Книга - Storey

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Storey
Keith Dixon


« J’aime beaucoup Lee Child, Robert Crais, Tess Gerritson. Je pense que Keith Dixon fait partie des grands auteurs. » – Critique d’Amazon. « L’un des écrivains les plus agréable à lire dans le genre de nos jours. » – Critique d’Amazon. Lorsque Paul Storey revient de Londres, c’est pour échapper à un événement qui a ruiné sa vie professionnelle. Il se remet alors lentement à lier contact avec les gens… mais les gens qu’il finit par rencontrer sont voyous, des voleurs et des escrocs…

Lorsque Paul Storey revient de Londres, c’est pour échapper à un événement qui a ruiné sa vie professionnelle. Il se remet alors lentement à lier contact avec les gens… mais les gens qu’il finit par rencontrer sont des voyous, des voleurs et des escrocs. Exactement le genre de personnes à qui il voulait échapper. Pire encore, l’une d’entre elles est une femme escroc qu’il, pour une raison ou une autre, n’arrive pas à oublier et une femme dont l’habitude était de manipuler les hommes… Lorsqu’il fut impliqué dans une escroquerie en contrebande de vente d’antiquités de Syrie, il réalisa qu’il ne pouvait pas échapper à sa profession – un homme possédant des compétences spécialisées et le rendant encore plus fascinant aux yeux de ses nouveaux collègues. Essayer de trouver un but à sa vie tout en gardant la tête sur les épaules était son entière préoccupation, jusqu’à ce qu’un Syrien voulant récupérer l’une des antiquités volées se manifeste… et il n’avait pas l’intention de faire de prisonniers.





Keith Dixon

Storey



Keith Dixon est né au Yorkshire et a grandi aux Midlands (les comtés du centre de l’Angleterre). Il a commencé à écrire à l’âge de 13 ans. Keith Dixon a rédigé différents genres littéraires: romans policiers, romans d’espionnage, œuvres de science-fiction et œuvres littéraires. Il est l’auteur de sept romans dans la série d’Enquêtes policières de Sam Dyke et deux autres œuvres non-policières, ainsi que l’auteur de deux recueils d’articles de blogs sur l’art de l’écriture.



Mis à part l’écriture, ses hobbies sont la lecture, apprendre à jouer à la guitare et regarder des films et des séries télévisées. Son pays de résidence actuel est la France, ce qui est probablement mieux pour lui.



Pour plus d’informations sur l’auteur, veuillez le suivre sur Twitter @keithyd6, lire son blog à cwconfidential.blogspot.com ou communiquer avec lui sur facebook.com/SamDykeInvestigations


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Roman policier

KEITH DIXON



Traduit de l’anglais par

Lamia L. Ishak








Semiologic Ltd




Copyright Keith Dixon 2016

Première édition par Semiologic Ltd

Traduction française: Lamia L. Ishak



Keith Dixon a fait valoir son droit en vertu de la Loi sur le droit d’auteur, dessins, modèles et brevets de 1988, comme l’auteur de cet ouvrage.

Tous droits réservés

Cet ouvrage ne pourrait en tout ou partie être reproduit, stocké dans ou intégré à un système informatique, ou transmis sous quelque forme et par quelque moyen que ce soit (électronique, mécanique, photocopie, enregistrement ou autre) sans l’autorisation écrite préalable de l’auteur.

Toute ressemblance à des personnes vivantes ou décédées est purement fortuite.



Pour plus d’informations, contactez: keith@keithdixonnovels.com



Photo de couverture © David Holt sous licence de Creative Commons License

Design de Keith Dixon



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To Elmore

    Il miglior fabbro






CHAPITRE UN


Paul Storey se souvenait très bien du jour où il l’avait vue pour la troisième fois, lorsque tout avait commencé.

Elle ne l’avait ni regardé, ni parlé, du moins pas dans un premier temps. Mais il savait qu’elle l’avait remarqué, dès qu’elle avait franchi la porte. Même dans une salle bondée de monde, il y avait un je ne sais quoi dans sa façon de l’ignorer – une prise de conscience réfléchie.

Il se demandait s’il devait se lancer dans une introduction décontractée, s’asseoir en face d’elle à l’une des tables carrées noires et entamer une conversation. Vous venez ici tous les jours, n’est-ce pas? … Non, trop flagrant. Ce n’était pas l’effet qu’il recherchait. Peut-être devrait-il ne rien dire, juste tirer une chaise, ouvrir un journal, lui faire un signe de tête et faire les mots croisés.

Dans ce cas, elle pourrait croire qu’il la traquait. Ce qui n’était pas du tout le cas. C’était une femme attirante et il venait juste de la remarquer…

Elle venait à Starbucks tous les matins à la même heure, juste avant le déjeuner. Des vêtements différents chaque jour mais élégants, une jupe bien taillée juste en dessous des genoux, une chemise moulant sa poitrine. Elle avait l’allure d’une femme d’affaires, mais qui voulait tout de même exhiber un peu de sensualité. Elle tenait une petite mallette à fermoirs dorés. Elle portait des talons un peu hauts, mais sans être vulgaire. Cheveux blonds biens peignés, raides, coincés derrière les oreilles… non, une oreille: l’oreille qu’elle utilisait pour parler au téléphone.

Elle arrivait toujours à trouver une table près de la fenêtre, donnant sur Broadgate, derrière la statue de Lady Godiva en face de Wagamama et du café à côté. Elle avait un petit ordinateur qu’elle ouvrait et sur lequel elle se mettait à tapoter, puis s’arrêtait et regardait par la fenêtre. Mordait sa lèvre inférieure, prenait une gorgée de son gobelet blanc Starbucks. Elle avait une bonne ossature, un grand front et des sourcils arqués qui semblaient avoir été dessinés au crayon, une touche de couleur sur les paupières. Un nez court et droit, mais des lèvres qui auraient pu être légèrement plus pulpeuses. Sa peau était impeccable.

Cette fois-ci, après s’être assise seulement cinq minutes, elle se releva et se mit à ranger ses affaires dans son sac – clés, portefeuille, paquet de Kleenex, la monnaie de sa boisson. Elle remit son ordinateur dans sa mallette. Elle avait l’air irritée, nerveuse. Elle se tint debout et immobile à regarder par la fenêtre les gens qui passaient.

Puis elle se retourna et le regarda droit dans les yeux.

Elle se dirigea vers lui. Il resta figé. Il était coincé, assis sur l’une des chaises hautes près de l’autre fenêtre, à proximité d’un haut-parleur jouant du Dylan.

Elle s’arrêta à un mètre de lui. Une femme blonde et mince, aux yeux noirs, de taille moyenne, un peu plus jeune que lui, le visage un peu sévère.

– Si vous avez l’intention de me dévisager ainsi tous les jours, vous pourriez au moins vous présenter! dit-elle.

– J’attendais que le bon moment se présente.

– Que voulez-vous?

– Vivre au jour le jour, sans histoires. C’est gentil de me le demander.

– De moi. Que voulez-vous de moi?

Elle allait droit au but. Il aimait ça. C’était l’une des choses qu’il admirait chez les femmes de Londres – elles étaient pressées. Il devait soit suivre leur rythme ou ralentir. Ce n’était pas toujours à lui de régler le pendule, essayer de déterminer la vitesse à laquelle il devait avancer. C’est agréable de trouver une personne comme ça, dans sa vieille ville natale.

– Je me demandais pourquoi vous veniez ici, dit-il.

– Et pourquoi pas?

– Vous portez une tenue de bureau. Vous êtes maquillée. Vous avez un minuscule petit ordinateur portable et un smartphone, et vous vous asseyez dans un coin pour jouer à la femme d’affaires. Je me demandais: les personnes à qui vous parlez au téléphone, savent-elles où vous vous trouvez? Quelle est donc l’adresse professionnelle imprimée sur votre carte de visite? Je n’arrive pas à m’empêcher de me poser toutes ces questions.

– Êtes-vous flic?

– Ai-je l’air d’un flic?

Elle l’examina de haut en bas, comme si elle n’avait jamais songé à l’examiner auparavant.

– Vous pourriez l’être, dit-elle. Derrière cette ombre louche.

– Assurances.

– Ventes?

– Évaluateur. Votre maison brûle ou vous avez une inondation, je vous dirai le montant des dédommagements que vous pourriez recevoir.

– Mais vous êtes à Starbucks tous les jours. A regarder des femmes bizarres et à les effrayer.

– Vous n’avez pas peur.

– Non? Comment le savez-vous? Comment sauriez-vous ce que l’on ressent lorsqu’on va dans un lieu public et que l’on y trouve une personne qui vous fixe du regard tous les jours?

– Je ne pensais pas que c’était aussi flagrant. J’ai essayé d’être discret, dit Paul en haussant les épaules

– J’aimerai venir ici prendre mon café sans que l’on me dévisage. Cela vous pose-t-il un problème?

Elle commençait à céder, la menace se dissipait de son regard. Il essaya de reconnaître son accent – un faible accent écossais, plus de la côte est que de la côte ouest. Il était si léger qu’il se demandait si elle ne l’avait pas perdu après avoir trop longtemps vécu dans le sud. C’était séduisant, ça vous donnait envie de l’écouter parler juste pour suivre les nuances.

Elle resserra son poing sur la poignée de la mallette et se dodelina. Elle portait son habituelle chemise blanche sous sa veste foncée, il crut apercevoir son soutien-gorge noir en dessous. Pas aussi sérieuse que ça, en fin de compte.

– Comment vous appelez-vous? demanda-t-elle.

– Paul Storey.

– Avec ou sans ‘e’?

– Avec. Peu de gens se le demandent. Avez-vous l’intention de chercher mon nom sur Google?

– Devrais-je le faire?

– Moi, je ne le ferai pas. Comment vous appelez-vous?

– C’n’est pas vrai. Croyiez-vous qu’en me fixant assez longtemps, je finirai par vous donner un rendez-vous?

– Ça m’a traversé l’esprit!

– Ça n’arrivera pas.

– J’ai bien reçu le message, dit-il tout bas. Qu’est-ce qu’il y a? De quoi avez-vous peur?

– De la vie, dit-elle, l’univers et tout. Presque tout. Et en réponse à votre première question, je viens ici pour travailler parce que le bruit m’aide à me concentrer. C’est trop calme au bureau.

– Qu’est-ce que vous faites?

– Journaliste, gazette locale. Bien que cela ne vous regarde pas. Satisfait?

– Bien sûr. Pourquoi ne le serais-je pas?

Elle semblait être sur le point d’ajouter une chose, lorsqu’elle se retourna et s’éloigna. Il regarda son profil, alors qu’elle ouvrait la porte et se dirigeait à gauche vers Primark. Il remarqua un sourire sur ses lèvres. Il tourna sa chaise pour se mettre face au mur et prit son café.

Il savait qu’elle n’était pas journaliste. Elle était trop bien habillée et plus nerveuse que tous les journalistes auxquels il avait eu affaire.

Mais cela ne le dérangeait pas. Après tout, lui non plus ne travaillait pas dans les assurances.




CHAPITRE DEUX


– M. Storey, si vous voulez mon avis professionnel, le prix que vous avez fixé est trop élevé pour la maison de votre père. Les logements dans la, euh, région de Coventry ont pris un sacré coup ces deux dernières années. Vous vous adressez à des acheteurs inexpérimentés qui essayent de démarrer dans la vie, et le prix que vous demandez les dissuadera même de jeter un coup d’œil à l’intérieur.

– Dissuader? Nom de Dieu, dit-il. Ce n’est pas mon problème, je crois? C’est votre boulot de vendre.

– Bien sûr…

– Je vais vous dire une chose… je baisserai le prix de 5 % s’ils sont intéressés.

– Les acheteurs sont beaucoup plus persévérants de nos jours. Il y a de grandes chances qu’ils offrent quinze à vingt pour cent en dessous du prix demandé, en particulier dans votre quartier. L’école locale n’a pas une grande réputation et, comme vous le savez, de nombreux crimes y ont été signalés au cours de la dernière année. Des faits mineurs, des choses insignifiantes, mais ça instaure une atmosphère, pour ainsi dire, malsaine.

– Je comprends très bien ce que vous voulez dire, mais je m’en fous. Je dois vendre.

L’agent immobilier s’appelait Jeremy Frost et Paul ne l’aimait pas. Il y avait trop de bluff dans son attitude: donnant l’impression d’être réaliste tout en agissant en tant qu’ami. Peut-être était-ce la façon dont ils travaillaient de nos jours.

Frost s’adossa sur sa luisante chaise en cuir, en lui décrivant ce qu’ils allaient faire: mettre des photos en ligne pour qu’elles soient diffusées par leurs différents partenaires nationaux, mettre des vidéos sur l’écran de leur vitrine d’agence, en ajoutant que s’il était prêt à investir un peu plus d’argent, ils pourraient même lui offrir un créneau de première sur le site Web, qui affichera une plus grande photo et une hausse de visionnement garantie de trente pour cent…

S’occuper de la vente de la maison de son père avait fait ressurgir ses instincts les plus bas. C’était la maison où il avait grandi et il était maintenant contraint de la vendre. C’était comme si on lui demandait de s’arracher un membre de son corps pour le vendre aux enchères sur eBay.

– Avez-vous une date limite que vous devez respecter? Avant de repartir à Londres? dit Frost

– Je n’y retournerai pas.

– Oh, mais je croyais que…

– Vous ne vous débarrasserai pas de moi, sourit-il. Votre client favori.

– Tous nos clients sont nos favoris, dit Frost en lui retournant son sourire.

– Bien sûr. Mais certains le sont plus que d’autres, c’est ça? Certains sont touchés par vos mains magiques et vendent plus vite, pendant que d’autres sont laissés à l’abandon. Je ne serai pas parmi ces derniers, n’est-ce pas, Jeremy?

L’expression de l’agent se figea. Il se mit à parler des questionnaires de satisfaction des clients, en ajoutant le fait que nombreux de leurs clients sont restés fidèles à leur agence pour plusieurs ventes…

Paul détacha son attention et songea: Et lui? Que s’est-il vendu? Il savait que la situation le rongeait – rentrer tous les soirs dans une maison vide qui sentait encore le désodorisant que son père portait. Il avait décidé de vendre avant de se mettre à chercher quelque chose d’autre…peut-être, un bel appartement à proximité du centre-ville ou quelque chose de plus luxueux en banlieues, Styvechale ou Cheylesmore. En attendant, il passait le moins de temps possible dans la maison. Prenait son petit-déjeuner, puis sortait pour la journée pour ne rentrer que le soir, se préparer quelque chose pour le dîner dans les cocottes et les casseroles que son père avait utilisé pendant trente ans. Se mettait ensuite au lit, dans la chambre où il avait dormi jusqu’au jour où il avait quitté la maison pour le lycée. Les souvenirs… le calme… faisaient partie des excuses qu’il s’était données pour vendre: c’était un endroit provisoire pour retrouver un nouvel équilibre. Après tous le raffut qu’il avait vécu dans le sud.

– Qu’en pensez-vous? dit Frost

Paul n’avait presque rien entendu, mais il s’en foutait. Les détails ne l’intéressaient pas autant que Frost. Soit le style de la maison et son prix plaisaient aux acheteurs, soit non. Il y vivra aussi longtemps qu’il le faudra. Il était hors question qu’il reparte à Londres et reprenne son travail. Une fois que vous quittez la police, les ponts sont coupés. On tourne le dos et on cherche autre chose pour passer le temps.

– Faites ce que vous avez à faire. Vendez-la mais n’abandonnez pas, dit-il.

– Je n’abandonnerai pas.

