Книга - Le Sourire Idéal

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Le Sourire Idéal
Blake Pierce


Dans LE SOURIRE IDÉAL (Tome 4), la profileuse criminelle Jessie Hunt, 29 ans, fraîchement diplômée de l’Académie du FBI, doit résoudre une nouvelle affaire dérangeante : une femme d’une trentaine d’années a été assassinée après avoir utilisé un site web de rencontres pour sortir avec des hommes mariés.Est-ce qu’elle a trop fait confiance à un des hommes mariés ?Est-ce qu’elle a été victime d’un chantage ? D’un harceleur ?Ou y avait-il un mobile beaucoup plus malveillant ?La liste des suspects emmène Jessie dans des quartiers riches et impeccablement entretenus, derrière le voile de vies en apparence idéales qui sont en fait pourries jusqu’à la moelle. Le tueur, comprend Jessie, doit se cacher derrière un de ces sourires faux et artificiels.Essayant à la fois d’attraper un tueur et de soutenir sa propre psyché fragile, Jessie doit sonder les profondeurs de sa psychose. Pendant ce temps-là, son propre père assassin est dans la nature et ne reculera devant rien pour la tuer.Thriller psychologique haletant aux personnages inoubliables et au suspense terrifiant, LE SOURIRE IDÉAL est le tome 4 d’une nouvelle série captivante dont vous tournerez les pages tard dans la nuit.Le tome 5 de la série de Jessie Hunt sera disponible bientôt.







Le sourire idéal



(roman de suspense psychologique avec Jessie Hunt, tome 4)



b l a k e p i e r c e


Blake Pierce



Blake Pierce est l’auteur de la série à succès mystère RILEY PAIGE, qui comprend quinze volumes (pour l’instant). Black Pierce est également l’auteur de la série mystère MACKENZIE WHITE, comprenant douze volumes (pour l’instant) ; de la série mystère AVERY BLACK, comprenant six volumes (pour l’instant) ; et de la série mystère KERI LOCKE, comprenant cinq volumes ; la série mystère LES ORIGINES DE RILEY PAGE, comprenant trois volumes (pour l’instant), la série mystère KATE WISE, comprenant trois volumes (pour l’instant), de la série de mystère psychologique CHLOE FINE, comprenant trois volumes (pour l’instant), et de la série à suspense psychologique JESSIE HUNT, comprenant trois volumes (pour l’instant).

Lecteur avide et admirateur de longue date des genres mystère et thriller, Blake aimerait connaître votre avis. N’hésitez pas à consulter son site www.blakepierceauthor.com (http://www.blakepierceauthor.com) afin d’en apprendre davantage et rester en contact.



Copyright © 2018 par Blake Pierce.



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Ceci est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages, les entreprises, les organisations, les lieux, les événements et les incidents sont le fruit de l’imagination de l’auteur ou sont utilisés fictivement. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou mortes, n’est que pure coïncidence.



Image de couverture : copyright hurricanehank, utilisée en vertu d’une licence accordée par Shutterstock.com.


LIVRES PAR BLAKE PIERCE



SÉRIE SUSPENSE PSYCHOLOGIQUE JESSIE HUNT

LA FEMME PARFAITE (Volume 1)

LE QUARTIER PARFAIT (Volume 2)

LA MAISON PARFAITE (Volume 3)



SÉRIE SUSPENSE PSYCHOLOGIQUE CHLOE FINE

LA MAISON D’À CÔTÉ (Volume 1)

LE MENSONGE D’UN VOISIN (Volume 2)

VOIE SANS ISSUE (Volume 3)



SÉRIE MYSTÈRE KATE WISE

SI ELLE SAVAIT (Volume 1)

SI ELLE VOYAIT (Volume 2)

SI ELLE COURAIT (Volume 3)

SI ELLE SE CACHAIT (Volume 4)



LES ORIGINES DE RILEY PAIGE

SOUS SURVEILLANCE (Tome 1)

ATTENDRE (Tome 2)

PIEGE MORTEL (Tome 3)



LES ENQUÊTES DE RILEY PAIGE

SANS LAISSER DE TRACES (Tome 1)

RÉACTION EN CHAÎNE (Tome 2)

LA QUEUE ENTRE LES JAMBES (Tome 3)

LES PENDULES À L’HEURE (Tome 4)

QUI VA À LA CHASSE (Tome 5)

À VOTRE SANTÉ (Tome 6)

DE SAC ET DE CORDE (Tome 7)

UN PLAT QUI SE MANGE FROID (Tome 8)

SANS COUP FÉRIR (Tome 9)

À TOUT JAMAIS (Tome 10)

LE GRAIN DE SABLE (Tome 11)

LE TRAIN EN MARCHE (Tome 12)

PIÉGÉE (Tome 13)

LE RÉVEIL (Tome 14)

BANNI (Tome 15)

MANQUÉ (Tome 16)



SÉRIE MYSTÈRE MACKENZIE WHITE

AVANT QU’IL NE TUE (Volume 1)

AVANT QU’IL NE VOIE (Volume 2)

AVANT QU’IL NE CONVOITE (Volume 3)

AVANT QU’IL NE PRENNE (Volume 4)

AVANT QU’IL N’AIT BESOIN (Volume 5)

AVANT QU’IL NE RESSENTE (Volume 6)

AVANT QU’IL NE PÈCHE (Volume 7)

AVANT QU’IL NE CHASSE (Volume 8)

AVANT QU’IL NE TRAQUE (Volume 9)

AVANT QU’IL NE LANGUISSE (Volume 10)

AVANT QU’IL NE FAILLISSE (Volume 11)

AVANT QU’IL NE JALOUSE (Volume 12)

AVANT QU’IL NE HARCÈLE (Volume 13)



LES ENQUÊTES D’AVERY BLACK

RAISON DE TUER (Tome 1)

RAISON DE COURIR (Tome2)

RAISON DE SE CACHER (Tome 3)

RAISON DE CRAINDRE (Tome 4)

RAISON DE SAUVER (Tome 5)

RAISON DE REDOUTER (Tome 6)



LES ENQUETES DE KERI LOCKE

UN MAUVAIS PRESSENTIMENT (Tome 1)

DE MAUVAIS AUGURE (Tome 2)

L’OMBRE DU MAL (Tome 3)

JEUX MACABRES (Tome 4)

LUEUR D’ESPOIR (Tome 5)


SOMMAIRE



PROLOGUE (#u430ac522-d02b-5032-b681-9c1c3f71ae9b)

CHAPITRE PREMIER (#uf612b1c7-1b88-51e6-a0a2-f17278f92a6a)

CHAPITRE DEUX (#ucbb9609a-0726-5718-960f-52fab3f4c422)

CHAPITRE TROIS (#u4b8e969e-043d-5365-a30a-8eccda01034a)

CHAPITRE QUATRE (#uc62ca8d1-0c87-5447-9ad7-646f618c3470)

CHAPITRE CINQ (#u278b52ca-7057-5467-b803-70643c3a87cf)

CHAPITRE SIX (#u0ba8008d-da49-505f-8c57-e2679d897ac7)

CHAPITRE SEPT (#litres_trial_promo)

CHAPITRE HUIT (#litres_trial_promo)

CHAPITRE NEUF (#litres_trial_promo)

CHAPITRE DIX (#litres_trial_promo)

CHAPITRE ONZE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE DOUZE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE TREIZE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE QUATORZE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE QUINZE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE SEIZE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE DIX-SEPT (#litres_trial_promo)

CHAPITRE DIX-HUIT (#litres_trial_promo)

CHAPITRE DIX-NEUF (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-ET-UN (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-DEUX (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-TROIS (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-QUATRE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-CINQ (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-SIX (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-SEPT (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-HUIT (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-NEUF (#litres_trial_promo)

CHAPITRE TRENTE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE TRENTE-ET-UN (#litres_trial_promo)

CHAPITRE TRENTE-DEUX (#litres_trial_promo)

CHAPITRE TRENTE-TROIS (#litres_trial_promo)

CHAPITRE TRENTE-QUATRE (#litres_trial_promo)




PROLOGUE


Quand Gabrielle revint dans sa maison de location à deux chambres de Studio City, il était presque dix-sept heures. Elle avait passé la plus grande partie de la journée à la plage avec un mec qu’elle fréquentait. C’était amusant. Son mec avait loué un cabanon à l’Annenberg Beach House de Santa Monica et la nourriture et les boissons alcoolisées y étaient disponibles en quantité illimitée.

Pourtant, maintenant, elle se sentait grillée par le soleil et légèrement mal à l’aise à force de manger tout le temps. Elle savait qu’elle ne pourrait pas s’offrir trop d’après-midi comme celle-là si elle voulait que son corps conserve l’apparence qui poussait les autres mecs à la fixer du regard avec une discrétion très relative quand elle passait en roulant les fesses.

Quand elle ouvrit la porte avant vitrée de la maison, elle admira son reflet. Même si elle se sentait boursouflée, elle avait encore l’air très belle. Grâce à la brise océanique, qui soufflait en permanence, ses longs cheveux noirs semblaient battus par les vents. Même si sa peau très bronzée la piquait, au moins, elle avait un bel éclat. Finalement, avec ses sandales à talons, elle dépassait largement le mètre quatre-vingts.

Quand Gabrielle entra dans la maison, elle entendit immédiatement que Claire, son amie et colocataire, était au milieu d’une conversation téléphonique houleuse. Gabrielle essaya pour la forme de ne pas écouter ce que disait son amie, mais elle céda vite à la curiosité.

— On ne peut plus se voir, entendit-elle dire Claire.

Son amie se tut pour écouter la réaction inévitablement négative qui s’ensuivit. Au bout de quelques secondes de silence, Claire répondit à ce que l’autre personne avait dit.

— Ce n’est pas seulement qu’on ne va pas ensemble, répondit calmement Claire sur un ton ferme mais navré. Il serait seulement mieux qu’on passe à autre chose.

Gabrielle sourit. Elle s’y connaissait en ruptures téléphoniques, mais Claire était une experte. Elle arrivait toujours à apaiser le mec, à le convaincre que, ce qui motivait la rupture, c’était son propre manque d’assurance, pas son désir pour le nouveau mec qu’elle avait repéré.

Cependant, cette fois-là, le processus semblait se passer un peu moins bien. Même à plusieurs pièces de distance, Gabrielle entendait légèrement celui qui allait devenir l’ex de Claire. Au bout de ce qui ressemblait à une diatribe pendant laquelle sa colocataire resta silencieuse, cette dernière répondit finalement d’une voix calme mais énergique.

— Je suis désolée que tu le voies comme ça, dit-elle, mais ne me dis pas que ça t’étonne. Dès que nous avons été ensemble, tu as su que ça pourrait arriver. J’ai toujours été franche avec toi. C’est ma décision. Plus tu l’accepteras vite, plus ça sera facile pour toi. Au revoir.

Quand Gabrielle fut certaine que l’appel était terminé, elle passa la tête dans la chambre de Claire.

— Tout va bien ? demanda-t-elle. Ça avait l’air un peu rude.

— Ce genre de chose est inévitable, répondit Claire, qui avait l’air fatiguée. Tu le sais aussi bien que moi, Gabby. Certaines personnes ont tendance à … s’attacher un peu trop.

— On aurait dit qu’il hésitait entre l’attachement et le harcèlement. Est-ce que tu veux en parler ?

— Pas vraiment, admit Claire. J’ai un mec qui vient me chercher à sept heures. Ça me laisse seulement deux heures pour me préparer. Je préférerais penser à ça, pas au reste.

— Pareil pour moi, dit Gabrielle. Je ne devrais pas prévoir deux rendez-vous le même jour. Après la plage, je suis crevée, et maintenant, il faut que j’aille danser jusqu’à deux heures du matin. Demain, mes mollets vont me faire souffrir le martyre.

— C’est dur, comme vie, hein ? dit Claire avec un sourire en coin.

Gabby lui rendit son sourire. Elle préférait son amie quand elle était comme ça : espiègle et adepte de l’auto-dérision. Avec cette attitude-là, il était difficile d’être jalouse, même si Claire était une Californienne d’une beauté divine, menue, blonde, bronzée et à forte poitrine. Avec à peine plus d’un mètre cinquante et aux environs de quarante-cinq kilos, elle était aussi explosive que menue. Cependant, c’était quand elle se laissait aller que son charme se manifestait le plus. Elle ne révélait ce côté de sa personnalité qu’à quelques rares élus.

— Écoute, dit Gabrielle. Ça te dirait si on faisait une pause demain ? Rien que toi, moi, quelques mimosas et quelque chose de vraiment cool ?

— Ça me semble génial comme idée, dit Claire. J’aurais vraiment besoin de repos. Tout a l’air si intense, ces temps-ci. J’aimerais que les gens se détendent, tu sais ?

— Oh, oui. Donc, demain, ce sera le Jour Officiel de Détente de Gabby et de Claire. D’accord ?

— D’accord, acquiesça Claire, ou du moins jusqu’à six heures. Après, j’ai un dîner.

Gabby la regarda d’un air incrédule, mais elle ne put rester sérieuse et elles éclatèrent de rire toutes les deux.




