Книга - Les musiciens et la musique

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Les musiciens et la musique
André Hallays




Hector Berlioz

Les musiciens et la musique





CRITIQUE MUSICAL


Berlioz était revenu de Rome depuis deux ans. Il était déjà presque célèbre: il avait fait exécuter l'ouverture du Roi Lear, l'ouverture des Francs Juges, la Symphonie fantastique et la Symphonie d'Harold. Mais il était pauvre. Son mariage avec Henriette Smithson avait encore augmenté sa gêne. Les articles qu'il donnait à quelques revues (Europe littéraire, Revue européenne, Monde dramatique, Correspondant, Gazette musicale), lui étaient médiocrement payés. Il ne savait plus «à quel saint se vouer»; c'est lui-même qui nous l'a conté.

Un jour de détresse, il rédigea une courte nouvelle intitulée Rubini à Calais et la fit paraître dans la Gazette musicale. Le 10 octobre 1834, ce petit récit fut reproduit dans le Journal des Débats, précédé d'une note où l'on vantait la «verve» et l'«esprit» du conteur.

Berlioz se rendit rue des Prêtres-Saint-Germain-l'Auxerrois afin de remercier Bertin l'aîné. Ce dernier lui proposa, séance tenante, d'écrire dans les Débats des chroniques sur la musique. Castil-Blaze venait de quitter le journal. Delécluse y conservait la critique des représentations du Théâtre Italien; il ne l'abandonna jamais à Berlioz qui, vraisemblablement, jamais ne la réclama. Jules Janin continuait de s'occuper de l'Opéra et de l'Opéra-Comique. Le domaine du nouveau feuilletoniste était donc assez étroit. On lui laissait les concerts et les «variétés musicales». Deux ans après, Jules Janin consentit à ne plus juger la musique dramatique, mais il garda sur le ballet «le droit du seigneur».

Ainsi commença la collaboration de Berlioz au Journal des Débats. Elle dura jusqu'en 1863. Pendant vingt-huit années, ce feuilleton fut pour le musicien un gagne-pain, une torture et une arme.

Berlioz a maintes fois décrit l'abominable supplice que lui infligeait son métier de critique. On se rappelle ce tableau presque tragique: l'infortuné musicien arpente sa chambre à grands pas, le cerveau vide; il s'arrête à sa fenêtre et se perd en rêveries devant le soleil couchant, puis revient à sa table et, à la vue de la page blanche, éclate de colère; d'un coup de poing, il défonce sa guitare; il considère longuement ses deux pistolets chargés, pleure comme un écolier qui ne vient pas à bout de son thème… jusqu'à ce que son petit garçon ouvre la porte en disant: «Père, veux-tu être z'amis». Et, l'enfant sur ses genoux, Berlioz s'endort[1 - Mémoires, II, p. 159.]…

L'enfant est devenu un homme; le père continue sa tâche détestée, et c'est à son fils qu'il écrit, le 14 février 1861: «Je suis si malade que la plume à tout instant me tombe de la main, et il faut pourtant m'obstiner à écrire pour gagner mes misérables cent francs et garder ma position armée contre tant de drôles qui m'anéantiraient s'ils n'avaient pas tant de peur. Et j'ai la tête pleine de projets, de travaux que je ne puis exécuter à cause de cet esclavage[2 - Correspondance, p. 274.].»

Il passe sa vie à maudire cet «esclavage». Il le maudit avec fureur: «Écrire des riens sur des riens! donner de tièdes éloges à d'insupportables fadeurs! parler ce soir d'un grand maître et demain d'un crétin avec le même sérieux dans la même langue!.. oh! c'est le comble de l'humiliation! Mieux vaudrait être… ministre des finances d'une république. Que n'ai-je le choix!» Il le maudit avec ironie: «J'ai une passion pour la critique, rien ne me rend heureux comme d'écrire un feuilleton, de raconter les mille incidents dramatiques, toujours piquants, toujours nouveaux d'un livret d'opéra: les angoisses des deux amants, les tourments de l'innocence injustement accusée, les spirituelles plaisanteries du jeune comique, la sensibilité du bon vieillard; de démêler patiemment les fils de ces charmantes intrigues quand je pourrais couper l'écheveau brusquement, etc.[3 - Journal des Débats, 9 juin 1849.]»

