Книга - Le Visage du Meurtre

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Le Visage du Meurtre
Blake Pierce


Les Mystères de Zoe Prime #2
« UN CHEF-D’ŒUVRE DU GENRE THRILLER ET ENQUÊTE. Blake Pierce a merveilleusement construit des personnages ayant un charactère psychologique si bien décrit que l’on sent ce qui se passe dans leurs esprits, on suit leurs peurs et l’on se réjouit de leur succès. Plein de rebondissements, ce livre vous tiendra éveillés jusqu’à la dernière page. »

–-Books and Movie Reviews, Roberto Mattos (re Sans Laisser de Traces)



LE VISAGE DU MEURTRE est le tome #2 d’une nouvelle série thriller FBI de l’auteur à succès selon USA Today, Blake Pierce, dont le bestseller Sans Laisser de Traces (Tome 1) (téléchargement gratuit) a reçu plus de 1000 critiques cinq étoiles.



L’Agent Spécial FBI Zoe Prime souffre d’une maladie rare qui lui confère aussi un talent unique : elle voit le monde à travers le prisme des chiffres. Des chiffres qui la tourmentent, la rendent incapable de comprendre les gens, et lui laissent une vie sentimentale ratée – mais ils lui permettent également de voir des schémas qu’aucun autre agent du FBI ne peut voir. Zoe garde ce secret pour elle, honteuse, de peur que ses collègues ne l’apprennent.



Lorsque des femmes sont retrouvées assassinées aux abords de Washington, leurs corps marqués de numéros mystérieux, le FBI, perplexe, fait appel à l’Agent Spécial Zoe Prime pour déchiffrer l’énigme mathématique et trouver le tueur en série.



Pourtant, les chiffres n’ont aucun sens. Constituent-ils un schéma ? Une formule ?



Ou n’ont-ils aucun sens ?



Pour Zoe, affectée par ses problèmes personnels, le temps est un luxe qu’elle n’a pas, tandis que d’autres corps s’accumulent et que tous les yeux se tournent vers elle pour résoudre une équation qui, peut-être, est insoluble. Attrapera-t-elle le tueur à temps ?



Un thriller plein d’action et de suspense, LE VISAGE DU MEURTRE est le tome #2 d’une nouvelle série fascinante qui vous fera tourner les pages jusqu’à tard dans la nuit.



Le tome #3 de la série – LE VISAGE DE LA PEUR —est également disponible en pré-commande.





Blake Pierce

LE VISAGE DU MEURTRE




LE VISAGE


DU


MEURTRE




(LES MYSTÈRES DE ZOE PRIME – TOME 2)




B L A K E   P I E R C E



Blake Pierce

Blake Pierce a été couronné meilleur auteur et bestseller d'après USA Today pour Les Enquêtes de RILEY PAIGE – seize tomes (à suivre), la Série Mystère MACKENZIE WHITE – treize tomes (à suivre) ; Les Enquêtes d'AVERY BLACK – six tomes ; Les Enquêtes de KERI LOCKE – cinq tomes ; LES ORIGINES DE RILEY PAIGE – cinq tomes (à suivre) ; la Série Mystère KATE WISE – six tomes (à suivre) ; la Série Thriller Psychologique CHLOE FINE – cinq tomes (à suivre) ; la Série Thriller Psychologique JESSIE HUNT – cinq tomes (à suivre) ; la Série Thriller Psychologique FILLE AU PAIR – deux tomes (à suivre) et Les Enquêtes de ZOE PRIME – deux tomes (à suivre).



Lecteur passionné, fan de thriller et romans à suspense depuis son plus jeune âge, Blake adore vous lire, rendez-vous sur www.blakepierceauthor.com – Restons en contact !








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LIVRES PAR BLAKE PIERCE

LES MYSTÈRES DE ADÈLE SHARP

LAISSÈ POUR MORT (Volume 1)

CONDAMNÈ À FUIR (Volume 2)

CONDAMNÈ À SE CACHER (Volume 3)



LA FILLE AU PAIR

PRESQUE DISPARUE (Livre 1)

PRESQUE PERDUE (Livre 2)

PRESQUE MORTE (Livre 3)



LES MYSTÈRES DE ZOE PRIME

LE VISAGE DE LA MORT (Tome 1)

LE VISAGE DU MEURTRE (Tome 2)

LE VISAGE DE LA PEUR (Tome 3)



SÉRIE SUSPENSE PSYCHOLOGIQUE JESSIE HUNT

LA FEMME PARFAITE (Volume 1)

LE QUARTIER IDÉAL (Volume 2)

LA MAISON IDÉALE (Volume 3)

LE SOURIRE IDÉALE (Volume 4)

LE MENSONGE IDÉALE (Volume 5)

LE LOOK IDEAL (Volume 6)



SÉRIE SUSPENSE PSYCHOLOGIQUE CHLOE FINE

LA MAISON D’À CÔTÉ (Volume 1)

LE MENSONGE D’UN VOISIN (Volume 2)

VOIE SANS ISSUE (Volume 3)

LE VOISIN SILENCIEUX (Volume 4)

DE RETOUR À LA MAISON (Volume 5)



SÉRIE MYSTÈRE KATE WISE

SI ELLE SAVAIT (Volume 1)

SI ELLE VOYAIT (Volume 2)

SI ELLE COURAIT (Volume 3)

SI ELLE SE CACHAIT (Volume 4)

SI ELLE S’ENFUYAIT (Volume 5)

SI ELLE CRAIGNAIT (Volume 6)



LES ORIGINES DE RILEY PAIGE

SOUS SURVEILLANCE (Tome 1)

ATTENDRE (Tome 2)

PIEGE MORTEL (Tome 3)

ESCAPADE MEURTRIERE (Tome 4)

LA TRAQUE (Tome 5)



LES ENQUÊTES DE RILEY PAIGE

SANS LAISSER DE TRACES (Tome 1)

RÉACTION EN CHAÎNE (Tome 2)

LA QUEUE ENTRE LES JAMBES (Tome 3)

LES PENDULES À L’HEURE (Tome 4)

QUI VA À LA CHASSE (Tome 5)

À VOTRE SANTÉ (Tome 6)

DE SAC ET DE CORDE (Tome 7)

UN PLAT QUI SE MANGE FROID (Tome 8)

SANS COUP FÉRIR (Tome 9)

À TOUT JAMAIS (Tome 10)

LE GRAIN DE SABLE (Tome 11)

LE TRAIN EN MARCHE (Tome 12)

PIÉGÉE (Tome 13)

LE RÉVEIL (Tome 14)

BANNI (Tome 15)

MANQUE (Tome 16)



UNE NOUVELLE DE LA SÉRIE RILEY PAIGE

RÉSOLU



SÉRIE MYSTÈRE MACKENZIE WHITE

AVANT QU’IL NE TUE (Volume 1)

AVANT QU’IL NE VOIE (Volume 2)

AVANT QU’IL NE CONVOITE (Volume 3)

AVANT QU’IL NE PRENNE (Volume 4)

AVANT QU’IL N’AIT BESOIN (Volume 5)

AVANT QU’IL NE RESSENTE (Volume 6)

AVANT QU’IL NE PÈCHE (Volume 7)

AVANT QU’IL NE CHASSE (Volume 8)

AVANT QU’IL NE TRAQUE (Volume 9)

AVANT QU’IL NE LANGUISSE (Volume 10)

AVANT QU’IL NE FAILLISSE (Volume 11)

AVANT QU’IL NE JALOUSE (Volume 12)

AVANT QU’IL NE HARCÈLE (Volume 13)



LES ENQUÊTES D’AVERY BLACK

RAISON DE TUER (Tome 1)

RAISON DE COURIR (Tome2)

RAISON DE SE CACHER (Tome 3)

RAISON DE CRAINDRE (Tome 4)

RAISON DE SAUVER (Tome 5)

RAISON DE REDOUTER (Tome 6)



LES ENQUETES DE KERI LOCKE

UN MAUVAIS PRESSENTIMENT (Tome 1)

DE MAUVAIS AUGURE (Tome 2)

L’OMBRE DU MAL (Tome 3)

JEUX MACABRES (Tome 4)

LUEUR D’ESPOIR (Tome 5)




PROLOGUE


Le professeur Ralph Henderson soupira, se frotta l’arête du nez et fouilla dans la poche de son manteau pour trouver ses clés de voiture. Ce fut une longue soirée passée à corriger des contrôles d’anglais et, soit ses étudiants devenaient de plus en plus stupides, soit il était de plus en plus fatigué par son job. Il avait hâte de s’installer dans son lit pour la nuit avec un petit verre de whisky et un classique.

Le parking de Georgetown était presque vide. La plupart des autres enseignants avait eu la présence d’esprit de rentrer bien avant. Il faisait un temps frisquet et maussade ; la lumière des néons électriques vacillait au-dessus de sa tête au fur et à mesure que les papillons de nuit pénétraient à l’intérieur avec une intention suicidaire. Henderson coupa à travers les places vides, prenant un raccourci vers sa voiture. Il caressa brièvement l’idée de s’arrêter quelque part sur le chemin et prendre un café à emporter. Ou serait-il mieux tout simplement de rentrer le plus vite possible au chaud et en sécurité à son domicile ?

Ses pas résonnèrent étrangement dans le parking, le plafond et le sol en ciment projetant les sons dans tous les sens. C’était pendant de telles nuits que le parking se transformait en une toute autre bête. Un endroit où des types louches pourraient rôder dans l’ombre, prêts à bondir. Le genre de réflexion dont on ne peut pas se débarrasser, même lorsqu’on s’est répété plusieurs fois qu’on est un adulte et qu’on ne doit plus avoir peur du noir.

Cela dit, il y avait de bonnes raisons d’être nerveux ce soir-là. Le campus bourdonnait de nouvelles d’un crime qui avait eu lieu juste-ici, sous leurs nez. Un étudiant qu’Henderson avait connu. C’était peut-être à cause de cela que ses poils se hérissèrent sur sa nuque lorsqu’il traversa le garage et pourquoi il n’arrêta pas de jeter des regards furtifs, les yeux écarquillés, vers les ombres, essayant de voir si personne ne s’y cachait.

Il essaya de se changer les idées. Il avait bien plus de choses auxquelles penser. Il y avait un jeune qu’il avait dû expulser de sa classe car il avait encore échoué à un contrôle. C’était tellement frustrant d’enseigner ; voir ces jeunes sans trop de potentiel se laisser entraîner dans des soirées et ne pas prendre leurs études au sérieux. Ce fut avec regret qu’Henderson dut le recaler, mais il estimait sa décision justifiée après avoir reçu un courriel de l’étudiant.

Plein de méchanceté, le courriel était à la limite de la menace. Apparemment, le jeune n’avait pas apprécié d’être expulsé et voulait s’assurer qu’Henderson le savait. Comme si un tel geste allait lui permettre de réintégrer le cours. Ha ! Le jeune avait beaucoup à apprendre sur la vie et comment les gens réagissaient à la façon de les traiter.

Henderson atteignit la voiture et se battit avec ses clés, ses doigts gros et lents d’avoir écrit autant de commentaires lorsqu’il avait noté les étudiants. Il s’en voulut, alors qu’un tremblement s’empara de ses mains, redoublé par l’isolement du parking pendant la nuit. C’était ridicule de sa part. Il était adulte, bon sang, et il traversait ce parking au grand jour sans hésitation.

D’ailleurs, se dit-il d’un air sombre, si quelqu’un le suivait, ce serait cet étudiant en colère. Et il n’était pas assez intelligent pour traquer un professeur dans le noir sur un parking. Il était le genre de gamin qui envoyait des courriels méchants et laissait des traces. Vraiment rien à craindre. Henderson le signalerait au doyen demain, et ce serait tout.

C’était quoi ce bruit ? Un pas ? Quelque chose n’allait pas. Il avait chassé de son esprit ses peurs tout ce temps, mais maintenant il n’était plus rassuré. Le picotement dans la nuque d’Henderson s’amplifia, tel un pressentiment, mais avant qu’il n’ait pu se retourner, sa tête frappa violemment la vitre de la voiture.

Henderson eut à peine le temps d’encaisser le coup et la douleur submergeante venant de son nez que la main derrière sa tête le fracassa de nouveau sur le côté de la voiture. Abasourdi par le choc et la blessure, son corps se ramollit et il glissa. Il essaya de se retourner légèrement tandis que sa serviette vola par terre, mais il fut incapable de parer le coup suivant, ni celui d’après. Sa tête, sa tempe, le haut de l’orbite, sa mâchoire juste en-dessous de l’oreille frappèrent le châssis rouge, encore et encore.

Il ressentit les blessures avec un certain détachement lié au choc. Le craquement d’un os. La pensée aux contusions en train de fleurir sur son visage, puis les coupures et les écorchures, puis quelque chose de plus sérieux. Tout ce qu’il pouvait se dire, bêtement, c’était que son visage allait être abîmé. Ce fut tout ce à quoi il eut le temps de penser avant que tout soit fini, de toute évidence.