CHAPITRE PREMIER


Pour peut-être la quatrième fois depuis une heure, Jessie Hunt eut la même pensée.

Je déteste cet endroit.

L’endroit en question était un refuge officiel de la WITSEC, la Protection des Témoins. Même si elle détestait vivre dans ce pavillon sans âme constamment entourée de Marshals des États-Unis, elle ne pouvait pas vraiment affirmer que ce n’était pas nécessaire. Après tout, moins de deux semaines avaient passé depuis qu’elle avait échappé à une attaque par son tueur en série de père, Xander Thurman, qui l’avait traquée pendant des mois.

Or, à peine quelques jours après ça, son admirateur le plus ardent, un autre tueur du nom de Bolton Crutchfield, s’était échappé d’une unité psychiatrique pénitentiaire avec quatre autres prisonniers dangereux. Deux d’entre eux avaient été capturés mais, en plus de Crutchfield, deux autres étaient encore en cavale.

Donc, quand le capitaine Roy Decker, son patron à la Police de Los Angeles, lui avait ordonné d’obéir aux marshals du Programme de Protection des Témoins jusqu’à ce que la situation soit résolue, Jessie n’avait pas pu protester. Or, cela signifiait en grande partie qu’elle était assignée à résidence pendant qu’elle était en congé mandaté de son travail de profileuse criminelle.

En fait, elle n’était même pas témoin en attente d’un procès mais, à cause de la menace de mort qui pesait constamment sur elle, de son travail dans le maintien de l’ordre public et de ses liens aussi bien avec la Police de Los Angeles qu’avec le FBI, elle avait bénéficié d’une exception.

Tant que son père et Crutchfield n’auraient été ni capturés ni tués, elle serait coincée ici. Elle passait ses journées à se tenir au courant de l’évolution de diverses affaires en ligne, sauf quand elle se consacrait à des séances fréquentes et quasi-frénétiques d’entraînement physique et d’auto-défense qui n’aidaient guère à calmer l’agitation provoquée par son enfermement.

Le programme de formation de dix semaines qu’elle avait récemment suivi à l’Académie du FBI à Quantico, Virginie, lui avait permis d’acquérir des compétences en combat efficaces et de nouvelles techniques de profilage, mais il ne lui avait pas appris à supporter l’ennui écrasant que l’on ressentait quand on était assigné à résidence vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Située dans un pâté de maisons résidentiel et calme du quartier de Palms, dans l’ouest de Los Angeles, la maison en question était très confortable. Pendant les matinées de ce printemps finissant, Jessie sirotait son café et regardait des parents emmener leurs enfants à pied à l’école élémentaire, à quelques pâtés de maisons.

La maison était au fond d’un cul-de-sac car, à cet endroit, elle était plus facile à sécuriser et à protéger, mais, pour cette raison, la plupart du temps, il ne s’y passait pas grand-chose. D’habitude, vers le milieu de la matinée, Jessie sortait nager dans la piscine, qui était couverte par une grande bâche, officiellement pour protéger les nageurs contre les ardeurs du soleil mais, en fait, pour soustraire Jessie aux regards curieux des voisins.

Maintenant que Kat était partie, la situation était encore pire. Pendant quelques jours, son amie avait eu le droit de séjourner elle aussi dans la maison, en partie parce que les autorités craignaient que Bolton Crutchfield ne s’en prenne également à elle. Après tout, Kat Gentry avait été chef de la sécurité à la DNR, la Division de Non-Réhabilitation, l’établissement de l’Hôpital Métropolitain du Département d’État de Norwalk duquel Crutchfield et les autres prisonniers s’étaient échappés. On craignait que certains d’entre eux n’aient envie de se venger.

Cependant, quand Kat avait déclaré qu’elle allait peut-être faire un long voyage en Europe pour se changer les idées, les marshals avaient aussitôt profité de l’occasion aussi bien pour la tenir à l’écart du danger que pour réduire leurs coûts de sécurité. Jessie se souvenait encore de la conversation qu’elles avaient eue plusieurs jours auparavant.

— Tu ne crois pas que ça revient un peu à fuir tes problèmes ? avait demandé Jessie tout en comprenant que cette question allait probablement mettre son amie sur la défensive.

Kat l’avait regardée d’un air interrogatif. Avant même qu’elle ne réponde, Jessie avait compris qu’elle avait commis une erreur. Après tout, Katherine Gentry était une ex-Marine qui portait encore au visage les cicatrices provoquées par les éclats de l’explosion d’un engin explosif improvisé. Elle avait géré un établissement pénitentiaire où certains des pires criminels de la société avaient été internés jusqu’à ce que son lieutenant de confiance, Ernie Cortez, la trahisse et permette l’évasion de Crutchfield et des autres prisonniers. Kat était coriace et Jessie le savait.

— Je crois que j’ai le droit de passer un peu de temps en privé, dit Kat en refusant de se défendre plus que cela. Si je pensais que les marshals te le permettraient, je te proposerais de venir avec moi.

— Crois-moi, j’adorerais le faire, répondit Jessie, soulagée que son amie n’ait pas été plus sur la défensive. Cependant, en vérité, tant que mon père et Crutchfield n’auront pas été capturés, je ne dormirai pas en paix, quel que soit le continent où je serai. Quand nous trouverons un plan pour attraper ces hommes-là, j’en aurai fini. Il faut que j’en finisse avec ça pour pouvoir vivre une vie normale.

— J’ai l’impression qu’il n’y a pas encore vraiment de plan, fit remarquer Kat avec ironie.

— C’est vrai, acquiesça Jessie, et ne t’imagine pas que je n’y ai pas réfléchi. Le seul point positif, c’est que je sais que mon père est trop gravement blessé pour venir s’en prendre à moi pour l’instant. La dernière fois où je l’ai vu, il sautait par une fenêtre du quatrième étage et, juste avant ça, il avait été blessé au ventre, à l’épaule et à la tête. Il va être hors d’état de nuire pendant un bon moment.

— Mais pas Bolton Crutchfield, lui rappela Kat. Il est en parfaite santé et plein d’énergie. De plus, il a des … atouts à sa disposition.

Kat n’apporta aucune précision, mais elle n’en avait nullement besoin. Elles savaient toutes les deux ce qu’elle entendait par-là. En plus des deux évadés qui l’avaient peut-être accompagné, il y avait aussi Ernie, l’ex-second de Kat à la DNR.

Pendant que Kat avait assisté aux funérailles des parents adoptifs de Jessie, Ernie, homme imposant d’un mètre quatre-vingt-dix-huit et de cent-treize kilos, avait assassiné plusieurs officiers de sécurité de la DNR puis libéré Crutchfield et les autres. Seulement plusieurs jours après, le FBI avait réussi à découvrir ce que n’avait jamais révélé la vérification des antécédents que Kat avait effectuée en embauchant Ernie Cortez.

À l’âge de onze ans, Ernie avait passé une année dans un établissement psychiatrique pour mineurs après avoir poignardé un autre enfant plusieurs fois à l’abdomen avec un tournevis. Heureusement pour lui, l’autre garçon avait survécu.

Ernie avait purgé sa peine sans incident. Après sa libération et le déménagement de sa famille, il n’avait plus posé de problèmes. Son casier judiciaire juvénile avait été fermé quand il avait eu dix-huit ans. Comme il n’avait eu aucun problème sur son casier, il ne lui était resté qu’une expérience sans tache dans l’Armée Américaine suivie par des périodes de travail comme agent de sécurité privé et comme gardien de prison dans un établissement énorme du Colorado.

Si Kat avait eu accès à ses antécédents psychiatriques, détenus par le centre de détention juvénile, elle aurait appris que le personnel médical le considérait comme un sociopathe doté d’une capacité surprenante de contrôle et de dissimulation de ses prédispositions à la violence.

La dernière ligne de ses documents de libération disait : « Ce médecin considère que le sujet Cortez constitue un risque permanent pour la communauté. Il a appris à dissimuler ses désirs, mais il est probable que, à un moment ou à un autre, tôt ou tard, les problèmes psychiatriques qui ont conduit à son internement dans cet établissement referont surface. Malheureusement, notre système actuel ne prend pas en compte cette possibilité et exige sa libération immédiate. Même si un traitement de suivi n’est pas exigé, il est vivement recommandé ».

Aucun autre traitement n’avait été mis en place. Quand Ernie était devenu garde à la DNR et avait commencé à interagir avec Bolton Crutchfield, expert en manipulation, il était tombé sous sa coupe mais ne l’avait jamais montré et avait continué à faire son travail et à interagir de manière positive avec les collègues qu’il avait finalement tués.

Kat se considérait responsable de leur mort, alors que rien n’aurait pu lui permettre de prévoir ce qui allait se passer. Jessie avait plusieurs fois essayé d’apaiser sa culpabilité, mais en vain.

— Je suis profileuse criminelle et je suis formée pour détecter les choses comme les tendances sociopathes, avait-elle dit. J’ai interagi avec lui plus d’une dizaine de fois et je ne l’ai jamais soupçonné. Je ne vois pas comment tu aurais pu le faire.

— Peu importe, avait insisté Kat. J’étais responsable de la sécurité de ces agents et de l’internement de ces détenus. J’ai échoué dans ces deux domaines. Je suis responsable de ce qui s’est produit.

Cette conversation remontait à trois jours. Maintenant, Kat était quelque part en France et elle ne savait pas que le Marshals Service avait demandé à Interpol de nommer un agent secret dont la mission serait de la filer pour la protéger. De son côté, Jessie ne pouvait guère que se relaxer sur le mobilier en plastique de la piscine, d’où elle entendait les véhicules qui circulaient sur l’autoroute. Elle n’avait personne à qui parler, presque aucune intimité et peu d’occupations susceptibles de la protéger contre ses pensées mortifères. Aux moments où elle se lamentait le plus sur son sort, elle avait la sensation d’être à nouveau la victime du destin.

Quand elle rentra dans la maison pour manger un peu, elle se mit le vêtement couvrant qu’un des marshals lui avait acheté l’autre jour. Comme on ne lui avait pas donné d’instructions détaillées, le vêtement n’était pas à la bonne taille, mais ce n’était pas sa faute. Cependant, Jessie ne pouvait s’empêcher de se sentir contrariée, car le vêtement descendait à peine jusqu’à ses hanches tout en étant quand même trop gros d’une façon ou d’une autre. Comme Jessie était mince et mesurait un mètre soixante-dix-sept, il lui fallait quelque chose de deux fois plus long et de deux fois moins large. Elle forma une queue de cheval avec ses cheveux bruns qui lui tombaient sur les épaules et s’efforça de ne pas trop montrer son agacement dans ses yeux verts en entrant.

Quand elle pénétra dans la maison, elle vit le marshal qui se tenait près de la porte coulissante tourner légèrement la tête. Visiblement, il écoutait un message dans son oreillette. Quand il entendit ce qu’on lui disait, son corps se crispa machinalement. Jessie comprit qu’il y avait un problème avant même d’entrer dans la cuisine.

Il ne lui dit rien et elle continua donc vers la cuisine en faisant semblant d’être inconsciente de ce qui se passait. Comme elle ne savait pas si le message concernait une intrusion dans la maison, elle chercha autour d’elle un objet susceptible de l’aider à se défendre si Crutchfield l’avait retrouvée. Posée sur une console de la salle à manger près de l’entrée de la cuisine, il y avait une boule à neige de San Francisco en verre qui avait à peu près la taille d’un cantaloup.

Tout en se demandant brièvement qui aurait pu imaginer qu’il tombait de la neige à San Francisco, elle saisit le globe et se le plaça derrière le dos. Alors, elle entra dans la cuisine en faisant porter son poids sur la pointe des pieds, le corps penché, prêt à l’action, et les yeux en train de chercher çà et là tout signe de menace. À l’autre bout de la cuisine, une porte s’ouvrit.




CHAPITRE DEUX


Alors que Jessie attendait de voir qui c’était, elle se rendit compte qu’elle avait arrêté de respirer et elle se força à expirer lentement et discrètement.

Frank Corcoran entra vivement dans la pièce sans la moindre trace d’appréhension. Marshal chef de son équipe de protection, Corcoran était un homme pragmatique. La mâchoire carrée, les épaules carrées, il portait un costume bleu marine avec une chemise blanche et une cravate noire parfaitement nouée. Sa moustache nettement taillée avait des traces minimes de gris aux bords, comme ses cheveux noirs courts.

— Asseyez-vous, Mme Hunt, dit-il sans la moindre décontraction. Il faut qu’on parle. Ah, vous pouvez reposer cette boule à neige. Je promets que vous n’en aurez pas besoin.

Plaçant le globe sur la table de la cuisine tout en refusant ostensiblement de demander comment il avait su qu’elle la tenait derrière son dos, Jessie s’assit en se demandant quelles mauvaises nouvelles il allait révéler. Xander Thurman avait déjà assassiné ses parents adoptifs. Il avait failli tuer deux policiers en essayant d’aller la retrouver dans son propre appartement. L’évasion violente de Bolton Crutchfield de la DNR avait provoqué la mort de six gardes. Est-ce qu’un des autres évadés avait trouvé Kat en Europe ? S’en étaient-ils pris à son ami et ex-collègue, Ryan Hernandez, agent de la Police de Los Angeles, dont elle n’avait plus de nouvelles depuis plusieurs jours ? Elle se prépara au pire.

