru comprendre que vous aviez déjà connu un meurtre comme celui-ci, dit-elle.

– Oui, quand j’étais encore au lycée, dit Boyden. Mais pas à Reedsport. C’était du côté de Eubanks, plus loin vers le sud. Un corps enchaîné, comme celui de Rosemary. Et vêtu d’une camisole de force. Le commissaire a raison ? On a un tueur en série sur les bras ?

– C’est encore trop tôt pour le dire, dit Riley.

En vérité, elle pensait que Alford devait avoir raison. Mais ce jeune policier semblait suffisamment bouleversé. Nul besoin de l’alarmer davantage.

– J’y crois pas, dit Boyden en secouant à nouveau la tête. Une petite ville sympa comme la nôtre. Une gentille dame comme Rosemary. J’y crois pas.

Alors qu’ils traversaient la ville, Riley aperçut quelques vans de chaînes de télévision sur l’avenue principale. Un hélicoptère survolait également la zone.

Boyden ralentit devant un barrage où s’amassaient des journalistes. Un policier fit signe à la voiture de passer. Quelques secondes plus tard, ils se garèrent le long des voies ferrées. Le corps pendait là, suspendu à un poteau électrique. Quelques policiers en uniformes se tenaient non loin.

Quand Riley descendit de la voiture, elle reconnut le commissaire Raymond Alford. Il trottina vers elle, visiblement mécontent.

– J’espère que vous avez une bonne raison de laisser ce corps suspendu comme ça, dans les airs, dit-il. C’est un cauchemar. Le maire menace de me retirer mon badge.

Riley et Lucy le suivirent. Dans la lumière de l’après-midi, le corps paraissait encore plus intrigant que sur les photos prises au petit matin – celles que Riley avait examinées sur l’écran de son ordinateur. Les chaînes en acier inoxydable brillaient sous les rayons du soleil.

– Je suppose que vous avez délimité la scène, dit Riley à Alford.

– On a fait ce qu’on a pu, dit Alford. On a barricadé de façon à ce que personne ne puisse voir le corps, sauf depuis le fleuve. Nous avons obligé les trains à faire un détour autour de la ville, mais ça les ralentit et ça fout en l’air leur emploi du temps. C’est sans doute comme ça que la chaîne d’info de Albany a compris qu’il se tramait quelque chose. Parce que ce ne sont pas mes hommes qui leur ont dit.

Pendant que Alford parlait, l’hélicoptère de la chaîne de télé passa au-dessus de sa tête et le ronflement des pales couvrit sa voix. Il renonça à expliquer la situation. Riley lut sur ses lèvres une collection d’injures dirigées vers l’hélicoptère. L’engin décrivit alors un large cercle, avec l’intention évidente de revenir.

Alford sortit son téléphone portable. Quand il eut quelqu’un à l’autre bout du fil, il hurla :

– Je vous ai demandé de ne pas survoler la zone avec votre hélico. Maintenant, dites à votre pilote de voler plus haut. C’est la loi.

A l’expression de Alford, Riley devina que la personne au bout du fil faisait de la résistance.

Enfin, Alford dit :

– Si vous ne dégagez pas votre oiseau dans la seconde, vos journalistes n’auront pas le droit d’assister à la conférence de presse que je vais donner cet après-midi.

Son visage se détendit. Il leva les yeux et attendit. Quelques instants plus tard, l’hélicoptère s’éleva. Cependant, le ronflement sourd des pales ne faiblit pas.

– Putain, j’espère que ça ne va pas dégénérer, grogna Alford. Quand on aura descendu le corps, ils seront moins intéressés. Je suppose qu’il y a des bons côtés : les hôtels et les B&Bs font du business. Les restaurants aussi : ça mange, les journalistes. Mais à long terme ? C’est mauvais pour le tourisme.

– Vous avez fait du bon boulot, dit Riley.

– C’est déjà ça, dit Alford. Venez, finissons-en.

