Книга - Le Ciel De Nadira

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Le Ciel De Nadira
Giovanni Mongiovì


Sicile, XI siècle, Nadira est une jeune fille innocente d’origine berbère, qui vit en se soumettant aux décisions de son frère; comme lorsqu’on lui annonce qu’elle devra devenir une des épouses de l’émir de sa ville. Cependant, ses yeux sont tellement étranges et envoûtants qu’ils attirent l’attention de plus d’un prétendant. Bien vite la renommée d’une malédiction se répandra : les hommes qui croiseront son regard ne pourront plus éviter de la désirer et essayer de l’avoir.

Les yeux de Nadira et ce ciel sans limite qu’ils rappellent, provoqueront la seconde guerre que la Sicile musulmane vivra. En attendant , les frères de Hauteville, de terribles guerriers normands, attendent n’importe quel prétexte pour pouvoir traverser la mer, dans le but de commencer une croisade contre les maures.

“ Quelque chose de si extraordinairement irrésistible et maudit au point de secouer irrémédiablement les désirs de celui qui le regarde, peut-il réellement exister ? “

Les yeux bleus atypiques de Nadira semblent prouver qu’il en est ainsi.

Sicile, XI siècle. Nous nous trouvons aux derniers actes de la domination arabe : les émirs des principales villes de l’île sont en guerre entre eux et les forces chrétiennes, attendent une excuse pour intervenir et entreprendre leur guerre sainte contre l’ennemi musulman.

Nadira est une jeune fille innocente d’origine berbère qui vit en se soumettant aux décisions de son frère ; comme lorsqu’on lui annonce qu’elle devra devenir une des épouses de l’émir de sa ville. Cependant, ses yeux sont tellement étranges et envoûtants qu’ils attirent l’attention de plus d’un prétendant. Bien vite la renommée d’une malédiction se répandra : les hommes qui croiseront son regard ne pourront plus éviter de la désirer et essayer de l’avoir.

Les yeux de Nadira et ce ciel sans limite qu’ils rappellent, provoqueront la seconde guerre que la Sicile musulmane vivra. En attendant , les frères de Hauteville, de terribles guerriers normands, attendent n’importe quel prétexte pour pouvoir traverser la mer, dans le but de commencer une croisade contre les maures.

Conrad se trouve dans tout cela, lui aussi normand, mais ayant grandi parmi les siciliens chrétiens. Son ambition est sans limite et sa vengeance envers les dominateurs musulmans dépasse le bon sens.

Le destin de Conrad finira par croiser ce “ciel de Nadira” et le mystère qui se cache derrière la nature de ces yeux là. Cependant, il parviendra à vaincre le danger que la beauté de Nadira représente,    uniquement s’il saura dévoiler ce qui lie le coeur d’un homme au désir qui le soumet au mal.

La guerre est encore en pleine rage, devenue désormais une bataille de cultures et de religions, lorsque du terrain de la haine, commence à naître la tolérance…. une espérance entretenue par celui qui a su mettre de l’ordre dans les inquiétudes de son âme.

Un environnement multiculturel, une aventure racontée de tous les points de vue, une histoire objective et d’une saveur actuelle, un roman que les amants de fictions historiques et d’aventures ne peuvent ignorer.





Giovanni Mongiovì

Le Ciel de Nadira




Giovanni Mongiovì




LE CIEL DE NADIRA




Regnum

En couverture: les yeux de Luana (avec son aimable permission) ; bouclier normand, Athènes, Musée de la Guerre.



giovannimongiovi.com (http://giovannimongiovi.com/)



Copyright © 2019 – Giovanni Mongiovì



Copyright © 2020 – Loretta Barbarossa (traductrice)


Il n’est pas nécessaire que j’écrive l'indescriptible, que j’ose la description de l' immensément parfait, la conscience à laquelle je m'élève est déjà de la poésie, la plus haute et propre , écrite par des mains intangibles , conçue par d’excellents esprits, inspirée


par un cœur incommensurable ; mon amour, nous nous sommes re-trouvés dans l'art de Dieu :


" qu’un être en aime un autre d’amour de plus en plus


indissoluble”


Que je t'aime plus chaque jour …




A Valentina et Tommaso….lustru dê me òcchii…




Avant-propos


Même les milles fleuves qui se jetteront en mer ne porteront jamais le nom des eaux dans lesquelles ils aboutissent, pour la simple raison que la mer ne peut être la raison d’un fleuve. De la même manière, le principe ne peut décalquer la définition du but, ni en dépasser son importance. Que l’on regarde la source d’un fleuve sur les hautes falaises d’où il se lève, qu’on en goûte ses eaux, et sur cette base qu’on lui attribue un nom.

Ce n’est pas l’action qui fait l’homme, ce n’est pas la main qui accompli l’acte, mais le cœur, là d’où s’élève le motif, la raison de tout. L’essence du péché originel ne fut pas le fruit cueilli mais tout ce qui déplaça ce geste .

C’est ainsi que la cupidité peut se cacher dans toute chose, dans la chair succulente, dans la rougeur du vin, dans les formes d’une jeune fille… où de cette façon, au moins, elle justifie celui qui cède. La vérité est qu’elle se cache exclusivement dans les yeux et dans le cœur de celui qui sent ce feu qui consume, cette flamme dévorante qu’est la concupiscence.

Parmi les illustres de ces peuples de l’antique lignée grecque, une histoire était racontée, une de ces histoires qui ont résisté au baptême du christianisme et à l’épée de l’Islam. Penthésilée, une puissante amazone, fut appelée à se battre pour la défense des chevaux de Troie. C’était une très belle femme et comme cela arrive souvent dans les mythes grecs, les déesses l’enviaient. Pour cette raison, Aphrodite voulu la punir par la plus terrible des peines : tout homme qui l’aurait vue aurait éprouvé un désir si irrésistible de la posséder qu’il aurait sans aucun doute tenté de la violer. Penthésilée se cacha sous son armature autant qu’elle pu, sauf que durant une bataille, Achille la tua et la dépouilla de ses armes. A ce moment seulement, il fut évident que la peine de Penthésilée dépassait même la mort… Achille ne pu lui résister…

Au delà de ce mythe, peut-il vraiment exister quelque chose de si extraordinairement irrésistible et maudit qu’il secoue irrémédiablement le désir de celui qui regarde ? Une beauté d’une telle puissance capable de faire émerger la malice des cœurs, mais ambivalente au point de faire ressortir les nobles vertus dans l’âme des méritants.

L’histoire suivante est la première… parmi tant d’autres histoires, d’hommes et femmes et du sang qui lie chacun d’eux à leur passé et au futur à venir. C’est l’histoire de cette terre, de ses peuples, de ses guerres, de ses vices et de ses qualités dormantes

Toutefois l’histoire qui suit est vraiment la première histoire et en tant que telle est l’originale… en tant qu’originale elle ne peut que parler de ce même désir qui porta, en principe, l’homme à son premier péché.




PARTIE 1 – L’ÉTRANGER LIÉ AU POTEAU





Chapitre 1


Hiver 1060 (452 de l’hégire), Rabaḍ di Qasr Yanna



Là, dans cette vallée où les norias[1 - Noria : de l’arabe ”nā’ūra”. Est une roue hydraulique qui a l’objectif de soulever les eaux à un ni-veau supérieur en exploitant le courant du fleuve.] ne cessent de tourner… là où le mont Qasr Yanna pose ses racines… là sur cette plaine où se trouve le Ra-baḍ[2 - Rabaḍ : littéralement ”bourg”. Village qui en général se trouve à l’extérieur des remparts de la ville principale.]…

La vallée aux pieds de l’antique Enna se perdait vers l’orient ; des siècles d’engagement arabe l’avaient rendue plus fertile qu’elle n’aurait pu l’être. En regardant vers l’ouest, Qasr Yanna[3 - Qasr Yanna : nom de la ville d’Enna durant la période arabe. De ”qasr” qui signifie château et ”Yanna”, littéralement Enna ; donc ” Château d’Enna ”. Durant la période normande, à cause d’une interprétation erronée du nom arabe, la ville fini par être appelée ”Castrogiovanni”.], le nombril de la Sicile se profilait au dessus du mont. Vers l’est, en bas du plateau, le regard se perdait sur des dizaines de collines, bois, prairies, pâturages et torrents….

Mais aussi sur les hautes roues hydrauliques, capables de soulever l’eau de la vallée… et des canaux creusés pour la transporter vers les potagers. Le village avait peu de maisons, peut-être une trentaine, et seulement une petite mosquée, comme pour témoigner combien le lieu avait peu d’im-portance.

Midi était à peine passé et au travers d’un terrain destiné à la culture des potirons, deux hommes traînaient par les aisselles un jeune homme d’environ trente ans.

Il pointait ses pieds nus au sol, tellement il avait peur de la capture, il semblait vouloir creuser les sillons généralement fait par une charrue. Il tenait le regard baissé, et ne montrait que sa tête et ses cheveux courts à ceux qui l’observaient. C’était l’hiver et maintenant ses chevilles s’enfonçaient dans la boue froide que la pluie du matin avait formée.

Le jeune homme portait un pantalon et une tunique déchirée. Les autres avaient des habits très différents : colorés et d’une coupe large. Un des deux avait une espèce de turban et ils portaient tous les deux une barbe et des cheveux longs.

Quand ils arrivèrent avec le misérable prisonnier dans les rues du Ra-baḍ, tous les curieux se rassemblèrent. Au village, tout le monde se connaissait et connaissait les habitants de la dernière maison au fond de la rue avant les potagers, la maison des chrétiens, les seuls du Rabaḍ.

On travaillait avec entrain dans toute la région pour rendre le terrain toujours plus adapté à la vie ; l’aire entière était vouée à l’agriculture, les familles se formaient dans des villages qui se propageaient parmi les collines. Il n’existait ni noble ni guerrier, mais seulement des paysans qui travaillaient pour eux mêmes et pour le collecteur d’impôts du Qā’id[4 - Qā’id : littéralement ”maître” ou ”leader”. Indiquait un chef ou un commandant.] de Qasr Yanna.

La maison de ce dernier se trouvait à l’opposé de la maison des chrétiens, sur le point le plus élevé. Une large cour interne partiellement clôturée apparaissait devant la grande maison, c’est de là que les trois arrivèrent après avoir parcouru les petites rues en labyrinthe et les typiques cours des centres arabes. Ils lièrent le jeune malmené exactement au centre de l’endroit où l’on montait le marché, ils le lièrent aux mains et celles-ci au poteau. Ils tirèrent ensuite la corde vers le haut, en la bloquant à une bifurcation naturelle du bois dans la poutre située sur la tête du condamné pour qu’il ne puisse ni s’asseoir et ni se plier.

Maintenant un homme du Qā'id entra en scène, un type trop jeune pour le rôle qu’il recouvrait, appelé Umar. Un homme d’un bel aspect : d’origine berbère, d’une peau d’une couleur à peine olive, avec de beaux yeux profonds et noirs, et un nez droit bien proportionné. Sa barbe cachait son âge et le faisait ressembler à son père, Fuad, lui aussi collecteur d’impôts du Qā'id, disparu depuis presque deux ans.

En sortant du bureau des taxes, situé sur le côté de la maison, Umar tira par les cheveux la tête du prisonnier et l’obligea à le regarder dans les yeux. Vu les ecchymoses que cet homme portaient sur le visage, il semblait évident que les deux hommes l’avaient malmené à cœur joie.

Donc, ils furent tête à tête et rien ne séparait ces fiers yeux noirs qui fixaient les yeux encore plus fiers mais verts du prisonnier.

“ Ainsi tu as cru pouvoir m’insulter et t’en tirer comme ça… ” dit Umar.

Mais celui-ci ne répondit pas ; non pas parce qu’il ne comprenait pas l’arabe, mais parce que n’importe quelle parole aurait été inutile.

“ Ça ne vaut pas la peine de perdre du temps. ” ajouta le collecteur d’impôt.

Puis il fit un signe de la tête à un des deux qui l’avait ramené lié, et ce-lui-ci, en lui arrachant la tunique, le fouetta à l’aide une corde mouillée.

Les habitants du village regardaient, et personne n’avait le courage de mettre pieds outre la clôture de la cour. Ni les gémissements avortés, ni les saignements qui apparaissaient sur le dos de cet homme ne les impressionnèrent.

Chacun commentait avec son voisin qu’une telle chose n’était jamais arrivée au Rabaḍ.

La famille de celui-ci se cachait parmi la foule, en ayant le bon sens et la pudeur de ne pas parler. Les seuls absents étaient ceux de la maison du collecteur d’impôts, sa mère, sa femme et sa sœur, elles préféraient ne pas se mêler aux affaires du chef de famille.

Quand ensuite la personne chargée de cette torture termina son service et laissa à lui même le jeune homme lié au poteau, la foule retourna à ses mentions. Ils le laissèrent là, à la merci du froid, de la soirée et du gel de la nuit.



Ce n’est que vers minuit que quelqu’un eut la pitié et la permission de lui donner une couverture. Les hommes de Umar le lui permirent, en com-prenant que passer la nuit à la rigueur du plein hiver parmi les monts de Qasr Yanna aurait été trop pour n’importe qui.

De nombreuses personnes virent ce jeune homme trembler et sauter pour rester en mouvement durant une grande partie de la nuit. Puis, au matin, quand il montèrent le marché tout autour de la cour, ils le virent s’endormir pendu par les poignets ; il semblait un sac noué à un tronc d’arbre. Quelqu’un le cru même mort et alla jusqu’à s’en assurer en lui flanquant une gifle.

L’après-midi arriva de nouveau ; maintenant le condamné ne mangeait ni ne buvait depuis un jour entier. Un troupeau de chèvres stationnait dans la cour, en bêlant et en mordant des brins d’herbe. Ce chant d’animaux de pâturage calma l’homme lié au pilori qui croyait ses genoux brisés et ses poux détachés… Puis, à un certain moment, il avertit une sorte de présence et rouvrit les yeux ; en effet quelqu’un était en train de l’observer depuis un moment. A trois pas de distances une jeune fille aux yeux ébahis le fixait. De très beaux yeux, aux traits merveilleux, jamais vu par la majorité des personnes, mais que le condamné et tous les autres du Rabaḍ connaissaient. Des yeux bleus d’un turquoise si intense à s’y perdre sans retour ; une étrange couleur qui vers l’extérieur de l’iris avait des nuances d’un bleu foncé comme la profondeur de la mer. Des yeux capables de provoquer la confusion de l’esprit et la damnation des cœurs.

La jeune fille portait un habit vert avec des décorations jaunes et bleues de formes typiques des gens de l’Afrique du Nord, elle tenait étroitement sur le visage un voile qui cachait ses traits. L’aspect physique du caractère exotique, si différent de ceux des indigènes de l’île, constituait la base pour l’œuvre incommensurable de ses yeux qui apparaissaient de manière atypique. Une boucle rebelle s’échappait de la constriction du voile rouge et révélait la tonalité brune de ses cheveux.

Quand le prisonnier la vit, il baissa de nouveau le regard et donc, en la regardant à nouveau peu après, il récita lentement :

“ Connais-tu, oh mon Dieu, le ciel de Nadira, les frontières de ses yeux ? ”

Elle le regarda perdue et demanda : ” Comment connais-tu ces paroles ? ” Depuis que Qā'id a visité ces lieux, les vers de cette poésie se sont diffusés dans tout le village et même outre. ” Donc, en la fixant d’un regard troublé, il la supplia :

“ Détache-moi, Nadira, ma Dame, je t’en prie ! ”

Mais elle semblait impassible, perdue par cette demande qu’elle ne par-venait pas à accueillir.

“ Je ne connais pas les frontières de tes yeux, Nadira… mais je peux t’en expliquer les origines si tu le désires… Cependant, donnes-moi au moins un peu d’eau… ”

A cela Nadira rentra chez elle sans se retourner et sans donner d’importance à cette requête ; le cliquetis des bracelets de ses chevilles résonnait dans toute la cour pendant qu’elle courrait vers l’entrée, toute refroidie à cause de l’habillement trop léger et inadapté pour l’extérieur.

L’eau n’arriva jamais au condamné, mais dès que Nadira arriva chez elle et vit Umar, son frère, qui comptait son argent sur une table, elle lui demanda :

“ Qu’a fait ce chrétien pour que tu lui réserves un tel traitement ? ” Maintenant elle ne se couvrait plus le visage et on voyait clairement comment ses lèvres charnues et son nez parfait contournaient harmonieusement ses yeux.

“ Qui ? ”

“ L’homme lié au poteau là dehors ”

“ Sa famille a refusé de payer la jizya[5 - Jizya : impôt personnel que le non-musulman, le dhimmi, payait aux autorités musulmanes.]. ”

Donc Umar retourna compter son argent sur la même table, croyant l’avoir liquidée par une seule phrase.

“ Il va congeler ! Cela fait déjà deux jours qu’il est là lié à ce poteau. ” ” Depuis quand le sort des infidèles te préoccupe t’il ? ”

“ Ce matin j’ai vu tes enfants jouer autour de cet homme. Tu aurais dû voir comment la petite le regardait ! ”

“ Je le délierais, sois tranquille mais une autre nuit fraîche ne lui fera pas de mal. ”

“ Mais enfin, Umar, cette nuit il pourrait geler plus qu’hier. ”

“ Nous lui donnerons une autre couverture. Tu as bien vu que je n’ai pas empêché ta sœur de l’aider ? ”

“ Umar le magnanime ” ! Que penses-tu de ce nom ? ” fit-elle sarcastiquement.

A cela il soupira et d’un geste de colère donna un coup de bras à la pile de dirham[6 - Dirham : monnaie d’argent encore utilisée dans beaucoup de pays musulmans.] en argent gagné par les taxes et le commerce.

“ Et je devrais me faire insulter par ces personnes ? ” lui demanda t-il, en élevant légèrement la voix.

“ Tu as dit qu’ils ont refusé de payer ; sais-tu s’ils ont pu ? Cette famille est la plus pauvre du Rabaḍ tout entier.

Rappelle-toi comment notre père nous faisait perdre une taxe ou un hommage pour ne pas opprimer les pauvres. ”

“ Les dhimmi[7 - Dhimmi : sujet non musulman, qui dans les pays gouvernés par la sharia jouit d’un pacte de protection (Dhimma) réservé en premier lieu aux appartenant des grandes religions monothéistes, juives et chré-tiennes, et qui jouissent à leur tour de certains droits, uniquement à condition de respecter une série d’obligations comme le paiement de la jizya.] avaient toujours payé, même avec notre père. ”

“ Encore mieux ! Si tous les protégés ont toujours payés, qu’est-ce qu’une seule fois pourrait faire ? ”

“ Un tel Corrado, le rouge, quand son père s’est présenté sans avoir sur soi la taxe pour la protection des infidèles croyant en Dieu, s’est avancé et en me regardant dans les yeux avec un air de défi, m’a dit :

“ Nous travaillons pour votre famille depuis vingt ans… la jizya, nous vous la donnerons quand nous l’aurons, autrement, contentes-toi du simple fait que nous travaillons pour toi. ”

Puis il s’en est allé dans ses potagers comme si de rien n’était. Com-ment aurais-je dû le traiter ?

“ Mais cela après avoir frappé son père sur la joue ! ” se mêla Jala, leur mère, qui, ayant entendu les tons depuis l’autre pièce, ne voulait pas que la discussion entre frère et sœur ne dégénère.

Nadira ressemblait beaucoup à Jala, à l’exception de ses insolites yeux bleus et de sa peau d’une nuance plus claire. En plus, Nadira était bien plus grande que Jala, qui aimait dire avec orgueil que sa fille était un pal – mier de femme par le fait de sa stature et de son physique longiligne.

Donc, Umar se releva et, en entendant les accusations, répondit :

“ Mère, tu ne peux comprendre ces questions ! Comment peut-on déter-miner si quelqu’un ne peut pas ou ne veut pas payer ? La punition sert à faire désister les menteurs ”

“ Nos gens ont toujours été une communauté unie, loin des intrigues, des jalousies entre races et religions différentes… et même des guerres. La maison des chrétiens au fond de la rue, est la seule du Rabaḍ. Elle a toujours été traitée dignement. A ce sujet, ton père savait ce qui était juste. C’est peut-être toi qui a raison….. mais pas au Rabaḍ de Qasr Yanna ; ici, nous nous sommes toujours aidés réciproquement. Hier les gens regardaient stupéfaits la manière dont tu as traité ce garçon. Notre métier est de par lui même déjà un métier détesté… il est juste que tu sois respecté, mais pas qu’ils aient peur de toi. ”

“ Qā'id demandera des comptes à son ‘āmil[8 - Āmil: littéralement ” agent ” chargé de recueillir la jizya pour la verser dans les caisses de l’État.] si les caisses sont vides. Et puis, depuis quand est-ce un crime de frapper un infidèle ? Nous leur avons permis de rester assis en présence d’un frère, nous leur avons per-mis de seller le mulet, nous avons permis à leurs femmes d’utiliser les bains en même temps que les nôtres… alors qu’ailleurs tout cela n’arrive pas. D’ailleurs, ils pourraient nous demander d’en rendre compte.

“En attendant, Nadira s’était réfugiée dans le lieux où elle allait étant enfant, sous la fronde d’un gros mûrier situé dans la propriété de la mai-son. Elle ne comprenait pas pourquoi une chose si importante devait lui arriver. Elle ne se sentait pas à la hauteur, elle pensait n’avoir rien fait pour mériter les attentions du Qā’id et une proposition de cette portée. Elle pleurait et tremblait…. donc elle appuya le dos contre le tronc et, les yeux fermés, elle se rappela la raison des évènements d’aujourd’hui. Mais ce chrétien que tu as fouetté a pris l’épée quand les soldats de Jirjis Maniakis pillèrent le village, et pourtant les dhimmi sont exemptés de guerre et ne peuvent porter d’armes. ”

“ Alors saches que je pense que cette réalité est erronée et ma tâche sera de rétablir l’ordre des choses. Qu’ils se soumettent à l’Islam eux aussi comme ont fait tant de chrétiens qui habitaient cette terre s’ils ne veulent pas être traités de manière différente.

Donc, maintenant Nadira répondit :

“ Et toutes ces choses depuis quand les penses-tu ? Depuis quand es-tu devenu le beau-frère du Qā'id ? ”

“ Et toi, fillette, depuis quand as-tu appris à répondre à ton walī[9 - Wali : dans la religion islamique, indique le parent masculin de l’épouse, dont le consentement est nécessaire pour la célébration du mariage.], protecteur et garant ? Depuis que le Qā'id a posé son regard sur toi et que tu lui as été promise comme future épouse ? Et si je lui racontais que tu as pris le temps de parler avec un chrétien lié au poteau. ”

“ Mon seigneur Ali aurait eu compassion de cet homme. ”

“ Bien, qu’il vienne me réprimander quand je le lui raconterai… avant qu’il ne t’ai détaché la langue pour de telles confidences avec des étrangers. ”

Nadira donc s’en alla déçue et fâchée, courant se réfugier dans sa chambre. Au passage de la jeune fille, les domestiques, curieux, disparurent rapidement. Ensuite, se jetant sur son lit, elle embrassa les nombreux coussins qui le recouvraient et se mit à pleurer.

“ Nadira, mon enfant. ” l’appela Jala.

Elle souleva la tête, désormais avec ses volumineux cheveux bouclés découverts, et écouta.

“ Nadira, mon enfant, cela peut être cruel de se rendre compte que tu appartiendras à quelqu’un que tu ne connais pas assez ; tu n’as que dix-neuf ans…. c’est déjà beaucoup, mais tu es encore inexpert en tout ! ”

“ Pourrait-il vraiment me détacher la langue ? ”

“ Laisse tomber ton frère. Cependant qu’une chose soit bien claire : ja-mais au grand jamais je ne veux te voir parler avec cet homme ! ”

“ Je ne lui ai pas parlé ! C’est lui qui m’a demandé de l’eau. ”

“ Et que t’a t-il dit d’autre ? ”

“ Rien ! ”

“ Bien, car il faut que tu saches qu’il s’agit d’un homme dangereux, de la pire espèce, Nadira. Et ton frère a raison de vouloir te punir. »

“ Il y a peu tu as dit le contraire… ”

“ J’ai dit à Umar comment son père se serait comporté… à toi je dis ce que je pense. Maintenant va voir si ta belle sœur a besoin d’aide ; c’est pour cela que tu n’es pas encore la femme du Qā'id… pour l’assister durant sa grossesse. ”

C’est ainsi que passaient les heures de ce second jour d’hiver de 1060 – le 452 selon l’hégire[10 - Hégire : littéralement ”émigration ”. Indique l’exode de Mahomet de La Mecque à Médina. L’année de cet épisode, en 622 a.c. marque le début du calendrier musulman. Par exemple, en 453 de l’hégire correspond à 1061 de l’ère chrétienne ( compte tenu du fait que l’année musulmane est plus courte ).] – où Corrado le chrétien avait été lié et humilié comme un bête têtue




Chapitre 2


Automne 1060 ( 452 de l’hégire ), Rabaḍ de Qasr Yanna



C’était encore le début du mois d’octobre, mieux encore quelques mois avant que Umar ne se venge de l’insolence de son fils envers les chrétiens en le liant au poteau de la cour, et que Nadira ne dispute avec son frère.

Sous le soleil de l’après midi, Khalid, un jeune garçon de douze ans très proche de Umar, un petit pasteur à qui le collecteur d’impôts confiait ses troupeaux personnels, venait rapidement vers le village. Très vite, il arriva devant la maison de Umar, en courant si rapidement qu’il semblait une foulée de vent de novembre. Donc, il était tellement essoufflé qu’il dû s’appuyer sur ses genoux et sur sa houlette, il s’écria :

“ Umar ! ”

De là à peu certains domestiques sortirent, vu l’horaire ils étaient occupés dans l’habitation. Une fois prévenu, le maître de maison sorti sur la porte sans dessus dessous, vu qu’il était évident qu’il était en train de dormir bercé par la tiède torpeur du début de l’automne.

“ Que veux-tu ? Qui hurle à cette heure-ci ? Je dormais avec mes enfants… et maintenant tu nous as tous réveillés ! ”

“ Umar, pardonnes-moi ! Les chèvres… ” et il s’interrompit pour re-prendre son souffle.

“ Qu’est-il arrivé à mes chèvres ? On te les a volées ? ” demanda l’autre inquiet.

“ Non, je les ai mises dans l’enclos. ”

“ Et tu les as certainement laissées sans surveillance. ”

“ J’aurais voulu envoyer une chèvre fartasa[11 - Fartasa: mot sicilien qui indique un type de chèvre sans corne. Du berbère ” fartas ”, littéralement ”sans cheveux, teigneux.], toutefois tu n’aurais quand même pas compris ses bêlements. ”

Khalid rit ; il était évident qu’il était en train de narguer son patron.

Umar le pris par l’oreille et le poussa au sol par un coup de pieds bien visé sur les fesses.

“ Dis-moi quelque chose d’important ou autrement c’est toi que je mettrai dans l’enclos ! ”

Et lui, en se relevant :

“ Le Qā'id, Monsieur… le Qā'id vient vers le Rabaḍt et te cherche. ”

“ Ali ibn[12 - Ibn: littéralement ”fils”. Présent dans les patronymes arabes pour indiquer sa propre descendance, souvent ayant la fonction actuelle du nom de famille. Est parfois traduit par ” bin“ ou ” ben“.] al-Hawwās vient chez moi ? ” demanda surpris Umar, en ajustant d’une main ses cheveux comme si le seigneur de Gergent[13 - Gergent : nom de la ville d’Agrigente durant la période arabe.] et de Qasr Yanna était déjà à ses côtés.

“ Il est accompagné par ses fidèles et il m’a demandé de t’informer qu’il vient avec de bons propos. ”

Umar s’efforça de bien voir et aperçut la caravane qui descendait par les courbes tortueuses du mont de Qasr Yanna.

“ Retourne à tes chèvres ! ” ordonna t-il au jeune garçon avant de rentrer en vitesse chez lui.

Une grande confusion se déchaîna dans la maison, et avec ferveur on essaya de rendre chaque chose digne de la visite du Qā'id. Dans le village également un vacarme se déchaîna : les femmes se ruèrent à l’entrée du Rabaḍ et certains hommes, ayant été prévenus, rentrèrent des potagers les plus proches.

Michele et Apollonia, frère et sœur de Corrado, s’approchèrent pour observer la scène avec curiosité. Ils auraient rendu hommage au Qā'id tout comme les autres ; celui qui les commandait importait peu, il s’agissait dans tous les cas de leur seigneur. D’ailleurs si Michele ne portait pas ces espèces de loques et les cheveux rasés, signes imposés par son statut de chrétien, personne n’aurait pu reconnaître qu’ils étaient des non-croyants de la parole du Prophète. En plus entre Apollonia et les femmes sarrasins[14 - Sarrasins: nom attribués aux musulmans du Moyen Age. Les autres synonymes utilisés dans le roman sont : maures, mahométans, islamiques, arabes et circoncis. Certains de ces termes sont impropres, toutefois ils reflètent la connaissance et la culture de la société de l’époque. Le terme ” musulman ” est absent car par rapport à la langue du récit il fut introduit avant le roman. Pour la même raison les termes ”byzantins ” et ” hébreux ” ont été remplacés par ” pèlerins ” et ” juifs ”.] du village il n’y avait aucune différence, à l’exception des traits plus continentaux de son visage. D’autre part, autrefois, Rabaḍ avait été colonisé exclusivement par des berbères. Toutefois, ailleurs, des islamiques à l’aspect plus européen – car d’origine différente ou parce qu’il s’agissait d’indigènes convertis – étaient très nombreux et la différence somatique d’avec les chrétiens était inexistante. En outre, depuis deux cents ans, la race berbère, arabe et indigène se mélangeait régulièrement et avait la tendance à se conformer en un seul peuple aux caractéristiques plus homo-gènes ; dans tout cela, donc, le Rabaḍ était une exception.

Il y avait un seul terme pour identifier les habitants de cette île… ils n’étaient ni arabes, ni berbères, ni indigènes, ni rien d’autre que des siciliens. Des Siciliens sarrasins et des siciliens grecs, mieux encore chrétiens – tout comme il y avait des siciliens de Judée – mais à la fin ils étaient tous des siciliens. A l’exception des nouveaux arrivés qui étaient exclus du concept de sicilien, ceux qui étaient passés de l’Afrique en Sicile aux temps de l’invasion de la dynastie des Zirides jusqu’à ce que Abd-Allah ne fut retourné de l’autre côté de la Méditerranée.