— J’ai des nouvelles pour vous, dit Corcoran quand il se rendit compte que Jessie n’allait pas poser de questions.

— OK.

— J’ai parlé avec votre capitaine, dit-il en sortant un morceau de papier et en lisant ce qui était marqué dessus. Il veut vous dire que le commissariat tout entier vous envoie ses meilleurs vœux. Il dit qu’ils suivent toutes les pistes possibles et il espère que vous ne serez pas obligée de rester enfermée trop longtemps.

Au ton de voix sceptique de Corcoran et à ses sourcils légèrement levés, Jessie voyait qu’il ne partageait pas l’opinion du capitaine Decker sur la situation.

— Il semblerait que vous soyez moins optimiste que lui, si j’ai bien compris ?

— C’est la nouvelle suivante, dit-il sans vraiment répondre à sa question. Nous n’avons pas réussi à retrouver M. Crutchfield. Bien que deux évadés aient été capturés, comme vous le savez, deux autres sont encore dans la nature, sans parler de M. Cortez.

— Depuis les dernières nouvelles que vous m’avez communiquées, est-ce que les hommes capturés ont fourni des informations utiles ?

— Malheureusement, non, concéda-t-il. Ces deux hommes disent encore la même chose : qu’ils se sont séparés quelques minutes après leur évasion. Aucun de ces hommes n’a su ce qui se passait avant d’être libéré de sa cellule.

— Donc, ce seraient seulement Crutchfield et Cortez qui auraient planifié l’évasion ?

— C’est ce que nous pensons, dit Corcoran. Néanmoins, nous avons lancé une chasse à l’homme massive pour retrouver tous les évadés. En plus de la Police de Los Angeles, le Sheriff’s Department, la California Highway Patrol, le CBI et le FBI sont tous impliqués, tout comme, bien sûr, le Marshals Service.

— J’ai remarqué que vous avez précisé que vous recherchiez les évadés, dit-elle. Et Xander Thurman ?

— Que voulez-vous dire ?

— Eh bien, il est tueur en série, lui aussi. Il a essayé de me tuer et de tuer deux inspecteurs de la Police de Los Angeles et il est en cavale. Combien de gens avez-vous lancé après lui ?

Corcoran la regarda comme s’il était étonné d’avoir à répondre à cette question.

— Selon votre description de ses blessures, nous considérons qu’il représente une menace moins immédiate. Quant à votre statut dans le cadre du WITSEC, il fait que nous nous inquiétons moins à son sujet, dans l’ensemble. De plus, pour l’instant, notre priorité est de retrouver les évadés d’un établissement de psychiatrie criminelle, pas un homme qui pourrait, jusqu’à preuve du contraire, être déjà mort.

— Vous voulez dire que vos recherches sont prévues pour plaire aux médias et au monde politique, fit ostensiblement remarquer Jessie.

— Cette description de la situation n’est pas fausse.

Jessie apprécia son honnêteté. De plus, pour une personne dans sa situation, elle ne pouvait pas vraiment affirmer que c’était là une utilisation déraisonnable des ressources. Elle décida de changer de sujet pour l’instant.

— Avez-vous des pistes potentielles ? demanda Jessie sans grand espoir.

— Nous pensons que nos plus grands espoirs concernent M. Cortez. Nous pensons qu’il a préparé les plans pour l’après-évasion. Nous surveillons ses comptes bancaires, ses achats par carte de crédit et les données du GPS de son téléphone pour les semaines qui ont précédé l’évasion. Jusque-là, nous n’avons rien trouvé d’utile, comme le seraient des billets d’avion.

— Vous n’en trouverez pas, marmonna Jessie.

— Pourquoi dites-vous ça ?

— Cortez restera avec Crutchfield et je vous garantis que Bolton Crutchfield n’ira nulle part.

— Comment pouvez-vous en être aussi sûre ? demanda Corcoran.

— Parce qu’il n’en a pas encore fini avec moi.



*



Cette nuit, Jessie ne trouva pas le sommeil. Quand elle se fut retournée pendant ce qui lui sembla être des heures, elle sortit du lit et alla à la cuisine pour remplir son verre à eau, qui était vide.

Quand elle marcha dans le couloir couvert de moquette qui partait de la chambre, elle sentit immédiatement que quelque chose n’allait pas. Le marshal qui était habituellement stationné sur une chaise placée là où le couloir donnait sur le salon était introuvable. Jessie envisagea de retourner dans sa chambre pour aller y chercher une arme puis se souvint qu’elle n’en avait aucune. Le Marshals Service l’avait prise jusqu’à nouvel ordre.

Donc, elle appuya le dos contre le mur du couloir sans tenir compte de son cœur qui battait la chamade et se dirigea vers la chaise vide sur la pointe des pieds. Quand elle se rapprocha, grâce au clair de lune qui entrait par les fenêtres, elle vit une tache sombre et humide sur la moquette couleur crème. La grande étendue sur laquelle le liquide avait giclé indiquait que ce n’était pas du vin que l’on aurait laissé tomber là par accident. Elle remarqua aussi que le liquide formait une ligne non négligeable qui s’étendait à perte de vue.

Jessie passa la tête autour du coin et vit que le marshal était allongé sur le dos contre l’autre mur, où on l’avait apparemment entraîné. Il avait la gorge tranchée d’un côté à l’autre. À côté de lui, par terre, il y avait son arme de service.

Jessie ressentit une poussée d’adrénaline pleine d’anxiété qui fit picoter ses doigts. En se souvenant de rester concentrée, elle s’agenouilla et inspecta la pièce en attendant d’être plus calme. Cela lui prit moins longtemps qu’elle ne l’aurait cru.

Comme elle ne voyait personne, elle jaillit de sa cachette et saisit l’arme. Quand elle baissa les yeux, elle vit une traînée d’empreintes de pas sanglantes qui s’éloignaient du corps du marshal pour aller vers la salle à manger attenante. Restant accroupie derrière le sofa, elle avança rapidement jusqu’à ce qu’elle puisse voir clairement ce qui se passait dans la pièce.

Un autre marshal y gisait par terre. Celui-là était face contre terre et baignait dans une mare de sang qui s’étendait rapidement de son cou en coulant et en formant une mare autour de son visage et de son torse.

En se forçant à ne pas s’attarder sur cette image, Jessie suivit les empreintes de pas sanglantes de cette pièce jusque dans la véranda, qui menait à la piscine dans la cour de derrière. La porte coulissante était ouverte et une brise légère poussait les rideaux vers l’intérieur en les faisant gonfler comme des nuages de basse altitude.

Jessie inspecta la pièce. Comme elle était vide, elle alla jusqu’à la porte coulissante pour jeter un coup d’œil à l’extérieur. On y voyait un corps en costume, qui flottait sur le ventre dans l’eau, laquelle prenait rapidement une teinte rouge-rosâtre. Ce fut à ce moment qu’elle entendit quelqu’un se racler la gorge derrière elle.

Elle virevolta tout en armant le pistolet. En face d’elle, à l’autre bout de la pièce, il y avait Bolton Crutchfield et son père, Xander Thurman, qui avait l’air étonnamment en bonne santé, alors que, seulement quelques semaines auparavant, il avait été touché au ventre et à l’épaule, avait probablement eu une fracture au crâne et avait sauté par une fenêtre du quatrième étage. Les deux hommes tenaient de longs couteaux de chasse.

Son père sourit tout en articulant silencieusement « Petite chérie », le nom affectueux qu’il avait donné à Jessie quand elle avait été petite. Jessie souleva l’arme et se prépara à tirer. Quand son doigt commença à appuyer sur la détente, Crutchfield parla.

— J’avais promis que je reviendrais vous voir, Mlle Jessie, dit-il aussi tranquillement que lorsqu’il lui avait parlé au travers de l’épaisse vitre de sa cellule.

Ses semaines de liberté ne lui avaient pas fait perdre de poids. Comme il mesurait un mètre soixante-douze et pesait environ soixante-huit kilos, il était moins impressionnant que Jessie sur le plan physique. Son visage grassouillet donnait l’impression qu’il avait vingt-cinq ans au lieu de trente-cinq et ses cheveux marron, avec une raie bien nette sur le côté, rappelaient à Jessie les garçons du club de maths au collège. Seuls ses yeux marron froids comme l’acier suggéraient ce dont il était véritablement capable.

— On dirait que vous vous êtes acoquiné avec des gens peu recommandables, dit-elle d’une voix désespérément tremblante en désignant son père d’un signe de tête.

— C’est ce que j’aime chez vous, Mlle Jessie, dit Crutchfield avec admiration. Vous ne reculez jamais, même quand vous êtes dans une situation sans issue.

— Je vous invite à y réfléchir, signala Jessie. Vous avez tous les deux des couteaux et j’ai une arme à feu.

— Quelle petite diablesse, s’émerveilla Crutchfield en se tournant vers Thurman avec appréciation.

Son père hocha la tête, encore silencieux. Alors, les deux hommes se concentrèrent à nouveau sur elle. Leurs sourires disparurent en même temps.

— Il est temps, Mlle Jessie, dit Crutchfield.

Les deux hommes avancèrent simultanément vers elle. Jessie tira d’abord sur son père, trois balles dans la poitrine, avant de se concentrer sur Crutchfield. Sans hésitation, elle lui envoya trois balles dans le torse. L’air se remplit d’une fumée âcre et l’écho de ses tirs résonna dans la pièce.

Cependant, aucun des deux hommes ne s’arrêta ni même ne ralentit. Comment était-ce possible ? Même avec des gilets pare-balles, ils auraient dû chanceler.

Elle n’avait plus de balles, mais elle appuya quand même sur la détente, ne sachant pas quoi faire d’autre. Quand les deux hommes continuèrent à avancer vers elle en tenant leurs couteaux en l’air, loin au-dessus de leur tête, elle jeta l’arme et prit une attitude défensive en sachant parfaitement que c’était en pure perte. Les couteaux s’abattirent, tranchants, violents, rapides.



*



Jessie poussa un cri étouffé et se redressa dans son lit, droite comme un i. Elle était trempée de sueur et respirait lourdement. Quand elle regarda dans la pièce, elle vit qu’elle était seule. Les volets des fenêtres étaient encore cloués pour empêcher qui que ce soit d’entrer. Précaution de sécurité supplémentaire, il y avait encore une chaise d’appuyée sous le bouton de la porte de sa chambre. Le réveil indiquait 1 h 39 du matin.

On frappa doucement à la porte.

— Tout va bien là-dedans, Mme Hunt ? demanda un des marshals. J’ai entendu un bruit.

— C’est juste un cauchemar, répondit-elle, ne voyant aucune raison de mentir au marshal, qui avait déjà dû comprendre de quoi il s’agissait.

— OK. S’il vous faut quelque chose, dites-le-moi.

— Merci, dit-elle.

Le marshal s’éloigna et Jessie écouta le craquement familier du plancher qui se trouvait sous la moquette. Alors, elle glissa les jambes hors du lit et resta tranquillement assise pendant un moment pour permettre à son cœur et à sa respiration de reprendre un rythme normal. Elle se leva et alla dans la salle de bains. Il fallait qu’elle se douche et qu’elle change ses draps mouillés.

Quand elle traversa la pièce, elle ne put s’empêcher d’aller jusqu’à la seule fenêtre où le volet était légèrement entrebâillé pour laisser entrer un peu de lumière. Elle fut certaine de voir la silhouette de quelqu’un dans les ombres des arbres qui se dressaient derrière la piscine. Même quand elle se fut assurée que c’était un tronc d’arbre ou un marshal, elle se sentit perturbée.

Quelque part dans ce pays, deux tueurs en série étaient en cavale et ils la recherchaient tous les deux. Il était incontestable que, même dans un refuge complètement sécurisé avec de nombreuses mesures de protection, elle était une cible facile.



*



Gabrielle et Carter, son homme pour la nuit, retournèrent à la maison juste après deux heures du matin. Ils étaient tous les deux un peu ivres et Gabrielle dut lui rappeler une fois de plus d’éviter de parler fort parce que Claire dormait.

Ils franchirent le hall en titubant maladroitement puis arrivèrent à la chambre de Claire, où ils partagèrent un long baiser. Gabby se recula et donna à Carter son sourire le plus aguicheur. Il lui rendit la politesse, mais pas trop impatiemment. Elle aimait ça. Il était plus âgé qu’elle (il approchait de la cinquantaine) et il contrôlait mieux son enthousiasme que certains des jeunes informaticiens innocents avec lesquels elle sortait.

Il était beau, distingué et lui rappelait certains amis de son père, ceux qui la contemplaient discrètement quand ils croyaient qu’elle ne le voyait pas. Il attendait qu’elle reprenne les baisers. Quand elle le taquina en restant immobile pour tester sa réaction, il finit par parler.

— Tu as une belle maison, dit-il en faisant semblant de chuchoter.

Si tout se passe bien, tu vas m’aider à payer le loyer pendant un certain temps.

Elle réussit à garder cette pensée pour elle-même et répondit de façon moins opportuniste.

— Merci. Il y a une partie que je tiens particulièrement à te montrer.

