Книга - L’oiseau bleu: Féerie en six actes et douze tableaux / Синяя птица. Книга для чтения на французском языке

a
A

L'oiseau bleu: Féerie en six actes et douze tableaux / Синяя птица. Книга для чтения на французском языке
Морис Метерлинк


Чтение в оригинале (Каро)Classical Literature (Каро)
Предлагаем вниманию читателей самое известное произведение Мориса Метерлинка (1862–1949), философскую пьесу-притчу «Синяя птица». Книга предназначена для студентов языковых вузов, учащихся старших классов специализированных школ и всех любителей французской литературы.





Морис Метерлинк

Синяя птица Книга для чтения на французском языке





Об авторе


Символизм – одно из крупнейших направлений в искусстве, возникшее во Франции в 1870–1880-х годах и достигшее наибольшего развития на рубеже XIX и XX веков, прежде всего во Франции, Бельгии и России.

Бельгийский писатель, поэт, философ, лауреат Нобелевской премии по литературе за 1911 год Морис Метерлинк (1862– 1949), наряду с Эмилем Верхарном, является представителем символизма в бельгийской литературе. Метерлинк – автор большого числа пьес, стихов, литературных эссе. Всемирную славу ему принесла пьеса-притча «Синяя птица» (1908), юные герои которой Тильтиль и Митиль отправляются на поиски смысла жизни, счастья, мечты. Их сопровождают души обыденных вещей и существ – хлеба, сахара, воды, огня, собаки, кошки. Герои побывали в Стране Воспоминаний, где встретились со своими покойными бабушкой и дедушкой, братьями и сестрами, в Стране Будущего, где познакомились с еще не родившимися детьми, которых неумолимое Время отправляет на землю – каждого в отведенный ему час. А Синяя птица, символ счастья, мечты и надежды, обнаружилась в их старом бедном доме, но – улетела…

В «Синей птице» предельно наглядны основные мотивы творчества Метерлинка: развенчание примитивных радостей низшего, сугубо материального порядка (их в пьесе олицетворяют «Тучные блаженства») в сопоставлении с неотъемлемыми духовными ценностями человеческой натуры, конкретизируемыми как «Радость быть справедливым», «Радость быть добрым», «Радость завершенной работы», «Радость мыслить», «Радость созерцать прекрасное», вплоть до «Радостей, которых люди еще не узнали».

Сущность пьесы, значение для нее фольклорной традиции искусства, ее глубинный пафос, присущий и творчеству Метерлинка в целом, лучше всего охарактеризовал Блок: «Только сказка умеет с легкостью стирать черту между обычным и необычным, и в этом вся соль пьесы… » И далее: «…счастья нет, счастье всегда улетает как птица, говорит сказка; и сейчас же та же сказка говорит нам другое: счастье есть, счастье всегда с нами, только не бойтесь его искать. И за этой двойной истиной, неуловимой, как сама Синяя птица, трепещется поэзия, волнуется по ветру ее праздничный флаг, бьется ее вечно юное сердце».




Costumes


TYLTYL: Costume du Petit Poucet dans les contes de Perrault: petite culotte rouge-vermillon, courte veste bleu tendre, bas blancs, souliers ou bottines de cuir fauve[1 - le cuir fauve – кожа рыжевато-коричневого цвета].

MYTYL: Costume de Grethel[2 - Grethel – Гретель, героиня сказки братьев Гримм «Гензель и Гретель»] ou bien du Petit Chaperon rouge.

LA LUMIÈRE: Robe couleur de lune, c’est-à-dire d’or pâle à reflets d’argent, gazes scintillantes, formant des rayons, etc. Style néo-grec ou anglo-grec[3 - néo-grec (anglo-grec) – стиль неогрек в одежде, вошедший в моду в Европе в конце XIX – начале XX в. Платья в стиле неогрек напоминали древнегреческие туники.] genre Walter Crane[4 - Walter Crane – Уолтер Крейн (1845–1915), английский художник, книжный иллюстратор и дизайнер] ou même plus ou moins Empire[5 - Empire – ампир, стиль позднего (высокого) классицизма в архитектуре и прикладном искусстве. Возник во Франции в период правления императора Наполеона I; развивался в течение трех первых десятилетий XIX в.]. – Taille haute, bras nus, etc. – Coiffure: sorte de diadème ou même de couronne légère.

LA FÉE BÉRYLUNE, LA VOISINE BERLINGOT: Costume classique des pauvresses de contes de fées. On pourrait supprimer au premier acte la transformation de la Fée en princesse.

LE PÈRE TYL, LA MÈRE TYL, GRAND-PAPA TYL, GRAND’MAMAN TYL: Costumes légendaires des bûcherons et des paysans allemands dans les contes de Grimm.

LES FRÈRES ET SŒURS DE TYLTYL: Variantes du costume du Petit Poucet.

LE TEMPS: Costume classique du Temps: vaste manteau noir ou gros bleu[6 - gros bleu – темно-синий], barbe blanche et flottante, faux, sablier.

L’AMOUR MATERNEL: Costume à peu près semblable à celui de la Lumière, c’est-à-dire voiles souples et presque transparents de statue grecque, blancs autant que possible. Perles et pierreries aussi riches et aussi nombreuses qu’on voudra, pourvu qu’elles ne rompent pas[7 - pourvu qu’elles ne rompent pas – лишь бы они не нарушали] l’harmonie pure et candide de l’ensemble.

LES GRANDES JOIES: Comme il est dit dans le texte, robes lumineuses aux subtiles et suaves nuances: réveil de rose, sourire d’eau, rosée d’ambre, azur d’aurore, etc.

LES BONHEURS DE LA MAISON: Robes de diverses couleurs, ou si l’on veut, costumes de paysans, de bergers, de bûcherons, etc., mais idéalisés et féeriquement nterprétés.

LES GROS BONHEURS: Avant la transformation: amples et lourds manteaux de brocarts rouges et jaunes, bioux énormes et épais, etc. Après la transformation: maillots café ou chocolat, donnant l’impression de pan-tins en baudruche.

LA NUIT: Amples vêtements noirs mystérieusement constellés, à reflets mordorés. Voiles, pavots sombres, etc.

LA PETITE FILLE DE LA VOISINE: Chevelure blonde et lumineuse, longue robe blanche.

LE CHIEN: Habit rouge, culotte blanche, bottes vernies, chapeau ciré; costume rappelant plus ou moins celui de John Bull[8 - John Bull – Джон Буль, собирательный образ типичного англичанина. Изображался краснолицым низкорослым толстяком с хитрой физиономией, с бакенбардами, в красном сюртуке, белых брюках или лосинах (обязательный костюм цветов британского флага) и коротком цилиндре.].

LA CHATTE: Maillot de soie noire à paillettes

Il convient que les têtes de ces deux personnages soient discrètement animalisées.

LE PAIN: Somptueux costume de pacha. Ample robe de soie ou de velours cramoisi, broché d’or. Vaste turban. Cimeterre. Ventre énorme, face rouge et extrêmement joufflue.

LE SUCRE: Robe de soie, dans le genre de celles des eunuques, mi-partie de blanc et de bleu pour rappeler le papier d’emballage des pains de sucre; coiffure des gardiens du sérail.

LE FEU: Maillot rouge, manteau vermillon à reflets chatoyants, doublé d’or[9 - doublé d’or – на золотой подкладке]. Aigrette de flammes versicolores.

L’EAU: Robe couleur du temps du conte de Peau d’Âne[10 - Peau d’Âne – «Ослиная шкура», сказка Шарля Перро], c’est-à-dire bleuâtre ou glauque, à reflets transparents, effets de gaze ruisselante, également style néo- ou anglogrec, mais plus ample, plus flottant. Coiffure de fleurs et d’algues ou de roseaux.

LES ANIMAUX: Costumes populaires ou paysans.

LES ARBRES: Robes, nuances variées du vert ou de la teinte tronc d’arbres. Attributs, feuilles ou branches qui les fassent reconnaître.




ACTE PREMIER





Premier tableau



La cabane du bûcheron



Le théâtre représente l’intérieur d’une cabane de bûcheron, simple, rustique, mais non point misérable. – Cheminée à manteau[11 - Cheminée à manteau – камин с каминной полкой] où s’assoupit un feu de bûches. – Ustensiles de cuisine, armoire, huche, horloge à poids[12 - horloge à poids – часы с гирями], rouet, fontaine, etc. – Sur une table, une lampe allumée. – Au pied de l’armoire, de chaque côté de celle-ci, endormis, pelotonnés, le nez sous la queue, un Chien et une Chatte. – Entre eux deux, un grand pain de sucre blanc et bleu. – Accrochée au mur, une cage ronde renfermant une tourterelle. – Au fond, deux fenêtres dont les volets intérieurs sont fermés. – Sous l’une des fenêtres, un escabeau. – À gauche, la porte d’entrée de la maison, munie d’un gros loquet. – À droite, une autre porte. – Échelle menant à un grenier. – Également à droite, deux petits lits d’enfant, au chevet desquels, sur deux chaises, des vêtements se trouvent soigneusement pliés.

