Книга - Les vacances / Каникулы. Книга для чтения на французском языке

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Les vacances / Каникулы. Книга для чтения на французском языке
София де Сегюр


Чтение в оригинале (Каро)Littérature classique (Каро)
В книге графиня Софья де Сегюр, детская писательница и сказочница, описывает жизнь в своем имении Нуэт, в Нормандии.

На каникулы в имение съезжаются внуки и внучки графини, которые обожают слушать бабушкины сказки и с нетерпением ждут летних приключений.

Произведения де Сегюр многократно переиздавались, переводились на разные языки, большинство из них были экранизированы. Ее книги, написанные более ста лет назад, продолжают покорять сердца по сей день, ведь они открывают читателю волшебный мир детства.

Издание содержит неадаптированный текст, снабженный постраничными комментариями.

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Comtesse de Ségur

Les Vacances





© Каро, 2021

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Comtesse de Ségur (Sophie Rostopchine), femme de lettres française



Saint-Pétersbourg 1799 – Paris 1874

Fille du comte Rostopchine, Sophia Rostopchina quitte la Russie à la suite de son père, tombé en disgrâce. Elle s’installe en France (en 1817) où elle épouse le comte Eugène de Ségur en 1819. Négligée par son mari, elle passe une grande partie de sa vie dans sa propriété de Nouettes (Orne) qui l’inspire souvent pour le décor de ses ouvrages pour la jeunesse. Ses récits, faits essentiellement pour ses petits-enfants, ont rapidement un grand succès: Les Petites Filles modèles (1858), Les Mémoires d’un âne (1860), Les Malheurs de Sophie (1864), Le Général Dourakine (1864), Un bon petit diable (1865).



    [D’après Le Petit Robert 2004]




I. Arrivée


Tout était en l’air[1 - tout était en l’air – все стояло вверх дном] au château de Fleurville. Camille et Madeleine de Fleurville, Marguerite de Rosbourg et Sophie Fichini, leurs amies, allaient et venaient[2 - allaient et venaient – бегали взад-вперед], montaient et descendaient l’escalier, couraient dans les corridors, sautaient, riaient, criaient, se poussaient. Les deux mamans, Mme de Fleurville et Mme de Rosbourg, souriaient à cette agitation, qu’elles ne partageaient pas, mais qu’elles ne cherchaient pas à calmer; elles étaient assises dans un salon qui donnait sur le chemin d’arrivée. De minute en minute[3 - de minute en minute – с минуту на минуту], une des petites filles passait la tête à la porte et demandait: «Eh bien, arrivent-ils?

– Pas encore, chère prtite, répondait une des mamans.

– A! tant mieux, nous n’avons pas encore fini.»

Et elle repartait comme une flèche[4 - repartait comme une flèche – убегала стремглав].

«Mes amies, ils n’arrivent pas encore; nous avons le temps de tout finir.


CAMILLE

Tant mieux! Sophie, va vite au potager demander des fleurs…


SOPHIE

Quelles fleurs faut-il demander?


MADELEINE

Des dahlias et du réséda: ce sera facile à arranger, et l’odeur en sera agréable et pas trop forte.


MARGUERITE

Et moi, Camille, que dois-je faire?


CAMILLE

Toi, cours avec Madeleine chercher de la mousse pour cacher les queues des fleurs. Moi, je vais laver les vases à la cuisine, et j’y mettrai de l’eau.»

Sophie courut au potager et rapporta un grand panier rempli de beaux dahlias et de réséda qui embaumait.

Marguerite et Madeleine ramenèrent une brouette de mousse.

Camille apporta quatre vases bien lavés, bien essuyés et pleins d’eau.

Les quatre petites se mirent à l’ouvrage avec une telle activité, qu’un quart d’heure après, les vases étaient pleins de fleurs gracieusement arrangées; les dahlias étaient entremêlés de branches de réséda. Elles en portèrent deux dans la chambre destinée à leurs cousins Léon et Jean de Rugès, et deux dans la chambre du petit cousin Jacques de Traypi.


CAMILLE, regardant de tous côtés

Je crois que tout est fini maintenant; je ne vois plus rien à faire.


MADELEINE

Jacques sera enchanté de sa chambre; elle est charmante!


SOPHIE

La collection d’images que nous avons mise sur la table va l’amuser beaucoup.


MARGUERITE

Je vais voir s’ils arrivent!


CAMILLE

Oui, va, nous te suivons.»

Marguerite partit en courant, et, avant que ses amies eussent pu la rejoindre[5 - avant que ses amies eussent pu la rejoindre – раньше, чем подруги могли пойти с ней], elle reparut haletante et criant:

«Les voilà! les voitures ont passé la barrière, et elles entrent dans le bois.»

Camille, Madeleine et Sophie se précipitèrent vers le perron, où elles trouvèrent leurs mamans: elles auraient bien voulu courir au-devant de leurs cousins, mais les mamans les en empêchèrent.

Quelques instants après, les voitures s’arrêtaient devant le perron aux cris de joie des enfants. M. et Mme de Rugès et leurs deux fils, Léon et Jean, descendirent de la première. M. et Mme de Traypi et leur petit Jacques descendirent de la seconde. Pendant quelques instants ce fut un tumulte, un bruit, des exclamations à étourdir.

Léon était un beau et grand garçon blond, un peu moqueur, un peu rageur, un peu indolent et faible, mais bon garçon au fond; il avait treize ans.

Jean était âgé de douze ans; il avait de grands yeux noirs pleins de feu et de douceur; il avait du courage et de la résolution; il était bon, complaisant et affectueux.

Jacques était un charmant enfant de sept ans; il avait les cheveux châtains et bouclés, les yeux pétillants d’esprit et de malice, les joues roses, l’air décidé, le cœur excellent, le caractère vif, mais jamais d’humeur ni de rancune.


CAMILLE

Comme tu es grandi, Léon!


LÉON

Comme tu es embellie, Camille!


MADELEINE

Jean a l’air d’un petit homme maintenant.


JEAN

Un vrai homme, tu veux dire, comme toi tu as l’air d’une vraie demoiselle.


MARGUERITE

Mon cher petit Jacques, que je suis contente de te revoir! comme nous allons jouer!


JACQUES

Oh oui! nous ferons beaucoup de bêtises, comme il y a deux ans!


MARGUERITE

Te rappelles-tu les papillons que nous attrapions?


JACQUES

Et tous ceux que nous manquions?


MARGUERITE

Et ce pauvre crapaud que nous avons mis sur une fourmilière[6 - une fourmilière – муравейник]?


JACQUES

Et ce petit oiseau que je t’avais déniché, et qui est mort parce que je l’avais trop serré dans mes mains?

«Oh! que nous allons nous amuser!» s’écrièrent-ils ensemble en s’embrassant pour la vingtième fois.

Sophie seule restait à l’écart; on l’avait embrassée en descendant de voiture; mais elle sentait que, ne faisant pas partie de la famille[7 - ne faisant pas partie de la famille – поскольку она не являлась членом семьи], n’ayant été admise à Fleurville que par suite de l’abandon de sa belle-mère, elle ne devait pas se mêler indiscrètement à la joie générale. Jean s’aperçut le premier de l’isolement de la pauvre Sophie, et, s’approchant d’elle, il lui prit les mains en lui disant avec affection:

«Ma chère Sophie, je me suis toujours souvenu de ta complaisance pour moi lors de mon dernier séjour à Fleurville; j’étais alors un petit garçon; maintenant que je suis plus grand, c’est moi qui te rendrai des services à mon tour.


SOPHIE

Merci de ta bonté, mon bon Jean! merci de ton souvenir et de ton amitié pour la pauvre orpheline[8 - orpheline f – сирота].


CAMILLE

Sophie, chère Sophie, tu sais bien que nous sommes tes sœurs, que maman est ta mère! pourquoi nous affliges-tu en t’attristant toi-même?


SOPHIE

Pardon, bonne Camille; oui, j’ai tort! j’ai réellement trouvé ici une mère et des sœurs.

– Et des frères, s’écrièrent ensemble Léon, Jean et Jacques.

– Merci, mes chers frères, dit Sophie en souriant. J’ai une famille dont je suis fière.

– Et heureuse, n’est-ce pas? dit tout bas Marguerite d’un ton caressant et en l’embrassant.

– Chère Marguerite! répondit Sophie en lui rendant son baiser[9 - en lui rendant son baiser – уст. целуя ее].

– Mes enfants, mes enfants! descendez vite; venez goûter», dit Mme de Fleurville qui était restée en bas avec ses sœurs et ses beaux-frères.

Les enfants ne se firent point répéter une si agréable invitation[10 - les enfants ne se firent point répéter une si agréable invitation – детям не надо было повторять дважды столь приятное приглашение]; ils descendirent en courant et se trouvèrent dans la salle à manger, autour d’une table couverte de fruits et de gâteaux.

Tout en mangeant, ils formaient des projets pour le lendemain.

Léon arrangeait une partie de pêche, Jean arrangeait des lectures à haute voix. Jacques dérangeait tout; il voulait passer toute la journée avec Marguerite pour attraper des papillons et les piquer dans ses boîtes, pour dénicher des oiseaux, pour jouer aux billes, pour regarder et copier les images. Il voulait avoir Marguerite le matin, l’après-midi, le soir. Elle demandait qu’il lui laissât la matinée jusqu’au déjeuner pour travailler.


JACQUES

Impossible! c’est le meilleur temps pour attraper les papillons.


MARGUERITE

Eh bien, laisse-moi travailler d’une heure à trois.


JACQUES

Encore plus impossible; c’est justement le temps qu’il nous faudra pour arranger nos papillons, étendre leurs ailes, les piquer sur les planches de liège.


MARGUERITE

Comment, les piquer! Pauvres bêtes! Je ne veux pas les faire souffrir et mourir si cruellement.


JACQUES

Ils ne souffriront pas du tout; je leur serre la poitrine pour les étouffer avant de les piquer; ils meurent tout de suite.


MARGUERITE

Tu es sûr qu’ils meurent, qu’ils ne souffrent plus?


JACQUES

Très sûr, puisqu’ils ne bougent plus.


MARGUERITE

Mais, Jacques, tu n’as pas besoin de moi pour arranger tes papillons?


JACQUES

Oh! ma petite Marguerite, tu es si bonne, je t’aime tant! je m’amuse tant avec toi et je m’ennuie tant tout seul!


LÉON

Et pourquoi veux-tu avoir Marguerite pour toi tout seul? Nous voulons aussi l’avoir; quand nous pêcherons, elle viendra avec nous.


JACQUES

Vous êtes déjà cinq! Laissez-moi ma chère Marguerite pour m’aider à arranger mes papillons…


MARGUERITE

Écoute, Jacques. Je t’aiderai pendant une heure; ensuite nous irons pêcher avec Léon.»

Jacques grogna un peu. Léon et Jean se moquèrent de lui. Camille et Madeleine l’embrassèrent et lui firent comprendre[11 - lui firent comprendre – дали ему понять] qu’il ne fallait pas être égoïste, qu’il fallait être bon camarade et sacrifier quelquefois son plaisir à celui des autres. Jacques avoua qu’il avait tort, et il promit de faire tout ce que voudrait sa petite amie Marguerite.

Le goûter était fini; les enfants demandèrent la permission d’aller se promener et partirent en courant à qui arriverait le plus vite au jardin de Camille et de Madeleine. Ils le trouvèrent plein de fleurs, très bien bêché et bien cultivé.


JEAN

Il vous manque une petite cabane pour mettre vos outils, et une autre pour vous mettre à l’abri de la pluie, du soleil et du vent.


CAMILLE

C’est vrai, mais nous n’avons jamais pu réussir à en faire une; nous ne sommes pas assez fortes.


LÉON

Eh bien, pendant que nous sommes ici, Jean et moi nous bâtirons une maison.


JACQUES

Et moi aussi, j’en bâtirai une pour Marguerite et pour moi.


LÉON, riant

Ha! ha! ha! Voilà un fameux ouvrier! Est-ce que tu sauras comment t’y prendre?


JACQUES

Oui, je le saurai, et je la ferai.


MADELEINE

Nous t’aiderons, mon petit Jacques, et je suis bien sûre que Léon et Jean t’aideront aussi.


JACQUES

Je veux bien que tu m’aides, toi, Madeleine, et Camille aussi, et Sophie aussi; mais je ne veux pas de Léon, il est trop moqueur.


JEAN, riant

Et moi, Jacques, Ta Grandeur voudra-t-elle accepter mon aide?


JACQUES, fâché

Non, monsieur, je ne veux pas de toi non plus; je veux te montrer que Ma Grandeur est bien assez puissante pour se passer de toi[12 - se passer de toi – обойтись без тебя].


SOPHIE

Mais comment feras-tu, mon pauvre Jacques, pour atteindre au haut d’une maison assez grande pour nous tenir tous?


JACQUES

Vous verrez, vous verrez; laissez-moi faire: j’ai mon idée.»

Et il dit quelques mots à l’oreille de Marguerite, qui se mit à rire et lui répondit bas aussi:

«Très bien, très bien, ne leur dis rien jusqu’à ce que ce soit fini.»