Il le maudit sur tous les tons, mais il le supporte. Il a trop d'ennemis; l'originalité de son génie, le mordant de ses boutades, l'irritabilité de son caractère ont soulevé contre lui des haines implacables: s'il n'a le secours d'un journal puissant, s'il n'est en état de menacer ses adversaires de représailles, la bataille sera trop inégale. Grâce à son feuilleton, il trouve les directeurs moins arrogants, les artistes moins dédaigneux, ses confrères moins hostiles. – «Chaque heure consacrée à ces besognes est peut-être une heure d'immortalité qu'on se vole[4 - Théophile Gautier, Notices romantiques, Hector Berlioz.]…», disait mélancoliquement Théophile Gautier. Peut-être!.. Mais on se demande avec angoisse quelle eût été la destinée de Berlioz, s'il n'avait eu pour se défendre une plume redoutable et la fidèle amitié des Bertin.

D'ailleurs il ne faut pas se laisser duper par les hyperboles de Berlioz. Il dit vrai quand il rappelle les affres où le jetait, certains jours, l'obligation d'écrire. Mais il eut ses revanches et ses consolations. «La seule compensation, dit-il, que m'offre la presse pour tant de tourments, c'est la portée qu'elle donne à mes élans de cœur vers le grand, le vrai et le beau où qu'ils se trouvent.» Cette compensation lui fut largement donnée. Sa nature frénétique ne pouvait se passer d'effusions ni d'épanchements. Or il était libre de glorifier dans son feuilleton les chefs-d'œuvre, objets de son culte, libre de les venger des dédains du public ou de la malfaisance des pasticheurs. Quand il vient à parler de Gluck, de Beethoven, de Weber, de Spontini, il est tout à la joie d'écrire. La nécessité ne lui eût-elle pas imposé cette besogne de feuilletoniste, Berlioz, à trente ans, l'eût acceptée, pour acheter à ce prix la satisfaction de mettre le public dans la confidence de ses enthousiasmes.

A vrai dire, avec les années, ces occasions heureuses devinrent plus rares. Berlioz restait pieusement fidèle à ses dieux (sa très belle étude sur Alceste a paru en 1861). Mais, pour chanter leur gloire, il n'avait plus les transports de jadis. Au fond, il ne méprisait pas son œuvre d'écrivain autant qu'il l'a répété dans ses Mémoires; ouvrez sa correspondance, vous y surprendrez sans cesse l'éternel cri de l'homme de lettres: «Avez-vous lu mon article?» ou bien: «Lisez mon article de demain.» Mais, à la longue, la corvée du feuilleton le harassait.

Son œuvre de critique lui a donc donné des joies qu'il n'a pas toutes avouées. Mais il fut sincère quand, la vente de la partition des Troyens lui ayant assuré de suffisantes ressources, il s'écria: «Enfin, enfin, après trente ans d'esclavage, me voilà libre! Je n'ai plus de feuilletons à écrire, plus de platitudes à justifier, plus de gens médiocres à louer, plus d'indignation à contenir, plus de mensonges, plus de comédies, plus de lâches complaisances, je suis libre! Je puis ne pas mettre les pieds dans les théâtres lyriques, n'en plus parler, n'en plus entendre parler, et ne pas même rire de ce qu'on écrit dans ces gargotes musicales![5 - Mémoires, II, p. 383.]»

A l'allégresse de la liberté se mêlait le plaisir de contempler la mine désappointée des gens qui lui faisaient la cour: «Ils ont perdu leurs avances, ils sont volés[6 - Correspondance, p. 306.].»


* * *

Les centaines de feuilletons que Berlioz accumula pèsent moins pour sa gloire que vingt mesures de Roméo ou de la Prise de Troie. Si ces articles nous intéressent, c'est surtout parce qu'ils sont de la même plume qui a écrit d'admirables symphonies. Si nous les relisons, c'est que nous espérons découvrir dans les jugements du musicien le secret de son génie. Qui se soucie maintenant des opinions de Fétis et de Scudo, hors quelques curieux de l'histoire de la musique? Penserait-on à déterrer les chroniques enfouies dans la collection du Journal des Débats et signées d'Hector Berlioz, si ce même Berlioz n'avait été un des artistes les plus extraordinaires du XIXe siècle?