[Au lever du rideau, Tyltyl et Mytyl sont profondément endormis dans leurs petits lits. La Mère Tyl les borde une dernière fois, se penche sur eux, contemple un moment leur sommeil, et appelle de la main le père Tyl qui passe la tête dans l’en-trebâillement de la porte[13 - dans l’entrebâillement de la porte – в полуоткрытую дверь]. La Mère Tyl met un doigt sur les lèvres pour lui commander le silence, puis sort à droite sur la pointe des pieds[14 - sur la pointe des pieds – на цыпочках], après avoir éteint la lampe. La scène reste obscure un instant, puis une lumière dont l’intensité augmente peu à peu filtre par les lames des volets. La lampe sur la table se rallume d’elle-même. Les deux enfants semblent s’éveiller et se mettent sur leur séant.]


TYLTYL. Mytyl?

MYTYL. Tyltyl?

TYLTYL. Tu dors?

MYTYL. Et toi?…

TYLTYL. Mais non, je dors pas puisque je te pare…

MYTYL. C’est Noël, dis?…

TYLTYL. Pas encore; c’est demain. Mais le petit Noël n’apportera rien cette année…

MYTYL. Pourquoi?…

TYLTYL. J’ai entendu maman qui disait qu’elle n’avait pu aller à la ville pour le prévenir… Mais il viendra l’année prochaine…

MYTYL. C’est long, l’année prochaine?…

TYLTYL. Ce n’est pas trop court… Mais il vient cette nuit chez les enfants riches…

MYTYL. Ah?…

TYLTYL. Tiens!… Maman a oublié la lampe!… J’ai une idée!…

MYTYL. ?…

TYLTYL. Nous allons nous lever…

MYTYL. C’est défendu…

TYLTYL. Puisqu’il n’y a personne… Tu vois les volets?…

MYTYL. Oh! qu’ils sont clairs!…

TYLTYL. C’est les lumières de la fête.

MYTYL. Quelle fête?

TYLTYL. En face, chez les petits riches. C’est l’arbre de Noël. Nous allons les ouvrir…

MYTYL. Est-ce qu’on peut?

TYLTYL. Bien sûr, puisqu’on est seuls… Tu entends la musique?… Levons-nous…



[Les deux enfants se lèvent, courent à l’une des fenêtres, montent sur l’escabeau et poussent les volets. Une vive clarté pénètre dans la pièce. Les enfants regardent avidement au dehors.]


TYLTYL. On voit tout!…

MYTYL [qui ne trouve qu’une place précaire sur l’escabeau.] Je vois pas…

TYLTYL. Il neige!… Voilà deux voitures à six chevaux!…

MYTYL. Il en sort douze petits garçons!…

TYLTYL. T’es bête!… C’est des petites filles…

MYTYL. Ils ont des pantalons…

TYLTYL. Tu t’y connais… Ne me pousse pas ainsi!…

MYTYL. Je t’ai pas touché.

TYLTYL [qui occupe à lui seul tout l’escabeau]. Tu prends toute la place…

MYTYL. Mais j’ai pas du tout de place!…

TYLTYL. Tais-toi donc, on voit l’arbre!…

MYTYL. Quel arbre?…

TYLTYL. Mais l’arbre de Noël!… Tu regardes le mur!…

MYTYL. Je regarde le mur parce qu’y a pas de place…

TYLTYL [lui cédant une petite place avare sur l’escabeau.]. Là!… En as-tu assez?… C’est-y pas la meilleure?… Il y en a des lumières! Il y en a!…

MYTYL. Qu’est-ce qu’ils font donc ceux qui font tant de bruit?…

TYLTYL. Ils font de la musique.

MYTYL. Est-ce qu’ils sont fâchés?…

TYLTYL. Non, mais c’est fatigant.

MYTYL. Encore une voiture attelée de chevaux blancs!…

TYLTYL. Tais-toi!… Regarde donc!…

MYTYL. Qu’est-ce qui pend là, en or, après les branches?…

TYLTYL. Mais les jouets, pardi!… Des sabres, des fusils, des soldats, des canons…

MYTYL. Et des poupées, dis, est-ce qu’on en a mis?…

TYLTYL. Des poupées?… C’est trop bête; ça ne les amuse pas…

MYTYL. Et autour de la table, qu’est-ce que c’est tout ça?…

TYLTYL. C’est des gâteaux, des fruits, des tartes à la crème…

MYTYL. J’en ai mangé une fois, lorsque j’étais petite…

TYLTYL. Moi aussi; c’est meilleur que le pain, mais on en a trop peu…

MYTYL. Ils n’en ont pas trop peu… Il y en a plein la table… Est-ce qu’ils vont les manger?…

TYLTYL. Bien sûr; qu’en feraient-ils?…[15 - qu’en feraient-ils? – а что еще им делать?]

MYTYL. Pourquoi qu’ils ne les mangent pas tout de suite?…

TYLTYL. Parce qu’ils n’ont pas faim…

MYTYL [stupéfaite]. Ils n’ont pas faim?… Pourquoi?…

TYLTYL. C’est qu’ils mangent quand ils veulent…

MYTYL [incrédule]. Tous les jours?…

TYLTYL. On le dit…

MYTYL. Est-ce qu’ils mangeront tout?… Est-ce qu’ils en donneront?…

TYLTYL. À qui?…

MYTYL. À nous…

TYLTYL. Ils ne nous connaissent pas…

MYTYL. Si on leur demandait?…

TYLTYL. Cela ne se fait pas.

MYTYL. Pourquoi?…

TYLTYL. Parce que c’est défendu.

MYTYL [battant des mains]. Oh! qu’ils sont donc olis!…

TYLTYL [enthousiasmé]. Et ils rient et ils rient!…

MYTYL. Et les petits qui dansent!…

TYLTYL. Oui, oui, dansons aussi!…


[Ils trépignent de joie sur l’escabeau.]

MYTYL. Oh! que c’est amusant!…

TYLTYL. On leur donne les gâteaux!… Ils peuvent y toucher!… Ils mangent! ils mangent! ils mangent!…

MYTYL. Les plus petits aussi!… Ils en ont deux, trois, quatre!…

TYLTYL [ivre de joie]. Oh! c’est bon!… Que c’est bon! que c’est bon!…

MYTYL [comptant des gâteaux imaginaires.] Moi, j’en ai reçu douze!…

TYLTYL. Et moi quatre fois douze!… Mais je t’en donnerai…


[On frappe à la porte de la cabane.]

TYLTYL [subitement calmé et effrayé]. Qu’est-ce que c’est?…

MYTYL [épouvantée]. C’est papa!…



[Comme ils tardent à ouvrir, on voit le gros loquet se soulever de lui-même, en grinçant; la porte s’entrebâille pour livrer passage à une petite vieille habillée de vert et coiffée d’un chaperon rouge. Elle est bossue, boiteuse, borgne; le nez et le menton se rencontrent, et elle marche courbée sur un bâton. Il n’est pas douteux que ce ne soit une fée.]


LA FÉE. Avez-vous ici l’herbe qui chante ou l’oiseau qui est bleu?…

TYLTYL. Nous avons de l’herbe, mais elle ne chante pas…

MYTYL. Tyltyl a un oiseau.

TYLTYL. Mais je ne peux pas le donner…

LA FÉE. Pourquoi?…

TYLTYL. Parce qu’il est à moi.

LA FÉE. C’est une raison, bien sûr. Où est-il, cet oiseau?…

TYLTYL [montrant la cage]. Dans la cage…

LA FÉE [mettant ses besicles pour examiner l’oiseau]. Je n’en veux pas; il n’est pas assez bleu. Il faudra que vous m’alliez chercher celui dont j’ai besoin.

TYLTYL. Mais je ne sais pas où il est…

LA FÉE. Moi non plus. C’est pourquoi il faut le chercher. Je puis à la rigueur me passer de l’herbe qui chante[16 - Je puis… à la rigueur me passer de l’herbe qui chante – Я могу… обойтись без поющей травы]; mais il me faut absolument l’Oiseau Bleu. C’est pour ma petite fille qui est très malade.

TYLTYL. Qu’est-ce qu’elle a?…

LA FÉE. On ne sait pas au juste; elle voudrait être heureuse…

TYLTYL. Ah?…

LA FÉE. Savez-vous qui je suis?…

TYLTYL. Vous ressemblez un peu à notre voisine, Madame Berlingot…

LA FÉE [sefâchant subitement]. En aucune façon… Il n’y a aucun rapport… C’est abominable!… Je suis la Fée Bérylune…

TYLTYL. Ah! très bien…

LA FÉE. Il faudra partir tout de suite.

