Книга - Traité des eunuques

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A

Traité des eunuques
Charles Ancillon






Traité des eunuques





EPITRE

DEDICATOIRE

A

MR. BAYLE.[1 - Comme l'illustre Mr. Bayle étoit encore en vie quand cette Dédicace a été faite, on n'a pas trouvé qu'il fut nécessaire d'y rien changer, quoi qu'il soit mort depuis.]


MONSIEUR,

J'ai à vous rendre compte de deux choses qui me justifieront envers vous de la liberté que je prends de vous adresser cet Ouvrage, & qui nous justifieront l'un & l'autre envers le Public, si vous trouviez à propos de le faire mettre sous la Presse pour lui en faire part.

La prémiére, que je ne me suis point ingéré de mon chef à traiter le sujet qui fait la matiére de cet Ouvrage; l'occasion qui m'y a engagé est assez singuliére. Il y avoit autrefois ici plusieurs Eunuques Italiens, Musiciens, qui y faisoient grosse figure. Ils se flattérent de faire de grandes & d'illustres Conquêtes, mais ils se trompérent; nos Dames ne se laissérent point éblouïr, & ne se payérent point de la bagatelle.[2 - Mr. de Montpinslon.]Un Gentilhomme François d'un esprit gai & enjoué les en railla par ces Vers jolis & pleins de sel.

Je connois plus d'un Fanfaron
A crête & mine fiére,
Bien dignes de porter le Nom
De la Chaponardiére.
Crête aujourd'hui ne suffit pas
Et les plus simples Filles,
De la Crête font peu de cas
Sans autres Béatilles.

Cependant il y en a eu une qui s'est laissé charmer, & qui a prêté l'oreille aux propositions de mariage qui lui ont été faites par un de ces Eunuques. Une Personne que je considére beaucoup, m'ayant prié de lui dire mon avis, & de le lui donner raisonné par écrit, en forme de consultation, pour détourner cette jeune fille sa parente du dessein qu'elle avoit d'entrer dans un tel engagement, ou en tout cas pour s'en servir ailleurs en cas de besoin. J'y ai travaillé avec plaisir, & j'ai trouvé qu'insensiblement j'avois fait un Livre, de sorte qu'au lieu de laisser mon Ouvrage sous la forme qu'on me l'avoit demandé, je lui ai donné celle qu'il a présentement. Je vous avouë que l'extrait que l'illustre Mr. de Beauval a donné[3 - Histoire des Ouvrages des Savans. Mois de Janvier, Février & Mars 1706. pag. 84. & suiv.] du Livre de Mr. Bruknerus intitulé, Décisions du Droit Matrimonial, n'a pas peu contribué à m'engager dans un éxamen éxact de cette question. J'aurois extrémement souhaité qu'il eût bien voulu dire ce qu'il en pense, & peut-être lui en fournirai-je l'occasion par ce petit Essai lors qu'il en donnera l'extrait.

Les Personnes scrupuleuses trouveront peut-être que c'est là plûtôt l'occupation d'un homme oiseux, que d'un curieux qui cherche à s'instruire. Hujusmodi hærere quæstionibus non tàm studiosi quàm otiosi hominis esse videtur, comme parloit Saint Jérôme consulté par Vitalis sur la fécondité prématurée d'Achas. Ainsi il est bon de les prévenir, ou de les détromper, en leur apprenant que la vocation de l'examiner m'a été légitimement adressée.

Ce n'est pas que je crusse avoir fait un mal, quand je me serois avisé, pour me divertir, & pour changer mes occupations sérieuses dans une étude plus divertissante, de traiter cette matiére. Le Docte Mollerus a fait un Livre qui a pour tître, Discursus duo Philologico-Juridici prior de Cornutis, posterior de Hermaphroditis corumque jure, uterque ex jure Divino, Canonico, Civili, variisque historiarum monumentis, horis otiosis congesti. à M. Jacobo Mollero. Et cet Ouvrage n'a point deshonoré son Auteur, ni diminué l'estime que le Public avoit pour lui. Il est difficile, je l'avouë, de parler des Eunuques sans dire certaines choses capables de choquer un peu la pudeur d'une femme. Mais à l'égard de l'Auteur cela ne lui fait aucun tort, il s'en faut beaucoup que son Livre contienne des ordures & des saletez semblables à celles qui sont dans les Priapeia, sur lesquels Joseph Scaliger, l'un des plus grands Hommes des Siécles passez, a fait des annotations, sans perdre sa réputation. Et à l'égard des femmes, ce qu'on dit de libre & de naturel est exprimé en Latin, qui est une Langue peu entenduë parmi elles. Mais quand on auroit été obligé de s'exprimer en termes capables de blesser la pudeur la plus scrupuleuse, s'ensuivroit-il qu'il auroit fallu se dispenser de discuter un Droit sur lequel on voit assez souvent fonder des disputes importantes, & laisser les choses, à cet égard, dans le doute et dans la confusion? Certes je ne crois pas que personne le prétende ainsi: en tout cas cette prétention seroit aussi ridicule que celle de certaines gens qui aimeroient mieux qu'on eût laissé périr, ou souffrir tout le genre humain, que d'avoir fait des Traitez de Médecine, & de Chirurgie, qui le conserve, qui le préserve, & qui le soulage, parce qu'on a été obligé de nommer les choses par leur nom & sans déguisement, & de parler à découvert de toutes les parties les plus secrettes du corps humain. J'espére que le Public sera équitable sur ce sujet. J'aurois eu plus à craindre du redoutable Mr. Bernard que d'aucun autre, parce que je connois sa délicatesse & sa sévérité, qui ne pardonnent point les moindres fautes, & qui en trouvent même dans des choses qui ont l'approbation des gens qu'il croit aisément être d'un goût au dessous du sien. Mais que pourra-t-il me dire, lui qui annonce avec tant de soin un Livre qui a pour tître[4 - Nouv. de la Répub. des Lett. Janv. 1704 p. 117.], les Cérémonies du mariage telles qu'on les pratique présentement dans toutes les parties du Monde, Ouvrage très divertissant, sur tout pour les Dames, écrit en Italien par le Sr. Gaya, troisiéme Edition, â laquelle on a ajoûté d'amples Notes & des Remarques sur le Mariage, avec le Miroir des personnes mariées, ou les Avantures capricieuses du Chevalier H… avec ses sept femmes, écrites par lui-même dans le tems de sa prison, & mises en Anglois moderne par Mr. Thomas Brown, in 8. pag. 161. & d'avertir ensuite le Public, que les notes qu'on a mises au bas des pages sont très enjouées, & qu'on n'y épargne pas les Prêtres. On sçait combien de contes sales on a accoûtumé de faire sur leur sujet, & combien de vilenies on met sur leur comte. Je ne sçai point au reste, si ce Docteur Thomas Brown dont Mr. Bernard fait ici mention, est ce savant Mr. Brown Chanoine de Windsor, Ami intime de Mr. Isaac Vossius qui lui a dédié son Traité des Oracles Sibyllins, ou cet Ecossois qui a fait un Traité des Fiévres continuës imprimé à Edimbourg en 1695., ou si c'est ce Thomas Brown Docteur Anglois qui a fait la Religion du Médecin. Ce qui me feroit douter que ce fût le prémier, seroit qu'il ne s'est appliqué qu'à des Etudes graves & sérieuses, comme on le remarque par ce que Colomiez dit de lui dans sa Bibliothéque choisie. Ce qui me feroit douter aussi que ce fût le second, c'est la timidité qu'il fait paroître dans la Préface de son Livre, en y déclarant qu'il a eu bien de la peine à se résoudre à produire cet essai touchant les Fiévres continuës; qu'il redoutoit le génie railleur & Satirique si commun à ceux de sa Nation; Que la même frayeur étouffe tous les jours des productions très dignes de voir le jour. Qu'il s'est pourtant déterminé à paroître en public pour ne pas sortir du monde comme un Citoyen inutile & paresseux. Qu'il hazarde ce systême nouveau, & qu'il sacrifie ses scrupules à l'utilité publique. Et si c'est le troisiéme, vous sçavez, Monsieur, ce qu'en a dit Patin, car vous le rapportez dans vos Nouvelles de la République des Lettres[5 - Nouvelles de la République des Lettres tom. 1. Mois d'Avril 1684. pag. 117.], C'est, dit-il, un Mélancholique agréable en ses pensées, mais qui à mon jugement cherche Maître en fait de Religion comme beaucoup d'autres, & peut-être qu'enfin il n'en trouvera aucune. Il faut dire de lui ce que Philippe de Comines a dit du Fondateur des Minimes, l'Hermite de Calabre François de Paule, il est encore en vie, il peut aussi-bien empirer qu'amender. On a mis cette pensée de [6 - Patiniana pag. 25.]Patin dans le Patiniana un peu déguisée à l'égard du tour & de l'expression, mais la même absolument dans le fond. Si, dis-je, c'est ce Thomas Brown Auteur du Livre intitulé, Religio Medici, qu'on pourroit intituler aussi-bien, Medicus Religionis, comme il est dit dans le Patiniana, qui a traduit en Anglois moderne, ces Cérémonies du Mariage que Mr. Bernard annonce avec tant de soin, & si obligeamment au Public, c'est apparemment un Livre dont la matiére n'est pas trop chaste, ni les expression trop scrupuleuses & trop châtrées. Je n'en parle que par conjecture, car j'avouë que la recommandation de Mr Bernard ne m'a point engagé à le chercher, à l'acheter, & à le lire. Je ne connois que ces Brown. Il y a bien un Docteur en Théologie originaire du Palatinat & présentement Professeur en Langue Hébraïque dans l'Académie de Groningue, Auteur de quelques Dissertations très curieuses, qui se nomme Brawn; mais Mr. Bernard est trop éxact pour avoir confondu Brown avec Brawn, quelque ressemblance qu'il y ait dans ces noms, & quelque facilité qu'il y ait à s'y méprendre.