Il serait donc puéril de surfaire cette littérature; on aurait l'air de vouloir dépouiller le compositeur au profit du critique. A la vérité, ce jeu absurde ne déplairait pas à tout le monde. Il y a vingt ans, artistes et amateurs furent saisis d'un fanatisme généreux et aveugle pour l'auteur si longtemps méconnu de la Damnation et des Troyens, et ils applaudirent tout dans son œuvre avec une égale ferveur, le sublime, le médiocre et le pire: aujourd'hui, d'autres amateurs et d'autres artistes – les mêmes aussi, peut-être! – font payer à Berlioz l'enthousiasme désordonné de ses admirateurs et sont prêts à déclarer qu'il ne reste pas grand chose à dire de lui lorsqu'on a vanté sa littérature. En musique, nos modes ont des caprices enfantins…

Berlioz naquit avec le don de l'écrivain. Ses premiers articles, après son retour de Rome, ont déjà de la couleur et du mouvement. Parfois encore la phrase gauchit et s'empêtre; la lourdeur de l'expression, l'impropriété des mots révèlent l'inexpérience d'un littérateur novice. Mais, d'année en année, la langue se fait plus sûre et plus souple; les jours d'heureuse inspiration, elle devient abondante, imagée, vivante. Alors – c'est sa grande originalité – la prose de Berlioz porte l'empreinte du génie musical. Le morceau littéraire est bâti presqu'à la façon d'un morceau de symphonie, avec des changements de rythme, des répétitions et des cadences. On pourrait souvent mettre en tête d'une page de Berlioz: allegro, ou bien andante, ou bien scherzo.

Pour rendre justice à ces qualités de style et de composition, il faut ne point se laisser rebuter par le tour vieillot et démodé de certaines élégances de style qui plurent sous le roi Louis-Philippe. De tous les âges de notre littérature, l'âge où écrivit Berlioz est celui dont la phraséologie nous est la plus odieuse: elle est déjà trop loin de nous pour ne pas nous sembler baroque et saugrenue, mais elle en est encore trop près pour que nous lui découvrions, avec une indulgence attendrie, le charme des choses surannées. Berlioz, journaliste, était parfois de cette «école parisienne» qu'il haïssait avec tant de force, dès qu'il était question de musique. Et comment y eût-il échappé? Il écrivait aux Débats, à côté de Jules Janin, le maître incontesté dont tous les feuilletonistes, tous les critiques, tous les chroniqueurs imitaient de leur mieux la désinvolture sautillante, le bavardage laborieusement décousu, les digressions ahurissantes et les ironies sans fin. Ajoutez le lyrisme de pacotille que les romantiques avaient introduit jusque dans le journalisme, la manie de la grandiloquence, des interjections et des apostrophes. C'était la manière de Lousteau et de Lucien de Rubempré. Ce fut quelquefois la manière de Berlioz.

Mais, cette vieille friperie une fois écartée, comment nier l'esprit, l'éloquence, la grâce des pages ou librement il se livre à la fantaisie de son esprit et à la fougue de ses indignations?

Ce goût du pittoresque et ce sentiment de la nature, dont l'union, plus rare que l'on ne croit, fait la beauté de ses grandes peintures musicales, on les retrouve dans ces jolis Reisebilder dont il aime à égayer le mélancolique compte rendu des opéras et des opéras-comiques. Son style ne vaut pas son orchestre, sans doute! Mais, que, pour retarder le moment fâcheux où il va falloir analyser et juger la Sirène[7 - Journal des Débats, 30 mars 1844.], il rappelle ses souvenirs des Abbruzzes, les moines, les bandits, les madones, les carabiniers, les pifferari, ou bien que le Lazzarone[8 - Ibid. 3 avril 1844. – On retrouve ces impressions d'Italie dans les Mémoires.] d'Halévy lui soit un prétexte pour évoquer la mer et la lumière de Naples, l'île de Nisida et les bateliers du Pausilippe, le coloris de ses esquisses est vif, sobre et juste.

Pour conter, louer, invectiver, sa verve toujours jaillissante fait merveille, à condition que le démon romantique ne le pousse pas aux dernières outrances. Sa phrase agile va un train d'enfer, frappe à droite, frappe à gauche, avec une sûreté, une dextérité qui révèlent la bonne éducation latine de l'écrivain. Prompte à l'éloquence, elle se plie à l'ironie. La violence de la passion rend parfois cette ironie trop lourde ou trop tendue. Mais quand – lassitude, dédain ou résignation – l'âme tourmentée s'apaise un instant, elle a, pour traduire ses dégoûts et ses aversions, des cris de sensibilité endolorie qui font penser à Henri Heine ou bien des traits légers, acérés, terribles.