TYLTYL. Vous viendrez avec nous?…

LA FÉE. C’est absolument impossible à cause du pot-au-feu que j’ai mis ce matin et qui s’empresse de déborder chaque fois que je m’absente plus d’une heure… [Montrant successivement le plafond, la cheminée et la fenêtre.] Voulez-vous sortir par ici, par là ou par là?…

TYLTYL [montrant timidement la porte]. J’aimerais mieux sortir par là…

LA FÉE [se fâchant encore subitement]. C’est absolument impossible, et c’est une habitude révoltante!… [Indiquant lafenêtre.] Nous sortirons par là… Eh bien!… Qu’attendez-vous?… Habillez-vous tout de suite… [Les enfants obéissent et s’habillent rapidement.] Je vais aider Mytyl…

TYLTYL. Nous n’avons pas de souliers…

LA FÉE. Ça n’a pas d’importance. Je vais vous donner un petit chapeau merveilleux. Où sont donc vos parents?…

TYLTYL [montrant la porte à droite]. Ils sont là; ils dorment…

LA FÉE. Et votre bon-papa et votre bonne-maman?…

TYLTYL. Ils sont morts…

LA FÉE. Et vos petits frères et vos petites sœurs… Vous en avez?…

TYLTYL. Oui, oui; trois petits frères…

MYTYL. Et quatre petites sœurs…

LA FÉE. Où sont-ils?…

TYLTYL. Ils sont morts aussi…

LA FÉE. Voulez-vous les revoir?…

TYLTYL. Oh oui!… Tout de suite!… Montrezes!…

LA FÉE. Je ne les ai pas dans ma poche… Mais ça tombe à merveille[17 - ça tombe à merveille – все складывается как нельзя более удачно]; vous les reverrez en passant par le pays du Souvenir. C’est sur la route de l’Oiseau Bleu. Tout de suite à gauche, après le troisième carrefour… Que faisiez-vous quand j’ai frappé?…

TYLTYL. Nous jouions à manger des gâteaux.

LA FÉE. Vous avez des gâteaux?… Où sont-ils?

TYLTYL. Dans le palais des enfants riches… Venez voir, c’est si beau!… [Il entraîne la Fée vers la fenêtre.]

LA FÉE [à la fenêtre]. Mais ce sont les autres qui les mangent!…

TYLTYL. Oui; mais puisqu’on voit tout…

LA FÉE. Tu ne leur en veux pas?…[18 - Tu ne leur en veux pas? – Ты на них не сердишься?]

TYLTYL. Pourquoi?…

LA FÉE. Parce qu’ils mangent tout. Je trouve qu’ils ont grand tort de ne pas t’en donner…

TYLTYL. Mais non, puisqu’ils sont riches… Hein? que c’est beau chez eux!…

LA FÉE. Ce n’est pas plus beau que chez toi.

TYLTYL. Heu!… Chez nous c’est plus noir, plus petit, sans gâteaux…

LA FÉE. C’est absolument la même chose; c’est que tu n’y vois pas…[19 - c’est que tu n’y vois pas – ты просто не видишь]

TYLTYL. Mais si, j’y vois très bien, et j’ai de très bons yeux. Je lis l’heure au cadran de l’église que papa ne voit pas…

LA FÉE [se fâchant subitement]. Je te dis que tu n’y vois pas!… Comment donc me vois-tu?… Comment donc suis-je faite?… Eh bien, [Silence gêné de Tyltyl.] répondras-tu? que je sache si tu vois?… Suis-je bele ou bien laide?… [Silence de plus en plus embarrassé.] Tu ne veux pas répondre?… Suis-je jeune ou bien vieille?… Suis-je rose ou bien jaune?… j’ai peut-être une bosse?…

TYLTYL [conciliant]. Non, non, elle n’est pas grande…

LA FÉE. Mais si, à voir ton air, on la croirait énorme… Ai-je le nez crochu et l’œil gauche crevé?…

TYLTYL. Non, non, je ne dis pas… Qui est-ce qui l’a crevé?…

LA FÉE [de plus en plus irritée]. Mais il n’est pas crevé!… Insolent! misérable!… Il est plus beau que ’autre; il est plus grand, plus clair, il est bleu comme e ciel… Et mes cheveux, vois-tu?… Ils sont blonds comme les blés… on dirait de l’or vierge!…[20 - on dirait de l’or vierge ! – можно подумать, они из чистого золота!] Et j’en ai tant et tant que la tête me pèse… Ils s’échappent de partout… Les vois-tu sur mes mains?… [Elle étale deux maigres mèches de cheveux gris.]

TYLTYL. Oui, j’en vois quelques-uns…

LA FÉE [indignée]. Quelques-uns!… Des gerbes! des brassées! des touffes! des flots d’or!… Je sais bien que des gens disent qu’ils n’en voient point; mais tu n’es pas de ces méchantes gens aveugles, je suppose?…

TYLTYL. Non, non, je vois très bien ceux qui ne se cachent point…

LA FÉE. Mais il faut voir les autres avec la même audace!… C’est bien curieux, les hommes… Depuis la mort des fées, ils n’y voient plus du tout et ne s’en doutent point… Heureusement que j’ai toujours sur moi tout ce qu’il faut pour rallumer les yeux éteints… Qu’est-ce que je tire de mon sac?…

TYLTYL. Oh! le joli petit chapeau vert!… Qu’estce qui brille ainsi sur la cocarde?…

LA FÉE. C’est le gros Diamant qui fait voir…

TYLTYL. Ah!…

LA FÉE. Oui; quand on a le chapeau sur la tête, on tourne un peu le Diamant: de droite à gauche, par exemple, tiens, comme ceci, vois-tu?… Il appuie alors sur une bosse de la tête que personne ne connaît, et qui ouvre les yeux…

TYLTYL. Ça ne fait pas de mal?…

LA FÉE. Au contraire, il est fée… On voit à l’instant même ce qu’il y a dans les choses; l’âme du pain, du vin, du poivre, par exemple…

MYTYL. Est-ce qu’on voit aussi l’âme du sucre?… LA FÉE [subitement fâchée]. Cela va sans dire!… Je n’aime pas les questions inutiles… L’âme du sucre n’est pas plus intéressante que celle du poivre… Voilà, e vous donne ce que j’ai pour vous aider dans la recherche de l’Oiseau Bleu… Je sais bien que l’Anneauqui-rend-invisible ou le Tapis-Volant vous seraient plus utiles… Mais j’ai perdu la clef de l’armoire où je les ai serrés… Ah! j’allais oublier… [Montrant le Diamant.] Quand on le tient ainsi, tu vois… un petit tour de plus, on revoit le Passé… Encore un petit tour, et l’on voit l’Avenir… C’est curieux et pratique et ça ne fait pas de bruit…

TYLTYL. Papa me le prendra…

LA FÉE. Il ne le verra pas; personne ne peut le voir tant qu’il est sur ta tête…[21 - tant qu’il est sur ta tête – пока он у тебя на голове] Veux-tu l’essayer?… [Elle coiffe Tyltyl du petit chapeau vert.] À présent, tourne le Diamant… Un tour et puis après…



[À peine Tyltyl a-t-il tourné le Diamant, qu’un changement soudain et prodigieux s’opère en toutes choses. La vieille fée est tout à coup une belle princesse merveilleuse; les cailloux dont sont bâtis les murs de la cabane s’illuminent, bleuissent comme des saphirs, deviennent transparents, scintillent, éblouissent à l’égal des pierres les plus précieuses. Le pauvre mobilier s’anime et resplendit; la table de bois blanc s’affirme aussi grave, aussi noble qu’une table de marbre, le cadran de l’horloge cligne de l’œil et sourit avec aménité, tandis que la porte derrière quoi va et vient le balancier s’entr’ouvre et laisse s’échapper les Heures, qui, se tenant les mains et riant aux éclats, se mettent à danser aux sons d’une musique délicieuse. Effarement légitime de Tyltyl qui s’écrie en montrant les Heures.]


TYLTYL. Qu’est-ce que c’est que toutes ces belles dames?…

LA FÉE. N’aie pas peur; ce sont les heures de ta vie qui sont heureuses d’être libres et visibles un instant…

TYLTYL. Et pourquoi que les murs sont si clairs?… Est-ce qu’ils sont en sucre ou en pierres précieuses?…

LA FÉE. Toutes les pierres sont pareilles, toutes es pierres sont précieuses: mais l’homme n’en voit que quelques-unes…



[Pendant qu’ils parlent ainsi, la féerie continue et se complète. Les âmes des Pains-de-quatre-livres[22 - Pains-de-quatre-livres – четырехфунтовый хлеб фунт – мера веса, равная приблизительно 450 г)], sous la forme de bonshommes en maillots couleur croûte-de-pain, ahuris et poudrés de farine, se dépêtrent de la huche et gambadent autour de la table où ils sont rejoints par le Feu, qui, sorti de l’âtre en maillot soufre et vermillon, les pour-suit en se tordant de rire.]