La seconde chose dont j'ai à vous rendre compte, est le motif qui me porte à vous adresser cet Ouvrage. Je n'en ai point d'autre, Monsieur, que l'estime toute particuliére que j'ai pour vous, & le cas que je fais de l'amitié dont vous m'honorez. Je me suis flatté que vous ne voudriez pas laisser paroître en public un Livre qui pourroit nuire à la réputation de son Auteur, qui est un de vos anciens Amis, & qui se repose sur vous du soin de l'éxaminer & de juger s'il mérite d'être mis sous la Presse: & je me suis persuadé que si vôtre jugement lui étoit favorable, je n'avois rien à craindre de la part du Public, parce que je pouvois espérer une approbation générale, ou en tout cas être assuré d'avoir en vous un puissant appui contre le mauvais goût & contre la Critique maligne, qui pourroient m'entreprendre. Je n'ai garde de faire ici vôtre Panégyrique à l'imitation de ceux qui font des Epîtres Dédicatoires, vos propres Ouvrages font vôtre Eloge, & le jugement favorable & glorieux que le Public en fait, vous est infiniment plus honorable que toutes les louanges qu'on pourroit vous donner dans une Epître. Je finis donc celle-ci en vous assurant que je me sers avec plaisir de cette occasion que j'ai souvent recherchée de pouvoir vous donner un témoignage public de la considération toute particuliére avec laquelle je suis,

M O N S I E U R



    Vôtre très humble &
    très obéïssant serviteur.
    C. D'OLLINCAN.




DESSEIN ET DIVISION

DE

L'OUVRAGE


LE[7 - Capitul. 9. tit. 19 de procuratoribus lib. 1. sexti Decretal.] Droit Canon traitant des mariages qui se contractent par Procureurs, ordonne & prescrit des précautions très grandes qu'il fonde sur cette raison, qu'il s'agit d'une affaire grave, difficile & importante, qui peut avoir des suites très dangereuses. Propter magnum quod ex facto tam arduo posset periculum imminere.

Le Droit Civil ne donne pas une idée moindre du Mariage, il le considére comme l'action de la vie la plus considérable, & qui demande le plus de réfléxion; comme un Port favorable, ou comme un naufrage malheureux; comme une chose bien hazardeuse où toute la prudence humaine se réduit ordinairement à des vœux & à des souhaits.[8 - Imperat. Leonis constitut. 26. in princip.]Magnum sane excellensque donum à Deo Creatore ad mortales promanavit Matrimonium.

D'un côté le mariage étant l'Ouvrage de Dieu qui a uni les deux séxes, & qui considérant qu'il n'étoit pas bon que l'homme fût seul, lui a donné un être semblable à lui; leur a ordonné à l'un & à l'autre de croître & de multiplier, & a imprimé en eux un desir violent de s'unir ensemble pour la propagation de leur espéce. Cette union ne doit point être fortuite & commune, comme celle des animaux destituez de raison; elle ne doit point être produite par une affection brutale, par une volonté déréglée; elle ne doit point avoir pour but de mettre en sûreté des plaisirs impurs, & de les couvrir d'un nom spécieux & honorable. Ce doit être une conjonction chaste, religieuse, sainte, pleine de piété & de bénédictions; n'ayant pour but que d'éxécuter les ordres de Dieu, qui est son Auteur & son Protecteur. L'Eglise n'approuve & n'autorise que les Mariages de ce dernier caractére, ils ont pour eux la faveur publique, au lieu que les autres n'ont pour eux qu'une haine générale, un mépris très grand, & souvent les malédictions & l'horreur des gens de bien.

De l'autre, comme le Mariage est le fondement de l'Eglise, puis qu'il est appellé par quelques Théologiens Venter Ecclesiæ[9 - Novel. 21. tit. 1. de Nuptiis. In præfat.] qui lui engendre des enfans. Et de la Société civile, en ce qu'il est la source des hommes, qu'il éternise le monde, & qu'il donne des héritiers légitimes aux Citoyens, il ne faut pas s'étonner si l'Eglise & la Société Civile s'intéressent dans ce qui le concerne; si elles en réglent les commencemens, le cours, & les suites, & si elles ont pourvû sagement aux inconvéniens qui pourroient naître de l'ignorance des hommes, ou de leur malice.

L'Eglise & la Société Civile ne laissent pas la liberté à tout le monde de faire à cet égard tout ce qu'il lui plaît. [10 - L. 197. de divers. regul. Jur.]Semper in conjunctionibus non solum quid liceat considerandum est, sed & quid honnestum sit. Elles ne permettent point qu'on donne atteinte à la Justice, à l'ordre, au bien, à l'utilité, & à l'honnêteté publiques. Elles ont établi des Loix qui les déclarent bons, ou mauvais, justes, ou injustes, légitimes, ou criminels. Qui les permettent, ou qui les deffendent, qui les confirment, qui les authorisent, qui les protégent, ou qui les cassent, qui les annullent, & qui punissent ceux qui les ont contractez.

Pour répondre au but que je me propose, il s'agit ici de voir dans quel de ces rangs on doit mettre le Mariage des Eunuques. Voici donc le plan général que j'ai dessein de suivre pour éclaircir cette matiére, & pour la régler par une décision incontestable & certaine. Ce Traité sera divisé en trois Parties.

Dans la premiére j'éxaminerai ce que c'est qu'un Eunuque, de combien de sortes il y en a, quel rang ils ont tenu & tiennent dans la Société Ecclésiastique & Civile; & quelle considération on y a eu, & on y a actuellement pour eux.

Dans la seconde, je discuterai leur droit par rapport au Mariage, & j'éxaminerai s'il doit leur être permis de se marier.

Dans la troisiéme enfin, je rapporterai les Objections qui pourroient être faites contre les maximes que j'aurai avancées, & contre les décisions que j'aurai établies, & je tâcherai de les résoudre, & de lever les difficultez qui pourroient y donner atteinte.




PREMIÉRE PARTIE





CHAPITRE PREMIER



S'il y a des Eunuques, & depuis quel tems il y en a

IL est de l'ordre de faire voir qu'il y a des Eunuques avant que d'entreprendre d'en faire la description, & que de raisonner sur leur sujet; Puis que selon le sentiment des Philosophes il est ridicule de raisonner d'une chose avant que de sçavoir si elle éxiste.

Il y a plus de quatre mille ans qu'on parle d'Eunuques dans le Monde; l'Histoire Sainte & l'Histoire Prophane font mention d'une infinité de personnes de cette nature, qu'elles ne mettent ni au rang des hommes, ni au rang des femmes, & qu'elles appellent une troisiéme sorte d'hommes. On en a vû en si grand nombre dans tous les Siécles & dans tous les Païs; & on en voit encore tant qu'il n'est pas permis de douter qu'il n'y en ait eu, & qu'il n'y en ait encore aujourd'hui.

La plûpart des Sçavans croyent que Semiramis Reine des Assiriens veuve de Ninus, & mére de Nynias, a été la premiére qui a fait faire des Eunuques; ils fondent leur opinion sur ces termes d'Ammian Marcellin,[11 - Liv. 14. ch. 6.]Postrema multitudo spadonum, a senibus in pueros desinens, obluridi, distortaque lineamentorum compage deformes, ut quaquà incesserit quisquam, cernens mutilorum hominum agmina, detestetur memoriam Semiramidis Reginæ illius veteris, quæ teneros mares castravit omnium prima. Claudien a crû la même chose,

– [12 - In Eutrop. lib. 1. V. 339.]Seu Prima Semiramis astu Assyriis mentita virum, ne vocis acutæ Mollities, levesque genæ se prodere possent. Hos sibi conjunxit similes; seu persica ferro Luxuries Vetuit nasci lanuginis Umbram.

Cependant Diodore de Sicile qui a fait l'Histoire de Semiramis, dans sa Bibliothéque, d'une maniére beaucoup plus éxacte qu'aucun autre, ne dit rien de cette particularité qui méritoit pourtant bien d'être remarquée, si elle eût été certaine & véritable. Il dit seulement que les Bactriens à qui Ninus, qui depuis fut son Mari, faisoit la Guerre, ayant mis les Assyriens en fuite & en déroute, elle s'habilla d'une longue robe, comme un homme, les rallia, se mit à leur tête & triompha des Bactriens. Soit que cette Robe plût aux femmes Medes & aux Perses, soit qu'elles voulussent faire leur cour à Semiramis, elles en prirent de pareilles. Peut-être que cet habillement donna lieu à dire que Semiramis avoit fait des hommes imparfaits, des demi hommes, & que depuis on a conjecturé qu'elle avoit fait effectivement mutiler des hommes. [13 - Christophori Helvici Theatrum Historicum pag. 5.]D'autres disent qu'elle s'habilla en homme, & qu'elle fit élever son fils en fille, afin que les Assiriens ayant honte d'avoir une femme pour leur Chef ne prissent point le pretexte de vouloir un Roi, pour mettre son fils sur le Trône à son préjudice;[14 - St. Remuald. Thresor Chronol. & Histor. fol. tom. 1. pag. 79.]D'autres peu éloignez de cette opinion disent, que son fils étant de sa taille, & ayant la voix semblable à la sienne, elle se déguisa en homme, & fit accroire, afin de regner, qu'elle étoit le fils de Ninus, & non pas sa veuve. Et d'autres disent[15 - Valere Maxime liv. 9, ch. 3. art. 13.] qu'ayant eu avis dans le tems qu'elle se coiffoir, que Babilone s'étoit révoltée, elle courut en diligence, les cheveux à demi épars, pour la forcer à se rendre à elle, & qu'elle ne remit point sa tête dans son ordre accoûtumé qu'elle n'eût remis cette puissante Ville sous son pouvoir; Que pour cela sa statuë fut honorablement élevée à Babylone au même état qu'elle se trouva quand elle marcha vers ce lieu d'un pas précipité pour tirer vangeance de ses Sujets rebelles; ces cheveux épars joints à la robe qu'elle avait prise la travestissoient d'autant plus en homme.