Ceux-ci, dévoués à l’Islam comme les autres, la plupart d’ethnie berbère, étaient définis africains, juste parce qu’ils provenaient de la région que le monde arabe définissait Ifrīqiya[15 - Ifrīqiya : région correspondant à l’actuelle Tunisie et à certaines parties de l’Algérie et de la Libye. Littéralement ”Afrique ”, étant le terme dérivé du fait que les romains et ensuite les byzantins définissaient Afrique (province d’Afrique).]. Les derniers africains étaient arrivés à peine quelques années auparavant, ils s’étaient enfuis des dévastations qui se déchaînaient sur la terre de leur provenance. Parvenir à créer un seul peuple entre siciliens et africains, bien que tous croyants en Allah, était une entreprise bien plus compliquée – dans le passé la question avait même débouché en un désordre civil – plutôt qu’à réussir à intégrer chrétiens et hébreux dans les tissus de la société islamique. La législation de la sharia[16 - Sharia : loi de la religion islamique.] sur ces derniers, en effet, était claire, rien ou presque rien ne pouvait être interprété ; ils étaient des dhimmi, des vassaux, contraints de payer la jizja, la capitation, tout en ayant le droit d’exister dans leur propre foi. Les africains au contraire étaient de vrais antagonistes, ceux avec lesquels les sarrasins siciliens devaient se partager la primauté de dominateurs.

Au Rabaḍ, toutefois, on n’avait jamais vu d’africains, le vrai problème de la journée semblait être celui de faire bonne impression devant le Qā’id ibn al-Ḥawwās, l’émir de Qasr Yanna, venu inexplicablement rendre vi-site à un de ses collecteurs d’impôts.

“ Si Corrado avait été ici ! ” s’exclama Apollonia dès qu’elle vit la caravane à l’entrée du village.

Apollonia était une femme qui avait un peu plus de vingt ans et avait un bel aspect, des cheveux ondulés châtains et des yeux noisette. La blancheur de sa peau la rendait encore plus attrayante, car parmi les arabes les jeunes filles aux caractéristiques européennes étaient les plus recherchées. S’il n’y avait pas eu l’obstacle de sa religion on lui aurait certainement dé-jà fait la cour et s’il n’y avait pas eu la petite dimension du Rabaḍ et son atmosphère familière, quelqu’un l’aurait sûrement induit à se convertir avec la promesse d’obtenir un mariage avantageux.

Michele était un peu plus jeune que Corrado, il ressemblait beaucoup à son père. Le jeune garçon semblait né pour travailler et bien qu’il était très grand, il était robuste et infatigable. Il lui manquait également quelques dents, il les avait cassées à l’âge de dix ans quand il avait tenté d’enlever un gros clou d’une poutrelle.

“ A cette heure-ci Corrado aura certainement déjà entendu la nouvelle et sera en train de remonter du potager avec notre père. ” répondit Michele

“ Quel homme sera t-il donc Qā’id ? ” demanda Apollonia, plus à elle même qu’à son frère.

Michele la regarda avec perplexité et, pris de jalousie, répondit :

“ Tu devrais peut-être rester à la maison comme font beaucoup de femmes mahométanes. ”

“ Je ne connais personne ici au Rabaḍ qui tient sous clé sa sœur. ”

“ Dehors ça fait un bout de temps que l’on ne voit pas la sœur de Umar, et si on la voit c’est avec le visage couvert. ”

“ Ça signifie qu’il existe un frère plus jaloux que toi. Et puis il suffit des yeux de Nadira pour attirer les hommes. ”

Les dernières paroles d’Apollonia étaient le pivot de nombreuses choses qui dès ce moment seraient arrivées…

Le Qā’id avançait dans les ruelles parmi les émeutes de la foule. Ali ibn Ni’ma, plus communément connu comme ibn al-Hawwās, était très aimé par les gens. Son nom lui même signifiait ” le démagogue ”, celui qui at-tire les faveurs du peuple. Et d’ailleurs son ascension n’aurait pu avoir lieu sans le soutien des gens et sans ses dons charismatiques ; un esclave de race berbère qui s’était libéré et qui était enfin devenu le Qā’id de l’entière Sicile centrale.

Ibn al-Ḥawwās arrivait en chevauchant un très beau cheval bien attelé d’ornements jaunes et verts. Les pensées d’Apollonia furent déçues quand elle se rendit compte que le seigneur de Qasr Yanna n’était pas un jeune homme prestant comme elle l’avait imaginé, mais était d’âge moyen, aux cheveux grisonnants et légèrement en surpoids. Toutefois son aspect n’était pas désagréable ; et pour sûr la plupart des jeunes filles qui l’acclamait à son passage aurait tout fait pour recevoir ses attentions.

En plus de la vingtaine d’hommes armés qui escortaient le Qā’id, une femme en habits noirs attirait l’attention. Celle-ci chevauchait en amazone le destrier immédiatement après celui de son seigneur, elle était accompagnée d’une paire de servantes. En outre il y avait un type vêtu d’un tel luxe qu’il était juste le second après ibn al-Ḥawwās.

Umar alla à l’entrée, il présenta ses hommages et invita son maître à entrer dans son ” indigne demeure ” ; ainsi appela t-il sa maison. Ali, le Qā’id, dès qu’il descendit de son cheval présenta bien vite les personnes qui le suivaient

“ Ma sœur Maimuna et Bashir, mon Vizir[17 - Vizir : important conseillé politique et religieux du calife, du sultan et de l’émir.] ”.

Pendant que Umar fit un signe de la main pour indiquer à ses proches, qui observaient par la porte, de s’approcher.

“ Ma mère, Jala… ma femme Ghadda et mes enfants Rashid et Fatima ; voici ma sœur, Nadira. ”

Chacune de ces femmes s’inclina mains jointes devant le Qā’id et ce-lui-ci répondit

“ Je ferais envoyer des dons pour récompenser la beauté de cette mai-son. ” en posant plus d’un regard sur les yeux de Nadira.

Les plus beaux tapis et les coussins les plus prestigieux avaient été pré-parés en vitesse sur le pavement de la plus grande pièce, pour que les hommes puissent s’asseoir et converser entre eux. Dans les cuisines même le tannūr[18 - Tannūr : littéralement ” four ”. D’où le sicilien ” tannura”.] avait été allumé pour cuire le pain tandis que les jeunes couraient à la source la plus proche pour porter de l’eau fraîche et courante aux invités. Ils s’assirent tout autour de la pièce, tandis que les femmes de la maison invitaient Maimuna à s’unir à eux de l’autre côté, derrière, sous une espèce de hangar délimité par une haie formée de roses.

Une rangée de femmes parmi les domestiques commencèrent à porter la nourriture, les fruits, mais aussi les pâtisseries au miel, le pain, les dates à peine cueillis et les jus de grenade. A ce point, le Vizir, se lissant la barbe à l’étrange forme pointue commença ses réflexions et ses questions tech-niques sur la gestion du village :

“ Le lieu est agréable et les personnes sont dévouées à leur Qā’id ; tout le mérite est pour vous ? ”

“ Il va à chaque habitant du Rabaḍ et au joug agréable que notre aimé Qā’id leur réserve. ”

“ Quels sont les nombres de la conscription du giund[19 - Giund : troupe, armée.] ? ” ” Quarante et un hommes, déjà armés. ”

“ Les dhimmi te sont soumis ? ”“ Il y a une seule famille de chrétiens…. des paysans parmi les plus paisibles. ”

“ Une seule ? Ailleurs, dans le iqlīm[20 - Iqlīm : subdivision administrative, province. Dans la Sicile musulmane il en existait historiquement trois. Elles furent par être appelées ”Vallées ” durant l’époque normande. Afin de faciliter l’identification de ces divisions politiques, il suffit de tenir compte du fait que la Sicile a une forme triangulaire, en tirant une bissectrice de chaque côté, on arrive à un point central du triangle. Les trois parties qui en résultent correspondent aux trois vallées historiques de la Sicile (iqlīm durant la période musulmane ).…de Demona : correspondant à la Sicile Nord-Orientale (de Demona, ville située sur les Nebro – di ).…de Mazara : correspondant à la Sicile occidentale (de Mazara, l’actuelle Mazara del Vallo).…de Noto : correspondant à la Sicile sud-orientale ( de la ville de Noto ).] de Mazara, les chrétiens sont re-groupés en communautés, bien souvent modestes. ”

“ Les maraudeurs… avez-vous subi des attaques ? ” demanda à ce point Ali ibn al-Hawwās.

“Nous subissons des attaques depuis le temps de mon père. La dernière fut quand Jirjis Maniakis se déchaîna sur la côte orientale, il y a vingt ans. Pourquoi me le demandes-tu mon Seigneur ? ” Les sujets de Mohammed ibn al-Thumna, mon beau-frère, ne sont pas si doux que les habitants de ce village…. et le Rabaḍ est dans un avant-poste fragile aux pieds de Qasr Yanna, où il réside.

“ Nous devons nous préparer à quelque chose, cher Qā’id ? ”

“ Je te demande seulement d’organiser la garde et un feu de signalisation prêt pour lancer l’alarme à nos sentinelles. ”

Sous le toit, en plein air, Jala en attendant entretenait son illustre invité grâce au même traitement réservé à son frère. Assis sur des escabeaux ils conversaient de frivolités et banalités.

“ Quand l’accouchement est-il prévu ? ” demanda Maimuna à Ghadda en fixant l’abdomen.

“ Dans trois mois…. Inshallah[21 - Inshallah: littéralement ” Si Dieu veut ”. Est une expression utilisée communément qui indique, en tenant compte que tout est dans les mains d’ Allah, l’espoir qu’un évènement se vérifie dans le futur.] ”

“ et toi…. Nadira…. c’est vraiment inhabituel d’être encore dans la maison de ta mère. C’est peut-être la petite taille de ce village qui est la cause pour laquelle tu n’as pas de prétendant ? ”.

“ A dire vrai, ma Dame, j’ai beaucoup de prétendants…. Mais Umar re-tient qu’ils ne sont pas dignes. ”

“ de ta beauté ? Ton frère a raison.

“ Je n’ai rien que ta seule moitié n’ait pas ”

Alors Maimuna découvrit ses poignets en retournant les manches ; des cicatrices à peine guéries mais encore pleine de rougeurs apparurent.

“ Mais toi, tu n’as pas celles que j’ai… ”

Nadira et les autres la regardèrent avec perplexité, ils pensèrent immédiatement que la sœur du Qā’id s’était coupé les veines. Mais Maimuna expliqua :

“ Ne pensez surtout pas que je suis une pêcheuse ; c’est quelqu’un d’autre qui m’a obligée à me tailler les poignets. ”

“ Qui, ma Dame ? ” demanda Nadira, presque avec les larmes aux yeux, ce jour là elle portait une petite peinture en forme de palmier sur le menton, un travail minutieux fait avec de l’henné[22 - Henné: substance colorante extraite de la plante qui porte le même nom, utilisée depuis l’antiquité pour effectuer des tatouages temporaires et pour teindre les cheveux. Dans de nombreux endroits du monde, il est encore utilisé pour décorer les mains et les pieds des femmes.].

“ Mon mari, Mohammed ibn al-Thumma, Qā’id de Catane et Syracuse.»

“ Pourquoi, ma Dame ? Que lui as-tu fait ? ” demanda Nadira en se penchant vers l’avant et en lui prenant les mains.

“ Il existe un motif pour lequel une femme doit être traitée de la sorte ? ” Nadira donc laissa la prise, en entendant la réponse qui ressemblait presque à un reproche.

“ J’appartenais à ibn Meklāti, déjà seigneur de Catane, avec lequel j’étais mariée, mais Mohammed lui prit la vie et lui vola sa femme.

Et comme ci l’infamie d’être mariée au meurtrier de mon premier mari ne suffisait pas, Mohammed voulu m’offrir ce cadeau de me tailler les poignets avec l’objectif de m’épuiser. En plus, vous savez comment mon frère a été fait esclave de Qā’id de ses propres mains…. Pour cela Mohammed ne manquait pas de me rappeler mon état de plèbe. ”

“ Tu appartiens encore au Qā’id de Catane, ma Dame ? ” demanda Ghadda.

“ Il me demanda de le pardonner quand il eut cuvé son vin du soir précédent…. Vu que Mohammed fait partie de ceux qui boivent et se donnent aux excès pour ensuite se plaindre et se repentir le jour suivant. Moi, je lui demandai dans tous les cas de pouvoir me rendre chez mon frère et il me le permis… mais si le jeune domestique ne m’avait pas sauvée, aujourd’hui je ne serais pas ici à bavarder avec vous, mes chères sœurs. ”

“ Ne crains tu pas en retournant vers lui ? ”

“ Non, je ne retournerais pas, j’ai la certitude de ne plus revoir mes enfants… mais je ne retournerais pas ! ”

“ Sois courageuse ! ” s’exclama Ghadda.

“ Je ne suis pas courageuse, je suis seulement la sœur du Qā’id de Qasr Yanna. Si j’avais été une des femmes de ce village, je serais sûrement re-tournée comme une brave femme. ”

“ Et ton frère ne te renverra pas ? ” intervint Jala, surprise par le fait que Maimuna espérait que son frère puisse l’appuyer dans ce comporte-ment qu’il lui semblait indécent.

“ Ali me la juré. ”

Il y eut un moment de silence, comme si l’air était chargé de préoccupations pour le geste de la femme.

“ Nadira, ma sœur, ton frère a raison de ne t’accorder à personne. Tu as vu mes poignets ? Tu as vu ce que l’on risque quand on finit dans les bras de celui qui n’est pas l’homme juste ? Et puis, tu mérites beaucoup…. beaucoup plus de ce qui pourrait t’arriver en restant au Rabaḍ. Les hommes communs ne te méritent pas, ma fille. ”

“ Qui pourrait s’intéresser à une fille du peuple ? ”

“ Même un illustre Qā’id!” répliqua d’une rapidité inattendue Maimuna, comme si elle attendait depuis le début de pouvoir donner cette réponse.

Nadira rit modestement, et dit :

“ Il n’y a plus beaucoup de qā’id importants en Sicile, à l’exception de ton mari, ton frère et… ”

Elle n’avait pas encore terminé de parler qu’elle pris étrangement conscience : Maimuna était là pour elle au nom de son frère. Elle éprouva une telle anxiété, peur et une tension telle qu’elle ne parvint plus à parler.

“ Nadira, ma chérie, qu’est-ce qui te trouble ? ” lui demanda Maimuna, en lui caressant la joue.

Jala, au contraire, ayant compris avant sa fille à quoi elle faisait allusion, était hors d’elle.

“ Nadira, on dirait que les compliments de Maimuna te dérangent. ” reprocha la mère.

“ Pourquoi es-tu là ? ” demanda au contraire la jeune fille, en déglutissant.

“ Pour comprendre si ce qui se dit sur Nadira du Rabaḍ est vrai. Cela te dérange ? ”

“ Non ! ” répondit la jeune fille, en laissant apparaître un sourire nerveux.

Maimuna et son frère, s’étaient accordés, si le jugement de la jeune fille avait été positif, cette dernière aurait dû servir la nourriture aux hommes dans l’autre pièce, et surtout au Qā’id, de ses mains propres.

“ Tu penses que le Qā’id de Qasr Yanna vient au Rabaḍ sans motif ? Nadira, Ali serait immensément heureux si tu le servais personnellement ” Non sans quelques réticences ou parce qu’elle n’était pas d’accord avec la proposition, mais pour l’importance du geste, Nadira se couvrit le vi-sage, pris des mains d’une domestique des pâtisseries à base de moutarde mélangée au miel et les porta dans la pièce où les hommes discutaient.

Le Qā’id interrompit son discours dès qu’il vit Nadira avancer vers lui ; c’était le signal, la jeune fille avait passé brillamment le test de Maimuna.

Umar resta perplexe, toutefois il compris immédiatement la raison inhérente à la vue de son seigneur.

Quand Nadira s’agenouilla près du Qā’id et poussa de sa main la nour-riture vers sa bouche, l’autre lui bloqua délicatement le poignet – si fort qu’elle craint avoir fait une erreur – il la fixa intensément les yeux grands ouverts et commença à réciter :



“ Connais-tu les sources d’eau vive et pure de la couleur du saphir ?

Où l’on peut voir sa propre âme réfléchir.

Où les hérons se désaltèrent et les jeunes filles découvrent leurs cheveux.

Connais-tu, oh ma Grande, les frontières de ton règne ?



Connais-tu cette mer bouleversante de merveilles ?

Si profonde et riche de poissons aux nageoires en écailles.

Si turquoise et bleue et azure, où les filets se rassemblent.

Connais-tu, oh favori du Suprême, les frontières de la Sicile ?



Connais-tu ce ciel d’une incomparable beauté et innocence ?

D’où ruissellent les pluies de la saison des figues primitives et des melons.

Grâce auquel se rafraîchissent les hibiscus, les fleurs d’orangers et les roses.

Connais-tu, oh mon Seigneur, le ciel de Nadira, les frontières de ses yeux ? ”



Deux larmes allèrent se cacher derrière le voile du niqab[23 - Niqab: voile qui couvre entièrement le corps et le visage de la femme, ne laissant que les yeux découverts.] et descendirent sur le visage de Nadira. Elle ne parvenait pas à s’expliquer com-ment il était possible que la gloire de ses yeux dépassait les frontières du Rabaḍ et était même arrivée aux oreilles du Qā’id.

“ As-tu déjà entendu ces paroles, ma chère ? ” demanda Ali, même s’il savait déjà que la réponse aurait été négative.

“ Non, mon Seigneur. Mais Nadira à qui tu les as dédiées doit avoir de la chance. ”

Le Qā’id sourit, en étant positivement frappé per la modestie de la jeune fille.

“ Cet été j’ai accordé audience à un poète itinérant qui cherchait une cour, un nommé Mus’ab, il m’offrit durant deux mois ses dons de poète. Un jour il m’exalta les louanges d’une fleur d’une telle beauté que je finis par le supplier afin qu’il me dise de qui il s’agissait. Cette fleur avait un nom : Nadira ; elle habitait au Rabaḍ et était la sœur du ‘āmil. Les verts que j’ai récité, ma chère, je les ai uniquement appris par cœur…. la ré-compense pour le génie est seulement pour le poète Mus’ab, mais la ré-compense pour la beauté de ces paroles est pour toi. Toutefois, si j’avais vu tes yeux avant d’entendre ces paroles, j’aurais peut-être puni Mus’ab pour sa présomption à vouloir décrire l’indescriptible. Allah a fait de toi une femme inégalable et inexplicable, ma chère ! J’ai attendu un mois, toute la durée du Ramadan[24 - Ramadan: neuvième mois du calendrier islamique et un des quatre moments sacrés de l’an-née. Selon la règle islamique durant ce mois le jeûne et l’abstinence doivent être respectés du le-ver au coucher du soleil. Il rappelle la période où l’Ange Gabriel aurait révélé le Coran au Prophète Mahomet. Les mois du calendrier islamique étant lunaires, il n’a pas de position fixe dans le calendrier grégorien.], avant de pouvoir connaître ” le ciel de Nadi-ra, la frontière de ses yeux ”, même si maintenant je me rends compte que cette frontière n’existe pas. ”

A ce moment Ali regarda Umar et lui dit :

“ Frère, je te demande la main de Nadira, quelque soit le prix que tu m’imposes. ”

Umar se tut et Nadira quitta la pièce, en comprenant que la question devait être affrontée entre hommes.

Umar en son cœur consentit immédiatement, et lui aurait accordé Nadi-ra même sans aucun prix, vu qu’il serait devenu le beau-frère du Qā’id, toutefois il cacha ses émotions et son approbation jusqu’à ce que l’autre ne releva l’enjeu. Ali lui assura de vouloir faire de Nadira une de ses femmes et qu’il ne l’aurait pas traitée comme une concubine même si elle était de provenance populaire. En outre il promis des dons et des bénéfices pour la famille toute entière. Umar à ce moment regarda Rashid, son fils majeur âgé de seulement huit ans, et ne pu s’empêcher de penser à comment leur vie se serait améliorée grâce aux yeux bleus de sa sœur.

En attendant, Nadira s’était réfugiée dans le lieux où elle allait étant enfant, sous la fronde d’un gros mûrier situé dans la propriété de la maison. Elle ne comprenait pas pourquoi une chose si importante devait lui arriver. Elle ne se sentait pas à la hauteur, elle pensait n’avoir rien fait pour mériter les attentions du Qā’id et une proposition de cette portée. Elle pleurait et tremblait…. donc elle appuya le dos contre le tronc et, les yeux fermés, elle se rappela la raison des évènements d’aujourd’hui.




Chapitre 3


Été 1060 (452 de l’hégire) Rabaḍ de Oasr Yanna



C’était un vendredi et sous le soleil de midi Nadira allait au puits au sud du Rabaḍ dans l’intention d’y prendre un seau d’eau ; Fatima, sa petite fille l’accompagnait. Elle était vêtue de rouge et portait un ras du cou décoré de dessins géométriques de différentes couleurs et plein d’ornements attachés à sa coiffe qui pendaient le long de son front comme les berbères paraient les petites filles.

Il y avait également d’autres femmes qui allaient au puits en riant et en blaguant, insouciantes malgré la chaleur étouffante de l’heure la plus chaude.

A la fin de leur service, toutes les autres saisirent leur seau et prirent la route vers leur habitation. Nadira et Fatima restèrent seules à l’arrière.

“ J’ai entendu dire que ce puits est miraculeux. ” dit une voix masculine.

Nadira, surprise, abandonna d’un coup la prise de la corde en laissant tomber le seau au fond du puits.

Ce type, un jeune qui portait une étrange Kefiah[25 - Kefiah: typique coiffe traditionnelle de la culture arabe, elle est constituée d'un morceau de tissu correctement enroulé sur ou autour de la tête.] jaune enroulée autour de sa tête, avançait en agitant les mains, et la priait de le pardonner de l’avoir épouvantée.

“ Je ne t’avais pas vu, bonhomme. ” répondit Nadira, en se couvrant le visage et en tirant vers soi la petite Fatima.

“ Je disais que ce puits est miraculeux… et maintenant que je suis proche de toi j’en suis encore plus convaincu. ”

“ Car si tu n’es pas un ange, explique-moi quelle créature du Paradis j’ai devant moi. ”

“ Seulement la sœur du chef du village, un homme très proche du Qā’id. ” dit Nadira en expliquant ses références et en tentant de le décourager d’éventuelles mauvaises intentions.

“ Tu ne dois rien craindre de moi. ”

Donc, tout en esquissant une révérence les mains derrière le dos, il se présenta :

“ Mus’ab, poète et médecin. ”

“ Laissez-moi parler avec mon frère et je vous ferai accorder toute l’hospitalité que vous méritez, Mus’ab. ”

“ Tu es gentille, mais tout ce dont j’ai besoin je crois l’avoir déjà trouvé. ”

“ Tu as besoin d’eau ? Mon frère ne manquera pas de t’en accorder un seau. ” demanda naïvement Nadira, en imaginant qu’il se rapportait au puits.

Toutefois celui-ci sourit et expliqua :

“ J’ai beaucoup voyagé malgré mon jeune âge : de Bagdad à Grenade. Je dois avouer avoir vu souvent des yeux couleur turquoise et émeraude, dignes des soixante-douze promesses d’Allah aux martyrs. En Andalus j’ai trouvé des jeunes filles de la lignée des wisigoth aux yeux semblables aux tiens… et parmi les monts de la Kabilie j’ai rencontré des femmes aux caractéristiques identiques aux tiennes. Toutefois, jamais… jamais… je n’ai trouvé un bleu aussi intense blotti sur un visage comme le tien. Ton aspect trahi la lignée à laquelle tu appartiens, certainement berbère, comme j’en déduis des vêtements de la fillette…

Et même parmi les indigènes siciliens j’ai vu des yeux clairs, mais jamais comme les tiens. Ton père est-il un indigène ? Ou ta mère ? De qui as-tu hérité cette fortune ? ”.

“ Tu te trompes…. Tu es certainement resté trop longtemps loin de cette terre et tu tombes facilement dans le piège. Aucun berbère, indigène ou arabe n’existe par ici, seulement des siciliens qui observent la parole du Prophète. C’est vrai, parmi mes grands parents et parmi leurs mères il y eut des femmes indigènes converties aux diktats du Coran, comme cela arrive dans n’importe quelle famille de croyants sur cette île. Mais cela est normal si on considère que les hommes furent en grande partie les premiers qui passèrent par la Sicile et seulement après arrivèrent les familles qui fuyaient les persécutions des califes et des émirats d’ Ifrīqiya. Néanmoins, en ce qui concerne mes yeux, pourquoi donc une personne devrait-elle enquêter sur un insondable don d’Allah ? ”

A ce moment là, le muezzin rappela les fidèles à la prière de midi. Na-dira se tourna vers le Rabaḍ et son minaret, et donc se dépêcha de rentrer.

“ Ma mère attend cette eau déjà depuis trop longtemps. ”

“ dis-moi seulement ton nom. ”

“ Nadira. ”

“ Nadira, j’écrirai de tes yeux ! ” s’exclama l’étranger.

En rentrant chez elle, tenant Fatima par la main, Nadira eut la certitude que Mus’ab se serait présenté auprès de Umar pour lui demander sa main.

Toutefois les jours passèrent et cette certitude disparu, jusqu’à ce qu’au début du mois d’octobre l’effet bien plus important que cette rencontre avait provoqué sur son destin apparu clairement.




Chapitre 4


Hiver 1060 (452 de l’hégire), Rabaḍ de Qasr Yanna



Le visage de Corrado s’illuminait de la couleur rouge du coucher du soleil, se mélangeant aux teintes très proches de ses cheveux. Nadira était rentrée chez elle déjà depuis des heures, refusant l’aide qu’il lui avait de-mandé; depuis lors plus personne ne s’était manifesté.

Puis, juste au coucher du soleil, Corrado me mit à hurler en délirant:

“Umar, sors de là! Sors de là et affronte-moi!”

Mais une voix derrière lui, qui provenait de l’entrée de la cour, le sup-plia:

“Je t’en prie, arrête ! ”

Et lui:

“ Nadira, lâche… c’est cela ta pitié ? ”

Alors, la voix derrière lui s’identifia en s’approchant du poteau. Un homme du collecteur d’impôts responsable de la garde s’approcha égale-ment, mais il le fit d’un air menaçant en lui faisant comprendre qu’il lui ferait payer l’insulte envers sa maîtresse.

“Non, je t’en prie ! Il est fiévreux… il ne sait pas ce qu’il dit. Il croît même que je suis la promise du Qā’id . ”

Malgré les implorations d’Apollonia, le garde menaça :

“ encore un mot et je lui coupe la tête ! ”

Apollonia pleurait tandis qu’à quelques pas, elle le fixait d’un air préoccupé.

“ Je suis ta sœur. Regarde-moi, Corrado, regarde-moi ! ”

Mais lui tournait sa tête nerveusement et continuait à grommeler un son indéfini.

Apollonia se rua donc sur lui en l’embrassant avec passion.

Corrado était l’homme le plus grand du Rabaḍ et elle, une des filles les plus menues, la tête de sa sœur se perdait donc sur sa poitrine découverte par sa tunique déchirée, et par sa couverture sur l’épaule.

“ Courage… courage… ça ne durera pas tellement . ”

“ Ma sœur… ” répondit-il d’une voix très basse. ” Finalement tu me reconnais ! ”

“ Depuis quand es-tu là ? ”

Depuis toujours… depuis toujours, cher frère. Je serais restée même après t’avoir amené cette couverture la nuit passée, mais notre mère m’a forcé de rentrer . ”

“ Et eux où sont-ils ? ”

“ Notre père et notre mère ont peur de l’homme du Qā’id, et ils empêchent même à Michele de venir jusqu’ici . ”

“ Et toi, chère sœur ? ”

“ Moi je ne suis rien, juste la consistance d’une goutte de rosée… qui se soucie de moi ? ”

Corrado ferma les yeux et eut sur le visage une sorte de spasme, donc il lui dit :

“ Rentre à la maison. Tu ne sens pas comment frappe le soleil à cette heure-ci ? ”

Entre temps le garde s’était de nouveau rapproché pour empêcher que la jeune fille ne puisse l’aider.

“ Éloigne- toi de lui ! ”

“ Mais ne vois-tu pas qu’il est en train de délirer ? La leçon n’a pas été suffisante ? ”

“ Vas parler avec Umar… si cela ne tenait qu’à moi je l’aurais déjà libéré et je serais rentré chez moi bien au chaud . ”

Apollonia courut alors vers l’entrée de la maison des maîtres. Lorsque Umar fut prévenu et arriva à la porte, elle se jeta à ses pieds et le supplia :

“ Je t’en prie, mon Seigneur, demande-moi n’importe quoi… mais li-bère mon frère ! ”

“ Je lui ai promis trois jours, je ne peux retirer ma parole . ”

“ Il ne survivra pas à cette nuit ; il a une forte fièvre ! Je t’en prie, mon Seigneur, lie-moi à ce poteau, mais laisse-le partir ou il mourra . ”

“ il mourra s’il a été écrit qu’il doit mourir et il vivra s’il a été écrit qu’il doit vivre… si tu veux, lance-lui une autre couverture . Et ne t’humilies pas de cette façon pour quelqu’un qui ne le mérite pas . ”

Il ordonna donc à quelqu’un qui se trouvait là de donner de la nourriture à cette fille prosternée à ses pieds et puis de la renvoyer. A ce point, Apollonia se redressa et répondit tellement en colère que toute la maison l’entendit :

“ Je ne veux pas de ta nourriture, j’ai qui me nourrit ! ”

Donc, on lui claqua la porte au nez sans qu’aucune possibilité de contester cette décision ne lui fut permise. Dès lors ses jambes cédèrent et elle glissa sur la porte en pleurant plus fort qu’avant.

Quand le muezzin rappela les fidèles pour le ṣalāt[26 - Ṣalāt: la prière canonique islamique, récitée obligatoirement par les musulmans observants cinq fois par jour et qui anticipe l’adhān.] du coucher du soleil, elle vérifia si le garde se préparait à se pencher vers La Mecque derrière le condamné, et en profita pour violer l’interdiction selon laquelle elle ne pouvait pas s’approcher.

“ Corrado, ma vie mon souffle… Corrado ! ”

Mais il émanait une espèce de rugissement, doucement et les yeux fermés.

Apollonia pris alors son visage entre ses mains et lui dit :

“ Rappelle-toi qui tu es, Corrado, rappelle-toi qui est ton père . ” ” Alfeo… du Rabaḍ ” répondit-il avec difficulté.

“ Corrado, mon frère, rappelle-toi qui est ton père. ” répétait Apollonia désespérément, insatisfaite par sa réponse.

“ Alfeo… notre père . ” répéta-t’il, en ayant toujours les yeux fermés.

“ Ne te rappelle pas de qui t’as aimé comme un fils, rappelle-toi au contraire de celui qui t’a engendré.

