Книга - Childéric, Roi des Francs, (tome second)

a
A

Childéric, Roi des Francs, (tome second)
Anne Beaufort d’Hautpoul






Childéric, Roi des Francs, (tome second)





CHILDÉRIC.

LIVRE ONZIÈME




SOMMAIRE DU LIVRE ONZIÈME

Viomade s'est éloigné. Le roi sent déjà des remords, et va réparer ses injustices. Le jour choisi pour la révolte est arrivé. Egidius la commande à la tête des Romains et des Francs. Egésippe doit livrer le roi. Ulric avertit son maître. Les braves se joignent à lui et entraînent Childéric dans la forêt des Ardennes. Ils sont attaqués; le roi blessé s'enfonce dans les bois, suivi d'Eginard. Childéric s'évanouit, il est transporté dans le temple des Druides, et couché dans un lieu sombre. Une main inconnue le sert. Les Druides pansent sa blessure, elle est guérie. L'inconnu se découvre; c'est Viomade; il instruit le roi des événemens qui l'intéressent, et de ses projets. Childéric les approuve, et se rend en Thuringe, où il doit attendre le signal de son retour.




LIVRE ONZIÈME


Viomade avoit reçu avec douleur l'ordre de son bannissement; il avoit reconnu également la haine et l'amour, et s'affligeoit pour son prince, dont il pressentoit le danger. Sûr de son cœur, il demande à être conduit vers lui, et Valérius s'y oppose; le brave insiste encore; Valérius le menace de le faire saisir par ses gardes. Viomade sait qu'il ne sera que trop défendu, et craignant d'exciter une émeute dangereuse, il se décide à partir, mais il demande Ulric. Le romain voudroit éviter cette entrevue; cependant il n'ose la refuser; il sait, qu'haï du peuple, un mot peut le perdre; il mande Ulric; les deux amis parlent bas; Valérius ne les quitte pas, mais ne peut les entendre; ils s'embrassent et se séparent. Rends-moi tes armes, dit alors l'agent méprisable d'Egidius. Jamais, répondit Viomade, je ne les rendis aux Romains; si tu les veux, sers-toi des tiennes pour m'y contraindre. Viomade jura sur l'honneur de quitter la ville à l'instant même, et de n'y jamais rentrer sans l'ordre du roi. Valérius l'accompagna jusqu'aux portes, les lui vit franchir, et rentra au château d'Egésippe, à qui il fit savoir, par ses femmes, qu'elle étoit délivrée de son ennemi. Bientôt le bruit de cet injuste exil se répandit; on excita le peuple à le venger; l'ingratitude du roi fut généralement détestée. Egidius, de son côté, rassembloit ses troupes, et tous les Francs n'attendoient qu'un signal pour se réunir à elles. Malgré son amour et son bonheur, malgré ses enivrantes espérances, Childéric n'a pu revoir, sans un généreux soupir, la couche déserte de Viomade; ses torts légers ne sont qu'une ombre à tant de vertus, de nobles actions, de sacrifices. Le roi se rappele tout; il croit voir Mérovée; il croit entendre la voix de Gelimer. Depuis que l'amour l'a séduit, ces souvenirs lui échappent, ils renaissent en foule, suivis de la honte et du repentir. Est-ce moi, se disoit-il, moi, l'élève du sage Gelimer, qui résistai à l'amour vrai et généreux de Talaïs; moi qui préférai une grotte sauvage et des déserts, au trône, à la fortune, et sacrifiai tous les biens à l'amitié; est-ce moi qui maintenant languis sans gloire aux pieds d'une femme, et viens de lui sacrifier l'ami de mon père, son défenseur et le mien? Qui donc a su empoisonner mon ame? Les conseils de Viomade étoient sévères; ceux de Gelimer l'etoient-ils moins? l'ai-je sacrifié à la tendre Talaïs? Suis-je donc devenu insensible à la reconnoissance, sourd aux leçons de la sagesse, rebelle aux avis de la prudence? Que pense de moi ce peuple à qui je dois le bonheur et l'exemple? qu'ai-je fait pour lui? quelles lois sages ai-je su rendre? quelle victoire ai-je remportée? Pourquoi Beauvais ne m'ouvre-t-il point ses portes? pourquoi Soissons renferme-t-il encore nos ennemis? pourquoi un seul romain respire-t-il dans les Gaules? Est-ce ainsi que je veux paroître dans l'histoire, à la suite de mes pères, et au milieu de mes glorieux successeurs, pour qui mon nom sera un outrage, et mon règne un exemple odieux? O mon père! ô Gelimer! vos ombres sacrées m'apparoissent, et ne peuvent reconnoître en moi ce héros que sembloit promettre mon enfance téméraire, et ma jeunesse valeureuse. Apaisez-vous, mânes irritées des héros, mon repentir m'éclaire, j'en suivrai les mouvemens heureux. Demain je rappele Viomade, et bientôt, marchant contre Egidius, j'irai reconquérir ma gloire et ces instans donnés à l'amour. Rempli de ces idées qui le consolent, le roi s'endort; il se lève pour exécuter d'aussi belles résolutions, et s'enferme dans son appartement pour révoquer l'ordre d'exil contre Viomade, retirer le projet d'impôt, et pourvoir aux besoins de l'état. Valérius, qui avoit exécuté la condamnation injuste prononcée contre le brave, est chargé d'aller le chercher. Le roi mande Mainfroy et lui expose son plan d'attaque contre les Romains; ce jour alloit être un jour de gloire. Egésippe, instruite par Valérius, presse son parti; elle lui promet de lui livrer le prince à l'entrée de la nuit; tout est prêt, on n'attend plus que la fin du jour, elle s'approche. Egésippe écrit au roi une lettre passionnée, elle le conjure de venir promptement rassurer son ame, qu'un instant d'absence désespère. Childéric redoute sa vue, il se sent trop foible auprès de tant d'attraits, il se refuse encore au bonheur, et cependant il est agité. Ulric paroît, ses cheveux blancs sont en désordre, et sa mâle physionomie est décomposée. O ciel! dit-il au roi, que faut-il que je vous annonce? et en parlant, des pleurs de rage coulent de ses yeux. Courageux Ulric, dit le monarque, expliquez-vous. O jour affreux! reprit le brave, jour de honte pour les Francs! vous êtes trahi, détrôné; Egidius est roi, et la perfide Egésippe vous attend, pour livrer aux Romains un illustre captif! Il vous reste peu de momens pour échapper; fuyez, ô roi! daignez me suivre, je sais où conduire vos pas. Fuir! dit le monarque, fuir! en suis-je réduit à ce triste abaissement? n'ai-je donc plus d'armée? ne me reste-t-il plus d'amis? Il vous reste, reprit Ulric, vos braves et mes fils; mais que pouvons-nous contre deux armées réunies? Une téméraire audace n'est pas plus permise qu'une honteuse crainte; le courage aime la prudence, croyez-en mon âge, mes cheveux blancs, sur-tout ma fidélité. O mon roi! dit-il en se jetant à ses genoux, daignez faire dire à la perfide, qui vous attend pour vous sacrifier, que vous allez bientôt vous rendre chez elle; ordonnez votre char et vos gardes, trompez les yeux et suivez-moi. Eginard entra tout-à-coup accompagné de ses deux frères; tous répètent au monarque les mêmes paroles. Amblar, Arthaut, Recimer, se jetèrent à ses pieds, en lui renouvelant le serment de mourir pour lui; et Childéric, ému des marques de leur zèle, défère à leurs avis, plus par reconnoissance que par crainte; mais il ne croit pas devoir exposer ses jours, ni d'aussi dévoués amis. Le roi, armé comme eux, suit Ulric, qui les conduit hors de la ville par des détours: ils approchoient déjà de la forêt des Ardennes, quand ils furent atteints d'une grêle de flèches, dont une grande partie, heureusement mal dirigée dans l'obscurité, se perdit dans les airs. Cependant Childéric est blessé, ainsi que Mainfroy. Le roi, qui craignit alors de tomber au pouvoir des ennemis, s'enfonça rapidement dans la forêt; Eginard le suivit; le reste de la troupe s'égara dans l'obscurité. Childéric marcha long-tems au hasard, et toujours accompagné d'Eginard; mais la douleur, et le sang qui coule de sa blessure, l'affoiblissent; il est forcé de s'arrêter sous un chêne, et bientôt il s'évanouit. Eginard, dont les yeux se sont habitués à l'obscurité, distingue les objets; la nuit est belle, les étoiles brillent au firmament, et jettent un demi-jour à travers le feuillage; il en profite pour examiner la blessure du roi, pour arrêter le sang, pour reconnoître les lieux. Il voit, avec une grande joie, que la partie de la forêt dans laquelle ils sont parvenus, est la partie consacrée, et que dans cet asile saint et redouté, Childéric n'a rien à craindre de ses ennemis; la coignée a respecté ces arbres touffus qui couronnent la terre, et forment par-tout des berceaux, que les rayons du soleil même ne peuvent percer; il y règne une fraîcheur et une obscurité perpétuelles; les sylvains, les nymphes, Pan et les autres divinités champêtres, fuyent cette partie du bois destinée aux mystères; on ne voit de tous côtés que des autels, sur lesquels des victimes avoient été égorgées; les arbres étoient teints de leur sang; nul oiseau ne se perchoit sur leurs branches, nul animal ne pénétroit dans cette enceinte, les vents mêmes craignoient d'en troubler la paix; la foudre n'osoit y tomber; l'ombre de ces chênes, qu'aucun zéphir n'agitoit, portoit dans tous les cœurs une sainte épouvante; des troncs bruts et informes représentoient le dieu Pan; la mousse verdâtre dont ils étoient couverts, inspiroit la tristesse, l'horreur et l'étonnement qui semblent empreints sur leurs écorces. On diroit qu'ils veulent annoncer aux téméraires qui osent s'approcher, que ces lieux sont consacrés à un dieu terrible, dont les Druides mêmes sont effrayés, et qu'ils craignent d'entrevoir. C'est au milieu de cette sombre retraite qu'est bâti le temple des Druides: ce temple est octogone et à deux étages; les murs épais sont revêtus au-dehors de pierres de taille, et au-dedans de petites pierres déliées et incrustées de marbre, avec des compartimens en mosaïque; le pavé est de marbre, le toit de plomb. Plusieurs autels ornent l'étage supérieur, ils sont de pierres solides et de toutes formes, quarrés, ronds, triangulaires, longs ou ovales, et portent l'empreinte des dieux auxquels ils sont consacrés; plusieurs sont décorés de statues de pierre ou même de marbre. L'étage supérieur a huit fenêtres pratiquées dans des niches; l'étage inférieur sert de logement aux Druides. On communique d'un étage à l'autre, par un escalier de pierre. A côté de la porte d'entrée, est celle d'un souterrain qui conduit au fleuve. C'est là que les prêtres renferment leurs trésors, et célèbrent certains mystères; au-dessus de la porte on voit, sur une large pierre, quatre prêtresses représentées; deux sont vêtues comme les gauloises, et ornées de ceintures et de bracelets; les deux autres sont nues, deux serpens s'enlacent autour de leurs jambes, s'élèvent jusqu'à leurs seins, et leurs sucent les mamelles [1 - Ces descriptions sont exactes.].