Diodore de Sicile rapporte une autre circonstance qui est considérable; Il dit que cette Reine élevée d'une condition basse au comble de la grandeur, se plongea dans toute sorte de délices, qu'elle fit choisir les hommes les mieux faits & les plus beaux de son Armée pour s'en servir, mais qu'elle fit mourir tous ceux qu'elle avoit reçûs dans son lit. Il y a plus d'apparence qu'elle les fit Eunuques par un effet d'une jalousie assez ordinaire, de peur qu'après avoir eu d'elle les plus grandes faveurs ils n'allassent s'attacher à quelqu'autre femme; Diodore de Sicile ne le dit point; mais comme il parle après Cresias, ainsi qu'il l'avouë lui même, & que Cresias est un Historien,[16 - Lucien dans son dialogue Intitulé le menteur ou l'Incredule.]qui non content d'abuser ceux de son siécle, a voulu faire passer ses fables à la postérité, on ne peut pas ajoûter beaucoup de foi à ce qu'il dit, ni accuser de fausseté ce qu'il obmet. Semiramis donc peut passer pour la première qui ait fait faire des Eunuques; Vossius[17 - Etymologicon Linguæ Latinæ.] croit que les Perses sont les Inventeurs de cette méchante & détestable coûtume, & que le mot Latin, spado qui comprend diverses sortes d'Eunuques, tire son nom d'un Village de Perse nommé Spada, où il prétend que la premiére éxécution de cette nature a été faite. Il fortifie son sentiment de ceux de quelques Sçavans du premier ordre qu'il nomme. Je ne veux point me rendre juge entre des hommes si célébres qui ont les uns & les autres des opinions si probables, & dont la certitude est si difficile à trouver. Non nostrum inter hos tantas componere lites, & vitulo hi digni & illi. Je dirai seulement que le premier Eunuque dont l'Ecriture Sainte fasse mention & dont il ne soit absolument parlé nulle part ailleurs,[18 - Genese Ch. 37. V. 36.]est Putiphar qui acheta Joseph des mains des Madianites; encore verra-t-on dans la suite que ce nom d'Eunuque n'étoit point nouveau dès lors, puis qu'il étoit devenu un nom de Charge & de Dignité; Cependant ce Putiphar acheta Joseph l'an du monde deux mille deux cent septante-six, c'est à dire mille sept cent soixante & dix huit ans avant l'Incarnation de Jesus Christ; Et Cyrus n'a commencé à régner sur les Perses que l'an du Monde trois mille quatre cent vingt & un; C'est à dire qu'on parloit d'Eunuques avant qu'on parlât des Perses, & qu'il n'est pas possible qu'ils soient les péres de ces sortes de gens, parce que si cela étoit la proposition filius ante patrem, qui passe pour monstreuese, seroit pourtant véritable; ce qu'on ne peut pas dire à l'égard de Semiramis qui regnoit sur les Assiriens l'an du monde mille huit cent vingt-six, long tems avant que Putiphar fût né. Quoi qu'il en soit les Perses, les Médes, & les Assyriens ont été de tous les Peuples ceux qui se sont le plus servis d'Eunuques. Et on remarque[19 - Joseph. Antiq. Judaic. liv. X. ch. 16.] que Nabucodonosor faisoit couper tous les Juifs & tous les autres prisonniers de guerre, afin de n'avoir que des Eunuques à son service particulier.[20 - St. August de civit. Dei. tom. 1. pag. 603.]Et c'est peut-être ce qui a donné lieu à conjecturer que les Perses étoient les inventeurs de l'Eunuchisme.




CHAPITRE II



Ce que c'est qu'un Eunuque

LUcien en donne une définition fort courte dans son Dialogue des Eunuques. Il dit qu'il n'est ni mâle, ni femelle, & qu'il est un prodige dans la Nature. Mais elle est trop générale, il en faut une plus éxacte & qui le fasse connoître plus particuliérement & plus sûrement. Un Eunuque donc, est une personne qui n'a pas la faculté d'engendrer, par la foiblesse, ou par la froideur de la nature, ou à qui on a retranché les parties propres à la génération; Qui generare non possunt, comme s'exprime la Loi[21 - L. 2. §. 1. ff. de Adoptionibus.]; Qui ont une voix grêle & languissante, la complexion d'une femme, qui n'ont que du poil folet à la barbe; En qui le courage & la hardiesse cedent à la crainte & à la timidité; En un mot, dont les mœurs & les maniéres sont toutes efféminées. Si l'Eunuque est un sujet si chétif & si méprisable à l'égard du corps, il vaut encore moins du côté de l'esprit & du cœur. Voici le portrait que St. Basile en a fait autrefois[22 - Lettre 117. dans la traduction que Mr. l'Abbé de Bellegarde a faite des Epitres de S. Basile.]. Simplicie femme entêtée de l'Hérésie Arrienne s'étoit mêlée de faire des remontrances à ce St. Homme sur sa conduite & sur ses mœurs; Il se justifie & prend à témoin toutes les personnes qui le connoissent, excepté quelques Eunuques qu'il récuse, & dont il fait une peinture affreuse; «S'il est besoin de témoins, dit-il, qu'on ne me produise point d'esclaves ni de misérables Eunuques, gens abominables & sans honneur, qui ne sont ni hommes ni femmes, que l'amour du séxe rend comme furieux; Ils sont jaloux, méprisables, féroces, efféminez, gourmands, avares, cruels, inconstans, soupçonneux, furieux, insatiables. Ils pleurent quand on les prive d'un repas, & pour tout dire en un mot ils sont condamnez au fer dès leur naissance, des gens estropiez de la sorte peuvent-ils avoir l'ame droite? Le fer les rend chastes, mais cette chasteté ne leur sert de rien, leur turpitude les rend furieux, & ils n'en remportent aucun fruit. Peut-être que cette description paroîtra trop satirique & trop outrée, & qu'elle sera suspecte, parce qu'elle est faite par un homme en colere; Mais voici le témoignage d'un homme desintéressé, qui non seulement la confirme & l'autorise, mais même qui y ajoûte de nouveaux traits qui rendent les Eunuques encore plus hideux; c'est Ammian Marcellin qui parle, qui dépose contr'eux, & qui dit,[23 - Lib. 16. cap. 7.]«Que quand Numa Pompilius & Socrate diroient du bien d'un Eunuque, on ne les en croiroit pas, & qu'on les accuseroit de mensonge. Ea re quod si Numa Pompilius vel Socrates bona quædam dicerent de Spadone, dictisque Religionum adderent fidem, à veritate descivisse arguerentur. Il est vrai que sur la fin du même Chapitre il excepte Menophile Eunuque de Mithridate Roi de Pont, dont il parle avantageusement. Il y en a bien encore quelques autres qui ont été dignes de louanges, comme un Favorinus Mordonius, un Eutherius Eunuque de l'Empereur Constans, & depuis de Julien l'Apostat; Un Hermias à qui Aristote sacrifioit comme à un Dieu; sur tout Daniel & ses Compagnons, si tant est qu'ils ayent été Eunuques, comme quelques Interprétes de l'Ecriture Sainte le croyent; Mais le nombre en a été si petit, qu'il n'est pas capable de donner atteinte à l'opinion générale qu'on en donne. L'on peut dire qu'il est des Eunuques comme des Bâtards, qu'ils sont ordinairement mauvais, mais qu'il s'en trouve quelque fois de bons, & comme dit Ammian Marcellin,[24 - Lib. 16. cap. 7.]Inter Vepres rosæ nascuntur, & inter feras nonnullæ mitescunt.

Theodore, Précepteur de l'Empereur Constantin Porphirogenite, s'est avisé, par un dessein singulier & bizarre, d'écrire une Apologie, pro Eunuchismo & Eunuchis, mais on regarde cet Ouvrage de la même maniére qu'on regarde l'Eloge de Busiris par Isocrate, celui de Néron, & celui de la Goutte par Cardan; Celui de la pauvreté par Synesius; celui de l'aveuglement par Passerat; Celui de la laideur & de la fiévre quarte, par Favorin; Celui de la peste par Prævidelli; celui de la guerre par Balth. Schuppius; Celui de l'injustice par Glaucon; celui de la folie par Erasme; celui de la Goinfrerie par Lucien; celui de l'Asne & celui de la Vermine par Heinsius, celui du rien & du néant par Schuppius, par Passerat, & par Duverdier le jeune; Et la magnifique Doxologie du fêtu par Sébastien Rouillard. Ces gens là ont entrepris de louer ce que toute la terre méprise & blâme, s'imaginant que cette singularité exciteroit la curiosité & l'admiration des lecteurs. Mais tous ces livres n'ont point rendu les sujets qu'ils ont traitez plus louables, ni plus légitimes; Et celui qui a pour titre de Multibibus imprimé à Oenozythople sous les auspices de Dionysius Bacchus, n'a pas authorisé les beaux droits & les plaisans priviléges des yvrognes qu'il étale avec beaucoup d'éxactitude & de pompe. On a beau faire des apologies pour cette ridicule, injuste & barbare coûtume de faire des Eunuques, il n'y a personne dans le Christianisme qui ne le déteste, & qui dans l'occasion ne s'écriât à l'encontre comme fit autrefois Seneque,[25 - Controvers. 33. lib. 5.]Principes viri, disoit-il, contra naturam divitias suas exercent, excisorum greges habent, exoletos suos, ut ad longiorem patientiam impudicitiæ idonei sint; & quia ipsos pudet viros esse, id agunt, ut quam pauci viri sint. His nemo succurit delicatis & formosis debilibus.




