Книга - Le Fichier Zéro

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Le Fichier Zéro
Jack Mars


“Vous ne trouverez pas le sommeil tant que vous n’aurez pas terminé L’AGENT ZÉRO. L’auteur a fait un magnifique travail en créant un ensemble de personnages à la fois très développé et vraiment plaisant à suivre. La description des scènes d’action nous transporte dans une réalité telle que l’on aurait presque l’impression d’être assis dans une salle de cinéma équipée du son surround et de la 3D (cela ferait d’ailleurs un super film hollywoodien). Il me tarde de découvrir la suite.”--Roberto Mattos, auteur du blog Books and Movie ReviewsDans LE FICHIER ZÉRO (Volume #5), les souvenirs de l’Agent Zéro affluent de nouveau dans sa mémoire… et, avec eux, surviennent des révélations choquantes sur le complot secret de la CIA pour déclencher une guerre et mettre un terme à son existence. Désavoué et en fuite, pourra-t-il l’arrêter à temps ?Alors qu’un incident dans le détroit d’Ormuz menace d’engendrer une guerre mondiale, les souvenirs de l’Agent Zéro refont surface en masse et, avec eux, une chance de démasquer le complot qui a causé sa perte de mémoire au tout départ. Discrédité, n’ayant presque plus d’amis, Zéro se retrouve seul pour tenter d’arrêter la CIA, tout en essayant en même temps de sauver sa famille, prise pour cible.Pourtant, au fur et à mesure qu’il creuse, un autre complot plus néfaste encore fait surface, le contraignant à n’avoir plus confiance en personne et à tout risquer pour sauver le pays qu’il aime.LE FICHIER ZÉRO (Volume #5) est un thriller d’espionnage que vous n’arriverez pas à reposer une fois que vous l’aurez commencé. Il vous tiendra éveillé, à tourner ses pages, jusque tard dans la nuit. Le volume #6 de la série L’AGENT ZÉRO est à présent également disponible.“Une écriture qui élève le thriller à son plus haut niveau.”--Midwest Book Review (à propos de Tous Les Moyens Nécessaires)“L’un des meilleurs thrillers que j’ai lus cette année.”--Books and Movie Reviews (à propos de Tous Les Moyens Nécessaires)Jack Mars est également l’auteur de la série best-seller de thrillers LUKE STONE (7 volumes), qui commence par Tous Les Moyens Nécessaires (Volume #1), téléchargeable gratuitement, avec plus de 800 avis cinq étoiles !







L E F I C H I E R Z É R O



(UN THRILLER D’ESPIONNAGE DE L’AGENT ZÉRO—VOLUME 5)



J A C K M A R S


Jack Mars



Jack Mars est actuellement l’auteur best-seller aux USA de la série de thrillers LUKE STONE, qui contient sept volumes. Il a également écrit la nouvelle série préquel L’ENTRAÎNEMENT DE LUKE STONE, ainsi que la série de thrillers d’espionnage L’AGENT ZÉRO.



Jack adore avoir vos avis, donc n’hésitez pas à vous rendre sur www.jackmarsauthor.com (http://www.jackmarsauthor.com) afin d’ajouter votre mail à la liste pour recevoir un livre offert, ainsi que des invitations à des concours gratuits. Suivez l’auteur sur Facebook et Twitter pour rester en contact !



Copyright © 2019 par Jack Mars. Tous droits réservés. À l’exclusion de ce qui est autorisé par l’U.S. Copyright Act de 1976, aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, distribuée ou transmise sous toute forme que ce soit ou par aucun moyen, ni conservée dans une base de données ou un système de récupération, sans l’autorisation préalable de l’auteur. Ce livre numérique est prévu uniquement pour votre plaisir personnel. Ce livre numérique ne peut pas être revendu ou offert à d’autres personnes. Si vous voulez partager ce livre avec quelqu’un d’autre, veuillez acheter un exemplaire supplémentaire pour chaque destinataire. Si vous lisez ce livre sans l’avoir acheté, ou qu’il n’a pas été acheté uniquement pour votre propre usage, alors veuillez le rendre et acheter votre propre exemplaire. Merci de respecter le dur labeur de cet auteur. Il s’agit d’une œuvre de fiction. Les noms, personnages, entreprises, organismes, lieux, événements et incidents sont tous le produit de l’imagination de l’auteur et sont utilisés de manière fictive. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, n’est que pure coïncidence.


LIVRES DE JACK MARS



SÉRIE DE THRILLERS LUKE STONE

TOUS LES MOYENS NÉCESSAIRES (Volume #1)

PRESTATION DE SERMENT (Volume #2)

SALLE DE CRISE (Volume #3)



L’ENTRAÎNEMENT DE LUKE STONE

CIBLE PRINCIPALE (Tome #1)

DIRECTIVE PRINCIPALE (Tome #2)

MENACE PRINCIPALE (Tome #3)



UN THRILLER D’ESPIONNAGE DE L’AGENT ZÉRO

L’AGENT ZÉRO (Volume #1)

LA CIBLE ZÉRO (Volume #2)

LA TRAQUE ZÉRO (Volume #3)

LE PIÈGE ZÉRO (Volume #4)

LE FICHIER ZÉRO (Volume #5)

LE SOUVENIR ZÉRO (Volume #6)


LE PIÈGE ZÉRO (Volume #4) - Résumé



Une nouvelle menace émane du pouvoir et elle pourrait secouer les fondements mêmes des États-Unis. Il appartient à l’agent de la CIA Kent Steele de démêler tous les fils et de démasquer le brillant plan de maître mortel avant qu’il ne soit exécuté… tout ceci en essayant de rester hors de portée des tirs de ceux qui veulent sa mort.



L’Agent Zéro : Même s’il ne parvient pas à empêcher la Confrérie de détruire le tunnel Midtown de New York, l’Agent Zéro parvient à démanteler cette organisation terroriste et à sauver des milliers de vies. Lors d’une cérémonie de récompenses clandestine à la Maison Blanche, ses souvenirs perdus lui reviennent tout à coup et, avec eux, ce qu’il savait sur la conspiration de guerre.



Maya et Sara Lawson : Maintenant qu’elles savent ce que fait leur père et qui il est, les filles de Zéro comprennent qu’elles sont des cibles potentielles pour ceux qui tentent de lui nuire. Toutefois, elles refusent de devenir des victimes, faisant preuve d’une intelligence et d’une ténacité impressionnantes pour leur âge.



L’Agent Maria Johansson : Maria continue de travailler avec les ukrainiens, malgré l’insistance de Zéro pour qu’elle coupe les ponts avec eux. Même si le fait de mettre un terme à la guerre est crucial pour elle, elle est également déterminée à découvrir si son père, un haut membre du Conseil de la Sécurité Nationale, est impliqué dans la conspiration du gouvernement… et si ce n’est pas le cas, ce qui pourrait lui arriver s’il ne cède pas.



L’Agent Todd Strickland : Le jeune agent de la CIA et ancien Ranger de l’armée tombe des nues quand son ami l’Agent Zéro lui apprend le complot fomenté par le gouvernement. Mais maintenant qu’il est au courant, il est bien décidé à faire tout son possible pour y mettre un terme et empêcher des innocents de mourir pour rien.



Le Dr. Guyer : Le brillant neurologue suisse qui a installé le suppresseur de mémoire dans la tête de l’Agent Zéro a tenté de faire revenir ses souvenirs grâce à une machine qu’il a inventée. Il pense que le processus a échoué et il ne sait pas que les souvenirs de Zéro sont revenus par la suite.



L’Agent Talia Mendel : L’agente israélienne du Mossad a aidé à déjouer le complot de la Confrérie à Haïfa et à New York. Ignorant tout de la conspiration, Mendel ne cache pas qu’elle apprécie l’Agent Zéro et qu’elle le trouve attirant, désireuse de l’aider autant qu’elle le peut.



Fitzpatrick : Chef de la “force de sécurité privée” connue sous le nom de Division, Fitzpatrick est envoyé aux trousses de l’Agent Zéro par la Directrice Adjointe Ashleigh Riker afin de l’intercepter à New York. Fitzpatrick est heurté par une voiture conduite par Talia Mendel et ses chances de survie restent encore incertaines.


Contenu



CHAPITRE UN (#u8718ab16-77be-54a1-b90d-117282a0c561)

CHAPITRE DEUX (#u4b896cd9-cfc4-5726-8bcf-4c4afc4c5195)

CHAPITRE TROIS (#ufc21bc4f-fe1c-5f0d-b4b1-3b5932df79f4)

CHAPITRE QUATRE (#u859aaab4-e38d-562b-b0d4-b1f62987a0e3)

CHAPITRE CINQ (#u3f0d7d9e-f330-562d-920d-8e2457a0fa52)

CHAPITRE SIX (#u170f9f5a-9640-569b-bfe5-94fbceaaa6f4)

CHAPITRE SEPT (#u240a69f1-857f-50e8-9959-cb51b825dafa)

CHAPITRE HUIT (#u279e8101-09e5-5649-b9b4-745241542785)

CHAPITRE NEUF (#litres_trial_promo)

CHAPITRE DIX (#litres_trial_promo)

CHAPITRE ONZE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE DOUZE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE TREIZE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE QUATORZE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE QUINZE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE SEIZE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE DIX-SEPT (#litres_trial_promo)

CHAPITRE DIX-HUIT (#litres_trial_promo)

CHAPITRE DIX-NEUF (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-ET-UN (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-DEUX (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-TROIS (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-QUATRE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-CINQ (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-SIX (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-SEPT (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-HUIT (#litres_trial_promo)

CHAPITRE VINGT-NEUF (#litres_trial_promo)

CHAPITRE TRENTE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE TRENTE-ET-UN (#litres_trial_promo)

CHAPITRE TRENTE-DEUX (#litres_trial_promo)

CHAPITRE TRENTE-TROIS (#litres_trial_promo)

CHAPITRE TRENTE-QUATRE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE TRENTE-CINQ (#litres_trial_promo)

CHAPITRE TRENTE-SIX (#litres_trial_promo)

CHAPITRE TRENTE-SEPT (#litres_trial_promo)

CHAPITRE TRENTE-HUIT (#litres_trial_promo)

CHAPITRE TRENTE-NEUF (#litres_trial_promo)

CHAPITRE QUARANTE (#litres_trial_promo)

CHAPITRE QUARANTE-ET-UN (#litres_trial_promo)

CHAPITRE QUARANTE-DEUX (#litres_trial_promo)




CHAPITRE UN


Je suis l’Agent Zéro.

Il le savait déjà, du moins depuis quelques mois, depuis que le suppresseur de mémoire avait violemment été retiré de sa tête par le trio de terroristes iraniens qui travaillait pour Amon. Mais là… ça n’avait rien à voir avec le simple fait d’être au courant. C’était une conscience, un sentiment d’être et d’appartenance qui s’était manifesté aussi vite et aussi pernicieusement qu’une attaque cardiaque.

“Agent Zéro ?” demanda le Président Eli Pierson. “Avez-vous besoin de vous asseoir ?”

Reid Lawson se trouvait dans le Bureau Ovale, avec le Président des États-Unis debout devant lui, un sourire aux lèvres mais l’air perplexe. Dans ses mains, le président tenait une boîte polie en bois sombre. Le couvercle était ouvert et, nichée dans un petit coussin de velours, on reconnaissait l’Honorable Croix du Renseignement, la plus haute distinction que la CIA pouvait décerner.

À peine une minute plus tôt, Reid n’aurait su dire s’il s’était déjà rendu ou non à la Maison Blanche. Mais, à présent, il se souvenait de tout. Il était déjà venu plusieurs fois, lors de réunions clandestines exactement comme celle-ci, afin que le président puisse le féliciter pour des opérations réussies.

Moins d’une minute plus tôt, le président avait dit, “ Je suis désolé. Directeur Mullen, est-ce qu’on dit la Fleur, la Croix ou l’Étoile du Renseignement ? Je ne me souviens jamais laquelle des trois.”

Et voilà que c’était arrivé. Ces deux seuls mots avaient tout déclenché :

Des trois.

Ces mots s’étaient logés dans l’esprit de Reid, envoyant une décharge électrique courir le long de son dos.

Détroit.

Les vannes s’étaient alors soudain ouvertes sans prévenir. C’était comme si un intrus avait ouvert en grand la porte de son cerveau, forçant le passage à l’intérieur pour en faire sa nouvelle maison. Aussi soudainement qu’une ampoule s’allume, il se souvenait.

Il se rappelait tout.

Pourchasser des terroristes dans la Bande de Gaza. Appréhender des fabricants de bombes à Kandahar. Raids nocturnes sur les bases. Briefings, debriefings, maniement des armes, entraînements au combat, leçons de pilotage, langues, techniques d’interrogation, interventions rapides… En une demi-seconde, le barrage dans le système limbique de Reid s’était ouvert et l’Agent Zéro avait surgi à l’intérieur. C’était trop. C’était trop à gérer tout d’un coup. Ses mains tremblaient. Ses genoux cédèrent et il s’affaissa. Les bras de Maria se resserrèrent autour de lui avant qu’il ne s’écroule sur la moquette.

“Kent,” dit-elle d’une voix basse et inquiète. “Est-ce que ça va ?”

“Ouais,” murmura-t-il.

Il faut que je sorte d’ici.

“Je vais bien.”

Je ne vais pas bien du tout.

“C’est, euh…” Reid se râcla la gorge et s’efforçant de tenir debout sur ses jambes chancelantes. “Ce sont juste les médicaments contre la douleur, pour ma main. Ils m’étourdissent un peu. Mais je… je vais bien.” Sa main droite était recouverte de couches de bande et de scotch, cachant des broches métalliques, après que le terroriste Awad Ben Saddam l’ait écrasée avec l’ancre d’un bateau à moteur. Neuf des vingt-sept os de sa main avaient été cassés.

Et même s’il ressentait encore une douleur lancinante une minute auparavant, il ne sentait plus rien à présent.

Pierson sourit. “Je comprends. Personne ici ne vous en tiendra rigueur si vous vous asseyez.” Le président ét ait un homme charismatique, jeune pour cette fonction à seulement quarante-six ans à l’approche du terme de son premier mandat. C’était un excellent orateur, plébiscité par la classe moyenne, et il s’était comporté en ami avec Zéro. À présent, ce dernier savait que c’était vrai : ses souvenirs le confirmaient.

“ Tout va bien, vraiment.”

“D’accord.” Le président hocha la tête et leva la boîte en bois sombre dans ses mains. “Agent Zéro, c’est un grand honneur et un réel plaisir pour moi de vous décerner cette Honorable Croix du Renseignement.”

Reid fit un signe de tête en s’efforçant de se tenir debout bien droit et stable pendant que Pierson soulevait le couvercle pour révéler la médaille en or de huit centimètres, nichée dans la boîte. Il la tendit doucement à Reid qui s’en saisit.

“Merci. Euh, Monsieur le Président.”

“Non,” dit Pierson. “Merci à vous, Agent Zéro.”

Agent Zéro.

La salle se mit à applaudir et Zéro leva rapidement les yeux d’étonnement. Il avait presque oublié qu’il y avait d’autres personnes dans le Bureau Ovale. Debout à gauche du bureau de Pierson, se trouvait le Vice-Président Cole et, à côté de lui, étaient les Secrétaires de la Défense, de la Sécurité Intérieure et d’État. Face à eux, il y avait Christopher Poe, chef du FBI, le Gouverneur Thompson de New York et le Directeur du Renseignement National John Hillis.

À côté du DRN, se trouvait le propre patron de Zéro, le Directeur de la CIA Mullen, ses mains applaudissant de manière exagérée, mais émettant à peine le moindre bruit. Son crâne chauve, entouré d’une auréole de cheveux gris, luisait sous l’éclairage de la pièce. La Directrice Adjointe Ashleigh Riker se tenait à côté de lui, dans son éternel uniforme composé d’une jupe crayon gris anthracite avec un blazer de la même teinte.

Il savait pour eux. Ces gens en train de l’applaudir, il avait rassemblé des renseignements sur chacun d’entre eux qui suggéraient qu’ils étaient impliqués dans le complot. Cette connaissance lui revenait comme si elle n’était jamais partie. Le Secrétaire de la Défense, le Général à la retraite Quentin Rigby, le Vice-Président Cole, même le DRN Hillis, le seul homme à part le Président Pierson à qui Mullen avait des comptes à rendre : personne n’était innocent parmi eux. Ils étaient indignes de confiance. Ils trempaient tous là-dedans.

Deux ans auparavant, Zéro avait découvert le complot, du moins en partie, et il avait monté un dossier. Alors qu’il interrogeait un terroriste sur le site secret E-6 au Maroc, Zéro avait appris l’existence de cette conspiration des États-Unis pour fomenter une guerre au Moyen Orient.

Le détroit… c’était le déclencheur. L’intention des USA était de prendre le contrôle de l’étroit détroit entre le Golfe d’Oman et l’Iran, une voie de passage mondiale pour le transport du pétrole et l’un des emplacements stratégiques maritimes les plus convoités au monde. Ce n’était un secret pour personne que les États-Unis disposaient d’une présence importante dans le Golfe Persique avec une flotte entière, et tout ceci pour une seule raison : protéger leurs intérêts. Et leurs intérêts convergeaient vers une seule ressource.

Le pétrole.

Voilà ce dont il s’agissait. Voilà ce dont il s’était toujours agi. Le pétrole signifiait l’argent et l’argent signifiait que les gens au pouvoir devaient rester au pouvoir.

L’attaque de la Confrérie sur la ville de New York avait été le catalyseur. Une attaque terroriste de grande ampleur était pile le type de provocation dont le gouvernement avait besoin non seulement pour justifier la guerre, mais également pour rallier les américains à un patriotisme abject. Ils avaient vu que ça avait déjà marché après l’attaque du 11 Septembre et avaient gardé cette notion en tête jusqu’à ce qu’ils aient à nouveau besoin de la ressortir.