TYLTYL. Qu’est-ce que c’est que ces vilains bonshommes?…

LA FÉE. Rien de grave; ce sont les âmes des Pains-de-quatre-livres qui profitent du règne de la vérité pour sortir de la huche où elles se trouvaient à l’étroit…[23 - où elles se trouvaient à l’étroit – где они были заперты]

TYLTYL. Et le grand diable rouge qui sent mauvais?…

LA FÉE. Chut!… Ne parle pas trop haut, c’est le Feu… Il a mauvais caractère.



[Ce dialogue n’a pas interrompu la féerie. Le Chien et la Chatte, couchés en rond au pied de l’armoire, poussant simultanément un grand cri, disparaissent dans une trappe, et à leur place surgissent deux personnages, dont l’un porte un masque de bouledogue, et l’autre une tête de chatte. Aussitôt, le petit homme au masque de bouledogue – que nous appellerons dorénavant le Chien – se précipite sur Tyltyl qu’il embrasse violemment et accable de bruyantes et impétueuses caresses, cependant que la petite femme au masque de chatte – que nous appellerons plus simplement la Chatte – se donne un coup de peigne, se lave les mains et se lisse la moustache, avant de s’approcher de Mytyl.]


LE CHIEN [hurlant, sautant, bousculant tout, insupportable]. Mon petit dieu!… Bonjour! bonjour, mon petit dieu!… Enfin, enfin, on peut parler! J’avais tant de choses à te dire!… J’avais beau aboyer[24 - J’avais beau aboyer – Я напрасно лаял] et remuer a queue!… Tu ne comprenais pas!… Mais maintenant!… Bonjour! bonjour!… Je t’aime!… Je t’aime!… Veux-tu que je fasse quelque chose d’étonnant?… Veux-tu que je fasse le beau?…[25 - Veux-tu que je fasse le beau? – Хочешь, я встану на задние лапы?] Veux-tu que je marche sur les mains ou que je danse à la corde?…

TYLTYL [à la Fée]. Qu’est-ce que c’est que ce monsieur à tête de chien?…

LA FÉE. Mais tu ne vois donc pas?… C’est l’âme de Tylô que tu as délivrée…

LA CHATTE [s’approchant de Mytyl et lui tendant la main, cérémonieusement, avec circonspection]. Bonjour, Mademoiselle… Que vous êtes jolie ce matin!…

MYTYL. Bonjour, Madame… [À la Fée.] Qui estce?…

LA FÉE. C’est facile à voir; c’est l’âme de Tylette qui te tend la main… Embrasse-la…

LE CHIEN [bousculant la Chatte]. Moi aussi!… J’embrasse le petit dieu!… J’embrasse la petite fille!… J’embrasse tout le monde!… Chic!… On va s’amuser!… Je vais faire peur à Tylette!… Hou! hou! hou!…

LA CHATTE. Monsieur, je ne vous connais pas…

LA FÉE [menaçant le Chien de sa baguette]. Toi, tu vas te tenir bien tranquille; sinon tu rentreras dans le silence, jusqu’à la fin des temps…



[Cependant, la féerie a poursuivi son cours: le Rouet s’est mis à tourner vertigineusement dans son coin en filant de splendides rayons de lumière; la Fontaine, dans l’autre angle, se prend à chanter d’une voix sur-aiguë et, se transformant en fontaine lumineuse, inonde l’évier de nappes de perles et d’émeraudes, à travers lesquelles s’élance l’âme de l’Eau, pareille à une jeune fille ruisselante, échevelée, pleurarde, qui va incontinent se battre avec le Feu.]


TYLTYL. Et la dame mouillée?…

LA FÉE. N’aie pas peur, c’est l’Eau qui sort du robinet…



[Le Pot-au-lait se renverse, tombe de la table, se brise sur le sol; et du lait répandu s’élève une grande forme blanche et pudibonde qui semble avoir peur de tout.]


TYLTYL. Et la dame en chemise qui a peur?…

LA FÉE. C’est le Lait qui a cassé son pot…



[Le Pain-de-sucre[26 - Pain-de-sucre – сахарная голова] posé au pied de l’armoire grandit, s’élargit et crève son enveloppe de papier d’où émerge un être doucereux et papelard, vêtu d’une souquenille mi-partie de blanc et de bleu, qui, souriant béatement, s’avance vers Mytyl.]


MYTYL [avec inquiétude]. Que veut-il?…

LA FÉE. Mais c’est l’âme du Sucre!…

MYTYL [rassurée]. Est-ce qu’il a des sucres d’orge?…

LA FÉE. Mais il n’a que ça dans ses poches, et chacun de ses doigts en est un…



[La Lampe tombe de la table, et aussitôt tombée, sa flamme se redresse et se transforme en une lumineuse vierge d’une incomparable beauté. Elle est vêtue de longs voiles transparents et éblouissants, et se tient immobile en une sorte d’extase.]


TYLTYL. C’est la Reine!

MYTYL. C’est la Sainte Vierge!…

LA FÉE. Non, mes enfants, c’est la Lumière…



[Cependant, les casseroles, sur les rayons, tournent comme des toupies hollandaises, l’armoire à linge claque ses battants et commence un magnifique déroulement d’étoffes couleur de lune et de soleil, auquel se mêlent, non moins splendides, des chiffons et des guenilles qui descendent l’échelle du grenier. Mais voici que trois coups assez rudes sont frappés à la porte de droite.]


TYLTYL [effrayé]. C’est papa!… Il nous a entendus!…

LA FÉE. Tourne le Diamant!… De gauche à droite!… [Tyltyl tourne vivement le diamant.] Pas si vite!… Mon Dieu! Il est trop tard!… Tu l’as tourné trop brusquement. Ils n’auront pas le temps de reprendre leur place, et nous aurons bien des ennuis… [La Fée redevient vieille femme, les murs de la cabane éteignent leurs splendeurs, les Heures rentrent dans l’horloge, le Rouet s’arrête, etc. Mais dans la hâte et le désarroi général, tandis que le Feu court follement autour de la pièce, à la recherche de la cheminée, un des Pains-de-quatre-livres, qui n’a pu retrouver place dans la huche, éclate en sanglots tout en poussant des rugissements d’épouvante.] Qu’y a-t-il?…

LE PAIN [tout en larmes]. Il n’y a plus de place dans la huche!…

LA FÉE [se penchant sur la huche]. Mais si, mais si… [Poussant les autres pains qui ont repris leur place primitive.] Voyons, vite, rangez-vous…


[On heurte encore la porte.]

LE PAIN [éperdu, s’efforçant vainement d’entrer dans a huche]. Il n’y a pas moyen!… Il me mangera le premier!…

LE CHIEN [gambadant autour de Tyltyl]. Mon petit dieu!… Je suis encore ici!… Je puis encore parler! Je puis encore t’embrasser!… Encore! encore! encore!…

LA FÉE. Comment, toi aussi?… Tu es encore à?…

LE CHIEN. J’ai de la veine… Je n’ai pas pu rentrer dans le silence; la trappe s’est refermée trop vite.

LA CHATTE. La mienne aussi… Que va-t-il arriver?… Est-ce que c’est dangereux?

LA FÉE. Mon Dieu, je dois vous dire la vérité: tous ceux qui accompagneront les deux enfants, mourront à la fin du voyage…

LA CHATTE. Et ceux qui ne les accompagneront pas?…

LA FÉE. Ils survivront quelques minutes…

LA CHATTE [au Chien]. Viens, rentrons dans la trappe…

LE CHIEN. Non, non!… Je ne veux pas!… Je veux accompagner le petit dieu!… Je veux lui parler tout le temps!…

LA CHATTE. Imbécile!…


[On heurte encore à la porte.]