La main relâcha sa prise et Henderson tomba lourdement au sol, heurtant son épaule pendant la chute. Il ne le sentit presque pas, comparé au reste. Il était désormais suffisamment contorsionné pour retourner sa tête étourdie et observer, malgré sa vision troublée. Peut-être à cause des coups. Peut-être à cause du sang qui coulait sur ses yeux. Peut-être parce que son orbite devait être cassée, au mieux.

C’était qui ?  Une silhouette floue, juste un chuchotement, comme si un fantôme se tenait au-dessus de lui et non pas un homme. Mais c’était un homme. Cela devrait être un homme. Si seulement il pouvait distinguer qui ; mais, comme le sable qui glisse entre les doigts, la connaissance d’Henderson le quittait et il ne pouvait plus lutter contre. Il savait que c’était presque fini. Tout devenait noir autour de lui, pendant que la forme brumeuse le regardait en silence.

L’ombre s’étendit au-dessus de lui et redressa sa tête une dernière fois et l’écrasa contre le ciment ; un impact qu’Henderson ressentit à peine avant de s’écrouler tête en avant dans l’obscurité.

La tâche était accomplie.

Il n’allait plus jamais se réveiller.




CHAPITRE UN


Zoe dessina des sillons sur l’accoudoir du fauteuil en cuir, observant comme leur motif révélait le passage du temps, autant de mains et de bras différents qui s’étaient posés à cet endroit précis. Elle ne put pas se décider si cela était réconfortant, une preuve d’expérience, ou tout simplement dégoûtant. Qui sait quelle sorte de microbes se cachaient dans ce tissu ?

« Zoe ? » l’appela la Dr. Lauren Monk depuis un fauteuil tout aussi confortable situé face à elle.

Zoe leva des yeux coupables.

« Pardon. Il fallait que je réponde à ça ? »

La Dr. Monk soupira, tapotant son stylo sur un calepin qu’elle tenait dans sa main. Malgré la présence de l’enregistreur qui archivait toutes leurs séances, il semblait que la Dr. Monk était encore une adepte des méthodes traditionnelles. « Changeons de cap un moment, dit-elle. Nous avons eu quelques séances ensemble, n’est-ce pas, Zoe ? Je constate que tu as du mal parfois avec les repères sociaux. »

Ah. Ça. Zoe haussa les épaules, feignant un air indifférent. « Je ne comprends pas toujours la manière dont les gens réagissent.

– Ou la manière dont ils attendent que tu réagisses ? »

Zoe haussa à nouveau les épaules, son regard se déplaçant vers la fenêtre. Puis elle se donna mentalement une claque ; elle était censée prendre part activement à ces séances et non pas se comporter comme une adolescente difficile. « Ma logique est différente de leur logique.

– Pourquoi penses-tu que c’est ainsi ? »

Zoe savait pourquoi elle était comme elle était, ou au moins elle pensait le savoir. Les chiffres. Les chiffres qui se trouvaient partout où elle regardait, à tout moment de la journée. Ils lui disaient même à l’instant quelle correction avaient les lunettes de la Dr. Monk (à peine suffisante pour nécessiter aucune aide), qu’il y avait un millimètre de poussière sur les cadres des certificats accrochés au mur mais un quart de millimètre seulement sur le diplôme en psychologie (indiquant un sentiment de fierté plus fort pour cette réussite que pour les autres) et que la Dr. Monk avait écrit exactement sept mots durant leur conversation.

Elle voulait le dire, ou du moins une partie d’elle le souhaitait. Elle n’avait toujours pas avoué à la Dr. Monk qu’elle possédait un talent que personne d’autre ne semblait avoir. Personne, à part un criminel en série occasionnel, si elle en jugeait d’après l’affaire sur laquelle elle avait travaillé il y a environ un mois.

Mais il y avait encore une partie d’elle, toujours la partie la plus forte, qui ne pouvait pas supporter d’avouer quoi que ce soit.

« Je suis juste née comme ça, » dit Zoe.

La Dr. Monk acquiesça d’un signe de tête, mais ne nota rien. Apparemment, ceci n’était pas une réponse assez pertinente. « Que ressens-tu quand tu passes à côté de ces codes sociaux ? Cela te dérange ? »

C’était peut-être le fait qu’elles avaient eu suffisamment de séances ensemble pour que la gêne initiale disparaisse. C’était peut-être la liberté de parler à quelqu’un avec qui on n’a pas de véritable lien professionnel ou personnel. De toute façon, les lèvres de Zoe lâchèrent la vérité que sa tête avait gardé cachée jusqu’à présent, sans son autorisation consciente. « Shelley trouve que c’est tellement facile. »

Zoe s’en voulut tout de suite. Pourquoi avait-elle dit cela ? Maintenant, elles allaient passer le reste de la séance à creuser cette jalousie qu’elle ressentait envers Shelley, au lieu de travailler sur les vrais problèmes. Jusqu’à cet instant, elle n’avait pas vraiment réalisé que l’envie était là. « Agent Shelley Rose, » dit la Dr. Monk en vérifiant ses notes d’un après-midi précédent dans son cabinet. « Tu es beaucoup plus à l’aise avec elle qu’avec tes partenaires antérieurs, tu me l’as indiquée auparavant. Mais tu es jalouse d’elle. Peux-tu m’en parler davantage ? »

Zoe inspira. Bien-sûr qu’elle pouvait, bien qu’elle n’en eût pas envie. Hésitante, elle regarda ses doigts, tout en pensant qu’il était mieux de se lancer, tout simplement. « Shelley est douée avec les gens. Elle leur fait admettre des choses. Et ils l’aiment. Pas que les suspects. Tout le monde.

– Penses-tu que les gens ne t’aiment pas, Zoe ? »

Zoe avait pris une posture incommode. Tout était de sa faute. Elle n’aurait pas dû dire une chose pareille. Admettre une faiblesse était une invitation à ce que quelqu’un la creuse. C’était pour cette raison qu’elle n’avait pas encore parlé de chiffres. Même si cette thérapeute avait été conseillée par la Dr. Applewhite, son ami le plus proche et mentor, cela ne voulait pas dire que Zoe pouvait lui confier son secret le plus intime et le plus sombre. « Je n’ai pas beaucoup d’amis. Mes partenaires demandent généralement leur transfert, admit-elle à la place.

– Penses-tu que cela est lié à ta difficulté avec les codes de la société ? »

La femme posait une question évidente. « Ça, et d’autres choses.

– Quelles choses ? »

La question évidente. Zoe grogna intérieurement. Elle s’était piégée toute seule. « Mon boulot est difficile. Je suis souvent partie. Il n’y a pas beaucoup de temps pour prendre racine. »

La Dr. Monk acquiesça d’un air pensif. Elle souriait d’une manière encourageante, comme si Zoe allait réellement déboucher sur quelque chose. La partie d’elle qui désirait l’attention positive et l’affection qu’elle n’avait jamais reçues de sa mère en était ravie, même si elle ne le souhaitait pas. Être en thérapie n’avait eu pour effet que de révéler ses défauts. « Et Shelley ? A-t-elle des racines ? »

Zoe acquiesça d’un hochement de tête, tout en déglutissant. « Elle a un mari et une jeune fille, Amelia. Elle parle beaucoup d’elle. »

La Dr. Monk posa le stylo contre ses lèvres et l’y tapota trois fois de façon entendue. « Tu désires une famille à toi. »

Zoe leva soudainement les yeux, puis se rappela ne pas être surprise qu’un thérapeute puisse discerner les pensées les plus authentiques qui se cachent derrière tout ce que l’on raconte. « Oui, » dit-elle simplement. Il n’y avait pas de raison de nier. « Mais j’en suis très loin.

– Quand nous nous sommes rencontrées pour notre première séance, tu m’avais dit que tu avais eu un rendez-vous. » Zoe remarqua que la Dr. Monk n’avait pas eu à consulter ses notes pour dire cela. « Il t’a contactée, n’est-ce pas ? As-tu répondu ? »

Zoe fit non de la tête. « Il m’a envoyé quelques emails et a essayé de m’appeler. Je n’ai pas répondu.

– Pourquoi ? »

Zoe haussa les épaules. Elle ne pouvait pas dire exactement pourquoi. Gênée, elle toucha quelques mèches de ses cheveux bruns qu’elle portait coupés court, plus par commodité que par goût. Il y avait chez elle beaucoup de choses qui n’était peut-être pas attirantes de manière classique et elle le savait, même si elle ne saisissait pas véritablement comment les autres la percevaient. « Peut-être parce que la première rencontre a été très gênante. J’avais l’esprit ailleurs. Je ne pouvais pas me concentrer sur ce qu’il racontait. J’ai été ennuyante.

– Mais il n’a pas pensé cela de toi, n’est-ce pas ? Ce… ?

– John.

– Ce John, il semble être intéressé. Il cherche toujours à te contacter. C’est bon signe. »

Zoe acquiesça d’un signe de tête. Elle ne pouvait plus rien dire. La Dr. Monk avait raison, même si elle ne voulait pas l’admettre.

« Laisse-moi te dire ce que je vois, » continua la Dr. Monk. « Tu m’as déclaré que Shelley a la vie dont tu rêves. Elle est heureuse, mariée avec une enfant, elle s’épanouit dans sa carrière, elle a des compétences que tu n’as pas. Nous serons toujours jaloux de ceux qui peuvent faire ce que nous ne pouvons pas. C’est la nature humaine. L’important, c’est que tu ne te laisses pas ronger par cela et que tu te concentres sur les choses que tu peux accomplir. »

Elle attendit que Zoe acquiesce de nouveau, lui indiquant qu’elle écoutait, avant de continuer.

« Les choses n’arrivent pas d’elles-mêmes. Ou pour le dire autrement, il est peu probable que tu te maries si tu ne sors pas. Je te conseille d’appeler John et de sortir de nouveau avec lui. Peut-être que cela se passera mal. Peut-être que cela va très bien se passer. La seule façon de savoir, c’est d’essayer.

– Vous pensez que je devrais me marier avec John ? dit-elle en fronçant les sourcils.

– Je pense que tu devrais sortir de nouveau avec lui. » La Dr. Monk sourit. « Et si cela ne marche pas, tu devrais sortir avec quelqu’un d’autre. C’est ainsi que l’on atteint ses objectifs. Petit à petit. »

Zoe n’était pas tout à fait convaincue, mais elle acquiesça tout de même. De plus, elle avait quelque chose d’important à régler maintenant. « Je pense que c’est la fin de notre séance. »

La Dr. Monk rit. « C’est ma réplique, » dit-elle en se levant pour accompagner Zoe à la porte. « Et ne crois pas que je suis facilement distraite. La prochaine fois, nous reviendrons à ce problème de repères sociaux et de perception différente des autres. Nous irons au fond des choses, même si tu n’es pas prête à te livrer à moi. »

En sortant du cabinet, Zoe évita le regard de sa thérapeute, ne voulant pas révéler qu’elle espérait sincèrement que la Dr. Monk oublierait.




CHAPITRE DEUX


Au moins, le déjeuner était quelque chose dont Zoe pouvait s’enthousiasmer. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas pu voir son mentor en personne et elle avait attendu le rendez-vous avec impatience. L’idée que quelque chose de bien l’attendait après l’avait aidée à tenir durant la séance de thérapie.

La Dr. Francesca Applewhite, une professeur de mathématiques qui avait travaillé à l’université de Zoe, s’est avérée être l’une des meilleures rencontres que Zoe avaient eues dans sa vie. À l’époque, encore adolescente et complètement dépassée par l’ambiance de la résidence universitaire, elle fut sceptique à accepter encore un rendez-vous avec un spécialiste. Mais il se trouva que la docteur la comprenait totalement. Elle vit que Zoe avait une aptitude spéciale qui nécessitait d’être nourrie. Elles commencèrent avec des cours particuliers destinés à élever ses compétences à un autre niveau académique. Tout le reste découla de cela.

« Docteur, » salua Zoe lorsqu’elle atteignit leur table et se laissa tomber sur une chaise libre. Jugeant par la tasse de café à moitié vide et le livre de poche écorné qu’elle tenait dans ses mains, la Dr. Applewhite devait sûrement être là depuis un bon moment. Zoe ne put s’empêcher de remarquer les reflets gris qui gagnaient, mèche après mèche, ses cheveux autrefois bruns ; un contraste frappant avec la version de la docteur dont elle se souvenait lors de leur première rencontre.

La Dr. Applewhite glissa un signet entre les pages et posa le livre de côté, puis leva ses yeux en souriant. « Mon étudiante préférée. Comment le Bureau se comporte avec toi ? »

Elle avait une bonne raison de lui poser cette question. Après tout, ce fut sur ses conseils que Zoe entama une carrière dans les forces de l’ordre. Après que sa collègue – une des professeurs de math de Zoe – les avait mises en contact, la vie entière de Zoe avait changé. Elle savait exactement qui remercier pour cela.

« Bien. Ma nouvelle partenaire va bien, » dit Zoe. Elle prit le menu et le balaya du regard mais sans réel besoin. Elle savait déjà ce qu’elle allait commander. Un rapide coup d’œil sur les dimensions des colonnes et des lignes du menu lui suggéra que rien de nouveau n’avait été ajouté, et elles se retrouvaient toujours ici pour déjeuner.