Alford guida Riley et Lucy vers le corps. Il était suspendu au moyen de chaînes et d’une corde solide, qui passait au travers d’une poulie en acier avant de retomber brutalement vers le sol en formant un angle.

Riley voyait le visage de la victime, à présent. Encore une fois, sa ressemblance avec Marie la transperça comme un choc électrique – son expression laissait deviner la même angoisse silencieuse que celle de son amie, quand Riley l’avait retrouvée pendue dans sa chambre. Les yeux exorbités et la chaîne qui bâillonnait sa bouche rendaient le spectacle particulièrement perturbant.

Riley jeta un regard vers sa nouvelle partenaire pour scruter sa réaction. Etonnamment, Lucy était déjà en train de prendre des notes.

– C’est votre première scène de crime ? lui demanda Riley.

Lucy se contenta de hocher la tête, sans cesser d’écrire. Elle prenait la chose particulièrement bien. A sa place, bien d’autres agents seraient déjà partis vomir dans les buissons.

Alford, de son côté, paraissait nauséeux. Même après plusieurs heures, il ne s’habituait pas. Riley espéra qu’il n’aurait jamais à s’habituer.

– Ça ne sent pas trop, dit Alford.

– Pas encore, répondit Riley. Le corps n’est qu’au stade de l’autolyse. Il ne fait pas assez chaud pour accélérer le processus de putréfaction. Quand le corps se décomposera de l’intérieur, c’est là que ça sentira vraiment mauvais.

Alford pâlit davantage.

– Et la rigueur cadavérique ? demanda Lucy.

– Elle est déjà rigide, j’en suis sûre, dit Riley. Elle le restera pour les douze prochaines heures.

Lucy ne semblait toujours pas troublée. Elle griffonna de plus belle sur son carnet.

– Vous avez compris comment le tueur l’a fait grimper là-haut, demanda Lucy à Alford.

– On a une assez bonne idée, dit Alford. Il est monté pour passer la corde dans la poulie, puis il a tiré. Ces poids la maintiennent en hauteur.

Il pointa du doigt des poids en acier posés près de la voie ferrée. La corde passait au travers de trous, nouée plusieurs fois afin de ne pas se détacher. C’était le genre de poids que l’on trouvait sur les machines dans les salles de sport.

Lucy se pencha pour les examiner de plus près.

– Il y en a assez pour compenser le poids du corps, observa-t-elle. C’est bizarre qu’il ait apporté tout ça avec lui. Il aurait pu attacher la corde autour du poteau.

– Et qu’est-ce que vous en déduisez ? demanda Riley.

Lucy réfléchit.

– Il est petit et pas très costaud, dit-elle. Il n’aurait pas pu hisser le corps tout seul. Il avait besoin des poids.

– Très bien, dit Riley.

Elle pointa le doigt dans la direction opposée. Des traces de pneu dépassaient de la zone goudronnée.

– Et, comme vous pouvez le voir, il a rapproché son véhicule au maximum. Il était obligé : il ne pouvait pas porter le corps tout seul.

Riley examina la terre non loin du poteau et finit par trouver des traces semblables à des encoches.

– On dirait qu’il a utilisé une échelle, dit-elle.

– Oui, et nous l’avons retrouvée, dit Alford. Venez. Je vais vous montrer.

Alford guida Riley et Lucy dans un hangar laminé couvert de tôle ondulée. Un verrou brisé pendait à la porte.

– Il est entré par effraction, comme vous le voyez, dit Alford. Ce n’était pas compliqué : une paire de tenailles a dû faire l’affaire. On n’utilise plus ce hangar, ou seulement pour stocker à long terme, et il n’est pas très bien sécurisé.

Alford ouvrit la porte et alluma l’interrupteur qui jeta une lumière fluorescente. L’endroit était, effectivement, presque désert. Seuls quelques cageots drapés dans les toiles d’araignée se dressaient ça et là. Alford pointa du doigt une échelle appuyée contre le mur, près de la porte.