Awad Ben Saddam, le jeune chef de la Confrérie qui croyait avoir orchestré l’attaque, n’avait été qu’un pion. Il avait involontairement été amené aux conclusions qu’il pensait avoir tirées lui-même. Le marchand d’arme libyen qui avait fourni aux terroristes des drones submersibles était sans doute le lien entre les USA et la Confrérie. Mais il n’existait aucun moyen de le prouver désormais. Le libyen était mort. Ben Saddam était mort. Quiconque en mesure de confirmer les intuitions de Zéro était mort.

Et maintenant, le catalyseur s’était produit. Même si Zéro et sa petite équipe avaient empêché les pertes humaines de grande ampleur espérées par Ben Saddam, il y avait eu des centaines de morts et le tunnel Midtown était détruit. Le peuple américain était meurtri. La xénophobie et l’hostilité envers les moyen-orientaux était déjà en train de se propager à toute vitesse.

Deux ans plus tôt, il avait cru avoir le temps de monter un dossier, de réunir des preuves… mais étaient arrivés Amon, Rais et le suppresseur de mémoire. Maintenant, le temps lui manquait. Les gens qui l’entouraient et qui l’applaudissaient, ces chefs de l’état et du gouvernement, étaient sur le point de déclarer une guerre.

Mais cette fois, Zéro n’était pas seul.

À sa gauche, debout en rang à côté de lui face au bureau du président, se trouvaient des gens qu’il considérait comme ses amis. Ceux en qui il pouvait avoir confiance ou, plutôt, en qui il pensait pouvoir faire confiance.

John Watson. Todd Strickland. Maria Johansson.

Le véritable nom de Watson est Oliver Brown. Il est né et a grandi à Detroit. Il a perdu son fils de six ans d’une leucémie il y a trois ans.

Le vrai prénom de Maria est Clara. Elle te l’a dit après la première nuit que vous avez passée ensemble. Après la mort de Kate.

Non. Après l’assassinat de Kate.

Mon dieu. Kate. Le souvenir l’avait frappé comme un coup de marteau sur la tête. Elle avait été empoisonnée par une toxine puissante qui avait causé un arrêt respiratoire et cardiaque alors qu’elle se rendait à sa voiture en sortant du travail. Zéro avait toujours cru que c’était l’œuvre d’Amon et de leur principal assassin, mais les dernières paroles de Rais avant de mourir n’avaient rien été d’autre que trois lettres.

C-I-A.

Il faut que je sorte d’ici.

“Agents,” dit le Président Pierson, “je vous remercie une nouvelle fois pour vos services au nom du peuple américain.” Il leur fit un grand sourire à tous les quatre, avant de s’adresser à toute l’assemblée présente dans la pièce. “Maintenant, nous avons un excellent déjeuner qui nous attend dans la Salle à Manger de l’֥État, si vous voulez bien me suivre. C’est par ici…”

“Monsieur,” l’interrompit Zéro. Pierson se tourna vers lui, le sourire toujours aux lèvres. “J’apprécie votre proposition mais, si cela ne vous dérange pas, je, euh… Je crois vraiment qu’il faut que j’aille me reposer.” Il leva sa main droite enveloppée, épaisse comme le gant d’un receveur au baseball. “Ma tête somnole à cause des médicaments.”

Pierson hocha profondément la tête. “Bien sûr, Zéro. Vous méritez de prendre du repos et de passer du temps avec votre famille. Même si ça semble un peu incongru de donner une réception sans la présence de l’invité d’honneur, je doute que ce soit la dernière fois que nous nous voyons vous et moi.” Le président sourit à nouveau. “Ce doit être, quoi, la quatrième fois que nous nous rencontrons ainsi ?”

Zéro s’efforça de sourire à son tour. “La cinquième, si je ne me trompe pas.” Il serra une fois de plus la main du président, maladroitement et de la main gauche. Alors qu’il quittait le Bureau Ovale, escorté par deux agents des Services Secrets, il ne put s’empêcher de noter l’expression sur les visages de Rigby et de Mullen.

Ils ont l’air méfiants. Savent-ils que je sais ?

Tu deviens paranoïaque. Il faut que tu te casses d’ici et que tu réfléchisses.

Ce n’était pas de la paranoïa. Alors qu’il suivait les deux agents en costumes noirs dans le couloir, une alarme se mit à sonner dans sa tête. Il réalisa ce qu’il venait juste de faire. Comment ai-je pu être aussi négligent ! se gronda-t-il.

Il venait juste d’admettre devant tous les conspirateurs présents dans le Bureau Ovale qu’il se souvenait précisément du nombre de fois où il avait été félicité personnellement par Pierson.

Peut-être qu’ils n’y ont pas fait attention. Mais si, bien sûr. En arrêtant la Confrérie, Zéro s‘était très clairement présenté comme le principal obstacle en travers de leur chemin. Ils étaient conscients que Zéro savait des choses, du moins en partie. Et s’ils avaient le moindre doute sur le fait que sa mémoire soit revenue, il serait encore plus surveillé qu’avant.

Tout ceci voulait dire qu’il devait agir plus vite qu’eux. Ceux qu’il venait de laisser dans le Bureau Ovale étaient déjà en train de dérouler leur plan et Zéro était la seule personne qui en savait assez pour les arrêter.



*



Dehors, c’était une belle journée de printemps. Le temps était finalement en train de changer. Le soleil semblait chaud sur sa peau et les cornouillers de la pelouse de la Maison Blanche commençaient juste à se parer de petites fleurs blanches. Mais Zéro le remarqua à peine. Sa tête tournait. Il fallait qu’il s’éloigne de l’afflux de stimuli pour pouvoir traiter toutes ces informations soudaines.

“Kent, attends,” appela Maria. Strickland et elle pressaient le pas pour le rejoindre, alors qu’il marchait vers le portail. Il ne se dirigeait pas vers le parking pour retourner à la voiture. D’ailleurs, il ne savait pas vraiment où il allait en ce moment. Il n’était plus sûr de rien. “Tu es sûr que ça va ?”

“Ouais,” murmura-t-il sans ralentir. “J’ai juste besoin d’un peu d’air.”

Guyer. Il faut que je contacte le Dr. Guyer pour lui dire que la procédure a finalement marché.

Non. Je ne peux pas faire ça. Ils ont peut-être mis mon téléphone sur écoute. Et ils surveillent certainement aussi mes e-mails.

Est-ce que j’ai toujours été aussi paranoïaque ?

“Hé.” Maria l’attrapa par l’épaule et il pivota pour lui faire face. “Parle-moi. Dis-moi ce qui se passe.”

Zéro plongea son regard dans ses yeux gris, regarda la façon dont ses cheveux blonds tombaient en cascade sur ses épaules et le souvenir d’eux ensemble s’insinua à nouveau dans sa tête. La chaleur de sa peau. La forme de ses hanches. Le goût de sa bouche sur la sienne.

Mais il y avait autre chose. Il comprit qu’il s’agissait de la culpabilité. Kate n’avait pas encore été tuée. Est-ce que nous… est-ce que j’ai… ?

Il chassa cette pensée de sa tête. “Comme je l’ai dit, ce sont les médicaments. Ils embrouillent vraiment mon esprit. Je n’arrive pas à réfléchir.”

“Laisse-moi te ramener chez toi,” proposa Strickland. L’Agent Todd Strickland n’avait que vingt-sept ans, mais il possédait un palmarès impeccable en tant que Ranger de l’Armée et s’était rapidement illustré à la CIA. Il portait toujours une coupe de cheveux de style militaire par-dessus un cou massif et un torse musclé, même s’il était tout aussi capable de se montrer doux et abordable si la situation l’exigeait. Et le plus important était qu’il s’était plus d’une fois comporté comme un ami en cas de besoin.

Même si Zéro savait tout ça, pour le moment il avait besoin d’être seul. Il lui paraissait impossible de réfléchir correctement avec des gens en train de lui parler. “Non, ça va aller. Merci.”

Il voulut se retourner, mais Maria le retint une fois de plus par l’épaule. “Kent…”

“J’ai dit que ça allait !” cria-t-il.

Maria ne broncha pas à son éclat de voix, mais elle plissa légèrement les yeux en plongeant son regard dans le sien, cherchant apparemment à comprendre ce qui lui arrivait.

Le souvenir de leur nuit lui revint involontairement et il sentit la chaleur envahir son visage. Nous étions sur une opération, postés dans un hôtel grec à attendre des instructions. Elle m’a séduit. J’ai été faible. Kate était encore en vie. Elle ne l’a jamais su…

“Je dois y aller.” Il recula de quelques pas pour s’assurer que ses deux amis agents ne tentent pas de lui emboîter le pas à nouveau. “Ne me suivez pas.” Puis, il se retourna et s’éloigna, les laissant plantés là, sur la pelouse de la Maison Blanche.

Il avait presque atteint le portail, quand il sentit une présence derrière lui et entendit un bruissement de pas. Il se retourna d’un coup. “Je vous ai dit de ne pas…”

Une petite brune aux cheveux longs s’arrêta net. Elle portait un blazer bleu marine et un pantalon assorti, avec des talons hauts. Elle leva un sourcil en regardant Zéro de curieuse façon. “Agent Zéro ? Je m’appelle Emilia Sanders,” lui dit-elle. “Assistante du Président Pierson.” Elle lui tendit une carte de visite blanche avec son nom et un numéro de téléphone dessus. “Il veut savoir si vous avez réfléchi à sa proposition.”

Zéro hésita. Pierson lui avait précédemment offert un poste au Conseil de la Sécurité Nationale, ce qui l’avait conduit à suspecter l’implication du président, mais il semblait que l’offre était sincère.

Non pas qu’il en voulait, mais il prit tout de même sa carte.

“Si vous estimez avoir besoin de quoi que ce soit, Agent Zéro, n’hésitez surtout pas à m’appeler,” lui dit Sanders. “Je peux me rendre très utile.”

“J’aimerais bien qu’on me ramène chez moi,” admit-il.

“Bien sûr. Je vous envoie quelqu’un immédiatement.” Elle sortit un téléphone mobile et passa l’appel, tandis que Zéro fourrait la carte de visite dans sa poche. La proposition de Pierson était le dernier de ses soucis. Il n’avait aucune idée de combien de temps il lui restait pour agir, à supposer qu’il reste assez de temps tout court.

Qu’est-ce que je fais ? Il ferma les yeux et secoua la tête, comme s’il essayait de chasser la réponse.

726. Ce nombre tournoya rapidement dans sa tête. C’était le numéro d’un coffre-fort dans une banque du centre-ville d’Arlington où il gardait la trace de ses investigations : photos, documents, transcriptions d’appels téléphoniques de ceux qui menaient cette cabale en secret. Il avait payé d’avance pour cinq ans afin d’être tranquille.

“Par ici, Agent.” L’assistante présidentielle, Emilia Sanders, lui fit signe de le suivre alors qu’elle se dirigeait à pas rapides vers un garage et une voiture qui attendait là. Alors qu’ils marchaient, Zéro repensa aux regards méfiants du Général Rigby et du Directeur Mullen. C’était de la paranoïa, rien de plus… du moins, c’était ce qu’il essayait de se dire. Mais même s’il n’y avait qu’une infime chance qu’ils sachent ce qu’il mijotait, ils allaient mettre tous les moyens en œuvre pour l’arrêter. Et pas seulement lui.

Zéro dressa rapidement une liste dans sa tête :

Mettre les filles en sécurité.

Récupérer le contenu du coffre-fort sécurisé.

Arrêter la guerre avant qu’elle ne commence.

Tout ce que Zéro avait à faire était de trouver comment stopper un groupe composé des personnes les plus puissantes au monde, celles qui avaient les bras les plus longs et qui avaient préparé cet événement depuis plus de deux ans avec le soutien de presque toutes les agences gouvernementales dont les États-Unis disposaient et qui avaient tout à perdre.

Juste une journée comme les autres dans la vie de l’Agent Zéro, pensa-t-il amèrement.




CHAPITRE DEUX


À bord de l’USS Constitution, Golfe Persique

16 avril, 18h30



La guerre était bien la dernière chose que le Lieutenant Thomas Cohen avait à l’esprit.

Assis devant un ensemble de radars à bord de l’USS Constitution, en train de regarder les petites formes lumineuses qui serpentaient paresseusement à l’écran, il pensait à sa petite-amie Melanie, chez eux, à Pensacola. Il restait moins de trois semaines avant qu’il soit en permission et puisse rentrer chez lui. Il avait déjà la bague. Il l’avait achetée une semaine plus tôt lors d’une escale d’une journée au Qatar. Thomas doutait qu’il reste encore quelqu’un sur le bateau à qui il ne l’ait pas montrée avec fierté.

Le ciel au-dessus du Golfe Persique était clair et ensoleillé, sans le moindre nuage. Mais Thomas n’allait pas pouvoir en profiter, retiré qu’il était dans un coin du pont avec les épaisses fenêtres blindées obscurcies par la console radar. Il ne pouvait s’empêcher d’envier légèrement celui qui se trouvait sur le pont et avec qui il communiquait par radio, le jeune homme ayant visuellement en ligne de mire les bateaux qui, pour Thomas, n’étaient que des tâches à l’écran.

Soixante milliards de dollars, songea-t-il avec un sourire amusé. Voilà le montant annuel que les États-Unis dépensaient pour maintenir une présence dans le Golfe Persique, la Mer d’Arabie et le Golfe d’Oman. La Cinquième Flotte de l’US Navy considérait Bahreïn comme son QG et était constituée de plusieurs forces opérationnelles avec des routes spécifiques de patrouilles le long des côtes d’Afrique du Nord et du Moyen Orient. Le Constitution, un bateau de type destroyer, faisait partie de la Force Opérationnelle Combinée 152, qui patrouillait dans le Golfe Persique depuis son extrémité nord jusqu’au Détroit d’Hormuz, entre Oman et l’Iran.

Chez lui, les amis de Thomas trouvaient ça tellement cool qu’il travaille sur un destroyer de l’US Navy. Il ne les contredisait pas. Mais, en réalité, il vivait seulement une étrange existence répétitive et relativement ennuyeuse. Il était assis dans une merveille d’ingénierie équipée de la meilleure technologie et d’assez d’armes pour dévaster la moitié d’une ville. Pourtant, leur seul but se résumait essentiellement à ce que Thomas était en train de faire en ce moment-même : surveiller des tâches sur un écran radar. Toute cette puissance de frappe, tout cet argent et tous ces hommes pour sortir vainqueurs au cas où une situation de menace se produirait.

Ça ne voulait pas dire pour autant qu’il ne se passait jamais rien d’excitant. Thomas et les autres types qui étaient là depuis un an ou plus s’amusaient à observer la nervosité chez les nouveaux arrivants la première fois qu’ils entendaient dire que les iraniens allaient leur tirer dessus. Ça n’arrivait pas tous les jours, mais c’était assez fréquent. L’Iran et l’Irak étaient des territoires dangereux et ils se devaient au moins de sauver les apparences, supposait Thomas. De temps à autres, le Constitution recevait des menaces de la Marine du Corps des Gardiens de la Révolution Islamique, la force maritime iranienne dans le Golfe Persique. Leurs bateaux s’approchaient d’un peu trop près et, parfois même, lors des jours particulièrement excitants, ils tiraient quelques roquettes. En général, ils tiraient dans la direction totalement opposée aux bateaux américains. Esbroufe, se disait Thomas. Mais les jeunes recrues se pissaient dessus et ils faisaient encore l’objet de plaisanteries quelques semaines après.

Le trio de traînées à l’écran approchait toujours plus près de leur emplacement, arrivant depuis le nord-est. “Gilbert,” dit Thomas dans la radio, “qu’est-ce que tu vois de beau là-haut ?”

“Oh, c’est un très bel après-midi. Pas loin de dix degrés et ensoleillé,” dit l’Officier Gilbert dans la radio, faisant de son mieux pour dissimuler le rire dans sa voix. “Humidité faible. Vent d’environ huit kilomètres heure. Si je ferme les yeux, on dirait la Floride au début du printemps. Comment ça va, vous, là-dedans ?”

“Crétin,” murmura le Lieutenant Davis, l’officier des communications assis à côté de Thomas devant les écrans radar. Il sourit et dit dans la radio, “Désolé, Officier Gilbert ? Peux-tu répéter ça pour ton lieutenant ?”

Thomas rigola, tandis que Gilbert laissait échapper un léger soupir. “D’accord, d’accord,” dit le jeune homme posté sur le pont supérieur. “J’ai en visuel trois bateaux CGRI venant du nord-est et avançant à environ quatorze nœuds, apparemment à un peu plus de huit-cents mètres de nous.” Puis il se hâta d’ajouter, “Monsieur.”

Thomas hocha la tête, impressionné. “Tu es efficace. Ils sont à neuf-cents mètres. Quelqu’un veut parier là-dessus ?”

“Je mets un billet de cinq sur le fait qu’ils vont changer de cap à six-cents mètres,” dit Davis.

“J’en suis et je surenchéris,” dit le Maître de Pont Miller derrière lui en pivotant sur sa chaise. “Dix dollars qu’ils continuent jusqu’à cinq-cents mètres. Tu suis, Cohen ?”

Thomas secoua la tête. “Certainement pas. La dernière fois, vous m’avez fait perdre vingt-cinq dollars.”

“Et il doit économiser pour son mariage,” plaisanta Davis en lui donnant un coup de coude.