C'est dans cet asile révéré du vulgaire, que le roi évanoui est transporté; le sang qu'il a perdu l'a tellement affoibli, qu'il reste plusieurs heures sans connoissance; lorsqu'il reprend ses sens, il se trouve couché sur un lit; sa blessure est pansée, et une profonde obscurité règne autour de lui; sa foiblesse est encore si grande, qu'il veut en vain se soulever et entr'ouvrir ses rideaux: le morne silence de ces lieux n'est troublé que par un soupir qui pénètre le cœur du monarque. Qu'entends-je! dit-il, où suis-je? Bientôt on s'approche; une main tremblante porte une coupe à ses lèvres, tandis qu'un bras adroit soulève son corps et le soutient; il boit le breuvage qui lui est offert; la main timide se retire. O vous! qui daignez me secourir, dit le roi, d'où naît ce mystère? On se tait, le prince imite ce silence; calmé par le breuvage, il s'endort profondément. Le soleil a déjà fini son cours, quand il sort d'un si doux sommeil; mais le souvenir de ses malheurs, ses fautes et son repentir, étoient là, prêts à saisir sa première pensée. Hélas! qu'il est pénible le réveil de l'infortuné! il est seul avec sa douleur, les distractions du jour ne s'agitent point encore autour de lui, et ses maux, qu'il avoit presque oubliés, renaissent tous à-la-fois dans son ame; mais Childéric n'avoit point attendu ses revers pour reconnoître sa faute, pour vouloir la réparer; cette idée le console, en l'anoblissant à ses yeux. Il n'accusoit point Egésippe pour se justifier, il sentoit qu'elle ne l'avoit égaré que parce qu'il s'étoit laissé séduire; il s'avouoit tous ses torts; mais celui dont il étoit le plus honteux, le plus désolé, étoit celui de son ingratitude; Viomade occupoit seul sa pensée. Si le bruit de ma chûte est parvenu jusqu'à lui, disoit le roi, il s'afflige encore, et plaint l'ingrat qu'il aime toujours. Ses réflexions furent interrompues par l'arrivée de plusieurs personnes; une d'elles tient deux flambeaux; les rideaux du lit sont entr'ouverts, et Childéric voit s'approcher deux Druides; leurs traits vénérables conservent l'auguste caractère que leur imprime une vie chaste et religieuse; des sentimens élevés et purs répandent sur leur physionomie une douce noblesse qui pénètre l'ame. Les généreux Druides défendirent au roi de parler, examinèrent sa blessure et la pansèrent soigneusement; ils déclarèrent qu'elle étoit très profonde, que la plus légère émotion la rendroit mortelle. Un long soupir se fit entendre derrière les rideaux, et troubla le roi. Les Druides, après lui avoir recommandé la résignation, la soumission à la volonté des dieux, le calme et le silence, se retirèrent, et laissèrent le prince dans l'obscurité: ainsi s'écoulèrent plusieurs jours. Les Druides venoient à des heures fixes panser le roi; il recevoit toujours ses breuvages nourriciers et salutaires de la main discrète, dont il ne pouvoit définir ni concevoir la mystérieuse bienfaisance; le reste du jour et des nuits se passoit dans le silence et l'obscurité; les plus douloureuses pensées agitoient le monarque, et retardoient sa guérison. Cependant l'amour malheureux ne lui faisoit point éprouver ses tourmens; trahi, trompé, il avoit cessé d'aimer; une ame aussi belle ne peut aimer quand elle méprise; il faut à la vertu qui règne dans son cœur, il faut à sa franchise, à sa confiance, un choix digne d'elles; il a cru l'avoir rencontré, il adoroit leur perfection; détrompé, son amour s'est évanoui avec l'erreur qui l'avoit fait naître.