– Là voilà, dit-il. Nous avons trouvé des traces de terre fraîche sur les pieds. Elle vient sans doute d’ici et le tueur connaissait son existence. Il est entré, a tiré l’échelle jusque là-bas et il est monté pour passer la corde dans la poulie. Ensuite, il a ramené l’échelle ici. Et il est reparti.

– Peut-être qu’il a trouvé la poulie dans le hangar également, suggéra Lucy.

– Le fronton de l’entrepôt est allumé la nuit, dit Alford. Il n’a pas froid aux yeux et il doit être rapide, même s’il n’est pas très costaud.

A cet instant, une détonation sèche retentit au-dehors.

– Putain, qu’est-ce que c’est !? hurla Alford.

Riley sut immédiatement que c’était un coup de feu.




Chapitre 9


Alford tira son arme de service et se précipita à l’extérieur. Riley et Lucy le suivirent, armes au poing, elles aussi. Quelque chose volait au-dessus du corps en émettant un ronflement régulier.

Le jeune policier Boyden avait sorti son arme et tiré sur le drone. Il s’apprêtait à recommencer.

– Boyden, rangez-moi ce putain de flingue ! cria Alford.

Il glissa le sien dans son étui.

Boyden tourna un regard surpris vers son supérieur. Alors qu’il rangeait son arme, le drone s’éleva dans les airs et s’éloigna.

Le commissaire fulminait de rage.

– Qu’est-ce que vous foutiez, à tirer des coups de feu, comme ça ? grogna-t-il.

– Je protège la scène du crime, dit Boyden. C’est sans doute un blogueur qui prend des photos.

– Sans doute, dit Alford, et ça ne me plait pas plus qu’à vous. Mais c’est illégal de tirer sur ces trucs. Et puis, il y a du monde dans le coin. Ce n’est pas ce qu’on vous apprend en formation.

Boyden baissa la tête d’un air contrit.

– Désolé, Monsieur, dit-il.

Alford se tourna vers Riley.

– Des drones, maintenant ! dit-il. Je déteste le vingt-et-unième siècle. Agent Paige, s’il vous plait, dites-moi que je peux descendre le corps.

– Vous avez pris d’autres photos que celles que vous m’avez montrées ? demanda Riley.

– Plein, avec tous les détails, dit Alford. Vous pourrez les examiner dans mon bureau.

Riley hocha la tête.

– J’ai vu tout ce que j’avais à voir. Et vous avez fait du bon travail pour garder la zone sous contrôle. Vous pouvez la descendre.

Alford interpella Boyden :

– Appelez le coroner. Dites-lui qu’il a fini de se tourner les pouces.

– Compris, Chef, répondit Boyden en sortant son téléphone portable.

– Venez, dit Alford à Riley et Lucy.

Il les conduisit jusqu’à sa voiture de police. Après les avoir invitées à entrer, il passa le barrage en direction de l’avenue principale.

Riley prit soin de retenir le chemin. Le tueur s’était approché de la zone en prenant la même route que Alford et Boyden avant lui. Il n’existait pas d’autre moyen de rejoindre la voie ferrée et l’entrepôt. Un témoin avait peut-être vu passer le véhicule du tueur, même s’il ne l’avait pas trouvé suspect sur le moment.

Le commissariat de Reedsport se réduisait à une façade de briques sur l’avenue principale. Alford, Riley et Lucy y pénétrèrent et s’assirent dans le bureau du commissaire.

Alford déposa plusieurs dossiers sur la table.

– Voilà tout ce que j’ai, dit-il. Le dossier complet sur l’affaire d’il y a cinq ans et tout ce qu’on a pour le moment sur le meurtre de cette nuit.

Riley et Lucy s’emparèrent chacune d’un dossier et entreprirent d’examiner les documents. Les photos du meurtre précédent attirèrent immédiatement l’attention de Riley.