“Vous êtes tous de petits joueurs,” dit Gilbert dans la radio. “Ces types sont des cowboys, je le sens. Un dénommé Monsieur Jackson dit qu’ils vont non seulement approcher jusqu’à quatre-cents mètres, mais qu’on verra aussi une bite iranienne à l’image.”

“Ne sois pas grossier,” dit Davis à l’attention de Gilbert pour sa métaphore obscène des CGRI tirant une roquette.

“Ce serait un sacré événement,” murmura Miller. “La chose la plus excitante qui se soit produite ici en deux semaines, c’est quand il y a eu des enchilada à la cantine.”

Le Lieutenant Cohen était pleinement conscient qu’un observateur extérieur les prendrait pour des fous à faire de petits paris sur le fait qu’un navire tire ou non un missile. Mais après tant de soi-disant confrontations qui ne débouchaient sur rien du tout, les occasions de s’amuser un peu étaient rares. De plus, les règles d’engagement des USA étaient claires : ils n’ouvriraient pas le feu tant qu’on ne leur aurait pas directement tiré dessus en premier et les iraniens le savaient. Le Constitution était exactement ce qu’impliquait sa classe : un destroyer. Si une roquette passait assez près pour qu’ils en sentent la chaleur, ils pouvaient anéantir le navire CGRI en quelques secondes.

“Ils viennent de passer les six-cents mètres et continuent de se rapprocher,” annonça Thomas. “Désolé, Davis. Tu as perdu.”

Il haussa les épaules. “On ne peut pas gagner à tous les coups.”

Thomas fronça les yeux en regardant les écrans. On aurait dit que les deux navires de chaque côté du troisième viraient de bord, mais que le bateau central continuait tout droit. “Gilbert, qu’est-ce que tu vois.”

“Aïe, aïe.” Il y eut un moment de silence avant que l’officier ne dise. “On dirait que deux des bateaux virent vers le sud-est et le sud-ouest. Mais je pense que le troisième bateau veut copiner avec nous. Qu’est-ce que je t’avais dit, Cohen ? Des cowboys.”

Miller soupira. “Où est le Capitaine Warren ? Nous devrions l’alerter…”

“Le Capitaine est sur le pont !” cria soudain une voix puissante. Thomas se leva de son siège et fit un salut crispé, tout comme les quatre autres officiers présents dans la salle de contrôle.

Le second entra en premier, un homme grand à la mâchoire carrée qui avait l’air beaucoup plus grave que d’habitude. Il fut suivi de près par le Capitaine Warren, son léger embonpoint forçant un peu sur les boutons du bas de sa chemise à manches courtes. Sur la tête, il portait une casquette de baseball de la Navy, dont le bleu marine semblait presque noir sous l’éclairage du pont.

“Repos,” dit Warren sur un ton bourru. Thomas se rassit lentement sur son siège en échangeant un regard avec Davis. Le capitaine était certainement au courant pour les trois bateaux CGRI en approche et le fait qu’il soit ici alors que ces trois navires s’approchaient de plus en plus signifiait qu’il se passait quelque chose d’anormal. “Ouvrez grand vos oreilles et écoutez-moi bien, car je vais vous dire rapidement les choses.” Le capitaine fronça profondément les sourcils. Il avait coutume de froncer les sourcils et, d’ailleurs, Thomas ne se souvenait pas avoir déjà vu Warren sourire. Mais ce froncement-là semblait particulièrement inhabituel. “Les ordres viennent tout juste de tomber. Il y a eu un changement dans les règles d’engagement. Tout bateau qui ouvre le feu à moins de huit-cents mètres de distance doit être considéré comme étant hostile et traité avec une volonté de préjudice extrême.”

Thomas cligna des yeux à ce flot soudain de paroles et eut même du mal à saisir au départ.

Le Maître de Pont Miller, interloqué, s’aventura à prendre la parole, “Traité ? Vous voulez dire détruit ?”

“C’est exact, Miller,” dit le Capitaine Warren en regardant le jeune homme dans les yeux. “Je veux dire détruit, démoli, effacé, dévasté, écrasé et/ou anéanti.”

“Euh, Monsieur ?” intervint Davis. “S’il ouvre le feu ? Ou qu’il tire sur nous ?”

“On riposte avec une arme pouvant causer des pertes humaines, Lieutenant,” lui répondit le Capitaine Warren. “Qu’il nous vise ou pas.”

Thomas n’arrivait pas à croire ce qu’il venait d’entendre. Le CGRI avait tiré des roquettes à de nombreuses reprises depuis qu’il était à bord du Constitution, dont plusieurs fois à moins de huit-cents mètres d’eux. Il trouvait extrêmement bizarre et fortuit que les règles d’engagement aient changé si vite… et pile au moment où le navire iranien fondait sur eux.

“Écoutez,” dit Warren, “je n’aime pas ça plus que vous, mais vous savez tous ce qui s’est passé. Franchement, je suis surpris que le gouvernement ait mis si longtemps à réagir. Mais voilà, nous y sommes maintenant.”

Thomas savait exactement ce à quoi faisait référence le capitaine. Quelques jours auparavant, une organisation terroriste avait tenté de faire sauter l’USS New York, un destroyer Arleigh-Burke stationné dans le Port d’Haïfa en Israël. Et à peine deux jours plus tôt, la même cellule rebelle avait fait exploser un tunnel sous-marin à New York. Le Capitaine Warren avait réuni tout l’équipage dans le mess pour leur apprendre la triste nouvelle. La CIA avait eu vent de l’attaque seulement quelques heures avant qu’elle n’ait lieu et avait réussi à sauver de nombreuses vies. Toutefois, des centaines de personnes avaient tout de même péri et il y en avait encore beaucoup qui étaient toujours portées disparues. L’ampleur de l’attaque restait loin de celle du 11 Septembre, mais c’était tout de même l’une des attaques les plus importantes de ces cent dernières années sur le sol américain.

“C’est le monde dans lequel nous vivons maintenant, mes garçons,” dit Warren en secouant la tête de dépit. Il pensait clairement la même chose que Thomas. Ils pensaient tous pareil.

“Il change de cap,” dit Gilbert à travers la radio, tirant Thomas de ses pensées pour revenir sa console. L’officier avait raison : le troisième bateau était soudain devenu timide à cinq-cents mètres et bifurquait vers l’ouest. “On dirait bien que j’ai perdu vingt dollars.”

Thomas laissa échapper un soupir de soulagement. Dans une minute, le bateau serait à plus de huit-cents mètres de distance et le Constitution poursuivrait sa patrouille à l’est vers le détroit. S’il vous plaît, ne faites rien de stupide, pensa-t-il en disant, “Le navire CGRI est à quatre-cent-cinquante mètres et se dirige vers l’est. On dirait bien qu’on ne l’intéresse pas, Monsieur.”

Warren acquiesça d’un signe de tête. S’il était aussi soulagé que Thomas, il n’en laissait rien paraître. Le lieutenant comprenait aisément pourquoi : les règles d’engagement avaient changé soudainement. Combien de temps faudrait-il avant qu’ils ne se retrouvent dans une autre situation telle que celle-là ?

Le Lieutenant Davis leva soudain les yeux vivement. “Ils nous saluent, Monsieur.”

Le Capitaine Warren ferma les yeux et soupira. “Très bien. Relayez ceci, et fissa.” Plus qu’un simple officier des communications, Davis parlait couramment l’arabe et le farsi. Il traduisit le message du capitaine pendant que Warren le prononçait, écoutant et parlant en même temps. “Ici le Capitaine James Warren de l’USS Constitution. Les règles d’engagement de la Marine des USA ont changé. Vos supérieurs doivent certainement être déjà au courant mais, si ce n’est pas le cas, sachez que nous sommes pleinement autorisés par le gouvernement américain à utiliser la force léthale si le moindre bateau…”

“Tir de roquette !” cria Gilbert dans l’oreille de Thomas.

“Tir de roquette !” répéta Thomas. Avant même qu’il ne sache ce qu’il faisait, il retira le casque de sa tête et se précipita vers les fenêtres. À distance, il vit le navire CGRI, ainsi que la bande rouge vif qui traversa le ciel dans un arc de cercle avec un voile de fumée derrière elle.

Alors qu’il regardait la scène, une deuxième roquette partit du pont du bateau iranien. Elles étaient tirées sur une trajectoire parallèle au Constitution, assez loin pour générer à peine quelques vagues ressenties par le destroyer.

Thomas se tourna vers le capitaine. Le visage de Warren était devenu un peu plus pâle. “Monsieur…”

“Retournez à votre poste, Lieutenant Cohen,” dit Warren d’une voix tendue.

Un nœud d’effroi se forma dans l’estomac de Thomas. “Mais Monsieur, nous ne pouvons pas sérieusement…”

“Retournez à votre poste, Lieutenant,” répéta le capitaine en serrant les dents. Thomas s’exécuta, s’asseyant lentement sur son siège sans toutefois quitter Warren des yeux.

“Ça ne vient pas de l’amiral,” dit-il, comme s’il essayait de leur expliquait ce qu’il savait qu’il allait devoir faire. “Ni même du Chef des Opérations Navales. Ça émane du Secrétaire de la Défense. Est-ce que vous comprenez ? C’est un ordre direct dans l’intérêt de la sécurité nationale.”

Sans dire un mot de plus, Warren s’empara d’un téléphone rouge fixé au mur. “Ici le Capitaine Warren. Tirez les torpilles.” Il y eut un moment de silence, puis le capitaine répéta avec insistance, “Affirmatif. Tirez les torpilles.” Il raccrocha le téléphone, mais sa main resta posée dessus. “Que dieu nous vienne en aide,” murmura-t-il.

Thomas Cohen retint son souffle. Il comptait les secondes. Il venait d’atteindre le chiffre douze quand il entendit la voix de Gilbert, basse, haletante et presque solennelle dans la radio.

“Dieu tout puissant.”

Thomas se leva sans quitter son poste, mais juste pour avoir une vue partielle depuis la fenêtre. Ils n’entendirent aucune explosion à travers la vitre blindée de la cabine du pont, conçue pour supporter de puissants tirs balistiques. Ils ne sentirent aucune onde de choc, absorbée qu’elle fut par le vaste Golfe Persique. Mais il la vit. Il vit la boule de feu orange s’élever dans le ciel tandis que le navire CGRI était, comme il l’avait prédit, détruit en quelques secondes par une rafale de torpilles venant du destroyer américain.

La traînée verte disparut de son écran. “Cible détruite,” confirma-t-il d’une voix basse. Il n’avait aucune idée du nombre de personnes qui venaient d’être tuées. Vingt. Peut-être cinquante. Ou même une centaine.

Davis se leva aussi et regarda par la fenêtre. Alors que le feu orange se dissipait, le navire déchiré sombra rapidement dans les profondeurs du Golfe Persique. C’était peut-être dû à l’angle ou au reflet du soleil, mais il aurait juré voir ses yeux briller sous la menace des larmes.

“Cohen ?” dit-il à voix basse, presque dans un murmure. “Est-ce qu’on vient juste de déclencher la Troisième Guerre Mondiale ?”

Cinq minutes auparavant, la guerre était bien la dernière chose que le Lieutenant Thomas Cohen avait à l’esprit. Mais, à présent, il avait toutes les raisons de croire qu’il ne serait pas chez lui, à Pensacola, dans trois semaines.




CHAPITRE TROIS


“Excusez-moi,” dit Zéro, “pensez-vous pouvoir conduire juste un peu plus vite ?” Il était assis sur la banquette arrière d’une berline noire, tandis que le chauffeur de la Maison Blanche le ramenait à Alexandria, à moins de trente minutes de Washington, DC. Le trajet se déroula quasiment en silence, au grand soulagement de Zéro qui eut quelques précieuses minutes pour pouvoir réfléchir. Ce n’était pas le moment de passer en revue le déluge de nouvelles compétences retrouvées ou d’éléments déverrouillés dans sa tête. Il devait se concentrer sur la tâche à accomplir.

Réfléchis, Zéro. Qui, à ta connaissance, trempe là-dedans ? Le secrétaire de la défense, le vice-président, des membres du congrès, une poignée de sénateurs, des membres de la NSA, du Conseil de la Sécurité Nationale et même de la CIA… Des noms et des visages traversèrent son esprit comme dans une liste déroulante. Zéro inspira d’un coup, tandis qu’une céphalée de tension commençait à se former à l’avant de son crâne. Il avait enquêté sur bon nombre d’entre eux et même trouvé quelques preuves dont il avait enfermé les documents dans son coffre-fort d’Arlington, mais il craignait fort que ce ne soit pas suffisant pour réellement prouver ce qui était en train de se passer.

Son téléphone mobile se mit à sonner dans sa poche mais il décida de ne pas répondre.

Pourquoi maintenant ? Il n’avait pas besoin de ses nouveaux souvenirs pour répondre à cette question-là. C’était une année électorale. Dans un peu plus de six mois, Pierson serait soit réélu pour un second mandat ou alors remplacé par un Démocrate. Et rien ne susciterait plus de soutien qu’une campagne réussie contre un ennemi hostile.

Il était certain que Pierson ne faisait pas partie du complot. D’ailleurs, Zéro se souvint tout à coup que Pierson, lors de sa première année au pouvoir, avait signé un décret pour diminuer la présence militaire américaine en Irak et en Iran. Il était opposé à une nouvelle guerre au Moyen Orient sans provocation… raison pour laquelle ceux qui œuvraient dans l’ombre avaient besoin d’un catalyseur comme la Confrérie.

Et pendant que les USA diminuaient leur présence, les russes augmentaient la leur. Maria avait mentionné le fait que les ukrainiens s’inquiétaient que la Russie tente de s’emparer de sites de production de pétrole dans la Mer Noire. C’était la raison pour laquelle elle s’était prudemment alliée à eux afin de partager des informations. Les conspirateurs américains étaient de mèche avec les russes. Les USA auraient le détroit et les russes obtiendraient la Mer Noire. Les États-Unis ne feraient rien pour empêcher la Russie d’atteindre ses objectifs, et la Russie répondrait de la même façon, peut-être même en les soutenant au Moyen Orient.

Deux des super-puissances mondiales deviendraient plus riches, plus puissantes et quasiment inarrêtables. Et tant qu’elles demeureraient en paix ensemble, il n’y aurait personne pour s’opposer à elles.

Son téléphone sonna à nouveau. C’était un appel en inconnu. Il se demanda un bref instant s’il pouvait s’agir du Directeur Adjoint Cartwright. Le patron direct de Zéro à la Division des Activités Spéciales de la CIA avait été étrangement absent lors de la réunion dans le Bureau Ovale avec le Président Pierson. Des obligations professionnelles l’avaient peut-être retenu, mais Zéro avait des doutes. Toutefois, l’appelant (ou les appelants) n’avait pas laissé de message vocal et Zéro se fichait pas mal de qui pouvait vouloir le joindre à la CIA.

Alors qu’ils se rapprochaient de sa maison de Spruce Street, il passa deux appels. Le premier fut pour l’Université de Georgetown. “C’est le Professeur Reid Lawson. J’ai bien peur d’avoir attrapé un virus. Ce doit être la grippe. Je vais aller voir le médecin aujourd’hui. Pouvez-vous demander au Dr. Ford s’il est disponible pour assurer mes cours ?”

Le deuxième appel fut pour le Third Street Garage.

“Ouais,” répondit le type sur un ton bourru.

“Mitch ? C’est Zéro.”

“Mmh,” grommela le mécanicien comme s’il s’était attendu à son appel. Mitch était un homme qui parlait peu. C’était également une ressource de la CIA qui avait aidé Zéro quand il avait eu besoin de sortir ses filles des griffes de Rais et d’un réseau de trafiquants humains.

“Quelque chose se trame. Je vais peut-être avoir besoin d’une extraction pour deux. Peux-tu rester en standby ?” Les mots sortirent de sa bouche comme s’ils étaient bien rodés… parce que c’était le cas, se dit-il, même s’il ne les avait pas prononcés depuis un bout de temps. Il ne pouvait pas risquer de le demander à Watson ou Strickland : ils étaient probablement surveillés tout autant que lui. Mais Mitch opérait en dehors des radars.

“Compte sur moi,” se contenta de dire Mitch.

“Merci. Je te rappelle.” Il raccrocha. Son premier instinct lui dictait d’emmener ses filles immédiatement dans une planque sécurisée, mais tout changement dans leur emploi du temps habituel ne ferait qu’éveiller les soupçons. L’extraction de Mitch était une mesure de sécurité au cas où il aurait des raisons de croire que les vies de ses filles seraient en danger imminent. Et malgré l’inquiétude suscitée par son sentiment accru de paranoïa, il avait de nombreuses raisons de penser que c’était justifié.

Sa maison de deux étages se trouvait à l’angle d’un lotissement du quartier résidentiel d’Alexandria. De l’autre côté de la rue, se trouvait une maison vacante actuellement à la vente. C’était l’ancienne résidence de David Thompson, agent de terrain de la CIA à la retraite qui avait été tué dans l’entrée de chez Zéro.

Il ouvrit la porte et saisit rapidement le code de sécurité du système d’alarme. Il avait configuré le système pour que ce code soit saisi à chaque fois que quelqu’un entrait ou sortait, peu importe qui se trouvait à la maison à ce moment-là. Si le code n’était pas entré dans les soixante secondes suivant l’ouverture de la porte, une alarme sonnait et la police locale était alertée. En plus du système d’alarme, il y avait des caméras de sécurité, à la fois dehors et dedans, des verrous aux portes et aux fenêtres, ainsi qu’une salle de crise au sous-sol avec une porte de sécurité en acier.

Toutefois, il avait peur que ce ne soit pas suffisant pour assurer la sécurité de ses filles.