Les enfants continuèrent leur promenade; on mena les cousins au potager, où ils passèrent en revue tous les fruits, mais sans y toucher, puis à la ferme, où ils visitèrent la vacherie, la bergerie, le poulailler, la laiterie; ils étaient tous heureux; ils riaient, ils couraient, grimpant sur des arbres, sautant des fossés, cueillant des fleurs pour en faire des bouquets qu’ils offraient à leurs cousines et à leurs amies. Jacques donnait les siens à Marguerite. Ceux de Jean étaient pour Madeleine et Sophie; Léon réservait les siens à Camille. Ils ne rentrèrent que pour dîner. La promenade leur avait donné bon appétit; ils mangèrent à effrayer leurs parents. Le dîner fut très gai. Aucun d’eux n’avait peur de ses parents: pères, mères, enfants riaient et causaient gaiement. Après le dîner, on fit tous ensemble une promenade dans les champs, et l’on rapporta une quantité de bluets[13 - bluets m pl (= bleuets m pl) – васильки]; le reste de la soirée se passa à faire des couronnes pour les demoiselles; Léon, Jean, Jacques aidaient; ils coupaient les queues trop longues, préparaient le fil, cherchaient les plus beaux bluets. Enfin arriva l’heure du coucher des plus jeunes. Sophie, Marguerite et Jacques, puis des plus grands, et enfin l’heure du repos pour les parents. Le lendemain on devait commencer les cabanes, attraper des papillons, pêcher à la pièce d’eau, lire, travailler, se promener; il y avait de l’occupation pour vingt-quatre heures au moins.




II. Les cabanes


Les enfants étaient en vacances, et tous avaient congé; les papas et les mamans avaient déclaré que, pendant six semaines, chacun ferait ce qu’il voudrait du matin au soir, sauf deux heures réservées au travail.

Le lendemain de l’arrivée des cousins, on s’éveilla de grand matin[14 - s’éveilla de grand matin – проснулись рано утром].

Marguerite sortit sa tête de dessous sa couverture et appela Sophie, qui dormait profondément; Sophie se réveilla en sursaut et se frotta les yeux.

«Quoi? qu’est-ce? Faut-il partir? Attends, je viens.»

En disant ces mots, elle retomba endormie sur son oreiller.

Marguerite allait recommencer, lorsque la bonne, qui couchait près d’elle, lui dit:

«Taisez-vous donc, mademoiselle Marguerite; laissez-nous dormir; il n’est pas encore cinq heures; c’est trop tôt pour se lever.

Dieu! que la nuit est longue aujourd’hui! quel ennui de dormir!»

Et, tout en songeant aux cabanes et aux plaisirs de la journée, elle aussi se rendormit.

Camille et Madeleine, éveillées depuis longtemps, attendaient patiemment que la pendule sonnât sept heures et leur permît de se lever sans déranger leur bonne, Elisa, qui, n’ayant pas de cabane à construire, dormait paisiblement.

Léon et Jean s’étaient éveillés et levés à six heures; ils finissaient leur toilette et leur prière lorsque leurs cousines se levaient.

Jacques avait eu, avant de se coucher, une conversation à voix basse avec son père et Marguerite; on les voyait causer avec animation; on les entendait rire; de temps en temps, Jacques sautait, battait des mains et embrassait son papa et Marguerite; mais ils ne voulurent dire à personne de quoi ils avaient parlé avec tant de chaleur et de gaieté. Le lendemain, quand Léon et Jean allèrent éveiller Jacques, ils trouvèrent la chambre vide.


JEAN

Comment! déjà sorti! À quelle heure s’est-il donc levé?


LÉON

Écoute donc; un premier jour de vacances on veut s’en donner des courses, des jeux, des promenades. Nous le retrouverons dans le jardin. En attendant mes cousines et nos amies, allons faire un tour à la ferme; nous déjeunerons avec du bon lait tout chaud et du pain bis.»

Jean approuva vivement ce projet; ils arrivèrent au moment où l’on finissait de traire les vaches[15 - traire les vaches – доить коров]. La fermière, la mère Diart, les reçut avec empressement. Après les premières phrases de bonjour et de bienvenue, Léon demanda du lait et du pain bis[16 - pain m bis – ситный хлеб].

La mère Diart s’empressa de les servir.

«Allons, la grosse, cria-t-elle à une lourde servante qui apportait deux seaux pleins de lait, donne du lait tout chaud à ces messieurs. Passe-le.... Plus vite donc! Est-elle pataude! Pardon, messieurs, elle n’est pas prompte, voyez-vous.... Pose tes seaux; j’aurai plus tôt fait que toi.... Cours chercher un pain dans la huche.... Voilà, messieurs; à votre service tout ce qu’il vous plaira de demander.»

Léon et Jean remercièrent la fermière et se mirent à manger avec délices ce bon lait tout chaud et ce pain de ménage, à peine sorti du four et tiède encore.

«Assez, assez, Jean, dit Léon. Si nous étouffons, nous ne serons plus bons à rien. N’oublie pas que nous avons nos cabanes à commencer. Nous aurons fini les nôtres avant que ce petit vantard de Jacques[17 - ce petit vantard de Jacques – этот хвастунишка Жак] ait pu seulement commencer la sienne.


JEAN

Hé! hé! Je ne dis pas cela, moi. Jacques est fort; il est très vif et intelligent; il est résolu, et, quand il veut, il veut ferme.


LÉON

Laisse donc! ne vas-tu pas croire qu’il saura faire une maison à lui tout seul, aidé seulement par Sophie et Marguerite?


JEAN

Je n’en sais rien; nous verrons.


LÉON

C’est tout vu d’avance, mon cher. Il fera chou blanc[18 - il fera chou blanc – его ожидает провал].


JEAN

Ou chou pommé[19 - chou pommé – полный провал]. Tu verras, tu verras.


LÉON

Ce que tu dis là est d’une niaiserie pommée. Ha! ha! Un petit gamin de sept ans architecte, maçon.


LEAN

C’est bon! tu riras après; en attendant, viens chercher nos cousines; il va être huit heures.»

Ils coururent à la maison, allèrent frapper à la porte de leurs cousines, qui les attendaient et qui leur ouvrirent avec empressement. Ils se demandérent réciproquement des nouvelles de leur nuit, et descendirent pour courir à leur jardin et commencer leur cabane. En approchant, ils furent surpris d’entendre frapper comme si on clouait des planches.


CAMILLE

Qui est-ce qui peut cogner dans notre jardin?


MADELEINE

C’est sans doute[20 - sans doute (= peut-être) – может быть, вероятно] dans le bois.


CAMILLE

Mais non, les coups semblent venir du jardin.


LÉON

Ah! voici Marguerite; elle nous dira ce que c’est.»

Au même instant, Marguerite cria très haut: «Léon, Jean, bonjour; Sophie et Jacques sont avec moi.

– Ne crie donc pas si fort, dit Jean en souriant, nous ne sommes pas sourds.»

Marguerite courut à eux, les arrêta pour les embrasser tous, puis ils prirent le chemin qui menait au jardin, en tournant un peu court dans le bois.

Quelle ne fut pas leur surprise en voyant Jacques, le pauvre petit Jacques, armé d’un lourd maillet et clouant des planches aux piquets qui formaient les quatre coins de sa cabane. Sophie l’aidait en soutenant les planches.

Jacques avait très bien choisi l’emplacement de sa maisonnette; il l’avait adossé à des noisetiers qui formaient un buisson très épais et qui l’abritaient d’un soleil trop ardent. Mais ce qui causa aux cousins une vive surprise, ce fut la promptitude du travail de Jacques et la force et l’adresse avec lesquelles il avait placé et enfoncé les gros piquets qui devaient recevoir les planches avec lesquelles il formait les murs. La porte et une fenêtre étaient déjà indiquées par des piquets pareils à ceux qui faisaient les coins de la maison.

Ils s’étaient arrêtés tous quatre; leur étonnement se peignait si bien sur leurs figures que Jacques, Marguerite et Sophie ne purent s’empêcher de sourire, puis d’éclater de rire. Jacques jeta son maillet à terre pour rire plus à son aise.

Enfin Léon s’avança vers lui.


LÉON, avec humeur

Pourquoi et de quoi ris-tu?


JACQUES

Je ris de vous tous et de vos airs étonnés.


JEAN

Mais, mon petit Jacques, comment as-tu pu faire tout cela, et comment as-tu eu la force de porter ces lourds piquets et ces lourdes planches?


JACQUES, avec malice

Marguerite et Sophie m’ont aidé.»

Léon et Jean hochèrent la tête d’un air incrédule; ils tournèrent autour de la cabane, regardèrent partout d’un air méfiant, pendant que Camille et Madeleine s’extasiaient devant l’habileté de Jacques et admiraient la promptitude avec laquelle il avait travaillé.


CAMILLE

À quelle heure t’es-tu donc levé, mon petit Jacques?


JACQUES

À cinq heures, et à six j’étais ici avec mes piquets, mes planches et tous mes outils. Tenez, mes amis, prenez les outils maintenant: chacun son tour.


LÉON

Non, Jacques, continue, nous voudrions te voir travailler, pour prendre des leçons de ton grand génie.»

Jacques jeta à Marguerite et à Sophie un coup d’œil d’intelligence et répondit en riant:

«Mais nous travaillons depuis longtemps, et nous sommes fatigués. Nous allons à présent courir après les papillons.


LÉON avec ironie

Pour vous reposer sans doute?


MADELEINE

Précisément, pour nous reposer les mains et l’esprit.»

Et ils partirent en riant et en sautant.

Léon les regarda s’éloigner et dit:

«Ils ne ressemblent guère à des gens fatigués.»

Au même instant Camille et Madeleine se rapprochèrent avec inquiétude de Léon et de Jean.


CAMILLE

J’ai entendu les branches craquer dans le buisson.


MADELEINE

Et moi aussi; entendez-vous? On s’éloigne avec précaution.»

Pendant que Léon reculait en s’éloignant prudemment du buisson et des bois, Jean saisissait le maillet de Jacques et s’élançait devant ses cousines pour les protéger.

Ils écoutèrent quelques instants et n’entendirent plus rien. Léon alors dit d’un air mécontent:

«Vous vous êtes trompées; il n’y a rien du tout. Laisse donc ce maillet[21 - ce maillet – деревянный молоток], Jean; tu prends un air matamore[22 - tu prends un air matamore – ты похож на хвастуна] en pure perte; il n’y a aucun ennemi pour se mesurer avec toi.


MADELEINE

Merci, Jean; s’il y avait eu du danger, tu nous aurais défendues bravement.


CAMILLE

Léon, pourquoi plaisantes-tu du courage de Jean? Il pouvait y avoir du danger, car je suis sûre d’avoir entendu marcher avec précaution dans le fourré, comme si on voulait se cacher.


LÉON, d’un air moqueur

Je préfère la prudence du serpent au courage du lion.


JEAN

Il est certain que c’est plus sûr.»

Camille, qui pressentait une dispute, changea la conversation en parlant de leur cabane. Elle demanda qu’on choisît l’emplacement; après bien des incertitudes, ils décidèrent qu’on la bâtirait en face de celle de Jacques. Ensuite ils allèrent chercher des pièces de bois et les planches nécessaires pour la construction. Ils firent leur choix dans un grand hangar où il y avait du bois de toute espèce. Ils chargèrent leurs planches et leurs piquets sur une petite charrette à leur usage; Léon et Jean s’attelèrent au brancard, Camille et Madeleine poussaient derrière, et ils partirent au trot, passant en triomphe devant Jacques, Marguerite et Sophie, qui couraient dans le pré après les papillons; ceux-ci allèrent se ranger en ligne au coin du bois et leur présentèrent les armes avec leurs filets à papillons, tout en riant d’un air malicieux. Jean, Camille et Madeleine rirent aussi d’un air joyeux; Léon devint rouge et voulut s’arrêter; mais Jean tirait, Camille et Madeleine poussaient, et Léon dut marcher avec eux.

Bientôt après, la cloche du déjeuner se fit entendre[23 - se fit entendre – послышался]; les enfants laissèrent leur ouvrage et montèrent pour se laver les mains, donner un coup de peigne à leurs cheveux et un coup de brosse à leurs habits.

On se mit à table: M. de Traypi demanda des nouvelles des cabanes.

«Marchent-elles bien, vos constructions? Êtes-vous bien avancés, vous autres grands garçons? Quant à mon pauvre Jacquot, je présume qu’il en est encore au premier piquet. Hé, Léon?


LÉON, d’un air de dépit

Mais, non, mon oncle; nous ne sommes pas très avancés; nous commençons seulement à placer les quatre piquets des coins.


M. DE TRAYPI

Et Jacques, hé, où en est-il?


LÉON, de même

Je ne sais pas comment il a fait, mais il a déjà commencé comme nous.


MARGUERITE

Dis donc aussi qu’il est bien plus avancé que vous autres, grands et forts, puisqu’il cloue déjà les planches des murs.


M. DE TRAYPI

Ha! ha! Jacques n’est donc pas si mauvais ouvrier que tu craignais hier, Léon?»