CHAPITRE III



Combien il y a de différentes sortes d'Eunuques

JEsus Christ lui-même nous apprend combien il y a des differentes sortes d'Eunuques; Il y en a, dit il[26 - St. Matth. ch. 19. V. 12.], qui sont nez tels dès le ventre de leur mére; Il y en a qui ont été faits Eunuques par les hommes. Et il y a encore des Eunuques qui se sont faits Eunuques eux-mêmes pour le Royaume des Cieux. Mais la subtilité des hommes, & l'événement, ont donné lieu à des distinctions moins générales. Les diverses questions qui concernent le mariage de gens accusez d'être Eunuques, & la restitution de la dote de la femme, ont obligé à éxaminer les Eunuques de près; & comme on en a trouvé de diverses espéces, on en a fait des Classes différentes. Les Jurisconsultes en font quatre. La premiere est de ceux qui sont nez tels; qui sont Eunuques proprement & absolument ainsi nommez. La seconde est de ceux auxquels, soit malgré eux, soit de leur consentement & par leur propre fait, on a retranché tout ce qui fait l'homme & sa virilité, qui ne peuvent en faire aucun acte, qui sont obligez, de rendre leur urine par un tuyau de métail qu'on leur attache à la place de celui que la Nature leur avoit donné & qu'on leur a coupé; Cela arrive quelquefois à des gens travaillez de quelque maladie qui oblige le Chirurgien à leur faire cette triste operation; mais cela se pratique aussi sur des hommes sains comme nous le verrons dans la suite; C'étoit autrefois une des fonctions de la Médecine comme on le voit au §. 8. de la loi 7. ad legem Aquiliam. Et au commencement de la loi 8. du même tître & sur tout au §. 2. de la loi. 4. ff. ad legem Corneliam de sicariis & veneficiis, où il est expressément deffendu aux Médecins de faire de semblables opérations. La troisiéme Classe est de ceux auxquels on froisse tellement les Cremastéres qu'ils disparoissent, & qu'il semble qu'ils soient évanouïs; La veine qui leur portoit l'aliment étant retranchée, ils se flétrissent, ils se séchent & se réduisent à rien. Cette opération se fait ordinairement en mettant le patient dans un bain d'eau tiéde afin d'amolir ces parties, & de les rendre plus maniables & plus propres à se dissoudre; Après qu'il y a été quelque tems, on lui presse les veines du cou qu'on nomme Jugulaires, & par là on le rend stupide et aussi insensible que s'il étoit tombé en apopléxie, alors il est aisé de le mutiler sans qu'il en sente rien: Cela se fait ordinairement dans la grande jeunesse par la mére ou par la nourrice. On lui faisoit prendre autrefois une certaine quantité d'Opium, & lors qu'il étoit accablé de sommeil on lui coupoit, ou on lui tiroit une partie que la nature a pris beaucoup de soin à fabriquer; mais comme on a remarqué que la plûpart de ceux qu'on Eunuchisoit ainsi mouroient, par ce Narcotique, on s'est avisé de l'autre moyen dont je viens de parler. Les Perses & diverses autres Nations, ont des maniéres de faire, ou de couper les Eunuques, différentes de celles dont on se sert en Europe. Je dis de faire, car ce n'est pas toujours en coupant qu'on Eunuchise; La ciguë & diverses autres herbes font le même office, comme on peut le voir dans l'Ouvrage de Paul Æginette qui traite éxactement cette matiére, sur tout dans le Livre sixiéme de ce docte & curieux Traité. Cette troisiéme sorte d'Eunuques sont ceux qu'on appelle en Droit Thlibiæ. Ceux qu'on nomme Thlasiæ, sont à peu près de la même qualité, toute la difference qu'il y a, c'est qu'on se contente de leur couper les veines qui servent à fortifier les parties viriles, de sorte qu'elles restent bien à la vérité, mais si flasques & si flêtries qu'elles ne sont d'aucun usage; La quatriéme Classe, enfin, est de ceux qu'on appelle Spadones, qui sont nez si mal conformez, ou d'un tempérament si froid, ou qui le sont devenus par quelque incommodité, qu'ils sont incapables de contribuer à la génération. Quoi que ces quatre espéces soient fort différentes entr'elles, & que la derniére soit la plus favorable & la moins malheureuse, cependant les Jurisconsultes ont trouvé à propos de les comprendre toutes sous le nom de spado, ce qui est assez singulier, comme je viens de le dire, puis que la maxime triviale de droit porte que denominatio fit à potiori. Et qu'à proprement parler, ceux qu'on appelle spadones ne sont point Eunuques, puis que par la vertu de la Nature, ou par le secours de l'Art, ils peuvent être remis dans un état parfait; D'ailleurs, specialia generalibus insunt,[27 - L. 147. de div. reg. Jur.]& comment sous le nom de spado qui n'est pas proprement un Eunuque, peut on comprendre ceux qui le sont réellement & de fait, & sans espérance de retour. Il me semble que nomina debent esse convenientia rebus comme ils le disent eux-mêmes; & que celui ci convient peu à toutes les espéces qu'il renferme; Quoi qu'il en soit, ils l'ont ainsi voulu;[28 - L. 121. ff. de verbor. significat.]spadonum generalis appellatio est, quo nomine tam hi qui naturâ Spadones sunt; item Thlibiæ Thlasiæ sed & si quod aliud genus spadonum est continentur.

Il y a diverses autres sortes d'Eunuques; il y en a qui sont appelez de ce nom, catachresticé, parce qu'ils possédent les Charges ou les Dignitez qui étoient données originairement aux Eunuques; Il y en a d'autres qui sont appellez de ce nom par figure, parce qu'ils sont chastes & qu'ils ne se servent pas plus de leurs parties viriles que s'ils n'en avoient point.

Toutes ces sortes d'Eunuques ont un nom général par lequel on prétend qu'ils ont tous été désignez, c'est le nom de Bagoas. Ce nom est celui du personnage qui représente l'Eunuque que Diocles prétend exclurre de la profession de Philosophe, dans le dialogue de Lucien. Il y a eu un fameux Eunuque de ce nom qui étoit à Darius & dont après la mort de ce Prince on fit present à Aléxandre le Grand. Il étoit beau par excellence, & Alexandre l'aima autant que Darius l'avoit aimé. Quinte-Curce en fait l'Histoire en différens endroits[29 - Liv. 6. ch. 5. & sur tout. liv. 10. ch. 1.] de la Vie de son Héros, & j'aurai occasion d'en parler dans la suite de cet Ouvrage. L'Eunuque d'Olopherne, Général de Nabucodonosor, qui assiégea Bethulie & à qui Judith coupa la tête; Cet Eunuque, dis je, qu'Olopherne employa pour disposer Judith à passer la nuit avec lui & qui la conduisit en effet dans sa tente, s'appelloit Bagoas; quoi que quelques versions, & entr'autres celle de Mrs. de Port-Royal l'appelle Vagao. Quoi que ce nom ait été le nom de plusieurs particuliers , cependant Gilbert Cousin, ou en Latin Cognatus, dont l'Illustre M. Baile a fait un article dans le tome premier pag. 974. de son Dictionaire, dit dans la remarque qu'il a faite sur ce mot Bagoas qui se trouve dans Lucien, que dans une Langue barbare il signifie en général un Eunuque; & il insinuë par là que Lucien ne se sert de ce nom Bagoas que parce que c'est un nom qui comprend tout le genre Eunuque.[30 - Liv. 2. Eleg. 2.]Et il confirme son sentiment par ce Vers d'Ovide,


Quem penes est dominam servandi cura Bagoæ

Il est certain que parmi les Babyloniens Bagoas signifie un Eunuque. Il y en a eu un aussi de ce nom qui a été Eunuque, & dont Plutarque dit beaucoup de choses plus dignes pourtant du silence que de nôtre curiosité. Quelques Sçavans croyent que ce Bagoas dont parle Lucien étoit un homme qui avoit la mine si disgraciée qu'on le prenoit pour Eunuque. Quintilien parle d'un Bagoas & il y a apparence qu'il se sert de ce nom comme d'un nom commun à une espèce d'hommes,[31 - Voy. Plin. liv. 13. ch. 4.]car il parle en même tems de Megabyse & de Doriphoron, or il est certain que Megabyse est un nom commun aux Prêtres de Diane,[32 - Plutarq. In Alexandr.]ils devoient être tous Eunuques parce qu'ils avoient la garde des filles qui lui étoient consacrées; Et Doriphoron signifie un homme qui porte une lance; Il est vrai qu'il désigne aussi cette statuë si admirable d'un jeune homme bien fait qui étoit armé d'une lance que Policlete avoit fait, dont il étoit amoureux, & qu'il appelloit sa Maîtresse; mais il suffit qu'il marque aussi un nom général, sous lequel tout homme portant une lance est désigné.