– Je sais que vous ne le feriez pas, Jeremy. Je compte sur vous pour ventre la maison. Vous devez savoir que financièrement, je n’en ai pas besoin. Vous me comprenez? Je veux donc que vous m’obteniez la meilleure offre sans faire fuir les gens. Si je n’ai aucun aboutissement dans les trois prochaines semaines, je me mettrai à la recherche d’un nouvel agent. Si je ne veux pas le faire, c’est uniquement pour éviter les prises de tête. Je ne veux pas avoir à subir à nouveau ces conversations bizarres. Vendez la maison pour un bon prix et vous aurez votre part. C’est très simple. Ne restez pas assis là à compter les mouches. Je sortirai de la maison, si vous venez pour une visite et je n’interviendrai pas. Mais il faudra que vous soyez au sommet de votre forme, vous et moi savons cela.

Il remarqua que Frost était devenu pâle, sa fierté écrasée.

– Rassurez-vous, je ne suis pas un mauvais gars. Je suis tout juste impatient de temps en temps. Aidez-moi et tout ira bien. D’accord? dit Paul.

Il était debout à dévisager de haut le visage pétrifié de Frost. Il pensa que l’embarra et la peur qu’il percevait sur son visage reflétaient sûrement les siennes, bien qu’il ne l’ait jamais admis, ni à lui-même ni à personne d’autre.

– Vous avez mes numéros. N’hésitez pas à les utiliser, dit-il.



Il rentra en prenant des rues qui semblaient plus bondées que dans ses souvenirs, se gara enfin devant la maison de son père. Il y avait bien un garage à l’arrière, mais son accès était difficile, et d’ailleurs, il était rempli de choses que son père n’avait jamais voulu jeter: une vieille machine à laver Hotpoint, une table avec un pied cassé, un fauteuil. Il avait dit à son père de se débarrasser de tout cet encombrement, mais apparemment il n’avait jamais eu le temps de le faire. Trop occupé au pub ou dans son jardin potager, à faire pousser des choses qu’il n’a jamais mangées.

Alors qu’il chauffait un repas au micro-onde, le téléphone sonna.

– Milly.

– Storey. Tu n’appelles pas, tu n’écris pas…

– Lorsque ton père décède, tu as beaucoup de choses à faire. Papoter n’en fait pas partie.

– N’essayes pas de me culpabiliser. La dernière fois que je me sentie culpabilisée, était en 2004 lorsque j’ai heurté un vieil homme en déambulateur.

– Tu conduisais?

– Non, je marchais trop vite sans regarder où j’allais. Mais ce n’est pas pour cela que je t’appelle.

– Pourquoi tu appelles?

Elle laissa échapper un souffle rauque et Paul se l’imagina allongée sur son canapé dans l’appartement qu’elle louait à côté du sien à Battersea. Elle portait sûrement un juste-au-corps noir et transpirait de ses exercices quotidiens de danse en face de la télévision, ses trophées brillants entassés sur l’étagère au-dessus. Elle allait au bal chaque week-end danser avec un type de Fulham, et répétait ses foulées en solo du mieux qu’elle pouvait.

Storey était un plan pour elle. Ils auraient pu avoir une liaison depuis longtemps, mais le moment était mal choisi. Ils avaient arrêté de se parler pendant trois mois, puis recommencèrent mais sur de nouvelles bases. Il aimait le fait qu’elle accepte toujours de lui parler, bien qu’il ne lui ait donné que deux jours de préavis avant son départ et qu’il lui avait laissée la responsabilité de vendre ses meubles avant que le propriétaire ne s’en débarrasse. Elle était débrouillarde – elle assumera.

– Un type est venu te voir hier soir, dit-elle. Je l’ai entendu frapper à ta porte et je suis sortie. Il a dit qu’il travaillait avec toi et qu’il voulait te parler.

– À quoi ressemblait-il?

– Un peu plus grand que toi, cheveux blonds, grosses lèvres rouges écarlates. On aurait cru qu’il portait du rouge à lèvres.

– Rick. Je savais qu’il allait passer.

– Merci de m’en avoir averti.

– Que lui as-tu dis?

– Écoutes bien, c’est là que la conversation devient intéressante. Je suis une fille assez calme pour la plupart du temps, mais tu me fais vraiment chier, Storey. Je n’ai pas besoin que ton passé vienne se déverser devant ma porte. J’ai ma propre vie, tu sais? Ça me va que tu ais été obligé de partir pour t’occuper des funéraires et tout ce qui s’en suit, mais ce n’est pas une raison pour disparaitre. Je m’en fou de ton stress, je m’en fou de ton travail. Je m’en fou de tes étagères. Tu n’as pas le droit de me tout balancer sur le dos et de te casser aux Midlands.

– Je suis tout-à-fait d’accord avec toi. J’ai mal agit. Alors qu’est-ce Rick t’as dit?

Il se l’imaginait fixer le plafond en essayant de se rappeler de ce que son conseiller lui avait dit: ne pas laisser la colère prendre le dessus. Elle était peut-être en train de compter jusqu’à dix ou de s’imaginait des anges. Il n’avait aucune idée de ce qu’elle faisait pour arriver à se calmer.

– Je lui ai dit que tu étais parti. Je ne lui ai pas dit où, ni pourquoi. J’ai fait semblant de ne pas le savoir. C’est ce que tu voulais, non? dit-elle.

– Tu n’as pas mentionné mon père, j’espère? Ni Coventry?

– J’ai suivi tes instructions à la lettre, dit-elle d’un ton familier lui donnant l’impression d’être calme mais un peu contrariée.

– Bref, qu’est-ce que Rick voulait? Je croyais que tu avais démissionné.

– Je l’ai fait. Il pense sûrement arriver à me faire changer d’avis. Il s’est toujours un peu pris pour un psy. Il est convaincu de me connaître mieux que moi-même.

– Merde, Storey, tu ne te connais pas du tout. Tu avances dans le noir.

– Je m’incline devant ton grand savoir.

– Repenses un peu à ton passé. Tu en apprendras beaucoup sur ta personne.

– Je dois y aller. Mon micro-onde vient de bipper.

– Ouais, c’est ça, ne laisse pas ton hamburger refroidir.

– C’est une tourte à la viande.

– Tu as déjà retrouvé tes origines. Je m’inquiète vraiment pour toi, sincèrement!

– Je t’appellerai quand je me sentirai mieux.

– Comme si ça allait arriver un jour, dit-elle en raccrochant.




CHAPITRE TROIS


Avant d’entrer, Janice l’aperçut à travers la vitre. Le culot – prendre sa chaise préférée et se délasser dessus comme si c’était la sienne. Elle pensait qu’il était beau gosse du type basané, comme Pierce Brosnan de parents grecs, une barbe mal rasée et des cheveux noirs secs. Les vêtements semblaient être faits pour lui, dévoilant une poitrine large et des hanches fines, la physionomie d’un homme qui se maintenait en forme et non celui d’un garçon disproportionné. Il n’avait pas de bourrelets, il était soigné et élégant, son regard était si vif qu’on avait l’impression que ses yeux vous transperçaient.

Ce pourrait être intéressant. Ce serait bien de connaître un homme qui prendrait le contrôle, pour une fois. Elle voyait en lui cette envie de dominer, d’imposer sa volonté. Elle aurait aimé vivre le défi, si elle n’avait pas eu d’autres plans en tête.

Le voilà donc, levant les yeux de son livre en la voyant et lui souriant, sachant qu’elle n’avait pas d’autre choix que d’entrer dans le café. Son sourire ne frappe pas à l’œil, pensa-t-elle, c’était quelque chose qu’il faisait avec sa bouche, une impulsion sociale pour signaler que le jeu était sur le point de commencer.

– Je croyais que vous ne reviendriez plus à cause de ma grossièreté. J’avais cru avoir rompu le charme, dit-il.

Elle l’observa: il portait une chemise à col ouvert laissant passer quelques poils bouclés sous une veste bleu marine sûrement de Next, achetée dans une boutique de charité. Il avait posé son livre ouvert à l’envers sur la table – Les raisins de la colère. Elle se demandait ce qu’il faisait pour gagner sa vie. Expert d’assurances: elle ne le croyait pas. Il agissait comme s’il était en mission, quelque chose qu’il allait faire dans sa vie, partir quelque part. Il n’était pas un gratte-papier, ni une personne qui étudiait des chiffres et faisait des calculs. Son regard révélait que beaucoup de choses se passaient dans sa vie. Quelque chose d’effrayant, mais intrigant.

– Offrez-moi un café, dit-elle.

Il la fixa un instant, puis soupira et se leva pour se diriger vers le comptoir en lui faisant un signe désinvolte de la main avant de rejoindre la queue. Il ne lui avait même pas demandé ce qu’elle voulait. Probablement qu’il le savait déjà, depuis le temps qu’il la regardait!

Ne joues pas à ce jeu, se dit-elle. Ne sois pas intriguée.

Elle s’assit et sortit son ordinateur portable Microsoft Surface Pro 3, ouvrit le clavier velouté et glissa l’écran pour ouvrir son document en cours. Elle posa son téléphone Moto G Android sur la table. Elle aimait ses gadgets et connaissait leurs noms et toutes leurs caractéristiques. Pour une raison ou une autre, elle voulait convaincre ce Storey qu’elle était sincère, qu’elle était vraiment journaliste, que son travail était important. D’habitude lorsqu’elle était à Starbucks, elle écrivait son journal ou, de temps en temps, travaillait sur l’une de ses légendes. C’est le nom donné par les espions – les fausses identités qu’ils se créent pour eux-mêmes. Elle avait environ dix en cours et tous les jours elle essayait d’ajouter un nouveau détail, une nouvelle caractéristique ou un événement, à au moins deux des identités. Créant son personnage au fur et à mesure.

Avoir quelque chose à faire en attendant que David réponde.

Storey revint avec deux gobelets de café.

– Cela fait deux jours qu’on ne vous a pas vu, dit-elle.

– Je vous manque?

– Une personne que je ne connais pas ne peut pas me manquer.

– Je vous dois mes excuses.

Elle mit du sucre dans son café et fit une pause.

– Je ne vous traquais pas, dit-il. Je ne veux pas que vous pensiez cela. Il se trouvait que je me trouvais ici, lorsque vous êtes entrée. Je vous ai trouvé intéressante. Vous voyez ce que je veux dire? Vous apercevez une personne et vous vous dites que vous seriez enchantée de la connaître, de découvrir sa façon de parler et ce qu’elle a à dire.

Il se rassit et l’observa comme s’il venait de lui faire une faveur.

– Ça vous dérange si je travaille? Bien que j’aurai bien aimé bavarder, dit-elle calmement.

Elle aimait son sourire. Il lui fit un signe de tête d’admiration, comme pour lui dire que le défi auquel ils concourraient venait de passer à un plus haut niveau. Il savait qu’il devait redoubler d’efforts. Ne joues pas à ce jeu, ne sois pas intrigué.

En ouvrant son ordinateur portable, elle le tourna de sorte à ce qu’il ne voit pas l’écran. A l’exception du titre, le document était vierge – Etapes suivantes – elle fixa un moment la page blanche, tapota sur le clavier pour saisir son nom et rôle, uniquement pour avoir quelque chose à faire. Araminta Smith, journaliste. Elle avait entendu ce nom dans une pièce de théâtre qu’ils avaient joué à l’école et qu’elle avait toujours aimé. Araminta avait une assonance chic.

Storey ignora sa contestation, reprit son livre et continua à lire.

– C’est bien, Steinbeck? demanda-t-elle contrariée malgré elle.

Il baissa son livre.

– Il a gagné le Prix Nobel pour son plus mauvais roman. C’est pour vous dire à quel point il était bon. Avez-vous vu Les raisins de la colère, le film?

– Peut-être.

– Coriace pour un film de Hollywood, mais paisible comparé au livre.

Elle fit un signe de la tête et se replongea dans son écran. Elle ne savait rien en littérature et paniquait à chaque fois qu’on lui parlait de livres. Elle avait peur qu’on lui pose des questions et qu’elle ne sache quoi répondre. Le maximum qu’elle arrivait à lire était un article de journal avant de s’endormir. Un jour, elle essayera de corriger ce défaut. Des cours en ligne feront sûrement l’affaire.

– Alors vous travaillez sur un article, c’est ça? Ou est-ce un sujet sans intérêt – des naissances, des décès, des mariages? dit-il pour saisir l’occasion qu’elle ait repris la conversation.

– Vous ne comprendrez pas, dit-elle.

… puis se demanda pourquoi avait-elle répondu ainsi. Sa rancune l’étonnait parfois. Il semblait être assez intelligent, pourquoi essayait-elle donc de le contrarier?

– Je ne peux pas vous en dire beaucoup, car c’est en stade de développement. Je fais seulement des recherches, je parle aux gens, dit-elle en rabattant son écran.

– Donnez-moi un indice pour ne pas me vexer.

– C’est sur la corruption dans le gouvernement local. Je ne peux pas vous en dire plus, lui répondit-elle après une hésitation.

– Y en en-t-il beaucoup à Coventry?

– Je ne le sais pas encore. C’est pour cela que je fais des recherches.

– Vous connaissez des personnes à qui en parler, des personnes qui peuvent cracher le morceau? C’est ça que vous faites?

Elle pensa que sa curiosité était réelle, mais il valait mieux ne pas le laisser aller trop loin. Elle ne savait rien de lui, ni de ce qu’il voulait. C’était bien qu’il l’ait trouvée intéressante pour parler, mais elle avait trop de choses à faire et beaucoup trop d’histoires avec lesquelles elle jonglait.

– Comme je vous l’ai dit, dit-elle, je ne peux pas en parler. Je ne vous le dirais pas, même si je le savais. Je ne vous connais pas.

– Que vouliez-vous dire quand vous m’aviez dit vouloir vivre au jour le jour? continua-t-elle après une pause.

– Ne prenez pas ça au sérieux. Je suis comédien. Je dis beaucoup de choses que je ne pense pas, dit-il en haussant les épaules.

– Je ne vous crois pas. Je pense que vous êtes, au contraire, très sérieux,



dit-elle énervée qu’il ne l’ait pas prise au sérieux et ajouta: Ok, vous commencez à m’énerver. Pouvez-vous me laisser tranquille maintenant?

– J’étais ici le premier, dit-il en refusant de céder.

– J’ai besoin de la table pour travailler. D’ailleurs, vous avez presque fini votre café.

Son expression devint monotone, il repoussa sa chaise et se leva. Elle l’avait finalement convaincu.

– Je serai dans les parages, dit-il.

– Ne traînez pas pour moi.

– Traîner?

– Attendre. Vous attarder. Rester là où on ne veut pas de vous.

– Ah, oui, vous êtes rédactrice. J’ai compris.

Il prit sa tasse de café, jeta un coup d’œil dans la salle et se dirigea vers un tabouret vide dans un coin près des toilettes. Elle remarqua à nouveau ses larges épaules et ses hanches fines, bonne forme physique. Peut-être qu’elle le draguerait un autre jour, lorsqu’elle sera moins occupée.

Ou peut-être bien que non.



Paul se demandait ce qu’il faisait avec cette femme. Elle lui avait posé une question simple il y a quelques jours et il avait laissé échapper ses pensées: que devait-il faire maintenant, reprendre tout depuis le départ? Il n’était pas d’humeur à sortir avec qui que ce soit, mais elle lui a donné le béguin et il avait du mal à se retenir. Assise là, à tapoter sur le clavier et à regarder par la fenêtre, refusant de regarder dans sa direction, les chevilles croisées au niveau des chevilles sous la table.