Léon ne répondit rien et rougit. Tout le monde se mit à rire; Jacques, qui était à côté de son père, lui prit la main et la baisa furtivement. On parla d’autres choses; de bons gâteaux avec du chocolat mousseux mirent la joie dans tous les cœurs et dans tous les estomacs. Après le déjeuner, les enfants voulurent mener leurs parents dans leur jardin pour voir l’emplacement et le commencement des maisonnettes, mais les parents déclarèrent tous qu’ils ne les verraient que terminées; ils firent alors ensemble une petite promenade dans le bois, pendant laquelle Léon arrangea une partie de pêche.

«Jean et moi, dit-il, nous allons préparer les lignes et les hameçons[24 - préparer les lignes et les hameçons – готовить удочки и рыболовные крючки]; en attendant, allez, je vous prie, mes chères cousines, demander des vers au jardinier; vous les ferez mettre dans un petit pot pour qu’ils ne s’echappent pas.»

Camille et Madeleine coururent au jardin, où leurs cousins ne tardèrent pas à les rejoindre[25 - ne tardèrent pas à les rejoindre – не преминули к ним присоединиться]; en quelques minutes le jardinier leur remplit un petit pot avec des vers superbes, et ils allèrent à la pièce d’eau, où ils trouvèrent Jacques, Marguerite et Sophie, qui avaient préparé un seau pour y mettre les poissons et du pain pour les attirer.

La pêche fut bonne; vingt et un poissons passèrent de la pièce d’eau dans le seau qui était leur prison de passage; ils ne devaient en sortir que pour périr par le fer et par le feu de la cuisine. La pêche était déjà bien en train, et l’on ne s’était pas encore aperçu que Jacques s’était esquivé. Madeleine fut la première qui remarqua son absence,mais elle ajouta:

«Il est probablement rentré pour arranger ses papillons.

– Les papillons qu’il n’a pas pris», dit Marguerite en riant, à l’oreille de Sophie.

Sophie lui répondit par un signe d’intelligence et un sourire.

«Qu’est-ce qu’il y a donc? dit Léon d’un air soupçonneux. Je ne sais pas ce qu’elles complotent, mais elles ont depuis ce matin, ainsi que Jacques, un air riant, mystérieux, narquois, qui n’annonce rien de bon.


MARGUERITE, riant

Pour vous ou pour nous?


LÉON

Pour tous; car, si vous nous jouez des tours[26 - si vous nous jouez des tours – если вы с нами сыграете шутку] à Jean et à moi, nous vous en jouerons aussi.


JEAN

Oh! ne me craignez pas, mes chères amies: jouez-moi tous les tours que vous voudrez, je ne vous les rendrai jamais.


MARGUERITE

Que tu es bon, toi, Jean! Marguerite en allant à lui et lui serrant les mains. Ne crains rien, nous ne te jouerons jamais de méchants tours.


SOPHIE

Et nous sommes bien sûres que vous nous permettrez des tours innocents.


JEAN, riant

Ah! il y en a donc en train? Je m’en doutais[27 - je m’en doutais – я так и думал]. Je vous préviens que je ferai mon possible pour les déjouer[28 - je ferai mon possible pour les déjouer – я сделаю все, чтобы их разоблачить].


MARGUERITE

Impossible, impossible; tu ne pourras jamais.


JEAN

C’est ce que nous verrons.


LÉON

Voilà près de deux heures que nous pêchons, nous avons plus de vingt poissons; je pense que c’est assez pour aujourd’hui. Qu’en dites-vous, mes cousines?


CAMILLE

Léon a raison; retournons à nos cabanes, qui ne sont pas trop avancées; tâchons de rattraper Jacques, qui est le plus petit et qui a bien plus travaillé que nous.


JEAN

C’est précisément ce que je ne peux comprendre, Sophie, toi qui travailles avec lui, dis-moi donc comment il se fait[29 - comment il se fait – как могло получиться] que vous ayez fait l’ouvrage de deux hommes, tandis que nous avons à peine[30 - à peine – едва ли, только] enfoncé les piquets de notre maison.


SOPHIE, embarrassée

Mais…, je ne sais,… je ne peux pas savoir.


MARGUERITE, vivement

C’est tout bonnement parce que nous sommes très bons ouvriers, très actifs, que nous ne perdons pas une minute, que nous travaillons comme des nègres.


MADELEINE

Savez-vous, mes amis, ce que nous faisons, nous autres? Nous ne faisons rien et nous perdons notre temps. Je suis sûre que Jacques est à l’ouvrage pendant que nous nous demandons comment il a fait pour tant avancer.

– Alons voir, allons voir, s’écrièrent tous les enfants, à l’exception de Marguerite et de Sophie.

– Il faut d’abord ranger nos lignes et nos hameçons, dit Sophie en les retenant.

– Et porter nos poissons à la cuisine dit Marguerite.


LÉON, d’un air moqueur et contrefaisant la voix de Marguerite

Et puis les faire cuire nous-mêmes, pour donner à Jacques le temps de finir.


JEAN, riant

Attendez, je vais voir où il est.»

Et il voulut partir en courant, mais Sophie et Marguerite se jetèrent sur lui pour l’arrêter. Jean se débattait doucement en riant; Camille et Madeleine accoururent pour lui venir en aide. Marguerite se jeta à terre et saisit une des jambes de Jean.

«Arrête-le, arrête-le; prends lui l’autre jambe», cria-t-elle à Sophie. Mais Camille et Madeleine se précipitèrent sur Sophie, qui riait si fort qu’elle n’eut pas la force de les repousser. Marguerite, tout en riant aussi, s’était accrochée aux pieds de Jean, qui lui aussi, riait tellement qu’il tomba le nez sur l’herbe. Sa chute ne fit qu’augmenter la gaieté générale; Jean riait aux éclats, étendu tout de son long sur l’herbe; Marguerite, tombée de son côté, riait le nez sur la semelle de Jean. Leur ridicule attitude faisait rire aux larmes Sophie, maintenue par Camille et Madeleine, qui se roulaient à force de rire. L’air brave de Léon redoubla leur gaieté. Il se tenait debout auprès des poissons et demandait de temps en temps d’un air mécontent: «Aurez-vous bientôt fini? En avez-vous encore pour longtemps?»

Plus Léon prenait l’air digne et fâché, plus les autres riaient. Leur gaieté se ralentit enfin; ils eurent la force de se relever et de suivre Léon, qui marchait gravement, accompagné d’éclats de rire et de gaies plaisanteries. Ils approchèrent ainsi du petit bois où l’on construisait les cabanes, et ils entendirent distinctement des coups de marteau si forts et si répétés qu’ils jugèrent impossible qu’ils fussent donnés par le petit Jacques[31 - ils jugèrent impossible qu’ils fussent donnés par le petit Jacques – они сочли невозможным, что эти удары наносил малыш Жак].

«Pour le coup, dit Jean en s’échappant et en entrant dans le fourré, je saurai ce qu’il en est!

Sophie et Marguerite s’élancèrent par le chemin qui tournait dans le bois en criant: «Jacques! Jacques! garde à toi!» Léon courut de son côté et arriva le premier à l’emplacement des maisonnettes; il n’y avait personne, mais par terre étaient deux forts maillets, des clous, des chevilles, des planches, etc.

«Personne, dit Léon; c’est trop fort; il faut les poursuivre. À moi, Jean, à moi!»

Et il se précipita à son tour dans le fourré. Au bout de quelques instants[32 - au bout de quelques instants – через несколько мгновений] on entendit des cris partis du bois: «Le voilà! le voilà! il est pris! – Non, il s’échappe! – Atrape-le! à droite! à gauche!»

Sophie, Marguerite, Camille, Madeleine, écoutaient avec anxiété, tout en riant encore. Elles virent Jean sortir du bois, échevelé, les habits en désordre. Au même instant, Léon en sortit dans le même état, demandant à Jean avec empressement:

«L’as-tu vu? Où est-il? Comment l’as-tu laissé aller?[33 - comment l’as-tu laissé aller – как ты его упустил]

– Je l’ai entendu courir dans le bois[34 - je l’ai entendu courir dans le bois – я слышал, как он бегал по лесу], répondit Jean, mais, de même que toi, je n’ai pu le saisir ni même l’apercevoir.»

Pendant qu’il parlait, Jacques, rouge, essoufflé, sortit aussi du bois et leur demanda d’un air malin ce qu’il y avait, pourquoi ils avaient crié et qui ils avaient poursuivi dans le bois.


LÉON, avec humeur

Fais donc l’innocent, rusé que tu es. Tu sais mieux que nous qui nous avons poursuivi et par quel côté il s’est échappé.


JEAN

J’ai bien manqué de le prendre tout de même; sans Jacques qui est venu me couper le chemin dans un fourré, je l’aurais empoigné.


LÉON

Et tu lui aurais donné une bonne leçon, j’espère.


JEAN

Je l’aurais regardé, reconnu, et je vous l’aurais amené pour le faire travailler à notre cabane. Allons, mon petit Jacques, dis-nous qui t’a aidé à bâtir si bien et si vite ta cabane. Nous ferons semblant de ne pas le savoir, je te le promets.


JACQUES

Pourquoi feriez-vous semblant?


JEAN

Pour qu’on ne te reproche pas d’être indiscret.


JACQUES

Ha! ha! vous croyez donc que quelqu’un a eu la bonté de m’aider, que ce quelqu’un serait fâché si je vous disais son nom, et tu veux, toi Jean, que je sois lâche et ingrat, en faisant de la peine à celui qui a bien voulu se fatiguer à m’aider?


LÉON

Ta, ta, ta, voyez donc ce beau parleur de sept ans! Nous allons bien te forcer à parler, tu vas voir.


JEAN

Non, Léon, Jacques a raison; je voulais lui faire commettre une mauvaise action, ou tout au moins une indiscrétion.


LÉON

C’est pourtant ennuyeux d’être joué par un gamin.


SOPHIE

N’oublie pas, Léon, que tu l’as défié, que tu t’es moqué de lui et qu’il avait le droit de te prouver....


LÉON

De me prouver quoi?


SOPHIE

De te prouver… que…, que....


MARGUERITE, avec vivacité

Qu’il a plus d’esprit que toi et qu’il pouvait te jouer un tour innocent, sans que tu aies le droit de t’en fâcher.


LÉON, piqué

Aussi[35 - aussi – вот почему, поэтому] je ne m’en fâche pas, mesdemoiselles; soyez assurées que je saurai respecter l’esprit et la sagesse de votre protégé.


MARGUERITE, vivement

Un protégé qui deviendra bientôt un protecteur.


JACQUES, à Marguerite avec vivacité

Et qui ne se mettra pas derrière toi quand il y aura un danger à courir.


LÉON, avec colère

De quoi et de qui veux-tu parler, polisson?


JACQUES, vivement

D’un poltron et d’un égoïste.»

Camille, craignant que la dispute ne devînt sérieuse, prit la main de Léon et lui dit affectueusement:

«Léon, nous perdons notre temps; et toi, qui es le plus sage et le plus intelligent de nous tous, dirige-nous pour notre pauvre cabane si en retard, et distribue à chacun de nous l’ouvrage qu’il doit faire.

– Je me mets sous tes ordres», s’écria Jacques, qui regrettait sa vivacité.

Léon, que la petite flatterie de Camille avait désarmé, se sentit tout à fait radouci par la déférence de Jacques, et, oubliant la parole trop vive que celui-ci venait de prononcer, il courut aux outils, donna à chacun sa tâche, et tous se mirent à l’ouvrage avec ardeur. Pendant deux heures ils travaillèrent avec une activité digne d’un meilleur sort; mais leurs pièces de bois ne tenaient pas bien, les planches se détachaient, les clous se tordaient. Ils recommençaient avec patience et courage le travail mal fait, mais ils avançaient peu. Le petit Jacques semblait vouloir racheter ses paroles par un zèle au-dessus de son âge. Il donna plusieurs excellents conseils, qui furent suivis avec succès. Enfin, fatigués et suants, ils laissèrent leur maison jusqu’au lendemain, après avoir jeté un regard d’envie sur celle de Jacques déjà presque achevée. Jacques, qui avait semblé mal à l’aise depuis la querelle, les quitta pour rentrer, disait-il, et il alla droit chez son père, qui le reçut en riant.


M. DE TRAYPI

Eh bien, mon Jacquot, nous avons été serrés de près! J’ai bien manqué d’être pris! si tu ne t’étais pas jeté entre le fourré où j’étais et Jean, il m’aurait attrapé tout de même. C’est égal, nous avons bien avancé la besogne; j’ai demandé à Martin de tout finir pendant notre dîner, et demain ils seront bien surpris de voir que ton ouvrage s’est fait en dormant.

– Oh! non, papa, je vous en prie, dit Jacques en jetant ses petits bras autour du cou de son père. Laissez ma maison et faites finir celle de mes pauvres cousins.

– Comment! dit le père avec surprise, toi qui tenais tant à attraper Léon (il l’a mérité, il faut l’avouer), tu veux que je laisse ton ouvrage pour faire le sien!


JACQUES

Oui, mon cher papa, parce que j’ai été méchant pour lui, et cela me fait de la peine de le taquiner, depuis qu’il a été bon pour moi: car il pouvait et devait me battre pour ce que je lui ai dit, et il ne m’a même pas grondé.»