La jeunesse, les soins et le tems apportèrent à la blessure du roi un soulagement considérable. Malgré sa tristesse, l'inquiétude qu'il éprouvoit, le désir de savoir des nouvelles des siens, le besoin surtout d'entendre parler de Viomade, de s'instruire de sa destinée; enfin, malgré l'ennui dont il étoit dévoré, il sentoit ses forces renaître. Les Druides lui annoncèrent que le danger avoit été grand, mais qu'heureusement il étoit passé, et que le sang qu'il avoit perdu, les chagrins auxquels il s'abandonnoit, étoient les seules causes de la foiblesse qu'il éprouvoit encore. Un cri de joie se fit entendre, le prince tressaillit. Les Druides et les flambeaux se retirèrent; il les vit partir sans regret; son cœur étoit agité, il vouloit réfléchir, il espéroit connoître enfin ce généreux inconnu si touché de ses souffrances, et si heureux de leur guérison. Je ne puis, dit le roi, recevoir plus long-tems vos soins, bienfaiteur dont le nom me sera à jamais cher, sans connoître celui à qui je dois tant de secours et tant d'intérêt. Hélas! vous ne me répondez point… vous savez qui je suis, vous savez que je fus un ingrat. A ces mots, le roi se sentit saisi d'une vive douleur; il entendit soupirer son mystérieux ami, mais n'osa plus lui demander ce qu'il s'obstinoit à taire; peut-être ce silence étoit-il une règle établie dans ces lieux, car il ne doute pas qu'il n'ait été transporté chez les Druides révérés, et dont les lois austères inspirent le respect et la crainte; fatigué par tant de pensées, le roi s'endormit, et les idées qui l'avoient si fort agité, se prolongèrent dans ses songes; il croyoit entendre encore les soupirs de l'inconnu, l'expression de sa joie; bientôt il aperçut Mérovée qui lui demandoit compte de ses actions; il lui demandoit encore où étoit sa couronne, son sceptre et son épée; tremblant, il fuyoit l'ombre irritée, et se retrouvoit dans sa grotte; il voyoit Talaïs, elle le conduisoit sur le rocher, et lui disoit: Ce n'est qu'ainsi qu'on aime; enfin, il s'égaroit dans un long désert; là, il aperçoit Viomade, pâle et défiguré; il portoit les tristes livrées de la misère, demandoit aux dieux un asile. Ce songe affreux déchire le cœur de Childéric, il se réveille en nommant Viomade; une sueur abondante coule de son front, la fièvre hâte et précipite les mouvemens inégaux de son pouls. Au nom qu'il a prononcé, l'étranger s'est approché, et a pris une de ses mains. O vous! dit le prince avec la plus grande agitation; ô vous! qui compâtissez à mes peines; vous, qui avez des larmes pour mes douleurs, de la joie pour ma santé, prenez pitié de mon inquiétude et de mes alarmes; vous le savez, je suis Childéric, et je fus ingrat; l'amour, la jeunesse m'ont entraîné; je ne cherche point d'excuse, hélas! l'ingratitude n'en a point! mais soyez touché de mon repentir, calmez, s'il se peut, mes chagrins; vous connoissez sans doute Viomade, le bruit de sa vertu aura volé jusqu'à vous; hélas! vous savez aussi de quel prix j'ai payé ses longs services; une si pure amitié… mais que ma douleur vous attendrisse; oubliez la faute, ne voyez que le remords, et daignez m'apprendre où mes cruautés l'auront conduit, s'il a survécu à mes injustices, s'il a trouvé l'honorable asile dû à une ame si belle; si j'apprenois qu'il n'a point souffert, mon repentir adouci, me laisseroit plus de repos; mais l'image de sa détresse me poursuit jusque dans mon sommeil: au nom de vos soins généreux, ah! parlez-moi de mon ami… Et toi, mon cher Viomade, ne te reverrai-je plus? ne te ferai-je pas lire dans ce cœur séduit, plus que criminel, et qui t'aima toujours? Que ne puis-je encore me jeter dans tes bras! que n'es-tu témoin de mes larmes!.. Arrêtez! cher prince, arrêtez! s'écrie une voie entrecoupée par des sanglots; arrêtez! reconnoissez votre fidèle Viomade, qui succombe à son attendrissement et à sa joie. O mon ami! Tous deux se taisent, sans cesser de s'entendre et de se répondre; leurs premières paroles se ressentirent de leur mutuelle agitation. Doux silence! heureux désordre! trouble charmant! plus persuasifs, plus touchans que l'éloquence! Ah! disoit le prince, comment n'ai-je pas reconnu Viomade à ses bienfaits, à sa sensibilité? qui sait aimer comme lui? mais, pourquoi ce mystère? pourquoi me cacher mon ami? – Vos jours en danger défendoient toute émotion; les Druides craignoient… – Ils craignoient ma joie, ils avoient raison; je sens que plutôt, elle eût été destructive; à peine encore puis-je aujourd'hui la supporter. – Calmez-vous; demain, nous reprendrons cet entretien, il devient dangereux pour vous. – Un mot seulement: Sais-tu le sort de nos braves? – Egarés dans la forêt pendant l'obscurité, ils se réunirent dès que le jour parut, et sont à Tournay; mais reposez-vous, j'ose l'exiger. Childéric se soumit, il sentoit qu'il en étoit tems; ses forces épuisées commençoient à lui manquer. Viomade lui présenta un breuvage qui le ranima; il dormit quelques heures: son ami s'offrit à son réveil; l'amitié en écarta les peines, ou ne lui en laissa qu'un souvenir adouci par elle, et embelli par l'espérance. Le roi, se sentant beaucoup plus calme, désira apprendre comment Viomade et lui se trouvoient réunis: le brave consentit à le lui raconter après la visite des Druides; il ouvrit une fenêtre qui donnoit dans la forêt, mais déjà l'hiver en avoit jauni l'ombrage, et la feuille desséchée tomboit sous les efforts des vents; quelques chênes verts, quelques sapins, de noirs cyprès, conservoient seuls leur triste, mais constante verdure. Les Druides ayant jugé que le prince pouvoit être transporté sur un lit de repos près de la fenêtre, il jouit de ce spectacle mélancolique, et écouta long-tems le bruit des vents et le frémissement du feuillage. Viomade vint s'asseoir auprès de lui, et ne put fixer sans attendrissement ce beau visage décoloré, cette figure charmante sur laquelle régnoit une si douce tristesse, une si touchante pâleur. Childéric lui tendit la main, il la pressa dans les siennes…; des pleurs baignèrent sa paupière; mais, triomphant de sa foiblesse, Viomade prit une attitude plus ferme, et parla ainsi: Vous m'ordonnez de vous expliquer par quels événemens nous nous trouvons dans ces lieux, je vais vous obéir. Vous devez savoir, ou du moins pressentir que vous habitez le temple dont le célèbre Diticas est le grand-prêtre. En quittant Tournay, je me décidai à venir le joindre: une tendre amitié nous unit dès l'enfance; il chérissoit Mérovée, dont la piété étoit vive et éclairée; il vous aimoit, je connoissois vos dangers, je comptois sur son pouvoir, je me décidai à l'intercéder et à l'attacher à votre sort; cela me parut facile, puisque déjà vous lui étiez cher: cependant je me proposois de l'alarmer lui-même sur la perte de sa puissance; mais j'avois besoin d'être instruit de votre destinée; j'étois sûr de tous vos braves; je demandai Ulric comme le plus prudent; Valérius n'osa me refuser. Nous convînmes rapidement d'un rendez-vous dans la forêt; là, j'appris l'audace d'Egidius; je chargeai Ulric de vous conduire ici; j'en obtins la permission de Diticas, qui avoit été touché des malheurs dont vous étiez menacé; il m'avoit offert tous ses secours. Instruit toujours fidèlement, constamment occupé de votre sort, tremblant pour vos jours, j'allois au-devant de votre arrivée, lorsque je vous trouvai évanoui et blessé dans les bras d'Eginard: nous vous transportâmes jusqu'ici; on profita de votre évanouissement pour sonder votre blessure; elle étoit profonde, et le sang que vous aviez perdu vous causoit une si grande foiblesse, que l'on craignit pour vos jours; le silence et le calme furent ordonnés… Vous savez le reste. Ainsi donc, lui dit le roi, tandis que je te repoussois loin de ta patrie, occupé de moi, tremblant pour moi seul, oubliant mes torts sans nombre… Prince, interrompit Viomade, un brave ne compte que ses devoirs. Un roi, reprit Childéric, ne doit pas les oublier. Cette pensée plongea le jeune monarque dans la plus profonde tristesse, il soupira douloureusement. Viomade essaya de le distraire. O mon roi! lui disoit-il, ce sont nos fautes qui nous éclairent; de l'erreur du passé, naît la prudence de l'avenir; que d'années vous restent pour en effacer quelques instans! Le remords épure le cœur, il est sa seconde innocence, mais un noble espoir ne doit jamais l'abandonner; le malheur mûrit promptement et intéresse toujours; l'expérience des autres est perdue pour nous, et nous ne recevons que de nos propres revers des leçons sévères, mais utiles: quelle longue et brillante carrière s'ouvre devant vous! En peu de tems, vous avez cueilli les fruits d'une profonde sagesse, appris de grandes vérités, vous leur devrez une gloire pure et éclatante, un règne brillant et heureux. Egidius ose aujourd'hui s'asseoir insolemment sur votre trône, mais ce règne injuste ne sera pas long; les Francs rougiront d'obéir aux Romains; ils rougiront de leur avoir rendu les Gaules, conquises au prix du sang de leurs frères et du leur. J'apprends déjà qu'il existe par-tout une violente persécution; tout ce qui vous est fidèle est disgracié, privé de son rang, de ses biens, la plupart déclarés serfs. Les chefs sont tous remplacés par des Romains, tous les postes leur sont confiés, et l'ancien fisc de Rome est rétabli: on n'ose murmurer encore, et l'instant n'est pas venu; il faut laisser aux Francs le tems de sentir leur faute. Ce temple vous offre une sûre retraite jusqu'à votre guérison; Diticas vous a ménagé un honorable asile pour l'époque à laquelle vous pourrez quitter ces lieux. Bazin, roi de Thuringe, vous appelle à sa cour; vous y serez traité en souverain. Ces peuples, venus comme nous de la Germanie, sous les noms de Cattes, de Varnes et d'Hérules, ont fondé ce royaume encore naissant: gouvernés par les mêmes lois, suivant la même religion que nous, un même sang, pour ainsi dire, coule dans nos veines, un même sentiment doit nous animer, et vous devez compter sur l'hospitalité qui vous est offerte. Bazin seroit sans doute un grand roi, si quelques actions sanguinaires ne servoient d'ombre à ses vertus; guerrier farouche, tout tremble également devant lui, ennemis et sujets; mais votre cause est celle des rois, son intérêt est de vous défendre; vous choisirez parmi vos braves celui que vous daignerez préférer; il aura l'avantage de vous suivre, il restera aux autres le bonheur de vous servir. Après votre départ, je me rendrai près d'eux à Tournay; là, j'apprendrai des circonstances les meilleurs moyens à employer pour vous rendre à notre amour. Viomade se tait, et Childéric manque d'expressions pour peindre sa reconnoissance.

Le jour s'écoula dans ce doux entretien. Childéric apprit sans émotion qu'Egésippe étoit reine, qu'Egidius avoit reçu sa foi: il sut qu'Ulric, blessé en l'accompagnant à la forêt, étoit rétabli, mais persécuté par le nouveau roi. Il nomma dès-lors l'aimable Eginard pour l'accompagner; Viomade se chargea de l'en instruire.

Les forces du monarque commençoient à se rétablir, l'hiver étoit presque écoulé; plusieurs fois admis au temple, le roi avoit assisté aux sacrifices des Druides; la prière, ce mouvement sacré du cœur, avoit élevé et fortifié son ame, et l'espérance, premier bienfait des dieux, l'avoit pénétré: souvent admis aux sages entretiens de Diticas, il avoit reconnu la saine morale de Gelimer, et adressé des regrets à ce vertueux ami.

Mais les vents retournés derrière les montagnes, sembloient rendre le repos à la terre, un air plus doux se faisoit sentir, et les buissons se paroient déjà d'une naissante verdure: c'étoit l'époque fixée pour le départ de Childéric. Viomade en pressoit l'instant pour le servir plus utilement ailleurs. Diticas lui ayant offert une armure digne de son rang, lui ouvrit le trésor sacré, et le conjura d'en disposer, lui promit la protection des dieux, lui jura un zèle infatigable: Viomade ne promit rien. Eginard, fier et heureux du choix de son maître, fut admis dans le temple. Un sacrifice précéda le départ du roi; Eginard, chargé de ses ordres, le quitta pour aller les exécuter. Le lendemain, conduit par Diticas et Viomade, Childéric traversa le souterrain qui conduisoit au fleuve; là, ils trouvèrent Eginard qui avoit amené deux chevaux superbes et richement harnachés. Il fallut se séparer, et ce fut un moment pénible pour tous. Viomade, ayant brisé une pièce d'or, en remit une moitié au roi. Quand vous recevrez la seconde, lui dit-il, hâtez-vous de vous rendre aux lieux qui vous seront indiqués, mais n'en croyez aucun autre indice. Childéric se prosterna, plein de respect et de reconnoissance, devant Diticas, embrassa tendrement son ami, et sautant légèrement sur le cheval qui lui étoit destiné, tourna vers les villes de Strasbourg, Francfort, Gotha, et arriva à Erfort, capitale de la Thuringe. Ce n'étoit pas sans une vive douleur que Childéric avoit quitté sa patrie; l'espoir qu'il emportoit sembloit diminuer à mesure qu'il s'en éloignoit; il ne pouvoit penser, sans un déchirement cruel, à la différence du voyage qu'il entreprenoit alors, avec celui qu'il avoit fait il y avoit deux ans, à la même époque et dans la même saison, mais avec des sentimens bien éloignés de ceux qu'il éprouve: il revenoit alors dans sa patrie, un père l'attendoit, un trône, une couronne lui étoient réservés; il apportoit un cœur pur, exempt de foiblesse et de repentir; la perfidie n'avoit point blessé son ame, tout sourioit encore à sa jeunesse, il respiroit le bonheur. A présent, hélas! banni par ses propres sujets, trahi par celle qu'il aimoit si ardemment, errant, fugitif, accablé par les reproches de son cœur, il va solliciter un asile qui lui rappellera sans cesse le trône dont il est descendu! Ces idées l'accablent. Eginard lui-même a des momens de tristesse; il vient de quitter Grislidis, ses adieux ont été si tendres… Le premier jour du départ, Eginard fut préoccupé, le second il crut devoir distraire son maître, le troisième jour il y parvint, et fut heureux. Arrivés à Erfort, il se reposèrent un jour entier avant de se présenter à la cour où ils étoient attendus; ce jour rendit au roi son air majestueux et doux, à Eginard toutes ses graces et le désir de plaire.