Cet homme, dont la vie semble un perpétuel paroxysme d'amour, de haine, d'orgueil et de douleur, possède le sens du comique et de la bouffonnerie. S'il s'amuse à parodier le scénario d'un opéra qui a passé les bornes de la niaiserie consentie à ces espèces d'ouvrages, s'il enchâsse les perles qu'il a trouvées dans un «poème» lyrique, s'il veut se venger de l'ennui dont l'assomment la mauvaise musique et les méchants musiciens, il est fertile en inventions divertissantes. (Il faut lire certaine analyse du Caïd écrite en vers libres, en vers d'opéra[9 - Journal des Débats, 7 janvier 1849.].) Ces drôleries ne sont pas toujours très finement ciselées: Berlioz montre pour les grosses facéties, les coq-à-l'âne et les calembours une prédilection propre aux hommes de génie. D'autres fois, il donne dans la gaieté romantique, la redoutable gaieté des Jeunes France qui, dociles à la parole de Victor Hugo, admiraient Shakespeare comme des «brutes». Oh! les plaisanteries shakespeariennes en français! Mais il a aussi l'autre veine, la veine gauloise. Car chez lui tout est alliage et complexité.

Par-dessus tout, il a le don de la vie. Il sait créer des personnages, les faire parler, les mettre en scène. Il excelle à composer de petits dialogues spirituels et passionnés où l'on surprend çà et là un peu de l'art de Diderot. Les soirées de l'orchestre, les Grotesques de la musique, les Mémoires contiennent un grand nombre de ces fragments de comédie, comme la visite de la «jeteuse de fleurs», madame Rosenhain, l'irruption des virtuoses chez le critique malade, les conversations avec Cherubini. Le jour de la première représentation du Faust de Gounod, Berlioz use du même procédé pour traduire les sentiments divers du public et il nous fait ainsi assister aux conversations de l'entr'acte[10 - Journal des Débats, 26 mars 1859.], «cliquetis d'opinions étranges et contradictoires».

Toutes ces qualités firent de Berlioz un merveilleux journaliste.


* * *

Lorsqu'en 1820 le prédécesseur de Berlioz au Journal des Débats, Castil-Blaze avait été chargé de la Chronique musicale, il avait ainsi caractérisé lui-même ses articles: «Cette chronique sera exclusivement consacrée à la musique. Les opéras nouveaux ou anciens y seront —uniquement sous le rapport musical– examinés, analysés avec soin et d'après les principes de la bonne école…» Sans rechercher ce que Castil-Blaze voulait dire par la bonne école, constatons seulement que pour le reste il tint parole: il étudia sous le rapport musical toutes les œuvres de théâtre, de concert ou d'église; il s'attira même une semonce de son collaborateur Hoffmann pour avoir imprimé que les gens de lettres, n'entendant rien à la musique, n'en devraient souffler mot. Comme il avait la déplorable mais lucrative manie de saccager les chefs-d'œuvre allemands et italiens sous prétexte de les mettre à la portée des Français, il insérait trop souvent dans ses chroniques l'apologie de ses crimes. Mais il fit aussi de beaux éloges de Gluck et de Mozart; il admira les Symphonies de Beethoven lorsqu'elles furent révélées aux abonnés du Conservatoire; il accueillit favorablement les premières Symphonies de Berlioz. Bref, il «inaugura dans la presse française la critique musicale des œuvres de musique[11 - Livre du Centenaire du Journal des Débats.– Étude de M. Ernest Reyer sur la critique musicale.]».

A ce point de vue, la critique de Berlioz ne fut donc pas une nouveauté. Mais c'était bien la première fois qu'en France un musicien de cette valeur était appelé à communiquer au public ses goûts et ses opinions. Castil-Blaze savait sans doute la musique; mais il était plus connu pour avoir estropié Don Juan, les Noces, le Mariage secret, Freischütz que pour ses œuvres musicales qui consistent, si les dictionnaires disent vrai, en Trios pour le basson et en un recueil de douze romances. Et, avant Berlioz, de grands musiciens avaient pris la plume pour défendre ou expliquer leurs œuvres. Gluck avait fait précéder Alceste d'une préface célèbre. Mais ce que l'on n'avait point encore vu, c'était un compositeur journaliste et juge de ses confrères. On l'a revu, depuis, quelquefois.

Berlioz n'abusa pas de sa compétence technique; elle était assez évidente pour qu'il pût se dispenser d'en faire parade. Beaucoup de critiques d'art hérissent leur prose de termes spéciaux, afin que l'on ne doute pas de leurs connaissances. Mais si ce vocabulaire particulier a peut-être l'avantage de nous donner quelque confiance, il nous inflige un tel ennui que le pauvre écrivain perd du même coup le bénéfice de sa science. A qui donc cet écrivain s'adresse-t-il quand il fait un article de journal? S'imagine-t-il, par hasard, que ses conseils seront écoutés du musicien lui-même? Tout artiste méprise la critique; s'il dissimule son mépris, il est un poltron qui, amoureux du succès, redoute l'influence du journal; si, par malheur, sa déférence est sincère, c'est qu'il ignore lui-même ce qu'il sent, ce qu'il veut, et n'est pas un artiste. C'est du public, du plus profane des publics que le critique doit être entendu et compris. Sans droit et sans pouvoir sur le créateur, il tâchera de faire partager à ses lecteurs ses aversions ou ses préférences; il y réussira s'il a de la verve, du bon sens, du goût, s'il aime l'art dont il traite et sait rendre sa passion contagieuse.