Et Jacques raconta à son papa la scène qui avait eu lieu au jardin.


M. DE TRAYPI

Et pourquoi l’as-tu accusé d’égoïsme et de poltronnerie, Jacques? Sais-tu que c’est un terrible reproche? Et en quoi l’a-t-il mérité?


JACQUES

Vous savez, papa, que le matin, lorsque nous nous sommes sauvés et cachés dans le bois, Camille et Madeleine, nous entendant remuer, ont cru que c’étaient des loups ou des voleurs. Jean s’est jeté devant elles, et Léon s’est mis derrière, et je voyais à travers les feuilles, à son air effrayé, que, si nous bougions encore, il se sauverait, au lieu d’aider Jean à les secourir. C’est cela que je voulais lui reprocher, papa, et c’était très méchant à moi, car c’était vrai.


M. DE TRAYPI, l’embrassant en souriant

Tu es un bon petit garçon, mon petit Jacquot; ne recommence pas une autre fois; et moi je vais faire finir leur maison pour être de moitié dans ta pénitence.»

Jacques embrassa bien fort son papa et courut tout joyeux rejoindre ses cousins, cousines et amies, qui s’amusaient tranquillement sur l’herbe.

Le lendemain, quand les enfants, accompagnés cette fois de Sophie et de Marguerite, allèrent à leur jardin surprise de les voir toutes deux entièrement finies, et même ornées de portes et de fenêtres! Ils s’arrêtèrent tout stupéfaits. Sophie, Jacques et Marguerite les regardaient en riant.

«Comment cela s’est-il fait? dit enfin Léon. Par quel miracle notre maison se trouve-t-elle achevée?

– Parce qu’il était temps de faire finir une plaisanterie qui aurait pu mal tourner, dit M. de Traypi sortant de dedans le bois. Jacques m’a raconté ce qui s’était passé hier, et m’a demandé de vous venir en aide comme je l’avais fait pour lui dès le commencement. D’ailleurs, ajouta-t-il en riant, j’ai eu peur d’une seconde poursuite comme celle d’hier. J’ai eu toutes les angoisses d’un coupable. Deux fois j’ai été à deux pas de mes poursuivants. Toi, Jean, tu me premais, sans la présence de Jacques, et toi, Léon, tu m’as effleuré en passant près d’un buisson où je m’étais blotti.


JEAN

Comment, c’est vous, mon oncle, qui nous avez fait si bien courir? Vous pouvez vous vanter d’avoir de fameuses jambes, de vraies jambes de collégien.


M. DE TRAYPI, riant

Ah! c’est qu’au temps de ma jeunesse je passais pour le meilleur, le plus solide coureur de tout le collège. Il m’en reste quelque chose.»

Les enfants remercièrent leur oncle d’avoir fait terminer leurs maisons. Léon embrassa le petit Jacques, qui lui demanda tout bas pardon. «Tais-toi, lui répondit Léon, rougissant légèrement: ne parlons plus de cela.» C’est que Léon sentait que l’observation de Jacques avait été vraie. Et il se promit de ne plus la mériter à l’avenir.

Il s’agissait maintenant de meubler les maisons; chacun des enfants demanda et obtint une foule de trésors, comme tabourets, vieilles chaises, tables de rebut, bouts de rideaux, porcelaines et cristaux ébréchés[36 - cristaux m pl ébréchés – надтреснутый хрусталь]. Tout ce qu’ils pouvaient attraper était porté dans les maisons.

«Venez voir, criait Léon, le beau tapis que nous avons sous notre table.

– Et nous, au lieu de tapis, nous avons une toile cirée, répondait Sophie.

– Venez essayer notre banc: il est aussi commode que les fauteuils du salon, disait Jean.

– Venez voir notre armoire pleine de tasses, de verres et d’assiettes, disait Marguerite.

– Voyez notre coffre plein de provisions: il y a des confitures, du sucre, des biscuits, des cerises, du chocolat, disait Camille.

– Et voyez comme nous avons été gens sages, nous autres, disait Jacques; pendant que vous nous faites mal au cœur avec vos sucreries, nous nous fortifions l’estomac avec nos provisions: pain, fromage, jambon, beurre, œufs, vin.

– Ah! tant mieux, s’écria Madeleine; lorsque nous vous inviterons à déjeuner ou à goûter, vous apporterez le salé et nous le sucré.»

Chaque jour ajoutait quelque chose à l’agrément des cabanes; M. de Rugès et M. de Traypi s’amusaient à les embellir au-dedans et au-dehors. À la fin des vacances elles étaient devenues de charmantes maisonnettes; l’intervalle des planches avait été bouché avec de la mousse au-dedans comme au-dehors; les fenêtres étaient garnies de rideaux; les planches qui formaient le toit avaient été recouvertes de mousse, rattachée par des bouts de ficelle pour que le vent ne l’emportât pas[37 - pour que le vent ne l’emportât pas – чтобы ветер ее не снес]. Le terrain avait été recouvert de sable fin. Quand il fallut se quitter, les cabanes entrèrent pour beaucoup dans les regrets de la séparation. Mais les vacances devaient durer près de deux mois: on n’était encore qu’au troisième jour et l’on avait le temps de s’amuser.




III. Visite au moulin


«Je propose une grande promenade au moulin, par les bois, dit M. de Rugès. Nous irons voir la nouvelle mécanique établie par ma sœur de Fleurville, et pendant que nous examinerons les machines, vous autres enfants vous jouerez sur l’herbe, où l’on vous préparera un bon goûter de campagne: pain bis, crème fraîche, lait caillé[38 - lait m caillé – простокваша], fromage, beurre et galette de ménage. Que ceux qui m’aiment me suivent![39 - que ceux qui m’aiment me suivent – пусть те, кто меня любит, идут за мной]»

Tous l’entourèrent au même instant.

«Il paraît que tout le monde m’aime, reprit M. de Rugès en riant. Allons, marchons en avant!

– Hé, hé, pas si vite, les petits! Nous autres gens sages et essoufflés, nous serions trop humiliés de rester en arrière.»

Les enfants, qui étaient partis au galop, revinrent sur leurs pas et se groupèrent autour de leurs parents.

La promenade fut charmante, la fraîcheur du bois tempérait la chaleur du soleil; de temps en temps on s’asseyait, on causait, on cueillait des fleurs, on trouvait quelques fraises.

«Nous voici près du fameux chêne où j’ai laissé ma poupée, dit Marguerite; je n’oublierai jamais le chagrin que j’ai éprouvé lorsque, en me couchant, je me suis aperçue que ma poupée, ma jolie poupée, était restée dans le bois pendant l’orage.

– Quelle poupée? dit Jean; je ne connais pas cette histoire-là.

– Il y a longtemps de cela, dit Marguerite. La méchante Jeannette me l’avait volée.


JEAN

Jeannette la meunière?


MARGUERITE

Oui, précisément, et sa maman l’a bien fouettée, je t’assure; nous l’entendions crier à plus de deux cents pas.


JACQUES

Oh! raconte-nous cela, Marguerite. Voilà maman, papa, ma tante et mes oncles pour quelque temps; nous pouvons entendre ton histoire.»

Marguerite s’assit sur l’herbe, sous ce même chêne où sa poupée était restée oubliée par elle; elle leur raconta toute l’histoire et comment la poupée avait été retrouvée chez Jeannette, qui l’avait volée.

«Cette Jeannette est une bien méchante fille, dit Jacques, qui avait écouté avec une indignation croissante, les narines, gonflées, les yeux étincelants, les lèvres serrées. Je suis enchanté que sa maman l’ait si bien corrigée. Est-elle devenue bonne depuis?


SOPHIE

Bonne! Ah oui! C’est la plus méchante fille de l’école.


MARGUERITE

Maman dit que c’est une voleuse.


CAMILLE

Marguerite! Marguerite! Ce n’est pas bien, ce que tu dis là. Tu fais tort à une pauvre fille qui est peut-être honteuse et repentante de ses fautes passées.


MARGUERITE

Ni honteuse ni repentante, je t’en réponds.


CAMILLE

Comment le sais-tu?


MARGUERITE

Parce que je vois bien à son air impertinent, à son nez en l’air[40 - à son nez en l’air – по ее носу, задранному вверх] quand elle passe devant nous, parce qu’à l’église elle se tient très mal, elle se couche sur son banc, elle bâille, elle cause, elle rit; et puis elle a un air faux et méchant.


MADELEINE

Cela, c’est vrai, je l’ai même dit à sa mère.


LÉON

Et que lui a dit la mère Léonard?


MADELEINE

Rien, je pense, puisqu’elle a continué comme avant.


SOPHIE

Et tu ne dis pas que la mère t’a répondu: «Qu’est-ce que ça vous regarde, mam’selle?[41 - qu’est-ce que ça vous regarde, mam’selle – какое вам до этого дело, мам’зель] Je ne me mêle pas de vos affaires: ne vous occupez pas des nôtres.»


JEAN

Comment! elle a osé te répondre si grossièrement? Si j’avais été là, je l’aurais joliment rabrouée[42 - je l’aurais joliment rabrouée – я бы ее быстро поставил на место] et sa Jeannette aussi.


MADELEINE, souriant

Heureusement que tu n’étais pas là. La mère Léonard se serait prise de querelle[43 - se serait prise de querelle – ввязалась бы в ссору] avec toi et t’aurait dit quelque grosse injure.


JEAN

Injure! Ah bien! je lui aurais donné une volée de coups de poing et de coups de pied; je suis fort sur la savate[44 - je suis fort sur la savate – у меня здорово получаются удары башмаком], va! Je l’aurais mise en marmelade[45 - je l’aurais mise en marmelade – я бы ее усмирил] en moins de deux minutes.


LÉON, levant les épaules

Vantard, va! C’est elle qui t’aurait rossé[46 - c’est elle qui t’aurait rossé – она сама бы тебя поколотила].


JEAN

Rossé! moi! veux-tu que je te fasse voir si je sais donner une volée en moins de rien?»

Et Jean se lève, ôte sa veste et se met en position de bataille. Jacques lui offre de lui servir de second.

Tous les enfants se mettent à rire. Jean se sent un peu ridicule, remet son habit et rit de lui-même avec les autres. Léon persifle Jacques, qui riposte en riant; Marguerite le soutient; Léon commence à devenir rouge et à se fâcher. Camille, Madeleine, Sophie et Jean se regardent du coin de l’œil et cherchent par leurs plaisanteries à arrêter la querelle commençante; leurs efforts ne réussissent pas; Jacques et Marguerite taquinent Léon, malgré les signes que leur sont Camille et Madeleine.

Léon se lève et veut chasser Jacques, qui, plus leste que lui, court, tourne autour des arbres, lui échappe toujours et revient toujours à sa place. Léon s’essuie le front, il est en nage et tout à fait en colère.

«Viens donc m’aider, dit-il à Jean. Tu es là comme un grand paresseux à me regarder courir.


JEAN

À ton aide, pour quoi faire?


LÉON

Pour attraper ce mauvais gamin, pardi[47 - pardi – уст. конечно, черт возьми]!


JEAN, froidement

Et après?


LÉON

Après…, après…, pour m’aider à lui donner une leçon.


JEAN, de même

Une leçon de quoi?


LÉON

De respect, de politesse pour moi, qui ai presque le double de son âge.


JEAN

De respect! Ha! ha! ha! Quel homme respectable tu fais en vérité!


MARGUERITE

Ne faudrait-il pas que nous nous prosternassions devant toi?[48 - ne faudrait-il pas que nous nous prosternassions devant toi – ирон. может, нам пасть ниц перед тобой]


JEAN

Dans tous les cas, lors même que Jacques t’aurait offensé, je serais honteux de me mettre avec toi contre lui, pauvre petit qui a, comme tu le dis très bien, la moitié de ton âge. Ce serait un peu lâche, dis donc, Léon, comme trois ou quatre contre un?


LÉON

Tu es ennuyeux, toi, avec tes grands sentiments, ta sotte générosité.


JEAN

Tu appelles grands sentiments et générosité que deux grands garçons de treize ans et de onze ans ne se réunissent pas pour battre un pauvre enfant de sept ans qui ne leur a rien fait?


LÉON

Ce n’est rien, de me taquiner comme il le fait depuis un quart d’heure?


JEAN

Ah bah! Tu l’as taquiné aussi. Défends-toi tout seul. Tant pis pour toi, s’il est plus fort que toi à la course et au coup de langue.»

Jacques avait écouté sans mot dire. Sa figure intelligente et vive laissait voir tout ce qui se passait en son cœur de reconnaissance et d’affection pour Jean, de regret d’avoir blessé Léon. Il se rapprocha petit à petit, et au dernier mot de Jean il fit un bond vers Léon et lui dit:

«Pardonne-moi, Léon, de t’avoir fâché; j’ai eu tort, je le sens; et j’ai entraîné Marguerite à mal faire, comme moi; elle en est bien fâchée, comme moi aussi: n’est-ce pas, Marguerite?


MARGUERITE

Certainement, Jacques, j’en suis bien fâchée; et Léon voudra bien nous excuser en pensant que, toi et moi étant les plus petits, nous nous sentons les plus faibles, et qu’à défaut de nos bras nous cherchons à nous venger par notre langue des taquineries des plus forts.»