FIN DU LIVRE ONZIÈME




CHILDÉRIC.

LIVRE DOUZIÈME




SOMMAIRE DU LIVRE DOUZIÈME

Bazin, roi de Thuringe, vient de perdre son fils Amalafroi. Vengeance que veut en tirer un père irrité. Arrivée de Childéric. Portrait de Bazine. Elle demande en vain la grace des Vandales; elle s'évanouit dans les bras de Childéric. Son entretien avec le roi des Francs. Elle le quitte. Retour de Bazin dans son palais. Festin. Chants funèbres.




LIVRE DOUZIÈME


Bazin régnoit seul en Thuringe depuis la mort d'Humfroi, son frère aîné, avec lequel il avoit partagé d'abord l'empire; ils habitoient alors deux palais voisins, et qu'un seul jardin séparoit. A la mort d'Humfroi, Bazin s'étoit emparé de ce trône à peine élevé, qui devoit tomber sous les coups de Thierry, fils de Clovis, et faire partie de sa puissance. Altier, sanguinaire et farouche, Bazin venoit de perdre l'aîné de ses fils, le jeune et bel Amalafroi, espoir et amour du peuple. Vainqueur des Vandales, il traitoit de la paix quand il fut lâchement assassiné: l'armée entière gémit sur une mort prématurée, et qui lui enlevoit un prince aussi brave que généreux. La douleur de Bazin fut extrême; mais il ne borne point son deuil à des larmes, la vengeance peut seule satisfaire ses regrets terribles. En vain il lui reste encore trois fils, Hermanfroi, âgé de douze ans, Baderic et Berthier, encore enfans; rien ne le console, ne l'appaise; c'est du sang qu'il faut à sa douleur: tous les prisonniers faits sur les Vandales pendant la guerre, seront immolés sur la tombe d'Amalafroy, de ce prince, qui, dans le cours d'une longue carrière, n'eût pas vu couler sans pitié une goutte de ce sang qui va se répandre à grands flots. Déjà les apprêts de ces sanglantes obsèques ont frappé d'horreur les sens de Childéric; il a aperçu le bûcher en se rendant à la cour du roi de Thuringe; il a reculé d'effroi, et a frémi au récit que lui font les gardes qu'il a interrogés. Cependant, au bruit de son arrivée, Bazin se présente pour le recevoir, et la beauté du monarque français, sa taille superbe et son aspect enchantent déjà tous ceux qui l'entourent; il parle, il plaît davantage encore, et tous les cœurs lui sont soumis. Arrivé dans les appartemens du roi de Thuringe, Childéric, comblé d'honneurs, répond à ces hommages avec une noble reconnoissance: on l'écoute, on l'admire, il règne sur tout ce qui l'approche; l'aimable Eginard reçoit lui-même un favorable accueil, et partage les égards dont on accable son maître.

Mais les horribles funérailles que prépare un père irrité, ont porté la douleur dans l'ame sensible de Bazine, nièce du roi de Thuringe, et destinée, dès sa naissance, à épouser son fils. Bazine, restée au palais de son père Humfroi, et élevée par les ordres de son oncle, cache dans l'ombre sa beauté, sa grace, sa douce mélancolie, et tous les présens qu'elle a reçus de la nature; dans une extrême jeunesse, elle a montré une ame élevée, un caractère constant et noble, un esprit juste, une imagination profonde. Bazine a deviné tout ce qu'elle est loin encore de sentir, ce qu'elle ne doit peut-être jamais connoître, et sa raison, qui avertit son cœur des privations qui l'attendent, l'a condamnée aux regrets, long-tems avant qu'elle eût l'idée du plaisir. L'amour pur, extrême, sincère et constant, ce dieu des ames tendres et fidèles, se peignoit à sa pensée comme le seul vrai bien de la vie; la bienfaisance en étoit pour elle la consolation; une bonne action, voilà le plaisir pour Bazine, et les larmes de joie qu'elle faisoit répandre, étoient la volupté pour son cœur. Ses traits réguliers, mais doux, son regard languissant et timide, son sourire innocent, ses graces enfantines et légères, tout en elle est pur et dans une parfaite harmonie; la négligence et l'abandon de sa démarche, un air rêveur, un son de voix qui portoit à l'ame ses moindres discours, font de Bazine un de ces êtres charmans que l'on aime, que l'on admire, et qui ravissent pour toujours. La princesse, destinée à l'hymen d'Amalafroy, renonçoit, en l'épousant, à la délicieuse idée d'un amour mutuel; elle éprouvoit un regret qu'elle condamnoit elle-même; en songeant à cet hymen, elle pleuroit un bonheur mensonger, mais enchanteur. Des raisons politiques forçoient le roi de Thuringe à presser cette union; et Bazine, à l'approche de cet instant, sentoit augmenter son indifférence; elle se le reprochoit, elle vouloit aimer celui qu'elle estimoit, son cœur rebelle se refusoit à ses propres volontés. Appartenir sans se donner, passer sa vie sans connoître l'amour, renoncer à ses rêves charmans, sacrifier ses vagues, mais délicieuses espérances, se dérober soi-même à ce héros inconnu encore, mais qui sans doute existoit pour elle, ces pensées plongeoient la jeune princesse dans une tristesse accablante. Amalafroy plus heureux, ou plus à plaindre peut-être, aimoit avec idolâtrie; il voyoit avec transport s'approcher l'heureuse époque de son hymen; il se plaignoit pourtant d'une froideur dont son amour et sa délicatesse étoient alarmés: alors Bazine lui sourioit avec tant de graces, qu'il se reprochoit ses plaintes: il espéroit; mais à peine âgé de dix-huit ans, le prince est déjà moissonné! Il n'a paru qu'un seul jour pour se faire connoître et regretter, et Bazine a donné des larmes à celui dont elle fut aimée. Cependant la vengeance terrible du roi de Thuringe révolte son cœur, tant d'innocentes victimes excitent sa pitié; timide et modeste, Bazine craint de paroître; destinée au trône, elle a cependant le noble sentiment de sa grandeur, qui l'élève au rang qui lui est réservé. Le jour est fixé, on nomme déjà l'instant, la princesse ne peut différer davantage; couverte de vêtemens de deuil, voilée et suivie de la bonne Eusèbe, sa nourrice et sa gouvernante, de la séduisante Berthilie, sa meilleure amie, elle quitte son palais, traverse légèrement le jardin qui le sépare de celui du roi, et se présente à ses regards au moment où il venoit de recevoir avec tant d'honneurs Childéric et Eginard. Bazine, qui a rejeté son voile en arrière, rougit à l'aspect de deux étrangers; mais, s'adressant à son oncle: Je viens, lui dit-elle, implorer votre clémence, et recourir à vos bontés. – Que voulez-vous, Bazine? parlez; que demandez-vous? – La grâce de ces malheureux Vandales, si cruellement condamnés. A ces mots, prononcés avec une enchanteresse douceur, Bazine leva ses beaux yeux remplis d'une expression si tendre; mais le roi, enflammé de courroux, lui répondit: Eh quoi! c'est vous, vous, destinée à devenir l'épouse d'Amalafroy, vous qu'il aima, c'est vous qui m'osez demander la grâce de ses assassins! vous qui, loin de suspendre ma vengeance, devriez en presser les effets! Est-ce ainsi que vous honorez l'ombre de celui qui dut être votre époux? – Oui, c'est ainsi qu'interprétant sa belle ame, je rends un juste hommage à ses vertus; c'est en sauvant l'innocence, que j'obéis à ses volontés généreuses. Ah! craignez d'irriter ses mânes augustes, loin de les apaiser! Que ne peut-il, du sein des morts, se faire entendre et vous attendrir!.. O roi! ajouta-t-elle en se jetant aux genoux de Bazin, et élevant vers lui ses mains suppliantes, daignez écouter sans courroux la prière que je vous adresse! sauvez ces infortunés! l'ombre désolée de votre fils rejetera de sanglantes funérailles; croyez-en celle qu'il aima et qui connut si bien son cœur; cédez à la pitié: accordez-moi une grâce que je vous demande au nom d'Amalafroy! Bazin, sans être ému par sa beauté, par ses grâces timides, par l'accent irrésistible d'une voix si touchante, et à qui son attendrissement prêtoit encore un charme plus persuasif, releva Bazine avec rudesse: C'est assez, lui dit-il; je pardonne à votre âge cette indiscrète prière. Des gardes vinrent avertir le roi que les bûchers et les victimes étoient prêts; il suivit les gardes. Bazine, entraînée par sa pitié, s'élança au-devant de lui, essaya de le retenir; le roi la repoussa, et s'éloigna d'elle; elle fit un cri, et tomba évanouie. Childéric, qui étoit près de la princesse, la reçut dans ses bras; il la transporta sur un siége voisin; Berthilie, Eusèbe, s'empressèrent de la secourir, tandis que Childéric, tremblant, effrayé de sa pâleur, restoit à genoux, et soutenoit sa tête; Eginard, debout et non moins troublé que le roi, admiroit en silence cette beauté si sensible et si généreuse; les liens de perles qui retenoient ses cheveux d'un blond argenté, s'étoient détachés, et ses longues tresses dénouées sembloient un nouveau voile qui se prêtoit de lui-même à cacher ses modestes charmes. Les soins de Berthilie ne furent pas sans succès, Bazine rouvrit ses beaux yeux. Etonnée de se trouver appuyée sur le bras d'un étranger, qui lui-même est à ses genoux, elle regarde autour d'elle, et une prompte rougeur anime l'albâtre de son teint; elle porte sur le roi un regard reconnoissant et timide, et le prie avec instance de se relever; mais Childéric, qui s'oublioit entièrement à ses pieds, et s'abandonnoit à une admiration qui remplissoit et absorboit toutes ses pensées, n'entendit point ces paroles; il ne vit que sa touchante beauté: la princesse renouvela sa prière; alors, sortant comme d'un songe, le roi lui obéit, mais il demeura près d'elle, et constamment préoccupé. Bazine sourit à Eusèbe, embrassa Berthilie, et cependant elle poussa un profond soupir, et quelques pleurs coulèrent de ses yeux; elle pensoit aux malheureux qu'elle n'avoit pu sauver, et leur donnoit des larmes: s'occupant néanmoins des étrangers, elle remercia le roi qui l'avoit secourue, salua Eginard. Je savois, dit-elle à Childéric, que la cour de Thuringe devoit être bientôt honorée de votre illustre présence, car je vois que c'est au roi Childéric que je dois déjà des remercîmens. Je vous reconnois au portrait fidèle que l'on m'a fait souvent de vous, et si la renommée n'a pas été moins juste en me parlant de vos vertus, ma cour, qui vous reçoit, doit s'enorgueillir de son bonheur. Childéric troublé, s'inclina sans répondre. Je rougis pour nous, reprit Bazine, de ce que votre arrivée vous rendra le témoin des vengeances d'un père irrité et malheureux; la douleur l'a égaré, et ses excès vous font sans doute horreur; hélas! il a perdu ce qu'il aimoit, et son injustice, sa fureur, sont peut-être excusées par la violence de son désespoir! Oui, princesse, répondit le roi avec embarras; je sais qu'en perdant le prince Amalafroy, Bazin perd un fils adoré, la Thuringe un héros, vous, belle princesse, un époux, un amant aimé… Bazine baissa les yeux, et ne répondit point; après un moment de silence, elle se leva: Je vais me retirer, dit-elle au roi, je crains le retour de Bazin. Nous nous reverrons, prince, et j'espère que vous ne me refuserez point le récit de vos aventures, et de ces faits extraordinaires qui ont marqué même votre enfance. Permettez-moi de vous présenter ma chère Eusèbe, et Berthilie, ma meilleure et plus tendre amie; elle est fille du vertueux Théobard, chef du conseil; nous fûmes élevées ensemble, nos cœurs s'entendirent en naissant. Childéric, à son tour, présenta aux dames l'aimable Eginard. Bazine se retira avec celles qui l'avoient accompagnée; Childéric n'osa les suivre, mais fixé près de la fenêtre, il vit la princesse traverser les jardins; il admiroit sa légèreté, les grâces de sa taille, tous ses mouvemens; il cessa de la voir, mais non de l'admirer. Eginard, non moins charmé, interrogeoit la trace des pas de Bazine et de Berthilie; il se perdoit, comme son maître, dans un double enchantement. Berthilie, ainsi que la princesse, n'a vu encore paroître que son seizième printems; elle n'a point, comme son amie, des traits réguliers, un teint d'albâtre, des cheveux blonds, fins et déliés; son front n'a point cette sérénité virginale, ses yeux cette mélancolie voluptueuse; mais ses cheveux bruns clairs, et naturellement bouclés, conviennent à la fraîcheur de son teint; sa physionomie est expressive, une gaieté innocente l'anime, sa bouche vermeille sourit avec bonté, et quelquefois avec malice; sa taille est celle des Grâces, son caractère vrai, constant, son ame innocente et sensible, son esprit fin; elle est vive, étourdie, sait qu'elle est jolie, aime à l'entendre dire, adore son père, et mourroit pour son amie. Ces deux charmantes fleurs, nées au même printems, et près l'une de l'autre, se sont épanouies en s'aimant, et si l'attachement de Berthilie a plus de respect et de déférence, Bazine la dédommage en se livrant à tout ce qu'elle sent d'amitié, et répare ainsi ce que le rang met entre elles de distance.