CHAPITRE IV



Des Eunuques qui sont nez tels

IL semble qu'il ne soit point impossible que certaines créatures humaines viennent au monde destituées des parties qui servent à la génération. On voit tous les jours des enfans qui naissent sans yeux, sans oreilles, sans mains, ou sans quelqu'autre partie du corps, il peut aussi aisément arriver que quelques-uns naissent dépourvûs de celles dont il est ici question. La Nature qui produit tous les jours tant de monstres pourroit bien en former un de cette espéce; cependant les Naturalistes disent qu'il n'y en a point d'éxemple. Et en effet, Pline qui rapporte éxactement & amplement[33 - Liv. 7. ch. 2.] les figures humaines monstrueuses dont le nombre & la diversité sont grands parmi tous les Peuples, ne parle point de celles dont il s'agit ici; Je puis dire néanmoins que j'en ai vû une, & peut être a-t-elle été vûë de toute l'Europe; car ses parens ayant remarqué que le Public avoit de la curiosité pour un corps humain aussi singulier que l'étoit celui dont je vai parler, & qu'ils pouvoient amasser beaucoup d'argent en le menant de lieu en lieu & de Païs en Païs, l'ont sans doute porté par tout. Il étoit à Berlin en l'année 1704. C'est un cul de jatte qu'un homme portoit sur le dos dans une boëte; avec cette différence, qu'au lieu que ceux qu'on nomme ainsi n'ont ni jambes, ni cuisses, dont ils puissent se servir, & qu'ils marchent sur leur derriére enfermé dans une jarre, celui-ci n'a pas même un derriére, c'est à dire de fesses; Il a la tête bien faite, le visage beau & doux, le tein brun & les cheveux chatains; mais quoi qu'il ait eu alors plus de vingt ans, il n'avoit point de barbe, ni aucune apparence qu'il en auroit un jour. Il avoit des bras & des mains fort bien proportionnez, son corps étoit assez bien fait, il étoit de la hauteur d'environ deux à trois pieds; c'étoit par le bout d'en bas une espéce de tronc, il marchoit avec ses mains; il avoit deux conduits comme les autres hommes par lesquels la nature se déchargeoit de ses excrémens, celui de devant étoit fort court & fort petit, & au dessous il y avoit un suspensoire flasque & flêtri dans lequel il n'y avoit aucun Crémastére. Je m'informai fort particuliérement de ses parens s'il étoit né ainsi, ils m'assurérent qu'il étoit absolument tel que la nature l'avoit formé. Comme je sçai qu'il ne faut pas toûjours mal juger de la virilité d'un homme, lors qu'on ne lui trouve point de Crémastére au dehors, parce qu'il arrive quelque fois que quoi qu'ils soient demeurez au dedans, & qu'ils ne soient point descendus dans les suspensoires par des obstacles qui se sont opposez à leur sortie, les hommes, néanmoins, qui les ont ainsi cachez ne laissent pas d'être aussi parfaits que ceux qui les ont au dehors: qu'ils sont forts & vigoureux, & qu'ils ont tous les autres signes nécessaires pour prouver la virilité de l'homme, j'éxaminai fort éxactement ce cul de jatte, & lui trouvant d'ailleurs toutes les marques d'un véritable Eunuque, j'en conclûs qu'il l'étoit en effet & qu'il a été produit tel par la nature dans le sein de sa mére. Ainsi voila une preuve qu'il y a des Eunuques qui naissent tels, quoi qu'en disent les Naturalistes, & particuliérement Pline dans le chapitre second du septiéme livre de son Histoire du Monde.




CHAPITRE V



Pourquoi on fait des Eunuques

S'Il est vrai que Semiramis ait été la premiére qui se soit avisée de faire faire des Eunuques, & que la raison qu'on en rapporte soit certaine, la premiére cause de cette mutilation a été la jalousie de cette Reine, qui après s'être servie des hommes les mieux faits de son Armée, les fit châtrer, de peur qu'ils n'allassent encore depuis servir au divertissement de quelqu'autre femme. Mais sans m'arrêter aux conjectures, voici d'autres causes plus sûres de cet usage.

Les Eunuques ont été faits pour être la garde des filles & des femmes, pour observer leur conduite, & pour empêcher qu'elles ne fissent rien de contraire à la chasteté ou au devoir conjugal; c'est apparemment à cet usage que l'Eunuque a proprement été destiné, le mot même le fait connoître, car il signifie, garde lit, ou garde chambre. C'est encore pour cet usage qu'on en fait dans l'Orient. Mais depuis, les hommes qui n'en avoient que pour en faire un usage légitime, en ont abusé & en ont fait faire pour servir à des usages sales & criminels. Ils choisissoient dans cette vûë les plus beaux garçons qu'ils trouvoient depuis l'âge de quatorze ans, jusqu'à l'âge de dix-sept ans. Saint Grégoire de Nazianze s'en plaint amérement dans la Vie de Saint Basile, & dans son Oraison trente & uniéme. Mais il faut que cette infâme coûtume soit beaucoup plus ancienne, car Juvenal déclame contre cet abus dans l'une de ces[34 - Satyr. 10. V. 306. 307.] Satyres; disant.


– Nullus Ephebum


Deformem sæva castravit in arce Tyrannus

Il est vrai qu'ils en ont fait faire pour servir de victimes qu'ils offroient à des Divinitez; c'est contre cette horrible coûtume que Saint Augustin, qui reléve, qui condamne & qui réfute les ridiculitez, les infamies, les cruautez de la Religion des Payens, se déchaîne dans son excellent Livre[35 - Liv. 6. ch. 10.] de la Cité de Dieu. Il falloit même que les Prêtres fussent Eunuques, afin, disoit on, de s'employer aux choses Sacrées plus purement et plus chastement. C'étoit sur tout la pratique des Athéniens;[36 - Voy. Crinitus de honnesta disciplina liv. 9. S. Romuald fol. tom. 2. pag. 185.]les Prêtres de la Diane d'Ephese étoient aussi obligez d'être Eunuques.

La Religion Chrétienne a eu ses Eunuques malgré elle, & quoi qu'elle les abhorre, un certain Valesius Arabe de Nation, forma une Secte qui soûtint que bien loin que la mutilation fût un obstacle au Sacerdoce, comme le Concile de Nicée l'avoit déclaré, il étoit au contraire absolument nécessaire d'être Eunuque pour l'éxercer. Non seulement ils pratiquoient sur eux-mêmes le cruel éxemple d'Origéne, mais même ils réduisoient dans ce triste état tous ceux qui tomboient entre leurs mains; cette Hérésie est la cinquante-huitiéme de celles que Saint Epiphane réfute.

Depuis on a fait des Eunuques pour avoir des gens qui eussent la voix belle & qui pussent la conserver long tems. Macrobe rend d'amples & de bonnes raisons pour lesquelles les Eunuques ont la voix belle, au chapitre cinquante-deuxiéme de ses Saturnales. C'est principalement le but que les Italiens se proposent encore aujourd'hui lors qu'ils font châtrer des jeunes gens.

L'avarice a poussé des gens à faire des Eunuques pour en trafiquer. Quelques Rélations de Voyageurs nous apprennent, que dans le Royaume de Boulan seul, on fait tous les ans vingt mille Eunuques qu'on envoye vendre en divers autres Etats. L'Histoire de Panione de l'Isle de Chio, que je rapporterai dans la suite, fera voir que ce commerce n'est pas nouveau. [37 - Luithprand. Ticinensis. liv. 4. de rebus per Europam gestis. cap. 4. Meibomius. Rerum Germanicar. tom. 1. c. 47. pag. 247. Camerar. Meditat. Historic. tom. 1. lib. 5. cap. 19.] On fait Eunuques des gens qu'on veut plonger dans la honte & dans l'ignominie, soit qu'ils ayent été lâches à la Guerre & qu'on veuille les en punir, soit qu'on veuille les noter d'infamie pour quelqu'autre cause que ce soit. Mais voici de plaisans motifs de faire des Eunuques; c'est la raillerie, le ressentiment & l'insulte; On lit une Histoire assez divertissante rapportée sous le Régne de Henri I. qui en est une preuve; «Les Grecs faisoient la Guerre au Duc de Benevent & le traitoient assez mal; Thedbald Marquis de Spolette son Allié étant venu à son secours & ayant fait quelques prisonniers, ordonna qu'on leur coupât les parties qui font les hommes & les renvoya en cet état au Général Grec, avec ordre de lui dire qu'il l'avoit fait pour obliger l'Empereur, qu'il sçavoit aimer beaucoup les Eunuques, & qu'il tâcheroit de lui en faire avoir bientôt un plus grand nombre; le Marquis se préparoit à tenir sa parole, lors qu'un jour une femme, dont ses gens avoient pris le mari, vint toute éplorée dans le Camp, & demanda à parler à Thedbald; Le Marquis lui ayant demandé le sujet de sa douleur; Seigneur, répondit-elle, je m'étonne qu'un Héros comme vous s'amuse à faire la guerre aux femmes lors que les hommes sont hors d'état de lui résister; Thedbald ayant repliqué que depuis les Amazones, il n'avoit pas ouï dire qu'on eût fait la guerre à des femmes; Seigneur repartit la Grecque, peut-on nous faire une guerre plus cruelle, que de priver nos maris de ce qui nous donne de la santé, du plaisir, & des enfans; Quand vous en faites des Eunuques, ce n'est point eux, c'est nous que vous mutilez; Vous avez enlevé ces jours passez nôtre bétail & nôtre bagage, sans que je m'en sois plainte; mais la perte du bien que vous avez ôté à plusieurs de mes compagnes étant irréparable, je n'ai pû m'empêcher de venir solliciter la compassion du Vainqueur. La naïveté de cette femme plût si fort à toute l'Armée, qu'on lui rendit son mari, & tout ce qu'on lui avoit pris. Comme elle s'en retournoit, Thedbald lui fit demander ce qu'elle vouloit qu'on fît à son mari, au cas qu'on le trouvât encore en armes. Il a des yeux, dit-elle, un nez, des mains, des pieds, c'est là son bien, que vous pouvez lui ôter, s'il le mérite; mais laissez lui, s'il vous plaît, ce qui m'appartient.» Apparemment que la femme dont Plaute parle dans son Mercator[38 - Act. 1. Scen. 2.], n'étoit pas de cet avis, ou qu'en tout cas elle regardoit ce bien â elle appartenant, comme un bien de petit rapport & de peu de valeur, car son mari craignoit qu'elle même ne s'en privât,


Quasi hircum metuo ne uxor me castret mea

Les Adultéres étoient faits Eunuques pour peine de leur crime; je pourrois le faire voir par plusieurs éxemples, mais j'en rapporterai trois seulement qui sont précis, l'un sera tiré de Valére Maxime[39 - Liv. 6. ch. 1. art. 13.], il y est dit que Vibienus & Publius Cernius ayant surpris l'un Carbo Accienus, & l'autre Pontius en adultére ils les firent châtrer; L'autre est contenu dans Martial,[40 - Liv. 2. Epigr. 60.]