Les deux femmes avaient eu sensiblement le même âge au moment de leurs décès. La première avait travaillé dans une prison, ce qui l’avait probablement exposée au danger. Cependant, la seconde aurait dû courir moins de risque. Et rien n’indiquait que les deux femmes avaient fréquenté des bars ou des endroits dangereux. Dans les deux cas, les proches les décrivaient comme des personnes agréables, promptes à rendre service et menant une existence ordinaire. Pourtant, quelque chose avait attiré un tueur.

– Vous avez fait des progrès sur le meurtre de Marla Blainey ? demanda Riley à Alford.

– C’était sous la juridiction de la police de Eubanks. Le capitaine Lawson. Mais j’ai travaillé avec lui. Nous n’avons rien trouvé. Les chaînes étaient parfaitement ordinaires. Le tueur aurait pu les acheter dans n’importe quelle quincaillerie.

Lucy se pencha vers Riley pour examiner les photos par-dessus son bras.

– Il en a quand même acheté beaucoup, dit-elle. Un employé du magasin aurait pu le remarquer et s’en souvenir.

Alford hocha la tête.

– Oui, c’est aussi ce qu’on a pensé à l’époque. On a contacté tous les magasins aux alentours. Personne n’a remarqué une vente inhabituelle comme celle-ci. Il a dû les acheter petit à petit, sans attirer l’attention. Au moment du meurtre, il en avait une pile toute prête. C’est peut-être toujours le cas.

Riley plissa les yeux pour scruter la camisole de force. Le modèle semblait identique à celui que portait la victime de la veille.

– Et la camisole ? demanda Riley.

Alford haussa les épaules.

– On pourrait penser qu’il est facile d’en trouver la provenance. Mais nous n’avons rien. C’est un modèle standard des hôpitaux psychiatriques. Nous avons contacté tous les hôpitaux de l’état, notamment celui qui n’est pas loin. Personne n’a remarqué le vol ou l’absence de camisoles.

Un silence tomba, pendant que Riley et Lucy examinait les rapports écrits et les photos. Les corps avaient été découverts à dix miles l’un de l’autre. Le tueur vivait probablement non loin. Mais le corps de la première avait été jeté sans cérémonial dans le fleuve. Pendant les cinq ans qui avaient séparé le nouveau meurtre du précédent, le comportement du tueur avait beaucoup évolué.

– Alors, que pensez-vous de ce type ? demanda Alford. Pourquoi la camisole et les chaînes ? Ce n’est pas un peu excessif, comme attirail ?

Riley y réfléchit.

– Pas pour lui, dit-elle. C’est une question de pouvoir. Il veut restreindre ses victimes, pas seulement d’un point de vue physique, mais également d’un point de vue symbolique. Il est au-delà du pratique. Il veut retirer aux victimes leur pouvoir. Il insiste là-dessus.

– Mais pourquoi des femmes ? demanda Lucy. S’il veut réduire ses victimes à l’impuissance, l’effet serait plus dramatique s’il s’attaquait à des hommes, non ?

– Bonne question, répondit Riley.

Elle repensa à la scène du crime – et à la façon dont le corps avait été stabilisé au moyen de poids.

– Souvenez-vous qu’il n’est pas très costaud, reprit-elle. Il est peut-être obligé de choisir des victimes qui lui rendent la tâche plus facile. Des femmes d’âge moyen sont moins susceptibles de se défendre. Et elles représentent peut-être quelque chose à ses yeux. Il ne choisit pas des individus, mais des femmes – quoi qu’elles représentent.

Alford éclata d’un ricanement cynique.

– Alors vous croyez que ça n’a rien de personnel, dit-il. Ce n’est pas comme si ces femmes avaient fait quelque chose pour être enlevées et tuées. Ce n’est pas comme si elles l’avaient mérité.

– C’est souvent ce qui se passe, dit Riley. Le tueur en série de ma dernière affaire ciblait des femmes qui achetaient des poupées. Il ne s’intéressait pas à leurs personnalités. Tout ce qui comptait, c’était qu’elles aient acheté une poupée.