Ces histoires que tu me racontais le soir devant le feu, celles que ton père t’as transmises… ton vrai père. Souviens-toi quand tu me parlais des landes du nord, faites de glace et de neige, et de comment les gens de ta lignée sont habitués au froid le plus extrême. Rappelle-toi, Corrado, peut-être que ton sang d’homme du nord pourra te réchauffer et te faire sur-vivre . ”

“ La compagnie normande… ”

“ C’est exact, Corrado, la compagnie normande… continue de te souve-nir ! ”

“ Mon père, Rabel… Rabel de Rougeville . ”

“ Oui, Corrado, ce fut durant l’été d’il y a vingt ans la derrière fois que tu le vis ; tu me l’as raconté tant de fois . ”

“ Je vis les remparts de Syracuse… ” murmura-t’il enfin, avant de perdre connaissance dans un profond sommeil fiévreux.




Chapitre 5


Début de l’été 1040 (431 de l’hégire), devant les remparts de Syracuse



Elle était la ” porte de l’orient ” de la Sicile, la ville qui avait été la plus glorieuse de toute la Méditerranée centrale avant l’avènement de Rome, la patrie des tyrans et du grand Archimède, une perle sortie du fond de la mer par des dauphins divins ; Syracuse était cela ! Et en effet cette ville était un objectif trop prestigieux pour être ignoré, une étape que le général de l’Empire d’Orient, Georges Maniakès, ne pouvait délaisser durant sa mission.

La reconquête complète de la Sicile en faveur de Constantinople n’était pas quelque chose de facile, et donc, si l’on voulait réussir l’entreprise, il fallait prendre Syracuse aux sarrasins, pour faire en sorte qu’elle ne de-vienne une solide tête de pont pour l’arrivée des renforts venus de l’est. La ville, entre autre était bien fournie, alimentée par des sources d’eau in-ternes et défendue par des soldats tenaces, qui s’étaient retirés au delà des remparts après les premières batailles. Le rappel des muezzins sur les minarets rappelaient aux assiégeants que la conquérir aurait été une longue et épuisante entreprise.

Georges Maniakès était un homme rude et despotique, avec ses troupes et les officiers qu’il commandait il était souvent violent… pour tout dire, un parfait guerrier. Même son aspect laissait transparaître son caractère brut : aveugle d’un œil, il était plus grand que la moyenne des hommes et ses traits étaient grossiers, désagréables. Tout en lui suscitait de la peur, autant parmi les siens que parmi les malheureuses milices de sarrasins que l’on avait rencontrées. Sa valeur était indiscutable déjà bien avant que l’Empereur d’orient ne lui confia la mission d’arracher la Sicile aux arabes, mais maintenant que de Messine jusqu’aux portes de Syracuse les croix réapparaissaient, sa renommée devenait absolue. D’ailleurs il fallait un caractère fort et une autorité indiscutable si l’on voulait réussir une entreprise plus grande que la guerre contre l’Islam, c’est à dire parvenir à contrôler l’armée variée qu’il commandait. Les lignées regroupées à la paie de Georges Maniakès étaient nombreuses : des hommes de Constantinople et de ses biens, des habitants de la Pouille, des calabrais, arméniens, macédoniens, pauliciens[27 - Pailiciens: secte des ascètes en Arménie où les membres croient vivre selon le vrai enseignement de Paul de Tarse, d’où le nom de Paulicien. Ils furent depuis longtemps persécutés et déportés pour ensuite être recrutés dans les rangs de l’armée byzantine.]… mais aussi des mercenaires, des conscrits qui brandissaient la lance après le lombard Arduin… la garde du nord, variée, qui avait traversé les steppes slaves pour servir l’Empereur d’orient, guidés par Harald Hardrada… et les normands du courant inférieur de la Seine, parmi les plus habiles guerriers.

Justement un de ces derniers – toutefois non encore guerrier – regardait la mer aux environs de la cinquième heure de l’après-midi, en élançant son regard au delà les ruines de l’ancienne ville située sur la terre ferme. La ville, en effet, avait été un temps jadis bien plus grande, elle s’étendait également sur une partie considérable de la côte donnant sur l’île d’Ortigia, là où se trouve le cœur de la fameuse Syracuse. Depuis deux cents ans, toutefois, après le dévastant assaut des sarrasins, elle ne comprenait que la partie insulaire et une minuscule partie de la péninsule, déjà sous le contrôle de Maniakès. Les hommes adressaient leurs pensées et les armes à ce qu’il restait de Syracuse dans la tentative de réussir cet assaut qui du-rait désormais depuis des mois, au delà de cet étroit et exigu canal qui partageait la ville.

Conrad avait neuf ans et avait connu la guerre très tôt, afin qu’il se durcisse au destin qui l’aurait accompagné durant toute sa vie ; par nature, en effet, aucun garçon normand ne pouvait être autre chose qu’un guerrier. Mais Conrad était aussi un rêveur,…. Peut-être parce que son père retenait qu’il était juste de ne pas le soumettre déjà au baptême des armes, Conrad savait rêver, sans devoir faire face aux atrocités, des hommes au massacre, qui offusquent les yeux et assombrissent l’esprit. Dans les yeux verts de Conrad on pouvait donc encore plonger son regard, et voir le reflet de l’espérance et de cette idée de maison et de famille qui lui avait été niée en partie, par la mort prématurée de sa mère, une femme d’origine noble, de descendance des francs.

Rabel de Rougeville avait emporté son fils et leur nourrice durant sa descente en Italie, quand l’enfant avait seulement un an. Attiré à Salerne par les généreuses récompenses qui étaient données aux nobles cadets normands, et attiré par les nouvelles des compatriotes qui l’avaient précédés, Rabel avait alors décidé de s’unir à ses compagnons d’armes, et se mettre au service de la meilleure offre. Sur ces terres, certes, les guerres ne manquaient pas… des terres ensanglantées par les conflits infinis entre Constantinople et les dernières principautés lombardes. Sans parler des continuels raids des brigands arabes sur les côtes de la Calabre. C’est ainsi que lorsque Georges Maniakès avait créé une armée pour envahir la Sicile, Rabel et ses autres soldats avaient répondu à l’appel.

Messine était vite tombée, mais les batailles qui suivirent furent sanglantes, et dévastèrent tant la population que les deux armées, avec de grosses pertes au sein du contingent normand. En deux guerres Maniakès était parvenu à arriver uniquement juste sous les remparts de Syracuse, en contrôlant à peine la côte ionienne. Les personnes de l’Iqlīm de Demona, la pointe nord orientale de l’île à majorité chrétienne, avaient appuyé l’invasion, toutefois le reste de la Sicile était à tous les effets un fief sarrasin et sa conquête aurait été une tâche longue et difficile.

Le regard se perdant au delà du petit port de la ville, Conrad ouvrit les bras vers l’impossible, embrasser la mer et l’horizon. Son père, derrière lui, le regardait désormais depuis quelques minutes et quand, en s’approchant, il caressa ses longs cheveux blonds cuivrés, Conrad se retourna en sursaut, presque épouvanté à l’idée que l’autre puisse le gronder pour le geste banal qu’il était en train d’accomplir.

“ Tu veux saisir la mer, mon fils ? ” demanda Rabel, vêtu d’une simple tunique blanche, mais armé.

“ C’est la plus belle chose qui puisse exister ! ”

“ Je crains que tes poches ne soient trop étroites pour la contenir entière-ment… ”

“ Cependant Dieu peut la contenir ! ”

“ C’est peut-être justement cela la Terre… Ses poches… et nous, nous y sommes à l’intérieur. ”

“ Roul dit que Dieu nous a choisi parmi tous car notre sang est le meilleur qui puisse exister. ”

Rabel sourit et regarda lui aussi la mer.

“ Chaque nation, tout comme chaque peuple, croît être meilleur qu’une autre.

Regarde cette terre… les mahométans croient avoir les faveurs de Dieu, l’Empereur de Constantinople croît être Son vicaire et le Pape croît la même chose… et essaie de passer par la Giudecca d’une de ces villes et demande de quel côté est Dieu. Conrad, mon fils, essaie de devenir toi même une personne meilleure, indépendamment de ton sang.

J’ai vu des mahométans se battre avec plus d’honneur que les nôtres… je suis sûr que Dieu les estime en gloire indépendamment du patron qu’ils servent. Depuis que nous avons débarqué sur cette terre j’ai ouvert les yeux sur de nombreuses choses. ”

“ Et Roul ? ”

“ Roul est mon meilleur ami, mais nous combattons pour un bien différent. ”

“ Vous dites que vous ne combattez pas pour la récompense ? ”

“ Je suis né soldat et mon père m’a élevé pour que je le devienne. De-puis que notre lignée quitta les landes froides du Jylland[28 - Jylland: nom de la région du Jutland (péninsule actuellement partagée entre le Danemark et l’Allemagne) dans les langues scandinaves.] nous n’avons ja-mais empoigné rien de différent qu’une épée. C’est notre métier, et la ré-compense pour notre bataille est notre salaire. Toutefois, mon cher Conrad, la récompense peut te remplir les poches et peut te remplir le cœur ; c’est à toi de décider où la mettre. ”

“ vous pensez que la récompense peut être dangereuse ? ”

“ Tout peut être dangereux si cela nous conduit à l’asservissement d’un vice et d’une fin égoïste. Le pouvoir, l’argent et les femmes… méfie-toi de tout cela ! ”

“ Mais vous avez aimé ma mère… ” affirma Conrad confus et douteux. ” Il n’y a rien de mal à avoir du pouvoir lorsque tes subordonnés de-viennent tes fils ; rien de mal à l’argent quand il nourrit ta bouche et celle de ceux que tu commandes ; et pour rien au monde, rien de mal dans la chaleur de la femme que tu aimes. Mais moi, mon fils, j’ai aimé une seule femme et aucune autre n’a pu prendre sa place. Tu lui ressembles beau-coup… tes yeux, tes cheveux, ton teint… et ton nom, Conrad, hérité de sa lignée… On me présenta une gracieuse jeune fille à peine deux semaines après sa mort, mais je ne voulais pas qu’une autre prenne sa place et que tu doives un jour appeler quelqu’un d’autre ” mère ” ; je ne l’aurais pas supporté. Si une fausse mère était nécessaire il y avait déjà la nourrice. ” ” Que dois-je donc craindre ? ”

“ Le désir qui pousse à la sauvagerie, lorsque le désir d’obtenir quelque chose dépasse l’honneur et toute règle de pitié humaine. ”

“ Et les femmes ? ” demanda perplexe Conrad, vu la curiosité typique due à son âge, et intéressé par l’être mystérieux qu’est la femme, jus-qu’alors uniquement connue dans le sein de la nourrice.

“ Les femmes… rien ne t’empêche de les aimer, mais méfie-toi des yeux d’une femme qui ne t’appartient pas ! ”

“ Rabel ! ” appela quelqu’un provenant des ruines juste à l’extérieur du camp.

“ Roul, c’est déjà le moment ? ”

Cette question présentait le personnage, Roul Poing Dur était le compagnon d’armes duquel Rabel ne s’était jamais séparé. Ils étaient partis en-semble pour l’Italie et s’étaient toujours protégés durant les batailles. Roul était un énergumène de presque deux mètres, à la voix puissante et aux manières peu raffinées. Une barbe plus épaisse que la normale marquait son visage et ses cheveux étaient plus sombres que la moyenne, avec une longue tresse qui descendait sur le côté droit de sa tête. Sa couleur presque méditerranéen anormale, ses yeux bleus, les traits nordiques et la stature hors du commun le trahissaient. il était une mauvaise personne, tout le monde le savait, mais il était aussi un excellent soldat, un des meilleurs dans l’utilisation de la hache de combat. La plupart des per-sonnes se posaient la question de savoir ce que Roul avait à faire avec l’âme noble de Rabel, mais c’était sans doute, justement, le caractère miséricordieux du second qui liait cette amitié. Rabel était tolérant envers les excès de Roul, tant parce qu’ils avaient grandis ensemble que parce que Roul savait le protéger durant les batailles.

Pas encore; ils parlent de demain matin à l’aube, mais le vin est arrivé et ils attendent tous le père Rabel pour faire la fête. ”

“ Père Rabel ”, c’est ainsi que toute la compagnie normande appelaient le noble Rougeville, depuis qu’à trois cents, ils avaient passés le Détroit. Maintenant le vin était arrivé et ils demandaient à ce que tous soient présents.

Même si les voyageurs arabes, les plus dévoués à la mondanité s’étaient vantés du vin de Sicile, il restait une chose rare à trouver. En effet, vu que les islamiques interdisaient la culture de la vigne sur les territoires qu’ils contrôlaient, sur cette terre on voyait uniquement de modestes quantités de baies. Déjà à l’arrivée de Maniakès, en 1038, les chrétiens avaient vite replanté les vignes, pour réactiver la production de masse, mais les grappes n’étaient pas encore suffisamment apparues et il fallait importer de grandes quantités de boissons si on voulait porter un toast à la chance.

“ Et porte aussi Conrad ; il est temps qu’il s’amuse comme savent le faire les hommes ! ”

Rabel fixa son fils et secoua sa tête, en lui indiquant qu’il était contraire à l’invitation de l’autre. ” Willaume et Dreu ? ”

“ Les frères de Hauteville[29 - Hauteville: devenu ensuite ”Altavilla”, nom originaire de la maison normande qui enleva la Sicile aux musulmans et des premiers souverains chrétiens du Règne de Sicile.] sont déjà assis au banc de la taverne depuis une heure. ”



William de Hauteville, Willaume dans leur langue, aurait été surnommé Bras de Fer, car on raconte qu’il tua, à l’aide d’une seule main et en brandissant la lance, un champion sarrasin qui avait fait un grand massacre de grecs et de nordiques, durant une phase avant le siège de Syracuse. Mais il était évident, malgré que la légende circulait déjà parmi les troupes, que l’histoire était improbable.

Toutefois le nom de sa caste brillait toujours plus, parmi les hommes du contingent normand déjà sous ses ordres.

“ Il serait plus sage de se recueillir en prière et en contemplation. C’est surtout l’aide du bon Dieu qui servira. Abd-Allah a recueilli l’entièreté des forces de Sicile, et d’autres sont arrivées de l’Afrique. Vous croyez qu’il parviendra à enlever le siège de cette ville, et fera l’impossible pour retourner d’où nous sommes venus. Nous devons repousser la contre-at-taque avant que l’émir n’arrive et nous écrase contre ce mur, mais cette fois je crains que le courage des plus courageux ne suffira pas pour entraîner l’armée toute entière. ”

“ Si tu buvais plus et priais moins, tu serais plus optimiste ! ” Conscient d’avoir peu de pouvoir dans la tentative de convaincre l’autre, Rabel s’adressa à son fils, aussi sérieux qu’il pouvait.

“ Tu as entendu ? Le départ est pour demain à l’aube. Tu sais ce que tu dois faire. ”

Donc il suivi Roul le long du chemin vers la taverne.

Conrad savait bien ce qu’il devait faire, et c’était ce que désormais il faisait depuis deux ans : préparer les bagages de son père, ranger son armature, aiguiser la lame de son épée et préparer la bannière avec l’emblème de la famille, une hache danoise dominée d’une feuille de chêne verte insérée dans un bouclier de champ rouge… emblème que Conrad aurait justement soutenu durant tout le trajet, jusqu’au lieu de la bataille, en marche à cheval à côté de son père.

Ces discours sur les femmes et sur le vin firent une étrange et inédite envie à Conrad – le mystère de l’interdit donne toujours envie aux jeunes garçons – de sorte que, dès que les cavaliers quittèrent le lieu des bâtiments en ruine, il se dirigea, lui aussi, vers la taverne qui en réalité était un lieu de retrouvailles aménagé à cet usage par un paysan chrétien qui espérait spéculer sur les exigences des troupes.

Comme déjà dit, il était à peine la cinquième heure et le soleil encore une fois frappait fort sur la tête de Conrad. Il passait parmi les tentes bon-dées de soldats de toute sorte, avec partout des groupes en conversation dans leur propre idiome… et parmi les prêtres qui prêchaient, debout et en position élevée, qui faisaient une grosse voix, après des décennies de prières dites à voix basse. En bénissant chaque soldat qui passait sous leurs tabourets, ils sanctifièrent également un jeune garçon quand il fut proche d’eux.

Conrad entra donc dans la taverne et ce fut alors qu’il se trouva devant le sinistre vice qui domine les adultes, calices pleins de vin, joueurs de dés à chaque table et plein de prostituées, celles qui s’improvisent pour de l’argent et celles obligées, car maintenant les jeunes filles du peuple devaient se donner aux conquérants. Conrad s’enfuit craignant de trouver son père parmi ces hommes.




Chapitre 6


Hiver 1060 ( 452 de l’hégire ), Rabaḍ de Qasr Yanna



Umar ferma la porte avec impatience. Les requêtes de la pauvre fille chrétienne, qui s’était même humiliée au point de lui embrasser les pieds, furent définitivement interrompues.

“ Je n’ai pas le temps pour les parasites. Si elle se représente chassez-la ! ” Ordonna t’il à la dame de la servitude qui dans un premier temps lui avait ouvert.

Les sanglots désespérés des pleurs d’Apollonia de l’autre côté de la porte furent ignorés encore plus facilement que les requêtes verbales faites juste avant.

Nadira était restée dans un angle obscur de la pièce d’entrée avec l’intention d’observer la scène, qui se consommait sur la porte de la maison, mais maintenant que la porte avait été fermée, laissant la voix et les espoirs de la pauvre fille à l’extérieur, elle s’approcha de son frère et fâchée, elle lui dit :

“ La honte de laquelle tu t’es déjà couvert ne suffit pas ? ”

Et lui, extrêmement ennuyé par le jugement de sa sœur, déjà en colère pour la discussion de l’après-midi, et pour le fait que sa mère était intervenue pour défendre sa fille, il menaça :

“ Attention, Nadira… attention… attention car je pourrais t’envoyer chez ton Qā’id sur une civière ! ”

“ Je serai heureuse d’aller chez ” mon Qā’id ”, juste pour ne plus te voir ! ”

“ Pourquoi n’es-tu donc pas partie quand il est venu demander ta main ? Il me semble qu’il voulait t’amener dans son palais déjà le jour suivant. ” répondit Umar, en indiquant du doigt vers le haut la direction de Qasr Yanna, siège du palais de ibn al-Ḥawwās.

“ Parce que j’ai demandé d’attendre que ta femme accouche, pour voir ton troisième fils. ”

“ Comme si Ghadda avait besoin d’une fillette qui se monte la tête pour être aidée durant sa grossesse… ”

“ Tu n’as même pas hérité d’un seul cheveux de notre père… ” répondit Nadira, qui en s’approchant encore un peu, lui pointa le doigt sur le visage et poursuivit :

“ Tu es un ingrat… avec moi comme avec ces pauvres citoyens qui servent cette maison depuis qu’ils sont nés. Si tu ne l’étais pas tu n’aurais pas ignoré cette malheureuse qui pleure encore derrière notre porte. ”

L’appel du muezzin se leva alors sur tout le Rabaḍ ; le dernier rayon de soleil avait disparu derrière le mont de Qasr Yanna.

“ C’est une malheureuse, tu as bien dit, et elle le sera toujours…. Explique moi pourquoi tu prends cette histoire tant à cœur. ”

“ Car si tu avais été lié à ce poteau, moi je me serais jetée aux pieds de ton bourreau avec encore moins de dignité que cette fille chrétienne. ”

Après ces mots Nadira s’effondra en larmes, tout en continuant, tandis que Umar était bouleversé par cette inattendue déclaration de dévotion en-vers lui.

“ Et tu me demandes pourquoi j’ai demandé au Qā’id de m’attendre pendant trois mois… ”

Toutefois Umar devint sérieux, et recueilli en lui toute la force qu’il avait pour se montrer dur.

“ Toi et tes pleurs, Nadira. Tu ne parviendras pas à me faire regretter ! ” ” Je me demande combien tu te désoleras puisque nous nous verrons dorénavant uniquement si Allah le voudra . ”

“ Alors, j’espère alors qu’ Allah accueillera ma requête de t’éloigner de moi. ”

Nadira se mit à pleurer plus fort et, en lui frappant la poitrine, elle hurla : ” Tu n’es rien Umar… rien…. et si tu deviendras finalement quelqu’un ça sera uniquement grâce à moi ! ”

Umar, qui ne pouvait supporter ces paroles qui blessaient son orgueil comme une lame, lui flanqua une gifle et lui dit :

“ N’entends-tu pas qu’il est l’heure de la ṣalāt du coucher du soleil ? Va te purifier avant que la nuit ne tombe complètement. ”

“ Et toi vas laver même ton âme ! ”

Ils se quittèrent en vitesse, chacun dans sa chambre, fâchés et en colère l’un envers l’autre.

Quand Umar termina sa prière il resta pensif, assit sur son lit, il repensait à cette gifle donnée dans un moment de colère.

“ Que s’est-il passé il y a peu sur la porte ? Je t’ai entendu discuter durant l’adhān[30 - Adhān: l’appel islamique à la prière, faite par le muezzin du sommet du minaret cinq fois par jour, dans le but d’inviter les fidèles à la ṣalāt.] demanda Ghadda, en venant s’asseoir à ses côtés tandis qu’elle tenait son ventre.

“ Ma sœur me met en colère ! Depuis que le Qā’id lui a demandé sa main elle ne cesse de critiquer mes actions. ”

“ Et toi, Umar, tu ne cesses de la provoquer… Depuis que je vis sous ce toit je n’avais jamais vu personne lié au poteau de la cour. N’est-ce pas par hasard que depuis que le Qā’id a demandé la main de Nadira, tu tiens à bien faire comprendre qui commande dans cette maison et sur le village entier ? Tout le monde parle de ta sœur, beaucoup plus qu’ils ne l’aient fait de toi. Mais au fond, mon bien aimé, vous êtes semblables… têtus et toujours prêts à imposer votre propre parole l’un sur l’autre. En plus, de-puis ce jour là vous avez changé tous les deux …. elle s’est montée la tête, et toi tu as oublié la route de ton père. L’Umar que je connaissais me manque aussi. ”

“ Tu voudrais insinuer que je suis jaloux de Nadira ? Que je crains de perdre le rôle de personne la plus importante de cette maison ? ” ” Non seulement de la maison, mais de l’entier Rabaḍ. ”

“ Moi jaloux de Nadira ; quelle bêtise ! ” conclut Umar, en riant ner-veusement dans la tentative de cacher son malaise face à cette vérité qu’il savait être exacte.

“ Maîtresse, la sentinelle sur la terrasse demande à vous parler. ” inter-rompit une domestique derrière la porte de la pièce.

Umar se leva donc et remercia la chance, du moment qu’elle le libérait de ce discours embarrassant.

Ghadda le retint alors par le bras et lui dit : ” Je t’ai manqué de respect ? ”

Mais lui s’approcha d’elle et, d’une douce expression, l’embrassa sur le front.

Après s’être couvert la tête et les épaules d’une large écharpe en poil de chameau, Umar sorti de chez lui. Il allait se rendre là d’où commençait les marches qui portaient à la terrasse, quand il vit que le garde préposé au contrôle du condamné battait violemment la jeune fille chrétienne. Celle-ci était au sol, et maintenant, la tête découverte, elle se cachait la face et criait, tandis que l’autre la frappait avec la même corde avec laquelle le jour avant il avait frappé Corrado. Et Corrado, au contraire, restait dans son état d’ inconscience.

Umar s’arrêta et, ayant en tête les paroles fraîches de sa femme, comme s’il voulait démontrer à lui même qu’il n’était jaloux de personne, ordonna au garde :

“ Idris, laisse tomber cette pauvre malheureuse ! ”

“ Mais Umar, cela fait trois fois que je lui dis de ne pas s’approcher de ce garçon….. Et il y a peu elle a profité de la ṣalāt du coucher du soleil pour le refaire ! ”

Ça va…. Mais ne la touche pas ! Renvoie-là plutôt chez elle. ”

A ce point Apollonia se redressa légèrement, tout en restant pliée sur ses jambes et assise sur ses talons.

“ Laisse-moi au moins rester dans la cour. Je resterai tranquille près du muret. ”

Le pria-t’elle, pleine de larmes .

“ Fais comme tu veux ! ” s’en libéra Umar, ennuyé de l’avoir encore dans les pieds.

En montant sur la terrasse, la sentinelle dirigea immédiatement son attention sur les dernières courbes de la rue provenant de Qasr Yanna, juste à quelques pas du Rabaḍ.

“ Trois hommes à cheval viennent par ici. ”

“ A cette heure-ci ? Ce sont probablement des voyageurs qui se sont trompés de route. Cependant ils pouvaient passer la nuit à Qasr Yanna…. Pourquoi se mettre en route durant la nuit et avec ce froid ? ”

“ Le ciel est clair cette nuit, je crains que le gel n’arrive. ”

Umar pensa une seconde au prisonnier, mais puis, il dirigea de nouveau son attention sur ces étrangers qui s’approchaient.

“ Umar, à en juger par ce qui me semble être des draperies, au moins un de ces chevaliers doit être quelqu’un d’important. ”

“ Tu as bien fait de me prévenir, Mezyan. S’il s’agit de quelqu’un d’im-portant il est bon qu’il connaisse mon hospitalité. ”

Umar descendit dans la cour et, en regardant Corrado, il dit au garde : ” Idris, après l’adhān de la nuit, attends quelques heures et puis laisse le partir. ”

En réponse, cet autre baissa la tête, en signe de consentement.

Après les dernières considérations de la météo, Umar aurait voulu libérer immédiatement Corrado, mais il pensa que démontrer une manifestation de pouvoir de cette portée, devant ces étrangers, aurait été favorable pour sa réputation.

Le collecteur d’impôts du Qā’id les attendit sur l’entrée et les vit arriver tandis que les dernières lueurs disparaissaient à ouest.

La sentinelle, sur la terrasse, avait bien vu; un des trois était finement habillé ; il s’agissait certainement d’un noble. Umar se rendit immédiate-ment compte que la lignée des trois n’était pas berbère, mais peut-être arabe. Par ailleurs, au delà de l’aspect, presque rien ne distinguait un homme d’origine berbère de celui de souche arabe, si non l’utilisation de la langue berbère comme idiome parlé en famille aux côtés de l’arabe, et les vestiges d’une culture ancienne et étrangère au monde islamique, im-portée par les arabes.

Celui qui semblait être un noble portait un manteau avec une capuche blanche, le tout finement damassé ; Umar n’en avait jamais vu de semblable. Ils descendirent de cheval et un des trois, mais pas celui sur lequel avait été adressée toute l’attention, dit :

“ Nous cherchons la maison de Umar ibn Fuad. ” ” C’est moi Umar. Que puis-je faire pour vous ? ”

“ Savez-vous qui se trouve devant vous, Umar ? ” demanda celui qui parlait, en faisant référence au gars qu’ils accompagnaient.

“ Vous me le direz près de la chaleur du brasier. ”

Et donc, il dit à son homme dans la cour :

Idris, range ces montures ! ”

Umar les invita donc à entrer. Il n’avait aucune idée de qui il avait devant lui, mais il ne voulait pas donner l’impression que son hospitalité se basait sur les généralités de l’invité. Il comprenait que dans tous les cas, il se trouvait aux côtés d’un homme d’une lignée respectable, il crut bon l’accueillir chez lui avant qu’il ne se présenta.

Dans la même pièce décorée de tapis et de coussins, maintenant avec un brasier allumé au centre, Umar fit les honneurs de la maison en donnant le meilleur de ce qu’il avait.

Il pensa pouvoir faire confiance aux trois hommes, du moment qu’en plus des manteaux et des sacs, ils livrèrent également leurs épées à la servitude, sans que personne ne le leur ai demandé.

Maintenant, à la lumière du feu et des lampes, Umar pouvait mieux les observer. L’homme qui semblait être le chef des deux autres avait environ quarante ans, d’un aspect soigné, au visage et au nez fins ; il avait en outre l’air de quelqu’un qui connaît sa valeur dans ce monde. Il parlait même lentement, en fermant souvent les yeux avec savoir faire. Les deux autres étaient habillés presque de la même façon, avec de longues tuniques noires et des culottes blanches, mais un des deux avait une grosse médaille en or autour du cou.

L’un en face de l’autre, de longues minutes passèrent avant que quel-qu’un ne commença à parler. Puis Umar voulu rompre la glace pour essayer de comprendre s’il pouvait cueillir une quelconque affaire :

“ Tu es riche ! Qui es-tu, un marchand de perles ? ”

Et lui, en riant, répondit :

“ Mes agents cette année ont fait croître remarquablement mes gains, justement grâce au commerce des perles. ”

“ Je pensais que étais un qā’id, mais il est vrai qu’un qā’id voyagerait avec une escorte et avec la cour. ”

“ Salim, mon frère….. mon nom est Salim. ”

“ Bien, Salim… quelle affaire t’a conduit chez moi ? ”

En réalité Umar aurait voulu demander la raison pour laquelle ils n’avaient pas passé la nuit à Qasr Yanna, au lieu de se remettre en route au coucher du soleil pour faire juste quelques kilomètres. Il craint cependant que sa question ne puisse être mal interprétée, presque comme s’il était en train de leur demander pourquoi ils n’étaient pas restés chez eux.

“ Cet homme que tu as fait lier au poteau…. Est-il en vente ? Car il m’a semblé de voir un physique exceptionnel. ”

“ Tu es donc un marchand d’esclaves ! ”

“ Je suis un homme qui cherche des perles rares parmi le genre humain, mon frère. ”

Immédiatement l’esprit d’ Umar fut effleuré par la pensée de vendre Corrado à cet homme. Puis il pensa que les chrétiens du Rabaḍ n’étaient pas des esclaves, même s’ils servaient sa demeure, et il ne pouvait pas être le patron de leur vie. Donc il répondit : ” Je crains qu’au Rabaḍ il n’y ait aucune de ces perles. Ici, chacun cultive sa propre terre et prie sous ses propres murs…. A l’exception des quatre gouvernantes de cette maison. ”

“ Pourtant je sais que tu caches une perle d’une rare beauté sous ce toit, et qu’il ne s’agit pas d’une de tes quatre servantes. ”

Umar devint très sérieux et ayant compris qu’il s’agissait de Nadira, il répondit :

“ La perle dont tu parles n’est pas à vendre, et ne l’a jamais été. ”

“ pourtant je sais que le Qā’id de Qasr Yanna s’est empressé de l’acheter, mon frère. ”

“ Tu comprendras donc quel genre d’homme la protège… ”

“ Je ne crains personne… encore moins le Qā’id , et cela parce que je n’ai aucune intention de faire du mal à qui que ce soit… si jamais j’en avais le pouvoir. Cependant j’ai entendu parler de deux pierres de saphir entourées d’un merveilleux contour ; d’une jeune fille aux caractéristiques célestes, d’un rêve qui brise la poitrine. Le Qā’id peut avoir tout ce qu’il veut… et obtient toujours le mieux. Moi, cependant, je suis un marchand de perles – comme tu as dit – et je comprends que pour de telles perles, d’autres qā’id et seigneurs paieraient une fortune. La gloire des yeux de Nadira, si cela est son vrai nom, s’est propagée dans toute la Sicile centrale, mais moi je ne demande rien… uniquement de les voir. Maintenant que ibn al-Ḥawwās s’est offert un don aussi précieux, les autres voudront certainement l’imiter, et il ne tient qu’à moi de trouver une telle rareté, parmi les jeunes filles de l’île et outremer. ”

“ Donc, que veux-tu ? ”

“ Uniquement voir ce bleu dont on parle tant. ”

Il ferma les yeux et récita avec un sourire presque moqueur :

“ Le ciel de Nadira, les frontières de ses yeux. ”

Umar se frotta nerveusement les mains. Cette requête engendrait des soupçons, même si dans le fond, elle n’était pas si difficile à satisfaire, n’engendrant aucune violation de pudeur ou de morale. Le patron de la maison était soucieux, partagé entre sa jalousie envers sa sœur, et la crainte de décevoir un homme plus important que lui. Celui-ci entre autre avait compris depuis le début – ou peut-être le lui avait-on dit – quel était le point faible de Umar. Avec un autre, cet homme aux évidentes compétences commerciales aurait offert de l’argent, toutefois Umar ne donnait pas d’importance aux richesses comme l’aurait donnée un avare : l’orgueil était la véritable clé pour le rendre vulnérable.