Elle désigna le lit d’un hochement de tête.

— Tu me proposes de l’essayer ? Je pense vraiment qu’une visite guidée serait de circonstance.

— Et si tu t’y installais ? Je passe brièvement par la salle de bains pour me rafraîchir et je te rejoins tout de suite.

Carter sourit d’un air approbateur et avança jusqu’au côté du lit. Quand il enleva ses chaussures et commença à sortir sa chemise, Gabby se dirigea vers la salle de bains que partageaient les colocataires. Elle y alluma la lumière et jeta un dernier regard séducteur à Carter avant de refermer la porte derrière elle.

Une fois qu’elle fut dans la salle de bains, elle se rendit directement au miroir. Avant de corriger son maquillage, elle voulait contrôler ses dents. Elle y jeta un coup d’œil rapide et ne vit rien entre elles. Elle prit une gorgée rapide de bain de bouche et le fit tourner dans sa bouche. Elle se préparait à ajouter un soupçon de gris cendré à ses paupières quand elle remarqua un bras posé sur la baignoire auto-portante qui se trouvait derrière elle.

Elle se retourna, étonnée. Claire n’avait pas l’habitude de prendre des bains à cette heure-là. D’habitude, elle se couchait dès qu’elle rentrait, parfois sans même enlever ses vêtements. Si elle était allongée dans la baignoire toutes lumières éteintes, cela signifiait probablement qu’elle était complètement ivre.

Gabby approcha sur la pointe des pieds en priant pour ne trouver qu’une colocataire inconsciente, pas une baignoire couverte de vomi. Quand elle regarda par-dessus le bord de la baignoire, ce qu’elle vit était bien pire.

Claire portait encore la minijupe qu’elle avait mise pour sortir ce soir. Elle était allongée sur le dos dans la baignoire, ses yeux vitreux écarquillés, couverte de sang. Son visage en était zébré et il avait formé une sorte de sauce épaisse et visqueuse dans ses cheveux. Il y avait du sang partout, mais il semblait être surtout venir de sa gorge, qui était massacrée par ce qui semblait être une série de coups de couteau profonds.

Gabby la regarda fixement et ne se rendit compte qu’elle s’était mise à hurler que quand Carter apparut à côté d’elle, la secoua par les épaules et lui demanda ce qui se passait. Un seul coup d’œil à la baignoire lui apporta la réponse. Il recula en trébuchant, choqué, puis sortit son téléphone portable de sa poche.

— Sors d’ici, lui dit-il en la prenant par un poignet et en l’arrachant à l’horreur qui se trouvait devant elle. Va t’asseoir sur le lit. J’appelle la police.

Gabrielle arrêta de hurler, heureuse d’avoir une instruction à suivre. Elle repartit machinalement jusqu’au lit, où elle s’assit, fixant le sol du regard sans vraiment le voir. Derrière elle, elle entendit la voix de Carter, distante et métallique.

— J’ai besoin de signaler un meurtre. Il y a le cadavre d’une femme dans la baignoire. On dirait qu’elle a été poignardée.

Gabby ferma les yeux et les crispa, mais en vain. L’image de Claire, qui gisait sans défense et toute molle dans la salle de bains à seulement quelques mètres, avait été gravée dans sa mémoire.




CHAPITRE TROIS


Le marshal se comportait comme un con. Tout ce que Jessie voulait, c’était aller faire un jogging. Il répétait constamment « C’est une mauvaise idée », ce qui signifiait en fait « C’est interdit ». Il montrait le tapis de course dans le coin du salon comme si cet appareil détenait la réponse à tous ses soucis.

— Mais j’ai besoin de prendre l’air, dit-elle, consciente d’être vraiment trop geignarde.

Le marshal, qu’elle ne connaissait que sous le nom de Murph, n’était pas le mec le plus causant du monde, chose frustrante, vu qu’il était le premier responsable de son équipe de gardes du corps. De petite taille et svelte, avec des cheveux marron clair qui donnaient l’impression qu’il les faisait couper toutes les semaines, il semblait satisfait d’éviter complètement de parler si possible. Comme pour le prouver, il répondit en montrant la cour de derrière d’un signe de tête. Jessie essaya de se rappeler s’il était un des marshals qui avaient été assassinés dans le cauchemar de la nuit dernière. Une partie d’elle-même l’aurait souhaité.

En vérité, Jessie n’avait pas seulement besoin d’air frais ou de faire du jogging. Elle voulait se rendre dans les hôpitaux du coin pour voir si un homme correspondant à la description de son père y était venu depuis sa dernière vérification, avant le jour où elle avait été placée dans ce refuge. L’inspecteur Ryan Hernandez, son ex-collègue, était supposé la tenir au courant sur ce point mais, comme elle n’avait pu contacter personne ces derniers temps, et lui non plus, elle ne savait pas s’il avait trouvé quelque chose.

Jessie était quasiment sûre que le marshal connaissait ses véritables intentions, mais cela ne l’exaspérait pas moins. Enfermée dans cette maison, elle devenait folle et, même si elle savait qu’on l’y gardait pour la protéger, elle avait atteint les limites de sa patience, particulièrement après le rêve de la nuit dernière. Elle avait décidé qu’il fallait que quelque chose change et il n’y avait qu’un moyen pour cela.

— Je veux voir le capitaine Decker, dit-elle fermement.

Le marshal sembla réticent à répondre, comme s’il espérait qu’il pourrait ignorer cette demande comme il l’avait fait avec toutes les autres, mais, bien sûr, il ne le pouvait pas. Jessie ne pouvait pas les forcer à la laisser partir en promenade ou aller à l’épicerie mais, si elle demandait formellement à voir son chef et si cela pouvait se faire sans danger, ses gardes du corps devaient obtempérer.

Lentement et avec un air renfrogné, le marshal leva une main et parla dans le dispositif de communication connecté à son poignet.

— Jabberjay demande une visite autorisée. Veuillez décider.

En attendant la réponse, Jessie resta calme et choisit de ne rien dire sur le nom de code fort peu séduisant qu’on lui avait apparemment attribué.



*



Quatre-vingt-dix minutes plus tard, elle était assise dans une petite salle de conférence dans un coin calme du Poste de Police Central du centre-ville de Los Angeles, attendant l’arrivée du capitaine Decker. Le marshal du nom de Murph qui l’avait accompagnée de la maison jusqu’ici se tenait au fond de la pièce, visiblement encore agacé qu’on l’ait forcé à être là.

Le processus pour arriver à cet endroit, que l’on connaissait en général sous le nom de Poste Central, avait été lourd. Après avoir obtenu l’autorisation formelle pour ce trajet de la part de Corcoran, il avait fallu réunir une équipe et choisir un itinéraire. Bien qu’une grande partie de ces choses ait été prévue, il avait fallu faire les choix finaux.

On avait dit à Jessie de porter une perruque et une casquette à la visière baissée sur les yeux. Alors, le véhicule, conduit par un marshal du nom de Toomey, avec Murph dans le siège du passager, était parti. Une deuxième voiture les avait suivis de loin avec deux autres agents à l’intérieur. Deux agents de plus étaient restés à la maison pour qu’elle reste sécurisée.

Même si c’était le milieu de la matinée, avec un trafic assez léger, à cause des changements de route et des demi-tours de dernière minute, le trajet avait pris plus de quarante-cinq minutes. Une fois au poste, la voiture s’était arrêtée dans le garage et ils avaient dû y rester jusqu’à ce qu’elle soit formellement autorisée par deux policiers en uniforme qui ne savaient pas pourquoi ils le faisaient, sinon qu’ils avaient reçu des ordres de la hiérarchie.

Ce ne fut qu’à ce moment-là que l’on fit passer discrètement Jessie par une entrée latérale, encore avec la perruque, la casquette et une veste ample au col fermé jusqu’en haut pour cacher sa taille et son cou, qui auraient pu révéler son sexe. On l’avait retenue à divers points de contrôle jusqu’à ce qu’il y ait assez peu de monde dans les couloirs pour qu’elle puisse passer.

Quand elle était finalement arrivée dans la salle de conférence, Murph l’avait rejointe à l’intérieur pendant que Toomey avait monté la garde à la porte. Comme Toomey mesurait un mètre quatre-vingt-treize et pesait facilement quatre-vingt-dix-neuf kilos et comme il avait la tête complètement rasée et un air constamment renfrogné, Jessie pensait que personne n’entrerait sans y être autorisé. Un des derniers marshals attendait dehors, à l’entrée qui menait du garage au bâtiment, et le quatrième contournait lentement le pâté de maisons dans sa voiture en vérifiant s’il se passait quelque chose d’inhabituel.

Jessie se força à réprimer la culpabilité qu’elle ressentait parce qu’elle était la cause de toutes ces protections. Elle savait qu’elle venait probablement de dépenser des milliers de dollars d’impôts pour ce qui semblait être un caprice. Pourtant, sa demande ne se limitait pas à cette dimension. Si elle arrivait à convaincre le capitaine Decker d’accepter son plan, le coût de ce court trajet pourrait être remboursé des centaines de fois. Cependant, il faudrait d’abord qu’elle le convainque.

— Vous savez, dit tranquillement Murph du coin, parlant pour la première fois depuis qu’ils étaient entrés dans la pièce, en fait, nous essayons de vous protéger. Vous n’avez pas besoin de nous mettre des bâtons dans les roues tout le temps.

— Je n’essaie pas de vous mettre des bâtons dans les roues, insista-t-elle. J’essaie de vous aider et, malgré ce que pense peut-être votre chef, je suis en fait très bien placée pour le faire.

— Qu’entendez-vous par là ? demanda-t-il pendant que la porte de la pièce s’ouvrait et que le capitaine Decker entrait.

— Vous allez bientôt le savoir, promit Jessie.

Le capitaine Roy Decker, qui semblait essoufflé et irrité, lui lança un regard noir. Âgé de moins de soixante ans, le capitaine du Poste Central paraissait beaucoup plus vieux. Il était grand et mince et, s’il n’était pas totalement chauve, il ne le devait qu’à quelques petites touffes de cheveux. Son visage était parcouru de rides qui s’étaient dessinées au cours de nombreuses années d’un travail stressant. Son nez pointu et ses yeux perçants faisaient penser à un oiseau en quête d’une proie.

— Vous allez bien, capitaine ? demanda Jessie. On dirait que vous êtes venu au pas de course.

— Quand on entend dire que sa profileuse criminelle, qui est censée être cachée par le biais de la protection des témoins, est au bout du couloir, ça donne un peu le vertige. Voulez-vous me dire ce qui est assez important pour que je sois obligé de venir dans ce coin perdu du poste, où l’on trouve plus d’amiante que d’oxygène dans l’air ?

Du coin de l’œil, Jessie vit Murph s’appuyer nerveusement sur un pied puis sur l’autre et sourit discrètement. Il ne savait pas encore que Decker était le roi de l’exagération.

— Absolument, monsieur, mais, avant cela, puis-je demander comment se déroule la recherche de … tout le monde ?

Decker soupira lourdement. Pendant une seconde, il sembla qu’il n’allait peut-être pas répondre, mais, finalement il s’installa dans la chaise qui se trouvait en face de Jessie et parla.

— Pas bien, en fait, admit-il. Vous savez que nous avons capturé un seul évadé de la DNR, Jackson, le premier jour. Nous en avons capturé un autre, Gimbel, deux jours après. Cependant, depuis, malgré des dizaines de pistes crédibles, nous n’avons pas réussi à trouver les deux autres hommes, ni Crutchfield ni Cortez.

— Pensez-vous qu’ils sont ensemble ? demanda Jessie, qui savait déjà que le Marshals Service pensait le contraire.

— Non. Nous avons vu des vidéos de surveillance de Stokes et de monsieur De La Rosa près de l’hôpital quand ils se sont évadés et qu’ils étaient chacun de leur côté. Nous n’avons trouvé aucune vidéo de Crutchfield et de Cortez, mais nous pensons qu’ils sont encore ensemble.

— Mmm, dit Jessie. Si seulement vous aviez une sorte de ressource humaine qui connaisse les deux hommes et puisse vous éclairer sur les modèles comportementaux qu’ils seraient susceptibles de suivre !

Le sarcasme, entièrement conscient de sa part, était difficile à ne pas remarquer. Decker réagit à peine.

— Et si seulement cette ressource n’était pas la cible des hommes même qu’elle connaît, nous pourrions profiter de ces connaissances, répondit-il.

Ils se contemplèrent l’un l’autre en silence pendant un moment. Ni l’un ni l’autre ne voulait céder. Jessie finit par fléchir en se disant qu’il serait une mauvaise idée de se mettre cet homme à dos, vu qu’elle avait besoin de son autorisation.

— Et Xander Thurman ? Avez-vous eu plus de chance avec lui ?

— Non. Il est complètement indétectable.

— Même avec toutes ses blessures ?

— Nous avons surveillé tous les hôpitaux, toutes les cliniques sans rendez-vous et toutes les cliniques gratuites. Nous avons même envoyé des alertes aux vétérinaires. Sans résultat.