LE PAIN [pleurant à chaudes larmes]. Je ne veux pas mourir à la fin du voyage!… Je veux rentrer tout de suite dans ma huche!…

LE FEU [qui n’a cessé de parcourir vertigineusement la pièce en poussant des sifflements d’angoisse]. Je ne trouve plus ma cheminée!…

L’EAU [qui tente vainement de rentrer dans le robinet]. Je ne peux plus rentrer dans le robinet!…

LE SUCRE [qui s’agite autour de son enveloppe de papier]. J’ai crevé mon papier d’emballage!…

LE LAIT [lymphatique et pudibond]. On a cassé mon petit pot!…

LA FÉE. Sont-ils bêtes, mon Dieu!… Sont-ils bêtes et poltrons!… Vous aimeriez donc mieux continuer de vivre dans vos vilaines boîtes, dans vos trap-pes et dans vos robinets que d’accompagner les enfants qui vont chercher l’Oiseau?…

TOUS [à l’exception du Chien et de la Lumière]. Oui! oui! Tout de suite!… Mon robinet!… Ma huche!… Ma cheminée!… Ma trappe!…

LA FÉE [à la Lumière qui regarde rêveusement les débris de sa lampe]. Et toi, la Lumière, qu’en dis-tu?…

LA LUMIÈRE. J’accompagnerai les enfants…

LE CHIEN [hurlant de joie]. Moi aussi! moi aussi!…

LA FÉE. Voilà qui est des mieux. Du reste, il est trop tard pour reculer; vous n’avez plus le choix, vous sortirez tous avec nous… Mais toi, le Feu, ne t’approche de personne, toi, le Chien, ne taquine pas la Chatte, et toi, l’Eau, tiens-toi droite et tâche de ne pas couler partout…



[Des coups violents sont encore frappés à la porte de droite.]


TYLTYL [écoutant]. C’est encore papa!… Cette fois, il se lève, je l’entends marcher…

LA FÉE. Sortons par la fenêtre… Vous viendrez tous chez moi, où j’habillerai convenablement les animaux et les phénomènes… [Au Pain.] Toi, le Pain, prends la cage dans laquelle on mettra l’Oiseau Bleu… Tu en auras a garde… Vite, vite, ne perdons pas de temps…



[La fenêtre s’allonge brusquement, comme une porte. Ils sortent tous, après quoi la fenêtre reprend sa forme primitive et se referme innocemment. La chambre est redevenue obscure, et les deux petits lits sont plongés dans l’ombre. La porte à droite s’entr’ouvre, et dans l’entrebâillement paraissent les têtes du père et de la mère Tyl.] LE PÈRE TYL. Ce n’était rien… C’est le grillon qui chante…


LA MÈRE TYL. Tu les vois?…

LE PÈRE TYL. Bien sûr… Ils dorment tranquillement…

LA MÈRE TYL. Je les entends respirer…


[La porte se referme.]


RIDEAU




ACTE DEUXIÈME





Deuxième tableau



Chez la fée



Un magnifique vestibule dans le palais de la Fée Bérylune. Colonnes de marbre clair à chapiteaux d’or et d’argent, escaliers, portiques, balustrades, etc.

[Entrent au fond, à droite, somptueusement habillés, la Chatte, le Sucre et le Feu. Ils sortent d’un appartement d’où émanent des rayons de lumière; c’est la garde-robe de la Fée. La Chatte a jeté une gaze légère sur son maillot de soie noire, le Sucre a revêtu une robe de soie, mi-partie de blanc et de bleu tendre, et le Feu, coiffé d’aigrettes multicolores, un long manteau cramoisi doublé d’or. Ils traversent toute la salle et descendent au premier plan, à droite, où la Chatte les réunit sous un portique.]


LA CHATTE. Par ici. Je connais tous les détours de ce palais… La Fée Bérylune l’a hérité de Barbe-Bleue[27 - Barbe-Bleue – Синяя Борода, персонаж одноименной сказки Шарля Перро]… Pendant que les enfants et la Lumière rendent visite à la petite fille de la Fée, profitons de notre dernière minute de liberté… Je vous ai fait venir ici, afin de vous entretenir de la situation qui nous est faite… Sommes-nous tous présents?…

LE SUCRE. Voici le Chien qui sort de la garderobe de la Fée…

LE FEU. Comment diable s’est-il habillé?…

LA CHATTE. Il a pris la livrée d’un des laquais du carrosse de Cendrillon[28 - Cendrillon – Золушка]… C’est bien ce qu’il lui fallait… Il a une âme de valet… Mais dissimulonsnous derrière la balustrade… Je m’en méfie étrangement… Il vaudrait mieux qu’il n’entende pas ce que j’ai à vous dire…

LE SUCRE. C’est inutile… Il nous a éventés… Tiens, voilà l’Eau qui sort en même temps de la garderobe… Dieu! qu’elle est belle!…



[Le Chien et l’Eau rejoignent le premier groupe.]


LE CHIEN [gambadant]. Voilà! voilà!… Sommesnous beaux! Regardez donc ces dentelles, et puis ces broderies!… C’est de l’or et du vrai!…

LA CHATTE [à l’Eau]. C’est la robe «couleur-dutemps» de Peau-d’Âne?… Il me semble que je la connais…

L’EAU. Oui, c’est encore ce qui m’allait le mieux…

LE FEU [entre les dents]. Elle n’a pas son parapluie…

L’EAU. Vous dites?…

LE FEU. Rien, rien…

L’EAU. Je croyais que vous parliez d’un gros nez rouge que j’ai vu l’autre jour…

LA CHATTE. Voyons, ne nous querellons pas, nous avons mieux à faire… Nous n’attendons plus que le Pain: où est-il?…

LE CHIEN. Il n’en finissait pas de faire de l’embarras pour choisir son costume…

LE FEU. C’est bien la peine, quand on a l’air idiot et qu’on porte un gros ventre…

LE CHIEN. Finalement, il s’est décidé pour une robe turque, ornée de pierreries, un cimeterre et un turban…

LA CHATTE. Le voilà!… Il a mis la plus belle robe de Barbe-Bleue…



[Entre le Pain, dans le costume qu’on vient de décrire. La robe de soie est péniblement croisée sur son énorme ventre. Il tient d’une main la garde du cimeterre passé dans sa ceinture et de l’autre la cage destinée à l’Oiseau Bleu.]


LE PAIN [se dandidant vaniteusement]. Eh bien?… Comment me trouvez-vous?…

LE CHIEN [gambadant autour du Pain]. Qu’il est beau! qu’il est bête! qu’il est beau! qu’il est beau!…

LA CHATTE [au Pain]. Les enfants sont-ils habillés?…

LE PAIN. Oui, Monsieur Tyltyl a pris la veste rouge, les bas blancs et la culotte bleue du Petit Poucet; quant à Mademoiselle Mytyl, elle a la robe de Grethel et les pantoufles de Cendrillon… Mais la grande affaire, ç’a été d’habiller la Lumière!…

LA CHATTE. Pourquoi?…

LE PAIN. La Fée la trouvait si belle qu’elle ne voulait pas l’habiller du tout!… Alors j’ai protesté au nom de notre dignité d’éléments essentiels et éminem-ment respectables; et j’ai fini par déclarer que, dans ces conditions, je refusais de sortir avec elle…

LE FEU. Il fallait lui acheter un abat-jour!…

LA CHATTE. Et la Fée, qu’a-t-elle répondu?…

LE PAIN. Elle m’a donné quelques coups de bâton sur la tête et le ventre…

LA CHATTE. Et alors?…

LE PAIN. Je fus promptement convaincu, mais au dernier moment, la Lumière s’est décidée pour la robe «couleur-de-lune» qui se trouvait au fond du coffre aux trésors de Peau-d’Âne…

LA CHATTE. Voyons, c’est assez bavardé, le temps presse… Il s’agit de notre avenir… Vous l’avez entendu, la Fée vient de le dire, la fin de ce voyage marquera en même temps la fin de notre vie… Il s’agit donc de le prolonger autant que possible et par tous es moyens possibles… Mais il y a encore autre chose; il faut que nous pensions au sort de notre race et à la destinée de nos enfants…

LE PAIN. Bravo! bravo!… La Chatte a raison!…

LA CHATTE. Écoutez-moi… Nous tous ici présents, animaux, choses et éléments, nous possédons une âme que l’homme ne connaît pas encore. C’est pourquoi nous gardons un reste d’indépendance; mais, s’il trouve l’Oiseau Bleu, il saura tout, il verra tout, et nous serons complètement à sa merci… C’est ce que vient de m’apprendre ma vieille amie la Nuit, qui est en même temps la gardienne des mystères de la Vie… Il est donc de notre intérêt d’empêcher à tout prix qu’on ne trouve cet oiseau, fallût-il aller jusqu’à mettre en péril la vie même des enfants[29 - fallût-il aller jusqu’à mettre en péril la vie même des enfants – даже если придется подвергнуть опасности жизнь детей]…

LE CHIEN [indigné]. Que dit-elle, celle-là?… Répète un peu que j’entende bien ce que c’est?