Il remarqua d’autres hommes qui la regardaient, également – surtout des étudiants qui avaient infesté l’endroit, assis enveloppés dans des doudounes, regardant fixement leurs téléphones ou parlant à d’autres habillés exactement pareil à l’exception d’écharpes de couleur différentes. Elle était différente. Elle se créait une sorte d’aura autour d’elle, une autosuffisance qu’une partie de lui-même voulait ébranler.

Elle était intéressante… et fausse.

Il n’arrivait pas à expliquer comment il le savait, mais il avait compris qu’elle prétendait être une personne qu’elle n’était pas. Elle vous regarde de côté, comme si elle ne voulait pas prendre le risque de vous regarder en face, comme si elle avait peur que son regard ne la trahisse. Lorsqu’elle parlait, elle vous attaquait en vous tenant à distance, empêchant tout espoir d’amitié.

Cependant, il l’a regardait fixement. Peut-être qu’elle avait vraiment peur de lui, de ce qu’il pouvait faire.

Réfléchis un peu, se dit-il. Qu’est-ce que tu peux faire pour effrayer les gens, à part leur faire sauter la cervelle?



Voilà maintenant qu’un homme se dirige vers elle. Il l’avait remarquée dès son entrée par la porte vitrée. Un homme pas très grand, mais l’air imposant. Il portait une grosse barbe presque entièrement rousse, bien que ses cheveux couvrant entièrement ses oreilles fussent noirs. Il portait une veste en cuir noire coupée sport avec des boutons sur le devant et un jean bleu délavé. Sa veste révélait sa musculature. Il se déplaçait à un rythme révélant qu’il faisait des exercices, pensa Paul. La manière dont il regardait autour de lui en se dirigeant vers la table de la jeune femme, attira l’attention de Paul. Paul avait l’impression qu’il avait les nerfs en boule d’une personne sur ses gardes de peur d’être attaquée, sûrement une personne pas claire, préoccupée par son statut.

Il aimait croire qu’il avait du flair à analyser les personnes et leur comportement. Mais, pensa-t-il, qui ne croit pas cela?

Arrivé à sa hauteur, elle s’arrêta de taper et leva la tête, se pencha en arrière l’air décontractée même si elle ne souriait pas. Elle le connaissait, mais semblait ne pas vouloir le voir.

Elle parla et l’homme à la veste en cuir se pencha sur la table, posant ses points de chaque côté de son ordinateur portable. Elle allongea son bras et ferma le couvercle. Paul remarqua qu’elle fut offensée par la réponse de l’homme – elle se redressa sur sa chaise et décroisa ses chevilles en-dessous de la table.

L’homme pointait maintenant un doigt vers elle, le grondement faible dans sa voix – que Paul avait entendu mais sans comprendre – s’était adoucit. La femme détourna son regard. L’homme à la veste en cuir passa son bras au-dessus de la table et lui toucha le bout du nez du bout du doigt en le poussant. Elle recula et débita des insultes.

Paul se leva de son tabouret et se dirigea vers eux, en se rapprochant de l’homme sur le côté. Il pouvait sentir l’odeur du cuir de sa veste et l’odeur d’un fort déodorant. La femme le regarda et fronça les sourcils, qui donna un signal à La veste en cuir de jeter un coup d’œil rapide.

– Tu veux ma putain de photo?

– Je suis plus grand que toi. Ne cherche pas la bagarre.

L’homme se retourna pour le confronter de face. Paul aperçut un regard féroce, des yeux sombres et blancs en profondeur. Il était probablement du même âge que Paul, mais les traits de son visage le vieillissaient de dix ans.

– Va t’asseoir dans un coin et on va prétendre que je ne t’ai jamais vu, dit l’homme à la veste en cuir.

– Tu déranges la dame et j’aimerai bien que tu partes.

– Comment tu t’appelles?

– Paul Storey. Et toi?

– Je m’appelle Dégage-de-ma-putain-de-gueule.

– Tes parents t’ont donné un bon départ dans la vie, à ce que je vois?

– C’est un de tes amis, Minty? se retournant vers la femme, toujours assise, fronçant les sourcils d’une manière devenue familière à Paul.

– Va-t’en Cliff. Je te parlerai plus tard, dit-elle.

Cliff. C’est un prénom que l’on entend rarement de nos jours, pensa Paul, un prénom des années 60, mais il était content d’avoir enfin un nom à utiliser.

– Ne me dis pas ce que je dois faire – toi non plus. Si je veux venir ici et te parler, je le ferai, dit Cliff.

– Rentres chez toi, je t’appellerai.

Cliff se retourna pour regarder Storey, captant sa taille et son allure. Paul pensait que Cliff n’était pas du tout intimidé, mais juste prudent. Il se déplaçait sûrement partout avec une bande, des personnes qui l’aideraient et feraient ce qu’il leur dit de faire. Cela lui donnait de la confiance, tout comme s’il était armé. Paul avait déjà eu affaire à ce genre de type et n’aimait pas cela. Les gens qui contrôlaient les autres ainsi, avaient souvent du mal à se tenir tranquille.

Cliff se redressa et alla de l’autre côté de la table, se mit debout à côté de la femme et regarda Paul.

– Tu ne me plais pas. Mais tu as des tripes. T’ai-je déjà vu quelque part? demanda-t-il

– Je ne crois pas.

– Ouais, moi aussi. Mais il y a quelque chose en toi que je reconnais. Ça me reviendra.

– N’en perds pas le sommeil, beauté.

– Oh, sûrement pas, dit-il en se retournant et sortant du café, sans regarder derrière lui, toujours confiant.

– Tu ne vas pas t’asseoir. Je n’ai pas besoin de chevalier blanc, dit la femme à Paul.

– Je sais.

– Alors pourquoi tu t’es mêlé?

– C’est dans ma nature.

Elle le fixait avec un premier signe de curiosité qu’il n’avait jamais remarqué en elle, comme s’il venait enfin d’attirer son attention.

– J’ai senti que tu ne voulais pas lui parler, dit-il.

– Je l’ai énervé.

– Quelque chose que tu as écrit?

– Pas exactement. Tu peux me laisser maintenant, s’il-te-plaît?

Il hocha la tête. Il était sur le point de partir lorsqu’il se rappela de quelque chose.

– Minty? dit-il.

– Araminta. Ne t’inquiètes pas, tu n’auras jamais l’occasion de l’utiliser, en levant la tête pour le regarder.

– Un nom peu commun pour une écossaise.

– Pas celui-ci.

– Es-tu toujours aussi agressive?

– Es-tu toujours aussi stupide?

Il resta silencieux, se regardant mutuellement dans les yeux. Le regard fixe, il savait qu’elle essayait de le déchiffrer. Il essayait de faire la même chose avec elle. Même si ça ne l’amusait pas vraiment, ça lui changeait les idées. Comme essayer de réfléchir à ce qu’il devait faire dans la vie.

– Rejoins-moi plus tard. Pour un verre, dit-elle sans changer d’expression.

– Ok. Où?

Elle lui donna le nom d’un pub ainsi que les directives – il ne connaissait pas l’endroit, mais connaissait le quartier de lorsqu’il était enfant.

– Je te donne mon numéro, dit-il et se mit à le lui dicter. Il fit une pause pour lui laisser le temps de prendre son téléphone et de le taper.

Elle le fixa à nouveau du regard, prit son téléphone et tapa le numéro. Une fois terminé, elle lui dit:

– Ce n’est pas un rendez-vous. Ne te mets pas sur ton 41. Je ne sais même pas pourquoi je fais ça.

– N’y réfléchis pas trop, ça gâchera un moment magnifique.

– J’y serai à partir de huit heures.

– Comment je te reconnaîtrai?

– Je serai celle qui aura des regrets. Je te l’ai dit, ne t’emballe pas.




CHAPITRE QUATRE


Le pub se trouvait à Ball Hill, à dix minutes de marche de l’ancien terrain de football à Highfield Road. Dans ses souvenirs, c’était à l’époque un quartier commercial très fréquenté, avec des banques, un bureau de poste et toutes sortes de magasins. Une bibliothèque. Maintenant la moitié des commerces étaient barricadés et la majorité des magasins, encore ouverts, étaient des boutiques de bienfaisance. Le quartier était à l’abandon, comme le reste de la ville qu’il avait vu jusqu’ici.

A son entrée au pub, il aperçut immédiatement Cliff, assis à une table ronde avec trois autres hommes. Araminta était assise un peu plus loin à envoyer des SMS d’un grand téléphone noir.

Cliff lui fit signe de la main, un grand sourire au visage.

– Minty a dit que tu venais. Elle a dit que tu croyais que vous aviez un rancard. Eh bien, nous y voilà!

– Pas de roulement de pelle dès le premier soir, dit Paul.

– Assieds-toi et relax, dit Cliff ne prêtant pas attention à ce qu’il venait de dire.

– Voici Dutch, Gary et Tarzan. Je vais te laisser deviner qui est qui, en faisant signe de la tête aux autres assis à la même table.

– C’n’est pas grave, je ne vais pas m’arrêter.

– Oh, ne le prends pas mal. Je veux faire ta connaissance. Tu m’as eu par surprise la dernière fois, mais réflexion faite, j’ai bien aimé ta réaction. Défendre le d’m’oiselle.

Araminta leva les yeux.

– Salut, dit-elle.

Cliff lui jeta un coup d’œil en haussa les épaules.

– Elle n’aime pas cela. N’aime pas être considérée comme une petite fille. Je ne peux pas lui en vouloir. Peux-tu l’imaginer en train de faire la vaisselle, debout au lavabo portant un tablier? sourit-il s’attendant à ce que Paul lui réponde, un scintillement dans le regard en essayant de le déséquilibrer.

Paul jeta un coup d’œil aux autres hommes. L’un était grand, même assis, visage maigre et sombre et de grandes oreilles. Probablement Tarzan, à en juger par son physique musclé, pensa Paul. Il portait un tee-shirt taché sous une veste en velours marron ressemblant à un machiniste d’un groupe des années soixante-dix. L’homme au milieu était blond et pâle, le visage carré et de grosses lèvres roses, la poitrine trapue, pas aussi grand que Tarzan, mais pas très petit non plus. Le blond de ses cheveux et sa pâleur suggéraient qu’il était néerlandais de nom et de souche, d’où le nom Dutch.

Le troisième homme devait être donc Gary. Le plus petit de tous, une lueur intense et nerveuse dans le regard, comme s’il n’avait jamais rien vu de bon dans sa vie. Il avait un sous-verre aux mains qu’il pliait, enroulait et en arrachait lentement des bandes fines, le faisant automatiquement sans regarder, une habitude. Son pull-over vert à col rond était éclaboussé de peinture blanche.

Tous en-dessous la trentaine, ils avaient le physique d’hommes terreux qui sortaient rarement ou qui ne marchaient pas plus d’un demi-kilomètre par semaine.

Paul soupira. Des petits scélérats dont il voulait se débarrasser. Comment s’était-il retrouvé ici, à fixer des pairs de yeux de macabres de personnes ignares, qui ne réfléchissaient pas beaucoup et étaient incapables de contrôler leurs impulsions?

Et qu’est-ce qu’Araminta faisait bon sens avec eux?

Cliff le guettait jeter un coup d’œil à ses hommes. Il releva le menton pour attirer l’attention de Paul.

– Alors tu les as triés? demanda-t-il. Allons, prends une chaise et bavardons un peu. J’ai l’impression que tu as beaucoup de choses à dire à des gens comme nous. Minty m’a dit que tu travailles dans les assurances. Ça me plait. On a tous besoin d’un boulot. J’ai besoin d’un boulot. Ces trois génies en ont besoin. Tu es le seul ici qui en a un, tu peux alors nous raconter comment c’est.

Paul tira une chaise d’une autre table et s’assit en gardant sa distance des autres, ne voulant pas faire partie de leur groupe.

– Je me souviens de toi maintenant, le nom, dit-il à Cliff. Cliff Elliot. J’ai été trompée par ta barbe. Nous sommes allés au même collège – Caludon Castle. Tu y as été pendant quelques années, mais tu t’es concocté une réputation assez rapidement. Je t’ai vu te battre avec quelqu’un dans la cour, une fois. La seule fois où j’ai vu quelqu’un donner un vrai coup de poing dans une bagarre de collège qui ne soit pas du catch.

Cliff se renversa sur sa chaise, le sourire aux lèvres en jetant un coup d’œil à ses potes comme s’il voulait leur dire, Je vous ai dit que j’étais un dur.

– Storey. Ouais, j’avais bien dit que je te connaissais. Tu étais dans l’équipe de rugby, ailier ou quelque chose comme ça, tout le temps en entraînement. Même si vous n’avez jamais gagné. C’était un dépotoir. Ils l’ont démoli, il y a dix ans, tu sais? Ils ont construit un nouveau, l’une de ces Académies.

– Alors, comment ça s’est passé dans ta vie après cela?

– Merde, tu ne t’intéresse pas à moi. Tu essayes juste de comprendre comment les choses fonctionnent ici.

– C’est toujours bon de reprendre avec les vieux amis.

Cliff sourit et regarda ses hommes, relevant brusquement le pouce vers Paul.

– Tu vois? C’est ce que je voulais dire. Sympa, non? J’avais raison, c’est ça?

– Raison à propos de quoi? demanda Paul.

Cliff se pencha en avant par-dessus la table.

– J’ai dit à ces sans-cervelles que tu étais quelqu’un sur qui on pouvait compter. Je l’ai remarqué plus tôt dans le café. Tu ne t’es pas dégonflé. T’aurais essayé de me foutre dehors si je n’étais pas parti. Agent d’assurances, tu ne l’es pas plus que moi – et je t’assure que j’en suis pas un.

– Vraiment?

– Qu’est-ce t’es devenu après le collège? Je ne t’ai pas vu en ville, qu’est-ce t’as fait alors? demanda Cliff en ignorant son commentaire.

Paul hésita en portant attention à l’endroit où il se trouvait: les buveurs, la musique émanant des haut-parleurs d’une autre pièce. Il réalisa qu’il devait parler fort pour se faire entendre. Il se demanda à nouveau qu’est-ce qu’il faisait ici – était-il si désespéré d’avoir un contact avec les gens pour parler à Cliff et à ses morts-vivants à deux balles?

Il remarqua qu’Araminta avait fini avec son téléphone et le regardait par-dessus un verre de vin rouge. Quel était son rôle dans tout ça? Quand elle lui avait demandé plus tôt de la rejoindre pour prendre un verre, avait-elle prévu d’inviter également Cliff? Ou était-ce uniquement une coïncidence qu’il se trouvait là?

Il se sentait soudainement fatigué et bête, il n’était pas en forme pour affronter Cliff et son manège. Peut-être qu’il était valait mieux être franc et laisser tout tomber.

Tout bien réfléchi, peut-être pas.

– Je suis parti à l’étranger, me balader. J’ai découvert le monde. Je suis revenu à Londres pour chercher du boulot. J’en ai trouvé un dans les assurances, dit-il.

– Alors pourquoi es-tu revenu ici?

– Raisons personnelles.

– Ta femme t’a plaqué? demanda Cliff avec un sourire.

– Pas marié.

– Alors… des trucs familiaux. Maman ou papa ont crevé.

Paul resta silencieux.

– Je l’ai eu dans le mil, c’est ça? Tu es revenu pour mettre quelqu’un en terre, dit Cliff.

Paul s’éclaircit la voix.

– Pour parler du bon vieux temps, tu n’as pas répondu à ma question. Raconte-moi donc un peu ta brillante carrière?

Cliff écarta ses bras et haussa les épaules.