Il trouva Maya allongée sur le dos dans le canapé, en train de jouer à un jeu sur son smartphone. Elle avait presque dix-sept ans et oscillait souvent entre l’angoisse soudaine de l’adolescence et la maturité de l’adulte en devenir. Elle avait hérité des cheveux bruns et des traits anguleux de son père, tandis qu’elle tirait son intelligence accrue et son esprit vif de sa mère.

“Salut,” dit-elle sans lever les yeux de l’écran. “Est-ce que tu as mangé avec le président ? Parce que je serais bien partante pour un chinois ce soir.”

“Où est ta sœur ?” demanda-t-il rapidement.

“Dans la salle à manger.” Maya fronça les sourcils et s’assit, percevant l’urgence dans sa voix. “Pourquoi ? Qu’est-ce qui se passe ?”

“Rien pour l’instant,” répondit-il énigmatiquement. Zéro traversa la cuisine et trouva sa plus jeune fille, Sara, assise à table en train de faire ses devoirs.

Elle leva les yeux à cette soudaine intrusion de son père. “Salut, Papa.” Puis elle fronça les sourcils à son tour, prenant conscience que quelque chose ne tournait pas rond. “Tout va bien ?”

“Ouais, ma puce. Je vais bien. Je voulais juste vérifier que vous aussi.” Sans un mot de plus, il monta rapidement à l’étage dans son bureau. Il savait déjà ce dont il avait besoin et où le trouver exactement. Le premier objet était un téléphone à carte prépayée qu’il avait acheté et payé en espèces avec quelques centaines de minutes prépayées dessus. Maya possédait le numéro. Le deuxième était la clé du coffre-fort. Il savait où elle était comme s’il l’avait toujours su. Pourtant, le matin même, il n’aurait su dire à quoi elle servait ou pourquoi il l’avait. La clé se trouvait dans sa vieille boîte de pêche qu’il surnommait sa “boîte à ordures,” remplie de toutes sortes de vieux trucs dont il ne parvenait pas à se débarrasser, même s’ils semblaient totalement inutiles.

Quand il retourna dans la cuisine, il ne fut pas du tout surpris de trouver ses deux filles qui l’attendaient là.

“Papa ?” dit Maya avec hésitation. “Qu’est-ce qui se passe ?”

Zéro prit son téléphone mobile dans sa poche et le laissa sur le comptoir de la cuisine. “Il y a un truc que je dois faire,” dit-il vaguement. “Et c’est…”

Incroyablement dangereux. Monumentalement stupide de le faire seul. Ça vous mettra directement en danger… encore une fois.

“C’est un truc qui fait que des gens vont certainement nous surveiller de près. Et nous devons nous y préparer.”

“Est-ce qu’on va encore retourner dans une planque ?” demanda Sara.

Zéro eut le cœur serré qu’elle ait à poser ce type de question. “Non,” lui répondit-il. Puis il s’en voulut, se rappelant qu’il avait promis d’être honnête avec elles. “Pas encore. Peut-être plus tard.”

“Est-ce que ça a un rapport avec ce qui s’est passé à New York ?” demanda naïvement Maya.

“Oui,” admit-il. “Mais, pour le moment, écoutez-moi bien. Je connais un type, une ressource de la CIA qui s’appelle Mitch. Il est grand, bourru, avec une grosse barbe et une casquette. Il tient le Third Street Garage. Si je lui donne le feu vert, il viendra vous chercher ici pour vous emmener en lieu sûr, dans un endroit que même la CIA ne connaît pas.”

“Pourquoi est-ce qu’on n’y va pas tout de suite ?” demanda Sara.

“Parce que,” répondit franchement Zéro, “il y a de grandes chances que des gens soient déjà en train de nous observer ou, du moins, qu’ils surveillent toute activité suspecte. Si vous n’allez pas à l’école ou que vous faites quoi que ce soit d’inhabituel, ça pourrait les alerter. Vous connaissez la musique : vous ne laissez entrer personne, vous ne partez avec personne et vous ne faites confiance à personne sauf Mitch, l’Agent Strickland, ou l’Agent Watson.”

“Et Maria,” ajouta Sara. “Pas vrai ?”

“Ouais,” murmura Zéro. “Et Maria. Bien sûr.” Il posa la main sur la poignée de la porte. “Je ne serai pas long. Verrouillez derrière moi. J’ai le téléphone à carte. Appelez en cas de besoin.” Il sortit et se dirigea rapidement vers sa voiture, étonné de constater que le souvenir de ce qui s’était passé entre Maria et lui s’insinuait à nouveau dans sa tête.

Kate. Tu l’as trahie.

“Non,” se murmura-t-il à lui-même alors qu’il atteignait la voiture. Il n’aurait pas fait ça. Il aimait Kate plus que tout et plus que quiconque. Alors qu’il se glissait derrière le volant et démarrait la voiture, il chercha dans sa mémoire la moindre indication qui pourrait contredire le fait que Maria et lui aient eu une liaison pendant que Kate était encore vivante. Mais il n’en trouva aucune. Sa relation à la maison avait été heureuse. Kate ignorait tout de son travail en tant qu’agent de la CIA. Elle croyait que ses fréquents voyages étaient pour des invitations à des conférences dans d’autres universités, des recherches pour l’écriture d’un livre d’histoire, des congrès et des conventions. Elle le soutenait totalement en s’occupant de leurs deux filles. Il lui cachait ses blessures et, quand c’était impossible, il se trouvait des excuses bidon. Il était maladroit. Il était tombé. Au moins une fois, il avait été agressé. L’agence l’avait aidé à couvrir ses mensonges et, plus d’une fois, était allée jusqu’à créer de faux rapports de police pour confirmer ses dires.

Elle n’était pas au courant.

Mais Maria, si. Maria avait su tout le temps qu’ils avaient été ensemble pendant que Kate était encore en vie, et elle n’avait rien dit. Tant que la mémoire de Zéro était altérée, elle pouvait bien lui dire tout ce qu’il voulait entendre et lui cacher tout ce qu’il ne savait pas.

Il réalisa soudain à quel point il serrait le volant, alors que les articulations de ses doigts devenaient blanches et que ses oreilles bourdonnaient de colère. On verra ça plus tard. Il y a des choses plus importantes à faire pour le moment, se dit-il en se dirigeant vers la banque pour récupérer les preuves dont il pouvait juste espérer qu’elles seraient suffisantes afin de mettre un terme à tout ça.




CHAPITRE QUATRE


Il y avait peu de trafic en ce début d’après-midi, et Zéro arriva rapidement à la banque d’Arlington. Il grilla deux stops et appuya même sur l’accélérateur au feu orange, se rappelant chaque fois qu’éviter d’attirer les soupçons serait une bonne idée et que toute infraction serait sans aucun doute repérée par le système de la CIA, alertant les conspirateurs de l’agence sur son emplacement.

Mais il n’avait pas vraiment la tête aux règles de circulation. Il avait pris les mesures de précaution pour garder ses filles en sécurité, du moins pour l’instant, et il allait maintenant récupérer ses documents dans le coffre-fort. C’était la partie facile de son plan. Mais, ensuite, ça allait se compliquer. À qui je donne ça ? À la presse ? Non, se dit-il. Ce serait trop galère. Même s’il parvenait à salir la réputation de certains grands noms, le procès pour démettre de ses fonctions la moindre des personnes impliquées serait long et laborieux.

Les Nations Unies ? L’OTAN ? Une fois de plus, les organes politiques et judiciaires altèreraient la réalité des choses. Il lui fallait quelque chose de rapide, porter ce qu’il savait à la connaissance de quelqu’un qui aurait le pouvoir d’agir de façon immédiate et irréversible.

Il connaissait déjà la réponse : Pierson. Si le président était vraiment en dehors du complot, Zéro pouvait faire appel à lui. Il fallait qu’il puisse se retrouver seul avec le président pour lui montrer tout ce qu’il avait et lui dire ce qu’il savait. Le président pouvait arrêter tout ça et démettre de leurs fonctions les responsables. Pierson semblait tenir Zéro en haute estime. Il lui faisait confiance et le traitait avec amitié. Bien que ses manières aient amené Zéro à douter de Pierson et à le prendre en aversion par le passé, il était à présent armé de ses véritables souvenirs et il voyait le président tel qu’il était : un pion dans cette partie. Ceux qui tiraient les fils du pouvoir voulaient quatre années de plus pour pouvoir manipuler les choses à leur guise, d’une manière qui impliquait la longévité, peu importe qui se trouvait à la Maison Blanche.

Il se gara parallèlement au trottoir à deux-cents mètres de la banque, difficilement avec une seule main valide. Avant de sortir de la voiture, il se pencha, ouvrit la boîte à gants et fouilla dedans jusqu’à ce qu’il trouve le petit couteau noir à cran d’arrêt qu’il avait fourré dedans.

Puis, il se hâta de descendre la rue jusqu’à la banque.

Zéro essaya de paraître patient en attendant que les trois clients devant lui finissent leurs affaires, puis il présenta sa carte d’identité à la guichetière, une femme d’âge moyen au sourire aimable et au rouge à lèvres criard.

“Je vais chercher le gestionnaire de la salle des coffres,” lui dit-elle poliment.

Deux minutes plus tard, un homme en costume le conduisit derrière une porte voûtée où se trouvaient les coffres-forts. Il tourna la clé de la petite porte rectangulaire du coffre 726, en sortit la boîte qui se trouvait dedans et la posa sur la table en acier vide, fixée au sol en plein centre de la pièce.

“Prenez votre temps, Monsieur.” Le gestionnaire lui fit un signe de tête et lui laissa un peu d’intimité.

Dès que le type fut parti, Zéro souleva le couvercle de la boîte.

“Non,” murmura-t-il. Il fit un pas en arrière et regarda instinctivement par-dessus son épaule, comme si quelqu’un pouvait se trouver là.

La boîte était vide.

“Non, non.” Il tapa du poing sur la table dans un bruit sourd. “Non !” Tous ses documents avaient disparu, tout ce qu’il avait amassé sur ceux qu’il savait être impliqués dans le complot. La moindre preuve illégalement obtenue pouvant potentiellement pousser des chefs d’état à la démission s’était volatilisée. Photos, transcriptions, e-mails… tout ça s’était évanoui.

Zéro prit sa tête à deux mains et se mit rapidement à faire les cent pas dans la pièce. Il pensa d’abord que le plus vraisemblable était que quelqu’un d’autre, au courant pour les documents, les avait pris. Qui d’autre était au courant pour ce coffre ? Personne. Il en était sûr. Est-ce bien sûr que tu n’as pas donné l’information à quelqu’un et que tu l’as oublié ? Non. Il n’aurait pas fait ça. Il eut presque envie de rire tellement c’était insensé de penser qu’il avait peut-être oublié quelque chose dont il ne connaissait même pas l’existence quelques heures auparavant.

C’est alors que Zéro se souvint d’autre chose, non pas d’un souvenir verrouillé, mais d’un qu’il avait vécu seulement quelques jours plus tôt dans le cabinet du neurochirurgien suisse.

Je dois vous prévenir d’une chose, lui avait dit le Dr. Guyer avant d’effectuer la procédure visant à ramener les souvenirs de Zéro. Si ça marche, certaines des choses dont vous allez vous souvenir pourraient être de l’ordre du subconscient : des rêves, des souhaits, des suspicions de votre vie passée. Tous ces aspects non relatifs à la mémoire ont été supprimés avec vos véritables souvenirs.

Zéro avait froncé les sourcils en entendant ça. Donc vous êtes en train de me dire que si je me souviens des choses, certaines d’entre elles pourraient ne pas vraiment être réelles ?

La réponse du docteur avait été simple, mais peu rassurante. Elles seront réelles pour vous.

Si c’était vrai, raisonna-t-il, ne serait-ce pas possible qu’il ait lui-même déplacé les documents ? Pouvait-il avoir imaginé qu’ils étaient ici, dans le coffre-fort, alors qu’ils étaient ailleurs en vérité ?

Je perds la tête.

Concentre-toi, Zéro.

Il sortit son couteau de sa poche, le déplia et passa soigneusement la pointe tranchante dans la fente du fond de la boîte. Il la bougea doucement d’avant en arrière en faisant bien attention de ne pas laisser de trace sur la boîte, jusqu’à ce que le panneau du fond se détache.

Il poussa un léger soupir de soulagement. La personne qui avait pris ses documents ne connaissait pas l’existence du double-fond qu’il avait installé dans la boîte, à moins d’un pouce au-dessus du véritable fond. Niché en-dessous, se trouvait un seul objet : une clé USB.

Au moins, ils n’ont pas trouvé les enregistrements. Mais est-ce que ce sera suffisant ? Il n’en était pas sûr, mais c’était tout ce qu’il possédait. Il la récupéra, la mit en poche avec son couteau, puis replaça soigneusement le double fond. Ensuite, il remit la boîte en place et referma la porte.

Quand il eut terminé, Zéro retourna vers la conseillère trop maquillée.

“Excusez-moi,” dit-il, “pouvez-vous me dire si quelqu’un d’autre a eu accès à mon coffre-fort durant ces deux dernières années ?”

La femme le regarda en clignant des yeux. “Deux ans ?”

“Oui, s’il vous plaît. Vous gardez une trace de tout ça, je suppose ?”

“Hum… certainement. Un moment.” Ses ongles claquèrent contre les touches du clavier durant une longue minute. “J’ai trouvé. Il n’y a eu qu’un seul accès à votre coffre-fort en deux ans. Quelqu’un est venu il y a deux mois seulement, en février.”

“Ce n’était pas moi,” dit Zéro avec impatience. “Donc qui était-ce ?”

Elle cligna à nouveau des yeux en le regardant, étonnée cette fois. “Eh bien, Monsieur, il s’agit de la seule autre personne autorisée à accéder au coffre-fort, à savoir votre femme, Katherine Lawson.”

Zéro regarda la conseillère avec insistance, ce qui la mit mal à l’aise.

“Non,” dit-il lentement. “C’est impossible. Ma femme est décédée il y a deux ans.”

Elle plissa profondément les coins bariolés de sa bouche comme si elle tombait des nues. “Je suis vraiment navrée de l’apprendre, Monsieur. Et c’est vraiment étrange. Mais… nous demandons une pièce d’identité avec photo et la personne qui a accédé au coffre nous l’a montrée de toute évidence. Le nom de votre femme n’a pas été retiré de la location du coffre après son décès.”

Zéro se souvenait avoir mis son nom sur le contrat de location. Kate ne l’avait pas su à l’époque. Il avait imité sa signature en la désignant comme locataire conjointe du coffre, afin que quelqu’un ait connaissance de tout ça s’il venait à mourir.

Et, seulement deux mois plus tôt, on s’était fait passer pour elle en allant loin au point de créer une fausse pièce d’identité pouvant paraître valide dans une banque, afin de récupérer le contenu de son coffre-fort.

“Je vous assure,” lui dit la guichetière, “que nous allons tirer tout ceci au clair. Le gestionnaire de la salle des coffres vient juste de finir sa journée, mais je peux lui demander de vous contacter demain. Voulez-vous signaler un vol ?”

“Non, non.” Zéro fit un signe négatif de la main. Il ne voulait impliquer aucune autorité légale et que le coffre-fort soit référencé dans le moindre système auquel la CIA pourrait avoir accès. “Rien ne manque,” mentit-il. “N’en parlons plus. Merci.”

“Monsieur ?” l’appela-t-elle, mais il était déjà à la porte.

Quelqu’un est venu ici en se faisant passer pour Kate. Il savait qu’il ne pouvait pas faire grand-chose maintenant. La banque possédait toujours certainement l’enregistrement de la caméra de sécurité pour ce jour-là, mais on ne le laisserait pas y accéder, à moins d’une investigation avec un mandat.

Mais qui ? L’agence était le coupable le plus évident. Avec les larges ressources de la CIA, ils avaient pu créer une pièce d’identité convaincante et envoyer une agente se faire passer pour Kate. Mais Zéro n’avait pas consulté le coffre-fort depuis des années. S’ils étaient au courant depuis cette époque, alors pourquoi avoir attendu jusqu’à il y a deux mois pour en saisir le contenu ?

Parce que je suis revenu. Ils me croyaient mort et quand ils ont su que je ne l’étais pas, ils ont eu besoin de vérifier ce que je savais.

Une autre idée lui vint en tête : Maria. Es-tu sûr que tu ne lui en as jamais parlé ? Pas même en cas d’urgence ? C’était l’un des meilleurs agents sous couverture qu’il connaisse. Elle avait pu trouver un moyen. Mais restait la question de savoir pourquoi elle ferait ça seulement maintenant, pourquoi elle aurait attendu si elle connaissait l’existence du coffre-fort.

Il se sentit soudain fatigué et dépassé. Il avait tant perdu de ce qu’il avait découvert auparavant, le seul petit morceau de preuve potentielle se trouvant désormais sur une clé USB dans sa poche. Il n’avait aucune idée du temps qui lui restait pour s’entretenir seul avec Pierson et essayer de le convaincre de ce qui était en train de se passer en tentant de le persuader de surveiller de plus près les responsables, alors qu’il n’avait presque rien pour étayer ses propos.

Ça lui semblait être une mission impossible. Il réalisa tristement que s’il avait toujours été Reid Lawson, emprisonné dans l’enfer de ses souvenirs partiels en tant qu’Agent Zéro, il aurait peut-être abandonné. Il aurait peut-être récupéré ses filles et fourré dans une valise qu’il pouvait emporter pour fuir quelque part. Le Midwest, peut-être. Il aurait peut-être enfoui sa tête dans le sable et laissé les choses se produire comme c’était prévu. La principale priorité de Reid Lawson était ses filles.