Léon ne dit rien, mais il donna la main à Marguerite, puis à Jacques.

Les papas et les mamans, qui étaient assis et causaient plus loin, se levèrent pour continuer la promenade. Les enfants les suivirent; Jacques s’approcha de Jean et lui dit avec tendresse:

«Jean, je t’aime, et je t’aimerai toujours.


MARGUERITE

Et moi aussi, Jean, je t’aime, et je te remercie d’avoir défendu mon cher Jacques contre Léon.»

Et elle ajouta tout bas à l’oreille de Jean: «Je n’aime pas Léon».

Jean sourit, l’embrassa et lui répondit tout bas:

«Tu as tort; il est bon, je t’assure.


MARGUERITE

Il fait toujours comme s’il était méchant.


JEAN

C’est qu’il est vif, il ne faut pas le fâcher.


MARGUERITE

Il se fâche toujours.


JEAN

Avoue que, Jacques et toi, vous vous amusez à le taquiner.»

Jacques et Marguerute se regardèrent, sourirent, et avouèrent que Léon les agaçait avec son air moqueur, et qu’ils aimaient à le contrarier[49 - ils aimaient à le contrarier (= ils voulaient le contrarier) – им хотелось ему противоречить].

«Eh bien, dit Jean, essayez de ne pas le contrarier, et vous verrez qu’il ne se fâchera pas et qu’il ne sera pas méchant.»

Tout en causant, on approcha du moulin; les enfants virent avec surprise une foule de monde assemblée tout autour; une grande agitation régnait dans cette foule; on allait et venait, on se formait en groupes, on courait d’un côté, on revenait avec précipitation de l’autre. Il était clair que quelque chose d’extraordinaire se passait au moulin.

« Serait-il arrivé un malheur, et d’où peut venir cette agitation? dit Mme de Rosbourg.

– Approchons, nous saurons bientôt ce qui en est», répondit Mme de Fleurville.

Les enfants regardaient d’un œil curieux et inquiet. En approchant on entendit des cris, mais ce n’étaient pas des cris de douleur, c’étaient des explosions de colère, des imprécations, des reproches. Bientôt on put distinguer des uniformes de gendarmes; une femme, un homme et une petite fille se débattaient contre deux de ces braves militaires qui cherchaient à les maintenir. La petite fille et sa mère poussaient des cris aigus et lamentables; le père jurait, injuriait tout le monde. Les gendarmes, tout en y mettant la plus grande patience, ne les laissaient pas échapper. Bientôt les enfants purent reconnaître le père Léonard, sa femme et Jeannette.

«Voyons, ma bonne femme, laissez-vous faire, ne nous obligez pas à vous garrotter[50 - garrotter – связывать]! disait un gendarme. N’y a pas à dire, nous avons ordre de vous amener: il faudra bien que vous veniez. Le devoir avant tout.


MÈRE LÉONARD

Plus souvent que je viendrai, gueux de gendarmes[51 - gueux de gendarmes – негодяи], tueurs du pauvre monde! Pas si bête que de marcher vers la prison, où vous me laisseriez pourrir jusqu’au jugement dernier.


LE GENDARME

Allons, mère Léonard, soyez raisonnable; donnez le bon exemple à votre fille.


MÈRE LÉONARD

Je m’en moque bien[52 - je m’en moque bien – мне наплевать], de ma fille. C’est elle, la sotte, l’imbécile, qui nous a fait prendre. Faites-en ce que vous voudrez, je n’en ai aucun souci.

– Vas-tu me laisser, grand fainéant[53 - grand fainéant – бездельник]? criait le père Léonard à un autre gendarme qui le tenait au collet. Attends que je t’aplatisse d’un croc-en-jambe, filou, bête brute!»

Les gendarmes ne répondaient pas à ces invectives[54 - ces invectives – эта брань] et à bien d’autres injures que nous passons sous silence. Voyant que leurs efforts pour faire marcher les prisonniers étaient vains, ils firent signe à un troisième gendarme. Celui-ci tira de sa poche un paquet de petites courroies[55 - courroie f – ремень]. Malgré les cris perçants de Jeannette et de sa mère et les imprécations du père, les gendarmes leur lièrent les mains, les pieds, et les assirent ainsi garrottés sur un banc, pendant que l’un d’eux allait chercher une charrette pour les transporter à la prison de la ville.

Mme de Fleurville et ses compagnes étaient restées un peu à l’écart avec les enfants. MM. de Rugès et de Traypi s’étaient approchés des gendarmes pour savoir la cause de cette arrestation. Léon et Jean les avaient suivis.

«Pourquoi arrêtez-vous la famille Léonard, gendarmes? demanda M. de Rugès. Qu’ont-ils fait?

– C’est pour vol, monsieur, répondit poliment le gendarme en touchant son chapeau; il y a longtemps qu’on porte plainte contre eux, mais ils sont habiles; nous ne pouvions pas les prendre. Enfin, l’autre jour, au marché, la petite s’est trahie et nous a mis sur la voie.


M. DE RUGÈS

Comment cela?


LE GENDARME

Il paraîtrait qu’ils ont volé une pièce de toile[56 - une pièce de toile – отрез ткани] qui était à blanchir sur l’herbe. Ils l’ont cachée dans leur huche à pain, sous de la farine: mais, dans la nuit, la petite s’est dit: «Puisque mon père et ma mère ont volé la toile de la femme Martin, je puis bien aussi leur en voler un morceau; ça fait que j’aurai de quoi acheter des gâteaux et des sucres d’orge.» La voilà qui se lève et qui en coupe un bon bout. C’était la veille du marché. Le lendemain, la petite se dit: «Ce n’est pas tout d’avoir la toile, il faut encore que je la vende.» Et la voilà qui, sans rien dire à père et mère, part pour le marché et offre sa toile à la fille Chartier. «Combien en as-tu? lui dit la fille Chartier. «– J’en ai bien six mètres, de quoi faire deux chemises, répond la petite Léonard. – Combien que tu veux la vendre? – Ah! pas cher, je vous la donnerai bien pour une pièce de cinq francs. – Tope là[57 - tope là – по рукам], et je te la prends; tiens, voilà la pièce et donne-moi la toile.» Les voici bien contentes toutes les deux, la petite Léonard d’avoir cinq francs, la fille Chartier d’avoir de quoi faire deux chemises et pas cher. Mais, quand elle la rapporte chez elle, qu’elle la montre à sa mère et qu’elle la déploie pour mesurer si le compte y est, ne voilà-t-il pas que la farine s’envole de tous côtés; la chambre en était blanche; la mère et la fille Chartier étaient tout comme des meunières. «Qu’est-ce que c’est que ça? disent-elles. Cette toile a donc été blanchie à la farine? Faut la secouer. Viens, Lucette, secouons-la dans la rue; ce sera bien vite fait.» Les voilà qui secouent devant leur porte, quand passe la mère Martin. «Où allez-vous donc, que vous avez l’air si affairée? lui demanda la mère Chartier. – Ah! je vais porter plainte à la gendarmerie: on m’a volé ma belle pièce de toile cette nuit. Faut que je tâche de la rattraper. – Et moi je viens d’en acheter un bout qui n’est pas cher, dit la mère Chartier. – Tiens, dit l’autre en la regardant, mais c’est tout comme la mienne. Qu’est-ce que vous lui faites donc à votre toile? – Je la secoue; elle était si pleine de farine que nous en étions aveuglées, Lucette et moi. – Tiens, tiens! de la toile enfarinée? Mais où donc l’avez-vous eue? – C’est la petite Léonard qui me l’a vendue comme ça. – La petite Léonard? Où a-t-elle pu avoir de la toile aussi fine?… Mais!… laissez-moi donc voir le bout; cela ressemble terriblement à la mienne.» La mère Martin prend la toile, l’examine, arrive au bout et reconnaît une marque qu’elle avait faite à sa pièce. Les voilà toutes trois bien étonnées: la mère Martin bien contente d’être sur la piste de sa toile; la mère Chartier bien attrapée d’avoir donné sa pièce de cinq francs pour un bout de toile qui était volée; elles arrivent toutes trois chez moi et me racontent ce qui vient d’arriver. «Toute votre toile y est-elle? je dis à la femme Martin. – Pour ça non! répond-elle. Il y en avait près de cinquante mètres. – Alors il faut tâcher de ravoir les quarante-quatre mètres qui vous manquent, mère Martin. Laissez-moi faire; je crois bien que je vous les retrouverai. Nous allons bien surveiller le marché; si la femme ou le père Léonard y apporte votre toile, je les arrête; s’ils n’y viennent pas ou qu’ils y viennent avec rien que leurs sacs de farine, j’irai demain avec mes camarades faire une reconnaissance au moulin. Puisque c’est la petite Léonard qui vous en a vendu un bout, c’est que l’autre bout est au moulin. – Mais si elle la vend à quelque voisin? dit la mère Martin. – N’ayez pas peur, ma bonne femme, elle n’osera pas; tout le monde chez vous sait que votre toile est volée. – Je crois bien qu’on le sait, dit la mère Martin, je l’ai dit à tout le village, et j’ai envoyé mon garçon et ma petite le dire partout dans les environs, de crainte qu’elle ne soit vendue par là. – Vous voyez bien qu’il n’y a pas de danger», que je lui réponds. Et je me mets en quête[58 - je me mets en quête – я бросаюсь на поиски] avec les camarades. Rien au marché, rien dans la ville. Alors nous sommes venus ce matin faire notre visite au moulin, avec un ordre d’arrêter, s’il y a lieu. Nous avons cherché partout; nous ne trouvions rien. Les Léonard nous agonissaient d’injures. Enfin, je me rappelle la farine que secouaient les femmes Chartier, et l’idée me vient d’ouvrir la huche; elle était pleine de farine; je fouille dedans avec le fourreau de mon sabre. Les Léonard crient que je leur gâte leur farine; je fouille tout de même, et voilà-t-il pas que j’accroche un bout de la toile; je tire, il en venait toujours. C’était toute la pièce de la mère Martin. Les Léonard veulent s’échapper; mais les camarades gardaient les portes et les fenêtres. On les prend; ils se débattent. J’arrête aussi la petite, qui crie qu’elle est innocente. Je raconte l’histoire de la toile enfarinée. La petite Léonard se trouble, pleure; la mère s’élance sur elle et la frappe à la joue; le père en fait autant sur le dos. Si les camarades et moi nous ne l’avions retirée d’entre leurs mains, ils l’auraient mise en pièces[59 - ils l’auraient mise en pièces – они бы ее разорвали на кусочки]. Tout cela a duré un bout de temps, monsieur; le monde s’est rassemblé; il y en a plus que je ne voudrais, car c’est toujours pénible de voir une jeune fille comme ça déshonorée, et des parents qui ont mené leur fille à mal.

– Vous êtes un brave et digne soldat, dit M. de Rugès en lui tendant la main; le sentiment d’humanité que vous manifestez à l’égard de ces gens qui vous ont accablé d’injures est noble et généreux.»

Le gendarme prit la main de M. de Rugès et la serra avec émotion.

«Notre devoir est souvent pénible à accomplir, et peu de gens le comprennent; c’est un bonheur pour nous de rencontrer des hommes justes comme vous, monsieur.»

Léon et Jean avaient écouté avec attention le récit du gendarme. Les dames et les enfants s’étaient aussi rapprochés et avaient pu l’entendre également, de sorte que Léon et Jean n’eurent rien à leur apprendre. Les Léonard avaient recommencé leurs injures et leurs cris; ces dames pensèrent que, n’ayant rien à faire pour les Léonard, il était plus sage de s’éloigner, de crainte que les enfants ne fussent trop impressionnés de ce qu’ils entendaient. On avait été obligé d’éloigner Jeannette de ses parents, qui, tout garrottés qu’ils étaient, voulaient encore la maltraiter. Mmes de Fleurville et de Rosbourg, et le reste de la compagnie, se dirigèrent vers une partie de la forêt assez élognée du moulin pour qu’on ne pût rien voir ni entendre de ce qui s’y passait. Les enfants étaient restés tristes et silencieux, sous l’impression pénible de la scène du moulin. M. de Rugès demanda à faire une halte[60 - faire une halte – сделать привал] et à étaler sur l’herbe[61 - étaler sur l’herbe – разложить на траве] les provisions que portait l’âne qui les suivait; ce moyen de distraction réussit très bien. Les enfants ne se firent pas prier[62 - les enfants ne se firent pas prier – детей не надо было уговаривать]; ils firent honneur au repas rustique; crème, lait caillé, beurre, galette, fraises des bois, tout fut mangé. Ils causèrent beaucoup de Jeannette et de ses parents.


LÉON

Comment Jeannette a-t-elle pu devenir assez mauvaise pour voler et vendre cette toile avec tant d’effronterie?


MADAME DE FLEURVILLE

Parce que son père et sa mère lui donnaient l’exemple du vol et du mensonge. Bien des fois ils m’ont volé du bois, du foin[63 - du foin – сено], du blé, et ils se faisaient toujours aider par Jeannette[64 - ils se faisaient toujours aider par Jeannette – им всегда помогала Жаннет]. Tout naturellement, elle a voulu profiter de ces vols pour elle-même.