– Quelques problèmes avec l’autorité. Impossible de garder un boulot. Donc je fais un peu de tout, par ci, par là. Moi et les gars, ici. J’aime bien les appeler les experts.

– Vas te faire foutre, Cliff, dit Gary.

Paul réalisa que c’étaient les premiers mots que l’un d’eux avaient prononcés.

– Et au cas où tu te poses des questions, continua Cliff, je ne suis pas un agneau blanc. Est-ce que ça t’étonne? Non, j’ai eu l’honneur d’avoir été emprisonné chez Sa Majesté pendant un temps. Je dis cela avec un esprit ouvert et honnête. Je ne voudrais pas que tu penses que je te parle sous un prétexte.

– Mais ton expérience ne t’a pas remis sur le droit chemin.

Cliff sourit à nouveau.

– Je ne connaîtrai jamais le droit chemin, même si je tombais dedans et que je me cassais le nez.

– On fait tous tout ce qu’on peut pour joindre les deux bouts.

– C’est exactement ce que je veux dire, dit Cliff en lançant un regard d’appréciation vers Paul. Donc, tu es revenu pour un enterrement. Laisse-moi deviner: tes deux parents sont partis, car si ce n’était que l’un des deux, tu serais à la maison à remonter le moral de celui qui reste. Tu ne serais pas dehors à te balader avec des gens comme nous. Tu es probablement en train de régler les problèmes de testament, de vendre la maison et de te débarrasser de vêtements et toutes les conneries… j’ai dû faire tout ça, il y a des années. Ma mère et mon père se sont tués trop tôt à force de trop fumer. Ils n’y allaient pas à la légère. Cinquante par jour, chacun. J’avais presque envie de leur donner une pelle et de leur demander de commencer à creuser leurs tombes.

Paul se pencha en arrière sur sa chaise et jeta un coup d’œil à Araminta. Elle envoyait à nouveau des SMS.

– Tout cela est fascinant, mais je ne sais vraiment pas ce que je fais ici, dit-il.

– Je sais, dit Cliff en haussant les épaules, tu pensais venir prendre un pot en amoureux avec Minty et tu te retrouves avec quatre canailles à la place. C’est comme ce programme à la télé, c’était quoi déjà? en jetant un coup d’œil à ses hommes pour qu’ils l’aident, mais n’ayant que des regards vides comme réponse, il reprit: Dragons Den. Tu dois nous vendre quelque chose alors qu’on ne veut rien acheter.

– Je ne vends rien.

– Oh, je crois que oui. Tu vois, je m’intéresse à toi parce que ce que tu dis ne va pas du tout avec ton attitude. Tu as dit à Minty que tu travaillais dans les assurances. Mais tu m’as sauté dessus comme un flic. Sûr de toi, gonflant tes muscles. Je me suis demandé – quels projets as-tu pour cette pauvre fille? À quoi tu joues, hein? À quoi du joues?

Maintenant Araminta s’était levée, rangea son téléphone et lissa le devant de sa robe. Paul remarqua à nouveau à quel point elle était mince aux hanches et à quel point son ventre était plat.

– Ça va David? lui demanda Cliff en lui jetant un coup d’œil.

Elle saisit un sac à main couleur crème du dossier de sa chaise.

– Un peu en pétard contre moi, dit-elle. Ça fait un bon moment que je ne l’ai pas vu.

– Fais en sorte qu’il te désire plus, chérie. Les hommes sont tous pareils, n’est-ce pas? dit-il en se tournant vers Paul. Donnez-nous une main et on vous demandera le bras. On parle du mec de Minty, au cas où tu te poses des questions. Tu vois, tu n’es pas le seul sur la liste des conquêtes.

Paul se leva en repoussant sa chaise et dit à Araminta:

– Je dois aller aux toilettes. Je vais t’accompagner à la porte.

– Bon plan de drague, mais pas besoin. À plus tard!

Elle passa devant lui sans le regarder. Il sentit brièvement son parfum. Il se retourna pour la suivre du regard se faufiler entre les tables où des hommes accompagnés de leurs femmes et copines firent une pause pour la regarder, avant de jeter un coup d’œil dans sa direction.

– Minty, dit-il en lui saisissant le bras.

– Retire tes sales pattes, lui dit-elle en se retournant le regard obscur.

Il la lâcha.

– Qu’est-ce qui se passe? Qu’est-ce tu fais avec ce tas de tocards?

– C’n’est pas tes oignons, en adoucissant légèrement le regard. Je suis désolée, mais ils étaient ici quand tu n’arrives.

– Qu’est-ce qu’il veut? Pourquoi il te tourne autour?

– Probablement pour les mêmes raisons que toi, lui dit-elle en le fixant du regard.

Puis elle se tourna et partit. Paul la regarda sortir dans l’air froid, hocha la tête et se dirigea vers les toilettes. Il pensait qu’il s’était enchevêtré dans un film dont l’intrigue était incompréhensible et dans lequel les personnages étaient incohérents.

Plus tard, il réalisera que c’était là la raison pour laquelle il aurait dû continuer à marcher, s’enfuir le plus loin possible de ce pub.



Tarzan et Gary entrèrent pendant qu’il remontait sa braguette. Le grand homme, plus grand que prévu, se pencha sous la cadre de la porte avant de la fermer et de s’adosser dessus. Gary jeta un coup d’œil dans toute la pièce carrelée en sifflant et vérifiant les différents compartiments.

Paul se rinçât les mains à l’eau et saisit une serviette en papier, se demandant ce qu’ils allaient bien faire. Rien de grave, pas dans un pub bondé. Probablement qu’ils voulaient juste discuter pour voir s’il était un menteur. Il avait lui-même l’habitude de le faire, lorsqu’il était plus jeune, pour apprendre les ficelles du métier.

– Lui Tarzan, toi Jane? dit-il à Gary.

– Tu vois, qu’est-ce que je t’ai dit? dit Gary en se retournant vers Tarzan, avant de pointer un doigt vers Paul.

– Ta gueule te foutra dans la merde, tu sais? Tu ne peux pas t’en empêcher. On en parlait, Tarzan et moi, on s’est dit que ta gueule te foutra dans la merde un jour. C’est ça, Tarzan?

Tarzan hocha la tête en croisant les bras pour insister, son courage lent presque endormi. Paul pensait qu’il était fort, mais n’avait aucune subtilité. Il serait donc facile à neutraliser tant qu’il était hors de sa portée.

Gary était plus petit que Paul, maigre à la peau grise et les yeux constamment en mouvement derrière les lunettes. Il n’était pas un soutien de confiance, il était préférable de l’avoir toujours à l’œil.

– Cet endroit pue. Est-ce qu’on peut discuter ailleurs? dit Paul.

– On n’est pas là pour discuter, dit Gary. C’est… comment on dit, une leçon.

– De quoi?

– De comment les choses fonctionnent. Entre nous et toi. Si tu tournes autour de Minty, il y a des règles à respecter.

– Et un règlement, dit Tarzan.

– Vous me dites que j’ai besoin de votre permission pour parler à quelqu’un? Vous pensez que je vais me laisser faire? Je ne l’apprécie pas autant que cela. Je n’aime pas les blondes.

Gary se mit à rire et se retourna vers Tarzan.

– Pas de soucis, elle n’est pas vraiment blonde, n’est-ce pas?

– Pas vraiment, répondit Tarzan. Pas en bas, en faisant rire à nouveau Gary.

– C’est bon maintenant? dit Paul.

– Non, dit Gary, nous n’avons pas fini. Tu travailles pour qui?

– Que veux-tu dire?

– Tu travailles dans les assurances. C’est quoi le nom de la compagnie?

Paul croisa le regard de Gary et le fixa.

– Ça ne te regarde pas, dit-il.

– Ouais, je savais que tu dirais ça. Mais le problème, c’est que Cliff veut savoir si tu es bien la personne que tu prétends être.

– Ou quoi?

– J’ne sais pas, il ne l’a pas précisé.

– Quelle différence cela peut-il faire? La compagnie pour laquelle je travaille se trouve à Londres.

– Donc il n’y a aucun mal à ce que tu nous le dises, non? se tournant sur le côté en lançant un regard arrogant vers Paul. Le problème est que je pense qu’il a prévu quelque chose pour toi.

– La réponse est non.

– Ouais, on savait que tu dirais aussi ça. C’est pourquoi nous avons une motivation pour toi.



Lorsqu’ils le firent ressortir dans le bar, Cliff était au téléphone. Il les arrêta en levant une main avant qu’ils s’assoient. Gary agrippa le bras de Paul et le lâcha en le secouant. Mais il resta debout jusqu’à ce que Cliff eût fini en pointant son index sur le bouton Raccrocher et l’enfonça.

Maintenant Paul écoutait Gary raconter à Cliff ce qui s’était passé dans les toilettes: Paul avait refusé de dire pour qui il travaillait et n’était pas intéressé par ce que Cliff avait prévu pour lui. Cliff hochait la tête en écoutant, la bouche en cul-de-poule pour montrer qu’il prenait le sujet au sérieux. Puis il pointa du doigt la chaise sur laquelle Paul était assis auparavant. Tarzan le saisit par les épaules et le poussa.

Paul se demandait ce que les autres gens dans le bar pensaient de ce manège – peut-être qu’ils n’avaient pas remarqué ou qu’ils étaient habitués à Cliff et à ses hommes, et qu’ils s’en foutaient. Peut-être que c’était le genre de pub où c’était normal que des bouteilles soient cassées et des menaces soient faites.

Paul n’avait aucun problème avec ça. Il avait vécu pendant un temps au sud de la rivière à Londres et avait rencontré des personnes avec qui vous n’aimeriez pas avoir d’embrouilles. Un jour, il s’était embarqué dans une bagarre malgré son uniforme et les deux hommes du commissariat qui l’accompagnaient: l’homme après qui ils étaient, Terry ‘Pit Bull’ James, savait qu’il allait être enfermé, mais il voulait quand même démolir quelques flics. Paul apprit ce jour-là qu’il devait frapper le premier et fort, de ne pas attendre de voir comment la conversation tournerait ou si le malfaiteur allait se calmer. Si vous attendez, ce sera trop tard. Ne sachant pas encore cela à cette époque, il prit trois semaines de congé-maladie dû à un tympan abîmé, dont les séquelles n’avaient pas encore entièrement disparues.

– Tu ne travailles pas dans les assurances, dit Cliff. Je le sais. Mais je ne sais pas ce que tu fais. Regarde-toi, assis-là à me lancer ce regard et à te demander de quoi il s’agit.

– Je sais ce qui se passe.

– Ah bon? Alors dis-moi un peu. Je te donnerai une note sur dix.

– Toi et ta bande vous vous ennuyez. Vous ne gagnez pas d’argent – ou très peu – et vous pensez que vous devriez vous en prendre à quelqu’un, une personne pour vous divertir. Tu penses que j’essaye de me faire Araminta, tu crois donc avoir une certaine emprise sur moi. Que je ferai ce que tu veux, seulement pour que je glande ici comme les Funboy Three.

– C’est intéressant: mon père connaissait le père de Terry Hall dans les années soixante, tu sais? Je n’ l’ai jamais rencontré en personne. Mais je te donne huit sur dix, pas mal pour un débutant.

– J’ai loupé les orgies d’ivrognes et les tentatives de suicide, c’est ça?

– On peut dire que c’était marrant. J’ai failli mourir une fois. Accident de voiture. Un idiot a dépassé la ligne blanche et a foncé sur moi, sur l’autoroute Sewell, juste après le pub Devon, tu connais? J’ai eu plusieurs os de cassés et le foie endommagé, mais à part ça, je m’en suis bien sorti. J’ai mal à la tête de temps en temps. Bref, quand j’étais allongé, tout écrasé dans la voiture, je croyais que j’allais mourir. Je me demandais si l’ambulance arriverait à temps ou si j’allais m’endormir. J’n’avais pas mal, j’étais sûrement en état de choc. Mais depuis, je me suis intéressé à la mort, comment c’est lorsqu’on part. Est-ce que ça fait mal, tu t’accroches ou est-ce que c’est tout juste comme aller au lit et tu ne sens rien? Le résultat est que je n’ai plus peur de la mort. Je n’veux pas mourir, mais je prendrai des risques. J’avais l’habitude d’être une grande gueule avec certains tolards quand j’étais en tôle, les provoquer pour voir jusqu’où je pouvais les pousser pour qu’ils m’attaquent. Ils ne l’ont jamais fait. Ils se sont sûrement rendu compte que je n’avais pas peur d’eux, ils m’ont alors foutu la paix.

– Tu es un causeur intéressant.

– J’ai mes moments. Bref, ma question, mec, est-ce que tu es intéressé à te faire un peu de blé. Un peu d’oseille sup.

On y est, pensa Paul. Toute l’histoire était que Cliff se prenait au jeu pour tâter le terrain avant de s’engager.

– Tu ne dis rien, dit Cliff. Aucun son n’est sorti de ta gueule. Je ne suis pas télépathe, tu sais? Alors qu’est-ce t’en dit?

– Que veux-tu que je te dise? dit-il pour raccourcir la discussion et faire en sorte que ce soit Cliff qui fasse le travail.

– Tu n’auras rien à faire. Mettre en pratique ton jugement professionnel. Jeter un coup d’œil à quelque chose et donner ton opinion. L’opinion d’un agent d’assurances.

– Si je suis bien un agent d’assurances.

– Nous y voilà. Ce sera une sorte de test, alors?

– Est-ce que je serais payé?

– Je t’ai déjà dit que oui, non? Le montant sera fixé plus tard.

Paul jeta un coup d’œil à Tarzan et Gary, qui le fixaient de leurs yeux de mort-vivants. Il réalisa que Dutch avait disparu depuis qu’il était sorti des toilettes – il ne lui manquait pas.

Cliff saisit son téléphone.

– Je suppose que ton silence est un oui. Maintenant tu peux te casser. J’ai des choses à faire.

L’attention dans la pièce avait brusquement changé, comme si Paul n’était plus là. Tarzan et Gary se mirent à parler ensemble et Cliff lisait les messages sur son téléphone, ses yeux les parcourant à la vitesse d’un bookmaker évaluant des probabilités.

Paul se leva et sortit, se demandant s’ils remarqueraient son départ.




CHAPITRE CINQ


Elle avait mangé une banane et entamait un kiwi, lorsque Cliff appela, le ton énervé comme d’habitude, sa voix devenant perçante et exigeante en demandant combien de temps elle allait faire traîner les choses avec David avant d’avoir un résultat.

Quand Janice était plus jeune, elle démissionnait dès qu’une personne haussait le ton avec elle – c’était une chose qu’elle ne pouvait pas supporter. Elle supportait cela assez venant de la part de son père à la maison. Il était un tyran pour les gars locaux à Dalkeith, travaillant sur des chantiers ayant toujours une pelle à manche court à la main. Il l’apportait avec lui à la maison et menaçait avec, sa mère et ses trois sœurs en l’agitant dès le premier signe d’embrouilles.

Un matin, une fougueuse de dix-sept ans ne voulant plus se laisser faire, se leva très tôt, appela un taxi, prit la pelle de la cour arrière et la brûla. Le temps que son père arrive en bas de l’escalier en tee-shirt et shorts, elle avait déjà claqué la porte d’entrée et dit au chauffeur de taxi de l’emmener à la Station Waverley à Edinburgh, où elle s’acheta un billet simple pour Londres, se demandant ce qu’elle allait faire des sept cents livres qu’elle avait économisés en travaillant dans la boulangerie Greggs deux jours par semaine, en plus des deux cents livres qu’elle avait volés de la boîte à thé où son père gardait l’argent pour ses boissons.