LE PAIN. Silence!… Vous n’avez pas la parole!… Je préside l’assemblée…

LE FEU. Qui vous a nommé président?…

L’EAU [au Feu]. Silence!… De quoi vous mêlezvous?…

LE FEU. Je me mêle de ce qu’il faut… Je n’ai pas d’observations à recevoir de vous…

LE SUCRE [conciliant]. Permettez… Ne nous querellons point…[30 - Ne nous querellons point… – Не будем ссориться] L’heure est grave… Il s’agit avant tout de s’entendre sur les mesures à prendre…

LE PAIN. Je partage entièrement l’avis du Sucre et de la Chatte…

LE CHIEN. C’est idiot!… Il y a l’Homme, voilà tout!… Il faut lui obéir et faire tout ce qu’il veut!… Il n’y a que ça de vrai… Je ne connais que lui!… Vive l’Homme!… À la vie, à la mort, tout pour l’Homme!… l’Homme est dieu!…

LE PAIN. Je partage entièrement l’avis du Chien.

LA CHATTE [au Chien]. Mais on donne ses raisons…

LE CHIEN. Il n’y a pas de raisons!… J’aime ’Homme, ça suffit!… Si vous faites quelque chose contre lui, je vous étranglerai d’abord et j’irai tout lui révéler…

LE SUCRE [intervenant avec douceur]. Permettez… N’aigrissons pas la discussion… D’un certain point de vue, vous avez raison, l’un et l’autre… Il y a le pour et le contre…[31 - Il y a le pour et le contre… – Есть (аргументы) за и против…]

LE PAIN. Je partage entièrement l’avis du Sucre!…

LA CHATTE. Est-ce que tous ici, l’Eau, le Feu, et vous-mêmes le Pain et le Chien, nous ne sommes pas victimes d’une tyrannie sans nom?… Rappelezvous le temps où, avant la venue du despote, nous errions librement sur la face de la Terre… l’Eau et le Feu étaient les seuls maîtres du monde; et voyez ce qu’ils sont devenus!… Quant à nous, les chétifs descendants des grands fauves… Attention!… N’ayons l’air de rien… Je vois s’avancer la Fée et la Lumière… La Lumière s’est mise du parti de l’Homme; c’est notre pire ennemie… Les voici…



[Entrent à droite, la Fée et la Lumière, suivies de Tyltyl et de Mytyl.]


LA FÉE. Eh bien?… qu’est-ce que c’est?… Que faites-vous dans ce coin?… Vous avez l’air de conspirer…[32 - Vous avez l’air de conspirer – У вас вид заговорщиков] Il est temps de se mettre en route… Je viens de décider que la Lumière sera votre chef… Vous lui obéirez tous comme à moi-même et je lui confie ma baguète… Les enfants visiteront ce soir leurs grandparents qui sont morts… Vous ne les accompagnerez pas, par discrétion[33 - par discrétion – из скромности]… Ils passeront la soirée au sein de leur famille décédée… Pendant ce temps, vous préparerez tout ce qu’il faut pour l’étape de demain, qui sera longue… Allons, debout, en route et chacun à son poste!…

LA CHATTE [hypocritement]. C’est tout juste ce que je leur disais, Madame la Fée… Je les exhortais à remplir consciencieusement et courageusement tout leur devoir; malheureusement, le Chien qui ne cessait de m’interrompre…

LE CHIEN. Que dit-elle?… Attends un peu!…



[Il va bondir sur la chatte, mais Tyltyl, qui a prévenu son mouvement, l’arrête d’un geste menaçant.]


TYLTYL. À bas, Tylô!… Prends garde; et s’il t’arrive encore une seul fois de…

LE CHIEN. Mon petit dieu, tu ne sais pas, c’est elle qui…

TYLTYL [le menaçant.] Tais-toi!…

LA FÉE. Voyons, finissons-en… Que le Pain, ce soir, remette la cage à Tyltyl… Il est possible que l’Oiseau Bleu se cache dans le Passé, chez les grands-parents… En tout cas, c’est une chance qu’il convient de ne point négliger… Eh bien, le Pain, cette cage?…

LE PAIN [solennel]. Un instant, s’il vous plaît, Madame la Fée… [Comme un orateur qui prend la parole.] Vous tous, soyez temoins que cette cage d’argent qui me fut confiée par…

LA FÉE [l’interrompant]. Assez!… Pas de phrases… Nous sortirons par là, tandis que les enfants sortiront par ici…

TYLTYL [avec inquiet]. Nous sortirons tout seuls?…

MYTYL. J’ai faim!…

TYLTYL. Moi aussi!…

LA FÉE [au Pain]. Ouvre ta robe turque et donne leur une tranche de ton bon ventre.



[Le Pain ouvre sa robe, tire son cimeterre et coupe, à même son gros ventre[34 - coupe, à même son gros ventre – и отрезает прямо от своего большого живота], deux tartines qu’il offre aux enfants.]


LE SUCRE [s’approchant des enfants]. Permettezmoi de vous offrir en même temps quelques sucres d’orge… [Il casse un à un les cinq doigts de sa main gauche et les leur présente.]

MYTYL. Qu’est-ce qu’il fait?… Il casse tous ses doigts…

LE SUCRE [engageant]. Goûtez-les, ils sont excelents… C’est de vrais sucres d’orge…

MYTYL [suçant un des doigts]. Dieu qu’il est bon!… Est-ce que tu en as beaucoup?…

LE SUCRE [modeste]. Mais oui, tant que je veux…

MYTYL. Est-ce que ça te fait mal quand tu les casses ainsi?…

LE SUCRE. Pas du tout… Au contraire; c’est très avantageux, ils repoussent tout de suite, et de cette façon, j’ai toujours des doigts propres et neufs…

LA FÉE. Voyons, mes enfants, ne mangez pas trop de sucre. N’oubliez pas que vous souperez tout à l’heure chez vos grands-parents…

TYLTYL. Ils sont ici?…

LA FÉE. Vous allez les voir à l’instant…

TYLTYL. Comment les verrons-nous, puisqu’ils sont morts?…

LA FÉE. Comment seraient-ils morts puisqu’ils vivent dans votre souvenir?… Les hommes ne savent pas ce secret parce qu’ils savent bien peu de chose; au lieu que toi, grâce au Diamant, tu vas voir que les morts dont on se souvient sont aussi heureux que s’ils n’étaient point morts…

TYLTYL. La Lumière vient avec nous?…

LA LUMIÈRE. Non, il est plus convenable que cela se passe en famille… J’attendrai ici près pour ne point paraître indiscrète… Ils ne m’ont pas invitée.

TYLTYL. Par où faut-il aller?…

LA FÉE. Par là… Vous êtes au seuil du Pays du Souvenir. Dès que tu auras tourné le Diamant, tu verras un gros arbre muni d’un écriteau, qui te montrera que tu es arrivé… Mais n’oubliez pas que vous devez être rentré tous les deux à neuf heures moins le quart… C’est extrêmement important… Surtout soyez exacts, car tout serait perdu si vous vous mettiez en retard… À bientôt… [Appelant la Chatte, le Chien, la Lumière, etc.] Par ici… Et les petits par là…



[Elle sort à droite avec la Lumière, les animaux, etc., tandis que les enfants sortent à gauche.]



Rideau




Troisième tableau



Le Pays du Souvenir



Un épais brouillard d’où émerge, à droite, au tout premier plan, le tronc d’un gros chêne muni d’un écriteau. Clarté laiteuse, diffuse, impénétrable.

[Tyltyl et Mytyl se trouvent au pied du chêne.]


TYLTYL. Voici l’arbre!…

MYTYL. Il y a l’écriteau!…

TYLTYL. Je ne peux pas lire… Attends, je vais monter sur cette racine… C’est bien ça… C’est écrit: «Pays du Souvenir».

MYTYL. C’est ici qu’il commence?…

TYLTYL. Oui, il y a une flèche…

MYTYL. Eh bien, ou qu’ils sont[35 - Eh bien, ou qu’ils sont – Ну где же они], bon-papa et bonne-maman?

TYLTYL. Derrière le brouillard… Nous allons voir…

MYTYL. Je ne vois rien du tout!… Je ne vois plus mes pieds ni mes mains… [Pleurnichant.] J’ai froid!… Je ne veux plus voyager… Je veux rentrer à la maison…

TYLTYL. Voyons, ne pleure pas tout le temps, comme l’Eau… T’es pas honteuse?[36 - T’es pas honteuse? – Тебе не стыдно?] Une grande petite fille!… Regarde, le brouillard se lève déjà… Nous allons voir ce qu’il y a dedans…



[En effet, la brume s’est mise en mouvement; elle s’allège, s’éclaire, se disperse, s’évapore. Bientôt, dans une lumière de plus en plus transparente, on découvre, sous une voûte de verdure, une riante maisonette de paysan, couverte de plantes grimpantes. Les fenêtres et la porte sont ouvertes. On voit des ruches d’abeilles sous un auvent, des pots de fleurs sur l’appui des croisées, une cage ou dort un merle, etc. Près de la porte un banc, sur lequel sont assis, profondément endormis, un vieux paysan et sa femme, c’est-à-dire le grand-père et la grand’mère de Tyltyl.]