“ Umar, mon frère, maintenant que tu es le beau-frère du Qā’id, tu au-ras certainement déjà pensé à comment mettre en évidence ton état, et à comment te faire respecter en tant que tel… ”

Umar le regarda perplexe, au fond il y pensait depuis qu’Ali ibn al-Ḥawwās avait visité le Rabaḍ.

“ Mon manteau, en as-tu déjà vu un semblable ? ” demanda Salim, s’étant rendu compte que Umar l’avait fixé émerveillé.

“ J’imagine qu’il provient de bien loin. ”

L’ autre homme se mit à rire, entraînant également ses hommes dans ce geste.

“ cela en dit long sur toi, mon frère. As-tu déjà mis les pieds hors du Rabaḍ ? ”

“ Je fréquente assidûment le marché de Qasr Yanna. Là il y a une grande quantité de personnes : beaucoup de fidèles, mais également des paysans chrétiens qui travaillent la terre à l’intérieur des remparts de la ville, et même des artisans juifs provenant de Qal’at an-Nisā’[31 - Qal’at an-Nisa: nom de la ville de Caltanissetta durant la période arabe. Probablement signifie ”citadelle des femmes”, de ”qal’at”, citadelle, fortification en arabe. De nombreuses localités siciliennes conservent les préfixes ”calta”, ”calata” ou ”cala”, provenant de la signification originaire de citadelle ou fortification.]. On peut y trouver de tout : du souffre des mines au sel provenant des gisements, du sucre extrait de la canne au riz des rizières. Et les jardins de la ville avec ses sources… Cela vaut la peine d’y aller. ”

“ Mais Qasr Yanna est seulement à une demie heure de ce village ! ” pensa l’homme au médaillon.

“ Peut-être en montant, mon frère ! ” répondit l’autre en se moquant d’ Umar.

“ mon cher Umar, l’étoffe de mon manteau provient des établissements de Balarm[32 - Balarm: nom de la ville de Palerme durant la période arabe.].

Es-tu jamais allé à Balarm ? ”

Salim utilisait avec succès l’art du commerce, toutefois il n’était pas en train de vendre des biens matériels à Umar, mais quelque chose que le collecteur d’impôts du Qā’id possédait : l’orgueil. Tout comme un vendeur fait naître au client le besoin de posséder l’objet qu’il entend lui vendre, ainsi Salim était en train d’humilier Umar, en lui faisant comprendre la nécessité de devenir une autre personne, une personne qui démontre son lien de parenté avec le Qā’id, qui exhibe avec orgueil son nouveau statut. En lui faisant peser le fait qu’il ne soit jamais allé à Balarm, il le rendait petit… petit comme pouvait l’être n’importe quel habitant d’un village rural, même si fonctionnaire du Qā’id. Maintenant Salim lui aurait proposé une solution en visant son orgueil qu’il avait habilement démonté, et qui nécessitait d’une nouvelle vie.

“ Le manteau est à toi, mon frère ! Tu as vraiment besoin d’un habit qui ne te fasse pas passer inobservé. ”

“ C’est quelque chose de trop précieux pour que tu en sois privé. ”

“ Tu plaisantes, Umar ? Je possède une centaine d’étoffes de ce genre… que mes couturières sauront confectionner correctement. D’ailleurs je ne te demande qu’un simple regard des yeux d’une jeune fille… Penses-y, c’est l’unique chose que tu possèdes et qui vaut la peine d’être montré… et tu la tiens sous-clé… ”

Donc Umar fit un signe à la servante qui était sur la porte, et qui tenait une grande cruche en terre cuite pleine d’eau.

“ Fais venir Nadira. ”

La servante sortit donc de la pièce.

Les quatre restèrent durant de longues minutes en silence, en attendant que se présenta la jeune fille qui avait généré tant de curiosité chez l’étranger. Nerveusement Umar pris un bout de pain du plat mis au centre, et le plongea dans le miel, le portant ensuite en bouche.

Nadira, qui était restée tout le temps dans sa chambre, après la dernière dispute avec son frère, entra dans la pièce. Elle portait encore ce bel habit vert de l’après-midi, aux finitions jaunes et bleues et comme d’habitude, en présence d’hommes étrangers, elle se couvrait la face.

Jala et Ghadda, perplexes et curieuses, s’approchèrent de la porte.

“ C’est elle, la jeune fille qui a capturé le cœur de ibn al-Ḥawwās ? ” Demanda Salim, en s’adressant à Umar.

“ En personne… ma sœur Nadira. ”

Salim se releva, tandis que les autres deux en le suivant se regardèrent l’un l’autre, perdus dans cette atmosphère devenue subitement enchantée.

Nadira s’arrêta au milieu de la pièce, et fixa Umar en essayant de com-prendre ce que désirait d’elle cet invité, et quel rôle il avait dans tout cela.

“ Viens, jeune fille, approche-toi ! ” lui fit Salim, en mimant l’invitation de la main.

Umar consentit de la tête et elle, comprenant de pouvoir faire confiance, fit deux pas en avant.

Maintenant les yeux de Salim se perdaient dans ceux de la jeune fille, mais il la regarda avec une telle intensité qu’elle dû baisser le regard avec embarras, comme si l’acte d’observer une homme pouvait représenter une vraie menace.

Après quelques secondes Umar intervint :

“ La nuit entière ne te suffira pas pour combler ta vue. ”

Et en s’adressant à Nadira :

“ cela peut suffire, ma sœur. ”

Donc Salim intervint :

“ Non, jeune fille, attend un moment ! Et toi Umar, je deviendrais fou si je ne te demandais pas une chose. ”

“ Dis moi. ”

“ Je ne vois pas d’esclaves noires dans cette maison, pourtant chaque homme qui se respecte en a au moins une. Tu viendras avec moi jusque dans ma ville, tu porteras avec toi tous les hommes que tu voudras, autant que tu en jugeras nécessaire, je remplirai les bras de chacun d’eux, et couvrirai de tout ce qui te sembleras beau, la croupe de chaque cheval ou dromadaire qui tu emporteras…. Et je te donnerai même une esclave noire. Je suis un homme très riche et noble de sang ; ne renonce pas, mon frère ! On dira de toi de grandes choses, et pour sûr une mosquée portera ton nom. ”

Les oreilles de Umar sifflèrent en entendant cette offre excessive, et sa tête devint légère, vide, perdue dans la confusion de ce qu’il lui proposait. Toutefois Umar pensa bien de bloquer toute négociation avant qu’elle ne puisse naître, car il imaginait bien ce pouvait être la nature de la contre-partie.

“ Je ne manquerai pas de respect envers mon Qā’id en permettant que quelqu’un d’autre me rende riche. ”

Nadira sorti alors définitivement de la pièce, tout en restant avec les autres femmes dans un endroit où elle aurait pu entendre tout, sans être vue.

Salim retourna s’asseoir, humilié par ce refus. Se lissant la barbe, il dit lentement :

“ Un jour, quand mon fils était encore un enfant, je le vis jouer avec certains robā’i[33 - Robā’i: monnaie en or utilisée en Sicile durant la période arabe. Équivaut à un quart de dinar, monnaie dorée de référence.] en or ; il les utilisait comme s’il s’agissait de petits blocs de bois, en les empilant et en les laissant tomber. La servante, contrariée, le grondait follement, très intentionnée à les lui faire déposer. Enfin je m’approchai de lui et sortis de mes poches quelques monnaies en verre coloré, je les lui proposais en échange de celles en or. L’enfant accepta promptement l’échange.

Voilà, toi, mon cher Umar, tu es comme cet enfant, disposé à renoncer à une offre en or, et tu te contentes de simples verres colorés. ”

“ Avec le verre coloré les personnes achètent le pain ! ” s’exclama Umar, ennuyé par ce détour ayant l’objectif de le vexer.

“ Tu ne voudras quand même pas rester pour toujours un homme aux verres colorés… Tu as chez toi quelque chose qui vaut plus que de l’or… et crois-moi si je te le dis, ton Qā’id n’est pas du tout en train de te respecter ! ”

“ Ma sœur appartient déjà à Ali ibn al-Ḥawwās ! ” dit Umar en haussant le ton, se redressant et pointant le doigt sur Salim.

“ Le ”Démagogue”, celui qui envoûte son peuple par de simples paroles… a une grande qualité, c’est certain… et moi je ne pourrais faire mieux. Mais comprends-tu, mon frère, ibn al- Ḥawwās n’est capable que d’offrir des paroles ? Uniquement des pièces en verre coloré ! ”

“ il paiera le prix de Nadira quand il pourra l’avoir. ”

“ Moi je t’offre bien plus, et sans même te demander de l’avoir. Sincèrement l’amour charnel me satisfait moins que l’or et le plaisir de le dé-penser. ”

Umar fut déplacé ; était-il possible que cette personne ne comprenait pas ce qu’il pensait depuis le début de cette seconde proposition ?

“ Le dépenser comment, dans ce cas ? ” demanda t-il ?

“ Tu ne penses quand même pas que la beauté de Nadira se limite à ses yeux ? Et cela ton Qā’id doit l’avoir compris aussi, autrement il se serait limité à la regarder.

Ce que ta sœur cache sous son voile doit certainement être digne de ses yeux, j’en suis sûr. Je te demande uniquement de la faire danser pour moi, ce soir, dans cette pièce. ”

Umar sentit un feu qui lui montait aux oreilles. Il défiait sa jalousie comme si son rôle de protecteur de la jeune fille ne valait rien.

“ Jamal, fait don du médaillon que tu portes au cou à mon ami ! ” com-manda Salim à un des siens, croyant encore pouvoir acheter Umar.

Celui-ci se leva et mit le gros médaillon au cou du patron de la maison.

Umar l’approcha donc de sa vue pour mieux l’analyser : il s’agissait d’un objet très coûteux, bien taillé, bien gravé et très lourd.

“ Ainsi tout le monde te remarquera, mon frère !“ commenta Salim, en souriant.“

Toutefois Umar enleva l’héritage et le laissa tomber sur le plat de pain. ” Dans cette maison on a jamais joué de la musique ou dansé ! ” conclut-il, catégorique.

“ Jamal a un mizud[34 - Mizud: instrument musical à vent, typique de la culture arabe et de l’Afrique du nord.] dans son bagage et sait très bien en jouer. ” Nadira, au delà de la porte, était désorientée par cette requête et imaginait déjà, tout comme l’imaginaient Jala et Ghadda, que très bientôt Umar serait sorti de ses gonds.

“ Jamal sera heureux de jouer en présence de tes concubines. ” répondit ce dernier.

Salim maintenant devint très sérieux et se leva.

“ J’ai beaucoup voyagé… j’ai connu beaucoup de monde… et même les qā’id ne m’ont jamais rien refusé ! ”

Umar imita l’autre et se leva à son tour.

“ Tu crois pouvoir tout acheter, mais l’honneur n’est ni à acheter ni à vendre !

Moi, je suis le garant de toutes les femmes de cette maison, et je ne per-mets à personne de penser pouvoir traiter ma sœur comme une prostituée ! ”

Et l’autre, maintenant en faisant la grimace :

“ Si le Qā’id n’avait pas entendu parler de Nadira, tôt ou tard il l’aurait vendue au premier offrant… peut-être même à qui l’aurait traitée comme telle. Fais confiance à la parole de quelqu’un qui connaît le monde. ”

“ Et toi, fais -moi confiance car je me connais. Tu as profané mon hospitalité, je ne peux donc encore tolérer ta présence dans cette maison. ”

Et en regardant la même servante qui tenait la cruche, il continua : ” Fais livrer à ces hommes leurs affaires et leurs chevaux. ”

Umar les fixa durant tout le temps où, humiliés au delà de tout, ils re-cueillirent leurs affaires et quittèrent la maison. Toutefois le sourire de Sa-lim ne disparut jamais de son visage ; nerveusement, il semblait vouloir cacher son embarras.

Puis, sur la porte, il dit :

“ Écoute mon avertissement, Umar : tu as promis Nadira au Qā’id, et justement devant le Qā’id et devant ses invités, dans peu de temps, elle dansera sans aucune honte ! ” et il s’en alla, disparaissant dans le noir de la nuit, ainsi que les deux autres.

“ Qui était l’homme avec lequel tu t’es brouillé ? ” demanda Jala presque en colère.

“ Il était celui que je ne veux pas devenir ! ” coupa court Umar, en se retirant dans sa chambre et en invitant les autres à en faire autant.




Chapitre 7


Hiver 1060 (452 de l’hégire), Rabaḍ de Qasr Yanna



Quand Idris termina de se prosterner pour la ṣalāt du coucher du soleil, il put se rendre compte qu’Apollonia, contrevenant à l’interdiction, embrassait son frère. Sans que la jeune fille ne s’aperçoive de rien il la tira par son voile en lui découvrant les cheveux, et ensuite en agrippant ses cheveux déliés, il la traîna par terre, en arrière, tandis qu’elle se démenait des jambes. Idris en avait assez de cette présence qui rendait encore plus ennuyeuse une tâche déjà tellement désagréable, et donc, pour lui donner une leçon, une fois pour toute, il décida qu’il l’aurait battue avec la corde, de la même manière qu’il l’avait fait le jour précédent avec Corrado. Il commença à frapper où il pouvait en visant surtout son visage. Apollonia en attendant, essayait de se couvrir avec ses bras tandis qu’elle hurlait.

Un peu plus loin Corrado tremblait, il fermait les yeux et les serrait fort, en proie aux douleurs de la fièvre. Il vit soudain l’image d’un homme… un homme adulte, dénudé de la tête au pieds et lié au poteau d’un mat. Cet homme toutefois, ne criait pas sous les coups de son bourreau, mais il supportait fièrement en serrant les poings.

“ Roul, que font-ils à cet homme ? ” demanda Corrado à personne.

La scène qui se consumait devant son regard avait réveillé un traumatisme d’enfance. Cependant, si Corrado avait été pleinement conscient, il aurait sans aucun doute tenté de déraciner le poteau où il était lié, dans l’intention de se venger contre celui qui s’acharnait en ce moment sur sa sœur.

Par hasard, Umar se chargea de le faire arrêter juste au moment où ceux-ci se préparaient à monter sur la terrasse.

Apollonia, ayant eu la permission de rester tranquillement dans un coin, s’accroupit avec les épaules contre le mur, et versa des larmes entre ses genoux.

Quand Umar établit l’horaire de la libération du prisonnier, Apollonia pleura encore plus fort, se sentant soulagée pour quelque chose dont elle ne voyait pas la fin.

Par la suite, Idris pris par les rênes les destriers des trois invités et les conduisit dans les étables près de la maison.

“ Ne me fais pas regretter de m’être arrêté quand il y a peu, Umar me l’a demandé. ” dit le garde en fixant Apollonia.

La jeune fille ne pouvait risquer de contrevenir encore une fois à l’interdiction, et cela non pas, par peur d’être encore une fois battue, mais par crainte d’être obligée de rentrer chez elle.

“ Mon frère, mon frère ! Je suis là, je ne pars pas. ”

Puis elle s’approcha encore un peu en se traînant sur le sol à l’aide de ses jambes et de ses mains ; elle restait cependant à au moins quatre pas de distance.

“ Corrado, mon souffle et ma vie, tu dois résister encore un peu, mon Frère, réponds-moi, fais-moi comprendre que ton âme bat encore dans ta poitrine. ”

Elle s’approcha à demi pas en avant et dit :

“ Je sais bien que ta jalousie envers moi est celle d’un frère envers une sœur… mais on ne peut dire la même chose de ma dévotion pour toi… ” Malgré l’esprit troublé et l’incompréhension de l’autre, Apollonia, avec difficulté, disait ce qu’elle tenait enfermé dans son cœur depuis des an-nées, ce sentiment qui l’avait plusieurs fois fait éprouver de la honte devant l’icône de la Vierge.

“ Ne me juge pas comme une sœur fidèle, car pour Michele je ne serais probablement pas restée ici avec tant de sacrifices… Ne me juge pas pour ces actions, Corrado, car ce que tu découvrirais t’éloignerait de moi… et pour moi cela serait pire que de te voir mourir. ”

Quand Idris retourna dans la cour, elle fini de confesser ce qui aurait provoqué son exclusion du village, une marginalité plus grande que celle qu’elle vivait déjà par le fait d’être chrétienne.

La nuit tombée, le muezzin sonna l’adhān de la nuit. Idris alors s’assit sur le muret, suffisamment loin pour ne pas entendre la jeune fille, mais assez près pour intervenir au cas où, comme précédemment, elle se serait trop approchée.

“ Encore quelques heures et je te ramène à la maison ” dit Apollonia en souriant.

Toutefois elle redevint sérieuse quand elle se rendit compte de ne plus sentir ses orteils, et quand elle imagina l’effet encore plus grave que ce froid pouvait provoquer chez son frère. Elle commença à trembler à cause de la température, elle essaya de réchauffer ses mains en soufflant dans ses poings.

“ Fillette, rentre chez toi ! Ne vois-tu pas que tu trembles ? ” Idris l’encourageait en la voyant dans cet état.

“ Je ne partirai pas… il ne reste maintenant que peu de temps. ” répondit-elle au contraire à Corrado.

Ses yeux noisettes regardaient vers le haut le visage de son frère, tandis que les larmes gelaient juste sous ses paupières, n’ayant pas la juste inclination pour glisser vers le bas.

“ Un peu de foi en Dieu te serait si utile en ce moment… ” pensa Apollonia par rapport à Corrado, connaissant son apathie envers les arguments religieux.

“ Je sais, mon frère, que tu refuses de croire qu’il existe un Dieu capable de permettre tout le mal qui t’est arrivé. Je sais que le Christ et tous les saints t’ont déjà déçus une fois, quand tes prières ne furent pas accueillies tandis que tu espérais le retour de ton père. ”

“ Rabel de Rougeville. ” murmura Corrado.

Apollonia se tut subitement ; son frère était encore conscient. Avait-il entendu peu avant, sa déclaration d’amour…

“ Corrado, mon frère, eh bien tu es vivant ! ”

“ Rabel de Rougeville ! ” répétait-il sur un ton plus élevé et en un souffle, presque en pleurant et presque en criant.

“ Rappelle-toi le saint qui protège ton père, appelle-toi à lui ! ” l’invita Apollonia pour tenter de le tenir éveillé et conscient.

“ Saint André… ”

“ ‘Agìou Andréas[35 - AgìouAndréas: ‘agìou en grec signifie ”saint”. Dans ce cas ”Saint André”.]. ” répéta Apollonia en Grec, c’est à dire la langue de la liturgie chrétienne en Sicile.

En famille, Apollonia s’exprimait dans une sorte de latin parlé par le peuple et elle faisait de même, tant avec les chrétiens de Qasr Yanna qu’avec les nombreux indigènes convertis à l’islamisme. Quand toutefois, il s’agissait de prier, elle rafraîchissait son vieux grec… pour dire vrai même légèrement incompris. Au contraire, au Rabaḍ, étant un lieu restreint et habité en majorité par des circoncis, Apollonia et sa famille s’ex-primaient en arabe ; celui de la Sicile, désormais particulier par rapport à la langue du prophète. Parfois, elle utilisait même quelques paroles berbères qu’elle avait appris en entendant parler les femmes de cette lignée au puits, et les hommes dans les champs.

Apollonia ferma les yeux et les mains jointes elle commença à réciter ses prières en invoquant Marie mère de Dieu, la Vierge, en faveur de Corrado. Naturellement elle priait à voix basse vu qu’il était interdit à un non musulman de faire entendre ses propres oraisons aux oreilles d’un croyant… et Idris était même trop proche.

“ Mariám Theotókos, ‘et Parthénos[36 - Mariám Theotókos, ‘et Parthénos: du grec ”Marie Mère de Dieu, la Vierge”.]…» commença t-elle.

Corrado entendit la voix d’Apollonia tout comme il entendait en ce mo-ment la voix de ses souvenirs, réveillés par l’image de la Madonne et des saints auxquels sa sœur s’adressait.




Chapitre 8


Début de l’été 1040 (431 de l’hégire), vallées à l’est de Tragina



Les bannières indomptables s’agitaient au vent ; ce jour là le vent était incertain, même Dieu probablement ne savait de quel côté être… tout comme, au jugement des postérités incrédules, Dieu était confus par rap-port à qui il devait soutenir dans cette bataille. D’un côté, au cri de ”Alla-hu Akbar[37 - Allahu Akbar: littéralement ”Dieu est le plus grand”. Il s’agit d’une expression arabe commune dans le monde islamique et présente dans le Coran, dans la ṣalāt et dans l’adhān.]”, les sarrasins de Sicile et d’Afrique – arrivés en support des premiers – prêts à rechasser l’envahisseur. De l’autre côté, vantant ” Le Christ gagne ”, les hommes à la solde de Constantinople, pour lesquels les envahisseurs étaient les autres.

Invités par leur commandant, à l’abri entre Jebel[38 - Jebel: littéralement ”mont”. En Sicilien, utilisé sans appellation, indiquait le mont par antonomase, c’est à dire l’Etna. A l’époque normande on finit par appeler le volcan ”mont Jebel” au point qu’il devint ”Mongibello”, c’est à dire ”mont mont”.] et les Nébrodes, les hommes de Abd-Allah se prosternaient vers La Mecque et involontaire-ment vers l’armée ennemie. Les autres aussi étaient recueillis dans la prière, toutefois, non pas en une unique oraison harmonieuse, mais certains en latin et d’autres en grec.

Le camp avait été monté à environ miles à l’est de la montagne contre laquelle est protégée la ville de Tragina[39 - Tragina: antique nom de la localité de Troina, dans la province d’Enna.], et ici, parmi les tentes, Conrad avait observé son père s’éloigner avec l’armée toute entière, juste quelques heures auparavant.

A l’exception de la présence d’un modeste village de marchands et paysans, il s’agissait d’une zone éloignée des centres habités, riche en bois d’un côté, sur les versants des montagnes les plus hautes, et de collines herbeuses adaptent au pâturage de l’autre côté. Un fleuve s’écoulait juste-ment au point le plus bas de la vallée, et de cela un petit ruisseau perdurait malgré l’été, assurant l’approvisionnement en eau aux soldats.

Maintenant Conrad fixait le point au fond de la rue où il avait vu son père pour la dernière fois. Le matin, il l’avait aidé à porter sa cotte de maille avec une croix rouge sur la poitrine, sur sa tunique blanche. Il faisait déjà chaud durant les premières heures après l’aube, il avait donc tenu son casque à l’abri du soleil, pour qu’il soit plus frais quand son père l’au-rait mis. Comme dernier geste, avant de monter à cheval, Rabel avait froissé les cheveux de son fils et en échange Conrad lui avait passé la bannière et le casque. Puis un regard et il se confondit dans la marée humaine de soldats, en avançant vers la clairière juste hors du camp ; ici Georges Maniakès avait harangué ses troupes. Conrad était donc monté sur le tabouret à peine libéré par un frère bénédictin et avait essayé de trouver Rabel parmi les hommes réunis là au fond. Puis il avait vu Roul, sa tête et ses épaules planaient au dessus des autres, et il avait imaginé que son père pouvait être là.

Ils savaient tous qu’il s’agissait de la bataille la plus importante de l’entière campagne sicilienne, toutefois Rabel avait essayé de cacher sa tension ce jour là, durant toutes les heures où il avait été avec son fils.

“ Les autres, sont-ils nombreux ? ” avait demandé Conrad.

Les guetteurs parlent surtout d’infanteries. Nous, nous avons un cheval ! ”

“ Cette fois, je pourrai assister à la scène… ”

“ Conrad, mon fils, je te l’aurai répété cent fois : reste ici avec les femmes, la servitude et les moines… ” expliqua Rabel, qui continua :

“ Mais si les choses devaient tourner mal, aux premiers signes, sauve-toi sur la colline et cache-toi. ”

“ Y a t-il cette possibilité ? Tancred et Roul disent que les choses iront comme elles ont été jusqu’à présent, c’est vrai, mais nous connaissons la situation. Et puis, évite de décourager les soldats ! ”

Ainsi Rabel avait encouragé son fils.

Il était déjà midi et dans le camp on respirait toute l’inquiétude pour cette difficile attente. De temps en temps quelqu’un revenait du camp pour communiquer des nouvelles concernant l’avancement de la bataille. Certaines parmi les jeunes filles de la servitude pleuraient car certainement liées à quelque soldat avec qui était né une liaison. Puis, un prêtre du camp s’approcha de Conrad qui était encore assit sur le tabouret, sous le soleil, et lui dit :

“ Mon fils, ton père rentrera prématurément si tu restes là à fixer le fond de la route. ”

Conrad le regarda du bas vers le haut. ” Voici un morceau de pain ! ” ajouta t-il.

Le garçon l’attrapa et le mordit.

“ Si tu as besoin de quelque chose pour occuper ton esprit outre que ton estomac, viens auprès de moi. ”

Il le porta sur la colline sans végétation, aux tonalités dorées car brûlées par le soleil. Le sommet était dépourvu de terre, tout comme un grand ro-cher gris ardoise à la surface dentelée. La fronde d’une olive, la seule pré-sente, enracinée sur le côté de la formation rocheuse, était occupée par un petit troupeau de chèvres, et par un vieux berger qui avait plus de rides sur le visage que d’années. Le prêtre tourna par derrière et entra par une ouverture du rocher. Conrad fut étourdi en voyant que l’intérieur de la roche était assez spacieux pour permettre la présence d’au moins vingts hommes, et était complètement peint de couleurs vives, en ayant tout au-tour des parois des images de l’histoire de la bible et de la vie des saints; le style était typiquement celui des peintures sacrées de l’Orient. Un petit prie-Dieu au fond et une croix au mur indiquaient le lieux où l’on se prosternait.

“ Père, vous êtes étranger, parti pour suivre l’armée, comment connaissez-vous cet endroit ? ”

“ Les frères du rite grec s’y réunissent depuis des siècles pour prier. Ce sont eux qui me l’ont indiqué. Mais maintenant prie le Seigneur et la Madonne, afin que ton père rentre sain et sauf. ” conclut le religieux avant de le laisser seul.

Ce fut ainsi que Conrad se retrouva seul, à genoux, les yeux fermés, serrant le crucifix sur sa poitrine, et priant pour que Dieu ramène son père.

Quand il rentra du camp c’était déjà le soir. Il rentra dès qu’il vit que certains hommes à cheval étaient rentrés de la bataille, et il accéléra quand il se rendit compte qu’un d’entre eux était le gros Roul ; le sang sur son hache danoise et sur la cotte de mailles était encore frais.

“ Jeune homme, où étais-tu ? ” demanda le guerrier dès que Conrad s’approcha auprès d’eux.

“ Un prêtre m’a conduit sur les falaises… ” expliqua l’autre, toutefois il ne voulut pas révéler pourquoi il y était allé de peur que son intimité soit ridiculisée

Son visage changea…. Si son père était rentré sain et sauf, il aurait sans aucun doute été au premier rang parmi ces hommes. Tout d’un trait, le vi-sage de Roul lui apparut triste, comme si sa fureur avait été mortifiée par un évènement néfaste. Seulement maintenant, il comprenait ce qui se cachait derrière cette couverture humaine de soldats du nord dont Raoul était à l’ouverture du rang.

“ Où est mon père ? ” demanda t-il, même s’il imaginait déjà la réponse.

“ Nous avons gagné, mon fils. ” dit Tancred, un autre parmi les plus proches de Rabel, peut être pour tenter de contrebalancer le désespoir du jeune garçon, celui-ci brandissait encore sa longue pique et portait un manteau rouge.

“ Oui, ceux qui sont restés, nous les avons fait fuir. ” intervint un autre. ” Ça a été une grande victoire ! ” exclama quelqu’un dans le groupe.

“ Le vent aussi nous a été favorable aujourd’hui… mais le vent le plus terrible, c’est encore une fois nous de la compagnie normande qui l’avons porté. ” ajouta Tancred.

Toutefois Conrad, pendant que ce dernier parlait, ouvrit un passage par-mi les hommes.

Rabel était étendu sur le sol. Sa gorge était marquée d’une grosse tâche de sang, vraisemblablement là où il avait reçu le coup mortel ; un coup qui avait été donné avec une incroyable puissance, vu qu’il avait trans-percé la cotte en maille. Sa chevelure blonde était découverte, quelqu’un l’avait évidemment libéré de son casque et de sa capuche.

Conrad restait là, à le fixer immobile, sans avoir le courage de s’approcher. Son esprit n’avait jamais imaginé que tout cela pouvait réellement arriver.

A ce point Roul appuya une main sur son épaule et lui dit :

“ L’armée s’est livrée à l’exécution… d’autres parmi nous sont tombés sur le champ et attendent que nous allions les recueillir… mais nous… nous, mon cher Conrad, nous ne pouvions pas nous livrer au pillage, ou nous mettre à penser aux autres morts, quand le fils d’un des nôtres attend son père avec angoisse. ”

“ Tu ne me l’aurais porté avec autant d’urgence si son souffle avait déjà été absent sur le champ de bataille. ” dit Conrad, tandis que deux premières larmes rayaient ses pommettes.

Roul se pencha alors et essaya de le consoler.

“ Non, Conrad, non… ton père est vraiment tombé durant la bataille ! ” Il mentait pour ne pas le culpabiliser, mais Conrad n’était pas aussi stupide que pour le croire. Rabel avait rendu son dernier soupir là, dans le camp, dans l’espoir de voir pour la dernière fois le visage de son fils ; le linge imbibé de sang mis autour du cou indiquait qu’ils avaient essayé, durant longtemps, de prolonger son agonie, dans l’attente du retour de Conrad.