Uxorem armati futuis, puer Hyle, Tribuni,
Supplicium tantum dum puerile times.
Væ tibi, dum ludis, castrabere. Jam mihi dices,
Non licet hoc. Quid, tu quod facis Hyle licet?

Le troisiéme & le principal est l'éxemple d'Abelard; ce Docteur amoureux ayant abusé d'Héloïse qu'on lui avoit donnée à instruire, les parens de cette fille lui firent couper les parties viriles avec lesquelles il avoit deshonoré leur famille; Ils allérent jusqu'à la racine du mal & l'arrachérent de telle forte qu'ils ôtérent au coupable le pouvoir de la rechute.[41 - Voyez cette Histoire dans le Diction. Histor. & Crit. de Mr. Bayle. Les Articles Abelard, Heloïse, Foulques & Paraclet.]

Cela étoit passé en loi parmi les Gaulois. La Loi Salique tit. 29. de Adult. Ancillor. porte cette décision servus qui cum aliena ancilla mœchatus fuerit, ea mortua, castretur. On peut dire aussi que cela étoit fondé sur cette loi de l'équité, qui dit que la peine doit être infligée à celui des membres du corps qui a été l'instrument, ou le complice du crime.[42 - Ch. 31. V. 21, 22.]Job raisonnoit sur ce principe lors qu'il disoit, si j'ai levé la main sur le Peuple, &c. que mon épaule tombe étant desunïe de la jointure, & que mon bras se brise avec tous ses os.

On faisoit aussi Eunuques les Esclaves qui avoient dérobé; voici les termes de la même Loi Salique. Tit. 13. de furt. servor servi qui quidpiam valens quadraginta denarios furati essent, castrari Jubebantur in pœnam, &c.

La nécessité contraint aussi quelquefois de faire des Eunuques; Il se trouve souvent des hommes attaquez de tels maux que le Médecin est obligé d'ordonner cette opération, & le Chirurgien de la faire. La maladie est la cause de ce malheur, & bien loin que ceux qui ont ce sujet d'affliction doivent être regardez de mauvais œil, ils doivent au contraire être plaints & consolez.

On a fait des Eunuques par représailles & en vertu de la Loi du Talion.[43 - Herodote liv. 8.]Herodote nous l'apprend d'une maniére fort agréable par un éxemple curieux; «Hermotime Pedasien qui étoit, dit-il, le plus considérable des Eunuques de Xerxes, fut de tous les hommes celui qui se vengea le mieux de l'injure qui lui avoit été faite. Après avoir été pris il fût vendu à Panione de l'Isle de Chio qui faisoit négoce d'Eunuques, & qui faisoit châtrer tous les beaux garçons qu'il achetoit pour les vendre ensuite bien chérement à Sardis & à Ephese; parce que parmi les Barbares on estimoit plus les Eunuques que les autres, à cause de leur fidélité & de la confiance qu'on pouvoit prendre en eux pour toutes choses; Comme, dis-je, ce Panione à qui Hermotime fut vendu, vivoit de l'infame commerce qu'il faisoit des Eunuques, il fit couper Hermotime de même que plusieurs autres: Mais Hermotime ne fut pas malheureux à tous égards, car ayant été mené de Sardis au Roi avec d'autres présens, il aquit avec le tems plus de faveur & de crédit auprès du Roi que pas un des autres Eunuques: Lors que le Roi fit partir ses troupes de Sardis pour aller à Athenes, Hermotime fut envoyé pour quelque affaire dans un endroit de la Mysie nommé Atarne, où il trouva Panione, qu'il reconnut, & l'ayant abordé il lui parla avec toute sorte de douceur, d'honnêteté & de témoignage d'amitié; Il lui dit premiérement qu'il possédoit par son moyen tous les biens qui lui étoient arrivez, & ensuite il lui promit de lui donner des marques de reconnoissance pour ce bienfait, s'il vouloit venir avec les siens, demeurer dans sa maison; Panione se laissa persuader par ce discours & amena librement sa femme & ses enfans chez Hermotime; Mais il n'y fut pas si-tôt arrivé qu'Hermotime lui parla en ces termes, Oh le plus méchant de tous les hommes qui as jusqu'à présent gagné ta vie du plus détestable de tous les commerces. Quelle injure as tu reçûë, toi ou ceux de ta maison, ou de mes parens, pour m'avoir réduit en ce misérable état dans lequel, d'homme que j'étois je ne suis maintenant ni homme, ni femme? Pensois tu que les Dieux ne vissent pas ce que tu faisois alors? Comme ils sont justes & équitables, infame artisan de malheurs, ils t'ont mis aujourd'hui en ma puissance pour mesurer ton châtiment par tes mauvaises actions. Quand il eut fait ces reproches à ce misérable, il fit amener devant lui quatre enfans qu'il avoit, & le contraignit de les châtrer; Et quand il eut obéi il obligea ses enfans de couper eux-mêmes les parties de leur Pére. Telle fut la vengeance d'Hermotime & telle fut la punition de Panione.» Quelques-uns ont crû qu'il les avoit poussez trop loin & qu'il s'étoit fait justice à lui même. La vengeance de Narses fut bien plus importante présupposé qu'elle soit véritable, car Baronius & plusieurs Auteurs en doutent. Narses ayant vaincu les Barbares & les Gots, & s'étant rendu auprès de l'Empereur Justinien, l'Impératrice Sophie envoya ce Capitaine parmi ses femmes pour filer avec elles, & pour se railler de lui parce qu'il étoit Eunuque. Ce mépris ayant excité la colére & l'indignation de Narses l'obligea à dire ces mots, Je filerai une trame que ton mari ne saura défaire. En effet, dans la suite il mit les Lombards hors de la Jurisdiction de l'Empire. D'ailleurs, j'avouë que je ne vois rien de plus juste que le ressentiment d'Hermotime, & que la peine que méritoit Panione, non seulement pour l'avoir châtré, mais pour en avoir châtré un million d'autres pour satisfaire à son commerce & à son avarice, ne pouvoit être trop grande. Hermotime étoit fondé en Loi; la Loi du Talion a toûjours été établie, on la voit dans la Loi des douze Tables en termes précis,[44 - Instit. lib. 4. tit. 4. de Injuriis. § 7.]pœna autem injuriarum ex lege duodecim Tabularum propter membrum quidem ruptum Talio erat. L'Empereur Justinien a ordonné depuis positivement la peine du Talion, ou de la pareille, contre ceux qui feroient souffrir cette espéce de martire;[45 - Novell. 42. ch. 1.]Sancimus igitur, dit-il, ut qui in quocunque reipublicæ nostræ loco, quamcumque personam castrare præsumunt aut etiam præsumpserint, si quidem viri sint qui hoc facere præsumpserint aut etiam præsumunt, idem hoc quod aliis feceruns & ipsi patiantur. Cette Loi est conforme à la droite raison; car comme dit Ovide,[46 - Amor. lib. 2. Eleg. 3. V. 3. & 4.]



Qui primus pueris genitalia membra recidit,

Vulnera quæ fecit, debuit ipse pati.


Cependant, comme le Christianisme n'approuve point l'Eunuchisme, la Loi du Talion a été abrogée à son égard par l'Empereur Leon, pour les raisons sages & Chrétiennes qu'il en rend dans sa Constitution[47 - Novell. 60.];

Il y a enfin des Eunuques qui se sont faits, ou fait faire Eunuques eux mêmes par divers motifs que nous allons rapporter dans le chapitre suivant.




CHAPITRE VI



Pourquoi quelques hommes se sont faits eux-mêmes, ou fait faire Eunuques par d'autres

IL y a eu des hommes qui se sont faits Eunuques par un esprit de dévotion, dans la pensée de se rendre plus agréables à Dieu, & plus capables de travailler à leur salut. Comme Origéne a été le premier, le Pére pour le dire ainsi, & le Patriarche de ces sortes d'Eunuques, il est bon de faire voir en peu de mots le véritable motif qui l'a fait penser & agir d'une maniére si singuliére à cet égard. Je sçai bien que Justin Martyr[48 - Apol. 2. pag. 71. adressée à l'Empereur Antonin.] parle d'un jeune homme d'Aléxandrie antérieur à Origéne, qui pour faire voir que ceux qui accusoient les Chrêtiens de commettre dans leurs Assemblées des saletez horribles, n'étoient que des calomniateurs, présenta requête à Felix, Gouverneur de cette Ville, pour obtenir de lui un Chirurgien qui le mit hors d'état d'être jamais soupçonné d'aucune impureté; Mais comme Felix le lui refusa parce que les lois Romaines le deffendoient, comme les Canons de l'Eglise le deffendirent depuis, je crois avoir raison de mettre Origéne le premier en ordre; parce que s'il n'a pas été le premier qui ait eu un semblable dessein, au moins a-t-il été le premier qui l'ait éxécuté.