Childéric et Eginard furent arrachés à leur douce rêverie par le bruit du retour de Bazin, entouré de sa cour. On désapprouvoit l'injuste vengeance du roi, on détestoit sa fureur; cependant on avoit exécuté ses ordres sans résistance, on l'avoit suivi en foule au lieu du supplice, on applaudissoit tout haut à des cruautés dont on frémissoit au fond du cœur. Tel est le sort des rois; le cri de la vérité est étouffé pour eux, à travers les clameurs de la flatterie; trompés, ils s'abandonnent; trahis, ils s'égarent. Bazin, fier du sang qu'il a fait couler, admire sa puissance et les effets terribles de son courroux; il s'approche de Childéric, lui parle d'Amalafroi, de sa mort prématurée, des funérailles qu'il vient d'ordonner, d'exécuter même. Sa douleur, appaisée sans doute par sa vengeance, ne l'arrache point à l'entretien général, ni aux soins qu'il doit aux étrangers. Un festin s'apprête; Childéric et Eginard y ont pris place; la coupe vole toujours remplie de nouveau, et le vin animant les esprits, chacun se livre sans réflexion à sa pensée. Mais bientôt on ne parle plus que du supplice des Vandales; leur nom, leur rang, leur âge, leur courage ou leur foiblesse, leurs cris, leurs larmes, ou leur force et leur étonnante fermeté, occupent tous les convives. Le roi de Thuringe, charmé, se mêloit à ce barbare récit. Théobard seul, silencieux et triste, jetoit sur tous un regard froid ou mécontent. Childéric l'observoit, et conçut pour lui autant d'estime que d'intérêt: Eginard, placé près de lui, sut d'abord qu'il étoit le père de Berthilie; c'étoit un titre à ses égards. Ce n'est pas qu'Eginard ait oublié les adieux de la tendre Grislidis, il s'en souvenoit, et se promettoit d'y penser toujours. Childéric, qui ne prenoit aucune part à une conversation si peu d'accord avec son cœur, vit avec plaisir la fin du repas. On alloit quitter la table, lorsque plusieurs Bardes entrèrent, ils étoient couronnés de cyprès; un d'eux tenoit une harpe, trois autres chantèrent ainsi la mort du jeune Amalafroi.


CHANT FUNEBRE



sur la mort d'Amalafroi.


Il n'est plus! chantons sa valeur,
Célébrons ses vertus, sa gloire;
Mais n'outrageons pas sa mémoire
Par une éternelle douleur.
Disons-nous: son ame sublime
Vole vers la divinité,
Et laissons le vice et le crime
Douter de l'immortalité.

Avant de t'élever aux cieux,
Esus t'éprouva sur la terre;
De cette épreuve passagère,
Dépendoit ton sort glorieux.
Mais où finit ce joug pénible,
Commence un destin solennel:
Du fond de la tombe insensible
Tu sors pour un jour éternel.


FIN DU LIVRE DOUZIÈME




CHILDÉRIC.

LIVRE TREIZIÈME




SOMMAIRE DU LIVRE TREIZIÈME

Childéric ne se croit point amoureux. Eginard se promet de rester fidèle. Le roi raconte une partie de ses aventures à la princesse. A la chasse, il sauve la vie au roi de Thuringe. Il reprend son récit; la princesse, trop émue, l'interrompt. Ils se rencontrent par hasard dans une promenade, et Childéric achève sa narration. Emotion mutuelle, aveux muets. Coquetterie de Berthilie et d'Eginard. Inquiétude qu'éprouve Berthilie.




LIVRE TREIZIÈME


Childéric, conduit à l'appartement qui lui est destiné, se trouve seul avec Eginard; tous deux ont déjà nommé Bazine; tous deux ont plus parlé encore de ses vertus que de ses charmes. Combien elle étoit touchante aux pieds du roi, et implorant sa clémence! qu'elle étoit belle, les yeux baignés de pleurs! Que la mélancolie sied bien à ses traits divins! qu'Amalafroi étoit heureux! Cette pensée arrache au prince un soupir; mais c'est Bazine qu'il plaint: déjà elle a connu l'amour, elle en a senti les charmes, pour en éprouver les éternelles douleurs. Cependant elle n'a point laissé voir ni regret violent, ni désespoir inconsolable. Childéric espère que la belle princesse n'est pas pour toujours affligée. A seize ans, doit-elle, dans un éternel veuvage, ensevelir ses attraits et fermer son cœur à l'amour? Mais Bazine peut-elle être inconstante? Childéric ne le croit pas, et ne veut pas le croire.