— Dans ce cas, cela signifie une des deux choses suivantes, conclut Jessie. Soit il a accès à une autre personne dotée de compétences médicales, soit, dans un des endroits où vous avez demandé, quelqu’un ment, peut-être sous la menace. Jamais il n’aurait pu guérir de ces blessures sans aide. Ce n’est pas possible.

— Je le comprends, Hunt, mais nous n’avons pas plus d’informations pour l’instant.

— Et si vous en aviez d’autres ? demanda-t-elle.

— Que voulez-vous dire ? demanda Decker.

— Je sais comment il opère et je sais aussi comment Crutchfield opère. Des crimes que la plupart des inspecteurs trouveraient peut-être ordinaires pourraient avoir des caractéristiques que je pourrais attribuer à l’un de ces deux hommes. Si je pouvais consulter les fichiers des affaires récentes et suivre les pistes les plus prometteuses, nous pourrions peut-être avoir plus de chance.

Du fond de la pièce, Murph prit la parole.

— Cela me paraît imprudent.

Jessie fut heureuse de l’entendre dire ça. Rien n’irritait plus Decker que d’entendre des gens extérieurs à la section donner leur avis. Si Decker considérait que le marshal se mêlait de ce qui ne le regardait pas, cela ne pourrait que l’inciter à se ranger du côté de Jessie. Quand elle vit son patron froncer les sourcils, elle resta calme pour laisser son agacement produire son effet.

— Quelle était précisément votre idée ? lui demanda Decker les dents serrées.

Jessie n’attendit pas qu’il change d’avis.

— Je pourrais étudier les agressions violentes et les meurtres qui se sont produits au cours des quelques dernières semaines pour voir si l’un d’eux me fait penser à l’un de ces deux tueurs. Si l’un d’eux correspond, je pourrai suivre les pistes les plus prometteuses.

Decker resta assis silencieusement, réfléchissant apparemment à l’idée de Jessie. Par contre, Murph ne garda pas son calme.

— Monsieur, vous ne pouvez pas sérieusement envisager de faire ça après tous les efforts que le Marshals Service a déployés pour lui trouver un refuge.

Continue de protester, s’il te plaît. Tu ne fais que creuser ta propre tombe.

Decker semblait lutter contre ses conflits intérieurs. Il était clair que, même si Murph l’agaçait, il considérait qu’il avait dit quelque chose de sensé. Cependant, Jessie sentait aussi qu’il se passait autre chose dans sa tête, une chose qu’elle ne comprenait visiblement pas.

— Écoutez, finit-il par dire. J’ai dit que nous avions des quantités de pistes mais, en fait, nous en avons peut-être trop. Rien qu’essayer de faire le tri a été difficile. Nous avons demandé de l’aide au Sheriff’s Department et à d’autres postes de police voisins. Même l’antenne locale du FBI a contribué en offrant quelques agents pour les affaires qu’elle pense être pertinentes. Actuellement, nous sommes à court de ressources. Ce n’est pas parce que nous avons cinq psychotiques de plus en cavale que tous les autres criminels ont pris des vacances. Il y a deux jours, un gang a frappé. Quelqu’un abandonne des aiguilles hypodermiques sur les aires de jeux du coin. Votre vieux copain, l’inspecteur Hernandez, est occupé à résoudre un triple homicide, à cause duquel il est à Topanga Canyon aujourd’hui. De plus, nous sommes dans la deuxième semaine d’une énorme épidémie de rougeole.

— Qu’en pensez-vous, capitaine ? demanda Murph.

Pour la première fois, Jessie pensa entendre un soupçon de résignation dans sa voix.

Decker révéla finalement le secret qu’il avait gardé jusque-là.

— En fait, il y a une affaire qui est arrivée cette nuit et je crois que vous pourriez aider à la résoudre, Hunt. Le crime a eu lieu à Studio City, donc, c’est North Hollywood Station qui s’en occupe, mais le FBI s’est intéressé à cette affaire et lui a assigné un agent. Je me disais que je pourrais vous mettre en binôme avec lui.

— De quoi s’agit-il ? demanda Jessie en gardant une voix calme malgré l’excitation qui montait en elle.

— D’un meurtre à l’arme blanche, très sordide. Pour l’instant, il n’y a ni mobile ni suspects. Cela dit, vos deux gars sont des amateurs de gros couteaux, pas vrai ?

— C’est vrai, acquiesça-t-elle.

— Il pourrait n’y avoir aucun rapport, concéda-t-il, mais c’est la première des agressions que j’ai étudiées qui me semble coller au profil.

— Donc, vous prévoyez de la laisser aller sur le terrain ? demanda Murph, alors qu’il connaissait la réponse.

— Eh bien, je me dis qu’avec un agent du FBI comme collègue et plusieurs marshals des États-Unis pour la surveiller, elle devrait être en sécurité. Est-ce que je me trompe ?

— Capitaine Decker, répondit Murph d’un ton neutre, le Service considère en général qu’aucune personne protégée n’est jamais véritablement en sécurité. De plus, de mon point de vue, si vous laissiez cette personne protégée aller sur le terrain pour qu’elle enquête sur un meurtre qui a peut-être été commis par un des hommes contre lesquels nous essayons de la protéger, ce serait particulièrement imprudent.

— Mais, lança Jessie, finalement prête à avancer l’argument qu’elle avait gardé en réserve, ce ne serait pas vraiment pire que le statu quo. Cela fait presque deux semaines que je suis sous protection, mais nous n’avons découvert sur les hommes qui me cherchent aucune information susceptible de changer ce statu quo. Il coûte une petite fortune à la ville, à la Police de Los Angeles et au Marshals Service, sans que nous en voyions l’aboutissement. Vu comment c’est parti, je pourrais véritablement être forcée d’acquérir une nouvelle identité … pour la deuxième fois de ma vie !

— Ce n’est pas comme ça que nous voyons la situation … commença à dire Murph.

— S’il vous plaît, laissez-moi terminer, Marshal, dit-elle d’une voix de laquelle toute trace d’humour narquois ou d’impertinence venait de disparaître. Il faut que cette situation prenne fin. Toutes les nuits, j’ai des cauchemars où mes gardes du corps se font massacrer. Je sursaute au moindre bruit inattendu et je me recroqueville au moindre mouvement soudain. Je suis prisonnière dans cette maison, alors que je n’ai rien fait de mal. Ce n’est pas comme ça que je veux vivre. Je préférerais essayer d’attraper ces mecs et en mourir que passer le reste de mes jours à vivre dans la peur. J’ai les compétences et l’expérience requises pour trouver les deux hommes qui me veulent du mal. Permettez-moi de les utiliser. Ce n’est pas une demande déraisonnable.

Decker et Murph échangèrent un regard. Après ce qui sembla être une éternité, le marshal parla.

— Je m’arrangerai avec Corcoran, concéda-t-il avant d’ajouter : si vous acceptez certaines conditions.

— Quelles conditions ? demanda Jessie qui aurait pourtant été capable d’accepter presque tout à ce stade.

— Votre protection rapprochée restera avec vous tout le temps et vous n’essaierez pas de nous semer. Vous continuerez à passer les nuits dans le refuge. Vous accepterez toutes les mesures de sécurité sur le terrain, même les manœuvres d’évasion que vous considérerez peut-être excessives. Lors de n’importe quel scénario sur le terrain, vous respecterez les opinions des marshals, même si elles vous semblent être d’une prudence excessive. Si nous disons qu’il faut partir, vous accepterez de partir sans poser de questions. Acceptez-vous ces conditions, Mme Hunt ?

— Oui, dit-elle sans hésitation, même si elle ne comptait pas forcément les respecter.

— Dans ce cas, si mon supérieur l’autorise, vous pouvez poursuivre.

Jessie regarda Decker, qui semblait être en train de réprimer un sourire.

— Et si je vous présentais votre collègue temporaire ? proposa-t-il.




CHAPITRE QUATRE


Jessie était déçue.

L’agent du FBI qui avait été affecté à la section pour l’affaire du meurtre à l’arme blanche ressemblait à un vieux joueur de base-ball auquel on avait demandé de revenir sur le terrain parce que tous les débutants étaient blessés. Quand elle alla à sa rencontre, Jessie remarqua que cet homme, apparemment âgé d’une quarantaine d’années, avait un ventre d’une taille surprenante pour un agent du FBI.

En plus, ses cheveux, étonnamment longs et décoiffés, étaient presque tous argentés. Son visage ridé par les éléments et son odeur de sel suggéraient qu’il avait passé plus de temps sur une planche de surf qu’à étudier des affaires criminelles. Son blazer était effiloché au col et sa cravate nouée approximativement. Enfin, bien que ce soit encore le matin, il avait déjà accumulé une quantité impressionnante de taches de nourriture sur son pantalon froissé.

— Jack Dolan, dit-il en tendant une main quand elle approcha mais sans offrir d’autre salutation.

— Jessie Hunt, dit-elle en essayant de ne pas grimacer quand il lui serra la main très fort.

— Ah, oui. La tristement célèbre profileuse criminelle fille de tueur en série qui écoute à l’oreille des psychotiques et qui se cache des hommes qui veuillent l’assassiner dans la nuit.

— C’est ce que dit ma carte de visite, répondit sarcastiquement Jessie, qui n’aimait pas toutes les hypothèses que cet homme formulait d’entrée de jeu.

— Agent Dolan, coupa Decker en mettant fin à l’échange glacial, comme le meurtre à l’arme blanche de Studio City a plusieurs caractéristiques qui rappellent potentiellement les modes d’action de Xander Thurman et de Bolton Crutchfield, nous avons décidé que Mme Hunt devrait se joindre à vous pour évaluer si l’un d’eux pourrait en être responsable.

Dolan regarda Decker, puis Jessie et finalement Murph.

— Donc, demanda-t-il, apparemment perplexe, est-ce que ça veut dire que je vais faire du baby-sitting, maintenant ? Ou allons-nous faire équipe indépendamment ?

Jessie ouvrit la bouche en se demandant ce qu’elle pourrait répondre sans y mêler des jurons, mais, avant qu’elle n’ait pu prononcer ne serait-ce qu’un mot, Decker intervint.

— Considérez qu’elle est votre collègue pour toute la durée de l’affaire. Je suppose que votre collègue vous protégerait, n’est-ce pas, agent Dolan ? C’est pareil.

Dolan se tut. Du coin de l’œil, Jessie vit Murph réprimer un sourire. Elle se tourna vers Decker.

— Puis-je vous parler en privé un moment ? demanda-t-elle.

Il hocha la tête et ils commencèrent à sortir dans le hall.

— Attendez, dit Murph. L’agent et moi, nous allons sortir. Vous deux, parlez ici ; moins de gens vous voient, le mieux ce sera.

Quand Murph et Dolan furent partis, Jessie se tourna vers Decker, le regard éclatant de colère.

— Est-ce une sorte de punition ? Est-ce pour cela que vous me mettez avec ce mec ? Ne pouvez-vous pas extraire Hernandez de l’affaire sur laquelle il travaille et me mettre en binôme avec lui ?

— L’inspecteur Hernandez est indisponible, répondit laconiquement Decker. Nous ne pouvons pas « extraire » des inspecteurs de triples homicides pour satisfaire les caprices des autres membres du personnel. Vous ne pourrez pas voir Hernandez dans un avenir proche, ou alors, cela signifierait qu’il ne ferait pas son travail. De plus, Dolan est plus que qualifié pour cette affaire. Enfin, c’est lui que le FBI a mis à disposition. Donc, trouvez un moyen de travailler avec lui. Autrement, vous pouvez repartir au refuge. À vous de voir, Hunt.



*



Le trajet jusqu’à Studio City fut particulièrement désagréable.

Dolan était visiblement contrarié de devoir être transporté sur le siège arrière d’une berline conduite par un marshal des États-Unis. Murph et Toomey n’étaient pas ravis de conduire de deux enquêteurs maussades et Jessie était contrariée par quasiment tout le reste.

Malgré ce que Decker avait dit, elle avait l’impression d’avoir trois baby-sitters dans la voiture, avec deux de plus dans le véhicule derrière eux. Son « collègue » considérait apparemment que son implication dans l’affaire n’était rien d’autre que de la poudre aux yeux. Quant aux marshals, ils n’aimaient visiblement pas qu’on les prenne pour des valets de rang supérieur. Quand ils arrivèrent sur la scène du crime, tout le monde était sur les nerfs.

Toomey trouva facilement l’endroit. C’était la maison charmante de style espagnol et d’un seul niveau devant laquelle une demi-douzaine de voitures de police étaient garées et dont l’accès était interdit par des quantités de rubans jaunes de la police. Il y avait aussi deux camions de la télévision. Il dépassa tous ces véhicules et se gara au milieu du pâté de maisons, où on ne les verrait pas.

— Comment allons-nous procéder ? demanda-t-il aux autres. Nous ne pouvons pas accepter que les gens voient Hunt entrer dans cette maison. Si c’est Thurman ou Crutchfield qui ont fait ça, ils regarderont de près pour voir si elle se montre, et même si ce n’est pas eux qui l’ont fait, il ne faut pas que son visage apparaisse sur tous les journaux télévisés.

Jessie attendit de voir si l’un d’eux allait proposer la solution la plus évidente. Quand personne ne le fit, elle prit la parole.