“ C’est toi qui doit lui fermer les yeux. ” le poussa aux épaules Roul face à face avec ces yeux bleus, Conrad ne put retenir son désespoir.

En attendant, les femmes, les moines, la réserve qui défendait le camp et la servitude avaient formé un cercle autour de la scène. Conrad entrevit une sorte de dérision dans les yeux de son père, mais naturellement c’était uniquement la voix dans sa tête qui le lui suggérait, il se sentait coupable d’avoir été absent.

“ Père ! ” hurla t-il avant de se jeter sur sa poitrine.

“ Il n’y a rien à voir ! ” hurla encore plus fort Roul, en s’adressant à la foule.

“ Maudits grecs ! ” condamna t-il donc à voix basse.

Avec cette phrase Roul mettait en évidence tout son mépris pour les personnes de ce lieu, naturellement les chrétiens, retenus ” grecs ” de par leur religion de rite oriental. Toutefois cette exclamation d’intolérance incluait également Georges Maniakès et les troupes régulières qui le suivaient, vu les mauvais rapports du général avec les hommes des contingents auxiliaires.

Les personnes s’en allèrent, effrayées par la réaction de Roul, Conrad au contraire se sauva, il voulait trouver le prêtre qui l’avait découragé de sa fidèle attente.

Roul suivi le jeune garçon, tandis qu’ils cherchait le maudit religieux parmi les tentes.

“ Mon fils, arrête ! Quel diable cherche-tu ? ”

“ Ce prêtre qui m’a convaincu de monter sur les falaises. ” ” Qui est-il ? ”

“ Il parlait notre langue. ”

Puis, il pensa le chercher directement dans l’église rupestre, et il couru pour grimper sur la colline. Arrivé au sommet il entendit le bêlement des chèvres mais ne vit pas le berger… ensuite, il entra à l’intérieur. La lumière du crépuscule était en train de disparaître, les couleurs vives qui l’avaient frappé à midi avaient disparu et à l’intérieur de la grotte, on percevait une sorte de pénombre. Roul toutefois le suivait avec une torche, et quand il mit pied dans la grotte, la lumière reprit. Conrad à ce moment là, était en train de jeter des poings de terre contre la peinture du Christ et contre celui de la Madonne, n’ayant rien d’autre sur lequel offenser ces murs en pierre. Il pleurait fort, et maintenant la colère contre le geste bien intentionné du prêtre avait laissé place à la colère envers Dieu et envers ses prières ignorées.

Roul était un homme brut, avec des manières profanes, mais quand il vit le sacrilège de Conrad, soit par peur, soit par superstition, il le bloqua par derrière en le soulevant d’un seul bras.

“ Non, Conrad, eux n’y sont pour rien. ”

“ Ils ne m’ont pas écouté ! ” cria le jeune garçon de toutes ses forces, mais l’environnement clos brisa sa voix.

“ Tu attendais des miracles ? ” ” Ce prêtre me l’a dit ! ”

A cela, il le relâcha et l’obligea à le regarder dans les yeux.

“ Écoute-moi, mon fils… ton père m’a fait jurer que je me serais occupé de toi, et mon honneur m’interdit de ne pas respecter la promesse faite à un ami mourant. ” Jusqu’à ce que je t’aie conduit à Rougeville dans ta famille ”… c’est ce qu’il m’a fait jurer. ”

“ Je ne connais pas ma famille. ” répondit Conrad, en sanglotant et en pleurant, maintenant, les yeux fermés car la lumière de la torche les brûlait et les rougissait.

“ Peu m’importe, je ne manquerai pas à ce jurement qui implique mon honneur, et le sang de ton père, uniquement parce que tu as quelque chose de contraire à dire. ”

“ Que t’a-t’il dit d’autre ? ”

“ Que tu devais être courageux, mon fils. Donc maintenant, descend au camp et ait le courage de le regarder en face. Les hommes de notre lignée ont l’habitude d’être d’indomptables guerriers qui méprisent la mort. Et si tu es en colère c’est une bonne chose… tu auras plus de ferveur dans la bataille. Mais ne t’en prends pas aux saints… tu dois t’en prendre aux vivants ! ”

“ C’est pour ce motif que je cherchais ce prêtre. ”

“ Laisse tomber ce prêtre… Ce sont ceux qui ont tué ton père que tu dois haïr, c’est vers ces bêtes que tu dois trouver ta vengeance. ”

“ Qui ? ”

“ Nous sommes sur cette terre depuis deux ans et tu me demandes ”qui ” ? Tu n’as donc pas vu les yeux de ces personnes de l’Afrique ? Tu n’as pas vu comment leur regards méditent des iniquités envers toi ? Même les gens de Akhal, qui est notre alliée, nous regardent avec haine. Ils ont tués, ils ont violés les femmes des personnes qui étaient là avant eux, et ils les ont obligés à s’agenouiller devant leur Dieu. Ils ont sali le sang de ces per-sonnes en le rendant méprisable quand ils ont mis enceintes ces jeunes filles.

Eux, les barbares mahométans, ce sont eux qui ont tué ton père ! ”

“ Vous avez dit que vous vous battiez uniquement pour la compensation et que les motifs de cette guerre ne vous intéressaient pas.

“ Mon enfant, si tu ne haïs pas ton ennemi tu ne peux survivre durant la bataille. ”

“ cela signifie que mon père n’a pas assez haït ? ”

“ Ton père avait l’âme d’un roi… il aurait été juste qu’il commande et non qu’il descende dans la bataille. Cependant toi, mon jeune Conrad, la haine que tu éprouveras en pensant au sacrifice de ton père, te servira durant la bataille. Tu deviendras un excellent guerrier, j’en suis certain. Toutefois, pour ce soir ne pense pas à la vengeance, pense uniquement à honorer ton père. Iras-tu au camp pour lui fermer les yeux ? ”

Conrad s’essuya d’une main le visage et répondit : ” J’irai. ”

“ Roul donc, en regardant tout autour de lui, commenta :

“ Nous enterrerons ton père ici, sous les yeux vigilants du Seigneur et de tous les saints. Je ne vois pas de meilleur endroit dans les alentours. ”

“ Les moines du rite grec y viennent prier. ”

“ cela signifie qu’ils seront heureux de veiller pour ce martyre du christianisme. ”

Ils descendirent au camp, et ensuite, après avoir fermé les yeux du pauvre Rabel et préparé le corps, ils remontèrent en un cortège solennel jusque l’intérieur de l’église rupestre. Ils déposèrent le corps sous la croix du prie-Dieu et, les religieux, les femmes et les soldats nobles, veillèrent en se serrant autour du jeune garçon durant toute la nuit.

Le lendemain à l’aube, le prêtre que Conrad avait détesté, qu’il découvrit s’appeler Jacob, fit les offices de l’enterrement, ils enterrèrent Rabel dans une fosse creusée à l’intérieur de la grotte, au milieu d’une clôture faite en plaques d’ardoises. Ils couvrirent le cadavre avec le bouclier qui lui avait appartenu, celui qui terminait avec une pointe, une pointe typique du peuple normand et pour terminer ils jetèrent de la terre.

Conrad resta là pour veiller ce lieu durant un jour entier, même après l’enterrement. Il dormi recroquevillé près du prie- Dieu, il ne mangea rien et pleura plusieurs fois. Au dehors de cette grotte, la vie l’attendait, la vie sans son père, et il était certain qu’il ne s’en serait sorti seul, jamais, au grand jamais. D’ailleurs Rabel était là, enterré sous ses pieds, et il l’aurait attendu fidèlement ; cette fois sans que personne ne puisse le distraire. Il se sentait mourir chaque fois qu’il pensait que les dernières paroles que son père aurait voulu lui dire étaient mortes dans sa bouche. Puis il fixait les saints sur la parois rocheuse et, au contraire de ce que Roul lui avait dit, il ne parvenait pas à ne pas les haïr.




Chapitre 9


Hiver 1060 (452 de l’hégire), Rabaḍ de Qasr Yanna et des alentours



Umar invita toutes les femmes de la maison à se retirer dans leur chambre. Il poussa délicatement Ghadda par les épaules, en la faisant aller dans sa chambre et caressa le visage de Jala.

Seulement Nadira se trouvait encore sur l’entrée, elle désirait des explications.

“ Umar, dis-moi qui est cet homme. ”

“ Seulement un riche marchand de passage qui avait envie de me provoquer. ”

“ Ne te semble t’il pas étrange qu’il se soit mis en voyage de Qasr Yan-na justement à cette heure-ci sans passer la nuit là bas ? ”

“ Évidemment pour voir le ” ciel de Nadira ” on ne peut attendre l’aube. ” répondit Umar sarcastique, encore plein de jalousie qu’il ne par-venait pas à dissimuler.

“ Tu ferais bien d’informer le Qā’id… à l’aube ! Il me semble entendre un certain désaccord envers mon seigneur Ali. ”

Umar le regarda avec un air de suffisance et lui dit :

“ maintenant tu te mêles également des questions sur la sécurité du Ra-baḍ ?

L’ adhān de la nuit est passé déjà depuis un certain temps… va dans ta chambre, ma sœur ! ”

Nadira à ce point, tandis que l’autre ennuyé s’éloignait, se retrouva à fixer l’argile cuite des tuiles.

Doucement chaque brasier, chaque lumière et chaque bougie de la maison furent éteints, en mettant fin à cette longue journée.

Corrado, encore lié au poteau, ne donnait plus de signe de vie depuis longtemps, et Apollonia s’était assoupie, recroquevillée entre ses genoux, elle avait en effet dormi encore moins que son frère.

Idris, un peu plus loin, restait là tranquillement et observait le ciel étoilé, en attendant le moment où il aurait pu libérer le prisonnier et rentrer chez lui.

Une espèce de coup retentit dans la cour ; suivit de crépitements qui ressemblaient à un feu. Apollonia ouvrit les yeux et vit une lueur insolite provenir des écuries. Idris commença alors à hurler, en se démenant comme un fou pour attirer l’attention des autres. Mezyan, en attendant descendait à une vitesse vertigineuse par le escaliers de la terrasse, en annonçant à son compagnon d’en bas :

“ Les écuries ont pris feu ! ”

!Appelle Umar ! ”

!Appelle les autres ! ”

Mezyan se mit à frapper comme un fou sur la porte, tandis que Idris couru pour appeler les hommes qui faisaient la garde à l’entrée du village ; Justement le Qā’id, en effet, avait conseillé à Umar de faire mon-ter la garde aux points stratégiques du Rabaḍ.

Apollonia se redressa et, dans le silence qui précède la tempête, pendant que Mezyan continuait de frapper à la porte, elle regarda autour d’elle. Des ombres obscures comme les démons d’Averne se déplaçaient autour de la maison et dans les rues du village.

Elle s’efforça de mieux voir pour comprendre s’il s’agissait des habitants du Rabaḍ accourus pour l’urgence, toutefois elle conclut que ses compatriotes n’auraient pas été aussi silencieux et prudents en s’approchant. Elle se serra contre Corrado, et lui, en sentant le toucher sur sa peau, ouvrit les yeux.

A ce moment là, Umar sortait dans la cour, juste à temps pour assister à la seconde explosion, provoquée par l’éclatement imprévu d’une sub-stance inflammable. Les flammes s’élevaient encore plus rapidement du toit de l’entrepôt des céréales. En attendant les personnes commençaient à sortir de leurs habitations.

Mezyan et une autre dizaine d’hommes faisaient déjà la navette entre le puits le plus proche et les écuries. Maintenant ils commencèrent à en-tendre des hurlements, tandis qu’ailleurs, même depuis certaines maisons, s’élevaient d’autres flammes ; l’entier Rabaḍ prenait feu. Le bruit sans équivoque de ferraille rendit évident ce qui était en train de se passer : ils attaquaient le village.

Apollonia prit Corrado par les hanches et recueilli toutes ses forces pour le soulever de manière à ce que la corde à ses poings, puisse sauter au dessus de la bifurcation où elle avait été encastrée. Elle cria sous l’effort, et fini par terre, entraînée par le poids de son frère. Elle le libéra des liens et l’aida à s’asseoir en lui faisant appuyer le dos contre le poteau. Puis elle passa un bras autour de sa nuque et essaya de le soulever… mais lui, ne pouvant marcher, tomba comme un poids mort. Corrado hurla, en sentant une immense douleur aux bras et aux genoux. Apollonia donc se senti impuissante ; elle aurait voulu le charger sur ses épaules, mais elle, si petite et fragile, ne pouvait rien. Elle lui prit enfin le visage entre ses mains et, en le regardant plein de larmes, elle lui promit :

“ Je ne te laisse pas ici. ”

“ Va te cacher ! ” répondit Corrado, en haletant

“ Je vais appeler Michele ; il te portera chez nous ! ”

Apollonia courut en vitesse, elle courut autant que ses chaussures le lui permettaient, en se perdant dans les ruelles du Rabaḍ.

Corrado, resté seul, assit les épaules contre le poteau, regarda sur sa gauche, vers la maison d’Umar. Une multitude d’hommes à ce moment traversaient la cour, et le bruit des ferrailles provenant peu avant des quartiers du village, semblaient disparaître. Corrado pensa à ce que sa sœur était en train de risquer en s’éloignant dans les ruelles durant cet at-taque… il était horrifié à la pensée qu’elle ne puisse rentrer.

Umar, qui en ces instants était près des écuries, confus, impuissant et surtout désarmé, retourna dans la cour en ayant compris la nature de la menace. Toutefois un coup imprévu à la tête l’assomma et le fit s’écrouler par terre. Maintenant les hurlements des femmes de la maison, peut-être de la servitude, peut-être de la maîtresse, s’élevèrent, et en peu de temps une fumée noire s’éleva également de l’habitation de Umar. Corrado re-garda autour de lui pétrifié, et il se rendit compte que dans les rues, il n’y avait aucun homme du Rabaḍ.

Quand les assaillants sortirent de la maison, deux d’entre eux tiraient Nadira par les bras. Corrado, en entendant les hurlements, compris son identité même avant de la voir.

A ce point, dans le noir illuminé par les feux, les ennemis inconnus s’approchèrent du prisonnier qui haletait, la nuque appuyée au poteau, il avait une forte fièvre et très peur. Corrado pensa alors qu’il l’aurait tué, comme ils l’avaient fait avec Umar et avec tant d’autres du village.

“ Eh toi, infidèle, mets-toi debout ! ” ordonna un de ces hommes, en ôtant de son visage le turban qui le cachait.

Nadira ouvrit les yeux : ce type était le riche marchand qu’elle avait vu il y a peu chez elle.

“ Je n’y arrive pas, tuez-moi assit ! ” demanda résigné Corrado.

Cet homme au contraire prit Nadira par la nuque et l’obligea à se mettre à genoux devant Corrado.

“ Connais-tu cette jeune fille ? ”

Il la regarda attentivement ; elle était à moins de trois paumes de son vi-sage. Il savait très bien qui elle était, les yeux de Nadira ne pouvaient être confondus, toutefois il ne voyait pas complètement son visage et ses cheveux découverts depuis qu’ encore enfant, elle courait insouciante dans le Rabaḍ.

En plus Corrado n’avait jamais vu la sœur de l’homme du Qā’id dans cet état : Nadira, vêtue de ses habituels vêtements pour la nuit, était un masque de larmes.

Corrado approuva d’un signe de la tête. A ce point, celui qui s’était présenté comme étant Salim lui dit:

“ Va chez ton Qā’id, et dit-lui que s’il veut revoir son dernier bijou il doit me rendre mon épouse ! ”

Nadira compris immédiatement la vrai identité du riche marchand… il s’agissait de Mohammed ibn al-Thumna, Qā’id de Catane et de Syracuse, devenu l’émir le plus puissant de la Sicile toute entière, quand quelques années auparavant, désormais sans aucun pouvoir central, les qā’id s’étaient battus entre eux. Elle su immédiatement jusqu’où cet homme était capable d’arriver : elle imagina ses propres pouls sciés là où il les avait fait scié à Maimuna.

Le qā’id prit de nouveau Nadira par la nuque, l’incitant à se relever, et la livra à ses hommes. Enfin il contraint Corrado à relever la tête en posant la lime de sa cimeterre sous le menton.

“ Si tu veux te venger sur celui qui t’a traité comme cela, viens me chercher quand tu te seras remis… toi et tes amis circoncis. ”

A cela Mohammed ibn al-Thumna quitta la cour et puis le Rabaḍ. Conscient que les incendies du village avaient déjà alerté les gardes de Qasr Yanna et que son beau-frère serait vite intervenu.

En attendant, on avait lié les mains de Nadira avec une longue corde et de l’autre côté, on la tirait de par les rues qui descendaient le plateau, comme on aurait fait avec un âne. Le Qā’id et les siens se déplaçaient en illuminant la route avec des torches, et les pieds nus de Nadira se blessèrent parmi les pierres et les ronces. Quand ensuite ils arrivèrent au gué du ruisseau qui s’écoulait sous le Rabaḍ, précisément sous une des grandes norias, Mohammed ordonna de délier la jeune fille et, en lui tendant un fin vêtement féminin, il l’invita à se couvrir comme il convient de le faire aux femmes. Ensuite, en regardant les nombreux hommes qui suivaient, il dit : ” Si quelqu’un ose manquer de respect à la jeune fille, il aura à faire à moi… il s’agit de toute façon de la promise d’un qā’id et elle doit être traitée de la sorte ! ”

A ce point tous les chevaux sautèrent et disparurent vers est. Nadira du s’accrocher aux hanches de Jamal, l’homme au gros médaillon.

Tous les chevaux, noirs en majorité, allaient dans la même direction. Environ cinquante personnes les montaient, tous vêtus d’un burnus[40 - Burnus: ample manteau masculin avec capuchon en laine, typique des populations berbères.] noir et une culotte de la même couleur. Ils avaient des visages sombres et par-laient la langue la plus commune parmi les nombreux maures d’Afrique. Nadira reconnut cet idiome, c’est comme ça que bien souvent elle s’exprimait en famille, cependant elle ne l’avait jamais entendu parler aussi couramment et avec cet accent si typique.

Les chevaliers encourageaient doucement les destriers et ceux-ci avançaient lentement sous la lune, en formant une longue procession.

“ Mon Seigneur, qui sont ces hommes ? Et où me conduisent-ils ? ” de-manda Nadira au bras droit du Qā’id, dès qu’elle eut calmé ses sanglots.

“ Ce sont les coupe-gorge d’Afrique de ibn al-Menkūt. Ils ont trahi leur qā’id pour en servir un plus convenant. Mais leur seigneur est maintenant un ami de mon patron, et il leur a fait le don de ses mercenaires pour qu’il les utilise de ces jours-ci. ” répondit Jamal.

“ Et ces étrangers me couperont également la gorge ? ” demanda la jeune fille avec la typique innocence de ceux qui ne connaissent pas le monde, et tremblent en face de tout ce qui est nouveau.

Jamal sourit et répondit :

“ N’aie pas peur, mon seigneur a besoin de toi vivante. ”

Peu de temps passa, et ils s’arrêtèrent dans les environs d’un bourg à la frontière entre les terre contrôlées de ibn al-Ḥawwās et celles dominées par ibn al-Thumna. D’autres sales individus stationnaient déjà aux alentours du village, un groupe de maisons à l’aspect très semblable au Rabaḍ de Qasr Yanna. Ceux-ci, coupe-gorge de la même espèce que ceux qui avaient dévasté le Rabaḍ. Rendirent hommage a Mohammed, se prosternant dès qu’ il descendit de son cheval.

“ Livre la jeune fille aux femmes du village et, quand elles l’auront re-mise sur pied, renvoie-la moi. ” ordonna le Qā’id à Jamal, et ceux-ci ré-pondirent par une inclination.

Nadira fut conduite à la lumière des torches, dans une maison modeste, ici, des femmes aux visages tristes prirent soin d’elle en lui lavant les pieds, en lui peignant les cheveux et en lui donnant à manger. Nadira de-manda qui elles étaient, une de celles-ci répondit que trois jours avant les coupe-gorge de ibn al-Menkūt avaient capturé le village, tué tous les hommes et violé chaque femme comme rituel d’initiation à leur nouvel état d’esclavage.

Enfin Nadira fut conduite chez le Qā’id qui séjournait dans une somptueuse tente élevée à côté de la mosquée.

L’arrivée de la jeune fille fut annoncée par le son de nombreux bracelets, bracelets de chevilles et hochets qu’on lui avait fait porter. En plus ses yeux avaient été peints avec du kajal[41 - Kajal: poudre composée de vrais minéraux et de graisse animale, utilisée dans les cosmétiques depuis l’antiquité pour noircir les paupières et marquer le contour des yeux.] qui, dès qu’elle apparut devant Mohammed était déjà en train de disparaître sous les larmes et rayait de noir ses pommettes jusqu’au menton.

“ Viens Nadira, approche-toi ! Sous ma tente on y est plus au chaud et plus confortable. Les nuits d’hiver peuvent être trop longues quand on ne parvient pas à dormir. ” Mohammed l’invita en restant assis les jambes croisées sur des coussins.

Nadira entra dans la luxueuse tente et, en s’approchant du feu du brasier, elle s’exclama :

“ Je sais qui tu es. ”

“ Donc, ça ne m’étonne pas que mon beau-frère est tombé amoureux de toi… cela aurait été étrange qu’il ait choisi une épouse stupide ! ”

“ Tu ne peux pas me mêler à tes affaires de famille. ”

“ Tu veux dire ” nos ” affaires de famille… belle-sœur ! Sais-tu ce que ton Qā’id m’a fait ? ”

“ Ton épouse te craint… après le mal que tu lui as provoqué. ”

“ La vie et la mort de ma maison et de mes sujets ne sont-ils pas dans mes mains ? ”

“ La vie de chacun de nous est dans la mains d’Allah, pas dans la tienne. ”

“ Mais Allah a ses dessins et ceux-ci ne peuvent être changés. Si cela est arrivé avec Maimuna, n’est-ce pas également Sa volonté ? ”

“ Donc, même le fait que je ne veuille pas venir chez toi est Sa volonté… accepte-la et laisse.moi partir. ”

Mohammed rit et expliqua :

“ Il y a différentes sortes d’hommes qui naissent au monde : il y a ceux qui subissent leur destin et ceux qui l’utilisent pour changer les temps, les saisons et les peuples. Moi je suis né noble et dans ma Syracuse, j’ai su me faire grand pour ensuite prendre la moitié de la Sicile. Je rends service à Allah et à son insondable destin, étant au monde pour changer les temps, les saisons et les peuples. Le mal n’existe pas… le bien n’existe pas, mais uniquement la volonté d’Allah. ”

Nadira tomba alors sur ses genoux et le visage par terre elle implora :

“ Je t’en pries, mon Seigneur, ma mère criait quand tu m’as arrachée de ses bras, et la maison était envahie de fumée… Laisse-moi partir pour m’assurer de sa santé, et puis je reviendrais auprès de toi. ”

“ Revoir ta mère, dépendra uniquement d’Ali, ton Qā’id. ”

“ Ne me fais pas rester : les hommes dont tu t’entoures sont perfides et criminels… ils ont fait beaucoup de mal aux personnes qui vivent dans ce village. ”

“ Ils ne te feront aucun mal, n’aies pas peur. La sorte d’une épouse illustre ne peut être comparée à celle des communes vilaines livrées pour l’amusement des soldats. ”

“ Mais tu réduis à l’esclavage même nos sœurs, et tes soldats ont mas-sacrés tous les hommes !

“ Pas tous… j’ai permis aux paysans chrétiens de rester. S’entourer d’infidèles paie bien vu qu’ils remplissent grassement mes poches, grâce aux taxes de la jizya. Les iqlīm orientaux, pleins de non circoncis et de juifs, sont une mine d’or pour les poches de celui qui commande. ”

“ Et tu paies cette armée de mercenaires avec l’argent de la jizya ? De-manda Nadira avec la même irrévérence qu’elle assumait avec Umar. Maintenant en effet elle comprenait que les supplications ne pouvaient être accueillies dans le cœur de pierre de Mohammed.

Il la fixa attentivement et sérieusement et lui répondit :

“ Si ça n’était pas pour l’objectif pour lequel je t’ai préservée, si ça n’était pas pour tes yeux et pour ta beauté, ma chère Nadira, je te ferais également scier les pouls… et encore pire, je te ferais couper cette langue zélée. Tu es ma prisonnière, rappelle-toi ! Il n’existe aucune personne dans ce monde dont la vie peut être brisée autant que la tienne… Un fil de coton, brûlé par le feu qui s’écaille au contact de ma main. ” dit et mima Mohammed, en frottant son index et son pouce entre eux.

“ Tu te présenteras toujours à mes côtés au mieux de ta forme ; pour le plaisir de mes yeux. Je ne te permets pas de pleurer si cela abîme ton vi-sage. Je ne te permets pas de jeûner si cela fait maigrir tes formes. Tu porteras le jilbāb[42 - Jilbāb: n’importe quel manteau long et ample porté par les femmes musulmanes. Cet indûment satisfait la requête du Coran car il couvre la tête, en laissant découverts uniquement le visage et les mains. Différent du hijab, qui dans la conception moderne, au contraire, fait référence à un voile qui couvre la tête.] uniquement en ma présence et selon ma volonté. Mais n’aies crainte, je protégerai ton honneur, envers moi et envers quiconque, afin qu’ Ali ne puisse te mépriser et te refuser parce que tu n’es plus vierge. Ton Qā’id est un misérable, un esclave qui a fait son chemin grâce à la flatterie et aux promesses, mais il serait capable de renoncer à sa vilaine si celle-ci ne lui donne pas ce qu’il espère prendre durant la première nuit. Ta valeur et celle de ta virginité sont encore trop comme contre partie à offrir en échange de mon épouse. Mais si Ali se montre borné, alors je déclencherai les forces de l’enfer contre lui, je dévasterai ses terres, massacrerai ses sujets, emmènerai les femmes de ses villes pour en faire des es-claves et surtout, je ferai de toi tout ce que je veux. L’attaque à ton village a été sans douleur pour de nombreuses personnes, car rapide, et avec le seul objectif de capturer la jeune fille aux yeux couleur saphir, mais si Ali ne m’écoute pas, alors beaucoup souffriront et devront s’incliner devant leur nouveau Qā’id… s’ils veulent continuer à vivre. ” Ibn al-Ḥawwās saura me récupérer de tes mains, j’en suis certaine. Et mon frère… ”

“ Ton frère est mort ! Je l’ai vu personnellement tomber. Il a eu ce qu’il méritait, ce lèche pieds ! ”

Nadira se jeta sur les coussins et commença à pleurer plus fort.

“ Umar… Umar ! Appela t’elle désespérée, pleine de douleur et de désespoir pour avoir disputé avec lui durant une journée entière, sans ja-mais avoir pu lui dire combien elle l’aimait.

“ Ton frère était un brave homme. Je suis sûr qu’au Paradis il aura le traitement réservé aux martyres. Mais ne pleure pas Nadira, ” l’encouragea cyniquement Mohammed.

“ Ne pleure pas ! ” répéta t’il ensuite en hurlant, révélant ainsi que la seule chose qui l’intéressait était qu’elle arrête de pleurnicher.

“ Je ne supporte pas ces gémissements en ma présence. ” conclut-il en-fin.

“Tu prends soin de moi et tu m’invites sous ta tente ; mais comment peux-tu prétendre que je sois tranquille en entendant ces paroles ? Tu me demandes même de ne pas pleurer… ”

“ Je ne désire pas ta tranquillité, je prétends que tu fasses semblant quand tu es à mes côtés. La prochaine fois que je te convoquerai, tu souri-ras. C’est un ordre ! Maintenant vas. Tu resteras avec les femmes, mais Jamal te surveillera. ”

Nadira fut accompagnée chez les femmes qui l’avaient précédemment maquillée, et celles-ci, enfermées tout comme elle, dans quatre murs, commencèrent à la haïr car elle croyaient qu’elle représentait la raison de cette guerre et de leurs mésaventures. ”




Chapitre 10


Automne 1060 (452 de l’hégire), Rabaḍ de Qasr Yanna



Quand Ali ibn al-Ḥawwās quitta le Rabaḍ pour rentrer à Qasr Yanna, Nadira ne voulut aucun don pour elle, malgré que le Qā’id lui avait pro-mis la lune. Finalement après mille insistances, Nadira demanda de recevoir une copie du texte du poète Mus’ab, vu que cela lui appartenait plus qu’aux autres. Bashir, le Vizir, fit en vitesse, écrire ces paroles sur une feuille de papier fin provenant des fabriques de Balarm.

Nadira ne se débrouillait pas très bien avec l’écriture et elle dû faire appel à l’imam[43 - Imam: guide spirituel islamique. Généralement celui qui dans la mosquée guide les mouvements rituels des fidèles durant le ṣalāt.] du Rabaḍ qui après trois jours de lecture et relecture de la poésie, dû éloigner la jeune fille impatiente. Dans l’attente elle avait appris tous les versets par cœur, et par conséquent également la servitude mémorisa rapidement ces paroles que la maîtresse récitait maintenant en leur présence. ” Connais-tu, oh mon Seigneur, le ciel de Nadira, les frontières de ses yeux ? ” c’était le verset le plus souvent rappelé.

Comme on pouvait l’imaginer, la nouvelle du prochain mariage entre Nadira et le Qā’id s’étendit avec une incroyable rapidité, hors de la mai-son de Umar. Un si grand enthousiasme se déchaîna parmi les personnes du Rabaḍ, que la jeune fille eu des difficultés à faire face à son embarras, devant les inclinaisons et la soumission des personnes avec lesquelles elle avait grandi. A la fin, la nouvelle du ” ciel de Nadira ” et du mariage de la jeune fille avec le Qā’id arriva même à l’intérieur les remparts où vivaient les chrétiens du Rabaḍ.

Un jour, Alfeo, le chef de famille, un pauvre homme qui démontrait vingt ans de plus de son âge réel, appela tous ses enfants autour de la table. C’était l’heure du dîner et ce jour là Apollonia et Caterina, sa mère, avaient suivi les hommes au potager pour les aider et pour manger en fa-mille sans devoir attendre le soir. Alfeo et Michele avaient à peine terminé d’arroser le potager des brocolis et donc, en fermant les parois de la saqija[44 - Saqija: petit canal pour l’irrigation des terrains cultivés. Du sicilien ”saja”.] qui passaient par le terrain, ils mirent de côté leur bêche pour aller manger. Michele siffla à Corrado, qui était au shaduf[45 - Shaduf: instrument ingénieux utilisé depuis l’antiquité pour soulever l’eau à un niveau inférieur ou supérieur, comprenant un poteau avec un seau à une extrémité et un contre poids de l’autre.] depuis le matin, pour hisser l’eau de la gabiya[46 - Gabiya: citerne, baignoire pour l’irrigation. D’où le sicilien“gèbbia”.] et fournir les petits canaux et les potagers.