Elle logea chez sa tante Glinnie pendant deux semaines jusqu’à ce qu’elle ait trouvé un emploi dans un bureau d’avocat à Twickenham. Puis elle loua un appartement au-dessus d’une compagnie d’assurances tout en élaborant un plan. L’avocat réussissait bien et voulait quelqu’un d’habile pour travailler à la réception. Comme tout le monde, elle tapait bien car elle utilisait l’ordinateur depuis l’école, et il lui a fallu peu d’efforts pour embobiner l’homme âgé.

Elle savait qu’elle était intelligente et ça ne la gênait pas de mentir. Alors qu’elle accueillait les clients et tapait les testaments la journée, elle s’était mise à travailler en ligne la nuit – les escroqueries internet venait d’être lancées à l’époque – en utilisant des faux noms et des photos truquées sur des sites de rencontre, prétendant tomber amoureuse d’une foule de mecs d’âge moyen via email et de convenir sur des rendez-vous pour les rencontrer… à condition de recevoir en premier les frais du voyage.

Plus tard, elle acheta une liste d’emails sur un CD d’un lithuanien dans un club et envoya des milliers d’emails offrant un paiement aux personnes souhaitant travailler à domicile, en traitant des réclamations d’assurances. Il suffisait tout simplement d’envoyer un chèque pour couvrir les frais du bidule à rayon laser qui vérifiera le numéro de réclamation et une rémunération sera offerte pour cent réclamations traitées. Les chèques étaient envoyés à une boîte postale, d’où elle les collectait deux fois par semaine et les déposait dans un compte sous un faux nom.

Depuis, elle avait appris comment créer des sites Web rudimentaires en utilisant Dreamweaver. Elle créa Naturograin.com, en utilisant des images de suppléments de vitamines qu’elle trouvait en ligne et offrait un produit anti-cancer incroyable à un prix défiant toute concurrence si acheté dans l’heure qui suit. L’argent se mit à déferler du monde entier. Elle déménagea de son appartement d’une pièce pour un appartement plus spacieux, elle renouvela sa garde-robe et acheta sa première voiture, une Coccinelle jaune.

Après quelques années, elle laissa tomber l’avocat et dirigea une demi-douzaine de sites Web de vente de faux produits en réfléchissant à ce qu’elle pourrait faire ensuite.

Jusqu’à ce qu’on l’informe que les flics commençaient à s’y intéresser.

Elle avait toujours eu de la chance. Un soir, elle rencontra Robbie, un flic intéressant mais également un blaireau, travaillant pour une nouvelle division établie pour enquêter sur le type exact de spams qu’elle gérait bien. Au début, il n’avait aucun idée de ce qu’elle faisait pour gagner sa vie, mais après trois mois de relation, elle s’était dit merde et le lui a avoué – à un moment où il s’était trop engagé pour ne plus la fréquenter. Un mois plus tard, il mentionna que les noms de ses sites Web lui avaient été transmis dans un mémo et qu’elle sera mise sous surveillance.

Cette nuit-là, elle emballa ses trois ordinateurs portables et quelques valises de vêtements, prit un taxi pour la Station Euston où elle prit le prochain train en destination du nord. Coventry était le premier arrêt. Le contrôleur de billet l’aida à décharger ses affaires sur la plateforme. Elle recommença une autre vie, cette fois-ci sous le nom d’Araminta Smith, journaliste.

La seule chose qu’elle regrettait était d’avoir abandonnée derrière elle sa Coccinelle jaune.



Cliff était maintenant énervé. En effet, le travail à long-terme sur lequel elle travaillait durait depuis trois mois. Il l’accusait d’avoir la frousse, ne voulant pas tirer sur les ficelles. Le téléphone à l’oreille, elle s’imaginait son visage ridé se barricader, ses lèvres s’amincir, son regard froid à pattes d’oie s’assombrir petit à petit en lui disant de se grouiller et de faire en sorte que ça marche.

– Le moment n’est pas encore venu, dit-elle, il est sous pression au travail, il y a des inspecteurs au bureau – écoutes, pourquoi tu ne me laisses pas cette partie-là pendant que tu glandes avec les trois mousquetaires? Je te le dirai si j’ai besoin de conseils.

– Je n’oublierai jamais la première fois que tu m’as parlé, en me disant à quel point j’étais super et quelle formidable équipe on ferait. Tout ce que j’avais à faire était de t’aider à tendre le piège, de te donner une crédibilité pour que ce conseiller y croie? Tu as oublié tout ça? Les petites faveurs?

– D’accord, tu as fait ton travail, laisse-moi faire le mien. Il a mordu à l’hameçon. Il ne le sait pas, mais il a déjà mordu à l’hameçon.

– Maintenant tu as ramené ce grand mec, Storey, qu’est-ce que c’est que cette merde?

– Il a des capacités, non? Tu ne l’as pas remarqué?

– Il est malin, mais il n’est pas clair. Il croit se foutre de nous, mais j’ai prévu quelque chose pour lui.

– Tu vois, dit-elle. Je ne me trompais pas. Tu dois juste le surveiller.

– Oh, je le surveille bien. Je vais le surveiller de très près. Alors, c’est quand que David vivra sa première expérience?

– Bientôt, dans les jours qui viennent. J’ai encore quelques préparations à faire. Il ne me fait pas encore confiance. A très bientôt.

– Ne me raccroche pas au nez. Je n’ai pas encore fini.

– C’est ton problème, Cliff, tu ne finis jamais. Tu me soules – tu soules tout le monde. Ce serait super de recevoir un penny pour chaque mot qui sort de ta bouche.

– Un jour, tu regretteras de ne pas avoir été plus attentive. Tu es trop pressée, tu ne réfléchis jamais assez. Tu te mets toi-même dans la merde et tu n’arrives pas à t’en sortir.

– C’est ça la vraie vie, Cliff, sentant sa colère monter. C’n’est pas une émission de télé.

– Qu’est-ce que tu veux dire par là? Tu deviens dingue?

– Ça veut dire que je ne vais pas rester, assise là, à attendre que les bonnes choses viennent à moi. Mon père était chiant, mais au moins il essayait et savait ce qu’il voulait. Il ne restait pas les bras croisés à attendre que les autres lui apportent ce qu’il ne pouvait pas avoir. Il le faisait lui-même. Il était peut-être trop con pour le faire bien, mais au moins il essayait.

– Tu as une haute opinion de toi-même, jeune fille. Tu n’es qu’une arnaqueuse qui cherche à réussir, c’est tout. Ne montes pas trop sur tes chevaux.

– Si je ne le fais pas, qui d’autre le ferait?

Elle raccrocha avant qu’il n’ait le temps de répondre. Elle ne voulait pas entendre l’opinion négative de Cliff lui exploser dans la tête en ce moment.

Le problème était que Cliff lui avait remis Paul Storey dans la tête.

Et même si elle n’était pas contre le principe, elle n’était toujours pas sûre s’il était un divertissement ou un coup. Et cela la dérangeait.




CHAPITRE SIX


Sa rencontre avec Frost donna un résultat – il y avait une visite la semaine prochaine et peut-être une autre, s’il arrivait à les persuader que le quartier était acceptable. Paul sentit son estomac se serrer à l’idée que des étrangers visitent la maison, mais il savait qu’il devait lâcher prise. Cela faisait vingt ans qu’il n’avait pas vécu dans la maison, alors qu’est-ce qui le dérangeait?

Il envoya une réponse à Frost lui demandant de choisir: s’il voulait qu’il reste à la maison ou se mettre en dehors de tout ça. Il n’aimerait pas rencontrer les clients potentiels s’il pouvait se débrouiller seul – laissons Frost gagner son argent.

Il s’adossa sur sa chaise et ferma l’écran de son ordinateur portable. Il avait de la chance d’avoir encore un signal wifi, son père achetait toujours de nouveaux gadgets et était accro à l’internet tel un enfant lâché dans un magasin de jouets. Paul avait trouvé une caméra numérique, un magnétoscope à disque dur, une paire de jumelles numériques et plusieurs autres petits appareils électriques qui pourraient lui être utiles. L’internet était payé jusqu’à la fin du mois, il devra alors trouver une connexion ailleurs.

Il posa son ordinateur portable sur une table en face de la baie vitrée de façon à voir l’espace au-delà du jardin, un brin de pelouse tondu par la municipalité qui servait d’aire de jeu pour les enfants du quartier et un endroit pour chier pour les chiens errants. Après la porte d’entrée, il y avait un petit sentir, puis cette parcelle de gazon rugueux avant d’arriver dans la rue. Un couple de jeunes adolescents se renvoyait un ballon, en criant l’un sur l’autre et se faisant passer pour des joueurs de foot comme à la télé.

Paul se rappela qu’il faisait la même chose – Nom de Dieu, il y a presque trente années de cela – avec son compagnon de jeu, Johnny Hall qui habitait en bas de la rue. Mais sa préférence était de traficoter des vélos, avoir les mains huileuses en serrant une chaîne ou en changeant une roue. Paul avait une bonne coordination, même à cette époque. Il faisait partie de l’équipe de rugby de l’école, prenait le bus les samedis matins froids, montait dans une fourgonnette blanche pour se faire conduire aux écoles chics – King Henry VIII, Bablake, parfois même plus loin à l’extérieur de la ville. Puis, à l’âge de dix-sept ou dix-huit ans, après s’être fait raccompagné à l’école après le match, un groupe d’entre eux allaient au pub le plus proche. Il s’asseyait en silence, le dos contre le mur, pendant que les grandes gueules mentaient sur le sexe et sur diverses théories de complots d’extraterrestres auxquels ils croyaient.

Il se demandait comment les gens le voyaient maintenant, revenu de Londres la queue entre les jambes, sans emploi, réputation foutue, aucun ami en ville à l’exception de cette bande de sans cervelles sur laquelle il a atterri. Dans un sens, il était heureux que son père soit mort avant de lui faire face. Le problème à Londres avait explosé lorsqu’il était à l’hôpital, et Paul s’était arrangé pour lui cacher les nouvelles. Les quelques nouvelles communiquées n’avaient pas divulgué son nom et il n’était pas prêt à rendre les derniers jours de la vie de son père encore plus misérables.

C’était son problème et il devait faire avec et avancer, ne pas en faire un plat.

Il prit son téléphone, défila jusqu’au numéro de Milly, voulut l’appeler mais ne le fit pas, c’était trop tôt depuis leur dernière conversation. Il ne voulait pas qu’elle pense qu’il dépendait d’elle, qu’il ne pouvait pas se débrouiller sans une approbation de sa part. Il devrait cependant appeler Rick pour le garder dans le bain et le convaincre d’arrêter de déranger ses amis en allant frapper à sa porte.

Il fixait son écran, quand le téléphone émit son gazouillement électronique bizarre.

Et voilà, c’était la voix écossaise décontractée d’Araminta qui lui parlait, comme si elle le connaissait depuis longtemps. Il se rappela alors comment il s’était démené pour qu’elle accepte de prendre son numéro se demandant à ce moment-là si elle l’appellerait un jour.

– Je voulais prendre de tes nouvelles et te demander une faveur, lui dit-elle.

Elle se le mettait dans la poche, pensa-t-il: elle ne s’est jamais intéressée à lui auparavant, pourquoi commencer maintenant? C’était comme si elle s’ouvrait des horizons – fais comme si tu étais intéressé par quelqu’un, et tu pourras alors t’autoriser à lui demander une faveur.

– Vous autres êtes très exigeants, dit-il, à vouloir tout le temps me faire faire des trucs pour vous. Qu’est-ce que je suis, le nouveau larbin dans les quartiers des domestiques?

– Ok, très bien, c’était toi qui me tournais autour, je croyais que la proposition te plairait. A la prochaine, alors!

– Qu’est-ce que tu veux? dit-il avec un ton de lassitude, bien qu’il était vraiment intrigué et voulait la revoir.

– Ne sois pas aussi coincé. Tu as une voiture, n’est-ce pas?

– Pourquoi?

– J’aimerais que tu m’emmènes quelque part ce soir.

– Tu vas interviewer quelqu’un à propos de toute cette corruption?

– Tu peux le faire ou non? Une réponse simple, oui ou non.

Il n’arrivait pas à dire si elle était fâchée ou non – ce ton semblait être son défaut – il préféra rester sans réaction.

– Cliff ou un de sa smala ne peuvent pas t’y emmener? demanda-t-il pour gagner un peu de temps.

– Si je voulais que l’un d’eux m’y emmène, je n’t’l’aurais pas demandé?

– Difficile à dire. Tu es si diplomatique.

Il la devança en lui demandant où ils allaient. Elle lui répondit, à Coundon, au bout de Holyhead Road. Paul s’y était rendu une fois pour le baptême de son cousin Derek lorsqu’il était garçon, mais il ne connaissait pas vraiment le quartier. Il savait qu’il y avait une zone commerciale, où la vieille usine Alvis se trouvait. Son père lui avait dit qu’il y avait acheté un réfrigérateur chez Comet avant que le magasin ne fasse faillite. Il se souvenait vaguement qu’Alvis produisait des chars pour l’armée avant d’être vendu.

– Passe me prendre où nous nous sommes rencontrés l’autre soir. A sept heures, dit-elle.

– Dois-je amener quelque chose avec moi?

– Non.

– Alors qu’est-ce qu’on va faire?

– Je pensais que tu aimerais rencontrer mon mec.




CHAPITRE SEPT


Avant d’arriver à sa hauteur, il l’aperçut debout sur le bas-côté de la route. Il se gara. Il remarqua qu’elle portait une nouvelle tenue – des jambières à motifs brillants que beaucoup de femmes portaient, un grand pashmina crème retombant à la diagonale tel un poncho à partir de son cou et un sac à main blanc simple accroché à une épaule.

En grimpant côté passager, elle avait l’air d’être plus jeune, plus fraîche, comme si elle allait à son premier rendez-vous ne sachant pas ce qui l’attendait. Paul se sentit nerveux et se dit qu’il devait se ressaisir.

Elle jeta un coup d’œil à la voiture lorsqu’ils bifurquèrent du trottoir: une Volvo 60 vieille de dix ans, turbo diesel. Il avait l’impression qu’elle évaluait la voiture et son goût. Il sentit l’odeur de son parfum, le même que la dernière fois: une odeur de fruits avec un grain de boisé qui y ajoutait du caractère.

Elle fouillait maintenant dans la boite à gants, déplaçant ses paquets de chewing-gum, une mini-torche et quelques morceaux de plastique cassés de la pince de son GPS.

– Tu cherches quelque chose de particulier? demanda-t-il.

– J’ai pensé que je trouverais peut-être quelque chose sur toi. Un passeport, un permis de conduire ou quelque chose comme ça.

– Il n’y a rien à savoir.

– Un homme mystérieux, dit-elle sonnant plutôt comme à un ‘ouais’, l’accent écossais se révélant plus avec le temps. Tu atterris un jour à Starbucks et on apprend ensuite que tu connais tous nos petits secrets, alors qu’on ne sait que dalle sur toi.

– Qui est Cliff pour toi?

– Pas ce qu’il aimerait être.

– Et quoi donc?

– Utilise donc ton imagination, en lui lançant un regard vide.

– Tu es donc une journaliste de luxe et qu’est-ce qu’il est… un pauvre type de la ville? Pourquoi tu traînes avec lui?

– Bonne réputation. Places de concert. Drogues dures. Beaucoup de trucs malsains.

Il savait qu’elle disait cela pour le taquiner et même pas gentiment: elle s’en foutait vraiment de ce qu’il pensait.