CAMILLE

Mais comment osait-elle aller à l’église et au catéchisme? Comment ne craignait-elle pas que le bon Dieu la punît de sa méchanceté!


MADAME DE FLEURVILLE

Elle se tenait très mal à l’église; elle bâillait, elle détirait ses bras[65 - détirait ses bras – потягивалась], elle se roulait sur son banc: ce qui prouve bien qu’elle n’y allait pas pour prier, mais pour faire comme tout le monde.


MADELEINE

Mais au catéchisme elle devait apprendre que c’est très mal de voler.


MADAME DE FLEURVILLE

Elle l’apprenait, mais elle n’y faisait pas attention.


JEAN

Eh, mon Dieu! c’est comme nous: si nous faisions tout ce que dit notre catéchisme, nous ne ferions jamais rien de mal.


LÉON

Dis-donc, Jean, parle pour toi; ne dis pas nous: moi, d’abord, je fais tout ce que me dit le catéchisme.


JACQUES

Ah! par exemple, non.


LÉON

Est-ce que tu y comprends quelque chose, toi, gamin! Tu parles toujours sans savoir ce que tu dis.


JACQUES

Est-ce ton catéchisme qui t’ordonne de répondre comme tu le fais? Est-ce bien lui qui te conseille de me battre quand tu es en colère, de dire des gros mots[66 - dire des gros mots – говорить грубости, непристойности] et bien d’autres choses encore?


LÉON

Imbécile, va! si je ne méprisais ta petitesse, je te ferais changer de ton.


JACQUES

Tu méprises ma petitesse et tu crains papa et mon oncle, sans quoi....


M. DE TRAYPI , sévèrement

Jacques, tais-toi; tu provoques toujours Léon, qui n’est pas endurant, tu le sais.


JACQUES

Oh oui! je le sais, papa, et j’ai tort; mais,… mais,… c’était si tentant....


M. DE TRAYPI

Comment? tentant de dire des choses désagréables à ton grand cousin?


JACQUES

Papa, c’est précisément parce qu’il est grand; et comme vous étiez là pour me protéger....


M. DE TRAYPI , sévèrement

Tu t’es laissé aller[67 - tu t’es laissé aller – ты поволил себе лишнее]. Ce n’est pas bien, Jacques; ne recommence pas.


M. DE RUGÈS

À ton tour, Léon, tu mérites un reproche bien plus sévère que Jacques, parce que tu es plus grand.


LÉON

Je n’ai rien fait de mal, papa, ce me semble[68 - ce me semble (= il me semble) – кажется].


M. DE RUGÈS

Tu as été orgueilleux, impatient et maussade; tâche de ne pas recommencer non plus, toi; si je me mêle de tes discussions, ce ne sera pas pour te soutenir.

– Et pour tout oublier, dit Mme de Fleurville en se levant, je propose une partie de cache-cache, de laquelle nous serons tous, petits et grands, jeunes et vieux.

– Bravo, bravo! ce sera bien amusant, s’écrièrent tous les enfants. Voyons, qui est-ce qui l’est?

– Il faut l’être deux, dit Mme de Rosbourg; ce serait trop difficile de prendre étant seul.

– Ce sera moi et ma sœur de Fleurville, dit M. de Traypi; ensuite de Rugès avec Mme de Rosbourg; puis ceux qui se laisseront prendre. Une, deux, trois. La partie commence: le but est à l’arbre près duquel nous nous trouvons.»

Toute la bande se dispersa pour se cacher dans des buissons ou derrière des arbres.

«Défendu de grimper aux arbres! cria Mme de Traypi.

– Hou! hou! crièrent plusieurs voix de tous les côtés.

– C’est fait, dit M. de Traypi. Prenez de ce côté, ma sœur; je prendrai de l’autre.»

Ils partirent tout doucement chacun de leur côté, marchant sur la pointe des pieds, regardant derrière les arbres, examinant les buissons.

«Attention, mon frère! cria Mme de Fleurville, j’entends craquer les branches de votre côté.

– Ah! j’en tiens un», s’écria M. de Traypi en s’élançant dans un buisson.

Mais il avait parlé trop vite; Camille et Jean étaient partis comme des flèches et arrivèrent au but avant que M. de Traypi eût pu les rejoindre. Pendant ce temps Mme de Fleurville avait découvert Léon et Madeleine, elle se mit à leur poursuite; M. de Traypi accourut à son aide; pendant qu’ils les poursuivaient, Marguerite et Jacques les croisèrent en courant vers le but. Mme de Fleurville, croyant ceux-ci plus faciles à prendre, abandonna Léon et Madeleine à M. de Traypi et courut après Marguerite et Jacques; mais, tout jeunes qu’ils étaient, ils couraient mieux qu’elle, qui en avait perdu l’habitude, et ils arrivèrent haletants et en riant au but, au moment où elle allait les atteindre.

Essoufflée, fatiguée, elle se jeta sur l’herbe en riant, et y resta quelques instants pour reprendre haleine[69 - reprendre haleine – передохнуть]. Elle alla ensuite rejoindre son frère, qui faisait vainement tous ses efforts pour attraper Léon, Madeleine et les grands; quant à Sophie, elle n’était pas encore trouvée. À force d’habileté et de persévérance, M. de Traypi finit par les prendre tous malgré leurs ruses, leurs cris, leurs efforts inouïs pour arriver au but. Sophie manquait toujours.

«Sophie, Sophie, criait-on, fais hou! qu’on sache de quel côté tu es.»

Personne ne répondait.

L’inquiétude commençait à gagner Mme de Fleurville.

«Il n’est pas possible qu’elle ne réponde pas si elle est réellement cachée, dit-elle; je crains qu’il ne lui soit arrivé quelque chose[70 - je crains qu’il ne lui soit arrivé quelque chose – боюсь, как бы с ней что-нибудь не случилось].

– Elle aura été trop loin, dit M. de Rugès.

– Pourvu qu[71 - pourvu que – лишь бы только]’elle ne se perde pas, comme il y a trois ans, dit Mme de Rosbourg.

– Ah! pauvre Sophie! s’écrièrent Camille et Madeleine. Allons la chercher, maman.

– Oui, allons-y tous, mais chacun des petits escorté d’un grand», dit M. de Traypi.

Ils se partagèrent en bandes et se mirent tous à la recherche de Sophie, l’appelant à haute voix; leurs cris retentissaient dans la forêt, aucune voix n’y répondait. L’inquiétude commençait à devenir générale; les enfants cherchaient avec une ardeur qui témoignait de leur affection et de leurs craintes.

Enfin Jean et Mme de Rosbourg crurent entendre une voix étouffée appeler au secours. Ils s’arrêtèrent, écoutèrent.... Ils ne s’étaient pas trompés.

C’était Sophie qui appelait:

«Au secours! au secours! Mes amis, sauvez-moi!

– Sophie, Sophie, où es-tu? cria Jean épouvanté.

– Près de toi, dans l’arbre, répondit Sophie.

– Mais où donc? mon Dieu! où donc? Je ne vois pas.»

Et Jean, effrayé, désolé, cherchait, regardait de tous côtés, sur les arbres, par terre: il ne voyait pas Sophie.

Tout le monde était accouru près de Jean, à l’appel de Mme de Rosbourg. Tous cherchaient sans trouver.

«Sophie, chère Sophie, cria Camille, où es-tu? sur quel arbre? Nous ne te voyons pas.


SOPHIE, d’une voix étouffée

Je suis tombée dans l’arbre, qui était creux[72 - creux – полый]; j’étouffe; je vais mourir si vous ne me tirez pas de là.

– Comment faire? s’écriait-on. Si on allait chercher des cordes?»

Jean réfléchit une minute, se débarrassa de sa veste et s’élança sur l’arbre, dont les branches très basses permettaient de grimper dessus.

«Que fais-tu? cria Léon: tu vas être englouti avec elle.

– Imprudent! s’écria M. de Rugès. Descends, tu vas te tuer.»

Mais Jean grimpait avec une agilité qui lui fit promptement atteindre le haut du tronc pourri[73 - tronc m pourri – прогнивший ствол]. Jacques s’était élancé après Jean et arriva près de lui avant que son père et sa mère eussent eu le temps de l’en empêcher[74 - avant que son père et sa mère eussent eu le temps de l’en empêcher – до того, как родители успели ему в этом помешать]. Il tenait la veste de Jean et défit promptement la sienne. Jean, qui avait jeté les yeux dans le creux de l’arbre, avait vu Sophie tombée au fond et s’était écrié:

«Une corde! une corde! vite une corde!»

Léon, Camille et Madeleine s’élancèrent dans la direction du moulin pour en avoir une. Mais Jacques passa les deux vestes à Jean, qui noua vivement la manche de la sienne à la manche de celle de Jacques, et jetant sa veste dans le trou pendant qu’il tenait celle de Jacques:

«Prends ma veste, Sophie; tiens-la ferme à deux mains. Aide-toi des pieds pour remonter pendant que je vais tirer.»

Jean, aidé du pauvre petit Jacques, tira de toutes ses forces. M. de Rugès les avait rejoints et les aida à retirer la malheureuse Sophie, dont la tête pâle et défaite apparut enfin au-dessus du trou. Au même instant, les vestes commencèrent à se déchirer. Sophie poussa un cri perçant. Jean la saisit par une main, M. de Rugès par l’autre, et ils la retirèrent tout à fait de cet arbre qui avait être son tombeau; Jacques dégringola lestement jusqu’en bas; M. de Rugès descendit avec plus de lenteur, tenant dans ses bras Sophie à demi évanouie[75 - à demi évanouie – в полуобморочном состоянии], et suivi de Jean. Mme de Fleurville et toutes ces dames s’empressèrent autour d’elle; Marguerite se jeta en sanglotant dans ses bras. Sophie l’embrassa tendrement. Dès qu’elle put parler, elle remercia Jean et Jacques bien affectueusement de l’avoir sauvée. Lorsque Camille, Madeleine et Léon revinrent, traînant après eux vingt mètres de corde, Sophie était remise; elle put se lever et marcher à la rencontre de ses amis; elle sourit à la vue de cette corde immense.

«Merci, mes chers amis, dit-elle. Mais vous me croyiez donc au fond d’un puits comme Ourson, pour avoir apporté une corde de cette longueur?


CAMILLE

Nous ne savions pas bien au juste où tu étais, et nous avons pris à tout hasard[76 - à tout hasard – на всякий случай] la corde la plus longue.


MADELEINE

Oui, car Leon a dit: «Une corde trop longue ne peut pas faire de mal, et une corde trop courte pourrait être cause de la mort de Sophie».


MARGUERITE

Pauvre Sophie, cette forêt nous est fatale.


MADAME DE FLEURVILLE

Voilà Sophie bien remise de sa frayeur, et nous voilà tous rassurés sur compte; je demande maintenant qu’elle nous explique comment cet accident est arrivé.


M. DE RUGÈS

C’est vrai, on était convenu de ne pas grimper aux arbres.


SOPHIE, embarrassée

Je voulais… me cacher mieux que les autres. Je m’étais mise derrière ce gros chêne, pensant que je tournerais autour et qu’on ne me trouverait pas.


MADAME DE TRAYPI

Ah! par exemple! j’ai pris Madeleine, et puis Léon, qui avaient voulu aussi tourner autour d’un gros arbre.


SOPHIE

C’est précisément parce que je vous voyais de loin prendre Madeleine et Léon, que j’ai pensé à trouver une meilleure cachette. Les branches de l’arbre étaient très basses; j’ai grimpé de branche en branche.


MARGUERITE

C’est-à-dire que tu as triché.


JACQUES

Et que le bon Dieu t’a punie.


SOPHIE

Hélas oui! le bon Dieu m’a punie. De branche en branche j’étais arrivée à un endroit où le tronc de l’arbre se séparait en plusieurs grosses branches; il y avait au milieu un creux couvert de feuilles sèches; j’ai pensé que j’y serais très bien. Je suis montée dans je creux; au moment où j’y ai posé mes pieds, j’ai senti l’écorce et les feuilles sèches s’enfoncer sous moi[77 - j’ai senti l’écorce et les feuilles sèches s’enfoncer sous moi – я почувствовала, что кора и сухие листья провалились подо мной], et, avant que j’aie pu m’accrocher aux branches, je me suis sentie descendre jusqu’au fond de l’arbre. J’ai crié, mais ma voix était étouffée par la frayeur, puis par la profondeur du trou où j’étais tombée.


JEAN

Pauvre Sophie, quelle horreur, quelle angoisse tu as dû éprouver!


SOPHIE

J’étais à moitié morte de peur[78 - j’étais à moitié morte de peur – я была чуть жива от страха]. Je croyais qu’on ne me trouverait jamais, car je sentais combien ma voix était sourde et affaiblie. Je pris courage pourtant quand j’entendis appeler de tous côtés; je redoublai d’efforts pour crier, mais j’entendais passer[79 - j’entendais passer – я слышала, как ходят] près de l’arbre où j’étais tombée, et je sentais bien qu’on ne m’entendait pas. Enfin, notre cher et courageux Jean m’a entendue, et m’a sauvée avec l’aide de mon petit Jacques....