L'heure du sommeil n'interrompt point ses pensées; le jeune roi, cependant, n'a vu qu'une fois celle qui l'occupe; il n'a point formé le désir de lui plaire, il est aussi loin du projet de l'aimer; l'amour brûle, souhaite, espère, et Childéric n'éprouve point ces mouvemens impétueux; son imagination est calme, il n'est point livré à cet orage des sens qui l'agitoit près d'Egésippe; il a vu la bonté céleste, il adore sa belle image, mais sans trouble, sans émotion, sans délire: le prince est sans désirs comme sans espérance. Le lendemain, Childéric reçut les chefs de l'état; mais ayant demandé l'honneur d'être admis chez la princesse, Bazin y consentit et l'accompagna lui-même. Bazine reçut les rois avec les grâces nobles qui suivoient tous ses mouvemens, et Childéric ne sut, en y réfléchissant, ce qui la rendoit plus belle de son sourire ou de ses larmes. Le roi, en se retirant, lui dit qu'il espéroit qu'à l'avenir elle reparoîtroit à sa cour; la princesse s'inclina avec respect; les rois la quittèrent. Pour obéir sans doute aux ordres qu'elle avoit reçus, elle parut le lendemain au palais du roi, et la charmante Berthilie entra avec elle; toutes les dames qui composoient la cour de Thuringe, s'étoient également réunies autour de la princesse, et se mêlèrent aux amusemens qui d'ordinaire occupoient Bazin et ceux qui l'environnoient. Le jeune roi de France attira d'abord tous les regards; mais il promenoit, sur toutes ces jeunes et belles nymphes, des yeux si indifférens, qu'aucune n'osa espérer. Eginard, dont le rang plus modeste, semble aussi plus près du plaisir; Eginard, galant et léger, tourne toutes les têtes et blesse même plus d'un cœur. On l'invite en vain à l'inconstance, Eginard ne veut aimer que Grislidis; cependant il ne renonce point à plaire, il ne renonce point à cette aimable coquetterie qui flatte sa vanité, amuse sa pensée, distrait son cœur; il veut respirer toutes ces fleurs qu'il s'interdit de cueillir. Pour échapper à tant d'attraits, il les désire tous: aimable, mais frivole, léger sans perfidie, et volage par fidélité, offrant également ses vœux à chaque belle, et leur portant un inconstant hommage, il échappe au trait qui peut à peine l'effleurer, et offre à Grislidis ces preuves de constance, dont peut-être elle eût été alarmée. Ainsi, en gardant sa tranquillité, il va troubler la paix de tant de beautés dignes d'amour, et ses jeux peut-être feront couler bien des larmes.

La chasse, cette image de la guerre, fut toujours le plaisir des héros, et étoit alors le goût dominant de la Thuringe. Les dames assistoient ordinairement à celle du cerf, du daim ou d'autres animaux timides; elles étoient montées sur des chevaux, célèbres dans ce pays par leur force, leur docilité et leur beauté; elles exerçoient quelquefois leur adresse à lancer leurs flèches, soit contre les lièvres, soit contre les chantres des bois. Bazine aimoit peu ces jeux cruels et s'y mêloit rarement; mais les chasses préparées pour Childéric, seront belles, dureront plusieurs jours, et la princesse promet d'y paroître. En attendant le moment fixé par le roi de Thuringe pour ces amusemens guerriers, Childéric et Bazine se retrouvent tous les soirs, mais au milieu d'une assemblée nombreuse, et la curiosité de la princesse n'a pu encore être satisfaite. Dans une belle journée de printems, à cette heure où le soleil trop ardent, force à chercher l'ombre et la fraîcheur des bocages, Childéric, fatigué du monde importun qui l'entoure, parcouroit, avec Eginard, le jardin spacieux qui séparoit les deux palais; malgré lui, ses regards se portoient vers les fenêtres de la princesse, et sans s'arrêter à ce beau parterre de fleurs variées, il marchoit sans réflexion, foulant aux pieds les verds tapis, l'émail des prés; il ne sentoit point les parfums délicieux que lui apportoient les zéphirs. Eginard seul admiroit ces beaux arbres, respiroit avec délice l'air embaumé, jouissoit du chant des oiseaux; mais tout-à-coup, mille fois plus heureux à son tour, le roi est ému, il admire, il se plaît au murmure de cette fontaine, dont l'onde plaintive s'échappe en ruisseau limpide; il marche voluptueusement sur ces rians gazons qu'il parcouroit lentement et avec indifférence; il s'approche avec empressement de ce bosquet d'arbres qui ombragent un banc de mousse. Il a vu Bazine qui se repose sous ce dais de feuillage et près de la fontaine. Eusèbe et Berthilie seules sont près d'elle: à l'arrivée du roi, les dames se sont levées avec respect, et Bazine lui offre un place sur le banc de mousse, en se félicitant de sa rencontre. Childéric l'accepte avec joie; Eginard va s'appuyer près de la fontaine; là rien ne lui cachoit la taille charmante de Berthilie; il aperçoit même un petit pied, un beau bras: souvent l'aimable étourdie cueille une de ces fleurs inodores dont sont parsemés les gazons, et c'est toujours du côté de la fontaine qu'elle croit apercevoir les plus belles. Le galant Eginard ne cesse de la regarder, mais il pense à Grislidis, et Berthilie lui paroît moins à craindre. La princesse ayant engagé le roi à commencer le récit qu'elle lui a déjà demandé, il céda promptement à une volonté d'autant plus puissante, qu'elle étoit doucement exprimée. Ce fut avec attendrissement qu'il parla d'abord de sa mère, avec orgueil qu'il vanta les exploits et les vertus de Mérovée; il se sentit fier d'exposer, devant la princesse, des images chères à son cœur, et qu'elle admiroit. Ce fut avec le même sentiment qu'il lui parla de son premier combat, de cette journée, où encore enfant, il annonça un courage téméraire. Childéric vit Bazine sourire à ses premiers exploits, ils lui en devinrent plus chers. Que n'a-t-il prévu qu'un jour il auroit à lui peindre toutes ses actions, à lui expliquer toutes ses pensées! animé par le désir glorieux d'en être applaudi, rien n'eût étonné sa valeur, rien n'en eût arrêté l'ardeur. Childéric alloit parler de son arrivée dans la grotte, mais Eusèbe avertit la princesse que l'heure de se rendre au palais approchoit; sans doute personne ne lui sut gré de sa prévoyance, et cependant on obéit à Eusèbe; les dames se retirèrent pour s'occuper de leur parure. Berthilie, en se levant, laissa tomber les fleurs qu'elle avoit cueillies; Eginard les ramassa, en fit un bouquet, qu'il tenoit encore, peut être par distraction, quand on se rassembla chez Bazin. Berthilie l'aperçut, rougit, son cœur palpita; mais que devint-elle, lorsque dans la soirée, elle le vit sur le sein de la plus jolie de ses compagnes! Des larmes de dépit remplirent ses yeux, et le perfide qui les avoit causées eut la cruauté d'en jouir. Le lendemain, chacun se prépara pour la chasse; les belles forêts de la Thuringe renfermoient plusieurs châteaux dans lesquels on s'arrêtoit, car ces amusemens duroient plusieurs jours. Childéric paroît, superbe et charmant, sur le coursier fougueux qu'il captive avec tant d'adresse. Bazine, plus timide que Berthilie, mais plus prudente, a plus de grâces que d'assurance; les dames, dont elle est environnée, forment autour d'elle un grouppe charmant; c'est Hébé au milieu de ses sœurs, aucune ne l'égale, toutes cependant sont jeunes, fraîches et belles. Eginard, séduit et incertain, porte tour-à-tour, sur chacune d'elles, des regards animés et ravis; il ne s'occupe point de la chasse, et Childéric a déjà remporté tous les légers avantages de cette journée, avant que le fils d'Ulric n'ait pensé à attaquer ni à poursuivre l'ennemi léger qui fuit en vain devant le roi, plus agile encore que lui. Déjà ce prince a déposé aux pieds de Bazine les nombreuses victimes de son adresse. Un repas champêtre réunit et confond les chasseurs; on vante la force, la légèreté du roi; plusieurs défis sont offerts et acceptés; mais Childéric, à tous les dons qu'il a reçus de la nature prodigue, joint l'exercice et le développement qu'il a acquis dans la grotte de Gelimer. A son aspect on devine ses succès; il touche au but long-tems avant tous ceux partis avant lui; sa flèche ne part jamais sans atteindre, tous ses rivaux en conviennent, et n'osent plus le défier. Mais on vient tout-à-coup annoncer au roi de Thuringe, qu'un glouton, espèce de sanglier terrible et dévastateur, échappé des forêts de Hantz, a été découvert à quelque distance, et qu'il dévore tout le gibier. Bazin, charmé d'avoir à combattre un tel ennemi, fixe au lendemain l'attaque; les dames resteront dans la maison de chasse; les hommes seuls s'exposeront aux dangers. Cette chasse peut cependant n'en avoir aucun: souvent cet animal, qui mange avec avidité le gibier qui s'offre devant lui, et qu'il sait surprendre avec une rare adresse, tombe alors dans une espèce de torpeur; venu à ce point d'immobilité, on le tue sans peine: cependant les dames ne voyent point partir les chasseurs sans inquiétude; Eginard, peu jaloux des lièvres, des faons, des daims que dévoroit le glouton, ne désiroit point sa mort, envioit encore moins l'honneur de le vaincre; mais il suivit son maître, non sans regretter les belles qu'il laissoit seules. Elles passèrent le jour à se promener sous les arbres; on lisoit l'inquiétude sur leurs visages; elle augmenta à l'approche de la nuit. Agitées de mille pensées pénibles, le sommeil ne leur fit point oublier les chasseurs, et le jour étoit encore près de terminer une seconde fois son cours, lorsqu'enfin le bruit des voix, le hennissement des chevaux, annoncèrent le retour souhaité. Les dames s'avancent promptement du côté d'où part le bruit; mais plusieurs chevaux sans cavaliers et conduits à la main, les effrayent; elles ont reconnu ceux des rois, celui d'Eginard; tous les cœurs sont troublés, et cependant on n'ose interroger, on craint trop d'apprendre… Un brancard frappe leurs yeux; Bazine s'élance, et Berthilie la suit; Bazin, blessé, paroît, porté sur le brancard; Childéric et Eginard le suivent. Le roi de France s'approche de la princesse, et la rassure sur l'état du monarque: il est, lui dit-il, sans danger. Arrivé à la maison de chasse, le roi fut promptement couché; on envoya à Erfort; Théobard, accompagné de tous les secours nécessaires, arriva au bout de quelques heures; la blessure n'étoit point dangereuse; cependant elle demandoit de grands ménagemens, et il fut décidé que le blessé ne seroit transporté que le lendemain. Les dames étoient toutes fort impatientes de connoître la cause de cet accident; le glouton n'existoit plus; sa tête avoit été présentée à Bazine, qu'elle avoit effrayée: Bazin voulut raconter lui-même cet événement. Nous cherchions, dit-il, depuis long-tems le sanglier que nous voulions détruire; il ne s'offroit point à nos regards; plus emporté, je m'enfonçai seul dans un fourré, et je l'aperçus immobile au pied d'un arbre; jugeant que c'étoit l'instant de le percer, croyant inutile d'attendre du secours contre un ennemi sans force, je m'approchai et lui portai un coup de ma lance; sa peau étant extrêmement épaisse, la blessure fut légère; je redoublai: soit que la douleur le réveillât de son engourdissement, soit que naturellement cet état dût finir alors, le terrible animal se leva furieux, et s'élança sur moi; je me jetai derrière un arbre, qui me garantit d'abord; mais il m'atteignit, et d'un coup de ses défenses, me renversa; cependant je me défendis encore avec ma lance; mais ma large blessure m'affoiblissoit, lorsque je vis tout-à-coup le roi de France paroître: s'élancer sur le monstre, lui enfoncer son épée dans le cœur et l'étendre mort à mes pieds, ne fut pour lui qu'un seul et même mouvement. Eginard, qui suivoit de près son maître, l'aida à arrêter mon sang; il courut avertir le reste de ma chasse, qui me rejoignit, et m'a transporté ici avec les précautions nécessaires. C'est avec plaisir, ajouta Bazin, que j'avoue et que je publie, que je dois la vie au roi des Francs; puissé-je m'en acquitter un jour, et qu'en attendant, une sainte et éternelle amitié unisse nos cœurs! Childéric, en ce moment, reçut la main que lui présentoit le roi, et la pressa avec un geste animé et sincère. Bazine, assise près du lit, regarda Childéric avec admiration, et ce seul regard lui parut une glorieuse récompense.