Mais l’Agent Zéro avait une responsabilité. Ce n’était pas juste son travail. Il s’agissait de sa vie. Voilà qui il était vraiment et il n’y avait pas moyen qu’il reste assis sans rien faire à regarder la guerre se déclencher, regarder des personnes innocentes mourir, regarder les militaires américains et les civils du Moyen Orient forcés à entrer dans un conflit qui était conçu pour le bénéficie d’une poignée de mégalomanes soucieux de conserver leurs pouvoirs.

Il entendit des bruits de pas faisant écho aux siens et résista à l’envie de se retourner. Alors qu’il approchait de sa voiture, garée à deux-cents mètres de la banque, il constata que les lourds bruits de pas marchaient quasiment en rythme avec les siens.

À environ trente mètres derrière toi. Il garde ses distances. Les pas sont lourds : probablement un homme d’un mètre quatre-vingt-cinq, entre quatre-vingt-quinze et cent kilos.

Zéro ne s’arrêta pas à sa voiture. Il la dépassa, marcha jusqu’au croisement suivant et s’engagea dans la rue perpendiculaire à droite. En passant devant la boutique d’un fleuriste, la même où il avait une fois acheté des bouquets pour ses filles avant d’aller les récupérer dans une planque située à six pâtés de maisons de là, il regarda à sa périphérie dans la vitre. C’était quelque chose qu’il faisait instinctivement en tant que Reid Lawson, mais ses compétences étaient également revenues avec ses souvenirs. C’était aussi simple que de regarder droit dans un miroir. Sans quitter des yeux le trottoir devant lui, il était en mesure de se concentrer sur l’extrémité des bords de son champ de vision.

Un homme portant un tee-shirt noir traversait la rue pour se diriger vers lui. Il était grand, pesait facilement cent-dix kilos, avec un cou aussi épais que sa tête et des muscles saillants qui testaient les limites des manches de son tee-shirt.

Tiens, tiens, un de plus. Les poils se hérissèrent sur les bras de Zéro, mais les battements de son cœur ne s’emballèrent pas. Sa respiration resta normale. La sueur ne perla pas sur ses sourcils

Il n’était pas paranoïaque. Ils en avaient après lui. Ils savaient. Et il était plus que prêt à relever le défi.




CHAPITRE CINQ


Sans ralentir, Zéro tourna de nouveau à droite, se glissant dans une ruelle étroite entre deux immeubles. Elle faisait à peine deux mètres d’un côté à l’autre, même pas assez large pour être qualifiée d’allée. À peu près au milieu, il s’arrêta et se retourna.

Au bout de la ruelle se trouvait l’un de ses poursuivants. L’homme avait à peu près son âge, un peu plus grand de quelques centimètres, avec un visage nerveux et une barbe de quelques jours sur le menton. Il portait des boots noirs, un jean et une veste en cuir noir.

“Baker,” dit instinctivement Zéro. Cet homme était un membre de la Division, un groupe de sécurité privé que la CIA engageait parfois pour l’assister dans les affaires internationales. C’étaient de véritables mercenaires, le même groupe qui avait tenté de lui ôter la vie moins d’une semaine plus tôt à la base de la Confrérie non loin d’Al-Baghdadi. Le même groupe qui avait tenté d’attaquer l’Agent Watson et de kidnapper ses filles en Suisse.

Mais cet homme en particulier lui était familier. Dès que Zéro vit son visage, il se souvint. En 2013, la Division avait été appelée en renfort à la suite d’une prise d’otage entre une faction d’Al-Qaïda et une douzaine de soldats américains. Baker était parmi eux.

Le mercenaire leva un sourcil. “Tu me connais ?”

Merde. Zéro s’en voulut d’avoir prononcé le nom du type. Il avait montré son jeu. Il haussa les épaules et essaya de noyer le poisson. “Il y a des trucs qui reviennent. Par morceaux.”

Baker sourit. “Je vois, Zéro. Il y avait quoi à la banque ?”

“De l’argent. J’ai effectué un retrait.”

Le mercenaire secoua la tête. “Je ne crois pas. Tu vois, je me suis renseigné. Tu n’as pas de compte là-bas. Mais mes techniciens ont trouvé un coffre-fort à ton nom et celui de ta défunte épouse.”

Zéro vit rouge un moment à cause du commentaire désinvolte sur Kate et il faillit perdre ses nerfs, mais il s’efforça de rester calme.

“Je suppose que tu as bien effectué un retrait,” dit Baker, “mais pas d’argent. Il y avait quoi dans le coffre, Zéro ?”

Suppose ? Soit Baker bluffait, soit l’agence n’avait vraiment pas eu connaissance de l’existence du coffre-fort jusqu’ici. Ce qui voudrait dire que la CIA n’était pas responsable de l’absence des documents. Mais il peut très bien mentir.

Zéro entendit des bruits de pas derrière lui et jeta rapidement un coup d’œil par-dessus son épaule pour voir un type costaud apparaître dans l’angle, à l’autre bout de l’étroite ruelle. Sa tête était entièrement rasée, mais son menton était obscurci par une épaisse barbe brune. Il arborait un affreux sourire aux lèvres. Il aurait très bien pu être joueur de football américain ou lutteur professionnel.

Je ne le connais pas. Ce doit être un nouveau, pensa Zéro ironiquement.

Quand il se retourna vers Baker, le mercenaire à l’air nerveux avait fourré une main dans sa poche. Elle en ressortit lentement et Zéro ne fut pas du tout surpris de la voir tenir un Sig Sauer noir.

“C’est pour quoi faire ? Tu vas me tirer dessus en plein jour ?” Zéro leva sa main droite blessée. “Je n’ai pas d’arme et je n’ai qu’une seule main valide.”

“J’ai vu ce dont tu es capable avec une seule main,” dit Baker nonchalamment en vissant un silencieux au canon de son pistolet. “C’est pour me défendre. Il y avait quoi dans le coffre, Zéro ?”

Zéro haussa les épaules. “Tu devras me tirer dessus en premier.” Comment diable vais-je pouvoir me tirer d’affaire ? Ce n’était pas une ruse quand il disait qu’il n’avait qu’une seule main. Il serait clairement désavantagé s’il devait se battre contre l’un d’entre eux, sans même parler des deux.

“Nous avons pour ordre de ne pas employer de force léthale,” fit remarquer Baker. Il regarda son compagnon bourru derrière Zéro. “Tu en penses quoi, Stevens ? Une balle dans la rotule n’est pas léthale, pas vrai ?”

Le costaud, Stevens, ne répondit pas… du moins pas avec des mots. Il se contenta de grogner.

Force non léthale. Ces deux-là n’avaient pas été envoyés pour le tuer. Ils avaient pour mission de lui prendre ce qu’il avait bien pu récupérer à la banque, et certainement de déterminer s’ils devaient ou non l’amener avec eux. Il est trop tard pour me tuer à présent. Ceux qui menaient la danse avaient besoin de connaître ce qu’il savait et à qui d’autre il en avait parlé. Ce ne serait peut-être pas trop suspect pour ceux qui n’étaient pas impliqués dans le complot si l’Agent Zéro était soudain retrouvé mort. Mais s’il fallait prendre la vie d’autres personnes comme Strickland, Watson et Maria, les gens commenceraient à poser les questions qui fâchent et à fouiner, risquant de découvrir leurs manigances.

Il faut que je trouve un subterfuge. “Alors, comment va Fitzpatrick ?” demanda-t-il d’un ton aussi naturel que possible. Il savait qu’il allait les énerver ainsi, mais il avait besoin de gagner du temps. “La dernière fois que je l’ai vu, il était un peu… amoindri, on va dire.”

Baker plissa légèrement les lèvres. Le chef de la Division, Fitzpatrick, avait été renversé par une voiture sur un parking à New York par l’Agent du Mossad Talia Mendel. D’après ce que Zéro savait, Fitzpatrick était toujours en vie, mais il ne connaissait pas l’étendue de ses blessures.

“Il est vivant,” répondit Baker sans émotion apparente, “malgré les efforts de tes amis. Dix-sept os brisés, un poumon perforé, une perte de vision à l’œil droit.”

Zéro fit claquer sa langue d’un air dépité. “Il faut vraiment que je lui envoie des fleurs…”

Baker leva le pistolet à deux mains. “Ça suffit. Cette discussion est très sympa, mais si tu ne me dis pas ce qu’il y avait dans ce coffre-fort, je vais te tirer dessus. Et ensuite, Stevens traînera ton corps en sang par la cheville jusqu’à un joli petit endroit calme où on pourra te brancher à une batterie de voiture jusqu’à ce que tu nous dises exactement ce dont tu te souviens.”

Zéro plissa le nez. “Ça n’a pas l’air cool.”

Baker tira un coup de feu. L’arme émit un sifflement et un petit morceau de la façade en brique à la droite de Zéro explosa, envoyant de minuscules éclats de pierre contre son visage.

Il leva les mains en un instant. “Wow ! Ok. Bon sang, je vais vous dire tout.” Toutefois, ses pulsations accélérèrent à peine.

J’ai ce qu’ils veulent. C’est moi qui ai le contrôle.

“Il s’agit d’une clé USB avec des informations dessus.”

“Donne-la-nous,” ordonna Baker.

“Est-ce que je peux la chercher dans ma poche ?”

“Lentement,” grommela Baker avec son Sig Sauer pointé sur le front de Zéro.

“Ok.” Zéro montra sa main gauche vide, remua ses doigts, puis fourra lentement sa main dans la poche de son pantalon. Baker est à environ cinq mètres. Avec sa main dans la poche, il saisit la clé USB à deux doigts, la tenant entre l’index et le majeur. Stevens est à peu près à sept mètres. Il prit le couteau à cran d’arrêt dans sa paume en le tenant entre l’annulaire et l’auriculaire, le maintenant avec son pouce. Tout comme la Percée de Tueller.

Ce matin-là, il aurait juré ne jamais avoir entendu le nom de Dennis Tueller, mais quiconque ayant jamais été entraîné à manier le couteau au milieu d’armes à feu le connaissait. En 1983, le Sergent Tueller avait procédé à une série de tests afin de déterminer à quelle vitesse un attaquant avec un couteau pouvait couvrir une distance d’approximativement sept mètres… et si sa cible, avec une arme dans son étui, pouvait réagir à temps.

Moins de deux secondes. C’était le temps moyen qu’il fallait à un attaquant pour courir sur sept mètres, soit la position de Stevens, vers sa cible. Le problème était que l’arme de Baker était déjà dégainée.

Mais pas celle de Stevens.

“Tu la vois ?” Zéro leva la clé USB coincée entre ses deux doigts, gardant bien sa paume invisible pour Baker.

“Lance-la,” demanda Baker. Derrière l’épaule du mercenaire, il vit marcher quelques passants qui discutaient et rigolaient en passant devant l’embouchure de l’étroite ruelle. Parmi eux, un jeune homme jeta un coup d’œil vers eux, mais il ne vit pas le Sig Sauer étant donné que Baker était de dos. Aussi, le jeune homme fronça brièvement les sourcils et continua sa promenade.

Il faut vraiment que je crée une distraction. Mais Zéro ne comptait pas appeler qui que ce soit, car il ne voulait mettre personne en danger.

L’une des mains de Baker quitta le pistoler et il la tendit, paume vers le haut, attendant que Zéro lui lance la clé USB.

Aussi, il s’exécuta. Il recourba son bras en arrière et jeta la clé USB vers Baker dans un mouvement qui la fit s’élever en arc de cercle. En lâchant la clé, il fit glisser le couteau à cran d’arrêt dans sa paume pour le saisir des doigts.

Puis il s’élança comme une flèche, ouvrant le couteau en même temps.

Alors que Baker quittait des yeux sa cible pour regarder la minuscule clé noire voler en arc de cercle dans les airs, Zéro courut depuis sa position… mais pas vers Baker. Il se rua comme un fou vers le type costaud.

Une virgule quatre secondes. Il avait effectué la Percée Tueller un millier de fois, s’étant entraîné pour ce scenario exact, et il s’en rappelait aussi clairement que si ça c’était passé hier. Un pistolet-radar de haute précision sur le terrain d’entraînement de la CIA l’avait chronométré à une moyenne d’une virgule quatre secondes pour atteindre une cible se trouvant approximativement à sept mètres.

La quantité de calculs mathématiques qui lui traversa l’esprit en un instant était impressionnante. Ce savoir avait toujours été là, ancré à la suite d’une somme insensée de gestes répétés et d’études, enfermé dans les tréfonds de son système limbique en attendant l’occasion de surgir à nouveau. La vitesse moyenne de réaction humaine allait d’une demi-seconde à trois-quarts de seconde. Même un professionnel comme Baker avait besoin d’au moins un quart de seconde entre deux tirs sur un pistolet semi-automatique comme le Sig Sauer. Et Zéro était une cible mobile.

Le costaud, Stevens, n’était pas rapide. Il avait à peine libéré son pistolet de son étui, les yeux involontairement écarquillés de surprise à cause de la vitesse à laquelle Zéro fondait sur lui. La lame de son couteau était déjà déployée. Zéro se pencha en avant sur les deux derniers mètres et sauta sur Stevens, enfonçant la pointe de son couteau dans sa gorge d’un mouvement net.

De sa main droite bandée, il prit appui sur la puissante épaule de Stevens et, alors que la lame du couteau ressortait, Zéro se propulsa pour contourner le corps massif du type. Deux coups de feu furent tirés derrière lui, thwip-thwip avec le pistolet équipé du silencieux, et atteignirent Stevens à la poitrine alors que Zéro atterrissait derrière lui. Une horrible douleur vive s’empara de sa main blessée, mais l’adrénaline était là à présent, coulant en lui tandis qu’il laissait tomber le couteau pour récupérer le pistolet de Stevens avant que ce dernier ne s’écroule à terre. Il le lui arracha de son gros poing et, à l’abri derrière son large bouclier humain, tira deux fois sur Baker.

Il était bon tireur de la main gauche, même s’il n’était pas aussi doué qu’avec la droite. L’un des tirs manqua sa cible. Une vitre éclata quelque part, au-delà de la ruelle. Le deuxième tir retentissant (le Beretta de Stevens n’était pas équipé d’un silencieux) s’enfonça dans le front de Baker.

La tête du mercenaire partit en arrière et son corps suivit le mouvement.

Zéro ne demanda pas son reste et ne s’arrêta même pas pour reprendre son souffle. Il se mit à courir de nouveau, récupéra la clé USB au sol, puis partit au pas de course dans la direction opposée pour quitter la ruelle. Il la mit dans sa poche avec le couteau ensanglanté et il emporta aussi le Beretta de Stevens. Il y avait ses empreintes dessus.

Quelque part, retentit une alarme automobile. Les éclats de verre qu’il avait entendus devaient provenir d’une vitre de voiture. Il espéra que personne n’avait été blessé.

La poitrine du mercenaire massif se levait et s’abaissait. Il était encore en vie. Mais Zéro ne pouvait pas se payer le luxe de l’achever ou d’attendre qu’il trépasse. De plus, avec le coup de couteau à la gorge et les deux balles dans la poitrine, il serait mort dans quelques secondes.

Non loin de là, des gens se mirent à crier d’effroi tandis que Zéro sprintait pour atteindre le bout de l’allée, fourrant le flingue dans son pantalon en même temps. Il tourna à l’angle et regarda autour de lui avec un air confus, tentant d’arborer une mine aussi choquée que tous les autres passants.

Alors qu’il se dépêchait de quitter le secteur, il entendit le cri d’une femme qui venait certainement de découvrir les deux corps dans l’étroite ruelle, puis une forte voix masculine cria, “Que quelqu’un appelle le neuf-cent-onze !”

Ils devaient mourir. Il n’y avait pas d’autre solution. Il l’avait su dès l’instant où il avait accidentellement prononcé le nom de Baker et dévoilé ainsi son jeu. Il l’avait su quand il leur avait montré la clé USB récupérée à la banque.

Étrangement, il n’avait aucun remord. Il n’y avait pas de “et si ?” il aurait pu ou pas les dissuader de prendre la clé USB ou leur expliquer son point de vue. C’était eux ou lui et il avait décidé que ce ne serait pas lui. Ils avaient choisi leur camp et c’était le mauvais.

Toute la scène, du lancer de la clé USB jusqu’à sa fuite de la ruelle s’était déroulée en l’espace de quelques secondes. Mais il pouvait visualiser clairement chaque instant comme une vidéo en slow-motion dans son esprit. Le plus étrange avait été quand Baker avait tiré tout près de sa tête et que la balle avait atteint le mur en brique. Zéro ne s’était pas dit que la balle l’avait raté de peu et que Baker aurait bien pu le tuer. Il n’avait pas pensé à ses filles. Au lieu de ça, il avait été parfaitement conscient de la nature dichotomique de son esprit savant face à ses souvenirs redécouverts. Zéro était cool, calme et pensait, peut-être par orgueil, par expérience ou un mix entre les deux, qu’il avait encore le contrôle de la situation.

C’était une sensation bizarre. Et le pire, c’était à quel point c’était effrayant et excitant en même temps. Est-ce vraiment qui je suis ? Reid Lawson était-il un mensonge ? Ou ai-je vécu ma vie pendant deux ans avec seulement les parties les plus faibles de ma psyché ?

Zéro marcha à pas rapides jusqu’à l’immeuble suivant, traversa la rue en direction de la boutique du fleuriste, puis retourna directement à sa voiture. Il vit qu’une foule de voyeurs s’était rassemblée à l’angle de la ruelle, beaucoup choqués ou même en pleurs à la vue des deux corps morts.

Personne ne faisait attention à lui.

Il conduisait tranquillement en respectant les limitations de vitesse et en faisant bien attention de ne pas griller de stop ou de feu. La police était très certainement déjà en route et la CIA saurait dans un moment que des coups de feu avaient été tirés et que deux hommes avaient été abattus à quelques mètres de la banque où s’était rendu Zéro selon le rapport de la Division.