Un silence passa. Alford jeta un coup d’œil à sa montre.

– J’ai une conférence de presse dans une demi-heure, dit-il. Y a-t-il autre chose que vous aimeriez savoir avant cela ?

Riley dit :

– Eh bien, il faudrait que l’agent Vargas et moi-même puissions interroger la famille de la victime le plus vite possible. Ce soir ?

Les sourcils de Alford se rejoignirent dans une expression d’inquiétude.

– Je ne pense pas, dit-il. Son mari est mort jeune, il y a une cinquantaine d’années. Elle n’a que deux enfants déjà adultes, un fils et une fille, qui ont fondé leurs propres familles. Ils vivent en ville. Mes hommes les ont interrogés toute la journée. Ils sont sous le choc. Laissez-leur une nuit de repos avant de recommencer.

Riley vit que Lucy s’apprêtait à protester et elle l’arrêta d’un geste silencieux. Lucy avait raison de vouloir interroger la famille immédiatement, mais Riley préférait ne pas se fâcher avec l’autorité locale, surtout avec des policiers aussi compétents que Alford et son équipe.

– Je comprends, dit Riley. Nous essayerons demain matin. Et la famille de la première victime ?

– Je pense que certains d’entre eux habitent encore Eubanks, dit Alford. Je vais vérifier. Ne précipitons pas les choses. Le tueur n’est pas pressé, après tout. Son dernier meurtre remontait à cinq ans. Il ne va pas s’y remettre tout de suite. Prenons le temps de faire les choses bien.

Alford se leva de son siège.

– Je ferais mieux d’aller à cette conférence de presse, dit-il. Vous voulez venir ? Vous avez un communiqué à faire ?

Riley y réfléchit.

– Non, je ne crois pas, dit-elle. Il vaut mieux que le FBI garde profil bas pour le moment, et que le tueur n’ait pas trop de publicité. Il a plus de chance de se montrer s’il a l’impression de ne pas recevoir assez d’attention. Pour le moment, c’est vous le porte-parole.

– Bien, alors installez-vous, dit Alford. J’ai réservé deux chambres au B&B du coin pour vous. Et je vous ai laissé une voiture de fonction garée devant.

Il fit glisser vers elles le formulaire de réservation et un jeu de clefs. Riley et Lucy quittèrent le commissariat.


*

Plus tard dans la soirée, Riley contemplait l’avenue principale de Reedsport par la porte-fenêtre de sa chambre. La nuit tombait et les lampadaires s’allumaient. L’air était tiède et plaisant. Tout était calme : il n’y avait pas un journaliste en vue.

Alford leur avait réservé deux chambres charmantes au premier étage du B&B. La propriétaire leur avait servi un délicieux souper, puis Riley et Lucy avaient passé une heure dans le lobby pour discuter de la marche à suivre.

Reedsport était une petite ville pittoresque. En d’autres circonstances, Riley aurait aimé y passer des vacances. Comme son esprit s’éloignait du meurtre de la veille, des questions plus familières revinrent la préoccuper.

Elle n’avait pas pensé à Peterson jusqu’à maintenant. Il était là, quelque part, et elle le savait, mais personne ne voulait y croire. Avait-elle eu raison d’abandonner le navire comme elle l’avait fait ? Aurait-elle dû essayer de convaincre quelqu’un ?

Elle frissonnait en pensant que deux meurtriers – Peterson et celui qui avait tué deux femmes ici – vivaient tranquillement leurs vies en ce moment même. Combien d’autres dans l’état, dans le pays tout entier ? Pourquoi la culture américaine – l’humanité en général – devait-elle souffrir ce genre d’individus ?

Que pouvaient-ils bien faire en ce moment ? Complotaient-ils quelque part, dans un endroit isolé, ou passaient-ils du temps avec de la famille et des amis – avec des gens innocents qui ne se doutaient pas de leur noirceur ?