La Dr. Applewhite se pencha pour faire signe au serveur et, tandis qu’elle le regardait s’approcher, Zoe observa la docteur. Elle se souvint de leur premier rendez-vous. La façon dont la Dr. Applewhite s’était véritablement intéressée à ce qu’elle avait à dire, l’une des rares personnes dans sa vie qui l’aient vraiment écoutée. Cette femme plus âgée avait pris quelques kilos en plus depuis, mais elle n’avait pas perdu une once de la compassion qu’elle avait témoignée envers une jeune femme qui n’avait aucune idée de sa place dans le monde.

Leur relation s’était développée au fil du temps. Zoe fut lente à lui faire confiance, à s’ouvrir à elle. Mais elle finit un jour par prendre le risque et à lui avouer son secret ; à tout lui raconter sur les chiffres.

Ce ne fut pas facile. Après tant d’années à entendre sa mère lui dire que ses aptitudes lui avaient été données par le diable, les r mots restèrent souvent coincés dans sa bouche. Mais la Dr. Applewhite se montra enthousiaste plutôt qu’horrifiée d’en connaître davantage sur les aptitudes de Zoe. C’est à partir de ce moment que leurs liens ne firent que se renforcer.

« Et la Dr. Monk ? », demanda la Dr. Appelwhite, les yeux brillants, après que Zoe eut passé sa commande. « Elle m’a raconté tu avais suivi mon conseil. »

Zoe ne put s’empêcher de rire. « Vous me surveillez ?

– Je dois toujours garder un œil sur mes préférés, » répondit la Dr. Applewhite en riant. C’était leur blague à elles. La Dr. Applewhite ne devrait pas, bien sûr, avoir de préférés. Mais à bien des égards, Zoe l’avait aidée dans sa carrière tout autant que la Dr. Applewhite avait lancé Zoe dans la sienne. La Dr. Applewhite avait fini par se spécialiser dans l’étude de la synesthésie appliquée en mathématiques et aujourd’hui, elle formait d’autres personnes qui avaient les mêmes aptitudes que Zoe. Plus ou moins, en tout cas.

« Les séances se passent bien, admit Zoe. La Dr. Monk a des observations intéressantes. Je comprends pourquoi vous l’appréciez.

– Elle a une très bonne réputation. As-tu fait des progrès dont tu pourrais me parler ? Ou est-ce trop personnel ? »

Zoe haussa les épaules tout en examinant les deux pouces d’eau au fond du vase qui se trouvait sur leur table et qui ne suffiraient pas à abreuver bien longtemps les deux chrysanthèmes. Ses calculs mentaux du temps qu’il faudrait pour qu’elles se fanent totalement l’amusèrent assez pour qu’elle s’autorise de dire ce qui la préoccupait. « Elle a dit que je devrais sortir plus. »

La Dr. Applewhite sourit affectueusement, sa propre alliance scintillant à la lumière du soleil lorsqu’elle porta la tasse de café vers ses lèvres. « Elle pourrait avoir raison.

– Je ne pense vraiment pas que ça soit la solution à tous mes problèmes, » soupira Zoe, rapprochant de sa bouche la tasse de café fumante apportée par le serveur.

« Peut-être pas à tous, mais à quelques-uns, » répondit sérieusement cette fois-ci la Dr. Applewhite. « Je ne dis pas que tu dois te sentir mal d’être qui tu es. Tu es opérationnelle – plus que ça. Tu l’as transformé dans un atout dans ton travail. Les autres ne sont pas aussi capables que toi. Je m’inquiète seulement pour toi. Vraiment, tu sais. »

Zoe hocha la tête. « J’apprécie, » dit-elle. En y réfléchissant bien, elle se rendit compte que la Dr. Applewhite était la seule personne au monde à se soucier véritablement d’elle. Cela la rassura, d’avoir au moins une personne.

Avant même d’avoir eu le temps de terminer sa pensée et de prendre au sérieux la recommandation d’appeler John, son portable sonna dans sa poche. Zoe le saisit et décrocha en voyant apparaître le nom de Shelley sur l’écran.

« Agent Special Zoe Prime.

– Salut, Z. J’espère que tu ne fais rien de beau en ce moment. »

Zoe poussa un soupir, baissant les yeux sur son assiette à moitié finie. Ce n’était pas comme si elle avait pu savourer son plat, ayant la tête ailleurs. « Je devine que nous avons une nouvelle affaire.

– Je te rejoins QG dans trente minutes. Le chef dit que c’est une grosse affaire. »

Zoe s’excusa en souriant à la Dr. Applewhite, mais la docteur lui faisait déjà signe de partir. « File faire ton devoir, Agent. Mais il y a une dernière chose que je dois te dire… » La Dr. Applewhite hésita, tout en inspirant. Elle semblait réticente à parler, mais elle finit par se lancer, les yeux baissés en direction de l’assiette à moitié finie de Zoe : « Quelqu’un de mon groupe de recherche – un autre synesthète. On pensait qu’il allait mieux mais…  Je suis désolée de le dire, mais il s’est tué la semaine dernière. Sans un groupe de soutien, si ce n’est moi, il avait du mal. Les êtres humains ont besoin d’avoir d’autres êtres humains autour d’eux pour les épauler émotionnellement. On en a tous besoin. Même ceux qui pensent un peu autrement. »

Zoe s’arrêta, et fixant du regard sa tasse de café et les quelques millimètres d’espace entre le café et le bord de la tasse, elle s’enfonça dans sa chaise. Elle n’était jamais allée à la rencontre d’aucun des membres du « groupe de recherche » de la Dr. Applewhite – les sujets d’expérience, comme les appelait Zoe dans sa tête quand elle était méchante – mais tout de même, c’était dur à entendre. Quelqu’un comme elle qui avait voulu mourir pour la seule et unique raison qu’il était exactement comme elle. C’était quelque chose de bien difficile à avaler.

Elle prit machinalement son sac et s’éloigna sans vraiment regarder autour d’elle. Dans sa tête, elle réordonnait ses pensées, se rappelant les commentaires de la Dr. Monk. Travaille vers tes objectifs. Petit à petit.

Qu’avait-elle dans sa vie, en fait ? Une mentor qui était la personne la plus proche d’une figure maternelle. Une partenaire, Shelley, qui incarnait ce qu’on pourrait désigner comme une amie. Deux chats, Euler et Pythagore et, bien qu’elle les aimât tous les deux, elle savait que c’était dans leur nature de chats de s’en sortir si elle disparaissait et ils vivraient avec quelqu’un d’autre. Une carrière qui semblait être plus instable qu’ascendante, même si actuellement, c’était plutôt pas mal. Un petit appartement qu’elle pouvait qualifier de « chez soi ».

Et une aptitude, ou un état, ou peu importe le terme, qui la rendait tellement différente qu’il poussait les gens comme elle à se suicider.

C’était une pensée qui donnait à réfléchir.




CHAPITRE TROIS


Zoe marcha à grands pas le long des couloirs de l’immense bâtiment du QG FBI à Washington, DC, en direction de la salle de réunion où Shelley avait dit qu’elle allait l’attendre. Ce genre de bâtiments rassurait Zoe : construit il y a bien longtemps mais avec suffisamment d’organisation et de logique pour qu’il soit facile de se repérer et se déplacer à chaque étage.

Le bâtiment J. Edgar Hoover avait été construit à dessein. Même si de l’extérieur, il était carré et gris, le genre d’architecture que les gens qualifient d’horreur, la composition géométrique, monolithique était ce que Zoe aimait le plus. Les couloirs bifurquaient exactement de la même manière, quel que soit l’endroit d’où l’on sortait de l’ascenseur, et les pièces étaient numérotées selon un ordre logique. La pièce 406, naturellement, était la sixième porte devant laquelle on débouchait en s’arrêtant au quatrième étage. Ceci était particulièrement appréciable. Tous les bâtiments n’étaient pas créés égaux.

Bien entendu, Shelley attendait déjà dans la salle de réunion, étudiant des notes et des photographies couleur disposées à intervalles réguliers le long d’une table de réunion. Elle leva les yeux et sourit quand Zoe entra.

Zoe avait du mal à comprendre comment Shelley, avec un jeune enfant à la maison et sans être particulièrement avantagée par la distance depuis la maison, avait pu arriver avant elle au QG. Non seulement cela, mais comment pouvait-elle être si bien habillée, dans un ensemble qui épousait à merveille ses formes rondes mais sveltes, tout en mettant en valeur le galbe de ses hanches, sa taille et ses seins, sans une seule trace de la saleté habituelle à laquelle on pourrait s’attendre au contact d’un enfant. Comment pouvait-elle même être si bien maquillée, avec sa bouche subtilement réhaussée d’une touche de rouge à lèvres rose et ses cheveux blonds proprement noués en un élégant chignon. Elle y parvenait pourtant.

Leur chef, l’Agent Spécial Superviseur Leo Maitland, se tenait debout à l’avant de la pièce, attendant avec l’impatience d’un jaguar prêt à bondir sur sa proie. C’était un vétéran de l’armée, avec l’allure d’un soldat et qui, après une carrière auréolée de succès de grade en grade, rentra chez lui pour rejoindre les forces de l’ordre. C’était il y a quinze ans, mais les cheveux grisonnants sur ses tempes n’indiquaient en rien qu’il n’était plus le guerrier qu’il fut à l’époque. Il mesurait un mètre quatre-vingt-dix, avec un tour de poitrine de cent-quatorze centimètres et des biceps de trente-huit centimètres qui se contractaient encore aux plis de son uniforme.

« Ah, Agent Spécial Prime, » dit-il. « Bienvenue. J’ai transmis les notes d’informations à votre partenaire. Asseyez-vous, s’il vous plait, et parcourez-les. »

Zoe suivit l’ordre et s’assit, posant un gobelet de café devant Shelley. C’était devenu une de leurs habitudes. Zoe apportait le café et Shelley menait les conversations courtoises nécessaires tout au long d’une affaire. Chacune s’occupait de quelque chose qu’elle pouvait gérer.

« L’Agent Spécial Rose a toutes les informations, mais je vais vous en donner un aperçu. On a déjà deux morts sur le dos, et ceci a l’air d’être une affaire locale, donc vous ne devriez pas avoir à vous déplacer. » Maitland croisa ses bras sur son torse, ce qui fit se tendre le tissu de son costume autour des épaules. « La presse locale va nous mettre la pression, sachant que l’une des victimes était très en vue dans la communauté. Vous vous doutez certainement de l’urgence d’éviter un troisième meurtre et de nous prémunir de ce que les journalistes ne nous collent pas l’étiquette « criminel en série ». »

Zoe acquiesça. Ce genre de reportage pouvait déclencher l’hystérie et contribuer à entraver l’affaire. Cela pouvait également faire diffuser les nouvelles plus loin – et cela voulait dire faire face à encore plus de presse nationale, voire même internationale. Les agents FBI avaient l’habitude d’être confrontés avec des situations très stressantes, mais cela ne voulait pas dire qu’elles étaient désirées. En particulier par Zoe, qui aurait compté les microphones et étudié les longueurs des câbles des caméras de télévision plutôt que de se concentrer sur son discours lors de la conférence de presse.

« Vu votre retard… » continua Maitland. Zoe sentit sa bouche s’ouvrir, prête à protester, mais elle la referma bien serrée. Elle s’était organisée pour prendre cette matinée pour son brunch, récupérant ainsi un peu de ses nombreuses heures supplémentaires de travail non-payées. Elle n’était pratiquement pas en retard. Mais on ne se disputait pas avec l’Agent Spécial Responsable du Bâtiment J. Edgar Hoover. « J’ai déjà débriefé votre partenaire. Je vais la laisser vous donner les détails. Étant donné votre inclination pour les mathématiques, nous avons considéré que cette affaire correspondra à vos aptitudes. Ne me décevez pas. »

Maitland quitta la pièce d’un pas altier, sans se retourner. Tandis qu’il sortait de la salle, Zoe constata que sa main s’égarait immédiatement vers sa poche et elle comprit que la bosse de trois millimètres d’épaisseur devait être un portable. C’était quelqu’un de très occupé, avec beaucoup d’appels à passer et d’autres instructions à donner. Il était peu probable qu’elles allaient le voir beaucoup avant la clôture de l’affaire – sauf si elles foiraient, auquel cas il était susceptible de débouler avec l’effet d’une tonne de briques.

Étant donné les mensurations de Maitland, et sachant qu’une tonne correspond à mille kilos, il n’équivalait pas réellement à une tonne de briques. Plutôt un dixième de cette valeur.

« Deux victimes, » dit Shelley, attirant l’attention de Zoe sans aucune formule de politesse banale pour démarrer la conversation. Elle commençait à mieux connaître Zoe et elle dut se rendre compte que, jusqu’à présent, ce genre de commentaires n’avait aucun impact positif sur leur relation. Zoe avait remarqué une baisse du bavardage d’au moins soixante-dix pour cent depuis qu’elles avaient commencé à travailler ensemble. « Les deux victimes dans notre propre jardin. La zone métropolitaine de DC.