TYLTYL [les reconnaissant tout à coup.] C’est bon-papa et bonne-maman!…

MYTYL [battant des mains.] Oui! Oui!… C’est eux!… C’est eux!…

TYLTYL [encore un peu méfiant]. Attention!… On ne sait pas encore s’ils remuent… Restons derrière l’arbre…



[Grand’maman Tyl ouvre les yeux, lève la tête, s’étire, pousse un soupir, regarde grand-papa Tyl qui lui aussi sort lentement de son sommeil.]


GRAND’MAMAN TYL. J’ai idée que nos petits-enfants qui sont encore en vie viennent nous venir voir aujourd’hui…

GRAND-PAPA TYL. Bien sûr, ils pensent à nous; car je me sens tout chose et j’ai des fourmis[37 - j’ai des fourmis – у меня мурашки (по коже)] dans les ambes…

GRAND’MAMAN TYL. Je crois qu’ils sont tout proches, car des larmes de joie dansent avant mes yeux…

GRAND-PAPA TYL. Non, non; ils sont fort oin… Je me sens encore faible…

GRAND’MAMAN TYL. Je te dis qu’ils sont là; ’ai déjà toute ma force…

TYLTYL et MYTYL [se précipitant de derrière le chêne]. Nous voilà!… Nous voilà!… Bon-papa, bonnemaman!… C’est nous!… C’est nous!…

GRAND-PAPA TYL. Là!… Tu vois!… Qu’est-ce que je disais! J’étais sûr qu’ils viendraient aujourd’hui…

GRAND’MAMAN TYL. Tyltyl! Mytyl!… C’est toi!… C’est elle!… C’est eux!… [S’efforçant de courir audevant d’eux.] Je ne peux pas courir!… J’ai toujours mes rhumatismes!

GRAND-PAPA TYL [accourant de même en clopinant]. Moi non plus… Rapport à ma jambe de bois qui remplace toujours celle que j’ai cassée en tombant du gros chêne…



[Les grands-parents et les enfants s’embrassent follement.]


GRAND’MAMAN TYL. Que tu es grandi et for-ci, mon Tyltyl!…

GRAND-PAPA TYL [caressant les cheveux de Mytyl]. Et Mytyl!… Regarde donc!… Les beaux cheveux, les beaux yeux!… Et puis, ce qu’elle sent bon!…

GRAND’MAMAN TYL. Embrassons-nous encore!… Venez sur mes genoux…

GRAND-PAPA TYL. Et moi, je n’aurai rien?…

GRAND’MAMAN TYL. Non, non… À moi d’abord… Comment vont Papa et Maman Tyl?…

TYLTYL. Fort bien, bonne-maman… Ils dormaient quand nous sommes sortis…

GRAND’MAMAN TYL [les contemplant et les accablant de caresses]. Mon Dieu, qu’ils sont jolis et bien débarbouillés!… C’est maman qui t’a débarbouillé?… Et tes bas ne sont pas troués!… C’est moi qui les reprisais autrefois. Pourquoi ne venez-vous pas nous voir plus souvent?… Cela nous fait tant de plaisir!… Voilà des mois et des mois que vous nous oubliez et que nous ne voyons plus personne…

TYLTYL. Nous ne pouvions pas, bonne-maman; et c’est grâce à la Fée qu’aujourd’hui…

GRAND’MAMAN TYL. Nous sommes toujours à, à attendre une petite visite de ceux qui vivent… Ils viennent si rarement!… La dernière fois que vous êtes venus, voyons, c’était quand donc?… C’était à la Toussaint[38 - la Toussaint – день Всех Святых, отмечаемый католической церковью 1 ноября], quand la cloche de l’église a tinté…

TYLTYL. À la Toussaint?… Nous ne sommes pas sortis ce jour-là, car nous étions fort enrhumés…

GRAND’MAMAN TYL. Non, mais vous avez pensé à nous…

TYLTYL. Oui…

GRAND’MAMAN TYL. Eh bien, chaque fois que vous pensez à nous, nous nous réveillons et nous vous revoyons…

TYLTYL. Comment, il suffit que…

GRAND’MAMAN TYL. Mais voyons, tu sais bien…

TYLTYL. Mais non, je ne sais pas…

GRAND’MAMAN TYL [à Grand-Papa Tyl]. C’est étonnant, là-haut… Ils ne savent pas encore… Ils n’apprennent donc rien?…

GRAND-PAPA TYL. C’est comme de notre temps… Les Vivants sont si bêtes quand ils parlent des Autres…

TYLTYL. Vous dormez tout le temps?…

GRAND PAPA TYL. Oui, nous dormons pas mal, en attendant qu’une pensée des Vivants nous réveille… Ah! c’est bien bon de dormir, quand la vie est finie… Mais il est agréable aussi de s’éveiller de temps en temps…

TYLTYL. Alors, vous n’êtes pas morts pour de vrai?…

GRAND-PAPA TYL [sursautant]. Que dis-tu?… Qu’est-ce qu’il dit?… Voilà qu’il emploie des mots que nous ne comprenons plus… Est-ce que c’est un mot nouveau, une invention nouvelle?…

TYLTYL. Le mot «mort»?…

GRAND-PAPA TYL. Oui; c’était ce mot-là… Qu’est-ce que ça veut dire?…

TYLTYL. Mais ça veut dire qu’on ne vit plus…

GRAND-PAPA TYL. Sont-ils bêtes, là-haut!…

TYLTYL. Est-ce qu’on est bien ici?…

GRAND-PAPA TYL. Mais oui; pas mal, pas mal; et même si l’on priait encore…

TYLTYL. Papa m’a dit qu’il ne faut plus prier…

GRAND-PAPA TYL. Mais si, mais si… Prier c’est se souvenir…

GRAND’MAMAN TYL. Oui, oui, tout irait bien, si seulement vous veniez nous voir plus souvent… Te rappelles-tu, Tyltyl?… La dernière fois, j’avais fait une belle tarte aux pommes… Tu en as mangé tant et tant que tu t’es fait du mal…

TYLTYL. Mais je n’ai pas mangé de tarte aux pommes depuis l’année dernière… Il n’y a pas eu de pommes cette année…

GRAND’MAMAN TYL. Ne dis pas de bêtises… Ici il y en a toujours…

TYLTYL. Ce n’est pas la même chose…

GRAND’MAMAN TYL. Comment? Ce n’est pas la même chose?… Mais tout est la même chose puisqu’on peut s’embrasser…

TYLTYL [regardant tour à tour son grand-père et sa grand’mère]. Tu n’as pas changé, bon-papa, pas du tout, pas du tout… Et bonne-maman non plus n’a pas changé du tout… Mais vous êtes plus beaux…

GRAND-PAPA TYL. Eh! ça ne va pas mal… Nous ne vieillissons plus… Mais vous, grandissezvous!… Ah! oui, vous poussez ferme!… Tenez, là, sur la porte, on voit encore la marque de la dernière fois… C’était à la Toussaint… Voyons, tiens-toi bien droit… [Tyltyl se dresse contre la porte.] Quatre doigts!… C’est énorme!… [Mytyl se dresse également contre la porte.] Et Mytyl, quatre et demi!… Ah, ah! la mauvaise graine!… Ce que ça pousse, ce que ça pousse!…

TYLTYL [regardant autour de soi avec ravissement]. Comme tout est bien de même, comme tout est à sa place!… Mais comme tout est plus beau!… Voilà l’horloge avec la grande aiguille dont j’ai cassé la pointe…

GRAND-PAPA TYL. Et voici la soupière que tu as écornée…

TYLTYL. Et voilà le trou que j’ai fait à la porte, e jour que j’ai trouvé le vilebrequin…

GRAND-PAPA TYL. Ah oui, tu en as fait des dégâts!… Et voici le prunier où tu aimais tant grimper quand je n’étais pas là… Il a toujours ses belles prunes rouges…

TYLTYL. Mais elles sont bien plus belles!…

MYTYL. Et voici le vieux merle!… Est-ce qu’il chante encore?…



[Le merle se réveille et se met à chanter à tuetête[39 - à tue-tête – изо всех сил, неистово].]