JEAN

Et c’est lui qui a eu l’idée de nouer les deux vestes ensemble. – C’est un vrai petit lion, dit Madeleine en l’embrassant.


LÉON, d’un air moqueur

Plutôt un écureuil, en raison de son agilité à grimper aux arbres.


MARGUERITE, vivement

Chacun a son genre d’agilité: les uns grimpent aux arbres comme des écureuils au risque de se tuer; les autres courent comme des lapins de peur de se tuer.


MADAME DE ROSBOURG

Marguerite, Marguerite! Prends garde![80 - prends garde – осторожней, берегись]


MARGUERITE

Mais, maman, Léon veut diminuer le mérite de Jacques, et lui-même pourtant trouvait dangereux d’aller au secours de la pauvre Sophie.


LÉON

Il fallait bien que quelqu’un allât chercher des cordes.


MARGUERITE

Avec cela qu’elle a bien servi, ta corde!


MADAME DE FLEURVILLE

Voyons, enfants, ne vous disputez pas; ne vous laissez pas aller, toi, Léon, à la jalousie, toi, Marguerite, à la colère, et remercions Dieu d’avoir tiré la pauvre Sophie du danger où elle s’était mise par sa faute. Rentrons à la maison; il est tard, et nous avons tous besoin de repos.»

Tout le monde se leva et l’on se dirigea vers la maison, tout en causant vivement des événements de la matinée.




IV. Biribi


Madame de Fleurville avait un chien de garde que les enfants avaient élevé, et qui s’appelait Biribi; ce nom lui avait été donné par Marguerite et Jacques. Le chien avait deux ans; il était grand, fort, de la race des chiens des Pyrénées, qui se battent contre les ours des montagnes; il était très doux avec les gens de la maison et avec les enfants, qui jouaient souvent avec lui, qui l’attelaient à une petite charrette, et le tourmentaient à force de caresses; jamais Biribi n’avait donné un coup de dents ni un coup de griffes.

Un jour, M. de Traypi annonça aux enfants qu’il allait voir laver[81 - voir laver – посмотреть, как моют] son chien de chasse, Milord, dans de l’eau d’aloès[82 - aloès [-εs] – алоэ].

«Voulez-vous venir avec moi, mes enfants? Vous nous aiderez à laver et à essuyer Milord.

– Oui, papa; oui, mon oncle; oui, monsieur», répondirent ensemble tous les enfants.

Ils abandonnèrent Biribi, qu’ils allaient atteler à une voiture de poupée[83 - une voiture de poupée – игрушечная карета], et ils coururent avec M. de Traypi à la buanderie (endroit où on fait les lessives) pour voir laver Milord. Un baquet plein d’une eau tiède et rougeâtre attendait Milord, qui n’avait pas du tout l’air satisfait de se trouver là. Quand M. de Traypi entra, le pauvre Milord voulut courir à lui; mais le cocher et le garde le tenaient chacun par une oreille pour l’empêcher de se sauver[84 - se sauver – убежать], et il fut obligé de rester près du baquet, attendant le moment où on le plongerait dedans.

«Allons, Milord, dit M. de Traypi, saute là-dedans, saute.»

Et il aida à sa bonne volonté en l’enlevant par la peau du cou. Le chien s’élança dans le baquet, éclaboussant tous ceux qui se trouvaient près de lui. Madeleine et Marguerite, qui étaient en avant, furent les plus mouillées; un éclat de rire général accompagna ce premier exploit de Milord; M. de Traypi était inondé.

«Ah bas! dit-il, nous nous changerons[85 - nous nous changerons – мы переоденемся] en rentrant; profitons de ce que nous sommes déjà mouillés pour laver M. Milord bien à fond[86 - pour laver M. Milord bien à fond – ирон. чтобы как следует помыть господина Милорда].»

Tous les enfants s’y mirent; chacun contribua au supplice de Milord, l’un en lui plongeant le nez, l’autre en lui enfonçant la queue, le troisième en lui inondant les oreilles.

Le pauvre Milord se laissait faire; il avait l’air malheureux; de temps en temps il léchait une main qui l’avait inondé, comme pour demander grâce.

«Pauvre chien! dit Jacques. Papa, laissez-le sortir, je vous en prie: il me fait pitité.


M. DE TRAYPI

Il n’est pas encore mouillé jusqu’au fond des poils; arrose-le, au lieu de le plaindre.


MARGUERITE

Mais pourquoi lui faites-vous prendre ce bain[87 - lui faites-vous prendre ce bain – заставляете его принимать эту ванну], monsieur? Il était très propre.


M. DE TRAYPI

C’est pour faire mourir ses puces[88 - faire mourir ses puces – убить блох]: il en est rempli.


LÉON

L’eau fait mourir les puces, mon oncle?


M. DE TRAYPI

L’eau mêlée de poudre d’aloès les tue tout de suite.


LÉON

Ah! que c’est drôle! Je ne savais pas cela.


JEAN

Et faut-il beaucoup de poudre, mon oncle?


M. DE TRAYPI

Non; un petit paquet de 5 grammes dans chaque litre d’eau.


JACQUES

Quand je serai grand, je ferai laver mes chevaux[89 - je ferai laver mes chevaux – я распоряжусь, чтобы помыли моих лошадей] dans l’eau d’aloès.»

Tout le monde se mit à rire.


M. DE TRAYPI, riant

Les chevaux n’ont jamais de puces, nigaud.


JACQUES, un peu confus

Mais s’ils n’ont pas de puces, ils ont des mouches qui les piquent, et je pense que l’aloès peut tuer les mouches comme il tue les puces.


M. DE TRAYPI, riant

Je ne peux pas te le dire, je n’ai jamais essayé. Tu penses bien qu’il ne serait pas facile d’avoir un baquet assez grand pour baigner un cheval; et, quand même on l’aurait, les mouches se sauveraient et n’auraient pas la bêtise de se faire noyer[90 - n’auraient pas la bêtise de se faire noyer – скорее всего не будут так глупы, чтобы позволить себя утопить] quand elles peuvent s’envoler.


LÉON

Et puis, comment le ferait-on entrer dans le baquet?


JEAN

Ce ne serait pas moi qui m’en chargerais, toujours.»

Pendant cette conversation, Milord avait fini son bain.

On était en train de l’essuyer. Puis on le laissa se sécher plus complètement au soleil; on vida l’eau du baquet, et tout le monde sortit en fermant la porte de la buanderie. On ne pensa plus à Milord; les enfants voulurent reprendre Biribi pour continuer leur jeu, mais Biribi avait profité de sa liberté pour s’en aller; on l’appela, on le chercha, et, ne le trouvant pas, on s’en passa.

Le lendemain, le garde vint dire à Mme de Fleurville que Biribi ne se retrouvait pas.


JACQUES

Oh! le pauvre Biribi! où peut-il être?


MADAME DE FLEURVILLE

Il est probablement allé visiter quelques amis[91 - visiter quelques amis – проведать друзей (совр. франц. aller voir ses amis)] dans les environs. Il faudra que vous alliez le chercher, Nicaise.


NICAISE

Oui, madame; mais j’ai déjà fait un tour ce matin, et personne ne l’avait vu.


JEAN

Ma tante, si vous permettez, nous irons après déjeuner au Val, à la Clémandière, à la Fourlière, à Bois-Thorel, au Sapin, dans tous les viiages enfin où nous pourrions le trouver.


MADAME DE FLEURVILLE

Certainement, allez-y, mes enfants! Nicaise vous accompagnera; mais il faut demander la permission à vos papas et à vos mamans, pour qu’ils ne s’inquiètent pas de votre absence.


SOPHIE

Il faudra emporter des provisions pour le goûter.


CAMILLE

C’est inutile; nous demanderons à manger à Mme Harel, au débit de tabac[92 - débit m de tabac – табачный киоск (совр. франц. un bureau de tabac)], ou bien à M. le curé.


MADELEINE

D’ailleurs, partout où nous serons, on nous donnera du pain et du cidre.


JACQUES

Ce sera bien amusant; nous causerons partout un petit peu, et nous nous reposerons.


LÉON

Il faudra partir tout de suite après déjeuner.


JEAN

Oui, mais demandons d’abord la permission.»

Tous les enfants, excepté Camille, Madeleine et Sophie, qui avaient déjà leur permission, allèrent trouver leurs parents, et obtinrent sans peine leur consentement pour cette longue excursion.

«Papa, dit Jacques à l’oreille de M. de Traypi, venez avec nous: ce sera bien plus amusant.

– Pour toi, mon bon Jacques, répondit M. de Traypi en l’embrassant, mais pas pour les autres, que je gênerais un peu.


JACQUES

Oh! papa, vous êtes si bon! vous ne pouvez gêner personne.


M. DE TRAYPI

Impossible, mon cher petit; je dois aller avec ton oncle de Rugès faire une visite à trois lieues d’ici.»

Jacques ne répondit pas et s’en alla en soupirant. C’est que Jacques aimait beaucoup son papa, qui était bon et bien complaisant pour lui. Pourtant il ne le gâtait pas. Quand Jacques avait eu des colères dans sa petite enfance, son papa le mettait dans un coin et le laissait crier, après lui avoir donné deux ou trois petites tapes. Quand Jacques avait été impoli avec un domestique ou maussade avec camarade, son papa l’obligeait à demander pardon. Quand Jacques avait été gourmand, il était privé toute la journée de sucreries, de gâteaux et de fruits. Quand Jacques avait désobéi, il était renvoyé dans sa chambre, et son papa ni sa maman ne l’embrassaient jusqu’à ce qu’il eût demandé pardon[93 - jusqu’à ce qu’il eût demandé pardon – до тех пор, пока он не попросит прощения]. De cette manière, Jacques était devenu un charmant petit garçon: toujours gai, parce qu’il n’était jamais grondé ni puni; toujours aimable, parce qu’on l’avait habitué à penser au plaisir des autres et à sacrifier le sien. Il aimait son papa et il aurait voulu toujours être avec lui, mais M. de Traypi avait des occupations qui ne lui permettaient pas de toujours avoir Jacques près de lui; et Jacques, habitué à obéir, s’en alla cette fois encore sans humeur ni tristesse. Il rejoignit ses cousins, cousines et amies, et tous attendirent avec impatience le moment du départ.

Pourtant, avant de se mettre en route, les enfants demandèrent encore des nouvelles du pauvre Biribi; personne ne l’avait vu. Ils partirent, accompagnés du garde Nicaise, pour Val, petit hameau à un quart de lieue du château. Ils entrèrent chez une femme Relmot; mais ils n’y trouvèrent que le frère, qui était à moitié idiot, et qui répondait par un oui ou un non glapissant à toutes les questions qu’on lui adressait.


LÉON

Relmot, as-tu vu notre chien Biribi?


RELMOT

Oui.


LÉON

Quand cela? aujourd’hui?


RELMOT

Non.


LÉON

Où allait-il?»

Pas de réponse; Relmot rit d’un air bête.


LÉON

Quand l’as-tu vu?»

Pas de réponse; Relmot tourne ses pouces.


LÉON

Mais réponds donc! Sais-tu où il est?


RELMOT

Non.


NICAISE

Laissez ce pauvre garçon tranquille, Léon; allons chez les Bernard.


JEAN

Les Bernard! je n’aime pas ces gens-là.


LÉON

Pourquoi?


JEAN

Parce que je ne les crois pas honnêtes.


CAMILLE

Oh! Jean, tu dis cela sans aucune preuve.


JEAN

Hé, hé! Je les ai vus, il y a deux ans et il y a peu de jours encore, couper des têtes de sapin pour en faire des quenouilles[94 - quenouille f – веретено].


MADELEINE

Ce n’est pas un grand mal, cela.


NICAISE

M. Jean a raison; ce n’est pas bien. D’abord le sapin n’est pas à eux, et puis ils savent bien que couper la tête d’un sapin, c’est perdre l’arbre, qui pousse crochu et qui n’est plus bon qu’à brûler.


JEAN

Et puis Nicaise ne l’a-t-il pas pris, l’année dernière et bien des fois, coupant de jeunes arbres dans les bois de ma tante, pour en faire des fourches[95 - fourche f – вилы] et des râteaux à faner[96 - râteau m à faner – грабли для сена]?


NICAISE

Et encore c’est qu’il allait les vendre sur la place, au marché de la ville.


MARGUERITE

Demandons toujours s’il n’a pas vu Biribi.


JACQUES

Certainement? puisque nous sommes sortis pour cela.»

Les enfants entrèrent chez Bernard, qui dînait avec sa femme et ses enfants.

«Bonjour, Bernard, dit Léon d’un air aimable; nous venons vous demander des nouvelles de Biribi, qui a disparu depuis ce matin.


BERNARD

Comment que je saurais où est votre chien, moi? Je m’en moque bien de votre chien, et de votre garde aussi!


NICAISE

Dis donc, Bernard, ne sois pas si malhonnête avec les jeunes messieurs et les petites demoiselles. On te parle poliment, n’est-ce pas? Pourquoi ne répondrais-tu pas de même?