– Quand j’étais à l’école, dit-il, c’était l’une des personnes à éviter. Il y en avait deux – lui et un autre garçon, un peu plus âgé, Wigton. Toujours en train de se bagarrer, tous les deux. Si je m’en souviens bien, Cliff s’était empiré en vieillissant, Wigton s’était ressaisi et avait remonté la pente.

– Y a-t-il une morale dans cette histoire?

– Je pense juste qu’elle est intéressante. Je me souviens d’y avoir réfléchi quand j’étais gosse. On voyait bien le chemin qu’ils prenaient dès leur treize, quatorze ans?

– Qu’est-il arrivé à Wigton?

– Un jour, il fut renversé par une voiture dans la rue avant son dernier jour d’école. Il jouait au foot. Il courait après le ballon lorsqu’une voiture surgit au coin de la rue et le propulsa contre un lampadaire. Le crâne fracassé.

– Donc tu ne sais pas ce qui lui serait arrivé plus tard. Il aurait pu reprendre ses habitudes.

– Peut-être, dit Paul en haussant les épaules. Mais il changeait en une personne différente. Et puis, tout était fini pour lui.

Elle lui donna les directions: il passa devant Gosford Green où il avait joué au tennis lorsqu’il était enfant, bien que les courts de tennis aient disparus depuis longtemps, devenues maintenant une aire de jeux. Puis il fit tout le tour du périphérique extérieur, pour finalement sortir en direction de Holyhead Road.

Elle lui dit de prendre à gauche au garage Texaco. Les maisons étaient soudainement plus grandes, éloignées de la route, avec un parking à l’avant et des arches en pierres au-dessus des portes d’entrée.

– Celle-ci, dit-elle en pointant du doigt.

Il ralentit et s’arrêta. Elle ouvrit la porte et se retourna pour le regarder.

– Tu viens?

– Qu’est-ce que je suis censé lui dire? Qui je suis, le chauffeur?

– T’en fais pas, il n’est pas du genre jaloux. Je pense que tu vas bien l’aimer.



Paul dévisagea David lorsqu’il leur ouvrit la porte et recula pour les laisser entrer. Il était de la même taille que Paul, pâle, la poitrine creuse, une barbe et des cheveux à poils durs couleur paille sale. Paul devina qu’il travaillait à domicile, peut-être un journaliste, comme Araminta prétendait l’être.

Elle fit des introductions rapides en faisant un signe de la main vers Paul, comme si David n’avait pas remarqué son entrée.

– Ne fais pas attention à lui, dit-elle à David, c’est quelqu’un que je connais, qui m’a accompagné.

David croisa le regard de Paul mais sans dévoilé, ou peut-être bien une vague curiosité. Il était probablement en rogne ou énervé contre sa petite amie de débarquer ainsi accompagnée d’un autre homme, pensa Paul.

Paul remarqua que la maison était grande mais l’air inhabitée – il aperçut à travers une porte ouverte une pièce sans moquette aux murs unis et rien d’autre, pas de meubles, ni de tableaux sur les murs. On sentait une odeur de pin de produit de nettoyage, comme si David était en train d’astiquer le plancher de bois avant leur arrivée.

David les conduisit vers une pièce à l’arrière. Paul remarqua de grandes baies vitrées donnant sur un jardin assez grand, propre, avec un hangar au fond, des lumières solaires clignotant dans les parterres à fleurs. Peut-être qu’il passait la majorité de son temps dans le jardin, pensa Paul, à tailler les rosiers ou tout ce qui se fait dans ces putains de jardins.

Araminta s’était assise sur un canapé en cuir noir et Paul s’installa en face d’elle. David leur demanda s’ils voulaient un café ou un thé ou quelque chose de plus fort, que tous deux refusèrent.

Il pensait que David avait l’air d’être un type soumis et fut surpris de l’entendre dire à Araminta de manière directe:

– Qu’est-ce que tu fais ici? Qu’est-ce qui se passe? Tu as dit que c’était important.

Elle croisa les mains sur ses genoux pour gagner un peu de temps, puis releva la tête pour le regarder.

– Paul est un collègue, d’accord? Je lui ai demandé de m’accompagner. Et c’est vrai, je devais absolument te voir ce soir.

Elle se tourna et regarda Paul.

– Peux-tu nous laisser une minute? Que penses-tu d’aller faire un tour dans la cuisine, par exemple.

Elle ne lui donnait pas le choix, à moins qu’il veuille se lancer dans une discussion inutile.

Il les laissa et ferma la porte derrière lui, fit le tour du rez-de-chaussée en ouvrant quelques portes avant de tomber sur un bureau – des étagères, une table avec un ordinateur portable, une lampe d’architecte et une chaise rembourrée sur roulettes. Il s’assit sur la chaise et regarda par la fenêtre qui donnait sur l’avant de la maison. Il faisait noir à l’extérieur, il n’arrivait à apercevoir que les rares voitures qui passaient dans la rue principale.

Il réfléchit et se retourna pour regarder les photos sur le mur. Les photos de David enfant, puis une avec la famille – lui, une fille qui pourrait bien être sa petite sœur, les parents et un chien noir, tous debout devant une maison couverte de lierre avec des colonnes de chaque côté de la porte d’entrée. On aurait dit que c’était à Oxford ou dans une maison des comtés à l’extérieur de Londres. Bourgeois et riches.

Plus loin, quelques diplômes encadrés, un niveau 8 au piano, un autre pour avoir gagné un rallye automobile en Afrique; peut-être qu’il était plus dur qu’il n’avait l’air.

Dix minutes plus tard, il entendit la porte du salon se rouvrir. Il se dirigea vers le couloir, Araminta et David sortirent de la pièce, différents, comme s’ils venaient de subir une métamorphose pendant son absence. Araminta souriait, détendue, son langage corporel ayant perdu son irritation habituelle. Quant à David, il était tout pâle, les joues creuses, comme s’il venait de vieillir de dix ans.

Paul se dit qu’il devait faire plus attention à l’avenir – cette femme pourrait avoir un effet traumatisant sur votre santé.

– Prêt? dit Araminta en se tournant vers lui comme s’ils allaient en promenade un dimanche après-midi et se dirigea vers la porte d’entrée. Paul suivait David du regard et remarqua que son expression de chien perdu s’empirait.

– Nous sommes donc toujours d’accord pour demain soir? Les photos? demanda David.

– Ne t’attends pas à me revoir de sitôt, dit-elle en lui faisant un signe d’au-revoir de la main, mais ça ne veut pas dire que tu oublies ce que je t’ai dit. Tu vas bien?

– Je crois que oui.

– Courage! Ce ne sera pas grave.

– Je pense à toi.

Elle lança un regard furtif à Paul qui le remarqua, mais n’en avait pas saisi la signification. Elle dit à David:

– Ne pense pas à moi. Pense plutôt à ce que je t’ai dit, lui dit-elle.

Elle ouvrit la porte et sortit sans se retourner, s’éloignant de la maison en prenant le chemin menant à la grille d’entrée. Paul fit signe de tête à David et la suivit en fermant la porte derrière lui. Il était sûr que quelque chose venait de se passer, mais il ne savait pas quoi.

Araminta se tenait maintenant debout de l’autre côté du portail, déjà au téléphone. C’était un appel court.

– Tu n’as pas à me raccompagner chez moi. J’ai appelé un taxi, dit-elle en se tournant vers lui après avoir raccroché.

– Pourquoi?

– Tu ne vas pas te mettre à me poser la question? J’ai besoin d’être seule, d’accord?

Paul pensa qu’elle ne voulait peut-être pas qu’il sache où elle habite.

Il resta debout avec elle, sentant la nuit se rafraîchir.

– Tu n’es pas obligée de me dire ce qui s’est passé à l’intérieur! dit-il.

– Très bien.

– Mais je dois savoir une chose – est-il vraiment ton mec? La manière dont tu le traites, comme un enfant?

– Ça ne le dérange pas en tout cas.

– Qu’en sais-tu?

– Tu l’as vu: il paraît un peu froussard, mais il va droit au but. S’il avait un problème, il me le dirait ou il me larguerait.

– Tu n’as pas l’air d’être trop inquiète.

– Pourquoi veux-tu que je le sois? Un de perdu, 10 de retrouvés, etc., dit-elle le ton éreintée n’appréciant peut-être pas ses questions.

– Je me demande seulement ce qu’il ressent en ce moment, dit Paul.

– Ça m’est égal.

Elle essayait de mettre fin à la conversation, pensa Paul, n’appréciant pas le fait qu’il pose des questions sur l’autre homme.

Enervé alors contre elle et voulant gagner sa confiance, il dit:

– Alors pourquoi tu voulais que je vienne?

– Je pensais que tu devais le rencontrer.

– Pour me convaincre que tu avais un mec, pour ne pas avoir trop d’espoir.

Elle se retourna vers lui, le regard direct pour une fois et même amusé:

– Tu as de l’espoir? Tu es stupide!

Il ne savait pas quoi lui répondre, il hocha alors la tête et fit quelques pas faisant semblant de chercher son taxi, puis se retourna et vit qu’elle vérifiait les messages sur son téléphone. Elle ne se passera jamais de la technologie. Il se demandait si David les observait de sa fenêtre, et dès qu’il y pensa il sut que oui. Il s’efforça de ne pas vérifier.

– Qu’est-ce qu’il fait, ce David? demanda-t-il.

– Je me demande quand tu te lasseras, dit-elle en relevant les yeux de son téléphone. Tu es obsédé par ce que tout le monde fait, ce qu’ils font pour gagner leur vie. Tu ne prends jamais les choses comme elles sont, c’est ça?

Paul réfléchit un instant à ce sujet. En effet, il ne pouvait pas le nier. Mais il se dit qu’il était naturellement curieux, ce n’était pas du tout de l’indiscrétion.

– Tu as peut-être raison, dit-il, mais tu n’as pas répondu à ma question.

– Il travaille pour la municipalité sur laquelle j’enquête pour corruption, dit-elle. Relation européenne, décrocher du fric pour la ville de tout ce butin qui se trouve à Bruxelles. Cette réponse te satisfait? Dieu merci, le taxi est là. Je me gèle les nichons.



Paul suivit du regard le taxi qui s’éloignait. Dès qu’il disparut au coin de la rue, il fit demi-tour et frappa à la porte de David se demandant ce qu’il foutait et que cela n’était pas son problème.

Dès que David ouvrit la porte, Paul s’avança d’un pas pour montrer clairement qu’il voulait rentrer. David recula d’un pas timide. Paul entra sans savoir ce qu’il allait dire, mais il trouvera bien quelque chose.

David le regarda en se redressant pour se donner un air imposant et sûr de lui-même.

– Je voulais m’excuser pour elle, dit Paul. Elle m’a demandé de venir ce soir, mais je ne savais pas pour quelle raison.

David regardait à travers le verre granuleux de la porte d’entrée, pour voir si son ombre allait se dessiner au loin.

– Où est-elle? Elle est partie?

Paul remarqua qu’il portait des lunettes, maintenant, qui lui donnaient l’air d’un professeur de géographie ou d’un documentaliste. Il n’avait pas plus de trente ans et Paul se demanda quand il avait eu le temps de participer aux rallyes automobiles en Afrique.

Il se dirigea vers le salon, après avoir dit à David qu’Araminta avait pris un taxi. Il regarda autour de lui. Il cherchait un signe quelconque qui lui révélerait ce qui s’était passé lorsqu’on lui avait demandé de les laisser seuls.

– Excusez-moi, dit David, mais que voulez-vous?

– J’ai trouvé qu’elle avait été dure avec vous. Et quand vous êtes tous les deux sortis et que je vous ai vu dans le couloir, on aurait dit que vous avez été renversé par un camion. Je ne voudrais pas vous vexer, mais est-ce qu’elle vous a plaqué?

David fronça les sourcils et s’assit dans un fauteuil à motifs de fleurs, se pencha en avant vers Paul, qui s’était assis en face de lui pensant qu’il serait plus à l’aise pour parler de vérités qui dérangent.

– Non, bien sûr que non, dit-David, elle ne m’a pas plaqué. Mais ça ne vous regarde pas.

– On me le répète souvent.

– Vous travaillez avec elle, n’est-ce pas?

– C’est un accord récent.

– Vous êtes donc au courant.

– Au courant de quoi?

– C’est la raison pour laquelle elle est venue me parler. Et je suppose que vous êtes son soutien moral, en cas de besoin.

Paul ne comprenait pas ce qu’il voulait dire. Il savait que cela était le cœur du sujet, le noyau de l’arnaque, mais il ne comprenait toujours pas pourquoi elle l’avait amené ici. Il ne pouvait pas être son soutien moral, puisqu’il n’était pas sûr qu’Araminta ait un moral, pour commencer.

– Qu’est-ce qu’elle vous a raconté? demanda-t-il.

– Vous savez, au sujet du cancer.

David surprit l’expression sur le visage de Paul.

– Oh, peut-être que vous n’étiez pas au courant. Comme je suis stupide, j’ai craché le morceau.

Paul pensa qu’il était préférable de ne rien dire, il se contenta de regarder l’homme avec un visage neutre.

– Eh bien, continua David, trop tard maintenant. Elle souffre d’un cancer grave du pancréas. Normalement elle n’aura pas longtemps à vivre, mais elle s’est inscrite à un programme expérimental qui coûte une fortune et c’est top secret.

– Que voulez-vous dire par top secret?

David se lécha les lèvres:

– Elle m’a dit de ne rien dire à personne, mais je ne peux plus revenir en arrière maintenant. Elle a dit qu’il a été établi par un regroupement entre une entreprise privée et le ministère de la Défense. Ne me demandez pas pourquoi. Bref, ça implique la technologie génétique et personne n’est au courant.

Paul sentit qu’il avait le regard fixe, mais c’était plus fort que lui.

– Quel genre de traitement? demanda-t-il, uniquement pour avoir quelque chose à dire.

Davide haussa les épaules, pensant en avoir peut-être trop dit.

– Je sais uniquement que c’est presque un secret officiel et qu’elle va s’éloigner pour six mois, ajouta-t-il.

– Elle vous a dit tout cela ce soir, pendant les dix minutes où je me trouvais dans la pièce à côté?

– C’était comme si elle lisait un scénario, elle ne m’a pas laissé l’interrompre, elle l’a raconté du début à la fin. Elle m’a montré quelques documents, ça avait l’air d’être assez officiel.

– Et vous l’avez cru? demanda-t-il en essayant de masquer sa voix sceptique.

David ignora la question.

– Quel dommage vraiment, dit-il, car j’avais l’intention de l’emmener rendre visite à ma mère et ma sœur la semaine prochaine. Elles sont au courant, mais ne l’ont pas encore rencontrée. Je voulais leur faire la surprise.

– Où habitent-elles?

– A Kenilworth, pas loin. Je devrais y aller plus souvent, mais elles sont heureuses seules. Je n’aime pas déranger.

– Vous devriez passer plus de temps avec vos proches. Croyez-moi, je sais de quoi je parle.

– Vous ne connaissez pas ma mère. Après la mort de mon père, elle s’est endurcie. Je crois qu’elle n’aime pas trop les hommes. Pas après ce que mon père lui a fait. Ne me demandez pas quoi, parce que je ne vous le dirai pas.

Il ne voulait pas le savoir, pensa Paul, il ne voulait pas s’impliquer dans la vie des autres. Il avait déjà assez de mal avec la sienne.

– Je dois partir, dit-il en se levant.

David se leva également et demanda:

– Vous pensez qu’elle s’en sortira?

– Dites-moi, vous avez dit que le traitement allait coûter une fortune. Qui paye pour ça?

– Elle ne l’a pas dit.

– Non?