L'entretien devint général; cependant plusieurs fois Childéric avoit pu lire dans les yeux de la princesse, combien elle s'intéressoit à son sort. Eginard, fier de son roi, répétoit aux dames ce que Bazin avoit déjà raconté; ce qu'il disoit, quoique déjà connu, prenoit dans sa bouche des grâces nouvelles; on l'écoutoit toujours avec attention, parce qu'on l'entendoit toujours avec plaisir. Le lendemain on revint à la cour; on marchoit lentement, tant pour jouir de la beauté du jour, du charme des bois, que pour ne pas fatiguer Bazin, lorsque Berthilie s'avisa de tourmenter son cheval, de l'exciter; l'animal hennit, bondit et s'élance rapidement à travers les arbres; la princesse jette un grand cri à l'aspect du danger de son amie; mais la légère et adroite étourdie déployant autant de force que d'imprudence, arrête l'animal fougueux, et le ramène soumis et tranquille. Combien elle s'applaudit de sa ruse, en voyant Eginard pâle et effrayé voler à sa rencontre! Cependant elle n'osa jouir de ce triomphe en apercevant le trouble de la princesse, et elle se le reprocha sincèrement. Tout le reste de la soirée, Berthilie ne s'occupa que de son amie, et oublia entièrement Eginard, qui, par caprice ou par amour-propre, en fut piqué; il négligea pour elle toutes celles dont il paroissoit charmé, et ne vit plus que l'objet qu'il sembloit jusqu'à cet instant vouloir éviter.

Bazin souffroit encore, et sa blessure, loin de se guérir, étoit plus douloureuse, quoique sans danger. On cherchoit à l'amuser, à le distraire; Bazine avoit chaque jour pour lui de nouveaux soins, de nouveaux égards. Heureuse de lui prouver son attachement et sa reconnoissance, elle ne le quittoit que lorsque sa présence pouvoit devenir importune; elle trouvoit sans cesse Childéric auprès de son oncle, et sa vue chaque jour la charmoit davantage. Elle croyoit enfin à ce rêve délicieux de son imagination, et songeant au héros qu'elle s'étoit créé, à ce héros de sa pensée et de son cœur, elle se disoit, en jetant un regard sur Childéric… le voilà. Bazine n'a point reçu le trait d'amour avec cette rapidité, présage de l'inconstance; c'est lentement et par degrés qu'il a pénétré son cœur. Ce jeune roi, si majestueux, si beau, est proscrit et sans asile, privé de sa grandeur, descendu de son trône, et persécuté par la fortune, mais vengé par la nature. Ses malheurs touchent plus le cœur de la princesse, que sa puissance ne l'eût éblouie; elle ne croit encore que le plaindre: Bazine ne s'est pas encore dit, je l'aime. Ce mot une fois prononcé, Bazine ne vivra plus que d'amour. Sa pudeur et sa raison éloignent encore cet instant que Childéric ne cherche point à faire naître; il sait trop qu'il ne peut offrir à la beauté qu'il admire, que le partage d'une infortune méritée; généreux, il ne désire point être aimé, et ne se montre que respectueux: s'il exprime un sentiment plus tendre, c'est lorsqu'entraîné, il n'a pu se vaincre; honteux de sa foiblesse, il la surmonte promptement. Plus ses sentimens sont délicats, soumis, timides, plus ils peignent l'amour tel que Bazine croit qu'il doit être, et son silence en dit plus au cœur de la princesse, que les discours les plus éloquens. Echappés un moment à la foule qui les sépare, réunis de nouveau près de la fontaine, Childéric a repris son récit. C'étoit dans un de ces beaux jours où le printems vient s'unir à l'été, et déploie toute sa pompe avant de lui céder l'empire; par-tout il étaloit ses riches tapis, les feuillages étoient plus épais, les fleurs plus belles et la nature plus animée: la contrainte qu'ont éprouvée les deux amans qu'un même banc de mousse rassemble dans une douce liberté, ajoute au plaisir qu'ils ont à se revoir. Eusèbe et Berthilie sont toujours près de la princesse; Childéric s'assied à ses pieds, Eginard s'appuie négligemment sur la fontaine, et Berthilie le regarde quelquefois à la dérobée, mais elle ne cueillera plus de fleurs; elle se souvient encore de ce qu'elles sont devenues la dernière fois, et elle n'a pu retenir un soupir en reconnoissant les causes innocentes de son dépit.

Mais Childéric parle de son arrivée dans la grotte, de ses plaisirs, de Gelimer, de Talaïs. A ce nom, Childéric s'est troublé, et son trouble n'a point échappé à la princesse qu'il inquiète; ce n'étoit pas que Childéric se sentît coupable, ce n'est pas qu'il se fût livré au sentiment que Bazine croit lire dans son embarras, mais il n'ose peindre, à la chaste beauté qui l'écoute, l'amour tel que l'éprouva Talaïs. La princesse repousse en vain le mouvement jaloux qu'elle éprouve; son cœur palpite; elle est inattentive et rêveuse. Effrayée de son émotion, elle n'ose plus fixer sur le roi des yeux qui peut-être trahiroient son secret; mais ne pouvant vaincre son trouble, elle donne l'ordre de se séparer; Childéric obéit, et la princesse agitée, rentre dans son palais. Il faisoit encore grand jour; on pouvoit jouir encore long-tems de la fraîcheur des ombrages; Bazine trouva son appartement triste; Berthilie assura qu'il y faisoit une chaleur étouffante; la princesse prit sa broderie et l'abandonna; elle devint rêveuse, et Berthilie ne fut point aimable. La soirée parut longue; Berthilie revint de bonne heure rejoindre ce tendre père, qu'elle consoloit de la perte d'une épouse chérie.

Bazine, destinée au trône, avoit été élevée avec plus de soin que l'on n'en donnoit d'ordinaire à l'éducation des femmes. Belle sans coquetterie, princesse sans orgueil, elle réunissoit encore tous les talens qui ajoutent à la beauté, et que possédoient rarement alors les personnes de son rang; elle dansoit bien, savoit écrire, et chantoit avec expression les airs simples de ce tems, qu'elle accompagnoit des accords d'une lyre à cinq cordes. Berthilie avoit une voix légère, elle mêloit souvent ses accens aux accens plus purs et plus doux de la voix de Bazine. Le roi de Thuringe se plaisoit à les écouter, et pendant sa maladie, il les invita souvent à le distraire de ses souffrances, par le plaisir de les entendre. Bazine y consentit toujours. Parmi les romances qu'elles chantèrent, la suivante s'est conservée: la princesse, après avoir pris la lyre, commença le premier couplet, Berthilie le second, et Bazine reprit le troisième.


Bazine

Non, non, je ne veux point connoître
Ce fol enfant, qu'on nomme amour;
Du cœur dont il se rend le maître,
La douce paix fuit sans retour;
Dans ce dangereux esclavage
Le soupçon détruit le bonheur,
Et ce doute qui nous outrage,
D'un tendre amant fait le malheur.