– J’espère qu’aucune des deux victimes n’a été retrouvée littéralement dans nos jardins. En tant qu’agents fédéraux, tu penses qu’on s’en serait rendu compte. »

Une étincelle éclaira les yeux de Shelley alors qu’elle donnait un petit coup de coude à Zoe. « C’était une vraie blague ça ? Qu’y a-t-il dans ce café ?

– J’ai vu une ancienne amie ce matin. Je pense que ça m’a mise de bonne humeur.

– Alors je regrette de la briser. » Shelley lui indiqua les dossiers des deux victimes, soigneusement disposés et délibérément séparés. « C’est la première victime, il y a de cela une semaine environ. C’était un jeune étudiant retrouvé sur le terrain du campus de Georgetown. Sa tête a été défoncée avec un objet lourd – les médecins-légaux disent que c’était probablement un bâton.

– Six jours, murmura Zoe, son regard parcourant le dossier. Elle prit ses informations : taille un mètre quatre-vingt-trois, quatre-vingt-un kilos, vingt-trois ans.

« Oui, pardon. » De toute évidence, Shelley avait encore du mal avec les exigences de précision que Zoe attendait, même si elles se comprenaient facilement à d’autres égards. « La seconde victime a été retrouvée hier soir. Un professeur d’Anglais de Georgetown, sa tête fracassée à plusieurs reprises contre le côté de sa voiture jusqu’à ce que des dommages crâniens irrémédiables lui furent infligés.

– L’Université est un lien.

– Non seulement. » Shelley fouilla les photos et en sortit des clichés pris en plongée et qui montraient entièrement la scène du crime. « Tous les deux ont eu leurs chemises déchirées – et je veux dire, déchirées avec une certaine violence. Il semblerait que le fait de tuer n’était pas suffisant pour rassasier la rage du criminel. Ensuite il y a ces… bref, regarde toi-même. »

Zoe arracha presque les photos des mains de Shelley. Elle avait déjà commencé à reconnaitre la forme des marques gribouillées sur les torses des deux hommes, et un examen plus attentif le confirma. Les deux avaient été ornés d’équations mathématiques complexes – tellement complexes que Zoe tira une chaise et s’affala dessus sans les quitter des yeux.

« A-t-on montré cela à des témoins éventuels ? Amis, membres du corps professoral, étudiants ?

– En ce qui concerne la première victime, oui. La police locale a montré la photo. Fortement recadrée sur l’équation uniquement, bien sûr. Ils viennent de finir de faire circuler l’autre cliché ce matin, mais on peut encore trouver quelques pistes, je suppose.

– Et ? »

Shelley haussa les épaules. « Personne ne sait ce que ça veut dire. »

Zoe savait très bien que le département de mathématiques de Georgetown était un vivier de professionnels et si ceux-ci n’étaient pas capable de la déchiffrer, alors il s’agissait d’une équation sérieuse. « On dirait des mathématiques quantiques.

– C’est ce qu’une partie des professeurs a dit. Mais ils ne se rappellent pas l’avoir vue avant, ni avoir travaillé avec. »

Zoe continua à fixer l’équation, son cerveau bouillonnant devant les symboles complexes, les chiffres et les lettres, essayant de trouver au moins une entrée dans le schéma. « Quelles autres pistes avons-nous ? »

Shelley passa au crible encore quelques pages. « Je me suis arrêtée là quand tu es arrivée. Attends… les colocs et amis de l’étudiant ont tous été interrogés, ainsi que sa famille et le personnel enseignant. Il a été retrouvé dans un endroit du campus qui n’était pas surveillé par les caméras, pile dans un angle mort.

– Pratique, » dit Zoe en soupirant. Elle souhaitait qu’au moins une fois, ils tombent sur une affaire commise au vu et au su de témoins ou enregistrée par une caméra. Évidemment, on n’appelait pas le FBI pour celles qui étaient faciles à résoudre.

« Quant au professeur, il parait qu’il y avait des caméras seulement à l’entrée du parking. Tellement de gens y entrent et en sortent durant la journée, et on n’a aucun visuel sur l’une des sorties piétons. Rien de suspect enregistré par la caméra.

– Absolument aucune piste, » nota Zoe, appuyant son menton dans la paume de sa main tandis qu’elle analysait l’équation pour la énième fois. Lentement, rapidement, cela ne changeait rien. L’équation ne ressemblait à rien de ce qu’elle avait déjà vu. Bien au-dessus du niveau qu’elle avait étudié pendant ses années de fac.

Elle passa à l’autre, celle du professeur. C’était pareil. Que signifiait tout cela ?

« Que veux-tu faire d’abord ? » demanda Shelley, en achevant sa propre analyse des dossiers.

« Attends une seconde. » Zoe n’avait même pas pris soin de vérifier les renseignements sur la deuxième victime, mais il restait encore du temps pour cela. Elle sortit son calepin et son stylo et commença à écrire, griffonnant des marques rapides et nettes sur la page tandis qu’elle commençait à esquisser une analyse préliminaire. Des lettres grecques, des traits, des crochets, des triangles inversés – tous les symboles des mathématiques quantiques avaient un sens équivalent qui pouvait révéler un chiffre. M divisé par t” moins t’, un divisé par s’, puis additionné à un divisé par s”, et ainsi de suite, afin de retrouver la valeur de B


qui ensuite pourrait être réinsérée dans une autre ligne de l’équation pour déterminer la valeur d’une autre inconnue.

Les corrélations démarrèrent assez facilement. Si la valeur de M était égale à la valeur de r’, alors les deux premières lignes de l’équations auraient du sens ; mais la troisième ligne perturbait le tout et semblait donner une toute autre valeur à M. D’accord ; elle le fit d’une autre façon. Peut-être que M était effectivement le double de la valeur de r’, ce qui avait encore assez de sens dans ce cas et faisait marcher la troisième ligne – mais dès la sixième ligne, la valeur de M devait atteindre zéro et ici, encore une fois, cela n’avait plus de sens.

Quand Zoe leva de nouveaux ses yeux, elle n’eut aucune d’idée du temps passé. À un moment, Shelley avait dû s’assoir devant elle et balayait quelque chose sur l’écran de son portable.

« Ça n’a pas de sens, » annonça Zoe.

Shelley leva la tête, haussant un sourcil soigneusement dessiné. « Tu n’y arrives pas ? »

Les lèvres de Zoe se pincèrent avant de se résoudre à l’admettre. « Je n’y arrive pas encore, » dit-elle. « On manque peut-être d’indices. C’est tout ce qu’on a ? Il n’y avait rien d’écrit sur leur dos ou sur leurs bras, ou quelque part ailleurs ?

– Je n’en sais pas plus que toi, » dit Shelley. « Je me suis renseignée sur le prof. Rien ne ressort de son passé académique, ni de ce que j’ai pu voir de la vie personnelle qu’il s’était construite en ligne.

– Revérifie les photos, » suggéra Zoe tout en lui en passant un paquet et en prenant elle-même quelques-unes. Elle se pencha sur toutes les détails des clichés, ses yeux analysant les angles des os, le degré de torsion d’une jambe lors de la mort, la longueur des déchirures de leur chemise contre la résistance du tissu et de la couture. Elle ne trouva aucune connexion nulle part. Ni dans leur taille, ni dans leur poids, ni dans leur âge – et aucune indication que de l’encre avait été tailladée ailleurs sur leur peau.

Ce qui était inquiétant, bien sûr, fut le fait que plus on avait d’informations, plus les schémas mathématiques devenaient facilement prédictibles. Deux chiffres pouvaient sembler sans rapport, avec un nombre de possibilités entre eux, trop pour se décider sur une piste définitive. Trois nombres, et bien, cela pourrait en rendre un autre plus compréhensible, démarrer une formule. Mais cela nécessitait encore un meurtre.

Et elles n’en voulaient certainement pas d’autre.

« Je n’ai rien, » dit Shelley, secouant la tête.

« On échange, » suggéra Zoe en passant son paquet de photos à Shelley et prenant le sien à la place. « La seule chose de remarquable est l’angle de l’impact à la tête de la première victime. L’agresseur était un peu plus petit, peut-être un mètre soixante-quinze. »

Et puis, c’était pareil. Le même vide frustrant. Aucune trace d’encre sur les vêtements, aucune suite des chiffres en-dessous du tissu, rien à proximité. Les places de parking n’étaient pas numérotées et il n’y avait pas de numérotation non plus ni sur les murs, ni sur les piliers en béton qui soutenaient le plafond, ni sur l’herbe près de laquelle l’étudiant avait été retrouvé.

Rien.

Zoe renonça, secouant sa tête. « J’ai besoin de voir le corps du professeur, » dit-elle. « C’est la seule manière de trouver quelque chose d’autre en dehors de ce que nous avons déjà appris des photos.

– Parfait, » dit Shelley. C’était possible qu’elle fût sarcastique ; Zoe avait toujours du mal à faire la distinction. « Alors, allons jeter un coup d’œil de plus près sur un mec mort. »




CHAPITRE QUATRE


Zoe tapota ses doigts sur le volant, jetant un coup d’œil vers Shelley alors qu’elles se dirigeaient vers le coroner du coin. Il y avait quelque chose au sujet de cette affaire qui la dérangeait déjà et il fallait qu’elle exprime les doutes qui s’immisçaient dans sa tête avant qu’ils ne deviennent obsessionnels. « C’est drôle que Maitland ait su que je voudrais travailler sur une affaire liée aux maths. Je ne lui ai jamais raconté que j’aimais travailler avec des chiffres. »

Shelley s’éclaircit légèrement la gorge, évitant de croiser le regard de Zoe. « Eh bien, je nous ai proposées pour celle-ci. J’en ai juste entendu parler, et le chef a été d’accord que nous nous en occupions. »

Zoe digéra la nouvelle un instant. D’habitude, elle n’obtenait pas de son boss des choses seulement parce qu’elle les demandait. « Juste comme ça ? Tu n’as pas eu à le convaincre ? »

Shelley enroula autour de ses doigts le sautoir qu’elle portait, encore et encore, une flèche en or décorée d’un diamant qu’elle avait héritée de sa grand-mère. « Je lui ai dit que, comme tu étais très douée en mathématiques, on pourrait profiter d’un meilleur départ que personne d’autre. »

Zoe résista à l’envie de piler et maintint la voiture stable et fluide. Elle se concentra sur la route jusqu’à ce que le bouillonnement dans sa tête s’estompât, et elle parla distinctement et calmement. « Tu as dit que j’étais douée en math ?

– C’est tout ce que j’ai dit, je te jure. Je ne lui ai pas dit la vérité. Je ne lui ai pas parlé de, tu sais, ce que tu peux faire. »

Shelley sembla désolée, mais cela ne suffit pas pour faire disparaître le grondement dans les oreilles de Zoe. Douée en math. C’était proche de la vérité, trop proche pour se sentir à l’aise. C’était presqu’un aveu.

Elle s’était peut-être gravement trompée en faisant confiance à Shelley de ne pas divulguer son secret. Mais sa partenaire avait juré maintes fois qu’elle n’allait jamais le révéler à qui que ce soit sans l’accord de Zoe. Même si techniquement, elle ne l’avait encore jamais fait, c’était risqué. Trop risqué.

« Écoute, ce n’est pas grave, n’est-ce pas ? » demanda Shelley. Sa voix prit un ton plus élevé maintenant. « Je suis vraiment désolée si tu ne voulais pas que je dise cela, mais ce n’est qu’un petit détail de ce que sont les choses. Pas toute la situation. Et tu sais ? N’importe qui peut être doué en math. Ça ne te rend pas si différente que ça. »

Zoe grinça ses dents et resserra ses doigts autour du volant, tellement fort que le revêtement en caoutchouc émit un bruit sourd. « Ce n’était pas à toi de leur dire ça.

– J’ai juste – je n’ai pas pensé que c’était si grave d’en dire autant. » Shelley poussa un soupir, s’enfonçant sur l’appuie-tête du siège passager. « J’ai foiré, je comprends maintenant. Je suis désolée. Mais après avoir résolu notre grosse affaire dans le Kansas, ils se seraient rendu compte par eux même que tu es douée avec les chiffres. Je sais que je ne peux le dire à personne, et je ne vais pas le faire, mais je ne comprends pas pourquoi tu sens le besoin de le cacher. »

Zoe serra ses dents. Bien sûr que Shelley ne comprenait pas. Shelley n’était pas là. Elle ne dut pas prier toute la nuit à côté du lit sur le sol froid tandis que sa mère hurlait et prêchait sur le don du diable. Elle ne fut pas réprimandée à l’école à cause de son inattention, elle ne fut pas ridiculisée et ostracisée par les autres enfants à cause des choses troublantes qu’elle pouvait deviner sur eux, uniquement en les regardant.

Elle n’avait pas été là pour chaque relation ratée que Zoe avait endurée, incomprise encore et encore, ne se retrouvant avec rien d’autre que l’étiquette « folle » et le cœur à nouveau brisé.

« C’est mon secret de le dire, ou pas, si je le souhaite, » dit-elle catégoriquement une fois que son cœur bâtit suffisamment lentement pour qu’elle puisse prononcer les choses au lieu de les cracher, et Shelley eut l’intelligence de ne pas répondre.