Riley n’avait aucun moyen de le savoir, et c’était son boulot de le découvrir.

Elle pensa également à April, avec inquiétude. Elle n’avait pas aimé la laisser chez son père, mais qu’aurait-elle pu faire d’autre ? Riley savait qu’elle aurait fini par reprendre une affaire, même si cela n’avait pas été celle-ci. Son travail était trop important pour lui laisser le temps de s’occuper d’une adolescente rebelle. Riley n’était pas assez souvent à la maison.

Sur un coup de tête, elle sortit son téléphone et lui envoya un sms :

Salut April. Ça va ?

La réponse ne se fit pas attendre.

Je vais bien Maman. Et toi ? T’as résolu le mystère ?

Riley mit du temps à comprendre que April parlait de sa nouvelle affaire.

Pas encore, tapa-t-elle.

April répondit.

T’y arriveras bientôt.

Riley sourit devant la confiance de sa fille. Elle tapa :

Tu veux parler ? Je peux t’appeler.

Elle attendit quelques secondes la réponse de April.

Pas maintenant. Ça va.

Riley ne fut pas sûre de savoir ce que cela signifiait. Son cœur se serra un peu.

OK, tapa-t-elle. Bonne nuit. Je t’aime.

Elle reposa son téléphone et tourna son regard vers la nuit qui s’assombrissait. Elle sourit avec nostalgie en pensant à la question de April…

« T’as résolu le mystère ? »

Le mot « mystère » aurait pu décrire bien des choses dans la vie de Riley. Et elle n’était pas prête de les résoudre.

Elle scruta l’avenue, imaginant la voiture du tueur traverser la ville en direction de la voie ferrée. Il s’était montré téméraire, encore plus quand il avait pris le temps de suspendre le corps au poteau électrique, sous les spots de l’entrepôt.

Son mode opératoire avait beaucoup changé en cinq ans. Après avoir jeté sans cérémonie le premier corps dans le fleuve, il avait accroché le deuxième à la vue de tous. Il ne semblait pas particulièrement organisé, mais il devenait plus obsessif. Quelque chose dans sa vie avait dû changer. Mais quoi ?

Riley savait qu’une telle escalade d’audace représentait souvent un désir croissant pour la publicité et la gloire. C’était d’ailleurs le cas du dernier tueur que Riley avait traqué. Mais, cette fois, l’analyse ne paraissait pas juste. Quelque chose soufflait à Riley que ce tueur n’était pas seulement petit et faible, il devait être également effacé, voire humble.

Il n’aimait pas tuer, Riley en était presque sûre. Et ce n’était pas la gloire qui avait motivé sa témérité. C’était un désespoir profond. Peut-être même le remords ou un désir à demi conscient d’être retrouvé.

Riley savait d’expérience que les tueurs étaient le plus dangereux quand ils commençaient à se rebeller contre eux-mêmes.

Riley repensa aux mots du commissaire Alford :

« Le tueur n’est pas pressé, après tout. »

Riley fut persuadée qu’il se trompait.




Chapitre 10


Quand le médecin légiste, un quinquagénaire en surpoids, étala des photos sur le bureau du commissaire Alford, Riley ressentit un élan de compassion. Les clichés représentaient les détails sordides de l’autopsie de Rosemary Pickens. Ben Tooley, le médecin, paraissait nauséeux. Il était sans doute plus habitué aux infarctus et aux AVC. Il semblait n’avoir pas fermé l’œil de la nuit et elle réalisa qu’il avait dû travailler tard. Et, quand il s’était enfin couché, il avait dû avoir du mal à trouver le sommeil.

C’était le matin. Riley, quant à elle, était en pleine forme. Elle avait dormi dans un lit confortable et ni les cauchemars, ni d’éventuels intrus n’avaient perturbé sa nuit. Elle avait eu bien besoin de ce repos. Lucy et le commissaire Alford semblaient également bien réveillés. Quant au médecin, c’était une autre histoire…

– C’est aussi terrible que le meurtre de Marla Blainey, il y a cinq ans, dit Tooley. Pire, peut-être. Mon Dieu, après celui-là, j’avais espéré qu’on pourrait laisser tout ça derrière nous. Mais non.