La question était de savoir ce qu’ils allaient faire ensuite. Il n’y avait rien sur la scène du crime qui pouvait réellement le lier à ça. Et la personne qui avait envoyé la Division à ses trousses, Riker présumait-il, ne pourrait pas l’admettre ouvertement. Toutefois, il avait besoin d’une aide, et plus grande que celle qu’il pouvait demander à ses amis agents. Ils étaient certainement surveillés eux aussi. Si la chasse était ouverte sur l’Agent Zéro, alors il allait avoir besoin d’alliés. Et des puissants.

Mais d’abord, il devait mettre ses filles en sécurité.

Dès qu’il se sentit à une distance sûre de la scène macabre dans la ruelle, il s’arrêta à l’arrière d’une station-service. Il balança le pistolet, le couteau et la clé du coffre-fort dans une benne à ordure à l’odeur infame, puis il retourna à la voiture et passa un appel. Il n’y eut que deux sonneries avant que Mitch réponde en marmonnant.

“J’ai besoin d’une extraction tout de suite, Mitch. Il faut qu’on se retrouve quelque part.”

“Meadow Field,” dit immédiatement le mécanicien. “Tu connais ?”

“Oui.” Meadow Field était un aéroport abandonné à environ trente kilomètres au sud. “J’y serai.”




CHAPITRE SIX


Maya écarta les stores vénitiens de la fenêtre près de la porte d’entrée pour la vingtième fois au moins depuis que leur père était parti. Dehors, la rue était vide. Des voitures passaient de temps en temps, mais elles ne ralentissaient pas, ni ne s’arrêtaient.

Elle était morte de trouille en se demandant dans quoi son père s’était fourré cette fois.

Juste par acquis de conscience, elle traversa l’entrée pour se rendre à la cuisine et vérifier une nouvelle fois le téléphone de son père. Il l’avait laissé à la maison, sur silencieux, mais l’écran montrait qu’il avait manqué trois appels depuis son départ.

Apparemment, Maria essayait désespérément de le joindre. Maya avait envie de la rappeler pour lui dire qu’il se passait un truc, mais elle se retint. Si son père avait voulu mettre Maria au courant, il l’aurait contactée directement.

Elle trouva Sara dans la même position qu’une demi-heure plus tôt, assise dans le canapé du salon avec les jambes repliées sous elle. Il y avait un sitcom à la TV, mais le volume était si bas qu’elle pouvait à peine l’entendre. De toute façon, elle ne le regardait pas vraiment.

Maya voyait bien que sa sœur souffrait en silence depuis qu’elles avaient été enlevées par Rais et les trafiquants slaves. Mais Sara ne voulait pas ouvrir son cœur et en parler.

“Hé, Pouêt-Pouêt, ça te dirait de manger un truc ?” demanda Maya. “Je pourrais faire du fromage grillé ? Avec des tomates. Et du bacon…” Elle se lécha les lèvres, espérant distraire sa petite sœur.

Mais Sara secoua à peine la tête. “Pas faim.”

“Ok. Tu veux qu’on parle de quelque chose ?”

“Non.”

Une vague de frustration la submergea, mais Maya n’en montra rien. Il fallait qu’elle soit patiente. Elle aussi était affectée par les événements qu’elles avaient vécus, mais sa réaction avait été la colère et le désir de se venger. Elle avait dit à son père qu’elle avait pour projet de devenir elle-même agent de la CIA et ce n’était pas seulement une provocation d’adolescente. Elle était très sérieuse à ce propos.

“Je suis là,” dit-elle à sa sœur, “si tu ressens le besoin de parler à n’importe quel moment. Tu le sais, pas vrai ?”

Sara leva les yeux vers elle. Un tout petit sourire passa sur ses lèvres… mais, ensuite, ses yeux s’écarquillèrent et elle se redressa soudain. “Tu as entendu ça ?”

Maya écouta attentivement. Elle l’avait entendu : le bruit d’un moteur puissant vrombir tout près. Puis il s’était brusquement arrêté.

“Reste ici.” Elle retourna en vitesse dans l’entrée et, une fois de plus, écarta les stores. Un SUV gris venait de se garer dans leur allée. Ses pulsations s’accélérèrent quand elle vit quatre hommes en sortir. Deux d’entre eux portaient des costumes, alors que les deux autres étaient tout en noir, avec des gilets pare-balles et des boots de combat.

Même à cette distance, Maya put voir l’insigne apposée sur leurs manches. Les deux hommes en noir faisaient partie de la même organisation qui avait tenté de les kidnapper en Suisse. Watson les avait appelés la Division.

Maya se précipita dans la cuisine en glissant sur ses chaussettes, et s’empara d’un couteau à viande sur le comptoir. Sara s’était levée du canapé et se hâta de la rejoindre.

“Descends.” Maya tendit le couteau à sa sœur par le manche. “Va dans la salle de crise. Je te rejoins.”

La sonnette de porte tinta.

“Ne réponds pas,” supplia Sara. “Viens avec moi.”

“Je ne compte pas ouvrir la porte,” lui assura Maya. “Je veux juste savoir ce qu’ils veulent. Vas-y et ferme la porte. Ne m’attends pas.”

Sara prit le couteau et descendit rapidement les marches menant au sous-sol. Maya se faufila sans bruit jusqu’à la porte d’entrée et regarda à travers le judas. Les deux hommes en costume se trouvaient juste devant.

Où sont allés les deux autres ? se demanda-t-elle. Sûrement à la porte de derrière.

Maya sursauta légèrement, alors que l’un des deux hommes frappait soudain à la porte. Puis, il se mit à parler d’une voix assez forte pour qu’on l’entende à l’intérieur. “Maya Lawson ?” Il leva un badge d’identification dans un étui en cuir, alors qu’elle regardait par le judas. “Agent Coulter, FBI. Nous avons quelques questions à vous poser sur votre père.”

Son esprit tournait à cent à l’heure. Une chose était sûre : elle ne comptait pas leur ouvrir la porte. Mais allaient-ils essayer de l’enfoncer ? Devait-elle dire quelque chose ou faire semblant qu’il n’y avait personne à la maison ?

“Mademoiselle Lawson ?” répéta l’agent. “Nous préférerions vraiment ne pas avoir à employer la manière forte.”

De longues ombres dansèrent au sol de l’entrée dans le soleil couchant. Elle leva rapidement les yeux et vit deux formes passer devant la porte arrière, une porte vitrée coulissante qui donnait sur une petite plateforme et un patio. C’étaient les deux autres hommes, ceux de la Division, qui faisaient le tour par derrière.

“Mademoiselle Lawson,” reprit le type. “C’est mon dernier avertissement. Veuillez ouvrir la porte.”

Maya prit une profonde inspiration. “Mon père n’est pas là,” dit-elle d’une voix forte. “Et je suis mineure. Vous allez devoir revenir une autre fois.”

Elle regarda à nouveau dans le judas et vit l’agent du FBI sourire. “Mademoiselle Lawson, je crois que vous mésestimez la situation.” Il se tourna vers son acolyte, un homme plus grand et plus massif. “Enfonce-la.”

Maya eut le souffle coupé et recula de plusieurs pas. Le montant craqua et des éclats de bois volèrent dans les airs, tandis que la porte s’ouvrait.

Les deux agents avancèrent d’un pas dans l’entrée. Maya était scotchée sur place. Elle se demanda si elle arriverait à temps dans la salle de crise en se mettant à courir maintenant vers le sous-sol. Mais si Sara avait fait ce que lui demandait Maya et qu’elle avait verrouillé la porte, elles ne parviendraient jamais à la refermer à temps avant que les agents ne la rattrapent.

Elle devait avoir jeté un coup d’œil vers le sous-sol, car l’agent le plus proche d’elle esquissa un sourire. “Et si tu te contentais de rester ici, jeune demoiselle ?” L’agent qui venait de parler avait les cheveux blonds et un visage qui aurait pu lui sembler amical et agréable s’ils ne venaient pas juste d’enfoncer la porte. Il mit ses deux mains vides en l’air. “Nous ne sommes pas armés. Nous ne voulons pas te faire de mal, ni à ta sœur.”

“Je ne vous crois pas,” répondit Maya. Elle jeta une demi-seconde un œil par-dessus son épaule et vit que les ombres des deux hommes en noir se trouvaient toujours dehors, sur la plateforme.

WHOOP ! WHOOP ! WHOOP ! Une sirène retentit soudain dans la maison, un klaxon assourdissant qui les fit tous trois regarder autour d’eux avec stupéfaction. Il fallut un moment à Maya pour réaliser qu’il s’agissait de leur système d’alarme qui s’était activé quand ils avaient enfoncé la porte et mis en route au bout de soixante secondes, comme prévu, puisque le code n’avait pas été saisi.

La police, pensa-t-elle avec espoir. La police va venir.

“Éteins ça !” lui cria l’agent. Mais elle ne bougea pas.

Puis, du verre se brisa derrière elle. Maya sursauta et se retourna instinctivement à ce bruit, alors que la porte coulissante du patio explosait vers l’intérieur. L’un des hommes en noir passa à travers.

Elle n’eut pas le temps de réfléchir, mais un souvenir lui traversa l’esprit en un instant : l’hôtel à Engelberg, en Suisse. Le type de la Division se faisant passer pour un membre de la CIA, enfonçant la porte pour l’attaquer.

Maya se retourna à nouveau vers les agents du FBI. L’un d’entre eux se tenait près le panneau de l’alarme, mais il était face à elle tandis que l’alarme continuait son vacarme. Les yeux de l’autre agent, celui qui était charmant, étaient ahuris et il levait légèrement les mains en l’air. Sa bouche bougeait, mais ses mots étaient noyés par les cris de l’alarme.

De gros bras l’attrapèrent par derrière et elle se mit à hurler. Elle se débattit contre son assaillant, mais il était fort. Elle sentit une haleine aigre, alors que les bras du type l’enveloppaient étroitement pour l’immobiliser.

Il la souleva en l’air et la maintint ainsi, les jambes dans le vide et les bras forcés à se soulever dans une position douloureuse. Elle n’était pas assez forte pour le combattre.

Relax, lui intima son cerveau. Ne lutte pas. Elle avait pris des cours d’auto-défense à l’université avec un ancien Marine qui l’avait placée exactement dans cette situation : un assaillant plus grand et plus lourd qui l’attrape par derrière.

Maya baissa le menton, qui toucha presque sa clavicule.

Ensuite, elle balança sa tête en arrière aussi fort qu’elle put.

Le type de la Division qui la tenait cria de douleur, tandis que l’arrière de son crâne venait de toucher son nez. Il desserra son emprise et ses pieds touchèrent terre à nouveau. Dès que ce fut le cas, elle fit pivoter son corps, puis baissa la tête pour s’extraire de ses bras et se mettre accroupie.

Elle ne pesait que quarante-huit kilos. Mais tandis qu’elle tombait, le bras de l’homme était toujours autour de son coude et fut soudain plus lourd de quarante-huit kilos, d’autant que son équilibre avait été mis à mal par le coup reçu au visage.

Il tituba et s’écroula sur le carrelage de l’entrée. Maya sauta en arrière hors de portée pendant qu’il tombait. Elle jeta un œil par-dessus son épaule et vit le deuxième membre de la Division debout dans l’encadrement de la porte cassée, apparemment hésitant à agir maintenant qu’elle avait mis son copain à terre.

Elle n’était pas loin de la porte du sous-sol. Elle pouvait tenter de courir se mettre à l’abri dans la salle de crise jusqu’à l’arrivée de la police…

Le mercenaire dans l’encadrement de la porte chercha quelque chose dans son dos et sortit un pistolet noir. Maya eut le souffle coupé en le voyant.

CRACK ! Même avec l’alarme retentissante, ils entendirent le bruit sec tous les deux. Maya et le mercenaire se retournèrent à nouveau.

L’agent du FBI qui avait enfoncé la porte, celui qui était le plus près du panneau de l’alarme, avait la tête coincée dans la cloison de l’entrée. Son corps pendait mollement.

Une silhouette s’élança et balança à nouveau le démonte-pneu qui lui servait d’arme, mettant une puissante baffe sur la mâchoire du deuxième agent Le bruit fit grincer Maya des dents et l’agent s’effondra comme une nouille molle.

Alors que le mercenaire de la Division levait son arme vers la nouvelle menace, le type bourru recula et lança le démonte-pneu dans les airs. Il tournoya et passa à moins d’un mètre de Maya, avant d’atterrir puissamment contre le front du mercenaire. Il émit à peine un son avant que son corps ne tombe en arrière à travers la porte cassée.

Le grand homme portait une casquette de camionneur sur une barbe touffue. Il avait de brillants yeux bleus. Il lui fit un signe de tête et désigna du doigt le panneau de l’alarme.

Maya avait les jambes qui flageolaient quand elle se précipita pour saisir le code. L’alarme finit enfin par s’arrêter.

“Mitch ?” dit-elle dans un souffle.

“Mmh,” marmonna le type. Au sol de l’entrée, le membre de la Division que Maya avait fait tomber tentait de se relever en tenant son nez ensanglanté. “Je m’occupe de lui. Appelle le neuf-cent-onze et dis-leur qu’il n’y a pas de problème.”

Maya fit ce qu’il demandait. Elle se rua vers la cuisine, récupéra le téléphone mobile de son père et composa le 911. Elle vit Mitch le mécanicien marcher jusqu’au mercenaire de la Division et lever un boots marron.

Elle détourna le regard avant qu’il ne l’écrase contre le visage de l’homme.

“Neuf-cent-onze, quelle est l’urgence ?”

“Je m’appelle Maya Lawson. J’habite au 814 Spruce Street à Alexandria. Notre système d’alarme s’est déclenché par accident. J’ai laissé la porte ouverte. Il n’y a pas d’urgence.”

“Je vous demande un moment, Mademoiselle Lawson.” Elle entendit le claquement d’un clavier pendant un moment, puis le standardiste lui dit, “Une patrouille est en route et sera là d’ici trois minutes. Même si vous dites qu’il n’y a pas d’urgence, nous aimerions quand même que quelqu’un vienne s’assurer que tout va bien. C’est le protocole.”

“Tout va bien, vraiment.” Elle leva les yeux vers Mitch d’un air désespéré. Il ne fallait pas qu’un flic se pointe, alors qu’il y avait quatre corps dans la maison. Elle ne savait même pas s’ils étaient morts ou juste inconscients.

“Quand bien même, Mademoiselle Lawson, un officier va venir vérifier. S’il n’y a pas d’urgence, alors ça ne pose aucun problème.”

Mitch fouilla dans une poche de son jean taché d’huile et en sortit un téléphone à rabat qui devait bien avoir quinze ans. Il composa un numéro, puis marmonna quelque chose à voix basse dans l’appareil.

“Euh…” Le réceptionniste hésita. “Mademoiselle Lawson, vous êtes sûre qu’il n’y a pas d’urgence ?”

“J’en suis sûre, oui.”

“Très bien, passez une bonne journée.” Le réceptionniste raccrocha abruptement. Au-delà de la porte vitrée brisée, Maya entendit soudain des sirènes retentir à distance… s’estompant rapidement.

“Qu’est-ce que vous avez fait ?” demanda-t-elle à Mitch.

“J’ai appelé pour simuler une urgence plus grave.”

“Est-ce qu’ils sont… vivants ?”

Mitch regarda autour de lui et haussa les épaules. “Pas lui,” grommela-t-il en montrant l’agent avec la tête dans le mur. Maya eut l’estomac retourné en constatant qu’un mince filet de sang courait le long du mur là où était coincée la tête de l’agent.

Combien de gens vont mourir dans cette maison ? ne put-elle s’empêcher de se demander.

“Va chercher ta sœur et récupère vos téléphones. On s’en va.” Mitch enjamba le corps du mercenaire de la Division pour rejoindre son acolyte. Il attrapa le type par les chevilles et le traîna dans la maison, puis récupéra le pistolet noir.

Maya se dépêcha de descendre les escaliers menant au sous-sol. Elle se tint debout devant la caméra qui était fixée par-dessus la porte de la salle de crise. “Il n’y a que moi, Sara. Tu peux ouvrir la porte.”

L’épaisse porte blindée en acier s’ouvrit de l’intérieur et le visage timide de sa sœur apparût. “Est-ce que ça va ?”

“Pour le moment, oui. Viens. On s’en va.”

De retour en haut, Sara constata le carnage avec des yeux écarquillés, mais ne dit pas un mot. Mitch était en train de fouiller dans la cuisine. “Vous avez un kit de premiers secours ?”

“Ouais, ici.” Maya ouvrit un tiroir et en sortit une petite boîte blanche en métal avec un couvercle à charnière qui portait une croix rouge dessus.

“Merci.” Mitch en sortit une lingette antiseptique, puis ouvrit un couteau à pointe tranchante. Maya recula d’un pas en le voyant. “Je suis vraiment désolé,” dit le mécanicien, “mais ce qui va suivre risque d’être un peu désagréable. Vous avez toutes les deux des implants de traçage dans le bras droit. Il faut les enlever. C’est sous-cutané, c’est-à-dire sous la peau et au-dessus du muscle. Donc ça va piquer énormément pendant une minute, mais je vous promets qu’ensuite, ça ira.”

Maya se mordit nerveusement la lèvre. Elle avait presque oublié l’implant de suivi. C’est alors qu’à sa grande surprise, Sara s’avança et releva sa manche droite. Elle saisit la main de Maya et la serra fermement. “Il faut le faire.”