Elles se garèrent devant le bureau du coroner et Zoe claqua la porte de la voiture derrière elle, se dirigeant d’un pas raide vers l’entrée. Puis elle s’arrêta. Cela ne servirait à rien de procéder à l’examen avec ce genre d’énergie pesant sur elle. Elle devait l’oublier, la ranger dans un coin de sa tête et y revenir plus tard. Pour l’instant elle devait être professionnelle.

Le coroner, une femme mince, de type asiatique, environ la quarantaine avec des yeux perçants et des cheveux coupés au carré lui arrivant à hauteur du menton, était imposante. Elle leur montra le corps du professeur et garda respectueusement ses distances tandis qu’elles procédèrent à l’examen.

Allongé nu sur le brancard métallique à roulettes, l’homme n’était rien de plus que de la viande blanche. En retirant le drap, il était difficile pour Zoe de faire le lien entre ce gros morceau de chair morte et l’homme qu’il avait été, et de maintenir ce lien connecté. Son humanité l’avait quitté. Elle pouvait encore la percevoir sur les bouts des doigts jaunis qui trahissaient une dépendance à la nicotine et sur la petite marque d’un centimètre au-dessus de son oreille gauche où il avait porté pendant des années des lunettes mal ajustées. Mais l’essence, l’être, tout ce qui avait rempli et animé autrefois ce corps avait disparu.

C’était mieux ainsi. Les gens la déconcertaient. Ils cachaient leur vraie nature derrière des mots et des gestes qu’elle ne pouvait pas toujours comprendre. Mais les corps ne mentent pas. Ils étaient ce qu’ils étaient, ni plus, ni moins.

Ce n’était donc pas plus mal qu’il ait perdu son visage. Écrasé à l’intérieur. Son nez était réduit à un plan totalement lisse du visage, les bosses et les courbes étant désormais enfoncées à l’intérieur de son crâne. Le côté droit de la tête était brisé et écrasé lui-aussi, portant les traces manifestes de l’impact. Personne n’aurait pu survivre à cela. Il avait même perdu l’un de ses yeux.

L’équation était là, sur son torse, écrite obliquement du haut de sa poitrine jusqu’en-dessous de son nombril. Tout était pareil que sur les photos – l’intégralité de l’extrait avait été capturée avec exactitude. Portant des gants blancs jetables inconfortables, Zoe retourna chacun de ses bras et jambes, et le souleva même sur le côté avec l’aide de Shelley. Elles ne décelèrent nulle part des traces d’encre, ou du moins une marque qui aurait pu être la pièce manquante de l’équation.

« Ils n’ont rien oublié, » dit Shelley à haute voix, confirmant la frustration grandissante qui s’accumulait dans la tête de Zoe.

« L’autre corps. » Zoe se retourna vers le coroner. « Nous avons besoin de voir l’étudiant aussi. »

Le coroner haussa les épaules, d’une manière suggérant qu’elle pensait que c’était inutile, et se dirigea vers un autre casier de l’armoire métallique qui servait de dernière demeure provisoire. Elle tira dessus, le tiroir s’ouvrant dans un fort grincement de métal contre métal, et elle recula pour leur permettre d’accéder au résidant.

L’étudiant paraissait encore plus jeune que sur les photos, ainsi allongé sur le plateau métallique froid, avec tout le sang drainé hors de ses joues et la couleur avec. Le sommet de sa tête était un carnage, ouvert et écrasé vers l’intérieur. Il était respectueusement couvert d’un drap, mais le respect n’était dans ce cas-là qu’un obstacle pour Zoe. Zoe s’approcha et le tira sur le côté, notant la réticence de Shelley à faire cela.

Durant une longue seconde, Zoe le fixa du regard, incapable de comprendre ce qu’elle voyait. Puis elle se demanda s’ils n’avaient pas sorti le mauvais corps, mais elle reconnut son visage d’après les photos de la scène de crime. Finalement, le doute régna et elle se tourna vers le coroner en lui lançant un regard si noir que l’autre femme dut reculer.

« Où sont les équations ? » demanda Zoe d’un ton bas et lisse, assez menaçant pour prévenir quiconque de la rage qui se cachait derrière.

« Eh bien, nous avons effectué l’autopsie, » bégaya le coroner, en cherchant une table métallique derrière elle pour se maintenir. « Nous lavons toujours les corps afin d’effectuer l’autopsie.

– Vous avez effacé les preuves. »

Shelley s’approcha et posa gentiment sa main sur le bras de Zoe, peut-être pour l‘inviter à se calmer. Zoe l’ignora. Elle bouillonnait, chaque muscle dans son corps prêt à exploser en une tornade d’énergie et à balancer quelque chose contre le mur. Peut-être contre le coroner.

La seule raison pour laquelle elle ne le fit pas était que c’était évidemment contraire au code déontologique. Comment auraient-ils toléré quelque chose de pareil ?

« Qui a autorisé le nettoyage ? » demanda Shelley d’une voix calme et posée. Elle avança légèrement devant Zoe, comme pour la protéger.

Le coroner fouilla dans ses papiers, toujours bégayant, le visage devenu pâle. Zoe ne pouvait plus le supporter. Elle sortit précipitamment de la pièce avec un grognement guttural, et claqua la porte derrière elle pour couronner le tout. Mais la porte étant battante, le mouvement perdit un peu de son effet, contribuant tout de même à relâcher une partie de la tension accumulée dans son corps.

Shelley la rejoignit quelques minutes plus tard, la trouvant faisant les cent pas au bout du couloir.

« Il faudrait qu’on leur fasse un rapport pour avoir manipulé les preuves, » dit Zoe une fois que Shelley fut assez proche pour l’entendre.

« Ils ont agi dans les limites de leurs prérogatives, » soupira Shelley, haussant les épaules. « Le photographe a considéré qu’ils avaient tout pris. Il va falloir leur faire confiance.

– Ils devraient quand même être punis. Ils n’ont pas de bon sens ? C’était évidemment une preuve. Et les enquêteurs principaux n’avaient même pas encore vu le corps !

– Bon, à vrai dire, c’était une affaire locale quand ils ont effectué l’autopsie, et non une fédérale. Ce qui est fait est fait. On n’a qu’à travailler avec ce qu’on a. »

Shelley était rationnelle ; trop rationnelle. Zoe n’aimait pas cela. Elle voulait une justification pour la frustration qu’elle ressentait, bon sang, un sentiment commun entre les deux. Elle détestait qu’on la fasse se sentir comme étant la folle de service, avec son problème. Les choses mal faites étaient un problème. Les gens étaient censés faire le boulot pour lequel ils étaient payés. C’était ainsi que la société fonctionnait.

« Une chose pareille aurait dû leur paraître d’une importance évidente, » dit Zoe, essayant dans une dernière tentative de communiquer un faux sentiment de rage à Shelley.

Cela ne marcha pas. « Nous devons avancer de toute façon, » dit Shelley en sortant et jetant un coup d’œil derrière elle pour s’assurer que Zoe la suivait. « Devrions-nous aller parler avec la femme du professeur ? »

Zoe acquiesça d’un signe de tête, capitulant. Elle exagérait peut-être. On lui avait dit qu’elle pouvait le faire de temps à autre.

Dans cette affaire, il y avait bien plus à découvrir que les simples preuves physiques sur les corps. Bien sûr, le côté mathématique était captivant, de même que de cibler une université renommée. Mais il y avait toujours une autre version à entendre de la part des familles des victimes, les personnes qui les avaient connues.

Peut-être que Mme Henderson pouvait les aider à mieux comprendre la mort de son mari – et à refermer cette enquête frustrante le plus vite possible.




CHAPITRE CINQ


Shelley prit le volant, un événement rare quand elle se déplaçait avec sa partenaire. Shelley savait que normalement, Zoe avait le mal des transports, mais aujourd’hui elle était tellement préoccupée par ses équations qu’elle semblait à peine remarquer les routes qui se succédaient rapidement. Elle ne s’était même pas agrippée à sa ceinture, sa façon à elle de manifester son inconfort.

Shelley lui jeta un coup d’œil à chaque fois qu’elle en avait l’occasion –aux carrefours ou arrêtée dans les bouchons. Ce que Zoe griffonnait frénétiquement sur plusieurs pages de son calepin n’avait aucun sens pour elle. Cela aurait très bien pu être des hiéroglyphes.

Zoe avait un réel talent en matière de chiffres, mais il y avait également d’autres aspects liés à cela. Une obsession tenace pouvait parfois s’emparer d’elle, comme à présent. Autant Shelley aurait voulu l’aider, elle n’avait aucune idée de ce qu’il fallait faire – et Zoe n’allait pas le lui dire. Et elle était ainsi bien souvent. Silencieuse, renfermée. Shelley avait entendu des histoires sur ses anciens partenaires et il n’était pas difficile d’en déduire que Zoe avait peut-être renoncé depuis bien longtemps à confier ses pensées aux autres.

Zoe avait l’habitude de travailler seule. C’était sa façon de fonctionner. Shelley allait changer cela. Seulement, cela risquait de prendre un bon moment. Cependant, elle devait continuer à la motiver et à lui rappeler de partager ses pensées.

Peut-être pas seulement à propos des mathématiques. Shelley pouvait lui faire confiance de travailler là-dessus toute seule.

Le professeur d’anglais avait habité de l’autre côté de la ville, dans l’une des banlieues chics avec ces maison blanches dotées de vastes pelouses et des clôtures blanches assorties. Shelley gara la voiture devant, coupa le moteur et attendit que Zoe s’en rende compte.

Elle ne leva même pas la tête.

Il y avait des moments où Shelley sentait qu’elle devait marcher sur la pointe des pieds autour de Zoe – de la considérer avec précaution. Avec des pincettes. Ce qui était assez ironique, sachant que Shelley passait tout son temps à être un parent à la maison. Plus d’une fois, elle eut l’impression de faire la même chose au travail, bien que Zoe fût la plus âgée entre elles.

« Nous y sommes, » dit Shelley doucement, ne voulant pas interrompre Zoe en plein milieu de ses calculs.

Le stylo de Zoe se figea et elle leva enfin son regard. Elle semblait surprise de se retrouver ailleurs que sur le parking du bureau médico-légal. « Je dois juste finir… »

Shelley leva un sourcil. « Z, est-ce que ça va te prendre encore deux minutes pour finir ? Sinon, ce serait mieux d’aller parler à la femme du professeur et reprendre l’équation plus tard. »

Zoe poussa un profond soupir, mais elle semblait être d’accord. Elle rangea son calepin dans une poche et descendit de la voiture, ce que Shelley interpréta comme un signal à faire de même. Elle révisa son précédent jugement ; gérer Zoe n’était pas exactement pareil que gérer un enfant. Plutôt un adolescent parfois bourru.

Mme Henderson semblait les attendre, ou du moins attendre quelqu’un. Elle était bien habillée dans une robe foncée à fleurs, les couleurs ternes évoquant ce qu’elle était en train de vivre. Ses yeux étaient cernés de rouge, mais grands ouverts et perçants, notèrent en quelques instants Shelley et Zoe dès leur rencontre sur le seuil de la porte.

« Je suis l’Agent Spécial Shelley Rose et voici l’Agent Spécial Zoe Prime. Nous souhaiterions entrer et parler de votre mari, Mme Henderson. »

La femme fit un signe de tête, les invitant à entrer, tout en s’écartant afin de fermer la porte derrière elles. La maison était meublée dans un style classique discret, tout en bois sombre, des coussins confortables et des couvertures. Mme Henderson les conduisit dans un coin salon, où Shelley accepta volontiers le café qui lui avait été offert, ainsi qu’à Zoe.

« Elle le prend très bien, » chuchota Shelley, jetant un coup d’œil tout autour de leur nouvel environnement. Il était bien rangé, aucun objet déplacé. Pas de poussière ni sur la table basse en marbre, ni sur le buffet foncé surchargé de pense-bêtes et de babioles. Quelques morceaux de fruits frais se trouvaient dans un bol poli au milieu de la table. Cela ressemblait davantage à un plateau de télévision qu’à une maison habitée pour de vrai.

Peut-être que la façon pour Mme Henderson de vivre son deuil était de nettoyer et ranger la maison, prête à recevoir. Cela n’aurait pas été totalement étrange. Shelley l’avait déjà vu. C’était lié à la négation – l’idée selon laquelle, si elle s’assurait que tout était parfait, son mari pourrait rentrer par la porte.

La charge de travail reportait aussi le deuil.

Une photographie encadrée était posée sur la cheminée – le professeur et sa femme à une époque plus heureuse. Shelley la regarda et essaya de ne pas voir le désastre terrifiant auquel avait été réduite la tête du professeur.

« Dix-sept figurines, » marmonna Zoe. Shelley suivit son regard en direction du buffet et sut que Zoe faisait ce qu’elle faisait toujours : chercher des chiffres. Dans ce cas, pourtant, elles avaient déjà pris un autre sens. Elle cherchait un indice qui pouvait faire avancer les équations.

La maitresse de la maison revint après seulement quelques minutes, portant un plateau chargé de trois tasses de café chaud. Le délicat modèle de la tasse en porcelaine de Mme Henderson contrastait avec la simplicité pratique des deux autres. Deux personnalités s’exerçant sur le contenu d’une maison. Peut-être un message indiquant que les visiteurs qu’elle recevait aujourd’hui n’étaient pas dignes de la meilleure porcelaine.