– Non, elle a seulement dit qu’elle allait se retrouver au chômage pendant un temps. Le journal lui offrira un soutien financier uniquement pendant quelques mois, ce qui est tout-à-fait juste de leur part. Après cela, elle sera à fauchée.

– Vous la connaissez depuis combien de temps? demanda Paul.

– Je sais où vous voulez en venir – vous êtes un type méfiant, c’est ça? Vous m’avez donné cette impression dès la première minute que je vous ai vu. Je ne suis pas né de la dernière pluie, vous savez! Vous pensez que juste le fait qu’elle ait demandé qu’on lui prête de l’argent, fait d’elle une croqueuse de diamants.

– Elle a déjà demandé?

– Juste pour la dépanner, après l’épuisement de ses économies. Je lui ai proposée de l’héberger ici, mais elle ne veut pas en entendre parler. Je crois qu’elle est assez timide, vraiment, réservée. N’aimerais pas s’imposer. Je sais qu’elle paraît être une dure, mais au fond c’est une fille très gentille.

Paul fit une pause.

– Si j’étais à votre place, dit-il, j’attendrais un peu avant de lui prêter quoi que ce soit. Voyez d’abord comment les choses se passeront.

– Quelques milliers par-ci, par-là, ne vont pas me ruiner. Regardez cet endroit. Un oncle me l’a légué dans son testament. Tout payé, avec de l’argent en plus. Je peux me le permettre.

– C’est ce dont j’avais peur. Laissez-moi vous donner mon numéro.




CHAPITRE HUIT


Bien que la maison fût en bon état, l’une des chambres avait besoin de restauration. Paul acheta donc, le lendemain matin, un bidon de magnolia pour peindre le papier peint à motifs que son père avait posé il y a près de trente ans de cela.

Il consacra un bon bout de temps à penser à David et à se demander ce qu’Araminta faisait avec lui. Il se demandait également où Cliff se trouvait dans cette comédie, si c’était le cas. Il pensait à Cliff et à ses trois hommes de main, assis dans les pubs et cafés à s’imaginer des projets qui pourraient rapidement les enrichir, vendre des marchandises volées dans des foires-à-tout ou dans des magasins d’échange contre du liquide en essayant se faire des profits. Il se demandait s’ils étaient sérieux, s’il devait en parler à Rick, les mettre sur une liste, voir s’ils étaient connus des flics de Coventry. D’après ce que Cliff avait raconté, ils se préparaient pour un coup et Paul ne pensait pas que cette virée impliquait Araminta. C’était probablement une affaire sur le terrain et sordide.

Il avait vu qu’Araminta gérait sa propre escroquerie en forçant David à lui remettre de l’argent comptant pour la soutenir le temps que, soi-disant, elle était au chômage. Mais il se demandait si ça aller s’arrêter là. Peut-être qu’il y avait une autre chose de planifiée. David était un peu ringard et peut-être insociable, vivant seul dans une maison inachevée qui lui avait été léguée par un parent. Peut-être qu’il était la proie idéale d’une femme séduisante, qui l’exploiterait ne voulant pas établir une relation de confiance, mais qui agitait continuellement devant lui la promesse du plaisir. Il s’imaginait bien Araminta dans ce rôle, le mener par le nez de la même façon qu’elle l’avait fait avec lui, au début. Etant consciente de son pouvoir et de sa fermeté, elle s’attendait qu’on lui obéisse. Il avait connu des femmes comme elle et avait failli encore une fois tomber dans le piège, avant de remarquer son attitude – le sourire facile, accepter les insultes – et avait fini par s’en détacher.

Peut-être que Cliff lui avait arrangé un rendez-vous avec David et cela faisait partie d’un plus grand plan, un plan qui les impliquerait tous. Peut-être que c’était ça l’affaire – arnaquer un célibataire solitaire pour s’accaparer de ses économies. Au pub, Cliff avait demandé comment David allait. Il le connaissait donc, ou du moins se sentait à l’aise de poser la question. Paul s’imaginait bien Cliff faire marcher David de la même façon qu’il avait essayé de le faire avec lui: disant connaitre une personne que David aimerait, une femme séduisante, une professionnelle, intelligente avec qui il s’entendrait… Mais cela était impossible puisqu’elle avait dit que David travaillait pour la municipalité et qu’elle écrivait sur la municipalité, sur la corruption – oui, ce serait donc son billet d’entrée: un coup de téléphone à son bureau – j’ai entendu que vous étiez droit, David, et que je peux vous faire confiance. Parlez-moi donc des manigances derrière les portes closes de la municipalité…

Il pensait encore à Araminta lorsque son téléphone sonna. Il n’était pas du tout surpris d’entendre sa voix au bout de la ligne.

– Qu’est-ce que tu as dit à David, hier?

– Tu as une excellente façon de commencer les conversations, dit-il.

– Ne t’fous pas de ma gueule, Paul. Qu’est-ce tu lui as dit? Tu es retourné et tu lui as parlé, n’est-ce pas? dit-elle très énervée après lui.

– Tu ne peux pas me reprocher de parler au gars, après la façon dont tu m’as bousculé dehors. Que crois-tu que je suis, un trophée pour le rendre jaloux? Je sais pourquoi tu m’as choisi, mais tu ne m’as donné la chance de briller.

– De quoi tu parles? dit-elle en insistant sur les mots, impatiente de pousser sa gueulante. Il m’a appelé ce matin, il a dit… il a dit qu’il n’allait pas faire ce que je lui avais demandé.

– Te prêter de l’argent?

– Ce n’est pas ton putain de problème. Tu lui as monté la tête, c’est ça? Qu’est-ce tu as raconté?

– Rien. Seulement un petit conseil amical. Après que tu lui as raconté ton histoire de cancer, je pensais qu’il en avait besoin.

Elle s’était tue et il savait qu’elle se préparait, elle réfléchissait à la façon dont elle pourrait continuer la conversation en repensant à ce qu’elle savait de lui et à ce qui pourrait marcher.

– Je t’ai emmené là-bas parce que je pensais que tu étais un ami, dit-elle d’une voix plus méfiante. Bien, on est dans la bonne direction, pensa-t-il. Je savais que ce que j’avais à dire le choquerait sûrement, et que j’aurais peut-être eu besoin d’un peu … d’un peu de soutien.

– Je vois où tu veux en venir… tu lui annonces une chose si dévastatrice qu’il pourrait avoir besoin d’une personne sur qui s’appuyer, tu m’as donc amené avec toi, moi, un inconnu. Qu’est-ce qui peut clocher dans ça?

– Tu ne le connais pas. Il a besoin de soutien, une personne à qui il peut faire confiance. Tu es digne de confiance.

– C’est la chose la plus gentille que tu m’aies jamais dite.

– Vas te faire foutre.

– Et le cancer, c’est vrai?

Silence à nouveau. Paul se l’imaginait, le téléphone contre la joue à analyser la réponse qu’elle pourrait donner.

Mais elle réussit à le surprendre à nouveau, en disant:

– Retrouve-moi ce soir. A Litten Tree, au bout de Heltford Street, près du Bull Yard. On en parlera.

– Je verrai si je peux te caser. Trop de travail ici.

– Sois au rendez-vous. Huit heures.




CHAPITRE NEUF


Rick regardait Kirkland aligner le putt, la routine, en maintenant le putter tel un pendule comme si cela allait modifier en quoi que ce soit son coup foireux. Il regarde les genoux cagneux s’accroupir au-dessus de la balle, comme Jack Nicklaus, mais à chaque fois qu’il rabat le putter pour lancer le coup, il dépasse la ligne et pousse le putt. Rick a vu cela se produire maintes fois, mais il était si heureux de gagner qu’il ne voulait pas que Kirkland sache ce qui clochait.

Il passait ses vendredi après-midi sur le parcours de golf, en avoir pour ses treize milles balles d’adhésion en doses hebdomadaires. Il lui a fallu trois ans pour réussir à avoir des parrains. Maintenant qu’il avait réussi, il allait bien profiter de son adhésion à chaque fois qu’il le pouvait, il ne laissera pas l’herbe lui pousser sous les pieds. Vendredi était le jour idéal, mais il essayait de jouer dans des tournois les week-ends, s’il pouvait, pour réduire son handicap.

Le parcours s’appelait Shooters Hill, à Greenwich, à quelques kilomètres de Canary Wharf, bien que ce soit assez difficile à croire. Les panoramas des pentes douces du nord de Kent, brillantes en ce moment de l’année sous un soleil doux de fin d’après-midi. Vu son travail, il pensait que ce serait à en mourir de rire de devenir membre de ce club particulier, mais ça lui ressemblait bien. Et s’il pouvait également l’emporter sur Kirkland, c’était un bonus.

Le putt de Kirkland glissa à côté du trou. Et voilà, il n’apprendra jamais. Rick aspira grandement à travers ses dents.

– De très près, mon pote. Putt difficile.

Kirkland putta la balle à l’extérieur en étant sur la ligne de Rick, puis prit sa balle du trou, plia un genou et plaça son autre jambe derrière pour se mettre en équilibre, telle une cigogne. Il était nouveau au département et Rick l’avait pris sous son aile, mais il n’allait pas le dorloter non plus! Si vous êtes dans le département, c’est que vous avez déjà ce qu’il fallait et que vous pouvez vous défendre tout seul.

Le tee suivant était en trois coups, Rick commença le premier… lorsque son téléphone sonna.

Kirkland leva les bras, Tu plaisantes, Rick jetant un coup d’œil sur l’écran et leva son index: Je dois répondre à ce coup de fil.

– D’accord, enfoiré, pourquoi tu ne m’as pas dit que tu partais? Et où diable es-tu? dit-il au téléphone.

La voix de Storey calme comme d’habitude, cette façon de sembler être à des distances tout en étant assis sur la chaise d’à côté. C’était un don de délimitation. Ça le rendait bon dans son travail.

Lorsqu’il en avait un!

– Je ne voulais pas te parler, dit-Storey, tu sais très bien ce que tu aurais dit.

– Tu as raison, même si je ne crois pas que j’aurais beaucoup parlé – je t’aurais plutôt assommé. Un boulot rapide puisque de toute façon tu n’as pas de bon sens.

– C’est ma décision, Rick. Je ne pouvais pas continuer, et puis je ne pouvais pas rester en ville. De plus, mon père est mort. J’avais des choses à régler.

Cela réfréna Rick, mais pas pour longtemps. Il croyait en la famille, mais il pensait que Storey a dû passer outre, faire une pause comme le recommandaient les psys, puis pouvoir revenir et se remettre en selle, comme on dit.

– Storey, tu es un trou du cul, dit-il. Ce qui t’es arrivé aurait pu arriver à n’importe qui. Tu étais sous les ordres et d’ailleurs tu as été disculpé.

– Je n’aurai pas dû me retrouver dans une situation qui avait besoin de disculpation. C’était de ma faute.

Rick était présent sur les lieux avec lui ce soir-là, et il avait toujours l’image du corps allongé sur le sol, les autres membres de l’équipe debout autour qui le regardaient, se disant tous: Pauvre bâtard, Storey, il va y avoir de la merde !

Peu importe le temps que vous avez passé sur le terrain, les choses peuvent toujours mal tourner.

Cela n’a pas d’importance. Il se rappela de ce que Thomas lui avait dit, Fais revenir Storey, on a besoin de lui, il était l’un des meilleurs, toujours attentif, bon souffle. Se rendre à l’ancienne adresse de Storey ne lui avait servi à rien, à part de recevoir un savon de la part de sa voisine, cette jeune femme en sueur qui, selon lui, savait plus qu’elle n’en disait. Elle avait probablement envie de Storey. Ce qui était souvent le cas de la plupart des femmes.

– Je comprends pourquoi tu es parti, dit-il, t’avais juste besoin d’un peu de temps et toutes ces conneries. Mais tu fous tout en l’air. Tu devrais te ressaisir et te grouiller de revenir.

– J’ai démissionné – tu as oublié?

– Il est possible d’annuler ta démission.

– Thomas t’as parlé? Charme habituel? Je le vois bien te demander de me parler pour me faire revenir, parce qu’il n’accepterait pas de le faire lui-même.

– Peu importe. Ce n’est pas de lui qu’on parle.

– Je sais, tu penses à moi. Vous êtes tous chaleureux et câlins là-bas. Vous vous mettez au lit un ours en peluche dans les bras.

Kirkland pratiquait son swing en regardant son prolongement, en gardant sa dernière position et en étudiant le pli de son coude, comme s’il ne faisait pas parti de son corps. Rick lui tourna le dos et dit à Storey:

– Donc si tu ne reviens pas et que tu ne me dis pas où tu es, pourquoi tu m’appelles? Si ça ne te dérange pas, j’ai un petit garçon, ici, qui attend que je lui donne une bonne raclée. Et non, je n’aimerais pas reformuler ma phrase.

– Toi et ton putain de golf. En fait, tu pourrais m’être utile.

Et voilà, pensa Rick. Ils ne lâchent jamais prise quand ils ont besoin de quelque chose. Ils n’arrivent pas à sortir complètement du système – accéder à des informations qu’ils n’arrivent pas à avoir ailleurs. Il a connu beaucoup trop d’hommes qui ont quitté la police et sont entrés aux services de la sécurité privée, puis qui passent un simple coup de fil uniquement pour avoir des nouvelles et obtenir une adresse… en général, sa réponse était: non, je ne peux pas. Si tu voulais ce type d’informations, tu aurais dû rester flic.

Mais il était peut-être préférable de garder Storey de son côté, plutôt que de l’énerver pour le moment. Si Thomas voulait qu’il revienne, alors il devrait continuer à parler à Storey jusqu’à ce que quelque chose éclate et qu’il arrive alors à le tenter.

– Tu veux m’utiliser et ensuite me jeter comme une serviette sale, dit-il.

– C’est exactement ça.

Rick écouta Storey lui raconter l’histoire du petit groupe qu’il avait rencontré, de cette femme Araminta et de l’homme qui s’appelle Cliff. On ne sait pas comment, mais il s’est retrouvé impliqué avec eux. Il jouait maintenant le jeu pour connaître leur plan. Ils ne savaient rien à son sujet, mais ils avaient l’air d’aimer la façon dont il se comportait.

– Alors qu’est-ce que tu veux? demanda Rick. Des arrestations? Des mises en garde?

– Tout. Je connais Elliott depuis l’école. Eh bien, je l’ai vu. Je crois que cette femme Araminta est une arnaque de première. Ça serait une bonne chose si elle avait une relation avec lui, mais j’en doute.

– Tu devrais passer le relais aux flics locaux. Pourquoi tu t’impliques?

– Ça m’occupe. D’ailleurs je suis un combattant du crime, non? Né pour combattre le crime.

– Fais chier. Je suis sur le point de passer au quatorzième trou, alors vas te faire voir.

– Fais gaffe de ne pas tomber, tu te feras mal.

Rick raccrocha, se retourna et vit Kirkland le regarder en fronçant les sourcils pensant qu’il lui dirait sûrement qui était au bout du fil.

N’y pense même pas. Il n’avait pas besoin de le savoir. Si Rick voulait enfreindre la loi en donnant à Storey des informations, moins de personnes le savaient mieux c’était.




CHAPITRE DIX


Il les avait aperçus avant même d’arriver à la porte d’entrée du pub – les trois hommes de Cliff traînaient dehors, deux d’entre eux fumaient, le troisième celui qu’il pensait être probablement Dutch, avait un demi à la main. Merde. Est-ce qu’elle était enchaînée à lui? Elle ne pouvait donc rien faire sans que Cliff soit présent?