*



Il y eut beaucoup de sang, mais pas beaucoup de douleur alors que Mitch retirait rapidement les deux traceurs. L’implant avait à peine la taille d’un grain de riz. Maya était subjuguée par ce minuscule objet, alors que Mitch tapotait la coupure d’un demi-centimètre et appuyait un pansement dessus.

“On peut y aller maintenant.” Mitch prit le kit de premiers secours, l’arme du mercenaire, les téléphones des filles et les deux minuscules implants. Elles le suivirent dehors et le virent mettre les téléphones et les implants dans le SUV des agents. Ensuite, il passa un autre coup de fil.

“J’ai besoin d’un nettoyage,” grommela-t-il. “Chez Zéro sur Spruce Street. Quatre personnes. Une voiture. Emmène-la à l’ouest, puis fais-la disparaître.” Il raccrocha.

Ils grimpèrent tous les trois dans la cabine d’un vieux pick-up portant l’inscription “Third Street Garage” sur le côté. Mitch démarra et ils quittèrent leur stationnement sur le trottoir.

Aucune des deux filles ne regarda en arrière.

Maya, assise au centre entre Mitch et Sara, remarqua les jointures poisseuses de ses mains, ses doigts étant maculés à la fois de graisse et de sang. “Alors, où est-ce qu’on va ?” demanda-t-elle.

Mitch marmonna sans quitter la route des yeux. “Nebraska.”




CHAPITRE SEPT


Zéro gara la voiture devant l’aéroport abandonné de Meadow Field. Il avait fait un léger détour en se contentant de n’emprunter que des routes secondaires et en évitant les autoroutes de peur que la CIA puisse repérer sa voiture… qu’ils recherchaient certainement.

Meadow Field ne possédait qu’une seule piste, le bâtiment et le hangar ayant depuis longtemps été détruits, puisque l’aéroport était inutilisé depuis quinze ans. Des touffes d’l’herbe et des fleurs surgissaient des fissures sur le tarmac et la pelouse non tondue de chaque côté de la piste grandissait dans l’indifférence la plus totale.

Mais malgré l’apparence des lieux, se trouver là était un soulagement bienvenu pour Zéro. À environ trente mètres, se trouvait un vieux pick-up dont des lettres au pochoirs peintes sur le côté disaient “Third Street Garage.” Le mécanicien bourru était appuyé contre la portière du côté conducteur, sa casquette vissée sur ses sourcils.

Alors que Zéro se précipitait vers le pick-up, ses filles sortirent de la cabine et coururent vers lui. Il prit chacune d’elle sous un bras et les serra fort, ignorant la douleur dans sa main brisée.

“Est-ce que ça va ?” demanda-t-il.

“Il y a eu un peu de grabuge,” admit Maya en le serrant plus fort. “Mais nous avons eu du renfort.”

Zéro acquiesça et relâcha son étreinte, mais il resta à genoux pour pouvoir regarder Sara pile dans les yeux. “Très bien, écoutez-moi. Je vais être franc avec vous.” Il avait réfléchi à ça durant tout le trajet, à ce qu’il allait leur dire, et il avait décidé de tout leur avouer. Leurs vies étaient déjà en danger de toute façon, et elles méritaient de savoir pourquoi. “Il y a des gens très puissants qui veulent déclarer une guerre. Ils ont prévu ça depuis longtemps et c’est seulement dans leur propre intérêt personnel. Si on les laisse faire ça, alors des milliers d’innocents vont mourir. Je vais aller en parler directement au président afin de l’alerter sur ce qui se passe, mais je ne peux pas être sûr qu’il croira les bonnes personnes. Ça pourrait très bien déboucher sur une nouvelle guerre mondiale.”

“Et tu ne peux pas laisser ça se produire,” dit Sara d’une petite voix.

Maya acquiesça solennellement.

“Tout à fait. Et…” Zéro poussa un gros soupir. “Et ça veut dire que les choses vont probablement être compliquées un petit moment. Ils savent que vous êtes toutes les deux le moyen le plus facile de m’atteindre, donc vous devez disparaître et vous cacher jusqu’à ce que tout ça soit fini. Je ne sais pas quand ce sera le cas. Je ne sais pas…” Il s’interrompit à nouveau. Il voulait leur dire, Je ne sais pas si je survivrai à tout ça, mais les mots n’arrivaient pas à sortir.

Il n’eut pas besoin d’en dire plus. Elles avaient déjà compris. Des larmes embuèrent les yeux de Maya et elle détourna le regard. Sara le serra fort à nouveau et il fit de même.

“Vous allez devoir partir avec Mitch et vous devrez faire tout ce qu’il vous demande, ok ?” Zéro avait des trémolos dans sa propre voix. Il était vraiment conscient, maintenant plus que jamais, que c’était peut-être la dernière fois qu’il voyait ses filles. “Vous serez en sécurité avec lui. Et prenez soin l’une de l’autre.”

“Promis,” murmura Sara dans son oreille.

“Bien. À présent, restez là une minute pendant que je vais parler à Mitch. Je reviens.” Il lâcha Sara et se dirigea vers le pick-up où le mécanicien attendait, immobile.

“Merci,” lui dit Zéro. “Tu n’étais pas obligé de faire tout ça et j’apprécie vraiment ton geste. Quand tout ça sera terminé, je te revaudrai ça au centuple.”

“Pas la peine,” marmonna le mécanicien. Sa casquette de camionneur était toujours enfoncée, cachant ses yeux, tandis que son épaisse barbe camouflait le reste de son visage.

“Où est-ce que tu les emmène ?”

“Il y a une vieille maison de protection des témoins au fin fond du Nebraska,” dit Mitch. “Une petite cabane juste en dehors d’une petite ville, quasiment au milieu de rien. Elle n’a pas été utilisée depuis des années, mais elle figure toujours sur la liste du gouvernement. Je les emmène là-bas. Elles seront en sécurité.”

“Merci,” dit Zéro à nouveau. Il ne savait pas ce qu’il pouvait dire d’autre. Il n’était même pas sûr de savoir pouvoir il faisait aussi facilement confiance à ce type en lui laissant les deux personnes qui comptaient le plus dans sa vie. C’était une sensation… un instinct qui dépassait toute logique. Mais il avait appris depuis longtemps, et réappris seulement quelques heures auparavant, à faire confiance à ses instincts.

“Alors,” marmonna Mitch. “C’est finalement en train d’arriver, pas vrai ?”

Zéro cligna des yeux, surpris. “Oui,” dit-il avec méfiance. “Tu es au courant de tout ça ?”

“Oui.”

Il cria presque : “Qui es-tu en réalité ?”

“Un ami.” Mitch vérifia l’heure à sa montre. “Un hélico sera là à tout moment. Il nous déposera sur une piste privée où nous prendrons un avion pour aller à l’ouest.”

Zéro laissa tomber. Il semblait qu’il ne tirerait aucune réponse plus précise de ce mystérieux mécanicien. “Merci,” murmura-t-il une fois de plus. Puis, il tourna les talons pour aller dire au revoir à ses filles.

“Tu es de retour,” dit le mécanicien dans son dos. “N’est-ce pas ?”

Zéro se retourna. “Ouais, je suis de retour.”

“Depuis quand ?”

Il se mit à rire. “Aujourd’hui, tu te rends compte ? C’est un après-midi très étrange, je dois dire.”

“Eh bien,” dit Mitch. “Je ne voudrais pas te décevoir.”

Zéro se figea. Un frisson lui parcourut le dos. La voix de Mitch venait soudain de changer et n’avait plus rien avoir avec les marmonnements d’il y a quelques secondes à peine. Elle était douce, calme et tellement familière que Zéro oublia la Division, sa situation et même ses filles pendant un moment.

Mitch passa la main sous la visière de sa casquette et se frotta les yeux. Du moins, on aurait dit que c’était ce qu’il était en train de faire. Mais quand il baissa à nouveau la main, il y avait deux minuscules disques concaves sur ses doigts, d’un bleu cristallin.

Lentilles. Il portait des lentilles de couleur.

Ensuite, Mitch retira sa casquette, lissa ses cheveux et leva les yeux vers Zéro. Ses yeux bruns semblaient désemparés, presque honteux, et Zéro comprit exactement pourquoi en un instant.

“Bon sang.” Sa voix sortit en un murmure rauque alors qu’il regardait ses yeux.

Il les connaissait. Il aurait reconnu ces yeux n’importe où. Mais c’était impossible. “Mon dieu. Tu… tu étais mort.”

“Tout comme toi pendant deux ans,” dit le mécanicien de sa voix douce, presque chantante.

“J’ai vu ton corps,” parvint à articuler Zéro. Ça ne peut pas être vrai.

“Tu as vu un corps qui ressemblait au mien.” L’homme haussa les épaules. “Ne crois pas une seule seconde que je n’ai jamais été aussi intelligent que toi, Zéro.”

“C’est dingue.” Zéro le détailla de la tête aux pieds. Il avait pris une douzaine de kilos, peut-être même plus. Il avait laissé pousser sa barbe, portait une casquette et des lentilles de couleur. Il avait changé sa voix.

Mais c’était lui. Il était vivant.

“Je n’arrive pas à y croire.” Il fit deux pas en avant et serra Alan dans ses bras.

Son meilleur ami, celui qui avait été son coéquipier sur tant d’opérations, celui qui l’avait aidé à faire installer le suppresseur de mémoire au lieu de le tuer sur le Pont Hohenzollern, celui que Zéro croyait avoir trouvé mort, poignardé dans un appartement de Zurich… il était là. Il était vivant.

Il repensa à sa découverte à Zurich. Le visage du mort était bouffi, enflé et son esprit avait immédiatement lié le macchabée à Reidigger. Ton esprit comble les trous, lui avait une fois dit Maria.

Reidigger avait maquillé sa propre mort, tout comme il avait aidé Kent Steele à simuler la sienne. Et il avait vécu sous l’apparence d’un mécanicien très connecté à seulement vingt minutes de distance.

“Durant tout ce temps ?” demanda Zéro. Sa voix était haletante et sa vision légèrement embrumée, alors que ses émotions remontaient à la surface. “Tu as gardé un œil sur nous ?”

“Autant que possible, et Watson m’a aidé.”

C’est vrai. Watson est au courant. C’était John Watson qui avait présenté Reid Lawson à Mitch le mécanicien… mais il ne l’avait fait que lorsque les filles de Reid avaient été enlevées, que les enjeux étaient trop grands et que la CIA n’était pas d’un grand secours.

“Est-ce que quelqu’un d’autre est au courant ?” demanda Zéro.

Alan secoua la tête. “Non. Et il ne faut pas. Si l’agence l’apprend, je suis un homme mort.”

“Tu aurais pu me le dire plus tôt.”

“Non, impossible.” Alan sourit. “Sans tes souvenirs intacts, est-ce que tu m’aurais reconnu ? Est-ce que tu m’aurais cru si je t’avais simplement dit ça ?”

Zéro devait bien admettre qu’il marquait un point.

“C’est l’œuvre du Dr. Guyer ? Tu es allé le voir ?”

“Oui,” dit Zéro. “Ça n’a pas marché sur le coup. C’est arrivé plus tard, déclenché par des mots. Et maintenant…” Il secoua la tête. “Maintenant, je sais. Je me souviens. Et je dois arrêter ça, Alan.”

“Je le sais bien. Et tu sais qu’il n’y a rien que je souhaiterais plus que d’être à tes côtés pour le faire.”

“Mais tu ne peux pas.” Zéro le comprenait totalement. De plus, Alan avait une tâche qui était tout aussi importante aux yeux de Zéro que d’empêcher la guerre. “J’ai besoin que tu les garde en sécurité.”

“Je le ferai. Je te le promets.” Les yeux d’Alan s’éclairèrent soudain. “Ça me fait penser que j’ai quelque chose pour toi.” Il passa le bras par la vitre ouverte du pick-up et en sortit un pistolet Sig Sauer. “Tiens. Avec les compliments du mercenaire de la Division qui a attaqué ta maison.”

Zéro prit le pistolet avec incrédulité. “La Division était chez moi ? Qu’est-ce qui s’est passé ?”

“Rien d’insurmontable. Ces deux-là sont bien tes filles.” Alan esquissa un sourire, mais il s’estompa rapidement. “Tu as aussi besoin d’aide, tu sais. Appelle Watson ou ton nouveau copain, le Ranger.”

“Non,” dit fermement Zéro. Il refusait de compromettre Watson ou Strickland plus qu’il ne l’avait déjà fait. “Il vaut mieux que je gère ça tout seul.”

Alan soupira. “Toujours aussi têtu.” À distance, le bruit des rotors d’un hélicoptère se rapprocha. “Voilà notre taxi. Prend soin de toi, Zéro.”

“Je te le promets.” Il étreignit une nouvelle fois Reidigger. “Merci pour tout ce que tu fais. Quant tout ça sera terminé, on se posera toi et moi pour avoir une longue conversation autour de quelques bières.”

“Ça marche,” acquiesça Reidigger. Mais il y avait une pointe de mélancolie dans sa voix qui suggérait qu’il pensait la même chose que Zéro en ce moment, à savoir que l’un d’entre eux, voire même les deux, pourrait ne pas survivre à cette affaire. “En attendant… ne leur fait pas confiance.”

Il fronça les sourcils. “De qui tu parles ?”

“De tout le monde à l’agence,” dit Alan. “Ils étaient déjà prêts à te tuer avant et ils étaient ravis que ce soit moi qui me propose d’appuyer sur la détente. Ils ne feront pas la même erreur deux fois. Cette fois, ils enverront quelqu’un qui ne perdra pas une minute avant de te tirer une balle dans le dos.”

“Je sais.” Zéro secoua la tête. “Je voulais au moins entrer en contact avec Cartwright. Je ne pense pas qu’il soit dans le coup…”

“Bon dieu, qu’est-ce que je viens de te dire ? Personne, tu m’entends ?” Alan le regarda dans les yeux. “Surtout pas Cartwright. Zéro… il y a deux ans, c’est Cartwright qui m’a envoyé avec Morris pour te tuer sur le pont.”

“Quoi ?” Un frisson parcourut le dos de Zéro.

“Oui. Il n’a pas envoyé la Division. Il n’a envoyé aucun tueur à gage. L’ordre de t’assassiner est venu de plus haut et Cartwright ne l’a pas contesté. Il nous a envoyés.”

Une vague de fureur mit le feu à sa poitrine. Shawn Cartwright avait prétendu être un ami, un allié et avait même prévenu Zéro qu’il ne devait pas faire confiance aux autres, notamment Riker.

Le martèlement des rotors de l’hélicoptère vrombit au-dessus de leur tête, tandis qu’il descendait sur Meadow Field. Alan se pencha et lui dit à l’oreille, “Au revoir, Zéro.” Il mit une tape sur l’épaule de son ami et s’éloigna pour aller à la rencontre de l’hélicoptère en train de se poser dans les hautes herbes.

Zéro se hâta de rejoindre ses filles et les serra fort, toutes les deux, une fois de plus. “Je vous aime toutes les deux,” leur dit-il à l’oreille. “Soyez sages et prenez soin l’une de l’autre.”

“Je t’aime aussi,” répondit Sara en le serrant fort.

“D’accord,” promit Maya en s’essuyant les yeux.

“Allez-y maintenant.” Il les laissa partir et elles se dirigèrent en vitesse vers l’hélicoptère noir. Elles se retournèrent toutes les deux une dernière fois avant de monter à bord avec l’aide d’Alan. Puis, la porte se referma et l’hélicoptère redécolla. Zéro resta planté là un long moment, le regardant devenir de plus en plus petit dans le ciel. Sa tête tournait encore d’avoir appris qu’Alan Reidigger était toujours en vie, mais savoir que ses filles étaient entre les mains d’Alan lui donnait de l’espoir… et encore plus de détermination pour survivre à cette épreuve.

Finalement, il détourna le regard de ce qui n’était plus qu’un point à l’horizon et il retourna à la voiture. Pendant un court moment, il resta assis au volant à se demander si c’était la dernière fois qu’il voyait ses filles. Le bruit du sang qui battait à ses oreilles était impressionnant.

Il tendit la main et alluma la radio afin de couvrir ce son. La voix d’un journaliste emplit immédiatement l’habitacle.

“Notre principale information du jour, c’est toujours la crise qui se déroule dans le Golfe Persique,” disait sombrement le présentateur. “Il y a quelques heures seulement, un cuirassé iranien a tiré des roquettes sur l’USS Constitution, un destroyer américain en patrouille avec la Cinquième Flotte de la Navy. En réponse, le Constitution a également ouvert le feu et détruit le bateau iranien, emportant la vie des soixante-seize membres d’équipage qui se trouvaient à l’intérieur.”

Ils vont vite en besogne. L’estomac de Zéro se noua. Il ne s’était pas attendu à ce qu’ils agissent si vite. Ça veut donc dire que je dois être plus rapide, moi aussi.

“Le gouvernement iranien a déjà fait une déclaration publique,” poursuivit le journaliste, “dans laquelle il a exprimé son outrage à la suite de la destruction de leur bateau et proclamé que, je cite ‘cet événement est un acte de guerre clair et flagrant.’ Même s’il n’y avait pas eu de déclaration formelle, il semblait que l’Iran avait l’intention de déclencher un nouveau conflit avec les USA. L’Attachée de Presse de la Maison Blanche Christine Cleary avait sorti un bref communiqué en réponse, disant seulement que le Président Pierson était pleinement conscient de la situation et que son cabinet travaillait rapidement pour réunir les responsables conjoints. Il devait s’adresser à la nation dans la soirée.”

Alors, c’était donc ça l’idée. L’attaque de la Confrérie sur le sol américain devait pousser les gens à la xénophobie contre les iraniens et la prétendue “attaque” sur l’USS Constitution était une suite pile au bon moment pour inciter à la guerre. Le président allait rencontrer ses conseillers et ils allaient le convaincre qu’un conflit renouvelé au Moyen Orient était leur seule option possible.