— Allez derrière la maison, ordonna-t-elle. Il n’y avait pas de descente de garage. Cela signifie que la ruelle de derrière donne accès à un garage. Il sera fermé aux équipes de télévision et ils ne pourront pas garer leurs gros camions là-bas, de toute façon. Nous devrions pouvoir entrer sans que les caméras ne se rapprochent.

Comme personne ne sembla avoir d’objection à formuler, Toomey redémarra la voiture et fit ce que Jessie avait recommandé. Par radio, il appela les autres marshals pour leur communiquer le plan et leur conseilla de rester dans la rue principale.

Comme prévu, la ruelle étroite était bloquée par des voitures de patrouille à chaque bout. Ils se rangèrent et sortirent. Murph et Dolan montrèrent leurs badges au premier inspecteur qu’ils rencontrèrent, qui les laissa passer sans demander à Toomey ni à Jessie de prouver leur identité. Jessie en fut soulagée, car elle voulait éviter de révéler son identité à qui que ce soit, même à un policier.

Ils passèrent par le portail de derrière et montèrent les marches de la véranda pour accéder à l’entrée, où un autre inspecteur leur demanda leur identité. Il semblait ne pas vouloir les laisser passer sans voir la carte de chacun d’entre eux, mais Dolan se pencha vers lui, lui chuchota quelque chose que Jessie ne put entendre et l’inspecteur hocha la tête et recula pour les laisser passer.

Quand ils passèrent la porte, Jessie essaya d’oublier tous ses ennuis de la matinée et de se concentrer sur ce qui l’entourait. Elle était en train de travailler sur une affaire et la victime, qui qu’elle soit, méritait toute son attention.

La porte de derrière donnait sur la cuisine, qui était contemporaine et bien équipée avec tous les appareils les plus récents. En fait, tout avait l’air si immaculé que Jessie soupçonna que la cuisine avait été entièrement rénovée dans les six derniers mois. D’une certaine façon, l’endroit lui rappelait les maisons McMansion flambant neuves de tous les couples de nouveaux riches du Comté d’Orange, où elle avait brièvement habité avant d’apprendre que son maintenant ex-mari, Kyle Voss, était un violent sociopathe.

— Qui habite ici ? demanda-t-elle à personne en particulier.

Un agent en uniforme assez jeune aux cheveux blond roux qui se tenait dans le coin l’entendit et approcha.

— Je pensais que les inspecteurs avaient tous fini, dit-il.

— Le FBI est venu apporter son aide, précisa Dolan en montrant son badge et en regardant le badge nominatif du jeune policier. Que pouvez-vous nous dire, agent Martin ?

— Eh bien, monsieur, répondit Martin, cette maison est louée par deux femmes, Gabrielle Cantu et Claire Stanton. Stanton est la victime. Elle avait vingt-trois ans. Cantu et son copain l’ont trouvée tôt ce matin.

— Où est Cantu, maintenant ? demanda Jessie.

— Chez son copain, répondit l’agent Martin. Il habite de l’autre côté de la colline, près de Mulholland Drive. Elle n’a pas de famille en ville, donc, il a dit qu’il allait lui permettre de loger là jusqu’à ce qu’elle se sente mieux. Visiblement, elle aimerait ne jamais revenir ici.

— Où le corps de Stanton a-t-il été trouvé ? demanda Dolan.

— Dans la salle de bains, dit Martin. Je vais vous montrer.

Quand il les emmena dans le hall, Jessie remarqua que les marshals Murph et Toomey gardaient leurs distances. Ils semblaient peu intéressés par les détails de l’affaire et préféraient examiner toutes les autres personnes (les agents, les gens qui analysaient la scène de crime) qui se trouvaient dans la maison. Même dans une maison pleine d’agents du maintien de l’ordre public, ces agents étaient tous considérés comme des menaces potentielles contre la personne protégée qui, dans cette affaire, était Jessie.

Elle se demanda quel travail Gabrielle et Claire faisaient pour pouvoir se permettre de louer un endroit aussi chic alors qu’elles avaient moins de trente ans. Elle supposa qu’elles étaient peut-être deux associées dans des cabinets d’avocats chics.

Cependant, l’expérience qu’elle avait acquise dans ce travail lui suggérait qu’elles étaient plus probablement des mannequins ou des filles de riches, ou alors des actrices. Or, aussi cliché que ce soit, vu qu’elles habitaient dans la vallée de San Fernando, elles étaient d’autant plus probablement actrices dans des films pour adultes.

Le salon avait une télévision à grand écran avec des enceintes à son multicanal, des sofas en cuir et un bar. Quand ils quittèrent le hall pour entrer dans les chambres, Jessie remarqua qu’elles ne contenaient pas grand-chose d’artistique. Il y avait des bibelots et des outils technologiques, mais rien qui suggère que les résidents aient prévu d’habiter longtemps à cet endroit.

Quand ils atteignirent la première chambre, l’agent Martin s’arrêta.

— C’était la chambre de Claire Stanton, dit-il. La salle de bains mène à la chambre de l’autre fille, Gabrielle. C’est là que Gabrielle a trouvé Claire, qui était dans la baignoire.

— Est-ce que l’équipe de police scientifique a fini là-dedans ? demanda Jessie. Peut-on entrer ?

— Oui. Le corps a été emporté. Je peux demander au chef de la police scientifique de vous envoyer les photos par SMS, si vous voulez.

— S’il vous plaît, dit Jessie en entrant dans la salle de bains.

Même si le corps avait été emporté, il restait des traces du carnage. Le reste de la salle de bains semblait ne pas avoir souffert, mais la baignoire, un modèle indépendant démodé installé au milieu de la pièce, était couverte de sang, dont une grande partie avait coulé et formé une mare sombre et visqueuse près du tuyau d’évacuation.

Pendant que Jessie examinait la scène, les photos de la police scientifique arrivèrent sur son téléphone. Elle les afficha et Dolan, qui avait reçu le même message, fit de même sur son appareil.

Dans le premier plan large, on voyait le corps de Claire Stanton allongé dans la baignoire, sur le dos, un bras tendu par-dessus le bord. Elle avait les yeux ouverts et le sang coulait de son cou, lui couvrait la poitrine et une grande partie du visage.

Malgré cela, Jessie voyait que cette fille avait été belle, encore plus belle que les innombrables jolies filles de Hollywood qui voulaient devenir actrices. Blonde et menue, avec des membres tonifiés et bronzés, elle ressemblait à la majorette en chef d’une grande université.

D’autres photos montraient des gros plans de son cou et des dégâts qui lui avaient été infligés. Même si c’était difficile d’en être sûr, au premier regard, il semblait que les blessures soient trop découpées et irrégulières pour avoir été pratiquées par la plupart des couteaux. Si Jessie avait dû deviner, cela ressemblait plus au travail opéré par un tournevis ou …

— Des clés, dit Dolan.

— Quoi ? demanda l’agent Martin du coin de la pièce.

— Ces blessures à son cou, on dirait que quelqu’un les a pratiquées par perforation avec de longues clés. Est-ce que la police scientifique a émis des hypothèses ?

— Je n’étais pas là quand ils ont évalué la scène, Inspecteur, admit-il.

— Je crois que vous avez raison, dit Jessie. Les marques de perforation semblent venir d’angles différents et avoir atteint des profondeurs différentes, presque comme si l’assaillant avait tenu plusieurs clés et les avait toutes enfoncées en même temps.

— Je ne savais pas que vous aviez été formée en analyse de scène de crime, dit Dolan en levant les yeux d’un air sceptique.

— Je n’ai pas reçu cette formation, mais j’ai appris à voir ce que j’ai devant mes yeux, répliqua-t-elle. De plus, j’ai de l’expérience en agressions au couteau. Plus important, je suis formée en comportement psychologique. Or, d’après les images préliminaires que nous voyons ici, je dirais que nous avons probablement affaire à un crime passionnel plutôt qu’à un crime planifié.

— Pourquoi dites-vous ça ? demanda Dolan sans contester l’hypothèse.

— Si le coupable avait planifié le crime, il est difficile d’imaginer qu’il ait pu choisir des clés comme arme. Elles sont trop difficiles à utiliser et d’une efficacité douteuse. Ce meurtre semble avoir été plus impromptu.

— Un crime passionnel ? répéta Dolan sur un ton taquin.

— C’est un cliché, mais oui.

— Cela ne va pas vraiment dans le sens de l’idée selon laquelle ce serait Crutchfield ou Thurman, fit-il remarquer. D’après ce que je comprends, ils sont très méticuleux tous les deux.

— Certes, ça rend leur implication moins probable.

— Quand l’appel a-t-il été passé ? demanda Dolan en se retournant vers l’agent Martin.

— Peu après deux heures du matin. Cantu et son copain revenaient d’une nuit de fête. Elle est allée dans la salle de bains et y a trouvé son amie. Le copain, Carter Harrington, a appelé la police.

Dolan marcha dans la salle de bains pendant quelques secondes de plus. Il avait l’air de s’ennuyer.

— Je crois que nous avons appris tout ce que nous pouvions ici pour l’instant, dit-il en se tournant vers Jessie. Et si on allait voir Gabrielle Cantu afin de recueillir son témoignage ?

Jessie hocha la tête. Elle sentait qu’il essayait de faire avancer les choses. Visiblement, si cette affaire n’était pas liée à l’un de leurs tueurs en série d’exception, il voulait l’établir rapidement pour pouvoir laisser tomber l’affaire et Jessie par la même occasion.

Même si cela lui paraissait froid comme façon d’agir, Jessie ne pouvait pas vraiment lui en vouloir. Il poursuivait les tueurs en série, pas les victimes de meurtres maladroits à coups de clés, et, même si Jessie n’aimait pas l’admettre, elle aussi.




CHAPITRE CINQ


Quel que soit le travail du copain de Gabrielle, Carter Harrington, c’était un travail qui rapportait gros. Le fichier que Jessie lut pendant le trajet indiquait seulement qu’il était investisseur du marché, ce qui pouvait presque tout signifier. Son manoir sécurisé de Briar Summit Drive, juste à côté de Mulholland Drive, était sur trois niveaux et donnait aussi bien sur la vallée de San Fernando que sur l’ouest de Los Angeles. Quand ils eurent sonné et qu’on les eut laissés entrer, la voiture contenant Jessie, Dolan, Murph et Toomey roula sur la longue descente de garage qui menait au parking circulaire situé devant la maison. Les autres marshals restèrent à l’extérieur de la propriété, dans leur véhicule.

Carter Harrington sortit les accueillir. Il avait presque cinquante ans, les cheveux poivre et sel et un physique qui suggérait qu’il avait des quantités de temps pour faire de la gymnastique. Il était habillé de façon décontractée, avec un polo, un pantalon brun clair et des sandales. Il souriait mais, à voir ses yeux rouges et troubles, il était clair qu’il avait passé une nuit blanche.

— Carter Harrington, dit-il en tendant la main à Jessie en premier puis à Dolan. Désolé de faire votre connaissance en de pareilles circonstances.

— Je comprends, dit Jessie. Je suis Jessie Hunt de la Police de Los Angeles et voici Jack Dolan du FBI. Merci d’avoir accepté de nous recevoir aussi rapidement.

— Le FBI ? répéta Harrington, visiblement étonné. Et les inspecteurs auxquels j’ai parlé à la maison ?

— Oh, ils sont encore la première équipe qui travaille sur cette enquête, dit Dolan avec désinvolture, mais nous traitons cette affaire selon une approche multi-juridictionnelle. Ce n’est pas si inhabituel que ça.

Harrington sembla accepter cette réponse qui, pour Jessie, n’avait absolument aucun sens. D’ailleurs, c’était probablement pour cela que Dolan l’avait dite.

— Où est Mme Cantu ? demanda-t-elle.

— Oh, oui, dit-il comme s’il venait de se souvenir pourquoi ces gens étaient venus ici. Gabby est dans le salon et elle regarde la télévision. Elle a pris une dose de Zoloft pour se clamer les nerfs, mais elle est réveillée. Vous êtes arrivés au moment idéal, si ça se trouve. Elle est consciente, mais pas agitée.

— Génial, dit Dolan. Vous pourrez peut-être nous donner votre version des événements pendant que nous allons la rejoindre.

— Bien sûr, acquiesça Harrington avant de remarquer que seul Murph les accompagnait alors que Toomey restait près de la voiture.

— Euh, que fait votre ami, là ? demanda-t-il.

— Oh, il est ici pour nous soutenir psychologiquement, dit Dolan d’un air impassible. Ne faites pas attention à lui, ni à l’autre. Hunt et moi, on s’occupe de l’essentiel.

— OK, dit Harrington en les emmenant dans la maison sans insister alors qu’il était visiblement dérouté par cette façon de faire les choses.

— Donc, dit Jessie en essayant de changer de sujet, que faisiez-vous à la maison la nuit dernière ?