Origéne nâquit à Alexandrie l'an 185. de Jesus Christ. Son Pere nommé Leonidas le fit étudier en Theologie, dans la connoissance de laquelle il se rendit très-sçavant. Le témoignage de Saint Jerôme suffit pour le prouver, car dans le tems même qu'il écrivoit le plus fortement contre Origene il reconnoissoit qu'il avoit été un grand homme dès sa naissance,[49 - Epistol. 5. 6. ad Pammachium de Erroribus Origini.]Magnus vir ab infantia; Il étoit si ardent à professer la Religion Chrétienne, que la persécution s'étant élevée dans Aléxandrie sous l'Empire de Severe l'an 202. de Jesus Christ, il voulut courir au Martyre quoi qu'il ne fut âgé que de seize à dix sept ans; & il y seroit allé si sa mére ne l'en eut empêché en le retenant par force & par adresse. Ne pouvant donc le souffrir lui-même il exhorta son Pere par lettres à l'endurer courageusement. En effet il eût la tête tranchée & ses biens furent confisquez, de sorte qu'Origene fut réduit à la derniere pauvreté. Une Dame riche d'Alexandrie en ayant eu pitié le retira dans sa maison; Elle y avoit avec elle un fameux Hérétique d'Antioche qu'elle avoit adopté pour fils, qui faisoit chez elle des conférences auxquelles les hérétiques & les orthodoxes assistoient indifféremment. Origene conversa bien avec lui, mais il ne voulut jamais avoir de communication avec lui dans la priére, observant religieusement les Réglemens de l'Eglise, & témoignant de l'horreur pour la doctrine des Hérétiques;

Il souhaita de vivre indépendamment d'autrui, & en effet il se mit à enseigner la Grammaire; & depuis, la chaire de l'Ecole d'Alexandrie étant vacante elle lui fut donnée, & comme elle ne lui produisoit pas suffisamment de quoi vivre, il vendit tous ses livres qui traitoient des sciences prophanes, & se contenta de quatre oboles par jour que lui donnoit celui qui les avoit achetez. Il commença alors à mener une vie très-laborieuse & très-austere: & comme son emploi l'obligeoit à être souvent avec des femmes qu'il instruisoit aussi bien que les hommes, pour ôter aux Payens tout prétexte de soupçon de quelque mauvaise conduite à cause de sa grande jeunesse; il se résolut d'éxécuter à la lettre la perfection qu'il se persuadoit que Jesus Christ avoit proposée dans ces paroles de l'Evangile. Il y en a qui se sont faits Eunuques eux mêmes pour le Royaume des Cieux. Il tâcha de tenir cette action secrette, il la cacha même à ses amis; mais il ne put empêcher qu'elle ne fut sçuë. Demetrius Evêque d'Alexandrie en eut connoissance, loua son zele, & l'ardeur de sa foi, mais il changea de langage bien après; car la reputation d'Origéne s'étant répanduë en divers lieux où il étoit allé, Demetrius écrivit contre lui & lui reprocha cette action qu'il avoit louée. Il poussa sa passion si loin qu'il le fit chasser d'Aléxandrie, le fit déposer dans un Concile d'Evêques d'Egypte, & même excommunier, & écrivit par tout contre lui pour le faire rejetter de la Communion de toutes les Eglises du monde. Ce narré tiré d'un Auteur[50 - Dupin nouvelle Bibliothéque des Auteurs Ecclésiastiques tom 1. pag. 121. &c. tiré d'Eusebe liv. 6. ch. 2. §. 19. traduction Françoise, les chapitres de laquelle ne se rapportent point à l'Edition Gréque ni Latine.] authorisé par l'approbation du public & conforme à ce qu'en dit Eusebe, refute & détruit ce que rapporte Saint Romuald sur ce sujet. Il dit[51 - S. Romuald. tom. 2. pag. 185. du tresor Hist. & Chronol. in fol.] que l'an 232. il s'éleva une sédition populaire dans Alexandrie contre Origene qui l'obligea à se retirer ailleurs, laissant son disciple Heracles en sa place de Recteur des Ecoles de la Ville. On ne sçait pas bien, dit-il, la cause de cette sédition, les uns l'attribuent à la publication qu'il avoit faite de son Periarchon, ou des principes, qui étoit un vrai labyrinthe d'erreurs; & les autres aux efforts qu'il faisoit pour persuader à ses disciples de l'imiter en se faisant Eunuques comme lui, soit par le fer ou par la ciguë, afin d'énerver tout à fait cette partie rebelle du corps, & se priver ainsi de tout mouvement bestial de la chair. Il se range du second avis, parce, dit-il, que ce fut à peu près dans ce tems que cette erreur se convertit en hérésie, par le faux zéle de ce Valesius Arabe dont j'ai déja parlé, & qui en fut le Propagateur[52 - Eusebe parle de cette sédition, mais il n'en dit pas la cause, liv. 6. ch. 41. &c.]. Mais il est certain 1. qu'Origéne n'a jamais fait de violence à personne, il a tenu son action secrette, & si elle s'est divulguée ça été contre son intention;[53 - Voyez la Vie de Tertullien & d'Origéne, par Mr. de la Motte ch. 5. sur la fin.]2. Il l'a lui-même condamnée depuis, c'est un fait que le même Auteur dont j'ai tiré l'abregé de son Histoire remarque expressément; Eusebe son plus grand Protecteur en parle d'une maniére qui fait voir qu'il en avoit honte; Il avoit honte aussi d'avoir employé trop de tems à l'étude des sciences profanes, & il s'en excuse dans le second livre de son apologie, ou de sa deffense.[54 - Dupin ibid. ubi supra. Et Eusebe ibid. ch. 19.]Les passages où Origene lui-même a condamné son action sont dans son sermon 15. sur St. Matthieu, au ch. 19. V. 12. & dans son ouvrage contre Celse, liv. 7. Il n'y a qu'à lire aussi ce qu'il dit dans son Traité septiéme sur le Chapitre dix-huitieme de St. Matthieu pour être convaincu qu'il a bien changé d'avis, voici ses termes; Nos autem si spiritales sumus verba spiritus spiritualiter accipiamus & de tribus istis Eunuchizationibus ædificationem introducentes moralem. Eunuchi nunc moraliter abstinentes se a veneriis sunt appellandi; Eorum autem qui se continent differentiæ tres sunt. Ceux qui sont Eunuques dès le ventre de leur mére, sont, dit-il, ceux qui le sont par tempéramment, qui sont nez froids ou impuissans; ceux que les hommes ont fait, sont, ajoute-t-il, ceux qui le sont par raison, ce sont ces Philosophes qui faisant profession d'une sagesse mondaine, s'abstiennent du commerce des femmes par des maximes humaines, ou ceux ausquels une fausse honte, ou les loix publiques les deffendent: Les Ecclesiastiques de l'Eglise Romaine sont de ce nombre. Ceux enfin qui se font Eunuques pour le Royaume des Cieux sont, dit-il, ceux qui sont chastes par vertu & par pieté, pour être mieux disposez au service de Dieu, & dans l'intention d'être mieux disposez au service de Dieu, & dans l'intention de lui être plus agreables.[55 - Liv. 5. ch. 21.]Socrate l'Historien dit qu'Origene, qu'il nomme Doctor Valde sapiens, avoit reconnu que les préceptes de la Loi de Moïse ne pouvoient pas s'entendre à la lettre & qu'il falloit leur donner une explication plus sublime, & il ajoute que, præceptum de paschate ad altiorem divinioremque sensum traduxit, ce qui fait voir d'autant plus qu'Origene étoit revenu de l'ancienne erreur dans laquelle il avoit été, qu'il falloit entendre à la lettre ce qui est contenu dans le Vieux & dans le Nouveau Testament;

Valesius dont j'ai déja parlé vint après lui, & comme les disciples vont toûjours au delà de leurs Maitres, (si tant est que Valesius qui n'étoit qu'imitateur d'Origene, puis que cet ancien Docteur ne lui avoit jamais enseigné ni recommandé cette cruelle doctrine, puisse ou doive passer pour son disciple) enchérit beaucoup sur la pratique d'Origéne; car au lieu qu'Origéne n'avoit considéré les paroles de Jesus Christ que comme un Conseil, qu'il ne l'avoit pratiqué que ad melius esse comme parlent les Philosophes, par desir de parvenir à la perfection; & pour ôter à ses ennemis tout prétexte de juger mal de ses conversations avec des filles qu'il enseignoit, Valesius au contraire changea cette action volontaire en action nécessaire, & forçoit tous ceux qui tomboient entre ses mains à se faire Eunuques; car lors qu'ils ne vouloient pas le faire eux mêmes il les y contraignoit, il les lioit sur un banc & leur coupoit de ses propres mains leurs parties viriles, en leur disant qu'il falloit accomplir à la lettre ce qu'avoit dit nôtre Seigneur, Qu'il y avoit des Eunuques qui s'étoient faits Eunuques pour le Royaume des Cieux.

Cette secte qui fut appellée la secte des Valesiens, ou des Eunuques, ne dura pas long tems; 1. parce qu'elle fut absolument condamnée par le premier Concile général de Nicée à l'occasion de Leontius Prêtre qui s'étoit fait Eunuque; 2. parce que ceux qui avoient subi la peine, avoient souffert de si horribles douleurs, & avoient été si fort en danger de mourir, que cela donna de la frayeur aux autres qui abandonnérent cette secte; 3. & enfin, parce qu'étant deffendu par les loix Romaines de se faire Eunuque, il falloit en demander la permission au Magistrat Civil; on se fit une honte de faire cette démarche, d'autant plus qu'on étoit en quelque sorte assuré d'être presque toûjours refusé, témoin le refus qui fut fait à ce jeune garçon dont Justin Martyr fait mention dans sa seconde Apologie à l'Empereur Antonin, qui alla demander cette permission au Préfect Augustat, parce que le Médecin ne vouloit pas mettre la main sur lui, timore pœnæ.[56 - l. 4. §. 2. ff. ad legem Corneliam de sicariis et Veneficiis.] Voila le commencement, le progrès, & la fin de cette secte.