À moins, pensa-t-il soudain, qu’il ait un nouveau conseiller.

Il sortit une carte de visite de sa poche et composa le numéro inscrit dessus.

“Sanders,” répondit l’assistante qui lui avait parlé sur la pelouse de la Maison Blanche.

“C’est l’Agent Kent Steele à l’appareil,” lui dit-il. “Nous nous sommes parlé ce matin…”

“Je m’en souviens,” dit-elle abruptement. Il y avait une tension dans sa voix, certainement due aux récents événements. “Que puis-je faire pour vous, Agent ?”

“Je dois parler au Président Pierson.”

“J’ai bien peur qu’il ne soit en réunion,” dit Sanders. “Je suis sûre que vous êtes au courant de ce qui se passe…”

“En effet.” Cette fois, Zéro lui coupa la parole. “Et c’est justement la raison de mon appel. C’est une question de sécurité nationale, Mademoiselle Sanders. Donc, soit vous pouvez m’arranger une entrevue avec le Président Pierson, soit vous aurez à lui expliquer plus tard que vous vous êtres interposée entre lui et tout ce qui est sur le point de se produire.”




CHAPITRE HUIT


Moins d’une demi-heure plus tard, Zéro était de retour à la Maison Blanche, rapidement escorté le long du couloir jusqu’au Bureau Ovale. Il tenta de défroisser les plis de sa chemise, même si ça n’avait pas grande importance était donné les circonstances.

Il fut admis dans le sanctuaire privé du président, où il fut surpris de trouver Pierson seul. Zéro se serait attendu à un bouillonnement d’activité, un bataillon d’assistants et de membres du cabinet en train de passer des appels ou tapoter sur des claviers d’ordinateurs portables afin de communiquer avec des dizaines d’agences diverses et de puissances étrangères.

Pourtant, il n’y avait rien de tout ça. Le Président Pierson se leva de son siège quand Zéro entra et on aurait dit qu’il avait vieilli de dix ans depuis le matin. Sa cravate était desserrée autour de son cou et les deux boutons supérieurs de sa chemise blanche étaient défaits.

“Agent Steele.” Pierson tendit la main droite, puis se mit à rire de sa bourde et serra la main gauche de Zéro. “Désolé, j’ai encore oublié pour votre main. Bon sang, quel bazar.”

“Oui, j’ai appris la nouvelle.” Zéro balaya le bureau des yeux. “Je dois admettre que je m’attendais à voir plus de monde ici.”

“Les différents responsables sont actuellement rassemblés en Salle de Crise.” Pierson soupira et s’appuya contre son bureau à deux mains. “Ils m’attendent d’ailleurs. Même si je suis ravi que vous soyez là, Zéro, j’ai bien peur que notre discussion doive être reportée.”

“Monsieur le Président,” insista Zéro, “j’ai des informations.” Les doigts de sa main gauche frôlèrent sa poche, dans laquelle se trouvait la clé USB. “Avant de rejoindre vos ministres, il faut vraiment que vous…”

“Monsieur.” La porte du Bureau Ovale s’entrouvrit et le visage d’Emilia Sanders apparut. Son regard passa du président à Zéro et inversement. “On vous attend.”

“Merci, Emilia.” Pierson resserra sa cravate sur sa gorge et fit courir ses paumes le long de sa chemise. “Je suis désolé, Zéro, mais mon attention est requise ailleurs.”

“Monsieur.” Il avança d’un pas et baissa d’un ton, chuchotant presque. Il devait balancer un scud : il ne pouvait en aucun cas laisser entrer Pierson dans la Salle de Crise sans qu’il soit informé. “J’ai de très bonnes raisons de croire que vous ne pouvez pas faire confiance aux personnes qui vous conseillent.”

Le président fronça les sourcils. “Quelles raisons ? Que savez-vous ?”

“J’ai…” Zéro allait parler, mais il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et vit un agent des Services Secrets debout dans l’encadrement de la porte du Bureau Ovale, attendant d’escorter le président jusqu’à la Salle de Crise. “Je ne peux pas vous l‘expliquer tout de suite. Tout ce dont j’ai besoin, c’est de cinq minutes. Seuls.”

Pierson se frotta le menton. Il avait l’air las. “Venez avec moi.”

“Monsieur ?”

“Assistez à la réunion. Ensuite, je vous accorderai vos cinq minutes.” Pierson se dirigea vers la porte et Zéro le suivit. C’était tout ce qu’il pouvait faire. Il ne parviendrait pas à dissuader le président d’assister à une réunion au sujet d’une crise relative à la sécurité nationale. Et si ça lui permettait d’obtenir cinq minutes, seul à seul avec Pierson, alors il le suivrait dans la cage aux lions.



*



La Salle de Conférence John F. Kennedy, située dans le sous-sol de l’aile ouest et connue de la plupart sous le nom de Salle de Crise, était le centre de gestion des renseignements de la Maison Blanche, un dispositif de communications de plus de trois-cents mètres carrés permettant à certains des hommes les plus puissants au monde de maintenir la sécurité à partir d’un seul endroit.

Et Zéro venait apparemment de gagner le droit de s’asseoir à la table.

Le Président Pierson entra dans la pièce à la suite des deux membres des Services Secrets qui se placèrent immédiatement de chaque côté des doubles portes permettant d’y accéder. Zéro ferma la marche. C’était maintenant que se produisait le bouillonnement d’activité auquel il s’était attendu à son arrivée. Il y avait là quatorze personnes à la longue table rectangulaire qui occupait la longueur de la pièce, et chacune d’entre elles se leva à l’arrivée du président.

Zéro balaya rapidement la pièce des yeux en regardant tous les visages. Il les reconnut presque tous : le Conseiller de la Sécurité Nationale était présent, le Conseiller de la Sécurité Intérieure, ainsi que le Secrétaire Général de la Maison Blanche, le Secrétaire de la Défense Quentin Rigby, le DRN John Hillis, et l’Attachée de Presse Christine Cleary, entre autres. Il ne put s’empêcher de constater amèrement qu’à part lui, Pierson et Cleary, tous les autres dans la pièce étaient des hommes de plus de cinquante-cinq ans.

Il fut légèrement soulagé de voir que la CIA n’était pas représentée dans la salle. Il s’était dit que, peut-être, le Directeur Mullen ou même la Directrice Adjointe Riker seraient présents. Mais c’était une affaire de chefs d’état et la CIA était représentée par le DRN Hillis qui serait celui en mesure de relayer les informations à Mullen.

“Asseyez-vous, s’il vous plaît.” Pierson s’assit dans un fauteuil noir en bout de table, celui qui était le plus près des portes. Il fit un geste pour désigner le siège vide à sa droite et Zéro s’y installa.

Plusieurs paires d’yeux le dévisagèrent en train de s’asseoir, mais seul le Secrétaire de la Défense ouvrit la bouche. Le Général quatre étoiles à la retraite Quentin Rigby avait le cou et les épaules raides. Il arborait de profondes rides sur le visage qui suggéraient qu’il avait vu les pires aspects de l’humanité. Sa perspicacité ne l’empêchait pas de dire ce qu’il pensait.

“Monsieur le Président.” Rigby resta debout en s’adressant à Pierson. “Je ne crois pas devoir vous rappeler que ce dont nous allons discuter est hautement confidentiel…”

“C’est noté, Général Rigby, je vous remercie.” Pierson coupa le général d’un geste de la main. “L’Agent Steele intervient ici comme conseiller en ce qui concerne la sécurité. Il est validé par la CIA et a prouvé sa capacité de discrétion à maintes reprises, sans parler du fait que c’est le seul dans cette pièce qui ait une expérience récente du type de situation que nous avons à gérer.”

“Quand bien même,” insista Rigby, “c’est très peu orthodoxe, Monsieur.”

“Je ne crois pas avoir besoin de vous rappeler, Général, que je suis la seule personne ayant un pouvoir de décision sur qui se trouve dans cette pièce.” Pierson regarda Rigby de haut.

Zéro faillit sourire. Il n’avait jamais entendu Pierson parler ainsi à qui que ce soit. Généralement, son approche était la diplomatie et le charme. D’un côté, Zéro voyait bien que le président était chamboulé par les événements. D’un autre côté, c’était rassurant de le voir afficher une telle force de caractère dans ces circonstances.

Rigby acquiesça et prit place. “Oui, Monsieur.”

“Monsieur Holmes.” Le Président Pierson fit un signe de tête à l’attention de son Secrétaire Général, un petit homme chauve à grosses lunettes. “Allez-y, je vous en prie.”

“Très bien, Monsieur.” Peter Holmes se leva et se râcla la gorge. “À environ dix-sept heures, heure locale, un cuirassé iranien a tiré deux roquettes sur le destroyer USS Constitution durant une patrouille de routine dans le Golfe Persique. À cause du récent changement dans les RDE dont nous sommes tous au courant ici, je suppose, le Constitution a été autorisé à…”

“Excusez-moi.” Zéro leva la main comme s’il était en classe, coupant la parole au Secrétaire Général. “Quel changement des RDE ?”

“Les règles d’engagement, Agent,” dit Holmes.

“Je connais l’acronyme,” répondit rapidement Zéro. “Qu’est-ce qui a changé ?”

“Au regard de l’attaque récente sur le sol américain,” intervint Rigby, “le président a signé ce matin l’ordre exécutif qui dicte que toute force étrangère tirant à une certaine proximité du personnel militaire américain doit être considérée comme hostile et traitée avec un préjudice extrême.”

Zéro fit en sorte de ne montrer aucune réaction, mais son esprit ruminait. Quelle coïncidence, songea-t-il. “Et quelle est exactement cette proximité, Général ?”

“Nous ne sommes pas ici pour pinailler sur les détails d’un ordre exécutif,” rétorqua Rigby. “Nous sommes ici pour discuter d’une situation extrêmement pressante et volatile.”

Rigby éludait la question. “Quelle était la trajectoire des roquettes ?” demanda Zéro.

“Pardon ?” Holmes rajusta sa paire de lunettes sur son nez.

“La trajectoire,” répéta Zéro. “L’angle ascendant, descendant, le type de roquette, la proximité, bref tout ça. Quelle menace représentait exactement ce bateau pour le Constitution ?”

“Une menace suffisante pour qu’un capitaine de l’US Navy juge pertinent de répliquer,” dit Rigby avec véhémence. “Est-ce que vous remettez en question le jugement du capitaine, Agent Steele ?”

Je remets en question ses motivations, faillit-il dire. Mais il tint sa langue. Il ne pouvait pas se permettre de montrer son jeu comme il l’avait déjà fait par deux fois. “Pas du tout. Je voulais juste faire remarquer qu’il existe trois versions de cette histoire. Celle du capitaine, celle des iraniens et la vérité. Qu’en est-il des caméras ?”

“Caméras,” répéta bêtement Rigby. Il esquissa un sourire condescendant. “Vous vous y connaissez en bateaux de type destroyers, Agent ?”

“Je ne peux pas dire que j’ai beaucoup d’expérience.” Cette fois, ce fut Zéro qui esquissa un sourire à sa façon. “Tout ce que je sais, c’est que l’USS Constitution est un destroyer Arleigh-Burke construit en 1988 et commissionné pour la première fois en 1991. C’est la seule classe de destroyers américains qui a été utilisée de 2005 à 2016, jusqu’à ce que la classe Zumwalt soit commissionnée. Le Constitution est équipé d’un système intégré d’armes Aegis, de roquettes anti-sous-marines, d’un système de radars à balayage électroniquement passif et de missiles Tomahawk… et je suppose que ces derniers ont été utilisés pour détruire le navire iranien et emporter la vie de soixante-seize personnes. En tenant compte du fait que c’est l’une des machines les plus avancées technologiquement sur tout l’océan et qui transporte une puissante de feu assez importante pour conquérir un certain nombre de républiques bananières, je suppose que des caméras sont forcément présentes dessus.”

Rigby le regarda pendant un long moment. “Aucune caméra n’a pu filmer l’angle de l’attaque,” finit-il par dire. “Mais vous pouvez lire le rapport du capitaine, si vous le souhaitez.” Le général fit glisser un dossier vers Zéro.

Il l’ouvrit. La première était un rapport très bref de seulement quelques paragraphes, émanant du Capitaine Warren. Les détails étaient rares. Warren déclarait simplement qu’un navire CGRI avait tiré deux roquettes sur le Constitution. Aucune n’avait atteint sa cible, mais la tentative avait été jugée comme une menace suffisante pour que Warren décide de riposter avec huit missiles Tomahawk, comme l’avait prédit Zéro. Le bateau ennemi avait été anéanti.

Non seulement c’était exagéré, mais c’était la seule partie du rapport en laquelle Zéro croyait. Tout le reste pouvait avoir été facilement falsifié. Le Golfe Persique, tout comme le Capitaine Warren, se trouvaient à plus de mille kilomètres, loin de quiconque pouvait véritablement remettre ses dires en question.

“Le fait est,” dit Rigby, “que l’Iran considère publiquement qu’il s’agit d’un acte de guerre. Ils disent que nous avons tiré en premier. Nous affirmons l’inverse. Il n’y a pas eu de déclaration de guerre formelle de leur part, mais les américains vont s’attendre à une réponse définitive. Nous ne pourrons pas supporter une autre attaque…”

“Une autre attaque ?” le coupa à nouveau Zéro.

Rigby cligna des yeux en le regardant. “N’étiez-vous pas dans le Tunnel Midtown au moment de l’explosion, Agent ? Quand des centaines d’américains ont trouvé la mort ?”

Zéro secoua la tête. “C’était l’œuvre d’une faction terroriste radicale composée de même pas vingt membres. Pas d’une nation ou région tout entière.”

“Allez dire ça au peuple américain,” rétorqua Rigby.

Zéro ne répondit rien, mais il sut à ce moment-là que ses suppositions étaient les bonnes. Les conspirateurs voulaient se servir de la récente attaque comme moyen de rallier les gens en faveur de la guerre.

“Très bien,” coupa Pierson en levant la main. “Revenons-en aux faits. Roland, quels types de réponses globales envisageons-nous ?”

Le Secrétaire d’État, Roland Kemmerer, relisait rapidement ses notes en parlant. “Les mauvaises nouvelles en premier, je suppose. Nos renseignements et la reconnaissance par satellite suggèrent que l’Iran est déjà à la recherche d’alliés en Irak et à Oman, ainsi qu’auprès de quelques groupes nationalistes syriens. S’ils s’allient tous, ils auront la possibilité de fermer le Détroit d’Hormuz.”

Il y eut un moment de silence solennel pour permettre de digérer cette information, puis Rigby poursuivit, “Vous savez à quel point ce pourrait être préjudiciable, Monsieur le Président.”

“Non seulement la Cinquième Flotte perdrait un avantage stratégique,” ajouta Holmes, “mais nous pourrions être confrontés à un ralentissement économique majeur.”

“Une récession, tout du moins. Peut-être même pire.” Kemmerer secoua la tête.

Zéro se mordit la langue pour s’empêcher de réagir. Fils de pute. Tout était aussi bien répété qu’une pièce de théâtre. Ils avaient attendu des années ce moment exact. Il n’aurait jamais pu imaginer qu’il serait présent, pourtant il était là, assis dans la Salle de Crise, alors que ces fomentateurs de guerre tentaient d’influencer un président.





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“Vous ne trouverez pas le sommeil tant que vous n’aurez pas terminé L’AGENT ZÉRO. L’auteur a fait un magnifique travail en créant un ensemble de personnages à la fois très développé et vraiment plaisant à suivre. La description des scènes d’action nous transporte dans une réalité telle que l’on aurait presque l’impression d’être assis dans une salle de cinéma équipée du son surround et de la 3D (cela ferait d’ailleurs un super film hollywoodien). Il me tarde de découvrir la suite.”–Roberto Mattos, auteur du blog Books and Movie ReviewsDans LE FICHIER ZÉRO (Volume #5), les souvenirs de l’Agent Zéro affluent de nouveau dans sa mémoire… et, avec eux, surviennent des révélations choquantes sur le complot secret de la CIA pour déclencher une guerre et mettre un terme à son existence. Désavoué et en fuite, pourra-t-il l’arrêter à temps ?Alors qu’un incident dans le détroit d’Ormuz menace d’engendrer une guerre mondiale, les souvenirs de l’Agent Zéro refont surface en masse et, avec eux, une chance de démasquer le complot qui a causé sa perte de mémoire au tout départ. Discrédité, n’ayant presque plus d’amis, Zéro se retrouve seul pour tenter d’arrêter la CIA, tout en essayant en même temps de sauver sa famille, prise pour cible.Pourtant, au fur et à mesure qu’il creuse, un autre complot plus néfaste encore fait surface, le contraignant à n’avoir plus confiance en personne et à tout risquer pour sauver le pays qu’il aime.LE FICHIER ZÉRO (Volume #5) est un thriller d’espionnage que vous n’arriverez pas à reposer une fois que vous l’aurez commencé. Il vous tiendra éveillé, à tourner ses pages, jusque tard dans la nuit. Le volume #6 de la série L’AGENT ZÉRO est à présent également disponible.“Une écriture qui élève le thriller à son plus haut niveau.”–Midwest Book Review (à propos de Tous Les Moyens Nécessaires)“L’un des meilleurs thrillers que j’ai lus cette année.”–Books and Movie Reviews (à propos de Tous Les Moyens Nécessaires)Jack Mars est également l’auteur de la série best-seller de thrillers LUKE STONE (7 volumes), qui commence par Tous Les Moyens Nécessaires (Volume #1), téléchargeable gratuitement, avec plus de 800 avis cinq étoiles !

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