Caterina faisait bouillir le lait de chèvre dans la marmite et Apollonia mettait le bois dans le feu quand Alfeo, les appelant tous, leur demanda de s’asseoir autour de la table, sous le toit du point de l’abri de campagne. Les fermes éparpillées dans les quartiers de l’île et les simples points de rencontre pour les paysans étaient nombreux et souvent proche l’un de l’autre car les sarrasins avaient dès le début encouragé les petites propriétés et la culture intensive.

Maintenant ils les avaient tous devant eux. Corrado, Michele et Apollo-nia, pendant que son épouse préparait la nourriture. Alfeo avait à peine appris la nouvelle de Nadira. Il avait entendu ses jeunes garçons en parler, et aussi qu’Apollonia éprouvait de l’admiration envers cette jeune fille aux yeux bleus, étant lui même père, il ne pouvait ne pas penser à ce qu’aurait été le futur de ses trois fils.

“ La sœur de Umar a été promise au Qā’id. ” dit-il en communiquant la nouvelle que tout le monde connaissait.

“ Père, on en parle partout ! ” répondit Corrado.

“ ”Le ciel de Nadira, les frontières de ses yeux. ” ” ajouta Apollonia, tandis qu’elle se frottait les mains pour enlever la souillure du charbon qui s’était déposée et sans savoir qu’elle était encore plus noire sur le visage.

“ Ma fille, il faudrait un qā’id pour toi aussi. ”

“ Père, que dites-vous ? ” demanda avec perplexité Apollonia, embarrassée et confuse.

“ Un qā’id chrétien évidemment. ” continua Alfeo en clarifiant le concept.

“ Un qā’id chrétien ça n’existe pas. ” répéta Caterina, qui avait tant transmis de son aspect et de son caractère à sa fille, mais qui portait mal les signes de l’âge et de sa pauvreté.

“ Pas un qā’id, mais je désire quand même trouver un bon parti pour Apollonia. ”

“ Père, je suis bien comme ça ! ” expliqua la jeune fille en regardant un instant Corrado.

La peur de devoir se séparer de sa famille, et donc de son frère, la tour-mentait depuis des années, mais, maintenant, cette peur était relevée par son père, elle se sentait incapable de se défendre. D’ailleurs sa seule arme aurait été celle de déclarer son sentiment à Corrado… une éventualité qui la terrorisait encore plus que sa peur.

“ Ne dis pas de bêtises ! Personne n’est bien comme ça à ton âge. Cor-rado et Michele te trouveront un mari… ce qu’il y a sur le marché, naturellement… pas un qā’id… mais le meilleur que l’on puisse trouver. Je n’ai qu’une seule fille et je veux exploiter au mieux la situation. ”

“ Mais père, comment pensez-vous pouvoir vous le permettre ? Vous êtes-vous rendu compte des habits que nous portons ? ” remarqua d’un air querelleur Michele en se levant et en montrant les lambeaux présents sur sa tunique.

“ Apollonia est une femme d’un bel aspect et elle n’a rien à envier à la sœur de Umar. Si ce n’est pour ces lambeaux que nous pouvons seule-ment nous permettre elle aurait elle aussi trouvé un qā’id. ” clarifia Alfeo en colère et en élevant la voix.

“ Vous parlez avec le cœur d’un père, mais tout ce que je désire pour moi est vraiment à l’intérieur ces murs. ” expliqua Apollonia, en caressant la main de son père et en l’encourageant à se calmer.



Elle s’efforça donc de ne pas regarder Corrado, craignant de révéler à quoi et à qui s’adressait sa dernière phrase.

“ Bien, père, dites-nous si vous pensez à quelqu’un et Michele et moi résoudrons la question. ”

Entendre ces paroles de la bouche de Corrado fut un coup au cœur pour Apollonia. Elle avait espéré durant des années, que son frère puisse éprouver envers elle quelque chose qui puisse aller au delà de l’affection d’un parent acquit, durant vingt ans de vie commune. Elle avait espéré qu’il la comprenne sans qu’elle doive se déclarer. Elle avait construit un conte de fée et maintenant tout s’écroulait. Dorénavant son regard se perdit dans le vide, fixant un point indéfini hors de la porte.

“ Je n’ai trouvé personne parmi les chrétiens de Qasr Yanna qui pourrait améliorer notre condition en épousant Apollonia. ”

“ Alessandro ! Je l’ai vu personnellement lui faire la cour. ” proposa Michele.

“ C’est un coureur de femmes. ” précisa Corrado

“ Et qu’est-ce que cela peut nous faire ? ” ajouta Michele ” cela importe car les vices coûtent cher. ”

“ Tu as bien dit Corrado. Et puis il a essayé de m’arnaquer déjà trois fois au marché. Non, aucune personne de Qasr Yanna. Après le Christoúgenna[47 - Christoùgenna: nom en grec de la nativité du Christ. Dans le monde chrétien oriental est équivalent à la fête de Noël; observée aujourd’hui en janvier et non en décembre comme en occident.], quand on ne travaille pas la terre, je veux que vous alliez dans le iqlīm de Demona, là où les personnes connaissent encore le grec et la majorité sont des chrétiens. Allez jusque là, et trouvez un mari pour votre sœur… et puis pensez également à vous. ”

Corrado et Michele se regardèrent, un instant après il rirent à plein cœur à l’idée de devoir trouver une épouse.

“ Corrado, tu es allé dans ces endroits; que peux-tu me dire sur les jeunes filles. ? ” demanda Michele enthousiaste.

“ Je n’avais que neuf ans. ”

“ Mais tu te souviendras certainement des femmes… ”

“ Je me souviens des habitants de Rametta[48 - Rametta: antique nom de la localité de Rometta, dans la province de Messine.]… Peau claire et yeux noisettes ! ”

“ Ça suffit ! Gronda Alfeo, qui répéta :

“ Combien de fois vous ai-je dit de ne pas parler de ces années là ? Pour Corrado c’est comme ci il était né dans cette maison ! ”

Les deux jeunes garçons s’échangèrent un regard d’entente : au geste de Michele qui indiquait son propre thorax, Corrado répondit en gesticulant à pleines mains pour laisser entendre que les jeunes filles de l’Iqlīm de Demona avaient de gros seins. Apollonia s’en rendit compte ; c’était trop ! Elle courut en larmes à l’extérieur sans donner d’explications. Et elle alla se cacher derrière les potagers dans une plantation de sumac, ce jour là elle ne mangea pas et lorsque Corrado, en la cherchant, passa au-près d’elle, elle s’agenouilla pour ne pas être vue.




Chapitre 11


Hiver 1060 (452 de l’hégire), Rabaḍ de Qasr Yanna



Avant de reprendre connaissance, Corrado eut le temps de voir l’icône de la Madonne, celle insérée dans une niche sur la façade de chez lui, c’était un signe obligatoire pour les chrétiens. Michele l’avait transportée sur les épaules pendant qu’Apollonia les avaient devancés en traçant la route parmi la foule en panique, qui tentait d’éteindre les incendies éclatées juste avant. La maison de Umar était dévorée par les flammes tandis que dans l’entrepôt de céréales, des dizaines d’hommes se démenaient pour tenter de sauver le plus de graines possible ; parmi eux se trouvait également Alfeo.

Caterina pleurait sur la porte, tandis que ses deux enfants naturels ramenaient l’autre chez eux, immolé et presque mort pour défendre l’honneur de la famille qui l’avait accueilli.

Michele posa Corrado sur le lit et s’empressa d’aider son père et ses compagnons du village contre les flammes de l’entrepôt.

Apollonia portait la lanterne, mais elle s’immobilisa sur la porte quand elle se rendit compte que sa mère avait dépouillé Corrado de ses habits plein de sueur, et de la rosée de la nuit, pour le couvrir avec des couvertures sèches. Elle ne se rappelait pas de l’avoir jamais vu nu, elle rougit et craint de s’en approcher. Puis, dans les heures les plus sombres de la nuit, elle se retrouva de nouveau seule et veilla sur lui, comme elle l’avait fait les deux jours précédents. Maintenant un linge humide lui frictionnait le front et tentait de faire baisser la fièvre.

Quand Corrado ouvrit les yeux, les premières lueurs qui anticipaient l’aurore pénétraient déjà par la petite fenêtre et l’adhān de l’aube résonnait sur tout le Rabaḍ, signe que la spiritualité devait toujours prendre le dessus sur les disgrâces.

La fièvre était descendue et Corrado commençait à reprendre le contrôle de ses muscles. Les ecchymoses sombres qu’il avait aux pouls rappelaient la cause de son infirmité, et la haine de celui qui lui avait provoqué cette humiliation…. Justement à lui, un noble d’une fière lignée indomptable.

Corrado avait réprimé son âme de guerrier dans les vingt années de vie de famille. Cette réalité, faite d’affection, d’un chez soi, de parents affectueux, d’un frère fidèle et d’une sœur bien-aimée, avait comblé l’inconfort d’être loin de son peuple, perdu au milieu d’un peuple qu’on lui avait enseigné déjà tout petit à mépriser. Durant ces années, l’humiliation d’être soumis au collecteur d’impôts du Qā’id, d’abord à Fuad et ensuite à Umar, avait été réparée par l’amour de Caterina, la mère qu’il n’avait jamais eue.

Corrado se retrouvait maintenant avec la tête endormie d’Apollonia posée sur sa poitrine. Bien qu’il fut inconscient par intermittence, il savait tout ce que cette jeune fille avait fait pour lui. Il lui passa donc une main dans les cheveux et lui caressa la joue et l’oreille.

Apollonia ouvrit les yeux, toutefois il ne pouvait pas la voir. C’était tout ce qu’elle pouvait prétendre de cette proximité : faire semblant de dormir pour jouir des caresses de l’autre. Elle sourit en imaginant que ses mains fussent motivées par d’autres sentiments, mais ces bribes étaient tout ce qu’elle pouvait avoir.

“ J’ai soif. ” dit Corrado en pensant à voix haute.

Apollonia à ce point ne put plus faire semblant de dormir, elle se releva du tabouret sur lequel elle était assise.

“ Je vais prendre de l’eau. ” répondit-elle même trop rapidement, en provoquant le soupçon chez son frère, qui en réalité elle ne dormait pas tellement.

“ Non, laisse faire notre mère, Toi reste ici. ”

Le visage de Corrado s’attarda donc sur celui d’Apollonia : une grosse ecchymose encore rouge ,partait de l’angle de sa bouche et montait jusque la moitié de sa joue.

“ Que t’est-il arrivé ? ” demanda t’il en lui effleurant le visage. Apollonia recula et répondit :

“ Tu ne te souviens vraiment de rien ? ”

En réalité Apollonia espérait que Corrado ne se souvienne pas de ce dé-tail… qu’il ne se fut pas rendu compte qu’Idris l’avait frappée, afin que la colère ne l’envahisse pas et qu’il ait envie de se venger.

“ Qui t’a donc fait cela ? ” demanda encore Corrado, en s’appuyant sur le dossier du lit.

Apollonia était partagée : d’un côté elle aurait voulu protéger Corrado de son tempérament, de l’autre elle ne voulait pas lui mentir.

“ Après ce qui s’est passé cette nuit, peu importe le coupable ? ”

Corrado fut catapulté dans la prise de conscience des évènements aux-quels il avait assisté la nuit précédente ; maintenant tout lui revenait à l’esprit.

“ Ils ont capturé Nadira ! ” dit-il en un souffle, comme si cette vérité apparaissait en à ce moment là.

“ Je le sais, Corrado… je le sais…. Cette pauvre fille ! Mon frère, la beauté est une malédiction de Dieu, et l’homme est un homme ! Jala a tout vu, on la lui a enlevée des bras. On ne parle que de cela dans tout le village et Michele m’a tout raconté, même ce que je ne savais pas. ”

“ Umar… ce chien de Umar ! Je l’ai vu de mes yeux tomber mort. ”

“ Umar est vivant… et même sa famille. Ils se sont sauvés bien avant que la maison ne s’écroule sur elle même. Mais douze paysans, Corrado… douze paysans… sont morts pour défendre le Rabaḍ ! ”

Corrado se mit en colère pour les douze habitants du village, mais puis, sa rage envers Umar pris le dessus.

“ Il aurait bien fait de mourir ce maudit Umar ! ”

“ Alors il vaut mieux que je ne te dise pas qui l’a traîné loin des flammes, tandis qu’il s’évanouissait et que sa mère le cherchait désespéré-ment dans le fleuve. ”

“ Est-ce toi ? ” demanda t’il furieux, en lui pointant le doigt sur le vi-sage.

“ Non, moi je n’ai même pas été capable de te traîner toi. Ce fut Michele quand il est venu te ramener à la maison. ”

“ Michele ! ” hurla Corrado, en voulant demander des explications à son frère.

“ Calme-toi, je t’en pries ! Les personnes sont très éprouvées, et même notre famille est en deuil. J’ai vu notre père rentrer à la maison en larmes. Nous avions pris les récoltes d’une année et parmi ces douze personnes beaucoup étaient de nos amis. ”

“ Michele ! ” appela de nouveau Corrado.

“ Ça finira mal et tu disputeras avec lui… Ne fais pas ce tort supplémentaire à notre père. Je t’en pries Corrado ! Je t’en supplie Corrado en lui prenant les mains.

“ Quel tort lui aurais-je fait ? ”

A ce point Alfeo et Michele, ayant entendu le rappel de Corrado, se mirent debout dans la pièce.

Apollonia lâcha alors les mains de son frère et se mit debout, comme si les autres pouvaient interpréter malicieusement ce geste d’affection, comme s’ils connaissaient ses sentiments.

“ Personne ne s’était rendu compte de nous, Corrado, et maintenant grâce à toi nous sommes devenus une puanteur pour tous les mahométans du Rabaḍ, et surtout pour la maison de Umar. ” expliqua Alfeo avec un vi-sage complètement noirci par la fumée.

“ C’est pour cela que Michele a sauvé notre ennemi encore avant de me sauver moi ? Pour compenser le tort que j’ai fait à ce fumier d’homme ? ” dit Corrado furieux.

“ C’est ainsi… Prions Dieu qu’avec le geste de Michele tout rentrera dans l’ordre comme avant. ”

“ Avant que je ne prenne vos défenses, père ? ” ” Je ne t’avais rien demandé. ”

“ Mais cet homme vous a humilié ! ”

“ Ce sont eux qui commandent ; qu’ y a t’il d’étrange ? ”

“ C’est pour cette raison que vous n’avez pas daigné venir pendant que j’étais là ? ”

“ Umar doit comprendre que nous n’avons rien à voir avec ton geste. ” Le désespoir de Corrado prit place devant sa colère.

Apollonia aperçu le visage sombre de son frère et tenta de l’encourager :

“ Allons donc… au fond notre père a raison. Que pensais-tu faire en insultant l’homme du Qā’id ? ”

Mais Corrado, au lieu de l’écouter, insista :

“ Mon père, mon vrai père, aurait été fier de moi, et il l’aurait été même si je fus mort lié à ce poteau. Vous au contraire vous me le reprochez ! ”

Maintenant les tons s’enflammaient sérieusement. Alfeo était grave-ment indigné par ces paroles, tandis que Michele restait en silence car il savait avoir trahi la confiance des personnes qu’il admirait le plus.

Caterina arriva sur la porte quand son mari fit un pas en avant et s’ex-clama :

“ Où est-il maintenant ton vrai père ? Il a préféré se faire tuer en te laissant seul ! Pour quoi, Corrado, pour l’honneur ? Pour ne pas être humilié ? Je suis certaine que pour les personnes comme ton père il aurait s’agit de raisons plus que suffisantes pour se faire tuer, en abandonnant son propre fils à son destin. Toutefois ça ne sont pas les raisons pour lesquelles ton vrai père ne t’a pas élevé… ton père s’est fait tuer pour de l’argent ! ”

Sur ces paroles Corrado se leva du lit, mais, et en apercevant qu’il était nu, il se couvrit rapidement avec la couverture qu’il portait ; Apollonia, en attendant s’était promptement tournée.

“ C’était un soldat ! ” justifia Corrado.

“ Et moi je suis un paysan… avec un patron à servir ! ” Corrado fit un autre pas vers Alfeo et répondit :

“ C’est pour cela que vous léchez les pieds des païens depuis deux cents ans. Je commence à penser que le goût de la poussière dans les dents vous plaît. C’est pour cela que mon peuple a en main l’autre partie du Détroit tandis que vous vous faites gifler pour une taxe impayée. Roul le di-sait toujours : ” Maudits grecs ! ”

Une fois prononcé ces mots, il passa outre et sorti de la maison

Il se sentait comme un ver, surtout pour la dernière phrase. Cet homme avec qui il disputait était celui qui l’avait accueilli et élevé comme ses propres fils et maintenant, lui, se montrait ingrat, en le diminuant dans la comparaison d’avec son père qui lui, l’avait quitté à l’âge de neuf ans. D’ailleurs, que prétendait-il de cette famille qui avait fait de la soumission au patron une question de survie ? Le cœur de Corrado était indomptable depuis sa naissance, c’est vrai, mais également incompatible avec la douce nature de Alfeo. A un certain point, tandis qu’il était assis sous le figuier derrière la maison, encore entouré de sa couverture, il en arriva à la conclusion que c’était lui l’inadapté, et qu’à cause de son caractère il n’aurait provoqué que des problèmes à ces personnes qu’il aimait plus de toute autre chose au monde. Il faisait froid et il n’était pas du tout guéri, mais ce fut à ce moment là qu’il prit la décision de partir. Son cœur battait fort dans sa poitrine et son souffle était profond. Maintenant les dix dernières années disparurent ; Corrado senti ses vingt-neuf ans comme s’ils n’en étaient que neuf, comme si le temps au Rabaḍ n’avait jamais eu lieu.

Apollonia sorti en pleurant pendant que Corrado restait plongé dans ses pensées.

“ Tu ne t’en es pas encore remis… entre s’il te plaît. ” le pria-t’il. Corrado toutefois sourit avec satisfaction pour la décision qu’il venait de prendre d’un jet, quelques minutes auparavant.

“ Je suis content que Michele ait sauvé la vie d’Umar. ” répondit-il, la laissant complètement perplexe.

“ Et alors qu’est-ce que cela a à voir ? ”

“ cela à voir, car le moment est arrivé de me comporter comme il en est d’usage parmi mon peuple. Je demanderai des comptes à Umar pour ce qu’il m’a fait et Idris payera pour ce qu’il t’a fait. Ne crois pas que je ne l’ai pas vu cette nuit ! ”

“ Comme ça tu te feras tuer ! ”

“ Peu m’importe, car cela n’est pas vivre, c’est se traîner ! ”

“ Raisonne, ça ne va pas aussi mal… Avant que Umar ne frappe notre père, il ne nous avait rien fait de mal. ”

“ Notre père et Michele sauront se justifier en me méconnaissant, comme ils l’ont fait ces jours-ci. ”

Apollonia se jeta à ses pieds, en l’embrassant.

“ Je ne te le permets pas, au prix de tout raconter à notre père. ” ” Tu ne le feras pas, ma sœur, pas toi qui ne m’a jamais trahi. ” Apollonia se leva, le regarda et le fixa… Sur ce, il lui caressa la joue du bout du doigt.

“ La vengeance est la ruine de l’homme. C’est toi qui m’as raconté comment la guerre d’il y a vingt ans n’a pas eu de succès pour les chrétiens à cause de la vengeance de ce type. ”

“ Arduin le lombard… mais ce ne fut pas à cause de sa vengeance que les armées des chrétiens s’en allèrent au delà de la mer ; ce fut parce que leur général voulu l’humilier publiquement… juste comme Umar a fait avec moi. ”




Chapitre 12


Début de l’été 1040 (431 de l’hégire), vallée à l’est de Tragina



De nombreux jours passèrent, peut-être une semaine ou plus, un temps où Conrad continua de fréquenter l’église rupestre. Il y dormit, y mangea, y pria et doucement il commença à échanger quelques paroles avec ceux qui y venaient, surtout avec les quelques moines du rite grec qui connaissaient la langue d’oïl, mais aussi avec certaines personnes de la servitude, et avec les soldats de la garde du camp. Conrad y passa tant d’heures que durant les quelques moments où il mit le nez dehors, ses yeux brûlèrent à cause de l’intense lumière du soleil. Il apprit qui étaient chaque personnage peint sur le mur, le nom de tous les saints et il éprouva beaucoup d’affection pour Saint André, priant à bouche ouverte et faisant le symbole de la trinité de la main ; ce saint en particulier, surmontait la sépulture de son père.

Roul et les autres avaient erré dans les campagnes pendant des jours en-tiers, et maintenant, de retour de la poursuite, ils rentraient au camp avec la grande armée. C’était les premières heures de l’après-midi, quand Conrad entendit une grande confusion qui provenait d’en bas et se jura à lui même que dans les tentes on fêtait certainement.

Peu de temps passa et son homme de confiance vint vers lui.

“ Mon fils, sort ! ”

Conrad alors sorti, mais il resta devant l’entrée.

“ L’entière armée revient. ”

“ C’est vous qui fêterez la victoire… moi, je souffre encore pour la perte de mon père. ”

“ Beaucoup de soldats ont perdu un parent dans la bataille, un frère et même un père… Il y a peu, ils ont enterré leur propres morts, et pas dans un beau mausolée comme celui-ci, mais au milieu d’un camp. Maintenant, cependant, il est juste de jouir de nos sacrifices… ils sont morts également pour cela. ”

“ Je ne veux pas abandonner mon père. ” dit Conrad.

“ Et un quelconque infidèle profanait ce lieu ? Il renforça sa thèse.

“ Dieu le punira, mais ils ne peuvent pas tuer ton père une seconde fois. Aujourd’hui nous fêterons ensemble, et puis, compensation en poche, nous retournerons à Syracuse pour aider ceux qui sont restés, afin de compléter l’assaut. Nous avons obtenu un grand butin de ces jours-ci… Dieu seul sait combien de villages ont été pris dans la poursuite et sur la route du retour ! Chacun aura sa part et toi tu auras celle de ton père. ”

“ Je ne l’ai pas gagnée. ”

“ Qu’as-tu gagné de tout cela que ton père n’ait fait pour toi ? Mon garçon, je commence à être fatigué de tes caprices ! Aujourd’hui, j’avais même des difficultés à croire que tu étais resté ici pendant plus d’une semaine. Mais je ne suis pas ton père, et si je ne pourrai pas honorer la pro-messe que je lui ai faite, alors il vaut mieux que je t’arrache la tête avec deux de mes doigts, plutôt que t’avoir dans les pieds ! ”

“ Qu’attendez-vous de moi ? ” demanda donc Conrad en haussant la voix.

“ Que tu comprennes que ton père est mort, et que tu arrêtes de pleurnicher. Que tu saches que j’étais un ami de Rabel, et non de toi, je n’aurais donc aucun scrupule à te pendre à la bannière, si tu ne fais pas ce que je te dis. ”

“ Prenez la part du butin de mon père et laissez moi en paix. ”

Quand après cette phrase Conrad se retourna pour aller se réfugier dans la grotte, Roul le prit par la nuque et le hissa à plus de deux mètres de hauteur. La main du guerrier embrassait presque tout le cou du jeune garçon, il la serra à tel point que les yeux du jeune homme semblèrent projetés vers l’extérieur.

“ On m’appelle Poing Dur et je devrais me faire insulter par toi, un sale gosse ? J’y mettrai bien peu à t’écraser sur ce rocher ! ” hurla t’il au point de ressembler au Diable.

Il le fit donc tomber brusquement en lâchant la prise.

“ Si quelqu’un voyait comment tu essaies de me mépriser, ma réputation serait mise à dure épreuve. J’ai tué des hommes pour bien moins que cela ! Remercie ton père et mon honneur si aujourd’hui je ne t’étrangle pas. Maintenant lèves-toi et viens au camp ! ”

Conrad était blessé, plus dans son corps que dans son âme, et il évitait de regarder l’autre dans les yeux, restant encore recroquevillé sur l’herbe sèche. Ni même son père n’était parvenu à le discipliner de la sorte.

A un certain point il vit la gigantesque main de Roul s’approcher de son visage ; il ferma donc très fort les yeux en imaginant cette menace qui se concrétisait.

“ Lève-toi et viens avec moi. Je te ferai voir comment vivait ton père, je te ferai connaître ses amis, je te ferai boire ce qu’il buvait et je te ferai connaître les femmes qu’il préférait. ” l’invita Roul d’ un ton anormale-ment gentil en lui tendant la main.

Conrad l’attrapa et se remit debout, il essuya les larmes qui baignaient ses tâches de rousseur et s’efforça d’avoir une expression de dureté.

“ C’est ainsi que tu me plais ” se complimenta l’énergumène avant de lui tourner le dos et commencer à descendre de la côte.

“ Roul ! ” au contraire appela Conrad.

“ Qu’il y a t’il d’autre ? ” répondit avec impatience l’adulte d’entre les deux.

“ Je veux que vous m’emmeniez avec vous dans la prochaine bataille. ” Roul se mit à rire, il était heureux que ses moyens donnaient des résultats, mais il rit de bon goût.

“ Sale gosse, qu’est ce que tu voudrais ? ”

“ Vous voulez m’enseigner à vivre comme vivait mon père… , emmenez-moi également au combat. Mon père m’a enseigné l’épée depuis que je marche. Je sais le faire ! ”

“ Tu m’en donneras une démonstration dès que cela sera possible. En ce qui concerne la guerre…. eh bien, mon fils, tu dois d’abord préparer ton cœur… tu dois apprendre à haïr ! ”

“ Je sais déjà haïr ! Mettez devant moi un infidèle et vous verrez comme je le réduirai en lambeaux. ”

“ cela ne suffit pas, tu n’es pas assez fort. ”

“ Donnez-moi votre hache et j’abattrai cet olivier en trois coups. ” Roul rit encore plus fort et répondit :

“ Tu ne saurais même pas soulever ma hache ! Tu viendras avec moi en bataille mais pas maintenant. L’armée régulière de Constantinople est composée d’hommes qui ont au moins dix-huit ans. Nous ne sommes certes pas à leur niveau, mais attends au moins que quelques poils te naissent au menton avant de venir. ”

“ L’année prochaine ? ” demanda naïvement Conrad.

“ L’année prochaine… c’est d’accord. ” dit Roul pour s’en libérer. ” Je vengerai mon père ! ”

Roul cette fois ne répondit pas, il posa plutôt une main sur l’épaule de l’autre et recommença à descendre.

Le camp était un essaim de personnes : avant ce moment, Conrad ne le voyait pas aussi grand. C’était un air de fête et tout autour, les soldats riaient et blaguaient, cette fois sans montrer cette méfiance qui circulait parmi les différentes lignées. Un type à côté de la rue, auprès des grandes tentes, avait une caisse pleine d’étranges objets métalliques avec des pointes sur différents côtés. Roul en pris un, le montra à Conrad et lui expliqua :

“ Vois-tu cet outil, mon garçon ? C’est ainsi que Abd-Allah entendait nous battre, en disposant des centaines de ces outils sur le terrain. Mais nos chevaux sont chaussés avec de larges plaques et les aiguillons ne leur ont rien fait. Commence par apprendre quelque chose sur la guerre. ”

Des chars chargés du butin continuaient à arriver, escortés par des soldats réguliers et ils convergeaient vers le grand espace près de la tente du commandant, celle de Georges Maniakès ; naturellement les chars et les bœufs aussi faisaient partie du butin. Sur certains de ces chars il y avait également des hommes et des femmes devenus prisonniers lors des raids : il s’agissait des malchanceux civils, morts qui n’étaient pas parvenus à se cacher. Beaucoup de ces femmes auraient fait partie de la fête comme acte initial de servitude, avant d’être envoyées sur la Terre ferme comme butin à envoyer aux familles des nouveaux patrons.

Les femmes auraient fait partie des cours dans les palais nobles et les hommes seraient devenus des servants de la glèbe, où, tant les hommes que les femmes auraient aboutis dans les mains des marchands d’esclaves juifs, qui les auraient répandus sur les marchés de toute la Méditerranée. Il était en effet théoriquement interdit aux chrétiens de faire du commerce directe d’être humains réduits en esclavage, mais la vérité était que le trafic des prisonniers rapportait beaucoup à tous, chrétiens ou pas.

Une délégation des habitants de Rametta arrivaient avec des chars de provisions à destiner aux troupes. Rametta, nichée dans une formidable position sur les Nébrodes, était tombée dans les mains des sarrasins seule-ment en 965, la dernière parmi toutes les villes de la Sicile, et elle était considérée le bastion du christianisme sicilien et de l’héroïsme montré pour la défense de la foi. Georges Maniakès l’avait récupérée peu après son passage outre le détroit, en engageant une sanglante bataille où les guerriers normands avaient payé le plus grand prix. Maintenant ses habitants soutenaient le reconquête chrétienne de toute leur force, en envoyant des hommes et des victuailles. Les citoyens faisaient de même de Rinacium[49 - Rinacium: probable nom antique de la localité de Randazzo, dans la province de Catane.] – nom de la ville dans les actes officiels – à quelques miles à l’ouest, étant le centre habité d’une certaine consistance, le plus proche du camp.

Après peu de temps Tancred se présenta en portant une bouteille de vin.

“ Certains en ont déjà bu trois ! ” dirent-ils, en donnant à son compagnon d’armes l’objet auquel il faisait référence.

“ Tiens, bois-en une source ! ” l’invita Roul, en passant le vin à Conrad. Le jeune garçon le saisit et en but une gorgée, il fit la grimace et l’avala difficilement. Les autres deux rirent de bon goût en voyant la difficulté qu’avait le fils de Rabel à se comporter en adulte.

“ Je crois que pour les femmes il faudra encore du temps ! ” exclama Roul, en soulignant le fait que si Conrad avait encore des difficultés avec le vin, on pouvait imaginer avec les femmes.

“ Qu’attends-tu ? Il n’a que neuf ans. ” souligna Tancred.

“ Moi, à neuf ans j’avais ma première aventure ! ” répondit Roul, même si cela semblait absurde.

Ce fut la dernière phrase que Conrad écouta avec lucidité. A la seconde gorgée de vin il commença à voir moins clair, et à ne plus décerner les voix de l’énorme et bruyant fracas des milliers de bols parlants en langues différentes.

“ Poing Dur, je crois que nous avons perdu le jeune enfant… ” commenta Geuffroi, un de leur ami, noble normand.

“ C’est le fils de frère Rabel, pas le mien… le fils de Point Dur serait capable de boire le feu de cette montagne. ” se vanta Roul, en spéculant sur un héritier qu’il n’avait jamais eu et en indiquant Jebel.