D'autres motifs ont succédé à ceux d'Origéne & de Valesius, & il y a eu des gens qui se sont faits Eunuques eux-mêmes par des raisons différentes. Tout le monde sçait l'histoire de Combabus, elle est dans Lucien, mais l'illustre Monsieur Bayle l'a renduë fort publique accompagnée de toutes ses circonstances dans son Dictionnaire historique[57 - Voyez Diction. Hist. & Crit. de Mr. Bayle tom. 1. pag. 955. & suiv.]. Combabus étoit un jeune Seigneur sçavant dans l'Architecture, à la Cour du Roi de Syrie. Il fut choisi par ce Monarque pour accompagner la Reine Stratonice dans un voyage assez long qu'elle devoit faire, pour aller bâtir un Temple à Junon suivant les ordres qu'elle en avoit reçûs en songe. C'étoit un très beau garçon, il crût que le Roi concevroit infailliblement quelque jalousie contre lui, il le supplia donc très instamment de ne lui point donner cet Emploi, & n'ayant pû obtenir cette dispense il se compta pour mort s'il ne prenoit garde à lui d'une maniére qui ne souffrit point de reproche. Il obtint seulement sept jours pour se préparer à ce voyage; voici donc quels furent ses préparatifs. Dès qu'il fut à son logis, il déplora le malheur de sa condition, qui l'exposoit à la triste alternative de perdre sa vie ou son séxe, & après avoir bien soûpiré il se coupa les parties secrettes qu'on ne nomme pas, & les mit bien embaumées dans une boëte qu'il cacheta; lors qu'il fallut partir il donna la boëte au Roi en présence d'un grand nombre de personnes, & le pria de la lui garder jusqu'à son retour. Il lui dit qu'il y avoit mis une chose dont il faisoit plus de cas que de l'or & de l'argent & qui lui étoit aussi chére que la vie. Le Roi mit son cachet sur cette boëte & la donna à garder au Maître de sa garderobe. Le voyage de la Reine dura trois ans, & ne manqua pas de produire ce que Combabus avoit prévû, de sorte que l'évenement justifia la précaution qu'il avoit prise.

Cette action de Combabus produisit un autre motif de se faire Eunuque. Ses amis intimes voulurent l'être pour le consoler de sa disgrace, fondez sur cette ancienne maxime, que c'est une consolation pour les malheureux que d'avoir des compagnons de leur infortune. Lucien ajoûte que cette conduite des amis de Combabus a servi de fondement à une coûtume qui s'observoit tous les ans, de mutiler plusieurs personnes dans le Temple que Stratonice & Combabus avoient fait bâtir, & il dit qu'ils se mutiloient, sive Combabum consolantes, sive Junoni, &c.

Mais voici d'autres motifs bien différens de celui de Combabus & de ses amis; un jeune Gentilhomme bien fait, ayant vaincu sa Maîtresse par ses instances & par sa persévérance, ne pouvant par un malheur qui lui arriva, profiter de sa Conquête, parce qu'il ne fut pas le Maître des instrumens de sa passion; qui ne voulurent pas lui obeïr, & qui furent de glace pendant que son cœur étoit embrasé, mortifié de cette triste avanture, il se les coupa, dès qu'il fut de retour au logis, & les envoya à sa Maîtresse comme une victime sanglante capable d'expier l'offense qu'il lui avoit faite. Montagne qui rapporte l'histoire[58 - Essais liv. 2. ch. 29.] fait cette exclamation, si ç'eût été par discours & Religion comme les Prêtres de Cybele, que ne dirions-nous d'une si hautaine entreprise!

Le même Montagne raconte l'action d'un païsan de son voisinage, qui se fit Eunuque par une raison bien différente; ce fut par chagrin contre sa femme, & par emportement. Ce bon homme rentrant dans sa maison, sa femme qui étoit jalouse de lui à outrance, & qui le tourmentoit sans cesse, lui ayant fait un mauvais accueil à son ordinaire, fondé sur les soupçons que sa jalousie lui donnoit, il se coupa, avec la serpe qu'il tenoit, les parties qui lui donnoient de l'ombrage & les lui jetta au nez.

Voici une autre espéce de gens qui se font Eunuques; ce sont des hommes qui craignent la lépre ou la goutte, & qui pour jouïr de l'avantage qu'il y a à en être éxempt, aiment mieux perdre ceux qu'ils pourroient tirer de leurs parties viriles. Il est certain que la lépre n'attaque point les Eunuques: outre l'expérience voici ce que Mr. le Prêtre conseiller au Parlement de Paris en rapporte dans les Questions Notables de droit.[59 - Centuries 1. ch. C. de separatione ex causa luis Veneraæ.]Antipathia verò Elephantiasis veneno resistit; Hinc Eunuchi, & quicumque sunt mollis, frigidæ & effœminatæ naturæ, nunquàm aut rarò lepra corripiuntur; & quidem quibus imminet lepræ periculum de consilio medicorum, sibi virilia amputare permittitur. c. ex pars. 11. ex. de corpor. vitiatis ordinandis, vél non; Quod etiam aliquando permiserunt nonnulli leprosis ministrantes, manifesto experimento, magnoque vitæ & sanitatis commodo.[60 - Abreg. Chronol. tom. 2. pag. 639.]Mézeray dit, dans la Vie de Philippe Auguste, qu'il a lu qu'il y avoit des hommes qui apprehendoient si fort la ladrerie, cette vilaine & honteuse maladie, qu'ils se châtroient pour s'en préserver





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notes



1


Comme l'illustre Mr. Bayle étoit encore en vie quand cette Dédicace a été faite, on n'a pas trouvé qu'il fut nécessaire d'y rien changer, quoi qu'il soit mort depuis.




2


Mr. de Montpinslon.




3


Histoire des Ouvrages des Savans. Mois de Janvier, Février & Mars 1706. pag. 84. & suiv.




4


Nouv. de la Répub. des Lett. Janv. 1704 p. 117.




5


Nouvelles de la République des Lettres tom. 1. Mois d'Avril 1684. pag. 117.




6


Patiniana pag. 25.




7


Capitul. 9. tit. 19 de procuratoribus lib. 1. sexti Decretal.




8


Imperat. Leonis constitut. 26. in princip.




9


Novel. 21. tit. 1. de Nuptiis. In præfat.




10


L. 197. de divers. regul. Jur.




11


Liv. 14. ch. 6.




12


In Eutrop. lib. 1. V. 339.




13


Christophori Helvici Theatrum Historicum pag. 5.




14


St. Remuald. Thresor Chronol. & Histor. fol. tom. 1. pag. 79.




15


Valere Maxime liv. 9, ch. 3. art. 13.




16


Lucien dans son dialogue Intitulé le menteur ou l'Incredule.




17


Etymologicon Linguæ Latinæ.




18


Genese Ch. 37. V. 36.




19


Joseph. Antiq. Judaic. liv. X. ch. 16.




20


St. August de civit. Dei. tom. 1. pag. 603.




21


L. 2. §. 1. ff. de Adoptionibus.




22


Lettre 117. dans la traduction que Mr. l'Abbé de Bellegarde a faite des Epitres de S. Basile.




23


Lib. 16. cap. 7.




24


Lib. 16. cap. 7.




25


Controvers. 33. lib. 5.




26


St. Matth. ch. 19. V. 12.




27


L. 147. de div. reg. Jur.




28


L. 121. ff. de verbor. significat.




29


Liv. 6. ch. 5. & sur tout. liv. 10. ch. 1.




30


Liv. 2. Eleg. 2.




31


Voy. Plin. liv. 13. ch. 4.




32


Plutarq. In Alexandr.




33


Liv. 7. ch. 2.




34


Satyr. 10. V. 306. 307.




35


Liv. 6. ch. 10.




36


Voy. Crinitus de honnesta disciplina liv. 9. S. Romuald fol. tom. 2. pag. 185.




37


Luithprand. Ticinensis. liv. 4. de rebus per Europam gestis. cap. 4. Meibomius. Rerum Germanicar. tom. 1. c. 47. pag. 247. Camerar. Meditat. Historic. tom. 1. lib. 5. cap. 19.




38


Act. 1. Scen. 2.




39


Liv. 6. ch. 1. art. 13.




40


Liv. 2. Epigr. 60.




41


Voyez cette Histoire dans le Diction. Histor. & Crit. de Mr. Bayle. Les Articles Abelard, Heloïse, Foulques & Paraclet.




42


Ch. 31. V. 21, 22.




43


Herodote liv. 8.




44


Instit. lib. 4. tit. 4. de Injuriis. § 7.




45


Novell. 42. ch. 1.




46


Amor. lib. 2. Eleg. 3. V. 3. & 4.




47


Novell. 60.




48


Apol. 2. pag. 71. adressée à l'Empereur Antonin.




49


Epistol. 5. 6. ad Pammachium de Erroribus Origini.




50


Dupin nouvelle Bibliothéque des Auteurs Ecclésiastiques tom 1. pag. 121. &c. tiré d'Eusebe liv. 6. ch. 2. §. 19. traduction Françoise, les chapitres de laquelle ne se rapportent point à l'Edition Gréque ni Latine.




51


S. Romuald. tom. 2. pag. 185. du tresor Hist. & Chronol. in fol.




52


Eusebe parle de cette sédition, mais il n'en dit pas la cause, liv. 6. ch. 41. &c.




53


Voyez la Vie de Tertullien & d'Origéne, par Mr. de la Motte ch. 5. sur la fin.




54


Dupin ibid. ubi supra. Et Eusebe ibid. ch. 19.




55


Liv. 5. ch. 21.




56


l. 4. §. 2. ff. ad legem Corneliam de sicariis et Veneficiis.




57


Voyez Diction. Hist. & Crit. de Mr. Bayle tom. 1. pag. 955. & suiv.




58


Essais liv. 2. ch. 29.




59


Centuries 1. ch. C. de separatione ex causa luis Veneraæ.




60


Abreg. Chronol. tom. 2. pag. 639.



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