Il jeta un coup d’œil autour. Le Litten Tree était un gastro pub dans un quartier bondé non loin du centre-ville, sur la route qui menait à la gare et à Kenilworth. Il voyait la grande télé murale à travers la porte à double battant, mesurant facilement deux mètres, si ce n’est pas plus. L’endroit semblait être animé contrairement la rue.

– Quelle foutue coïncidence de vous revoir ici, vous trois, dit-il.

Gary, le plus petit avec le regard intense, écrasa sa cigarette de son pied.

– Bavard comme d’habitude. Tu n’la mets jamais en veilleuse?

– Tu fais ressortir ce qu’il y a de meilleur en moi. Araminta est là?

Gary leva son regard vers Tarzan:

– Tu crois, Tarz? Tu l’as vu?

Il aimait utiliser le grand homme comme son larbin, pensa Paul, une façon de se monter contre les autres.

– Je suis certain d’avoir senti son odeur dans le coin, continua-t-il avant que Tarzan ne réponde. Une jupe à la recherche de quelqu’un pour gigoter en-dessous, comme une putain de prostituée en chaleur. Hein, Tarzan? As-tu vu une personne qui répond à cette description?

Tarzan prit une taffe de sa cigarette et secoua la tête:

– Non, pas dernièrement. Pas de jupons puants par ici.

– Alors quoi de neuf? dit-Paul. Vous attendez quelqu’un? Vous savez, il y a bien longtemps de cela une personne m’a dit: si tu vois trois hommes debout devant un pub, cela veut probablement dire que deux d’entre eux sont pédés et que le troisième est jaloux. Alors qui est qui?

Gary remonta son pantalon par la ceinture, regarda autour de lui pour voir si quelqu’un regardait. Paul se prépara en cas de coup de poing. Tarzan écrasa sa cigarette. Paul croyait qu’ils se préparaient à le cogner, lorsque Dutch se mit à rire:

– Putain, il vous a eu tous les deux, dit-il. Un expert en blague a réussi à froisser vos quéquettes.

– Ferme ta putain de gueule, dit Gary.

Paul remarquant son visage virer au rouge:

– Contrairement à mon pote Tarzan, je suis sûr de ma putain de masculinité.

– Ouais, je vois ça, dit Dutch. Je le vois très bien sur ta putain de gueule.

La porte du pub s’ouvrit et Cliff apparut, costaud, musclé et ferme. Paul commençait à voir plus l’influence qu’il pouvait avoir sur les gens.

– C’est quoi ça, un putain d’institut de femmes? dit Cliff.

– On était juste…

– Ouais, ouais, je vous ai dit de m’avertir lorsque ducon se pointe.

– C’est moi? demanda Paul.

– D’après toi? Il n’y a que la vérité qui blesse. Allez, amène-toi par ici, lui dit-il en saisissant Paul par le bras et l’éloignant de la lumière de la porte d’entrée.

Il traversa l’enceinte de Bull Yard en direction du passage souterrain qui menait à un parking à plusieurs étages.

Paul, secouant le bras pour se libérer, se demandait où ils allaient. Etait-ce le moment où Cliff entrait en jeu, lui faire son baratin sur la virée qu’il planifiait? Ou est-ce autre chose?

Ils s’arrêtèrent au milieu du passage souterrain, face à un mur en céramique noir et blanc. Il tendit, puis détendit ses muscles. Son centre de gravité retrouvé. Son ouïe réglé, hypersensible maintenant au piétinement de leurs pieds sur le goudron, cinq hommes se mettant en position, une légère brise venant du passage souterrain, une puanteur s’échappant d’une demi-douzaine de poubelles industrielles bleues.

– Je dois te parler de Minty, dit Cliff, tu le sais, c’est ça?

– Est-ce qu’elle est là?

– Peu importe. Que fais-tu avec cette fille? Tu cherches à tirer un coup avec elle? Une belle nana comme elle! Elle est peut être une peau de vache pour la plupart du temps, mais elle sait comment s’y prendre, je suis d’accord avec toi.

Paul se pencha en arrière, en laissant une distance entre lui et Cliff, et dit à voix basse:

– Qu’est-ce que ça peut te faire? Elle a un mec, non?

– Tu l’as rencontré hier, c’est ça? J’ai eu tout le scénario. Elle était en pétard lorsqu’elle a su que tu lui avais parlé. Elle croit que tu es en train de ruiner sa vie sentimentale. Tu devrais faire gaffe à ça, mon vieux, ne te glisse jamais entre une fille et une queue sympa, tu sais de quoi je parle?

Paul sentit qu’il se trouvait soudainement au milieu d’un cercle, les autres ayant changé de position.

– C’est quoi ça? demanda-t-il. Est-ce que tu me menaces? pensa-t-il à ajouter.

Cliff jeta un coup d’œil à chacun de ses hommes avant de se retourner vers lui.

– Tu penses que c’est une menace? C’est juste cinq mecs qui parlent dans un tunnel de merde. On pourrait parler de pêche, non, si je savais la moindre putain de chose sur la pêche. C’est une chose que je n’ai jamais réussi à comprendre – pourquoi on l’appelle la ‘pêche à la ligne’? Qu’est-ce que cette putain de ligne? Je veux dire dans le contexte.

– Qu’est-ce qui se passe avec Araminta et David? demanda Paul. Ce truc de cancer? Lui donner de l’argent pendant la durée de son traitement… Je suis surpris qu’il soit tombé dans le panneau.

– Quoi, avec ta grande expérience en psychologie humaine en tant qu’agent d’assurances, c’est de ça qu’on parle?

– Entre autres.

Cliff hocha la tête dans l’obscurité, comme s’il savait que Paul allait lui donner cette réponse ou quelque chose similaire.

– Eh bien, je savais que tu n’étais pas un foutu employé de bureau. Tu es trop vulgaire. Qu’y a-t-il d’autre? Dans ton passé? demanda-t-il.

Paul resta silencieux, il le dévisagea avant de poser lourdement son regard sur les autres hommes.

– Je te parie que tu étais dans l’armée, dit Cliff. Toutes ces conneries de voyager partout… je te parie que tu as fait un tour en Irlande ou en Irak, c’est ça?

Paul continua à le fixer en silence… laisse faire, ne révèle rien.

– Rien à foutre – fou juste la paix à David, dit Cliff l’air las. C’est un homme bien qui fait un travail important. Contrairement à toi.

– Si tu le dis.

– Oh, tu parles maintenant? J’pensais que les putains de fantômes du parking t’avaient coupé la langue. Donc tu vas le laisser tranquille, n’est-ce pas?

– Je vais y réfléchir…

Plus tard, il se demanda si Cliff lui avait donné là un signal qu’il n’avait pas compris ou si c’était tout simplement le moment qu’ils avaient convenu… il reçut un coup violent derrière la tête, le faisant chanceler et le renversant en avant, probablement un coup de poing de Tarzan. Il vit alors Dutch, là, en face de lui avec une étrange expression sur le visage qui lui tirait ses traits. Paul se plia en deux lorsqu’il prit un coup de poing dans le ventre, faisant jaillir l’air de ses poumons. A la fraction de seconde suivante, il s’attendait à quelque chose venant de Gary, mais rien.

Cliff se tenait alors en face de lui. Il sentit des mains agripper ses bras et le redresser. Il avait du mal à respirer, sa vue était devenue floue et sentait un mal de tête lui monter à l’arrière du crâne. Il pensait qu’on le testait.

Il se pencha à nouveau et voulut cracher, mais changea d’avis. Cliff le lâcha et lui tapota sur le dos: il venait de réussir le test. Paul se dit: ne parle pas et respire profondément. Sa vue commençait à s’éclaircir, il aurait pu facilement vomir.

Cliff se rapprocha et lui chuchota à l’oreille.

– Viens à l’intérieur quand tu te sentiras mieux, dit-il calmement. Prends ton temps. Personne n’est mort.

Puis Paul entendit les hommes s’éloigner, se parlant entre eux. Il posa les mains sur ses genoux et sentit le goût de la bile au fond de sa gorge.

Il était heureux qu’ils aient tiré cela au clair.



Arrivé à la porte, il se sentait déjà mieux et se demandait pourquoi il retournait à l’intérieur du pub. Il voulait boire un verre, mais il ne savait pas s’il pourrait en encaisser plus de Cliff et des rites de sa pseudo-mafia. Mais il savait également que s’il partait maintenant, il passerait pour une mauviette. Et vu ce qui se passait entre lui et Cliff, il ne pouvait pas faire ça.

Les voilà, assis près de la fenêtre, pas un cheveu de travers, graissés en arrière, tous sérieux à l’exception de Gary, voulant montrer qu’il avait marqué un point.

Il tira sa chaise en la raclant et s’assit face à Cliff, le fixant du regard, puis se retourna vers Gary qui lui faisait un demi-sourire en lui montrant ses dents, les yeux brillants.

D’un mouvement décontracté, Paul donna un coup au demi de Gary en le renversant sur ses genoux avant qu’il puisse reculer et se lever. Paul lui saisit les cheveux et lui plaqua le visage dans le liquide, le clouant là en relançant un regard vers Cliff sans tenir compte les tentatives de Gary à se libérer. Tarzan et Dutch se raidirent immobiles.

Cliff n’avait pas bougé.

– Gary ne t’a jamais touché, dit-il.

– Vraiment? Il devrait alors faire attention à ses fréquentations.

– Il est mouillé, maintenant. Il va puer.

– Il avait besoin de se changer de toute façon. J’en avais marre de le voir avec ce blouson.

Paul repoussa la tête de Gary et le petit homme se releva, la bière dégoulinant du visage, puis fit un pas en avant.

– Ne fais pas ça, dit Cliff à voix basse. Pas ici. Vas t’essuyer le visage. Ça t’apprendra à te moquer des malheurs des autres.

– Je vais l’enculer, dit Gary en s’essuyant le menton. Attends pour voir si je ne vais pas le faire. Juste au moment où tu t’y attendras le moins.

Il s’éloigna et se dirigea vers les toilettes. Dutch alla au bar et revint avec des serviettes pour essuyer la table.

– Je me rappelle de toi au bahut, dit Cliff, mais c’est un peu vague. Des choses qui me reviennent – tu jouais au rugby, tu étais le capitaine de l’équipe de tennis. Je ne me souviens pas t’avoir beaucoup vu dans le coin. Remarque, je n’allais pas souvent au bahut. Je me foutais toujours dans la merde. Ma vie a pris un chemin différent du tien? Je me suis mis dans la drogue, puis des petits délits pour me payer ma drogue. Les conneries habituelles. J’ai réussi à arrêter avant de me mettre dans les drogues dures. J’ai toujours vécu ici. Un petit poisson dans un petit étang. Hé, comment as-tu appris ces choses?

– Quelles choses?

– Gary essayait de se libérer, mais tu arrivais à le maintenir en bas avec une seule main. Putain de forces spéciales ou quoi? Points de pression et tout?

Paul se dit qu’il avait eu de la chance – il était assis dans une position qui lui permettait d’appuyer sur la tête de Gary sans avoir besoin de faire trop d’efforts. Il n’avait pas entièrement perdu sa forme, non plus. Il a pu alors pivoter son épaule et son coude pour garder le petit homme fermement maintenu.

– J’ai appris un ou deux trucs, dit-il. Autodéfense. Les assurances peuvent être un sale boulot.

Cliff regardait par-dessus son épaule.

– Voilà Gary de retour. On peut y aller maintenant. Lève-toi.



Sortis, Paul savait qu’ils allaient quelque part lorsqu’il vit Cliff se diriger vers un grand fourgon blanc garé dans la rue près d’une station de taxi.

Cliff déverrouilla la porte du conducteur et monta, Dutch glissa le panneau de la porte côté passager et dit à Paul de monter. Une fois à l’intérieur, Paul s’installa sur un siège et remarqua que Tarzan était monté derrière lui pour s’affaisser sur le siège en face en faisant grincer les ressorts. Tarzan était sûrement supposé le surveiller. Dutch et Gary étaient à l’avant avec Cliff. Ce dernier démarra le moteur, engagea la première et prit la route en quittant le centre-ville.

Les trois sur les sièges avant se mirent à discuter entre eux, mais Paul ne pouvait pas les entendre à cause du bruit à l’arrière. Il jeta un coup d’œil autour de lui, mais ne trouva rien d’intéressant. Un siège libre à côté de lui et un autre à côté de Tarzan, en fait le fourgon était presque entièrement vide: un plancher en tôle à nervures, des logements de roue et quelques sangles en plastique avec des crochets en métal à l’extrémité pour attacher des marchandises. Les fenêtres-arrière étaient recouvertes de planches.

– Alors à qui appartient la Batmobile? demanda-t-il à Tarzan.

Tarzan se pencha en avant, ses longs bras pendant entre les genoux. Paul remarqua que contrairement à la première fois, l’homme portait une chose qui ressemblait à un costume – une veste et un pantalon appariés, des chaussures noires unies, une chemise blanche avec col à pointes boutonnées mais sans cravate. Il paraissait gêné et Paul pensa qu’il n’était pas habitué à s’habiller en tenue de gala.

– Je n’ t’aime pas, dit Tarzan, alors ne m’parle pas. Sinon, tu recevras une autre beigne dans la tête.

– Je croyais qu’on commençait à s’entendre.

– T’as dit que j’étais une tapette.

– C’était uniquement une image. Tu ne devrais pas me prendre au sérieux.

– Je ne te prends pas au sérieux. Ferme ta putain de gueule maintenant.

– J’aime bien ton costard.

Tarzan le fixa, mais ne dit rien. Paul essayait d’entendre ce que le groupe disait à l’avant, mais ils parlaient trop bas. Cliff passait les vitesses et le bruit d’accélération du moteur à travers le plancher du fourgon lors de la transmission de la pulsion aux roues-arrières vibrait sous ses pieds.

Paul reconnut une sortie du périphérique après l’hôtel Ramada et devina qu’ils se dirigeaient vers Tile Hill, côté ouest de la ville. Quelques minutes plus tard, les lumières des maisons s’estompèrent et ils traversèrent Hearsall Common, monotone et sombre des deux côtés.





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« J’aime beaucoup Lee Child, Robert Crais, Tess Gerritson. Je pense que Keith Dixon fait partie des grands auteurs. » – Critique d’Amazon. « L’un des écrivains les plus agréable à lire dans le genre de nos jours. » – Critique d’Amazon. Lorsque Paul Storey revient de Londres, c’est pour échapper à un événement qui a ruiné sa vie professionnelle. Il se remet alors lentement à lier contact avec les gens… mais les gens qu’il finit par rencontrer sont voyous, des voleurs et des escrocs…

Lorsque Paul Storey revient de Londres, c’est pour échapper à un événement qui a ruiné sa vie professionnelle. Il se remet alors lentement à lier contact avec les gens… mais les gens qu’il finit par rencontrer sont des voyous, des voleurs et des escrocs. Exactement le genre de personnes à qui il voulait échapper. Pire encore, l’une d’entre elles est une femme escroc qu’il, pour une raison ou une autre, n’arrive pas à oublier et une femme dont l’habitude était de manipuler les hommes… Lorsqu’il fut impliqué dans une escroquerie en contrebande de vente d’antiquités de Syrie, il réalisa qu’il ne pouvait pas échapper à sa profession – un homme possédant des compétences spécialisées et le rendant encore plus fascinant aux yeux de ses nouveaux collègues. Essayer de trouver un but à sa vie tout en gardant la tête sur les épaules était son entière préoccupation, jusqu’à ce qu’un Syrien voulant récupérer l’une des antiquités volées se manifeste… et il n’avait pas l’intention de faire de prisonniers.

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