“ Les femmes, les dés et le vin…. hors de la tente des gardes, passent de bons moments ! ” intervint un autre, en arrivant tout excité et essoufflé.

Ils partirent vers le lieu de leur intérêt, et, une fois arrivés sur la place de la tente du commandant, ils durent renoncer à tout. Conrad était encore abasourdi et suivait les vieux amis de son père sans rien comprendre. Des dizaines et dizaines de personnes, soldats de tout genre, religieux et même certaines femmes encore dénudées là où elles avaient bien voulu se laisser découvrir, étaient là au centre de la place, avec l’intention d’assister à quelque chose, Le silence régnait et l’appréhension était typique des moments où quelque chose de terrible doit arriver.

Même les hommes des différentes gardes, ceux qui auraient du se reposer, étaient attentifs et fixaient le centre de la scène. Roul, passa en déplaçant les hommes devant lui ; Tancred, Geuffroi et Conrad en profitèrent pour avancer.

Quatre hommes sortirent de la tente de Georges Maniakès, quatre stratiotes[50 - Stratiote: soldat régulier de l’Empire byzantin.] de Constantinople, on pouvait les reconnaître à leur armature et à leur aspect méditerranéen. Autour de la scène qui allait se concrétiser, d’autres soldats romioi[51 - Romioi; Rūm: sont tous deux les noms par lesquels étaient attribués à ceux qui étaient appelés byzantins au moyen âge; le second est en arabe. Littéralement ”romains”, l’Empire Romain d’Orient étant juste – ment Byzance. Le terme ”byzantin” fut inventé à une époque successive.]… calabrais, macédoniens et pouillais, se mirent en position de protection, craignant la réaction de quelqu’un parmi la foule.

A ce point Tancred adressa la parole à un proche compagnon d’armes, qui avait probablement assisté à la scène depuis le début.

“ mon ami, que se passe t’il ici ? ”

Et lui, à voix basse et en mettant une main sur sa bouche :

“ Maniakes[52 - Maniakes: dans ce roman les noms propres sont comme ils étaient probablement prononcés dans chacune des langues. Le discours vaut surtout pour les langues parlées par des normands et des arabes. Au contraire, en ce qui concerne le latin parlé par le peuple, j’ai préféré le traduire dans la langue du récit, le français. Ainsi le français Maniakès devient Maniakes en langue d’oïl, Maniákes en grec et Maniakis en arabe. Naturellement il y a des exceptions, Mohammed reste tel quel même dans les langues différentes de l’arabe. Corrado, Conrad pour les normands, reste au contraire Corrado même pour les arabes, car ayant vécu parmi eux, il s’est fait connaître ainsi.] et Arduin…. Il semble qu’une discussion est née entre eux. ”

“ Et pour quoi ? ”

“ Ils parlaient en grec, je n’ai rien compris… mais… ” ” Mais quoi ? ”

“ Il semble que la discussion est née à cause d’un cheval. ”

Les chars avec le butin avaient été vidés par les hommes de confiance et la marchandise avait été triée selon la typologie à laquelle elles appartenaient. Effectivement, un très beau pure sang arabe, noir comme le pétrole et au poil brillant, se trouvait devant les chars. A ce point les quatre soldats tirèrent rapidement la bête vers le lieu d’où ils étaient sortis. Quelques lombards[53 - Lombards, (Longobardi): le terme indique au sens étroit les descendants du peuple germanique qui ont envahi la péninsule italienne au VI siècle, mais au sens large tous les habitants d’Italie qui, du nord au sud, furent soumis à ce peuple, et donc également ceux qui étaient d’origine italique (Campanie et Basilicate etc…). Au XI siècle les lombards parlaient officiellement le latin, même s’ils s’exprimaient dans les dialectes romancés des lieux où ils résidaient. Après la conquête normande du sud de l’Italie le terme ”lombards” commença à indiquer uniquement les habitants de l’Italie du nord.] avancèrent également mais les piques des soldats de la protection les firent renoncer à intervenir.

C’est alors que sorti Georges Maniakès, les mains aux hanches et d’un air furieux. Avec son bon œil il commença à fixer en regardant de travers chaque personne présente. Puis il hurla dans sa langue, mais tout le monde comprit :

“ Quelqu’un d’autre a t’il l’intention de défier le Strategos[54 - Strategos: chef d’un régiment militaire de l’Empire byzantin et administrateur de la circonscription attribuée à ce régiment.] ? ” Cette question introduisait ce qui allait bientôt arriver.

Les quatre qui avaient mis le cheval à l’intérieur tiraient maintenant à l’extérieur et par la force, comme on l’aurait fait pour une bête, Arduin, chef du contingent lombard. Ils le prirent par la barbe afin qu’il se sou-mette à la volonté de Maniakès, et ils le lièrent au mât qui se trouvait à l’angle de la tente du commandement, celui au drapeau avec l’aigle bicéphale de Constantinople. Enfin Georges Maniakès arracha une sphère de cordes des mains d’un de ses domestiques, il l’a mit de côté et après avoir fait dénuder le dos et les reins du malchanceux, Arduin commença à le frapper personnellement. Naturellement celui-ci n’émit aucun son, dur et têtu comme il était.

Commander d’autres personnes n’a jamais été quelque chose de facile, on risque d’en contenter certains et d’en mécontenter d’autres, toutefois Georges Maniakès ne contentait personne, à l’exception des personnes du peuple qui le voyait comme un libérateur du christianisme, pour le reste, tout le monde le haïssait.

Ce qui était arrivé sous les yeux de l’armée toute entière, était quelque chose d’incroyable : un chef… un chef des troupes auxiliaires, avait été humilié au même rang qu’un esclave. Maniakès misait sur le poids le plus gros de l’armée, celui qui était sous son direct commandement, il lui était donc facile de faire valoir ce qu’il prétendait. Arduin contrôlait au contraire ses conscrits, des hommes armés de bouclier et lance recrutés par la force dans les Pouilles ; il était clair qu’à l’exception de quelques fidèles nobles lombards, personne ne l’aurait défendu.

Le nœud de la question était même absurde :

En résumé Arduin avait refusé de livrer ce beau pure sang arabe à son général, le Strategos, et une discussion était née où aucun des deux n’avait cédé. A l’énième refus de Arduin, Maniakès avait décidé que lui donner une leçon exemplaire aurait freiné son indiscipline.

Toutefois la force ne résout pas toujours les différends, et les conséquences dérivantes d’un abus de son utilisation, sont parfois plus désagréables que le motif pour lequel on a décidé de le mettre en œuvre. Même Maniakès ne pouvait imaginer ce que ce geste déchaîna, lui qui, il faut bien le dire, bien souvent, poussé par son mauvais caractère, agissait impulsivement sans tenir compte des possibles résultats de ses actions. En plus, pendant que l’armée attribuait de l’importance à la victoire sur le terrain et voulait se relaxer, lui, évaluait comme un défaite la fuite relative de Abd-Allah.

Tout est de la faute de la flotte qui avait permis à l’émir sarrasin de s’embarquer au delà des montagnes et rejoindre la capitale Balarm. Celui qui commandait la marine et aurait du supporter les troupes de Maniakès, était Stefano le Calfat, toutefois la capacité militaire de cet homme ne pouvait absolument pas être comparée à la capacité du général. Stefano commandait la flotte uniquement parce qu’il était le beau -frère de l’Empereur, et à cause de cette considération qui ne tenait pas compte du mérite, Georges Maniakès ne le supportait pas.

“ C’est ainsi que termine celui qui défie de Geórgios Maniákis! ” conclut le général, en regardant les passants et leur intéressement, et en leur tendant son bras avec le fouet.

A ce point, la foule commença à s’éparpiller mais il était clair que la fête se terminait là, dans la vision du dos ensanglanté de Arduin. Le lombard fut donc recueilli par ses fidèles et ramené sous sa tente. cela ne se serait pas terminé là et tout le monde le savait…

Roul et ses compagnons d’armes se retirèrent tristement vers la section du camp où ils s’étaient installés ; ce soir là, même le vin et les femmes perdirent leur prestige.

Une fois éloigné, c’était déjà le coucher du soleil, appuyé au poteau où son cheval était lié, Roul s’exclama :

“ Ce que nous avons vu aujourd’hui est absurde ! ”

“ Je pense que nous aurions du intervenir. ” s’exprima Tancred.

“ Nous répondons à Guaimar de Salerne, non à Arduin. ” répondit Roul.

“ Arduin aussi répond à Guaimar. Le même seigneur nous a engagé. ” ” Alors que ce seigneur lui rétablisse l’honneur ! Guaimar n’est-il pas également un lombard ? Fit remarquer Geuffroi , concordant avec Roul. ” Ça n’est pas une question de sang ou de fraternité, il s’agit du fait qu’aucun noble, pour le plus de bonne lignée, ne mérite de subir ce traitement. Ne serions-nous pas intervenus si à la place d’Arduin il aurait s’agit de Willaume de Hauteville ? ”

Willaume lui aurait arraché le cœur d’un coup ! Exclama Roul.

“ Mais Willaume se garde bien de contredire ce maudit macédoine, chien furieux ! Affirma quelqu’un…. Bien que l’on ne sache pas qui avait parlé.

Le fait que les trois soldats firent un geste de révérence, en dit long sur qui pouvait être celui qui venait d’arriver.

“ Willaume, nous parlions uniquement parce que le souffle fait partie de la compensation. ” justifia Tancred avec ironie, justement celui qui doutait du fait que personne n’était intervenu.

“ Tancred Longue Chevelure, un jour tu m’expliqueras pourquoi ils vous appellent ainsi. ” répondit Willaume, ou mieux William d’Haute-ville.

“ Longues Chevelure était mon grand-père… j’ai seulement hérité de son nom. ”

Il regarda ensuite le plus gros de tous et immédiatement après, Conrad juste à côté.

“ Roul Poing Dur, ce que vous faites pour ce jeune garçon est honorable. ”

“ Willaume, quelque chose de plus fort que le sang me lie à mon frère Rabel. ”

“ cela démontre que derrière cette hache il y a un cœur… ”

“ De toute façon je veux que vous sachiez que je proviens des tentes des gardes…. Et cela a déplu même à Harald. ”

“ Je crois que la chose n’a plu à personne. On ne peut pas humilier un capitaine de cette façon ” répéta Tancred.

“ Je suis sûr que si j’avais été à la place de Arduin vous ne seriez pas resté là à regarder. ”

“ Tu peux le dire bien fort, Willaume ! ” insista Geuffroi.

“ Mais ça aurait été un suicide ” Aujourd’hui, même Arduin le savait. ” ” Pour Arduin ça sera un suicide même s’il intervenais demain… ou après demain… ou dans un mois. ” renforça quelqu’un d’autre à peine arrivé.

Il s’agissait de Drogon, pour tous Dreu, frère cadet de William. Dans la pénombre du coucher du soleil, car il tournait les épaules à la lumière du crépuscule, ils le reconnurent immédiatement par le symbole de la maison des nobles normands du cours bas de la Seine, cousu sur sa tunique ; au moins cinquante le suivaient et cela commençait à ressembler au prélude d’une révolte.

Eh oui, les conscrits d’Arduin une fois morts, ne valent même pas l’engrais pour le champ. ” répondit William.

“ Mais ce qui est certain c’est que Guaimar ne restera pas immobile quand la nouvelle arrivera à Salerne. Je suis sûr qu’il décidera pour nous, la même chose que pour Arduin. Et donc, Maniakes ne devra pas faire front uniquement avec les conscrits d’Arduin et avec ses quelques fidèles, mais avec le terrible contingent normand… et Dieu seul sait combien ils nous craignent ! ” expliqua Drogon.

“ Et les gardes ? Les gardes du corps personnels de l’Empereur Michel de quel côté seront-ils ? ” demanda Geuffroi.

“ Harald Hardrada et ses hommes ne sont pas très différents de nous et des raisons qui nous poussent à la guerre. Et je ne le dis pas unique-ment parce que nous partageons les mêmes noëls parmi les landes du nord, je le dis parce que je les ai entendus parler. Que Dieu me punisse si je me trompe ! Si Harald sent que sa compensation est menacée, Maniakes devra également les affronter. ” expliqua William.

“ Que devons-nous donc faire ? ” demanda Geuffroi confus.

“ Pour l’instant, rien, Maniakes sera déjà informé de notre assemblée improvisée – ses informateurs sont partout dans l’armée, et même par-mi nous – il sera certainement en train d’évaluer la pire des hypothèses, ou le boycottage de cette guerre de la part de tous les contingents auxiliaires. Attendons prudemment ce qui arrivera. Attendons de voir la ré-action d’Arduin. Toutefois, nous ne pouvons pas risquer d’être pris de surprise par ce loup grec… donc, William exposa ses directives ; mes frères, n’enlevez pas votre armature et restez toujours unis parmi vous. Laissez tomber le vin durant cette nuit et que uniquement celui qui titube plus quand il est sobre, que quand il est ivre, ne s’attache à la cuve. Ne vous découvrez pas de vos vêtements pour aller avec les femmes. Dormez chacun à votre tour et soyez toujours à jour avec mes dispositions. ” cependant la manière dont il parlait semblait plus un conseil donné entre amis.

Puis, il reprit et dit :

“ Cette nuit sera longue, mais nous ne violerons pas les règles d’engagement jusqu’à ce que nous ne n’aurons l’assurance du même respect de la part des autres de l’autre côté. Certains d’entre nous ont déjà com-battus les romioi dans le passé… ils savent de quoi je parle, quand je dis qu’il ne faut rien sous évaluer, en temps de paix comme en temps de guerre. Chacun à sa tente, mes frères, mais ne dormez pas profondément ! ”

L’assemblée improvisée, comme elle était définie par William, se dissout après ses paroles. Ça devait être une longue nuit, une de celles qui portent à la prise de décisions, une de celles qui font partie des insomnies des guerriers toujours prêts à tout. Chacun pris son arme de guerre et la posa à côté de son propre coussin, ainsi que l’habituel poignard caché parmi les vêtements.

Dans tout cela, Conrad semblait être le plus préoccupé, et non pas, parce qu’il ne possédait pas d’arme, ou parce qu’à son jeune âge tout semblait plus grand et plus effrayant, mais parce qu’il craignait devoir partir en vitesse sans pouvoir saluer une dernière fois son père.




Chapitre 13


Hiver 1060 (452 de l’hégire), dans les remparts de Qasr Yanna



Un jour et une nuit étaient à peine passés depuis que Mohammed ibn al-Thumna avait dévasté le Rabaḍ et capturé Nadira. Les envoyés d’Ali al-Ḥawwās étaient descendus de la montagne pour vérifier la nature de ces incendies aperçus durant l’obscurité de la nuit, mais cela avait été inutile ; tout comme les dix hommes du Qā’id qui étaient partis, immédiatement après à la recherche de Nadira et de ses ravisseurs.

Une fois enterré les dix pauvres hommes tués à l’épée par les cou-peurs de gorge du Qā’id de Catane, surtout les guetteurs et les gardes, toute la population commença à faire ses bagages en proie à une psy-chose générale. Une longue procession d’hommes, de femmes et d’enfants, mais aussi d’animaux et de chars traînés par des mulets, ou manuellement montait vers les remparts de Qasr Yanna, là où ils auraient pu trouver la protection dont ils avaient manqué au Rabaḍ. Arrivés au delà des remparts ils commencèrent à s’installer au mieux, là où ils pouvaient : ceux qui avaient de la famille demandaient l’hospitalité, ceux qui n’avaient personne s’installaient près des habitations, en construisant des abris de fortune. Même Alfeo suivi la masse et préféra déposer sa houe pour trouver refuge à Qasr Yanna.

Corrado, affaibli et pas encore en forme, affrontait les séquelles de la fièvre. Maintenant, persuadé par Apollonia, il avait mis de côté son dé-sir de vengeance et avait donné une priorité à tout ce qu’il y avait à faire pour sa nouvelle installation. Alfeo et ses enfants, comme d’ha-biles bédouins, montaient les tentes près des potagers cultivés à l’intérieur des remparts et en face d’un des fameux jardins de Qasr Yanna, ce fut justement là que dans l’après-midi il reçut une visite.

Umar avança pompeux et dominateur, et lorsqu’il s’approcha de la tente des chrétiens du Rabaḍ il en démoli une partie pour y accéder, sans se préoccuper de demander la permission.

“ Corrado, sors de là, hurla t’il

L’autre était là prêt à allumer le feu, tandis que la famille l’entourait dans l’attente de pouvoir finalement réchauffer leurs mains gelées.

Corrado leva les yeux, le regarda et répondit calmement :

“ Juste le temps que je termine avec le feu. ”

“ Sors de là… immédiatement ! ” ordonna de nouveau Umar, cette fois en tenant sa tête là où deux jours avant il avait été frappé.

“ Attends-moi aux jardins. ”

“ Qu’est-ce qu’il peut bien encore vouloir de nous ? ” demanda Caterina avec inquiétude.

“ C’est bien comme je te disais, avec ton geste tu as détruis notre sérénité. ” confirma Alfeo.

“ Évidemment le fait que Michele lui ait sauvé la vie n’a pas été suffisant pour une bête comme lui ! ” répondit Corrado.

“ Modère les termes, et montre-toi soumis ! Dit Alfeo.

Toutefois Corrado attrapa le couteau avec lequel sa mère était en train d’éplucher une orange amère provenant des vallées les plus basses, l’enfila dans la ceinture de sa culotte et sorti, se libérant d’Apollonia, qui, préoccupée, le retenait par un bras.

“ Restez ici, dit-il à toute la famille avant de sortir.

Umar l’attendait debout près d’un amandier, tandis que derrière lui, à quelques pas de là, se trouvait toute la famille.

“ Ça ne t’a pas suffit que mon frère t’ait sauvé la vie ? Que veux-tu d’autre de moi ? ”

“ Et les deux jours où tu m’as laissé mourir pendu à un poteau, c’était pour payer quoi ? ”

“ Ça servait uniquement pour te faire comprendre où doivent rester les porcs infidèles comme toi ! ”

Corrado eut l’instinct de mettre la main à sa ceinture, mais dès qu’il senti la poignée sous ses doigts il abandonna l’idée.

“ Dis-moi pourquoi tu m’as cherché: ”

“ Les hommes d’un certain Salim ont emporté ma sœur. ”

“ Tout le monde le sait, Umar. Justement toi, qui est si jaloux de Na-dira, tu as permis qu’on la capture sous ton nez…. Justement toi qui lui permettait de laisser entrevoir uniquement ses yeux…. Qu’est-ce qui t’a pris quand tu as accueilli ce criminel chez toi ? Tu pensais pouvoir montrer Nadira à un étranger sans avoir de conséquences ? Même moi, je cacherais ma sœur au regard d’un étranger. Tu mets la proie devant les mâchoires du loup et puis tu te plains car on te l’enlève ? Umar… Umar… grand et stupide Umar! ”

Umar sorti le cimeterre accroché à sa ceinture et fut sur le point de répondre à la provocation.

“ Fais-le Umar… fais-le ! Et puis tu demanderas aux loups qui circulaient l’autre nuit dans le Rabaḍ ce que cet homme m’a dit. Car je suis certain qu’aujourd’hui tu viens me trouver pour cette raison. ”

Umar remis son arme dans sa gaine et répondit :

“ Vu que tu le sais déjà, pourquoi n’es-tu pas venu me le dire ? ”

“ Je croyais que ton Qā’id t’avais déjà dit ce que tu veux savoir. Ou alors, je dois croire qu’il ne t’a même pas reçu… ”

“ J’ai parlé avec le Qā’id et il fera l’impossible pour ramener Nadira chez elle. Je paierai la rançon et ensuite je trouverai les hommes qui ont osé lui faire cet affront ! ”

“ Il t’a dit ça ? Il t’a parlé de rançon ? ” demanda Corrado avec perplexité.

“ Ce dont j’ai parlé avec le Qā’id ne te regarde pas. Dis-moi seule-ment ce que t’a dit ce maudit Salim. ”

“ Je ne te dois rien…. tu le sais. ”

“ Tu me dois la vie, du moment que si tu respires encore c’est grâce à ma pitié: ”

“ Pour te dire ce que je sais je veux quelque chose en échange. ” Umar, avec impatience, remis sa main sur le cimeterre, toutefois Corrado, en attrapa la poignée avant lui, l’empêchant ainsi d’intervenir. Umar porta donc l’autre main à la gorge de Corrado et tenta de l’étranger, il laissa la prise quand il senti le couteau qui pressait sur son abdo-men.

“ Je t’éviscérerais, Umar… mais je ne veux pas amener la ruine dans la maison de mon père. ”

Jala, qui avait assisté à toute la scène, s’avança en courant. ” Non, Umar, pas comme ça ! ”

Corrado cacha de nouveau le couteau et Umar fit deux pas en arrière, conscient qu’il avait vraiment fort risqué.

“ Laisse-moi parler seule avec le chrétien, ” demanda Jala. ” Tu es folle ? ”

“ S’il te plaît, Umar. Corrado ne refusera pas d’écouter la parole d’une mère. ”

“ il est armé ! ”

Mais Corrado intervint :

“ Et tu crois que je suis capable de faire du mal à une mère ? Si je m’appelais Umar, ou du nom d’un de tes sales garçons, j’aurais même pu frapper une femme ; Apollonia en porte encore les ecchymoses ! ”

“ Umar, s’il te plaît va près de ton épouse. ”

Le collecteur d’impôts du Qā’id s’éloigna et quitta sa mère à contre-cœur.

“ Mon garçon, je suis désolé pour ta sœur… je sais très bien qu’un lâche à eu la bonne idée de la tabasser. Cependant Umar n’y est pour rien… ça n’est pas de sa faute. Et puis, tu peux encore voir les ecchymoses de ta sœur … si au moins nous avions eu une jeune fille tabassée à soigner ! ”

“ Je suis désolé pour ta fille. ”

“ Les personnes commencent à dire que les morts du Rabaḍ sont la conséquence des yeux de Nadira, et que l’étrangeté inhabituelle de ses yeux ont portés leurs fruits la nuit dernière ; que Sheitan[55 - Sheitan: nom du Diable en arabe; Satan.] a lié aux yeux de Nadira l’envie qui conduit à l’enfer ! Maintenant ils nous re-gardent tous avec méfiance. ”

“ Qu’est ce qui te préoccupe ? Nous vivons depuis toujours dans la méfiance des gens. ”

“ Corrado , je t’en prie ! Je t’ai vu de mes propres yeux pendant que cet étranger te parlait avant de disparaître dans la nuit. ”

Corrado n’aurait jamais refusé cette vérité à une mère désespérée, toutefois, consciente que sa famille avait été depuis toujours sociale-ment pénalisée, elle eu la bonne idée de demander quelque chose en échange.

“ Où vous êtes- vous installés ? ”

“ Le Qā’id nous a permis de nous installer dans une petite maison aménagée. Pourquoi me le demandes-tu ? ”

“ Pour ce que je te dirai je veux que ma famille trouve un logement dans une maison comme la vôtre. La nuit il fera froid et nous n’avons pas assez de bois et de couverture pour nous réchauffer. ”

“ Ce que tu me demandes est impossible. Que penses-tu qui nous appartient à l’intérieur de ces murs pour que nous puissions permettre une chose pareille à quelqu’un ? ”

“ Là où le Qā’id vous a accueilli vous avez certainement suffisamment d’espace. ”

“ La loi du Prophète interdit de partager le même toit avec les dhimmi pendant plus de trois jours. ”

“ Alors d’accord pour trois jours … ensuite tu demanderas au Qā’id, ton futur beau-fils, de trouver un endroit où rester. ”

“ Ça pourrait aller dans les écuries ? ” demanda Jala, en voulant dire que de toute façon une installation de ce genre pouvait très bien aller pour les chrétiens.

“ Si votre loi ne dit rien par rapport au fait de partager le même toit avec les mulets, une écurie va très bien aussi. ”

Jala resta sans parole et prit conscience que l’arrogance de Corrado n’avait pas de limite.

“ Tu désires nous humilier ? Pourquoi ? Ce que tu m’as fait ne te suffit pas ? ”

La femme avait maintenant les yeux qui brillaient.

Corrado fut envahit d’une étrange honte en voyant ces larmes et en entendant ces paroles. Il se retourna, fixant son regard ailleurs, loin du visage de Jala.

“ Moi je ne t’ai rien fait. ” répondit-il en regardant encore au loin, vers un groupe d’enfants qui jouaient à courir derrière une poule.

“ Je sais que tu étais là… et tu sais aussi que je t’ai vu. Croisons nos regards et ne me ment plus sur cela ! Depuis que je t’ai vu au Rabaḍ, un an après cette première fois, j’ai ardemment désiré que tu puisses mourir. Si j’avais raconté ce qui était arrivé je suis certaine que mes désirs auraient été satisfaits ; mais après que serait devenue Nadira et sa sérénité ? Et puis tu avais l’âge de Umar et penser du mal sur un enfant de dix ans me provoquait de la honte devant Allah, une honte encore plus forte que rencontrer ton visage dans la rue. Je t’ai haïs de toute mon âme, Corrado ! Et je ne parviens pas à ne pas te haïr aujourd’hui en-core… Tu représentes ma honte ! ”

“ Vous faites références aux yeux de Nadira, et je suis sûr qu’au Ra-baḍ tout le monde suspecte cette étrange couleur. ”

“ Mais ton sang représente la nature de cette honte… je n’ai jamais donné d’importance aux suspects. ”

Maintenant Corrado trouva le courage de la regarder en face, se rendant compte qu’elle pleurait et tremblait.

“ Jala, ma Dame, écoutes-moi ! C’est comme si j’avais porté personnellement ta honte durant ces longues années. Peut-être que le fait de m’être séparé de mon peuple et de m’être perdu parmi ces montagnes sont la peine que je paie pour ce mal. ”

“ Dis-moi ce que je veux savoir, mon fils, et n’en parlons plus… Mais ne me fait pas du chantage et ne me fait pas de requête absurde, puisqu’il ne me reste plus qu’à te le demander à genoux et je suis certaine que Umar n’en serait pas très content. Je ferai tout mon possible pour aider ta famille, mais ne me le demande pas en rançon pour les paroles que tu détiens.

“ En ce moment je vois devant mes yeux le bon côté de Nadira, le côté pur et innocent de tout mal. Bien, je te dis tout, mais je te demande de me faire confiance, car ce que je vais te dire pourrait te sembler absurde. ”

“ Tu sais certainement ce qu’est devenue ma fille ! ” s’exclama t’elle en prenant impulsivement le bras de Corrado.

“ Le Qā’id vous a menti : personne ne demandera une rançon pour Nadira. ”

“ Pourquoi l’a t’il donc capturée ? Ils savent qu’elle est promise à ibn al- Hawwās et ils pensent bien en profiter. ”

“ Il sait très bien pourquoi il l’a capturée…. et il sait très bien aussi comment la libérer. ”

“ Et pourquoi nous mentirait-il ? ”

“ Parce qu’il ne satisfera jamais la requête de l’autre ; il ne peut pas car cela signifierais trahir son propre sang. ”

Jala commença à sangloter en se secouant sur les épaules de Corrado. ” Je t’en pries; que t’on t’il dit ? ”

“ Celui qui l’a capturée, et que vous vous obstinez à appeler Salim n’est rien d’autre que Mohammed ibn al-Thumna, Qā’id de Catane et Syracuse, et il libérera Nadira uniquement si ibn al- Ḥawwās lui rend son épouse. On m’a laissé en vie uniquement pour que je puisse reporter la nouvelle au Qā’id, toutefois il sait toute chose, et il le sait car ibn al-Thumna descendait de Qasr Yanna le soir où son beau-frère avait ignoré sa requête concernant le fait de lui rendre son épouse. ”

Jala connaissait très bien la question, Maimuna elle même lui en avait parlé. Elle était le témoin de la détermination de cette femme à ne pas retourner chez son mari, au risque même de ne plus voir ses enfants, Jala lança un grand cri de désespoir.

Corrado avait épuisé le but de cette conversation, il rentrait donc sous sa tente. En attendant, le typique brouillard qui entoure souvent le mont de Qasr Yanna descendait et cachait les larmes du présent et des souvenirs indicibles du passé.




Chapitre 14


Fin de l’été 1040 (431 de l’hégire), terres de la Sicile Centrale



On ne peut tenir un troupeau uni si son berger bat ses moutons…ce qui frappe finit par se disperser. Ainsi, tandis que William de Hauteville convoquait ses principaux hommes pour discuter de ce qu’il y avait à faire, Georges Maniakès se déchaînait outre mesure contre ses subordonnés. Son génie militaire était incontesté mais son côté humain laissait à désirer. Et il est vrai que le naturel de l’homme réapparaît tou-jours, même lorsque le mythe et la gloire essaient de couvrir la réalité par leur halo d’héroïsmes et de légendes. Maniakès était acclamé par les chrétiens qui l’attendaient comme un libérateur et par les soldats qui le craignaient, mais la vérité est qu’il était un sale type. Ainsi après s’être fait détester par Arduin le lombard, Maniakès avait fait un pas plus long que sa jambe et avait agressé Stefano le Calfat, en l’accusant également de trahison. Toutefois il avait bien peu de pouvoir contre l’amiral incompétent, beau-frère de l’Empereur et apparemment appuyé également par l’Impératrice Zoé, qui commandait réellement l’Empire d’Orient.

Arduin avait été sage dans ses choix, en se libérant pacifique-ment de ses obligations envers Maniakès, même si l’objectif était de lui faire payer le compte successivement ; normands et autres, comme on pouvait l’imaginer, l’avaient suivi. Stefano, au contraire, fort de ses appuis importants, avait dénoncé le fait et accusé Maniakès de vouloir prendre pour soi la Sicile toute entière. Le Strategos avait été arrêté et traduit à Constantinople, mais pas avant d’avoir dérobé les reliques de Sainte Agate et les avoir envoyées comme butin à la ville qu’il servait, en essayant de démontrer que les accusations de Stefano étaient fausses, et qu’aucune richesse conquise ne pouvait prendre la place de sa fidélité à l’Empereur. Une plaisanterie que les gens de Catane n’auraient jamais pardonné à Constantinople.

A partir de ce moment là, les opérations terrestres étaient passées dans les mains de Stefano et cela peut faire comprendre pourquoi la campagne contre les maures de Sicile avait commencé à échouer irrémédiablement. En premier lieu Stefano avait décidé d’entamer une ba-taille contre les contingents traîtres des troupes auxiliaires, car il croyait avec prétention, réussir dans ce que même Maniakès avait évité… et dans le combat il avait trouvé la mort.

Avec l’armée régulière des provinces romées de l’Italie méridionale encore en Sicile, désorienté et battu, lombards et normands avaient alors décidés de contre-attaquer l’Empire en Calabre et dans les Pouilles, en prenant en contrepoint le nouvel ennemi.