« Cela a dû être un vrai choc pour vous, » dit Shelley tout en levant sa tasse et soufflant doucement la surface du café avant de le siroter. Ces questions ou affirmations, ouvertes et chaleureuses, encourageaient souvent le dévoilement de plus d’information. Le genre d’information auquel on n’aurait même pas pensé autrement.

« Oh, oui, » soupira profondément Mme Henderson, s’installant de nouveau dans le fauteuil qui devait être sa place habituelle. « J’ai encore du mal à y croire. Mon Ralph, parti juste comme ça. Et si violemment, en plus. Je ne peux pas comprendre.

– Pouvez-vous penser à la raison qui se cache derrière le niveau de violence, Mme Henderson ? »

La femme âgée ferma un instant ses yeux, une main s’agitant jusqu’à son front. Elle était encore ornée d’une alliance simple en or, aux côtés d’un mélange plus élaboré, composé de petits diamants.

Peut-être la bague de fiançailles, vieilles de plusieurs décennies. « Au départ, j’ai cru qu’ils avaient voulu voler quelque chose. Sa voiture ou son porte-monnaie. Mais la police a dit que rien ne manquait.

– Les psychologues nous disent que l’on y retrouve les traces d’une grande rage. Le genre de rage qui, et bien, vient habituellement du fait de connaître personnellement la victime. Y a-t-il quelqu’un auquel vous penseriez ? Quelqu’un qui pourrait être fâché contre votre mari, assez pour vouloir lui faire mal ? »

Un mouchoir brodé vint tamponner ses yeux, sa main annelée se levant pour balayer une mèche de ses cheveux châtain clair. « Je ne peux pas l’imaginer. Je veux dire, Ralph était – c’était Ralph. Il n’aurait pas fait de mal à une mouche. Il s’entendait bien avec ses collègues, il était apprécié par les étudiants. Nous avons quelques amis dans le quartier qui venaient chez nous pour le dîner de temps en temps. Il ne s’était jamais disputé avec des inconnus. Il n’y avait rien de controversé à son sujet. Tout le monde l’aimait !

– D’accord, donc pas d’ennemis connus, » dit Shelley, faisant des signes de tête de manière encourageante même si elle se sentit frustrée par la réponse. Il était toujours mieux de savoir vers où aller ensuite. « Tout au long de sa carrière, vous pensez ? Il n’a jamais eu d’ennuis ? »

Mme Henderson renifla, haussant ses épaules. « Et bien, il y avait toujours un petit quelque chose, » dit-elle, bien que sa voix indiquât qu’elle pensait que cela était insignifiant. « Il était professeur. Il y avait des étudiants qui n’étaient pas d’accord avec leurs notes. Ou ceux qui étaient recalés car ils n’avaient pas participé aux cours, ou n’avaient pas rendu leurs essais à temps. Ils pensent tous qu’ils méritent un traitement spécial. Mais c’est normal. Cela fait partie du boulot. Personne ne tuerait pour une note, n’est-ce pas ? »

Shelley remarqua que Mme Henderson posait vraiment la question – elle cherchait à être rassurée. Malheureusement, Shelley savait qu’elle ne pouvait pas le faire. Les gens tuaient pour toutes sortes de raisons. Il n’y avait pas toujours de logique derrière. Parfois, ce n’était que la goutte d’eau qui les faisait craquer, en plus du reste.

C’était peut-être une idée qui méritait d’être explorée. Un jeune riche gâté, à qui on a tout donné dans la vie, qui commence soudainement à échouer pour la première fois ? Qui pète les plombs, guidé par le sentiment d’impunité ? Ou un étudiant sans le sou n’ayant plus de raison de vivre – parents récemment décédés, largué par sa copine, licencié de son boulot à mi-temps et puis une mauvaise note pour couronner le tout ? C’était quelque chose à considérer en tout cas.

« Espérons que non, » s’aventura-t-elle avec un léger sourire qui avait pour but d’exprimer sa compassion. « Vous rappelez-vous autre chose d’inhabituel qui aurait pu se passer au cours des derniers jours ou semaines – voire ces derniers mois ? »

Mme Henderson secoua la tête, tamponnant de nouveau ses yeux. « J’y ai pensé, encore et encore. Tout était tout simplement… normal. C’est pour cela que ça a été si choquant. Totalement à l’improviste. Je ne sais absolument pas pourquoi quelqu’un aurait voulu faire du mal à mon Ralph. »

La femme devenait de plus en plus bouleversée. Il était peut-être plus prudent de terminer l’interrogatoire et la laisser tranquille. « Y a-t-il quelque chose d’autre que vous pourriez nous dire – vraiment rien d’autre ? Cela peut ne pas vous paraître important, mais la moindre information est une autre pièce du puzzle. »

Mme Henderson secoua sa tête, d’un air impuissant.

« D’accord, une dernière question. Vous souvenez-vous avoir entendu votre mari parler d’un étudiant qui s’appelle Cole Davidson ?

– Pas avant que son nom soit dans les journaux, » dit Mme Henderson. « Le pauvre garçon. Vous pensez… vous pensez qu’ils soient liés ? Ils doivent l’être, n’est-ce pas ? Deux meurtres en si peu de temps ?

– Ce n’est pas utile pour nous d’émettre des hypothèses à ce stade. » Shelley but une dernière gorgée de son café, regrettant de devoir abandonner la moitié de ce que fut une bonne tasse de café. « Mais nous resterons en contact, si nous pouvons vous en dire davantage. »

Shelley se leva, puis hésita tandis que Zoe la rejoignit. « Mme Henderson, avez-vous quelqu’un pour vous tenir compagnie aujourd’hui ? »

Elle acquiesça doucement d’un signe de tête, tout en se levant pour les accompagner à la porte. « Ma fille a pris un vol. Elle devrait être à la maison ce soir. »

Cela réconforta Shelley. Laisser une femme seule avec son deuil la perturbait toujours, peu importe le nombre de familles qu’elle avait déjà interrogées. « Alors nous restons en contact, Mme Henderson. En attendant, essayez de vous reposer un peu. »

Une fois de retour dans la voiture, Zoe sortit tout de suite son calepin et commença à griffonner de nouveau. Shelley se demanda si elle avait écouté un seul mot de l’interrogatoire ou si elle l’avait immédiatement ignoré, le considérant inutile, et avait passé tout ce temps à penser aux chiffres.

Quoi qu’il en fût, Shelley ne pouvait pas se fâcher. À présent, les équations étaient la seule vraie piste qu’elles avaient. Sur le chemin de retour, Shelley ne put s’empêcher de s’inquiéter du fait qu’elles ne trouveraient plus rien d’important qui pourrait résoudre l’affaire. Avec Zoe tellement préoccupée par les chiffres, c’était à Shelley de trouver quelque chose d’autre qui ferait une différence.

Le problème était de savoir où chercher.




CHAPITRE SIX


Zoe détesta chaque seconde du temps perdu à traverser le bâtiment, du parking jusqu’à la salle qu’elles avaient réservé pour leur enquête. Une distance d’environ cinq cents pas qui aurait pu être passée à travailler. Aussi agréable que cela pouvait l’être de travailler sur quelque chose qui s’était passé dans leur propre jardin, comme l’avait dit Shelley, Zoe commençait déjà à être irritée. Les équations refusaient de lui révéler leurs secrets, restant fermées et opaques.

Dès qu’elles atteignirent la table, Zoe s’assit et reprit ses notes, essayant de reprendre chaque élément de l’équation du professeur, étape par étape. Après tout, la sienne était celle qu’elles avaient vue en vrai, celle dont elles pouvaient être sûres qu’elle était complète.

« Je vais vérifier son compte email de l’Université, » annonça Shelley, tout en jetant son sac sur une chaise et en en sortant son portable.

« Est-ce nécessaire ? » demanda Zoe en plissant son nez. Il n’y avait pas de raison à se précipiter vers de ce genre de piste. La réponse était dans les équations et non pas dans la vie personnelle du professeur. C’était forcément ainsi. Il n’y avait aucun lien entre Cole Davidson et ce professeur d’anglais, si ce n’est les équations.

« Je ne suis pas douée en maths, donc je ne peux pas t’aider à déchiffrer les équations cette fois-ci », souligna Shelley. « Quelque chose que Mme Henderson a dit me fait réfléchir. Il peut toujours s’agir d’un étudiant. Quelqu’un qui s’est senti offensé en quelque sorte. Il est possible que beaucoup de personnes du campus aient aussi bien connu Cole que le Professeur Henderson.

Zoe hésita, retenant ses objections sur le bout de sa langue. Elle trouvait que c’était une perte de temps de se mettre à fouiller dans les emails d’un homme mort. Mais qu’importe ? Shelley avait raison – elle ne pouvait pas l’aider avec les équations. Et c’était peut-être le moment que Zoe lui fasse confiance pour analyser les choses à sa manière.

Il serait peut-être bien aussi pour Zoe que l’affaire soit résolue grâce à un email mécontent plutôt que par les chiffres. Après que Shelley ait fait remarquer à leur supérieurs hiérarchiques le talent de Zoe pour les mathématiques, Zoe ne se donnait plus vraiment de mal à le prouver. D’ailleurs, ce serait mieux si cela pouvait passer cela pour de la confiance déplacée de la part de sa partenaire.

Mais, bien sûr, pas si cela compromettait l’affaire. Arrêter le criminel était toujours la chose la plus importante.

Zoe reporta son attention sur les équations tandis que Shelley appela l’Université pour obtenir l’accès dont elle avait besoin. Le problème était qu’elle était allée aussi loin qu’elle le pouvait – avec les deux. Certes, il y avait toujours la possibilité que l’on ait oublié quelque chose sur le corps de l’étudiant, mais elles avaient vérifié le professeur elles-mêmes.

Alors, qu’est-ce qui lui échappait ?

Il y avait encore une possibilité, bien sûr : qu’elle n’était tout simplement pas suffisamment douée pour la résoudre. Il y avait une différence entre être capable de voir les chiffres – distances, dimensions, angles – et être capable de résoudre des problèmes de mathématiques quantiques. Cela nécessitait d’autres aptitudes que certaines personnes développaient durant toute une vie. Zoe avait un don, mais elle l’avait mis au profit de la traque des criminels, pas à l’étude des mathématiques.

Ce qui fit germer une nouvelle idée dans sa tête.

Elle se leva, quittant Shelley encore au téléphone avec un réceptionniste, et porta une liasse de photographie au bout du couloir, en direction de l’ascenseur. Deux étages plus haut, un couloir identique à celui qu’elle venait de quitter – exception faite que les pièces à cet étage transpiraient davantage le pouvoir.

Zoe prit sa respiration avant de frapper à la porte de son chef. Combien de fois fut-elle convoquée ici pour se faire réprimander d’avoir encore perdu un partenaire ou d’avoir déchargé son arme ?

Mais ce n’était pas l’un de ces moments et une fois conviée, elle entra en essayant de ne pas être nerveuse.

Avec son corps imposant et sa musculature plus large que la moyenne, il était facile de comprendre pourquoi l’Agent Superviseur Maitland pouvait être intimidant sur le terrain. Les criminels l’auraient toisé avant de s’enfuir.

Zoe s’efforça de ne pas faire de même.

« Monsieur, » dit-elle, hésitant sur le seuil de la porte.

Maitland leva les yeux de ses papiers, puis continua à gribouiller sa signature en bas d’une demande. « Allez-y, Agent Spécial Prime. Ne restez pas dans le couloir toute la journée. »

Zoe s’avança, laissant la porte se refermer derrière elle avec un peu de réticence. Pourtant, elle redressa ses épaules et lui fit face, le dos droit comme elle se sentait toujours le devoir de se maintenir en sa présence. « Monsieur, il s’agit de l’affaire sur laquelle nous travaillons l’Agent Spécial Rose et moi. L’étudiant et le professeur, retrouvés avec des équations écrites sur leur corps. »

Malgré le grand nombre de dossiers qui devait forcément passer par le bureau de Washington, Maitland n’hésita pas. « Je connais l’affaire. De quoi avez-vous besoin ?

– Les équations sont très complexes, » dit Zoe, ayant l’impression d’être une ratée en avouant simplement qu’elles l’étaient trop pour elle. Pourtant, il le fallait. Fixant du regard tout ce qui était bien rangé dans un angle de quatre-vingt-dix degrés sur le bureau de Maitland, au lieu de scruter sa réaction, elle alla de l’avant. « Je pense que nous devrions faire appel à un expert en la matière. Quelqu’un qui pourrait travailler sur les équations de façon professionnelle. »

Maitland acquiesça d’un signe de tête, puis s’arrêta d’écrire, comprenant qu’elle avait fini. « Pensez-vous à quelqu’un en particulier ? L’Agent Spécial Rose nous a rappelé que vous aviez étudié les mathématiques par le passé.

– Oui, monsieur.

– Bien. » Maitland retourna à sa paperasse, sans lui porter davantage attention. « Autorisation accordée. Retournez-moi le formulaire au plus vite.