— Ah, oui, dit-il, paraissant soudain mal à l’aise en marchant dans le couloir lambrissé qui s’étendait devant eux. Gabby et moi, ce soir-là, on était sortis. C’était notre premier rendez-vous et nous sommes allés danser dans quelques clubs. Elle m’a invité à venir chez elle et j’ai accepté. J’étais en train de … m’installer dans sa chambre pendant qu’elle allait une minute à la salle de bains. Soudain, je l’ai entendue hurler et je m’y suis précipité. J’y ai trouvé ce que vos collègues y ont trouvé. Sa colocataire gisait dans la baignoire. J’ai appelé la police tout de suite. Nous sommes allés dans le salon et nous y sommes restés jusqu’à l’arrivée des policiers.

— Vous n’aviez jamais rencontré Claire ? demanda Dolan.

Harrington s’arrêta à l’entrée d’une grande pièce qui, supposa Jessie, devait être le salon. Elle entendit le son de la télévision en bruit de fond.

— Non. Je ne savais même pas que Gabby avait une colocataire. Comme je l’ai dit, c’était notre premier rendez-vous. Avant ça, nous avions seulement échangé des SMS et parlé au téléphone.

— Comment avez-vous rencontré Gabby ? demanda Jessie en essayant d’avoir l’air aussi décontractée que possible.

— Sur un site de rencontres, répondit-il simplement.

Est-ce que votre femme le sait ?

Jessie fut tentée de poser la question à voix haute mais décida de la garder pour plus tard, au cas où elle en aurait besoin. Le cercle de peau pâle sur l’annulaire autrement bronzé de Harrington indiquait qu’il avait très récemment divorcé ou qu’il avait enlevé son alliance à cette occasion.

— Pouvez-vous faire les présentations ? demanda Dolan. Nous ne voulons pas l’effrayer en entrant trop soudainement.

— Bien sûr, dit Harrington en les emmenant dans le salon caverneux avec son plafond voûté et ses baies vitrées qui montaient du sol au plafond.

— Gabby, dit-il d’une voix ferme mais douce, il y a des gens qui sont venus te voir.

Une femme allongée sur la chaise longue releva la tête. Même si elle avait l’air épuisée et si ses yeux étaient rouges après, pensait Jessie, avoir passé des heures à pleurer, elle était quand même ravissante. Plus exotique et sensuelle que Claire, qui avait eu l’air entièrement américaine, elle avait de longs cheveux foncés qui tombaient en cascade sur ses épaules. Quand elle se redressa, Jessie vit qu’elle avait la sorte de corps voluptueux qui aurait pu inciter quelqu’un comme Carter Harrington à cacher son alliance.

— Qui sont ces gens ? demanda-t-elle, mi-effrayée, mi-rebelle.

— Je m’appelle Jessie, Gabby, répondit Jessie avec gentillesse en prenant l’initiative. Je vous présente Jack. Nous faisons partie de l’équipe qui enquête sur les événements de la nuit dernière. Nous savons que vous avez déjà répondu à certaines questions, mais nous en avons quelques autres à vous poser. Pensez-vous que vous pourrez y répondre ?

— J’imagine, dit Gabby à contrecœur.

— Merci, dit Jessie en approchant et en s’asseyant sur le sofa le plus proche de la chaise. Nous allons essayer de faire vite. Je sais que vous devez être épuisée.

Gabby hocha la tête, puis regarda vers le coin de la pièce.

— Et lui, c’est qui ? demanda-t-elle en montrant le marshal des États-Unis qui s’était posté entre l’entrée du salon et le couloir dans lequel ils venaient de passer.

— C’est Murph, dit Jessie. Il n’est pas très causant, mais il est vraiment intelligent. Il va surtout écouter. Jack et moi, on va poser les questions. Pourrais-tu t’asseoir, Jack ?

Elle indiqua de son mieux à son collègue qu’il fallait qu’il s’asseye parce qu’il faisait peur à Gabby. Semblant comprendre le message, Dolan s’assit.

— Bien, allons-y, Gabby, commença Jessie. Savez-vous si quelqu’un avait menacé Claire récemment ? Peut-être un ex ou un collègue avec lequel elle se serait disputée ?

Gabby resta tranquillement assise un moment et réfléchit.

— Pas que je sache, dit-elle finalement. Elle était adorable. Il était difficile de se mettre en colère contre elle.

— Vraiment ? insista Jessie. Quand je vois une jolie fille comme elle, je me dis qu’elle a probablement dû dire non à quelques admirateurs déçus.

— Peut-être. Sans doute. Pourtant, elle était vraiment douée pour rompre gentiment avec ses mecs. Comme hier, où je l’ai entendue dire à quelqu’un au téléphone qu’elle ne pouvait plus le voir. Elle l’a dit de manière vraiment gentille.

— Donc, elle a vraiment eu une dispute récemment, fit remarquer Dolan.

— Au fait, oui, sans doute, dit Gabby, semblant ne se rendre compte que maintenant que l’appel de Claire correspondait à la situation que Jessie avait décrite.

— À qui parlait-elle ? demanda rapidement Jessie, qui ne voulait avoir l’air d’accuser personne.

— Je ne sais pas. À l’autre bout de la ligne, la voix était forte, mais j’étais dans une autre pièce et je ne voulais pas que Claire sache que j’écoutais sa conversation. Ne pouvez-vous pas retrouver cette conversation quelque part ?

— Oui, nous le pouvons, Gabby, dit Jessie d’un ton rassurant. Que pouvez-vous nous dire d’autre sur la nuit dernière ?

— J’ai déjà parlé aux autres inspecteurs du rendez-vous qu’elle avait ce soir-là. D’habitude, elle conservait toutes les informations sur son téléphone.

— Est-il possible qu’elle ait emmené son copain à la maison, comme vous l’avez fait avec Carter ? demanda Jessie.

— J’en doute, dit Gabby en s’installant un peu plus dans la chaise et en donnant l’impression de perdre un peu sa concentration.

— Pourquoi ? demanda Jessie.

— Elle n’aimait pas remmener ses mecs dans notre maison. Si elle les … appréciait, elle allait en général chez eux. Elle n’aimait pas que les gens sachent où elle habitait. Elle avait eu quelques mauvaises expériences, vous savez ?

— En fait, dit Dolan d’un ton agacé, nous ne savons pas, mais cela semble être le type même de piste que nous devrions étudier. Pouvez-vous nous donner des noms ?

— Aucun ne me revient, dit Gabby sans remarquer qu’elle se contredisait souvent. Je n’ai pas vraiment retenu qui étaient ses copains, même s’il lui est parfois arrivé de mentionner un nom. J’ai pensé que, si ce n’était pas assez important pour elle, je n’avais pas besoin de m’en souvenir, moi non plus.

Jessie pensait que, à elles deux, elles avaient dû avoir tant de copains que dresser la liste des noms pourrait être difficile. Elle se tourna vers Carter Harrington, qui changeait de pied tout le temps, mal à l’aise, comme si la conversation abordait des sujets qu’il préférait éviter. Alors que Jessie se demandait si c’était le moment d’évoquer ces sujets-là, Dolan intervint.

— Mme Cantu, dit-il d’un ton qui ne faisait plus semblant d’être chaleureux, il est tout à fait clair que vous nous cachez certaines choses. Je ne sais pas si vous en êtes consciente, mais mentir à un agent fédéral est un crime.

Jessie sentit le découragement l’envahir. Cette fille était déjà fragile et la menacer semblait être contre-productif.

— Je ne mens pas … commença à affirmer Gabby.

Dolan l’interrompit.

— Même dire que vous ne mentez pas pourrait être interprété comme un mensonge, fit-il remarquer. Dans vos rendez-vous et ceux de Claire, il y a visiblement des éléments que vous refusez de nous communiquer. Je le comprends. Vous ne voulez pas vous incriminer. Pourtant, vous voyez, nous finirons par tout découvrir de toute façon, tôt ou tard. Les seules questions sont : est-ce que ce sera tôt ou tard et est-ce que vous allez coopérer ? Si c’est tôt et que vous collaborez, nous pourrons être très accommodants. Si c’est tard et si vous ne collaborez pas, nous pourrons y aller à la dure.

Gabby avait l’air terrifiée. Jessie essaya de calmer un peu le jeu sans remettre en question l’autorité de Dolan. Elle décida d’être moins terrifiante au lieu d’être seulement gentille.

— Gabby, pour l’instant, si vous nous aidez, cela pourrait nous permettre d’attraper celui qui a fait ça à Claire. À chaque seconde que nous passons dans l’ignorance, son tueur a plus de temps pour cacher son implication et effacer ses traces. Vous ne voudriez pas être responsable de cet échec, n’est-ce pas ?

Elle secoua la tête.

— Et vous ne voulez pas non plus être accusée d’avoir contrarié le déroulement d’une enquête fédérale, ajouta énergiquement Dolan.

— Non, chuchota Gabby.

— Dans ce cas, répondez, exigea-t-il.

— Nous n’avons enfreint aucune loi, insista-t-elle sur un ton plaintif. C’est juste que nous … sortons avec beaucoup de mecs. Surtout des mecs plus âgés, parfois mariés.

— Êtes-vous des escort girls ? demanda Dolan, refusant d’être délicat.

— Non ! dit-elle catégoriquement. Nous les laissons juste nous acheter des trucs. De temps à autre, nous touchons le jackpot et l’un d’eux devient un … Avez-vous déjà entendu le terme de « papa gâteau » ?

— Oui, dit Dolan, réussissant admirablement à s’exprimer sans condescendance cette fois-ci.

— Eh bien, c’est ce que nous cherchons, dit-elle.

Alors, elle se tourna vers Harrington et ajouta :

— Sans vouloir offenser qui que ce soit.

— Croyez-moi, dit Jessie, rien de tout cela ne le choque. Il savait dans quoi il s’engageait. Poursuivez.

— Donc, quand l’une de nous trouve un papa gâteau, il accepte habituellement de nous aider à payer notre loyer et d’autres choses comme ça. Parfois, ça peut durer quelques semaines. Parfois, ça dure pendant des mois. En général, nous changeons souvent de mecs mais, parfois, ça donne quelque chose de plus. L’une de nous peut devenir une sorte de maîtresse professionnelle pendant quelque temps. Finalement, quand ça devient ennuyeux, on casse. Ça devient presque toujours ennuyeux. Parfois, c’est l’homme qui arrête, en général s’il craint que sa femme ne se rende compte de ce qui se passe.

— Comment sa femme pourrait-elle s’en rendre compte ? demanda Jessie, qui sentait venir la réponse. Et n’oubliez pas ce que l’agent Dolan a dit sur ceux qui mentent au FBI.

— Il est possible que Claire ou moi-même disions à un mec que sa femme devrait savoir la vérité. D’habitude, ça les effraie. Parfois, ils nous donnent même un peu plus pour que nous gardions le silence.

— On appelle ça de l’extorsion, signala Dolan.

— De la quoi ? dit Gabby, sincèrement perdue.

— Vous ne vouliez pas poursuivre la relation ? demanda rapidement Jessie, qui ne voulait pas se perdre dans les problèmes secondaires. N’espériez-vous pas que l’homme en question quitterait sa femme pour vous ?

— Vous rigolez ? demanda Gabby, qui avait presque l’air insultée. J’ai vingt-trois ans. Je ne suis pas prête à me ranger. Comme ça, j’ai tous les avantages, mais je peux encore aller faire la fête sans être tenue en laisse par quelqu’un. Le but, c’est de s’amuser sans avoir à travailler trop dur. Je veux dire, je me rangerai peut-être quand je serai vieille, à vingt-six ans ou quelque chose comme ça, mais, pour l’instant, je veux m’amuser.

Il y eut un long silence dans la pièce. Personne ne semblait savoir comment réagir à cet aveu. Jessie essaya de comprendre que, pour Gabby, à près de trente ans, elle était âgée.

— Comment trouvez-vous ces hommes ? réussit-elle finalement à demander.

— Il y a un site web qui s’appelle « The Look of Love » ou « LOL » en abrégé. Il aide les hommes mûrs et riches à rencontrer des jeunes femmes amicales pour sortir avec elles. Ce qui arrive après, ça les regarde.

— Est-ce que vous postez un profil sur le site ? insista Jessie.

— Oui. Comme ça, les mecs peuvent trouver des filles qui leur plaisent. De plus, ça permet au site de vérifier les antécédents des mecs, pour raisons de sécurité.

Jessie et Dolan levèrent les yeux vers Harrington, qui s’était retiré dans un coin du salon et regardait par une des immenses fenêtres qui donnaient sur Santa Monica.

— Avez-vous été soumis à une de ces vérifications ? lui demanda Dolan.

Harrington se retourna, soupira profondément et vint les rejoindre.

— Oui, admit-il.

— Vous ne craigniez pas que ce site web garde un fichier client sur vous ? demanda Jessie.

— J’en ai entendu parler par l’intermédiaire d’un ami qui m’a dit que c’était un bon site. Il connaît la personne qui gère le site, donc, il y a une certaine responsabilité. De plus, c’est un cercle très exclusif. Il y a peut-être quinze à vingt clients et moins de cent filles. Tous les participants ont intérêt à rester discrets.

— Nous allons avoir besoin du nom de l’exploitant du site, lui dit Jessie.

Harrington blêmit.

— Mais, comme Gabby l’a dit, rechigna-t-il, cette pratique n’a rien d’illégal. C’est juste un service de rencontres très exclusif.