Ce fut durant ces jours, avant de passer définitivement le Détroit, que les hommes de William, dans la tentative de saisir le plus possible pour leur butin personnel, chassèrent de long en large les villages Siciliens. Ils se partagèrent en bandes de vingt et trente, et chacun d’eux se dirigea vers où il croyait pouvoir conquérir facilement, sans faire de distinction entre islamiques ou chrétiens quand la bouchée en valait la peine.

Tancred proposa d’attaquer les villages dégarnis des sarrasins, installés depuis peu à est de Qasr Yanna. Il se dirigea vers le nombril de la Sicile avec l’armée de Abd-Allah éparpillée, forte de l’effet surprise, dépourvue de la pesante armature et avec l’intention de frapper en coup de foudre pour ensuite fuir vers est, Roul, Tancred, Geuffroi, le jeune Conrad et une autre trentaine de guerriers, se dirigèrent vers le nombril de la Sicile.

Conrad n’avait jamais cessé d’encourager Roul à l’enseignement de la guerre, en obtenant de sa part une instruction que seul un habile guerrier normand pouvait donner. Ce que cependant Roul avait le plus touché était le cœur du jeune garçon, en l’enflammant de haine envers l’ennemi. Conrad désirait maintenant plus que jamais, se venger de son père et avait l’intention de le faire avec n’importe quelle personne qui aurait pu se trouver devant lui. Durant les semaines précédentes il avait demandé une licence à son maître, chaque fois qu’il s’était trouvé devant un sarrasin, toutefois Roul avait répété continuellement que sa colère devait être préservée uniquement pour la bataille, et que ne pas pouvoir maintenir la discipline dans des vêtements civils était stupide.

Maintenant il restait là, étendu sur la crête d’une colline terreuse et regardait au delà. C’était l’après midi et le soleil bas commençait à dé-ranger les yeux. Un village était installé, justement sur les pentes de la montagne de Qasr Yanna. Un torrent descendait sur le côté du plateau, où il avait été construit et où certains norias hissaient l’eau pour la diriger vers les canaux des terrains supérieurs. Des dizaines de parcelles cultivées en potagers, entouraient le village dans chaque direction. En-core plus loin se trouvaient les terres réservées au blé, des milliers d’hectares qui se perdaient à l’horizon. Les soldats de la compagnie normande avaient maintenant des terrains de céréales à l’arrière et des potagers devant.

“ Avec le soleil en pleine face ils y mettront peu pour se rendre compte de nous, dès que nous descendrons de la colline. ” fit remarquer Tancred.

“ Regardez là haut ! ” invita Roul, en indiquant Qasr Yanna sur le sommet de la montagne.

“ Il ne faudra pas longtemps pour que le soleil disparaisse derrière la crête de la montagne. Attaquons quand la visibilité devient difficile pour les sentinelles. ” précisa t’il.

“ Je doute que cette poignée de villageois ait des sentinelles. ”commenta Geuffroi.

“ Car ils n’ont rien à défendre… ” ajouta un autre.

“ Non, cher ami, parce qu’ils se sentent en sécurité. Ils tiendront l’or dans leur église… dans cette mosquée là au fond. ” expliqua Roul

“ Au coucher du soleil, les hommes rentreront de la campagne… nous devons les frapper avant ! ” proposa Tancred.

“ Tu n’as pas peur des fourches, j’espère… ” plaisanta Roul.

“ Je couvrirai vos épaules. ” s’exclama Conrad en parlant à l’oreille du plus grand et plus gros.

Roul se mit à rire et tous les autres firent de même.

“ Toi le morveux, tu restes et tu gardes les animaux ! ”

Conrad regarda en arrière, les chevaux au pieds de la colline.

“ cela fait des semaines que je vous demande la permission de pou-voir venger mon père. ”

“ Quand ça sera le moment tu n’auras pas besoin de mon autorisation. Quelqu’un tentera peut-être de voler les chevaux et tu devras les défendre. ”

“ Seul ? ”

Roul rit avec encore plus d’élan qu’auparavant.

“ Tu es mort de peur rien qu’en gardant les chevaux et tu voudrais piller un village ? ”

Conrad attristé et humilié par les rires de l’homme envers lequel il avait confiance.

“ Frères, le soleil s’éclipse, à vos armes ! ”

Ils commencèrent à descendre la pente qui surplombait le village, silencieusement et rapidement. Conrad se retrouva vite seul, dans le silence des instants qui précèdent le coucher du soleil. D’un coup, après quelques minutes, le chant du muezzin se leva dans la vallée; Roul et ses compagnons s’arrêtèrent à l’instant, en se cachant près d’une formation rocheuse. Ils repartirent immédiatement après avec l’intention d’at-taquer ce peuple durant la prière, quand les habitants auraient penché leurs têtes et les hommes en rentrant des campagnes se seraient arrêtés, le long de la route du retour. Ils reprirent donc leur chemin quand le muezzin n’avait pas encore terminé.

Conrad suivait du regard les épaules de Roul qui était le plus visible et il rongeait ses ongles, pris par l’impatience provoquée par cette longue attente.

Un hurlement retentit parmi les collines à est ; un loup chantait à la lune qui doucement apparaissait dans le ciel. Conrad n’y pensa pas deux fois, il se jeta à une vitesse vertigineuse dans la descente, vers la vallée et le plateau juste en face. Il tenait son épée dégainée à main levée devant lui, du moment que s’il l’avait tenue dans sa gaine la pointe aurait touché le terrain.

Bien avant de joindre l’entrée du village il entendit les premiers hurlements des femmes ; il savait qu’en suivant leur provenance il aurait trouvé les amis de son père. Une fois parmi les ruelles de ce bourg, il plongea dans la fuite générale des femmes terrorisées qui se réfugiaient dans les maisons. Il vit Geuffroi enfoncer une porte d’un coup de pied, et faire sortir un vieil homme édenté. Il se remit à courir sans but, certain de rencontrer Roul. Il rencontra certains cadavres d’hommes, certainement des paysans qui s’étaient opposés aux assaillants de leurs femmes. Conrad était là pour soutenir cette bataille, il rencontra plu-sieurs sarrasins en fugue mais n’eut pas le courage de les affronter. Il se persuada qu’il l’aurait fait après avoir retrouvé Roul.

Au travers d’ une fenêtre, les cris d’une jeune fille dominaient tout le reste ; il était terrorisé par ses hurlements, Il voyait près de la mosquée certaines jeunes filles en larmes, les cheveux découverts et dénudées ailleurs. Tancred à côté, se faisait livrer les boucles d’oreilles, les bracelets, les bracelets de chevilles et les colliers. Conrad avait déjà vu des femmes dans cet état, chargées comme des bêtes sur des chars destinés au marché, et quand il se rendit compte qu’ils leur liait les pouls, il imagina que Tancred et ses compagnons étaient en train de les emporter pour devenir des prisonnières. Entre temps, de la fumée commençait à s’élever du toit de la mosquée, tandis qu’un homme à l’intérieur de la cour était égorgé et jeté à plat ventre dans la source des ablutions.

Les étroites ruelles s’ouvrirent enfin sur une large place, délimitée par un muret sur l’entrée d’une grande maison qui occupait la scène dans le fond. La maison avait été pillée et un soldat en sortait en portant sur les épaules une espèce de ballot qui résonnait d’objets métalliques à chaque pas. Un autre portait sur les bras une grande quantité d’étoffes et d’habits d’un certain valeur. Chacun jetait ensuite son butin à l’intérieur d’un char garé à l’entrée.

Enfin Conrad vit Roul tourner à l’arrière de la maison.

“ Roul! ” appela t’il à voix haute.

Toutefois, Poing Dur avait déjà disparu de son champ de vision. Quand il tourna à l’angle, Conrad se rendit compte que la porte de l’écurie était entrouverte, ne voyant pas Roul, il imagina qu’il était entré.

“ Je savais que tu t’étais glissé ici ! ” dit Roul à quelqu’un, mais Conrad ne le voyait pas encore.

Une jeune femme tremblante se serrait dans le coin opposé de la pièce.

“ Où se trouve l’or ? ” demanda Roul

Mais elle parvenait uniquement à s’accrocher aux pierres du mur sec de l’écurie, tellement elle était terrorisée, outre le fait qu’elle ne com-prenait pas la langue des assaillants. En attendant les yeux de Conrad s’habituait à l’obscurité croissante du coucher du soleil qui valorisait la lumière pénétrant par le grenier.

“ Où tenez-vous votre argent ? ” répéta Roul, cette fois en la giflant si fort qu’il la fit voler sur un tas de foin à proximité.

“ Est-ce que tu comprends ce que je te dis ? ”

Se réfugiant sur ce tas de foin, la femme murmurait quelque chose d’incompréhensible, probablement des paroles dans sa langue.

Roul ne lui demanda donc plus rien, et dès qu’elle se tourna pour s’enfuir, il l’attrapa par un bras et ensuite par les hanches. Conrad fer-ma instinctivement les yeux quand il vit Roul imposer sa propre force sur cette pauvre fille, dont la stature arrivait à peine à l’estomac de son agresseur. Il mit une main devant son visage à la vue des cuisses et des hanches dénudées de la femme. Il ouvrit tout grand sa bouche en entendant ces cris d’une si étrange nature. Et il fut heureux, lorsque pour ne plus l’entendre, Roul lui enfila violemment une poignée de foin en bouche pour la faire taire, en appuyant fermement d’une main pour ne pas la faire cracher.

Une fois, à l’âge de six ans, sur un pré de Bénévent, Conrad avait vu une pauvre jument estropiée subir la montée d’un étalon en chaleur. Il avait été troublé par cette pauvre jument incapable de contraster les harcèlements du plus fort. Maintenant il éprouvait de la peine, et était perturbé par cette femme dont le grognement ressemblait vraiment à une étrange bête durant la torture à l’abattoir.

Après quelques minutes la femme sembla se résigner à la domination de son agresseur, et elle appuya sa tête d’un côté, vers Conrad. Ce fut alors que le jeune garçon vit son visage. La femme avait un bel aspect, des traits arabesques et de beaux yeux. Il la vit affûter la vue de ce côté ; entre les pattes du mulet elle semblait le fixer. Il en était sûr, elle l’avait aperçu. Ce regard parcouru l’espace qui la séparait de Conrad… ce regard croisait deux destins entre eux, deux vies de manière fatale.

Roul en attendant, terminait la question et s’ajustait en se relevant. Conrad qui avant cherchait Roul, maintenant craignait d’être vu, plein de honte pour avoir violé par sa présence l’intimité d’un acte si néfaste. En plus, la femme regardait dans sa direction en haletant, une raison de plus pour l’inciter à se cacher de son regard. Ainsi, pendant que Roul sortait, Conrad se glissa derrière quelques planches en bois appuyées contre le mur.

“ Les rebelles de Qasr Yanna nous envahissent ! ” hurla quelqu’un de l’extérieur ; ça ressemblait à la voix de Tancred.

Un grand bruit entoura le village, des voix qui se mélangeaient à un son indiscernable. La femme alors du comprendre du certainement comprendre quelque chose grâce à ces voix puisqu’elle se leva et en courant vers l’extérieur, elle s’écria :

“ Fuad ! ”

Conrad s’accroupit dans un coin en tremblant. Cette fois, là dehors, la bataille était vraie : des bruits de ferrailles, des hurlements et un grand vacarme d’hommes qui couraient. Maintenant les voix qui provenaient de l’autre côté des parois de l’écurie parlaient arabe, exclusive-ment arabe.

En supposant que Roul allait partir, Conrad sorti de son refuge, il s’appuya contre la porte et jeta un coup d’œil à l’extérieur. Ils étaient nombreux, ils portaient de larges habits islamiques orientaux. Beau-coup, les armes à la main, se dirigeaient vers la vallée, inévitablement pour poursuivre leur agresseurs ; d’autres restaient dans la cour près de la grande maison.

Conrad retourna se réfugier derrière les planches dans l’espoir que l’obscurité qui avançait puisse le cacher. Il craignait cette femme, du moment qu’elle l’avait vu, mais il était sûr que Roul en s’apercevant de son absence, plus tard, serait revenu le chercher. Toutefois il ne com-prenait pas pourquoi l’intervention de ceux qui avaient chassé du village la compagnie normande rendait impossible toute opération de sauvetage. Et puis, Roul aurait d’abord du savoir où le chercher. Conrad était un jeune garçon et les jeunes garçons croient souvent que les adultes sont en mesure de tout résoudre… Conrad serait devenu adulte en une seule nuit, en ayant devant les yeux une réalité faite de limites et de déceptions.

Plus d’une heure plus tard, quelqu’un entra dans l’écurie, une torche à la main. Conrad entendit converser ; ils devaient être au moins deux. Il en entendit un qui s’approchait, pendant que l’autre circulait dans l’espace d’à côté. Il était clair qu’ils étaient en train de chercher quel-qu’un, le jeune garçon pointa donc son épée vers l’ouverture de sa tanière, craignant que la femme n’ait parlé. Le feu de la torche se rapprochait de plus en plus ; il lui sembla en sentir la chaleur. Le visage de l’homme apparut parmi les planches…. Les regards des deux se croisèrent pour la première fois. Ils restèrent quelques minutes immobiles, un à l’épée tendue et l’autre accroupi sur ses genoux. Conrad était convaincu qu’ils l’auraient tué, ou il aurait été capturé pour devenir l’esclave de quelqu’un.

Cet homme reposa enfin sa cimeterre et s’en alla comme il était venu.

Conrad soupira de soulagement ; mais était-il possible qu’il ne l’avait pas vu ?

Il aurait maintenant tenté la fuite dans le cœur de la nuit, quand il n’aurait plus entendu aucune voix. Il attendit donc quelques heures dans le noir, avec l’unique compagnie du mulet. Puis, quand il se déci-da à sortir, une force plus importante que la sienne le retint à l’intérieur. Son épée tomba de ses mains tandis que l’homme qui précédemment avait croisé ses yeux lui bouchait la bouche et le poussait contre le mur. Conrad se démena comme un fou, il lui mordit une main et le griffa au visage, avant que l’autre ne puisse l’immobiliser en lui tirant deux gifles bien visées. Ce type était juste un peu plus grand que lui mais il faisait valoir sa force physique d’adulte. Donc, pendant que Conrad était abouti au sol par un dernier coup de poing de ce dernier, l’autre lui jeta un burnus et lui indiqua de le porter avec le capuchon. Ce fut alors que Conrad vit le visage plein de compassion d’un homme qui s’était rendu compte d’une situation devenue plus grande que son jeune enne-mi. Conrad porta le manteau et après lui avoir mis une main sur l’épaule, il sortit de l’écurie. Il parcourut les rues du village en regardant vers le bas, et en se déplaçant dans les angles les plus obscurs sans se faire reconnaître.

Une icône de la Madonne marquait la maison où habitait le type, et où sur la porte l’attendait une femme qui regardait tout autour, préoccupée que quelqu’un ne puisse les voir. Par ailleurs les hommes qui quelques heures avant avaient repoussé l’attaque de la compagnie normande, en empêchant qu’ils capturent les femmes et pillent encore plus leurs maisons, étaient tous éveillés, aux portes du pays, dans leurs habitations et sur les rues principales, craignant que les agresseurs ne puissent retourner. C’était justement les hommes qui travaillaient dans les potagers ou qui gardaient les chèvres et que Roul avait déprécié qui avaient averti les milices de Qasr Yanna et contre-attaqué les armes à la main.

Conrad fut installé sur un tabouret. La maison démontrait le statut social de la famille… il s’agissait de chrétiens… de pauvres chrétiens vassales en semi-liberté d’un patron sarrasin. Le jeune garçon regardait autour de lui dépaysé, conscient toutefois de pouvoir faire confiance à ces personnes qui l’avaient accueilli.

“ Alfeo ” dit le chef de famille en indiquant soi même d’une main.

Puis il porta une main sur la tête du jeune garçon presque du même âge de Conrad et dit :

“ Michele. ”

Et encore, en indiquant son épouse :

“ Caterina. ”

Enfin une fillette d’à peine deux ans avança en arrachant le bord de la tunique de Conrad.

“ Apollonia. ” compléta le père.

En réponse, quand l’hôte fut invité à se présenter, ceux-ci répondirent en secouant la tête encore méfiants.

En camouflant l’étranger sous l’habit de son fils, Alfeo avait caché l’identité de Conrad, mais maintenant il fallait que les habitants du village ne soupçonnent pas le jeune garçon.

Une année passa, durant laquelle Conrad fut enfermé à l’intérieur de la maison, un temps durant lequel les visages des soldats qui avaient as-sailli le bourg furent oubliés.

Depuis le début le nouvel arrivé se senti enfermé, prisonnier de ces personnes desquelles il ne comprenait ni la langue ni les coutumes, puis les caresses de Caterina, son affection de mère, l’amitié de Michele et la vie de tous les jours de la famille adoucirent son cœur et le lièrent pour toujours à cette maison. Ce fut alors que Conrad devint Corrado, en étant baptisé à une autre culture, même s’il conservait la racine originale de ce nom inhabituel.





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notes



1


Noria : de l’arabe ”nā’ūra”. Est une roue hydraulique qui a l’objectif de soulever les eaux à un ni-veau supérieur en exploitant le courant du fleuve.




2


Rabaḍ : littéralement ”bourg”. Village qui en général se trouve à l’extérieur des remparts de la ville principale.




3


Qasr Yanna : nom de la ville d’Enna durant la période arabe. De ”qasr” qui signifie château et ”Yanna”, littéralement Enna ; donc ” Château d’Enna ”. Durant la période normande, à cause d’une interprétation erronée du nom arabe, la ville fini par être appelée ”Castrogiovanni”.




4


Qā’id : littéralement ”maître” ou ”leader”. Indiquait un chef ou un commandant.




5


Jizya : impôt personnel que le non-musulman, le dhimmi, payait aux autorités musulmanes.




6


Dirham : monnaie d’argent encore utilisée dans beaucoup de pays musulmans.




7


Dhimmi : sujet non musulman, qui dans les pays gouvernés par la sharia jouit d’un pacte de protection (Dhimma) réservé en premier lieu aux appartenant des grandes religions monothéistes, juives et chré-tiennes, et qui jouissent à leur tour de certains droits, uniquement à condition de respecter une série d’obligations comme le paiement de la jizya.




8


Āmil: littéralement ” agent ” chargé de recueillir la jizya pour la verser dans les caisses de l’État.




9


Wali : dans la religion islamique, indique le parent masculin de l’épouse, dont le consentement est nécessaire pour la célébration du mariage.




10


Hégire : littéralement ”émigration ”. Indique l’exode de Mahomet de La Mecque à Médina. L’année de cet épisode, en 622 a.c. marque le début du calendrier musulman. Par exemple, en 453 de l’hégire correspond à 1061 de l’ère chrétienne ( compte tenu du fait que l’année musulmane est plus courte ).




11


Fartasa: mot sicilien qui indique un type de chèvre sans corne. Du berbère ” fartas ”, littéralement ”sans cheveux, teigneux.




12


Ibn: littéralement ”fils”. Présent dans les patronymes arabes pour indiquer sa propre descendance, souvent ayant la fonction actuelle du nom de famille. Est parfois traduit par ” bin“ ou ” ben“.




13


Gergent : nom de la ville d’Agrigente durant la période arabe.




14


Sarrasins: nom attribués aux musulmans du Moyen Age. Les autres synonymes utilisés dans le roman sont : maures, mahométans, islamiques, arabes et circoncis. Certains de ces termes sont impropres, toutefois ils reflètent la connaissance et la culture de la société de l’époque. Le terme ” musulman ” est absent car par rapport à la langue du récit il fut introduit avant le roman. Pour la même raison les termes ”byzantins ” et ” hébreux ” ont été remplacés par ” pèlerins ” et ” juifs ”.




15


Ifrīqiya : région correspondant à l’actuelle Tunisie et à certaines parties de l’Algérie et de la Libye. Littéralement ”Afrique ”, étant le terme dérivé du fait que les romains et ensuite les byzantins définissaient Afrique (province d’Afrique).




16


Sharia : loi de la religion islamique.




17


Vizir : important conseillé politique et religieux du calife, du sultan et de l’émir.




18


Tannūr : littéralement ” four ”. D’où le sicilien ” tannura”.




19


Giund : troupe, armée.




20


Iqlīm : subdivision administrative, province. Dans la Sicile musulmane il en existait historiquement trois. Elles furent par être appelées ”Vallées ” durant l’époque normande. Afin de faciliter l’identification de ces divisions politiques, il suffit de tenir compte du fait que la Sicile a une forme triangulaire, en tirant une bissectrice de chaque côté, on arrive à un point central du triangle. Les trois parties qui en résultent correspondent aux trois vallées historiques de la Sicile (iqlīm durant la période musulmane ).



…de Demona : correspondant à la Sicile Nord-Orientale (de Demona, ville située sur les Nebro – di ).



…de Mazara : correspondant à la Sicile occidentale (de Mazara, l’actuelle Mazara del Vallo).



…de Noto : correspondant à la Sicile sud-orientale ( de la ville de Noto ).




21


Inshallah: littéralement ” Si Dieu veut ”. Est une expression utilisée communément qui indique, en tenant compte que tout est dans les mains d’ Allah, l’espoir qu’un évènement se vérifie dans le futur.




22


Henné: substance colorante extraite de la plante qui porte le même nom, utilisée depuis l’antiquité pour effectuer des tatouages temporaires et pour teindre les cheveux. Dans de nombreux endroits du monde, il est encore utilisé pour décorer les mains et les pieds des femmes.




23


Niqab: voile qui couvre entièrement le corps et le visage de la femme, ne laissant que les yeux découverts.




24


Ramadan: neuvième mois du calendrier islamique et un des quatre moments sacrés de l’an-née. Selon la règle islamique durant ce mois le jeûne et l’abstinence doivent être respectés du le-ver au coucher du soleil. Il rappelle la période où l’Ange Gabriel aurait révélé le Coran au Prophète Mahomet. Les mois du calendrier islamique étant lunaires, il n’a pas de position fixe dans le calendrier grégorien.




25


Kefiah: typique coiffe traditionnelle de la culture arabe, elle est constituée d'un morceau de tissu correctement enroulé sur ou autour de la tête.




26


Ṣalāt: la prière canonique islamique, récitée obligatoirement par les musulmans observants cinq fois par jour et qui anticipe l’adhān.




27


Pailiciens: secte des ascètes en Arménie où les membres croient vivre selon le vrai enseignement de Paul de Tarse, d’où le nom de Paulicien. Ils furent depuis longtemps persécutés et déportés pour ensuite être recrutés dans les rangs de l’armée byzantine.




28


Jylland: nom de la région du Jutland (péninsule actuellement partagée entre le Danemark et l’Allemagne) dans les langues scandinaves.




29


Hauteville: devenu ensuite ”Altavilla”, nom originaire de la maison normande qui enleva la Sicile aux musulmans et des premiers souverains chrétiens du Règne de Sicile.




30


Adhān: l’appel islamique à la prière, faite par le muezzin du sommet du minaret cinq fois par jour, dans le but d’inviter les fidèles à la ṣalāt.




31


Qal’at an-Nisa: nom de la ville de Caltanissetta durant la période arabe. Probablement signifie ”citadelle des femmes”, de ”qal’at”, citadelle, fortification en arabe. De nombreuses localités siciliennes conservent les préfixes ”calta”, ”calata” ou ”cala”, provenant de la signification originaire de citadelle ou fortification.




32


Balarm: nom de la ville de Palerme durant la période arabe.




33


Robā’i: monnaie en or utilisée en Sicile durant la période arabe. Équivaut à un quart de dinar, monnaie dorée de référence.




34


Mizud: instrument musical à vent, typique de la culture arabe et de l’Afrique du nord.




35


AgìouAndréas: ‘agìou en grec signifie ”saint”. Dans ce cas ”Saint André”.




36


Mariám Theotókos, ‘et Parthénos: du grec ”Marie Mère de Dieu, la Vierge”.




37


Allahu Akbar: littéralement ”Dieu est le plus grand”. Il s’agit d’une expression arabe commune dans le monde islamique et présente dans le Coran, dans la ṣalāt et dans l’adhān.




38


Jebel: littéralement ”mont”. En Sicilien, utilisé sans appellation, indiquait le mont par antonomase, c’est à dire l’Etna. A l’époque normande on finit par appeler le volcan ”mont Jebel” au point qu’il devint ”Mongibello”, c’est à dire ”mont mont”.




39


Tragina: antique nom de la localité de Troina, dans la province d’Enna.




40


Burnus: ample manteau masculin avec capuchon en laine, typique des populations berbères.




41


Kajal: poudre composée de vrais minéraux et de graisse animale, utilisée dans les cosmétiques depuis l’antiquité pour noircir les paupières et marquer le contour des yeux.




42


Jilbāb: n’importe quel manteau long et ample porté par les femmes musulmanes. Cet indûment satisfait la requête du Coran car il couvre la tête, en laissant découverts uniquement le visage et les mains. Différent du hijab, qui dans la conception moderne, au contraire, fait référence à un voile qui couvre la tête.




43


Imam: guide spirituel islamique. Généralement celui qui dans la mosquée guide les mouvements rituels des fidèles durant le ṣalāt.




44


Saqija: petit canal pour l’irrigation des terrains cultivés. Du sicilien ”saja”.




45


Shaduf: instrument ingénieux utilisé depuis l’antiquité pour soulever l’eau à un niveau inférieur ou supérieur, comprenant un poteau avec un seau à une extrémité et un contre poids de l’autre.




46


Gabiya: citerne, baignoire pour l’irrigation. D’où le sicilien“gèbbia”.




47


Christoùgenna: nom en grec de la nativité du Christ. Dans le monde chrétien oriental est équivalent à la fête de Noël; observée aujourd’hui en janvier et non en décembre comme en occident.




48


Rametta: antique nom de la localité de Rometta, dans la province de Messine.




49


Rinacium: probable nom antique de la localité de Randazzo, dans la province de Catane.




50


Stratiote: soldat régulier de l’Empire byzantin.




51


Romioi; Rūm: sont tous deux les noms par lesquels étaient attribués à ceux qui étaient appelés byzantins au moyen âge; le second est en arabe. Littéralement ”romains”, l’Empire Romain d’Orient étant juste – ment Byzance. Le terme ”byzantin” fut inventé à une époque successive.




52


Maniakes: dans ce roman les noms propres sont comme ils étaient probablement prononcés dans chacune des langues. Le discours vaut surtout pour les langues parlées par des normands et des arabes. Au contraire, en ce qui concerne le latin parlé par le peuple, j’ai préféré le traduire dans la langue du récit, le français. Ainsi le français Maniakès devient Maniakes en langue d’oïl, Maniákes en grec et Maniakis en arabe. Naturellement il y a des exceptions, Mohammed reste tel quel même dans les langues différentes de l’arabe. Corrado, Conrad pour les normands, reste au contraire Corrado même pour les arabes, car ayant vécu parmi eux, il s’est fait connaître ainsi.




53


Lombards, (Longobardi): le terme indique au sens étroit les descendants du peuple germanique qui ont envahi la péninsule italienne au VI siècle, mais au sens large tous les habitants d’Italie qui, du nord au sud, furent soumis à ce peuple, et donc également ceux qui étaient d’origine italique (Campanie et Basilicate etc…). Au XI siècle les lombards parlaient officiellement le latin, même s’ils s’exprimaient dans les dialectes romancés des lieux où ils résidaient. Après la conquête normande du sud de l’Italie le terme ”lombards” commença à indiquer uniquement les habitants de l’Italie du nord.




54


Strategos: chef d’un régiment militaire de l’Empire byzantin et administrateur de la circonscription attribuée à ce régiment.




55


Sheitan: nom du Diable en arabe; Satan.



Sicile, XI siècle, Nadira est une jeune fille innocente d’origine berbère, qui vit en se soumettant aux décisions de son frère; comme lorsqu’on lui annonce qu’elle devra devenir une des épouses de l’émir de sa ville. Cependant, ses yeux sont tellement étranges et envoûtants qu’ils attirent l’attention de plus d’un prétendant. Bien vite la renommée d’une malédiction se répandra : les hommes qui croiseront son regard ne pourront plus éviter de la désirer et essayer de l’avoir.

Les yeux de Nadira et ce ciel sans limite qu’ils rappellent, provoqueront la seconde guerre que la Sicile musulmane vivra. En attendant , les frères de Hauteville, de terribles guerriers normands, attendent n’importe quel prétexte pour pouvoir traverser la mer, dans le but de commencer une croisade contre les maures.

“ Quelque chose de si extraordinairement irrésistible et maudit au point de secouer irrémédiablement les désirs de celui qui le regarde, peut-il réellement exister ? “

Les yeux bleus atypiques de Nadira semblent prouver qu’il en est ainsi.

Sicile, XI siècle. Nous nous trouvons aux derniers actes de la domination arabe : les émirs des principales villes de l’île sont en guerre entre eux et les forces chrétiennes, attendent une excuse pour intervenir et entreprendre leur guerre sainte contre l’ennemi musulman.

Nadira est une jeune fille innocente d’origine berbère qui vit en se soumettant aux décisions de son frère ; comme lorsqu’on lui annonce qu’elle devra devenir une des épouses de l’émir de sa ville. Cependant, ses yeux sont tellement étranges et envoûtants qu’ils attirent l’attention de plus d’un prétendant. Bien vite la renommée d’une malédiction se répandra : les hommes qui croiseront son regard ne pourront plus éviter de la désirer et essayer de l’avoir.

Les yeux de Nadira et ce ciel sans limite qu’ils rappellent, provoqueront la seconde guerre que la Sicile musulmane vivra. En attendant , les frères de Hauteville, de terribles guerriers normands, attendent n’importe quel prétexte pour pouvoir traverser la mer, dans le but de commencer une croisade contre les maures.

Conrad se trouve dans tout cela, lui aussi normand, mais ayant grandi parmi les siciliens chrétiens. Son ambition est sans limite et sa vengeance envers les dominateurs musulmans dépasse le bon sens.

Le destin de Conrad finira par croiser ce “ciel de Nadira” et le mystère qui se cache derrière la nature de ces yeux là. Cependant, il parviendra à vaincre le danger que la beauté de Nadira représente, uniquement s’il saura dévoiler ce qui lie le coeur d’un homme au désir qui le soumet au mal.

La guerre est encore en pleine rage, devenue désormais une bataille de cultures et de religions, lorsque du terrain de la haine, commence à naître la tolérance…. une espérance entretenue par celui qui a su mettre de l’ordre dans les inquiétudes de son âme.

Un environnement multiculturel, une aventure racontée de tous les points de vue, une histoire objective et d’une saveur actuelle, un roman que les amants de fictions historiques et d’aventures ne peuvent ignorer.

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