Tooley montra au groupe un gros plan de la nuque de la victime. Une blessure profonde et large était visible et les cheveux tout autour étaient maculés de sang.

– Elle a reçu un coup qui a endommagé l’os pariétal, dit-il. Un coup assez violent pour fissurer le crâne et qui a probablement provoqué une commotion cérébrale, peut-être même un bref évanouissement.

– Quel genre d’objet aurait pu être utilisé ? demanda Riley.

– Etant donné l’état de l’os et des cheveux, je dirais une chaîne assez lourde. Marla Blainey portait la même trace au même endroit.

Alford secoua la tête.

– Ce type est à fond sur les chaînes, dit-il. Les journalistes le surnomment déjà « le tueur aux chaînes ».

Lucy pointa du doigt un gros plan de l’abdomen.

– Vous pensez qu’elle a été battue ? demanda-t-elle. Ces bleus sont très vilains.

– Oui, ils sont vilains, mais elle n’a pas été battue, dit Tooley. Son corps a longtemps été comprimé par des chaînes très serrées et par sa camisole. Elle a passé beaucoup de temps dans un état de grande souffrance. Comme Marla Blainey.

Le groupe se tut un moment, pour assimiler l’information.

Enfin, Lucy dit :

– Nous savons qu’il est petit et pas très costaud – et nous partons du principe que c’est un homme. Il a assommé les deux femmes d’un coup sec sur la nuque. Alors qu’elles étaient inconscientes ou sonnées, il les a chargées dans un véhicule.

Riley hocha la tête en signe d’assentiment. Cela paraissait une bonne explication.

– Comment a-t-elle été traitée pendant sa captivité ? demanda Alford.

Tooley battit les photos comme des cartes pour retrouver les images du corps disséqué.

– Très mal, dit-il. Je n’ai rien trouvé dans son estomac. Ni dans ses intestins. Il a dû la garder en vie en lui donnant de l’eau, mais il n’essayait pas de l’affamer. Cela lui aurait pris beaucoup plus de temps. Il essayait peut-être de l’affaiblir. Encore une fois, même chose pour Marla Blainey. La gorge tranchée, c’est ça qui a causé la mort.





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Des femmes sont retrouvées mortes dans l’état de New York, leurs corps suspendus par des chaînes. Quand le FBI est appelé en renfort, ils n’hésitent pas une seule seconde devant la nature étrange des meurtres – et l’absence de pistes crédibles. Ils savent qu'un seul agent pourra résoudre l'enquête : l'agent spécial Riley Paige. Secouée par sa précédente affaire, Riley hésite. Elle est convaincue qu’un tueur en série – son ancien tourmenteur – la harcèle. Cependant, elle sait que sa capacité à pénétrer les esprits malades et sa nature obsessive seront nécessaires pour venir à bout de l’enquête. Elle ne peut tout simplement pas refuser – même si cela doit la pousser dans ses derniers retranchements. Ses recherches l’emportent très loin, entre les illusions du tueur, un orphelinat, une prison, dans l’espoir de cerner sa psychose. Quand elle réalise qu’elle a affaire à un véritable psychopathe, elle comprend qu’il frappera à nouveau très bientôt. Mais la propre carrière de Riley est en jeu et sa famille est devenue une cible. Sa psyché fragile menace de s’effondrer sous le poids des responsabilités. Pour elle, c’est trop – et trop tard. Sombre thriller psychologique au suspense insoutenable, REACTION EN CHAINE est la deuxième enquête d’une nouvelle série de thrillers qui met en scène un personnage principal attachant et qui vous poussera à lire jusqu'à tard dans la nuit. Le tome 3 des enquêtes de Riley Paige sera bientôt disponible.

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