– Oui, monsieur. » Zoe fit demi-tour et s’enfuit presque, ravie d’avoir obtenu un résultat aussi positif. En aucune manière elle n’allait traîner et risquer qu’il change d’avis.

Il y avait du travail à faire – et quelqu’un de très important à mettre sur l’affaire.


***

Zoe attendit impatiemment, observant sa mentor examiner les images.

« Elle sont…troublantes. » La Dr. Applewhite secoua sa tête, coinçant sa lèvre inférieure entre ses dents durant trois secondes, tandis qu’elle glissait la photo à l’arrière du paquet qu’elle tenait à la main, et examina la suivante. « Parfois j’oublie que tu dois regarder ce genre de choses jour après jour. Cela doit peser lourd. »

Zoe haussa les épaules. « Les morts sont morts. C’est de ne pas résoudre les affaires qui me dérange.

– Et celle-ci, tu n’as pas encore pu la résoudre. » Ce n’était pas une question. Zoe avait déjà annoncé à la docteur qu’elle avait besoin d’aide. La Dr. Applewhite savait que c’était une affaire en cours et qu’elle avait dû solliciter la permission pour qu’elles puissent ne serait-ce qu’avoir cette conversation. Elle comprit également que le temps était compté. Au fil des heures, il devenait de moins en moins probable qu’ils allaient retrouver le coupable.

Le problème avec les homicides est que les premières vingt-quatre heures sont essentielles. Tout le monde le savait. Vingt-quatre heures sans une arrestation et on commençait à évoluer en terrain miné. Le genre d’affaires qui allait se transformer en épisodes d‘émissions télévisées de fin de soirée.

L’étudiant était mort depuis bien plus de quarante-huit heures.

« J’ai besoin de savoir ce que ça veut dire, » expliqua Zoe. « À présent, c’est la seule piste que nous avons. Il ne semble pas y avoir de lien entre le professeur et l’étudiant, au-delà de l’endroit où ils ont été trouvés. Pas de témoin, pas d’enregistrement sur les caméras de surveillance. Nous devons comprendre quel genre de message le tueur essaie de transmettre si nous voulons l’arrêter. »

La Dr. Applewhite fronça les sourcils en regardant les photos et les posa à côté des notes de Zoe pour revoir les calculs que Zoe avait déjà faits.

« Ton raisonnement me semble solide, » dit-elle après un certain temps. « Je ne vois pas d’autre possibilité que tu n’aies pas déjà explorées. C’est très avancé – au-delà même du niveau auquel je travaille. »

Zoe sentit son cœur chavirer dans sa poitrine. Elle était certaine, tellement certaine que la Dr. Applewhite aurait les réponses. Désormais, il semblait que ces espoirs étaient anéantis.

Elle pensait déjà à d’autres alternatives, essayant de trouver quoi dire à Shelley, lorsque la Dr. Applewhite parla de nouveau.

« Je connais des gens qui pourraient t’aider, » dit-elle. « Des professeurs. Quelques mathématiciens qui travaillent dans d’autres domaines. Si je pouvais leur montrer cela, je pourrais aller plus loin avec. C’est le genre de défi que tous adorent, alors nous allons forcément avoir quelques esprits brillants à nos côtés. »

Zoe acquiesça d’un signe de tête. « Ça nous rendrait service. »

La Dr. Applewhite dégagea son carré grisonnant derrière une oreille et leva les yeux, fixant maintenant Zoe avec ce même regard curieux. « Comment t’en sors-tu avec celle-ci ? Ce n’est pas souvent qu’un problème de maths surgit et te laisse perplexe. »

Zoe envisagea un instant mentir, mais relâcha ensuite ses épaules. « Un peu comme une ratée. C’est mon point fort. Je devrais au moins pouvoir trouver la solution. Si je ne peux pas, qui va le faire au FBI ? »

Venant de la bouche de quelqu’un d’autre, cela aurait pu paraître de la vantardise. Pour Zoe, c’était purement factuel. Les analystes et leurs semblables passaient toute la journée à travailler avec des chiffres, mais ils n’avaient pas cette compréhension instinctive qu’elle possédait. Ils ne pouvaient pas regarder une équation sur une page et voir la réponse aussi clairement que si elle était écrite à côté. Du moins, c’était ainsi pour elle d’habitude.

Celle-ci était différente.

« On ne peut pas attendre que tu résolves tout. Aucun agent FBI, dans toute l’histoire du Bureau, n’a eu un taux d’affaires résolues de 100%. »

Zoe esquissa un sourire pâle. « Je suis sûre qu’il a eu des précédents. Des agents qui ont été tués ou qui sont partis à la retraite juste avant la résolution de leur première affaire, par exemple. »

La Dr. Applewhite leva ses yeux au ciel. « Il n’y a que toi pour trouver une faille. Écoute, je vais passer quelques coups de fil et soumettre ces équations à certains de mes collègues. Je ne leur dirai pas de quoi il s’agit – juste que c’est urgent et que c’est un gros défi. Cela devrait les intriguer suffisamment pour les faire travailler dessus. Je te préviendrai si quelqu’un fait une découverte.

– Ou toute autre chose, aussi, » lança Zoe, rapidement. « Si quelqu’un trouve une erreur ou la trace qu’il manque quelque chose. Nous n’avons pas pu vérifier intégralement le premier corps pour vérifier si le photographe avait raté un élément. Gardez à l’esprit que nous ne savons pas non plus s’il s’agit d’une seule équation ou de deux problèmes séparés.

– Entendu. » La Dr. Applewhite reposa les photographies sur le bureau devant elle, cinq centimètres vers la droite, à proximité de son ordinateur portable. Un geste qui rassura Zoe de son intention de commencer à travailler dessus dès que possible. « Maintenant, qu’en est-il des recommandations de la Dr. Monk ? As-tu repensé au… »

La sonnerie du téléphone de Zoe retentit dans sa poche, accompagnée d’un fort vrombissement. Sauvée par le gong, pensa-t-elle tout en affichant une grimace d’excuse, et répondit.

« Agent Spécial Prime.

– Z, c’est moi. J’ai trouvé une piste dans les mails du professeur.

– J’arrive, » lui dit Zoe, raccrochant et bondissant de sa chaise en saluant sa mentor d’un signe de tête. Quoi que ce fut, cela devait être plus prometteur que le vide qu’elles avaient déjà.




CHAPITRE SEPT


Zoe gara la voiture sur le parking du campus. À cette heure du soir, avec la nuit qui tombe vite, le parking était bien rempli – les voitures appartenaient aux étudiants qui vivaient dans les différentes résidences et appartements dispersés tout autour. Chacune affichait un permis universitaire collé sur leur pare-brise. Zoe avait quelque chose de mieux – une vignette FBI.

« Relis-le-moi ? » demanda Zoe. Elle était toujours intriguée par la théorie de Shelley. Être en colère pour une note baissée était une chose, mais être assez en colère pour tuer ?

Shelley afficha le mail sur son téléphone, sans même un soupir de d’agacement, ce qui était à mettre à son crédit. Elle avait sauvegardé une capture d’écran et l’amena comme preuve – preuve dont elles auraient besoin si elles allaient la confronter à l’étudiant qui l’avait envoyé.

« « Professeur, » » lut-elle. « « Je n’arrive pas à croire que vous m’ayez recalé. Genre, t’es sérieux ? Je me suis donné à fond pour cet examen et vous avez juste décidé de me virer du cours ! Les profs sont censés aider et accompagner. Un putain de merci. Vous êtes le pire des professeurs que je n’ai jamais eu, j’espère que vous serez viré. Je ne suis pas le seul à vous haïr. Vous allez en prendre pour votre grade, si jamais le doyen écoute nos plaintes. Essayez de bien dormir cette nuit, connard. » »

Zoe regardait dans le vide lorsque Shelley eut fini. Elle l’avait déjà entendu à plusieurs reprises auparavant et cette fois-ci n’allait pas lui faire changer d’opinion. C’était tout simplement de la fanfaronnade d’étudiant. Des menaces faites à sa carrière, pas à sa vie.

Sans compter que l’élève concerné étudiait l’anglais, pas les mathématiques. Ce n’était pas un lien suffisamment établi. Comment cet étudiant à peine instruit aurait-il pu écrire des équations complexes ? Assez complexes pour laisser les experts perplexes.

De plus, même si ce jeune était en colère contre son professeur, cela n’expliquait absolument pas pourquoi il se serait attaqué à la première victime – l’étudiant.

« Et bien ? » demanda Shelley.

Zoe se rendit compte qu’elle était restée silencieuse, incapable de réagir à la lecture de Shelley. Elle hausa alors les épaules. « Ça m’a l’air d’être rien.

– Allez, Z ! Il menace directement le professeur, » dit Shelley. « Et cette allusion à d’autres étudiants mécontents – et s’il en connaissait d’autres qui auraient pu le faire ? Il faut au moins le ramener pour l’interroger. »

Zoe regarda avec insistance le campus sombre, ses bras croisés au-dessus de sa poitrine, devant le volant. « Si tu le dis. »

Ce n’était clairement pas la réponse à laquelle Shelley s’attendait, puisqu’elle émit un raclement énervé du fond de sa gorge et se retourna.

Son téléphone vibra presque au même moment et elle baissa les yeux pour lire le message. « Je viens de recevoir un courriel de la secrétaire du département des admissions. Elle m’a envoyé l’emploi du temps de Jones.

– Jones ? », interrompit Zoe.

Cette fois-ci, Shelley soupira vraiment et leva les yeux au ciel. « Jensen Jones, l’étudiant que nous sommes venues voir. Je sais que tu ne penses pas qu’il soit une piste sérieuse, mais j’ai cru qu’au moins tu faisais attention. »

Zoe haussa de nouveau les épaules, ne lui offrant aucune excuse. Elle avait quelque chose de mieux, des choses plus importantes sur lesquelles se concentrer. Les équations. Le fait qu’elle ne s’approchait toujours pas de la solution. L’attente que les contacts de la Dr. Applewhite jettent un coup d’œil dessus et la rappellent ensuite était une agonie.

« Peu importe, voilà ce qui est important. Jones prenait aussi un cours de physique. Et devine qui se trouve être l’étudiant instructeur à ces cours ? »

Zoe la fixa du regard, stoïque. Elle n’allait pas jouer ce jeu-là.

Shelley continua sans se décourager. « Cole Davidson. C’est-à-dire, la première victime. Jones a un lien personnel avec les deux victimes.

– Mais il ne prend pas de cours de math. » Zoe ne put plus s’en empêcher. Elle refusa de croire que les équations étaient aléatoires, rien que du gribouillage destiné à les distraire. Elles devaient jouer un rôle essentiel dans cette affaire. C’était certain.

Dans le cas contraire, Zoe ne serait pas aussi utile à cette affaire qu’elle le pensait et tout cela ne serait qu’un cas ordinaire et ennuyeux. Pourquoi cette éventualité la dérangeait autant, elle ne put pas le dire vraiment. Tout ce qu’elle savait c’était qu’elle avait besoin de résoudre les équations, et que les équations étaient la clé.

« Écoute, je sais que tu peux faire valoir de ta supériorité hiérarchique si tu veux. Tu es l’agent senior. Mais je ne veux pas me retrouver avec une affaire non-résolue et ne pas pouvoir dire que nous avons remué ciel et terre. Je vais l’interroger, » dit Shelley d’un ton déterminé en ouvrant la porte et sortant de la voiture.

Zoe se figea un instant, puis soupira et ouvrit sa porte. En fin de compte, elles étaient partenaires. Elles travaillaient ensemble. Même si Zoe ne croyait en aucun cas que cela fut un besoin vital, elle était pourtant censée soutenir sa partenaire.

Elle allait donc le faire.

Elle rattrapa Shelley qui marchait à grandes enjambées à travers le campus, quelques minutes plus tard. Une énergie crépitante se dégageait de l’autre femme, une colère qui se hérissait comme les épines sur un porc-épic. Zoe était habituée à cette sensation. Elle provoquait toujours de la rage chez les autres, le plus souvent quand elle n’arrivait pas à comprendre ce qu’elle avait fait de mal.

Au moins cette fois-ci, elle le savait.

« J’accepte ta piste, » dit Zoe. « Si tu sens que ce gamin va nous donner quelque chose, je te soutiendrai. »

Les pas de Shelley ralentirent un peu avant qu’elle ne poursuive sa course. « Merci, » dit-elle un peu trop poliment. Zoe comprit qu’elle était contrariée, mais pourquoi ? Elle avait donné à Shelley ce qu’elle voulait, non ?

De telles questions devaient être remises à plus tard, ou de préférence à jamais, puisqu’elles arrivèrent devant un immeuble juste en dehors du campus. Shelley ferma l’application cartographique de son portable grâce à laquelle Zoe avait déduit qu’elles devaient être arrivées. Elle savait aussi, en étant seulement là dans la rue, que la musique qui retentissait par les fenêtres, bien que celles-ci soient fermées, était au-dessus de la limite sonore autorisée par la ville pendant la nuit.