— Nous ne cherchons pas à le fermer, lui assura Jessie, qui aurait pourtant bien aimé le faire. Nous avons juste besoin d’accéder au profil de Claire et à son historique de rencontres.

— Est-ce que vous diriez que c’est moi qui vous ai fourni l’information ? gémit-il.

— Seulement si nous sommes forcés de le faire, dit Dolan, faisant preuve, selon Jessie, de plus de déférence envers Harrington qu’envers Gabby.

— Ne vous inquiétez pas, ajouta-t-elle sèchement. Vous devriez pouvoir cacher cette histoire à votre femme, ou du moins jusqu’au procès.

— Quoi ? demanda-t-il, sincèrement horrifié.

— M. Harrington, dit-elle en sachant qu’elle ressentait plus de plaisir à dire ça qu’elle ne l’aurait probablement dû, quand nous attraperons le coupable, il ira au tribunal. Vous devrez témoigner en audience publique. Donc, vous feriez mieux de trouver dès maintenant un moyen d’expliquer votre « rendez-vous » à Mme Harrington. Peut-être devriez-vous l’appeler avant qu’elle ne revienne du voyage prolongé qu’elle fait pour l’instant, celui dont vous profitez pour vous promener si agréablement avec Gabrielle. Je vous souhaite bonne chance.




CHAPITRE SIX


Jessie était ahurie.

— Pouvez-vous répéter ça ? demanda-t-elle, incrédule.

— Vous m’avez entendu, dit Dolan alors qu’ils se tenaient dans la descente de garage devant le manoir des Harrington. Maintenant, cette affaire est close et je repars au poste.

— L’affaire n’est pas close, lui rappela-t-elle. Il y a un assassin avec des clés maculées de sang qui court dans la nature.

— Ce n’est pas mon problème, dit nonchalamment Dolan. L’affaire est close relativement à Crutchfield et à Thurman. Il est clair que le coupable n’était pas l’un d’eux. Or, comme je recherche ces deux hommes-là, cette affaire est officiellement de priorité inférieure. De plus, les inspecteurs de North Hollywood pourront s’en occuper sans problème. Ils n’auront qu’à obtenir des noms de la part du site de rencontres et trouver quels hommes n’ont pas d’alibi. Je parie qu’ils auront plié ça dans douze heures, sans notre aide.

Jessie savait qu’il avait raison. Les inspecteurs originaux, qu’elle n’avait même pas rencontrés, étaient probablement plus que capables de résoudre cette affaire. De plus, il ne semblait plus y avoir de lien avec les tueurs en série qui la menaçaient. Il était donc difficile de justifier qu’il fallait qu’elle continue à chercher le tueur.

Pourtant, elle voulait vraiment le faire. Ses raisons n’étaient pas toutes altruistes. L’une d’elle était simplement le frisson de la chasse au coupable. Comme cela faisait maintenant plusieurs jours qu’elle était prisonnière de cette maison de la WITSEC, elle n’avait pas pu satisfaire ce plaisir. Maintenant qu’elle avait pris du goût à la chasse, elle ne pouvait pas simplement dire à son instinct de la laisser en paix.

Elle savait aussi que, si le capitaine Decker pensait comme Dolan que cette affaire n’était pas liée aux deux tueurs en série, son expérience et ses compétences en médecine légale, qu’elle avait tellement mises en avant, perdraient tout leur intérêt. La seule raison pour laquelle on lui permettait de travailler sur cette affaire, c’était parce qu’il semblait qu’elle pourrait mieux comprendre la psychologie du tueur. Si ce n’était plus vrai, alors, elle n’aurait plus aucune raison d’être là et cela signifiait probablement qu’on la renverrait dans cette maison de Palms où elle s’ennuierait et passerait sûrement d’innombrables heures à se morfondre à côté de la piscine. Pour éviter ça, elle était prête à tout.

Finalement, sans tenir compte de sa propre situation, il y avait cette fille. Jessie avait vu le visage de Claire, si jeune et si belle, figé sous un masque de peur. Elle avait vu les perforations affreuses qui avaient transformé son cou en immonde bouillie. Ce n’était pas parce que Claire Stanton n’était pas la victime d’un tueur en série qu’elle n’avait pas droit à la justice, elle aussi. Si Jessie pouvait aider à la venger, elle avait l’obligation de le faire. Elle ne pouvait pas se contenter de laisser tomber cette affaire parce que ça ne l’arrangeait pas de travailler dessus. Donc, elle mentit.

— Nous ne sommes pas encore certains que ce n’est pas l’œuvre de Crutchfield ou de Thurman, dit-elle finalement.

L’effet fut indiscutable. Murph et Toomey se retournèrent, surpris.

— De quoi parlez-vous ? demanda Dolan, incrédule. Ce meurtre ne porte les marques d’aucun des deux.

— Il n’en porte aucune marque évidente, dit-elle avec une conviction impressionnante, mais ces hommes sont tous deux très intelligents. Ils savent forcément que, s’ils utilisaient leurs méthodes habituelles, ils seraient aussitôt repérés. Utiliser des clés comme arme du crime leur permettrait à tous les deux de satisfaire cette pulsion meurtrière sans révéler leur implication. En fait, cette manœuvre détournerait efficacement les soupçons et, actuellement, elle semble fonctionner avec vous.

Dolan la regarda fixement avec un mélange de perplexité et de frustration et un soupçon d’admiration.

— Essayez-vous vraiment de me convaincre que Thurman ou Crutchfield, qui sont tous deux pourchassés pendant que l’un d’eux est gravement blessé, ont prit le temps d’aller dans la vallée de San Fernando et d’assassiner une escort girl au hasard avec une arme qu’ils n’avaient jamais utilisée ?

Jessie écouta sa diatribe avec un sourire poli, sachant que cela ne ferait que l’exaspérer encore plus.

— Je n’ai pas besoin vous en convaincre, agent Dolan. Il me suffira d’en convaincre mon capitaine. N’hésitez surtout pas à abandonner cette affaire et je continuerai à travailler dessus toute seule. Comme vous l’avez remarqué, il y a deux tueurs dangereux en cavale et, de mon côté, je compte faire tout mon possible pour les retrouver, mais faites ce que vous voulez.

— Vous êtes vraiment une forte tête, dit Dolan.

Jessie ouvrit la portière de la voiture en souriant gentiment et y entra.

— C’est ce qu’on m’a dit.



*



L’assurance de Jessie s’effondra rapidement.

Au poste, alors qu’elle attendait de pouvoir convaincre le capitaine Decker, il se passait quelque chose. Personne ne disait ouvertement de quoi il s’agissait, mais l’ambiance était électrique.

Elle se demanda s’ils avaient découvert une piste plus crédible pour retrouver l’un ou l’autre des deux hommes, ce qui retirerait toute crédibilité à l’argument contestable qu’elle comptait utiliser pour qu’on la laisse poursuivre son travail sur l’affaire Stanton. Si tel était le cas, elle n’avait pas de plan B. En tout cas, quelle que soit la cause de cette agitation, elle était de taille. On fit entrer Jessie dans la même salle de conférence isolée, où elle attendit en vain pendant vingt minutes avec Murph. Dolan avait disparu.

— Savez-vous ce qui se passe ? demanda-t-elle à Murph.

Il la regarda, légèrement satisfait de son inconfort.

— Comment pourrais-je savoir quoi que ce soit ? demanda-t-il. J’ai été coincé ici avec vous.

— Vous avez cette oreillette, signala-t-elle. Je suis sûre qu’on vous communique des nouvelles.

— Je ne peux rien vous dire, répondit-il.

Il semblait apprécier de se retrouver en position de supériorité après avoir été guère mieux qu’un simple chauffeur pendant plusieurs heures. Avant que Jessie ne puisse répondre, la porte s’ouvrit et Decker et Dolan entrèrent tous les deux.

— Il y a des nouvelles, dit le capitaine sans préambule.

Jessie comprit immédiatement que, quelles que soient les nouvelles, elles n’étaient pas bonnes. Le visage déjà profondément ridé de Decker l’était encore plus que d’habitude et il semblait réticent à croiser le regard avec Jessie. D’une façon ou d’une autre, elle savait que les nouvelles étaient liées à sa personne. Decker semblait hésiter à poursuivre. Derrière lui, Dolan avait l’air encore plus taciturne que d’habitude.

— Allez-y, capitaine, dit-elle en se préparant. Je peux supporter ça.

— On a retrouvé Ernie Cortez.

Cela aurait dû être une excellente nouvelle. Ernie était l’agent de sécurité de la DNR qui avait tué ses collègues et aidé Bolton Crutchfield à s’évader. Si on l’avait retrouvé, ils allaient finalement pouvoir bénéficier d’une piste sur l’endroit où se cachait Crutchfield, mais l’attitude de Decker et de Dolan suggérait qu’elle ne devait pas trop espérer.

— Je sens que ce n’est pas tout, dit-elle.

— Il est mort, soupira Decker.

— De crise cardiaque ? demanda Jessie d’un air sceptique tout en essayant de lutter contre la panique insidieuse qu’elle sentait monter en elle.

Dolan dévoila tout le reste.

— On l’a trouvé dans une benne à ordures, dans une ruelle située à environ six pâtés de maisons d’ici. Il avait été éventré du sternum au bassin. Ses entrailles gisaient à côté de la benne. C’est grâce à ça qu’on a réussi à le trouver.

Jessie se pencha en arrière sur sa chaise en essayant de digérer les nouvelles. Crutchfield avait discrètement noué des liens avec Ernie pendant des années, surtout pour le séduire. Il avait tellement bien réussi qu’Ernie avait volontairement massacré six de ses propres collègues pour plaire à un tueur en série, et maintenant, Crutchfield s’était débarrassé de lui avec brutalité et sans cérémonie.

Pourquoi ? Est-ce qu’Ernie l’avait déçu ou mis en colère d’une quelconque façon ? Est-ce qu’il s’était retourné contre son maître ?

Pourtant, Jessie savait que cela ne pouvait pas être la raison principale de sa mort ou, autrement, il n’aurait pas laissé le corps aussi près de l’endroit où il savait que Jessie travaillait. C’était un message et elle en était la destinataire.

— Qu’est-ce que vous n’avez pas dit ? Quelle partie craignez-vous de me dire ?

Les deux hommes se regardèrent l’un l’autre. Dans le coin de la pièce, Murph examina ostensiblement ses chaussures.

— Il a laissé un message, dit finalement Decker. Il était plié en un carré minuscule et placé dans une petite poche en plastique, qui était clouée au palais de Cortez. Le message vous était adressé.

— Bien sûr, dit Jessie, plus résignée que choquée. Est-ce que vous l’avez emmené ?

— C’est la police technique qui l’a pour l’instant, mais nous l’avons scanné.

— Puis-je le voir ? demanda Jessie.

Decker hocha la tête, afficha l’image sur son téléphone puis lui tendit son appareil. Jessie reconnut immédiatement l’écriture de Crutchfield et ne sut que penser de cette familiarité. Le message était plus court et plus direct qu’elle ne s’y était attendue et ne contenait qu’une petite quantité du langage fleuri que Crutchfield utilisait d’habitude. Il disait :



Mlle Jessie,

J’espère que vous êtes en bonne santé. Je vous prie de m’excuser pour le mode de livraison de mon message. Je sais que vous aimiez bien Ernie, même si je soupçonne que cette affection a dû diminuer ces derniers temps. Je pensais que vous souhaiteriez peut-être savoir que j’ai récemment eu une conversation avec votre père. Il … craignait que ma loyauté envers lui n’ait été compromise par le temps que j’avais passé en votre compagnie. Quelle accusation ! Cependant, il a cessé de s’en soucier. Je prévois qu’il sera bientôt suffisamment guéri de ses blessures pour essayer de vous revoir. Attendez-vous à le voir bientôt. Ce devrait être une réunion entre tueurs. Puisse le Thurman le plus fort l’emporter !





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Dans LE SOURIRE IDÉAL (Tome 4), la profileuse criminelle Jessie Hunt, 29 ans, fraîchement diplômée de l’Académie du FBI, doit résoudre une nouvelle affaire dérangeante : une femme d’une trentaine d’années a été assassinée après avoir utilisé un site web de rencontres pour sortir avec des hommes mariés.Est-ce qu’elle a trop fait confiance à un des hommes mariés ?Est-ce qu’elle a été victime d’un chantage ? D’un harceleur ?Ou y avait-il un mobile beaucoup plus malveillant ?La liste des suspects emmène Jessie dans des quartiers riches et impeccablement entretenus, derrière le voile de vies en apparence idéales qui sont en fait pourries jusqu’à la moelle. Le tueur, comprend Jessie, doit se cacher derrière un de ces sourires faux et artificiels.Essayant à la fois d’attraper un tueur et de soutenir sa propre psyché fragile, Jessie doit sonder les profondeurs de sa psychose. Pendant ce temps-là, son propre père assassin est dans la nature et ne reculera devant rien pour la tuer.Thriller psychologique haletant aux personnages inoubliables et au suspense terrifiant, LE SOURIRE IDÉAL est le tome 4 d’une nouvelle série captivante dont vous tournerez les pages tard dans la nuit.Le tome 5 de la série de Jessie Hunt sera disponible bientôt.

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