BERNARD

Vas-tu finir ton discours, toi! Je n’aime pas qu’on me conseille; je fais ce que je veux, et cela ne regarde personne.


NICAISE

Te tairas-tu, mal embouché, insolent? Sans le respect que je dois aux jeunes maîtres, je t’aurais déjà fait rentrer les paroles dans la gorge.»

Bernard se lève et avance, le poing fermé, sur Nicaise, qui reste immobile et le regarde d’un air moqueur.


NICAISE

Touche seulement, et tu verras comme je te casserai les reins[97 - reins m pl – поясница] de mon pied et de mon poing!

Bernard se retire en grognant; les enfants ont peur d’une bataille et se sauvent précipitamment, à l’exception de Jean, qui se pose près de Nicaise, un bâton à la main, et de Jacques, qui se met résolument de l’autre côté de Nicaise, les poings en avant, prêt à frapper.


LÉON

Jean, Jean, viens donc! Vas-tu pas te battre avec ce manant[98 - ce manant – през. деревенщина]?


JEAN

Je ne laisserai pas dans l’embarras le brave Nicaise.

– Merci bien, mes braves petits messieurs; mais je n’ai que faire de votre courage et de ma force contre ce batailleur, plus poltron encore que méchant. Il sait ce que pèse mon poing sur son dos; il en a goûté le jour où je l’ai pris volant du bois chez mes maîtres.... Bien le bonsoir, ajouta Nicaise d’un air monqueur en saluant Bernard et sa famille; bon appétit, pas de dérangement.»

Et il alla rejoindre les autres enfants, après avoir affectueusement serré la main à Jean et à Jacques.


NICAISE

C’est tout de même courageux, ce que vous avez fait, monsieur Jean et monsieur Jacques; car, enfin, vous ne pouviez pas deviner que ce Bernard était un poltron.


JEAN

C’est Jacques qui surtout a eu du courage, car, moi, je suis assez grand pour me défendre.


NICAISE

C’est égal, bien d’autres auraient fil» comme a fait votre frère, M. Léon, sauf le respect que je lui dois. Mais, chut! nous voici près d’eux.


MARGUERITE

Eh bien, il n’y a rien eu[99 - il n’y a rien eu – ничего не произошло]? Mon bon petit Jacques n’a pas été blessé?


LÉON

Blessé? ah ouiche[100 - ouiche = oui]! Est-ce que tu as cru qu’ils allaient se battre pour tout de bon?


MARGUERITE

Pourquoi donc t’es-tu sauvé, si tu ne craignais pas une bataille?


LÉON

D’abord, je ne me suis pas sauvé, je me suis retiré, pour protéger mes cousines, Sophie et toi.


MARGUERITE

Jolie escorte que tu nous faisais là: tu courais à vingt pas devant nous.


LÉON

J’allais en avant pour vous indiquer le chemin qu’il fallait prendre.


MARGUERITE, riant

Ha, ha, ha! Avoue donc tout simplement que tu avais peur et que tu te sauvais.


LÉON, d’un air indigné

Si tu étais un garçon de ma taille, tu verrais que tes plaisanteries ne me semblent pas du tout plaisantes.


MARGUERITE, riant

Je ne verrais rien du tout que ton dos et tes talons, parce que tu es prudent, que tu fuis la guerre et que[101 - que = parce que] tu aimes la paix.»

Jean et Jacques riaient pendant cette discussion; Camille et Madeleine étaient inquiètes; Sophie applaudissait des yeux et du sourire; Nicaise paraissait enchanté. Léon était en colère; ses yeux flamboyaient, et, s’il avait osé, il aurait assommé Marguerite de coups de poing. Camille arrêta cette dangereuse conversation en proposant de continuer les recherches. «Nous perdons notre temps, dit-elle, et nous avons encore bien des hameaux et des maisons à visiter.»

Ils continuèrent donc leur chemin. Léon fut un peu maussade, mais il finit par se dérider et par rire comme les autres. Dans aucune maison on n’avait vu Biribi, et plusieurs personnes dirent aux enfants et à Nicaise qu’il avait probablement été tué par Bernard, qui s’était plaint que Biribi venait la nuit rôder autour de ses lapins, et avait menacé de l’étrangler[102 - étrangler – задушить] la première fois qu’il pourrait mettre la main sur lui. Les enfants ne rentrèrent que vers six heures, fatigués, mais enchantés de leur longue promenade; elle avait été interrompue par un bon goûter chez M. le curé, qui leur avait fait manger du pain et du beurre, de la crème, du fromage, des cerises, et boire de la liqueur de cassis[103 - cassis m – черная смородина].

«Eh bien, mes enfants, quelles nouvelles? leur demandèrent les papas et les mamans, qui les attendaient au salon.

– Aucune, maman, répondit Camille à Mme de Fleurville; on nous a seulement dit que c’était probablement Bernard qui l’avait tué.


MADAME DE FLEURVILLE

Pourquoi supposer une pareille méchanceté?


LÉON

Ma tante, c’est parce qu’il l’a annoncé à plusieurs personnes.


MADAME DE FLEURVILLE

Quand on veut faire une mauvaise action, on ne l’annonce pas.


JACQUES

Pourtant, ma tante, Nicaise croit que c’est très possible, parce que Biribi tournait souvent autour des petites maisons de ses lapins et qu’il avait peur qu’il ne les lui mangeât[104 - qu’il ne les lui mangeât – как бы он их не съел].


MADAME DE FLEURVILLE

S’il l’a fait, je porterai plainte au juge de paix, car c’est un mauvais homme que ce Bernard, et il me joue sans cesse des tours.»

Mais tout cela ne faisait pas retrouver Biribi; on le chercha encore lendemain, puis on n’y pensa plus.

Le troisème jour, les enfants allaient sortir de bonne heure pour prendre du lait et du pain bis à la ferme, quand ils aperçurent, à travers les arbres, du monde rassemblé autour de la buanderie.

«Allons voir ce que c’est, dit Jacques.

– Oui, courons», répondirent tous les enfants.

Ils s’approchèrent, on s’écarta pour les laisser passer, et ils virent le pauvre Biribi, maigre, à moitié relevé, à moitié tombé, qui mangeait avec avidité une terrine de soupe.

«Biribi! Biribi! s’écrièrent les enfants. Qui l’a retrouvé? Où était-il?

– Il était dans la buanderie, répondit Martin, le régisseur. La pauvre bête est restée là enfermée depuis trois jours.


MADELEINE

Mais comment s’est-il trouvé enfermé?


MARTIN

C’est probablement quand on a lavé Milord; Biribi sera entré[105 - sera entré – вероятно, вошел] dans la buanderie, et l’on a fermé la porte sans savoir qu’il était là.





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notes


Примечания





1


tout était en l’air – все стояло вверх дном




2


allaient et venaient – бегали взад-вперед




3


de minute en minute – с минуту на минуту




4


repartait comme une flèche – убегала стремглав




5


avant que ses amies eussent pu la rejoindre – раньше, чем подруги могли пойти с ней




6


une fourmilière – муравейник




7


ne faisant pas partie de la famille – поскольку она не являлась членом семьи




8


orpheline f – сирота




9


en lui rendant son baiser – уст. целуя ее




10


les enfants ne se firent point répéter une si agréable invitation – детям не надо было повторять дважды столь приятное приглашение




11


lui firent comprendre – дали ему понять




12


se passer de toi – обойтись без тебя




13


bluets m pl (= bleuets m pl) – васильки




14


s’éveilla de grand matin – проснулись рано утром




15


traire les vaches – доить коров




16


pain m bis – ситный хлеб




17


ce petit vantard de Jacques – этот хвастунишка Жак




18


il fera chou blanc – его ожидает провал




19


chou pommé – полный провал




20


sans doute (= peut-être) – может быть, вероятно




21


ce maillet – деревянный молоток




22


tu prends un air matamore – ты похож на хвастуна




23


se fit entendre – послышался




24


préparer les lignes et les hameçons – готовить удочки и рыболовные крючки




25


ne tardèrent pas à les rejoindre – не преминули к ним присоединиться




26


si vous nous jouez des tours – если вы с нами сыграете шутку




27


je m’en doutais – я так и думал




28


je ferai mon possible pour les déjouer – я сделаю все, чтобы их разоблачить




29


comment il se fait – как могло получиться




30


à peine – едва ли, только




31


ils jugèrent impossible qu’ils fussent donnés par le petit Jacques – они сочли невозможным, что эти удары наносил малыш Жак




32


au bout de quelques instants – через несколько мгновений




33


comment l’as-tu laissé aller – как ты его упустил




34


je l’ai entendu courir dans le bois – я слышал, как он бегал по лесу




35


aussi – вот почему, поэтому




36


cristaux m pl ébréchés – надтреснутый хрусталь




37


pour que le vent ne l’emportât pas – чтобы ветер ее не снес




38


lait m caillé – простокваша




39


que ceux qui m’aiment me suivent – пусть те, кто меня любит, идут за мной




40


à son nez en l’air – по ее носу, задранному вверх




41


qu’est-ce que ça vous regarde, mam’selle – какое вам до этого дело, мам’зель




42


je l’aurais joliment rabrouée – я бы ее быстро поставил на место




43


se serait prise de querelle – ввязалась бы в ссору




44


je suis fort sur la savate – у меня здорово получаются удары башмаком




45


je l’aurais mise en marmelade – я бы ее усмирил




46


c’est elle qui t’aurait rossé – она сама бы тебя поколотила




47


pardi – уст. конечно, черт возьми




48


ne faudrait-il pas que nous nous prosternassions devant toi – ирон. может, нам пасть ниц перед тобой




49


ils aimaient à le contrarier (= ils voulaient le contrarier) – им хотелось ему противоречить




50


garrotter – связывать




51


gueux de gendarmes – негодяи




52


je m’en moque bien – мне наплевать




53


grand fainéant – бездельник




54


ces invectives – эта брань




55


courroie f – ремень




56


une pièce de toile – отрез ткани




57


tope là – по рукам




58


je me mets en quête – я бросаюсь на поиски




59


ils l’auraient mise en pièces – они бы ее разорвали на кусочки




60


faire une halte – сделать привал




61


étaler sur l’herbe – разложить на траве




62


les enfants ne se firent pas prier – детей не надо было уговаривать




63


du foin – сено




64


ils se faisaient toujours aider par Jeannette – им всегда помогала Жаннет




65


détirait ses bras – потягивалась




66


dire des gros mots – говорить грубости, непристойности




67


tu t’es laissé aller – ты поволил себе лишнее




68


ce me semble (= il me semble) – кажется




69


reprendre haleine – передохнуть




70


je crains qu’il ne lui soit arrivé quelque chose – боюсь, как бы с ней что-нибудь не случилось




71


pourvu que – лишь бы только




72


creux – полый




73


tronc m pourri – прогнивший ствол




74


avant que son père et sa mère eussent eu le temps de l’en empêcher – до того, как родители успели ему в этом помешать




75


à demi évanouie – в полуобморочном состоянии




76


à tout hasard – на всякий случай




77


j’ai senti l’écorce et les feuilles sèches s’enfoncer sous moi – я почувствовала, что кора и сухие листья провалились подо мной




78


j’étais à moitié morte de peur – я была чуть жива от страха




79


j’entendais passer – я слышала, как ходят




80


prends garde – осторожней, берегись




81


voir laver – посмотреть, как моют




82


aloès [-εs] – алоэ




83


une voiture de poupée – игрушечная карета




84


se sauver – убежать




85


nous nous changerons – мы переоденемся




86


pour laver M. Milord bien à fond – ирон. чтобы как следует помыть господина Милорда




87


lui faites-vous prendre ce bain – заставляете его принимать эту ванну




88


faire mourir ses puces – убить блох




89


je ferai laver mes chevaux – я распоряжусь, чтобы помыли моих лошадей




90


n’auraient pas la bêtise de se faire noyer – скорее всего не будут так глупы, чтобы позволить себя утопить




91


visiter quelques amis – проведать друзей (совр. франц. aller voir ses amis)




92


débit m de tabac – табачный киоск (совр. франц. un bureau de tabac)




93


jusqu’à ce qu’il eût demandé pardon – до тех пор, пока он не попросит прощения




94


quenouille f – веретено




95


fourche f – вилы




96


râteau m à faner – грабли для сена




97


reins m pl – поясница




98


ce manant – през. деревенщина




99


il n’y a rien eu – ничего не произошло




100


ouiche = oui




101


que = parce que




102


étrangler – задушить




103


cassis m – черная смородина




104


qu’il ne les lui mangeât – как бы он их не съел




105


sera entré – вероятно, вошел



В книге графиня Софья де Сегюр, детская писательница и сказочница, описывает жизнь в своем имении Нуэт, в Нормандии.

На каникулы в имение съезжаются внуки и внучки графини, которые обожают слушать бабушкины сказки и с нетерпением ждут летних приключений.

Произведения де Сегюр многократно переиздавались, переводились на разные языки, большинство из них были экранизированы. Ее книги, написанные более ста лет назад, продолжают покорять сердца по сей день, ведь они открывают читателю волшебный мир детства.

Издание содержит неадаптированный текст, снабженный постраничными комментариями.

В формате PDF A4 сохранен издательский макет.

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