Un étudiant d’à peine dix-neuf ans sortit en titubant tandis qu’elles s’approchaient de l’entrée. Il avait un gobelet rouge à la main et ses mains bataillaient avec une cigarette. Quand il leva la tête et vit les deux femmes se dirigeant vers lui, ses yeux s’écarquillèrent de façon presque comique. Les trente millilitres de liquide dans son gobelet furent projetés par-dessus son épaule et atterrir dans des buissons et il s’éloigna rapidement, serrant le réceptacle en plastique désormais vide, comme si sa vie dépendait du fait de le tenir à portée d’elles.

« Soirée, » dit Zoe en reconnaissant pas mal de signes.

Zoe sortit de nouveau son portable et afficha la photo de Jensen Jones prise lors de son inscription à l’université. Il était jeune, assez propre. Cheveux châtains, un large nez, des yeux marron. Rien de spécial.

Ce qui était mauvais signe, à cause de ce que Shelley allait dire ensuite. « Il va falloir le surveiller de près. Je suppose que la plupart entre eux vont se disperser et s’enfuir dès que nous serons là. Nous avons manifestement l’air d’être des agents FBI, ou au moins des flics. On devrait peut-être l’attraper s’il essaie de s’échapper.

– Organiser une soirée juste après avoir tué deux personnes ? » demanda Zoe. « Est-ce considéré comme une réaction normale ?

– Pas normale, non, mais c’est déjà arrivé, » dit Shelley. « Je pourrais te citer quelques cas mais ce serait probablement plus efficace de l’attraper et s’en assurer.

– Après toi, » suggéra Zoe tout en faisant un geste vers la porte.

Shelley inspira profondément comme si elle se préparait, puis fit un signe de tête. « Allons-y. »

Le bruit était encore plus fort derrière la porte de l’immeuble. Pour compliquer leur recherche, il y avait trois portes ouvertes rien qu’au rez-de-chaussée – les résidents de chaque appartement ouvrant leurs espaces pour constituer un nouveau coin de la fête. Le bruit s’était répandu dans le couloir, dans les escaliers et – à en juger au moins par le nombre d'adolescents qui se déplaçaient dans toutes les directions – dans chaque appartement de l'immeuble.

L’apparition de Zoe et Shelley ne fut pas immédiatement remarquée. Deux étudiants les virent et s’esquivèrent par la porte, sans doute cherchant à s’éloigner le plus possible des ennuis.

C’est alors que la pire des choses se produisit : un des jeunes, un sportif d’un mètre quatre-vingts, avec une carrure de quaterback, se mit à crier, paniqué. « Les flics sont là ! »

L’appel se propagea comme une trainée de poudre dans tout l’immeuble et l’affolement commença à s’installer. Il était inutile d’essayer de rester incognito. Zoe chercha son badge dans la poche intérieure de sa veste et le brandit dans l’air. « FBI. Cette fête est finie. Maintenant ! »

L’effet fut immédiat et palpable. Trente étudiants coururent devant elle en une succession rapide, tous venant des studios de l’étage en-dessous. La rumeur se répandit à l’étage aussi, et des gens descendirent bruyamment, renversant leurs bières sur le tapis alors qu’ils trébuchaient et tombaient.

Zoe attendit dans le hall d’entrée tandis que Shelley pénétra dans chacune des trois chambres au rez-de-chaussée, faisant ainsi sortir encore d’autres étudiants. Même depuis l’endroit où elle se tenait, sans faire de tentative pour attraper les étudiants qui continuaient de courir à côté d’elle, Zoe put voir que l’endroit était en désordre. Des gobelets rouges froissés, de la nourriture et des boissons renversées, et sans doute des traces occasionnelles de vomi, recouvraient toutes les surfaces visibles. C’en fut une grosse – une de ces fêtes légendaires dont les jeunes allaient parler pendant des mois. Dommage qu’elles durent l’arrêter.

Zoe ne put pas dire qu’elle ressentit une sorte de nostalgie déplacée pour eux. En général, elle était rarement invitée aux soirées, et c’était encore plus rare qu’elle y aille. À l’époque, comme maintenant, ce genre de fête était trop écrasant. Le bruit, les gens dans tous les sens, l’intoxication et la tentation de l’alcool interdit – et, à juger par les odeurs ambiantes, d’autres substances aussi.

Grâce à ses années d'expérience, ce fut encore tout ce que pouvait faire Zoe pour se concentrer sur les visages de ceux qui passaient en courant à côté d’elle. Elle chercha en chacun d’entre eux le jeune sur la photo, mais bien qu’il y eût plein des quasi-correspondances, aucun d’entre eux n’était le vrai Jensen Jones. Elle se sentit comme une pierre au milieu d’une rivière, submergée par le courant. Il y avait plein de choses intéressantes qui captèrent son attention, des visions et des formes et des signes, mais ils passaient si vite qu’elle avait à peine le temps de les enregistrer avant qu’ils ne disparaissent.

Shelley resurgit de la troisième chambre tout en secouant la tête. Zoe regarda vers les escaliers au moment où quelqu’un les descendit à toute vitesse. Une jeune femme portant une collection de douze bouchons de bouteilles, tous ficelés ensemble autour de son cou, cliquetant les uns contre les autres, tandis qu’elle courait.

« Là ! » cria Shelley.

Zoe détacha trop tard son attention de la fille, n’apercevant seulement encore qu’une silhouette floue lui passant à côté. De la façon dont Shelley pointa son doigt, Zoe sut que cela devait être leur type. Elle jura à voix basse – il avait déjà passé par la porte.

Elle retourna les talons et lui courut après, tout en le gardant en vue tandis qu’il s’éloignait. Il mesurait un mètre quatre-vingts, une carrure athlétique, les muscles de ses mollets se contractant aisément alors que ses bras montaient et descendaient. Jeune, en forme, et visiblement coureur confirmé.

Zoe fit à peine cinq pas avant de réaliser qu’elle n’aurait pas la moindre chance de l’attraper.

Dans sa tête, le campus déroula devant elle comme une carte, topographie et angles d’inclinaison inclus. Il sillonna vers la gauche, en se dirigeant vers un groupe de petits bâtiments qui dessinaient la limite du campus. Derrière se trouvait une clôture, construite pour marquer la frontière entre l’Université et la ville autour.

Zoe réfléchit plus vite qu’elle ne courut. Son chemin devait forcément se courber le long de la ligne de la clôture, avant d’atteindre une ouverture et une porte destinée aux piétons. Et seulement s’il avait pris sa carte d’étudiant, ce dont elle savait déjà qu’il aurait besoin pour sortir à cet endroit-là, tout près de quelques immeubles de l’Université.

« Ne le lâche pas ! » cria-t-elle par-dessus son épaule en regardant du coin de l’œil Shelley s’éloigner vers la droite. À cette vitesse, il pouvait toujours lui échapper. Mais elle pouvait traverser une distance plus courte dans le même temps et, estimant ses kilomètres à l’heure avec les siens, elle sut qu’elle pouvait le rattraper à la porte.

Mais uniquement si elle coupait directement à travers une cour ouverte le long d’un couloir étroit entre deux bâtiments et puis directement à travers le parking derrière eux.

Et si personne ne lui coupait le chemin.

Zoe poussa plus fortement sur ses bras et ses jambes, accélérant même quand elle crut atteindre ses limites, luttant contre l’air frais de la nuit qui infiltrait ses poumons. Ce n’était pas souvent ces jours-ci qu’elle devait relever un véritable défi athlétique. Et elle n’était pas aussi jeune que lui. Mais elle prit sur elle, avec l’intention de s’assurer qu’elle y arriverait à temps, même s’il y devait rencontrer un obstacle sur son chemin.

Elle passa la cour en un clin d’œil, puis ce ne fut qu’un sprint à travers le couloir, l’espace étroit étant heureusement dépourvu d’obstacles qui auraient pu lui bloquer le passage. Le sol sous ses pieds se transforma en la sensation dure et remuante du bitume, punissant ses pieds d’avoir choisi de mettre des chaussures de ville à la place de baskets.

Zoe ne pouvait toujours pas voir la clôture de l’autre côté des bâtiments, mais elle put apercevoir la porte. Elle s’y précipita, dans une nouvelle poussée d’adrénaline. Si elle n’y arrivait pas à temps…




CHAPITRE HUIT


Il n’y avait pas de temps à perdre. Zoe donna un dernier et intense effort, amenant son corps au-delà de son point critique naturel.

Le cœur et les pieds de Zoe battaient à l’unisson à travers le parking et elle s’arrêta brusquement lorsque son corps entra en collision avec un autre. Elle tendit ses bras instinctivement pour l’immobiliser, et poussa Jensen Jones contre une clôture de trois mètres de haut pour qu’il ne puisse pas se servir de son puissant gabarit pour s’échapper.

Shelley n’eut que quelques instants de retard. Elle était fortement essoufflée et avait le visage rouge avec des mèches de cheveux dépassant de son chignon, mais elle était là. Elle aida Zoe à lui passer une paire de menottes aux poignets, derrière son dos, tandis qu’elles lui lancèrent, tout en haletant, des avertissements sur le fait de fuir les forces de l’ordre et le droit de l’interroger. Il ne fit que balancer sa tête, tout en essayant de reprendre son souffle lui aussi.

Zoe sentit tout son corps se réveiller. L’air et la lumière avaient comblé les espaces entre ses articulations, et dégourdir ses muscles depuis longtemps endormis lui procurait une sensation merveilleuse. Il y avait aussi, bien sûr, la douleur, particulièrement dans les chevilles qui n’avaient nullement apprécié les secousses à travers le parking. Globalement, elle se sentit très bien. Il y avait quelque chose dans le fait de courir après quelqu’un, les cheveux au vent – et que l’on gagnait.


***

L’immeuble paraissait différent à Zoe maintenant qu’il n’y avait plus personne sauf elle, Shelley et Jensen. Les invités s’étaient dispersés aux quatre vents et les résidents avec eux. Ils allaient sans doute invoquer le déni plausible.

Zoe fouilla l’appartement où logeait Jensen Jones et respira treize gobelets encore pleins d’un liquide qui n’était assurément pas de l’eau, et vérifia quatre cendriers. Shelley fit assoir le jeune sur un canapé dans la pièce ouverte, traînant une chaise de salle à manger pour s’asseoir devant lui. Il n’y restait plus beaucoup d’options pour s’asseoir au propre, alors Zoe choisit de rester debout et d’errer.

Malgré son ébriété évidente, le jeune n’était pas assez perdu pour ne pas comprendre ce qui lui arrivait. Au contraire, il semblait s’être dessaoulé plutôt bien après l’enchaînement de sa course et la révélation qu’elles étaient du FBI et non pas de la police locale.

« C’était juste une soirée, » marmonna-t-il, ses yeux balayant le sol comme s’il cherchait une trace trahissant quelque chose de plus sérieux. « Depuis quand est-ce qu’on appelle le FBI pour les tapages ?

– On ne le fait pas, M. Jones, » dit Shelley d’un air conspirateur. « En réalité, nous vous cherchions expressément. Par rapport à un autre sujet. »





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« UN CHEF-D’ŒUVRE DU GENRE THRILLER ET ENQUÊTE. Blake Pierce a merveilleusement construit des personnages ayant un charactère psychologique si bien décrit que l’on sent ce qui se passe dans leurs esprits, on suit leurs peurs et l’on se réjouit de leur succès. Plein de rebondissements, ce livre vous tiendra éveillés jusqu’à la dernière page. »

–Books and Movie Reviews, Roberto Mattos (re Sans Laisser de Traces)

LE VISAGE DU MEURTRE est le tome #2 d’une nouvelle série thriller FBI de l’auteur à succès selon USA Today, Blake Pierce, dont le bestseller Sans Laisser de Traces (Tome 1) (téléchargement gratuit) a reçu plus de 1000 critiques cinq étoiles.

L’Agent Spécial FBI Zoe Prime souffre d’une maladie rare qui lui confère aussi un talent unique : elle voit le monde à travers le prisme des chiffres. Des chiffres qui la tourmentent, la rendent incapable de comprendre les gens, et lui laissent une vie sentimentale ratée – mais ils lui permettent également de voir des schémas qu’aucun autre agent du FBI ne peut voir. Zoe garde ce secret pour elle, honteuse, de peur que ses collègues ne l’apprennent.

Lorsque des femmes sont retrouvées assassinées aux abords de Washington, leurs corps marqués de numéros mystérieux, le FBI, perplexe, fait appel à l’Agent Spécial Zoe Prime pour déchiffrer l’énigme mathématique et trouver le tueur en série.

Pourtant, les chiffres n’ont aucun sens. Constituent-ils un schéma ? Une formule ?

Ou n’ont-ils aucun sens ?

Pour Zoe, affectée par ses problèmes personnels, le temps est un luxe qu’elle n’a pas, tandis que d’autres corps s’accumulent et que tous les yeux se tournent vers elle pour résoudre une équation qui, peut-être, est insoluble. Attrapera-t-elle le tueur à temps ?

Un thriller plein d’action et de suspense, LE VISAGE DU MEURTRE est le tome #2 d’une nouvelle série fascinante qui vous fera tourner les pages jusqu’à tard dans la nuit.

Le tome #3 de la série – LE VISAGE DE LA PEUR —est également disponible en pré-commande.

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