GRAND’MAMAN TYL. Tu vois bien… Dès que ’on pense à lui…

TYLTYL [remarquant avec stupéfaction que le merle est parfaitement bleu]. Mais il est bleu!… Mais c’est lui, ’Oiseau Bleu que je dois rapporter à la Fée!… Et vous ne disiez pas que vous l’aviez ici! Oh! qu’il est bleu, bleu, bleu, comme une bille de verre bleu!… [Suppliant.] Bon-papa, bonne-maman, voulez-vous me le donner?…

GRAND-PAPA TYL. Bien oui, peut-être bien… Qu’en penses-tu, maman Tyl?…

GRAND’MAMAN TYL. Bien sûr, bien sûr… À quoi qu’il sert ici… Il ne fait que dormir… On ne l’entend jamais…

TYLTYL. Je vais le mettre dans ma cage… Tiens, où est-elle, ma cage?… Ah! c’est vrai, je l’ai oubliée derrière le gros arbre… [Il court à l’arbre, rapporte la cage et y enferme le merle.] Alors, vrai, vous me le donnez pour de vrai?… C’est la Fée qui sera contente!… Et la Lumière donc!…

GRAND-PAPA TYL. Tu sais, je n’en réponds pas, de l’oiseau… Je crains bien qu’il ne puisse plus s’habituer à la vie agitée de là-haut, et qu’il ne revienne ici par le premier bon vent… Enfin, on verra bien… Laisse-le là, pour l’instant, et viens donc voir la vache…

TYLTYL [remarquant les ruches]. Et les abeilles, dis, comment vont-elles?…

GRAND-PAPA TYL. Mais elles ne vont pas mal… Elles ne vivent plus non plus, comme vous dites là-bas; mais elles travaillent ferme…

TYLTYL [s’approchant des ruches]. Oh oui!… Ça sent le miel!… Les ruches doivent être lourdes!… Toutes les fleurs sont si belles!… Et mes petites sœurs qui sont mortes, sont-elles ici aussi?…

MYTYL. Et mes trois petits frères qu’on avait enterrés, où sont-ils?… [À ces mots, sept petits enfants de tailles inégales, en flûte de Pan[40 - en flûte de Pan – как флейта Пана, духовой музыкальный инструмент, состоящий из скрепленных между собой трубок разной длины], sortent un à un de la maison.]

GRAND’MAMAN TYL. Les voici, les voici!… Aussitôt qu’on y pense, aussitôt qu’on en parle, ils sont là, les gaillards!…



[Tyltyl et Mytyl courent au-devant des enfants. On se bouscule, on s’embrasse, on danse, on tourbillonne, on pousse des cris de joie.]






Конец ознакомительного фрагмента. Получить полную версию книги.


Текст предоставлен ООО «ЛитРес».

Прочитайте эту книгу целиком, купив полную легальную версию (https://www.litres.ru/pages/biblio_book/?art=42575115) на ЛитРес.

Безопасно оплатить книгу можно банковской картой Visa, MasterCard, Maestro, со счета мобильного телефона, с платежного терминала, в салоне МТС или Связной, через PayPal, WebMoney, Яндекс.Деньги, QIWI Кошелек, бонусными картами или другим удобным Вам способом.



notes



1


le cuir fauve – кожа рыжевато-коричневого цвета




2


Grethel – Гретель, героиня сказки братьев Гримм «Гензель и Гретель»




3


néo-grec (anglo-grec) – стиль неогрек в одежде, вошедший в моду в Европе в конце XIX – начале XX в. Платья в стиле неогрек напоминали древнегреческие туники.




4


Walter Crane – Уолтер Крейн (1845–1915), английский художник, книжный иллюстратор и дизайнер




5


Empire – ампир, стиль позднего (высокого) классицизма в архитектуре и прикладном искусстве. Возник во Франции в период правления императора Наполеона I; развивался в течение трех первых десятилетий XIX в.




6


gros bleu – темно-синий




7


pourvu qu’elles ne rompent pas – лишь бы они не нарушали




8


John Bull – Джон Буль, собирательный образ типичного англичанина. Изображался краснолицым низкорослым толстяком с хитрой физиономией, с бакенбардами, в красном сюртуке, белых брюках или лосинах (обязательный костюм цветов британского флага) и коротком цилиндре.




9


doublé d’or – на золотой подкладке




10


Peau d’Âne – «Ослиная шкура», сказка Шарля Перро




11


Cheminée à manteau – камин с каминной полкой




12


horloge à poids – часы с гирями




13


dans l’entrebâillement de la porte – в полуоткрытую дверь




14


sur la pointe des pieds – на цыпочках




15


qu’en feraient-ils? – а что еще им делать?




16


Je puis… à la rigueur me passer de l’herbe qui chante – Я могу… обойтись без поющей травы




17


ça tombe à merveille – все складывается как нельзя более удачно




18


Tu ne leur en veux pas? – Ты на них не сердишься?




19


c’est que tu n’y vois pas – ты просто не видишь




20


on dirait de l’or vierge ! – можно подумать, они из чистого золота!




21


tant qu’il est sur ta tête – пока он у тебя на голове




22


Pains-de-quatre-livres – четырехфунтовый хлеб фунт – мера веса, равная приблизительно 450 г)




23


où elles se trouvaient à l’étroit – где они были заперты




24


J’avais beau aboyer – Я напрасно лаял




25


Veux-tu que je fasse le beau? – Хочешь, я встану на задние лапы?




26


Pain-de-sucre – сахарная голова




27


Barbe-Bleue – Синяя Борода, персонаж одноименной сказки Шарля Перро




28


Cendrillon – Золушка




29


fallût-il aller jusqu’à mettre en péril la vie même des enfants – даже если придется подвергнуть опасности жизнь детей




30


Ne nous querellons point… – Не будем ссориться




31


Il y a le pour et le contre… – Есть (аргументы) за и против…




32


Vous avez l’air de conspirer – У вас вид заговорщиков




33


par discrétion – из скромности




34


coupe, à même son gros ventre – и отрезает прямо от своего большого живота




35


Eh bien, ou qu’ils sont – Ну где же они




36


T’es pas honteuse? – Тебе не стыдно?




37


j’ai des fourmis – у меня мурашки (по коже)




38


la Toussaint – день Всех Святых, отмечаемый католической церковью 1 ноября




39


à tue-tête – изо всех сил, неистово




40


en flûte de Pan – как флейта Пана, духовой музыкальный инструмент, состоящий из скрепленных между собой трубок разной длины



Предлагаем вниманию читателей самое известное произведение Мориса Метерлинка (1862–1949), философскую пьесу-притчу «Синяя птица». Книга предназначена для студентов языковых вузов, учащихся старших классов специализированных школ и всех любителей французской литературы.

Как скачать книгу - "L’oiseau bleu: Féerie en six actes et douze tableaux / Синяя птица. Книга для чтения на французском языке" в fb2, ePub, txt и других форматах?

  1. Нажмите на кнопку "полная версия" справа от обложки книги на версии сайта для ПК или под обложкой на мобюильной версии сайта
    Полная версия книги
  2. Купите книгу на литресе по кнопке со скриншота
    Пример кнопки для покупки книги
    Если книга "L’oiseau bleu: Féerie en six actes et douze tableaux / Синяя птица. Книга для чтения на французском языке" доступна в бесплатно то будет вот такая кнопка
    Пример кнопки, если книга бесплатная
  3. Выполните вход в личный кабинет на сайте ЛитРес с вашим логином и паролем.
  4. В правом верхнем углу сайта нажмите «Мои книги» и перейдите в подраздел «Мои».
  5. Нажмите на обложку книги -"L’oiseau bleu: Féerie en six actes et douze tableaux / Синяя птица. Книга для чтения на французском языке", чтобы скачать книгу для телефона или на ПК.
    Аудиокнига - «L’oiseau bleu: Féerie en six actes et douze tableaux / Синяя птица. Книга для чтения на французском языке»
  6. В разделе «Скачать в виде файла» нажмите на нужный вам формат файла:

    Для чтения на телефоне подойдут следующие форматы (при клике на формат вы можете сразу скачать бесплатно фрагмент книги "L’oiseau bleu: Féerie en six actes et douze tableaux / Синяя птица. Книга для чтения на французском языке" для ознакомления):

    • FB2 - Для телефонов, планшетов на Android, электронных книг (кроме Kindle) и других программ
    • EPUB - подходит для устройств на ios (iPhone, iPad, Mac) и большинства приложений для чтения

    Для чтения на компьютере подходят форматы:

    • TXT - можно открыть на любом компьютере в текстовом редакторе
    • RTF - также можно открыть на любом ПК
    • A4 PDF - открывается в программе Adobe Reader

    Другие форматы:

    • MOBI - подходит для электронных книг Kindle и Android-приложений
    • IOS.EPUB - идеально подойдет для iPhone и iPad
    • A6 PDF - оптимизирован и подойдет для смартфонов
    • FB3 - более развитый формат FB2

  7. Сохраните файл на свой компьютер или телефоне.

Книги серии

Аудиокниги автора

Рекомендуем

Последние отзывы
Оставьте отзыв к любой книге и его увидят десятки тысяч людей!
  • константин александрович обрезанов:
    3★
    21.08.2023
  • константин александрович обрезанов:
    3.1★
    11.08.2023
  • Добавить комментарий

    Ваш e-mail не будет опубликован. Обязательные поля помечены *