Berthilie

Quoi! votre ame à l'amour rebelle,
Prétend ne jamais s'enflammer?
C'est pour plaire que l'on est belle,
Et doit-on plaire sans aimer?
Le soupçon même a quelques charmes:
Heureux qui sait nous l'inspirer!
Il est doux de causer nos larmes,
Et plus doux de nous rassurer.


Bazine

En aimant, que d'inquiétude!
Sans son amant plus de repos,
Loin de lui, tout est solitude,
Il fait notre joie ou nos maux.
On ne jouit qu'en sa présence,
On ne croit rien que ses discours.
O mon heureuse indifférence!
Puissé-je te chanter toujours!


Berthilie

Douce image de la tendresse,
Venez dissiper sa froideur;
Amour, de ta brûlante ivresse,
Fais-lui connoître le bonheur.
L'univers éprouve ta flamme,
Et par toi seul, pour être heureux,
Tout renaît, jouit, prend une ame,
Et sent le charme d'être deux.

La princesse, pressée de nouveau par Bazin, chanta seule la romance suivante:


LE PRINTEMS,


Romance

Tout renaît, les fleurs, la verdure,
Tout nous annonce le plaisir,
Et chaque souffle du zéphir,
Semble un soupir de la nature.
Seule au milieu d'un si beau jour,
Dois-je languir sans espérance,
Quand il me reste encore l'amour,
La douce amitié, l'innocence?

La feuille mobile et légère
Périra sous les noirs hivers;
Les vents déchaînés dans les airs,
Détruiront la fleur passagère,
Chaque saison, à son retour,
Détruit ou donne l'espérance;
Tout varie, excepté l'amour,
La douce amitié, l'innocence.

L'air embaumé de ce bocage,
Ces verds gazons, ce beau ruisseau,
Qui, dans le cristal de son eau,
Réfléchit le ciel et l'ombrage,
Tout dans ce champêtre séjour,
M'invite encore à l'espérance;
Tout me dit, conserve l'amour,
La douce amitié, l'innocence.

Childéric écoutoit avec ravissement les sons mélodieux de cette voix qui pénétroit son cœur; un modeste embarras embellissoit encore la princesse, et sa timidité étoit une grâce de plus. Childéric aimoit avec passion les airs simples et les paroles plus simples encore qu'elle chantoit. Alors les poëtes ne célébroient que la gloire et l'amour, leurs chants n'étoient point un travail, une étude; mais un épanchement ou un souvenir. L'objet de ces vers, plus sentis que bien exprimés, en recueilloit seul toute la gloire, le nom du poëte étoit oublié. Il a fallu sans doute que l'amour-propre et le désir de la célébrité changeassent bien les hommes, puisqu'ils sont parvenus à faire parler leur esprit sans le secours de leur cœur, et à emprunter de leur imagination seule et le sentiment qu'ils expriment, et la beauté qu'ils peignent. Si Bazine en chantant, s'est embellie de sa timidité, Berthilie, inquiète du succès de sa voix, a promené ses regards autour d'elle; ce regard, rapide et prompt, a cependant atteint Eginard comme un trait brûlant, il en est effrayé, et l'image de Grislidis s'offre à sa pensée… il en a reçu des cheveux, un anneau, il a promis! et dans ce tems un serment fait à la beauté étoit sacré, on rougissoit de le trahir… Le fidèle Eginard, chaque fois que le regard le blesse, porte à ses lèvres l'anneau chéri… Ce talisman d'amour calme son cœur, et il reprend son air léger, indifférent même. Berthilie le voit, et soupire; jeune, simple encore, elle a cru jouer avec l'amour, et ce jeu est devenu, sans qu'elle s'en doutât, le destin de toute sa vie.

Le roi des Francs avoit repris son récit, il avoit parlé de Viomade, ses discours étoient remplis de feu et d'éloquence. Sa physionomie brilloit d'une si tendre expression, que Bazine n'avoit pu, sans rougir, fixer des yeux qui seroient trop dangereux pour elle s'ils parloient d'amour: elle fit cette réflexion légèrement; mais Childéric, dans cet instant, réfléchissoit lui-même, et ne fut pas moins troublé que la princesse. Que va-t-il lui dire? Jusqu'à ce moment il n'a paru que sous ces beaux dehors qui ont illustré ses premières années. Il a vu naître à son récit, des sentimens qui font son bonheur; il a reçu des éloges qui font sa gloire. Hélas! que lui reste-t-il à raconter? Faut-il se dégrader lui-même auprès de cet objet de son culte, de son idolatrie! Doit-il lui parler d'Egésippe? osera-t-il lui avouer avec quel délire il a désiré une beauté qui n'étoit point Bazine; qu'il lui a sacrifié ses peuples, son ami, le soin de sa gloire? Que pensera de lui cette ame pure et sensible qui ne croit point à l'inconstance? Cependant il ne la trompera pas; il se croit aimé; il a su d'elle qu'Amalafroi n'avoit pas touché son ame; qu'elle est encore sans amour… Peut-être un jour il pourra disposer d'une couronne, et il va lui-même détruire l'espoir dont il ose jouir en secret! Non, non, il se taira; il fuira Bazine s'il le faut, mais il ne lui dira point: je fus ingrat et j'ai aimé.

Mais, tandis qu'abandonné à ses pensées, Childéric se tait, la princesse étonnée de son silence, baisse les yeux et soupire; elle n'ose demander au roi quel sentiment l'agite; cependant elle est inquiète. Berthilie, qui s'étoit aperçue de leur mutuel embarras, imagina un léger prétexte pour interrompre leur entretien. La princesse tremblante, alarmée, lui sut gré de l'avoir rendue à elle-même.

Bazine ne s'est point trompée sur ses premières émotions, mais cependant elles l'étonnent; elle avoit deviné l'amour, mais l'amour dans son cœur est encore plus pur, plus céleste, plus puissant que dans son imagination; Bazine croyoit connoître son ame, cependant elle y découvre chaque jour de doux secrets qui l'agitent, la tourmentent et lui plaisent. Elle jouit du bonheur d'aimer sans oser encore s'y livrer, et la tendre résistance qu'elle apporte elle-même au sentiment qui l'entraîne, est un charme de plus qui la ravit. Bazine aime enfin, elle en jouit sans oser à peine se l'avouer, et ce moment est enchanteur pour elle. Sa pensée ne s'égarera plus dans de vagues souhaits, dans de chimériques espérances; elle n'attendra plus dans la solitude d'un cœur sans objet qui l'occupe, un héros dont elle n'a qu'une idée furtive; tout est délice pour elle, parce que tout devient amour; aimer est toute sa vie; elle seule connoît encore le trouble heureux qui l'enivre si délicieusement; elle le dérobe, le renferme au fond de son cœur; elle craindroit de le laisser deviner. Cependant Berthilie la pénètre, mais elle se tait; elle a aussi son secret, et l'instant des doux aveux n'est pas encore venu.





Конец ознакомительного фрагмента. Получить полную версию книги.


Текст предоставлен ООО «ЛитРес».

Прочитайте эту книгу целиком, купив полную легальную версию (https://www.litres.ru/anne-beaufort/childeric-roi-des-francs-tome-second/) на ЛитРес.

Безопасно оплатить книгу можно банковской картой Visa, MasterCard, Maestro, со счета мобильного телефона, с платежного терминала, в салоне МТС или Связной, через PayPal, WebMoney, Яндекс.Деньги, QIWI Кошелек, бонусными картами или другим удобным Вам способом.



notes



1


Ces descriptions sont exactes.



Как скачать книгу - "Childéric, Roi des Francs, (tome second)" в fb2, ePub, txt и других форматах?

  1. Нажмите на кнопку "полная версия" справа от обложки книги на версии сайта для ПК или под обложкой на мобюильной версии сайта
    Полная версия книги
  2. Купите книгу на литресе по кнопке со скриншота
    Пример кнопки для покупки книги
    Если книга "Childéric, Roi des Francs, (tome second)" доступна в бесплатно то будет вот такая кнопка
    Пример кнопки, если книга бесплатная
  3. Выполните вход в личный кабинет на сайте ЛитРес с вашим логином и паролем.
  4. В правом верхнем углу сайта нажмите «Мои книги» и перейдите в подраздел «Мои».
  5. Нажмите на обложку книги -"Childéric, Roi des Francs, (tome second)", чтобы скачать книгу для телефона или на ПК.
    Аудиокнига - «Childéric, Roi des Francs, (tome second)»
  6. В разделе «Скачать в виде файла» нажмите на нужный вам формат файла:

    Для чтения на телефоне подойдут следующие форматы (при клике на формат вы можете сразу скачать бесплатно фрагмент книги "Childéric, Roi des Francs, (tome second)" для ознакомления):

    • FB2 - Для телефонов, планшетов на Android, электронных книг (кроме Kindle) и других программ
    • EPUB - подходит для устройств на ios (iPhone, iPad, Mac) и большинства приложений для чтения

    Для чтения на компьютере подходят форматы:

    • TXT - можно открыть на любом компьютере в текстовом редакторе
    • RTF - также можно открыть на любом ПК
    • A4 PDF - открывается в программе Adobe Reader

    Другие форматы:

    • MOBI - подходит для электронных книг Kindle и Android-приложений
    • IOS.EPUB - идеально подойдет для iPhone и iPad
    • A6 PDF - оптимизирован и подойдет для смартфонов
    • FB3 - более развитый формат FB2

  7. Сохраните файл на свой компьютер или телефоне.

Последние отзывы
Оставьте отзыв к любой книге и его увидят десятки тысяч людей!
  • константин александрович обрезанов:
    3★
    21.08.2023
  • константин александрович обрезанов:
    3.1★
    11.08.2023
  • Добавить комментарий

    Ваш e-mail не будет опубликован. Обязательные поля помечены *