Tel fut Berlioz critique. Dans ses premiers feuilletons, il laissait encore traîner des expressions qui sentaient le professionnel; mais il s'aperçut vite que le pédantisme est le pire défaut d'un journaliste, et que, si l'on veut former ou réformer le goût du public, l'essentiel est d'émouvoir les imaginations, d'inspirer l'horreur du médiocre et l'amour des chefs-d'œuvre. Berlioz donna donc libre carrière à ses haines et à ses enthousiasmes.

Ses haines étaient vigoureuses et innombrables.

Il haïssait les directeurs de théâtre, les chefs d'orchestre qui ne respectent point le texte du musicien, les chanteurs qui réclament des airs de bravoure. Aux virtuoses «pianistes, violoncellistes, hautboïstes, flûtistes, saxophonistes, cornistes, triples violonistes, simples racleurs, chanteurs, roucouleurs et compositeurs», il montrait sur sa table deux pistolets chargés.

Il haïssait les opéras dénués d'ouverture. Il haïssait les vocalises, il ne les pardonnait point même à Mozart et toute l'admiration qu'il ressentait pour le Prophète ne l'empêchait pas d'écrire, s'adressant à Meyerbeer:

Vous savez si je vous aime et si je vous admire; eh bien, j'ose affirmer que dans ces moments-là, si vous étiez près de moi, si la puissante main qui a écrit tant de grandes, de magnifiques et de sublimes choses était à ma portée, je serais capable de la mordre jusqu'au sang[12 - Journal des Débats, 27 octobre 1849.].

Il haïssait la fugue au point que la majesté du dieu Beethoven lui-même ne pouvait arrêter son indignation et qu'il écrivait un jour à propos de la Messe en ré:

Si au lieu de crier A-a-a-a-men pendant deux cents mesures, le chœur chantant en français s'avisait d'exprimer ses souhaits en vocalisant allegro furioso sur les syllabes Ain-ain-ain-si-i-i-i, avec accompagnement de trombones et de grands coups de timbales, ainsi que ne le manque jamais de faire un de nos plus illustres compositeurs de musique sacrée, il n'est pas un homme capable d'apprécier l'expression musicale qui ne se dit: «C'est un véritable chœur de paysans ivres se jetant les pots à la tête dans une taverne de village ou une carricature impie de tout sentiment religieux.» Je me rappelle avoir demandé à un professeur aussi savant que consciencieux, compatriote et ami de Beethoven, son opinion sur les amen vocalisés et fugués. Il me répondit franchement: «Oh! c'est une barbarie. – Mais pourquoi donc s'obstine-t-on toujours à en faire! – Mon Dieu! Que voulez-vous? c'est l'usage! Tous les compositeurs en ont fait.» N'est-il pas désespérant de penser que la routine ait conservé encore assez de puissance pour voir le front d'un Beethoven s'incliner un instant devant elle[13 - Journal des Débats, 25 janvier 1835.]?

Il haïssait les fabricants de pastiches, les arrangeurs, correcteurs et mutilateurs. Il les insultait, il les maudissait, il les ridiculisait[14 - Quand on a lu tout ce que Berlioz a écrit contre les «arrangeurs», on est abasourdi de l'audace d'un entrepreneur de spectacles qui, ayant travesti en opéra la Damnation de Faust, ne craint pas de protester de son respect pour le génie du musicien.]. Jamais personne n'a bafoué avec plus de force cette engeance – immortelle, car il suffit aujourd'hui d'assister à une représentation de Mozart à l'Opéra ou de Shakespeare à la Comédie-Française pour constater qu'il se rencontre toujours des «adaptateurs» prêts à faire au génie «l'aumône de leur science et de leur goût».

Et il haïssait encore une certaine musique «parisienne»… Mais, quand nous saurons son opinion sur les compositeurs de son temps, nous verrons mieux ce qu'il voulait dire par là.

Au fond, toutes ces haines de Berlioz sont la contrepartie de ses enthousiasmes. S'il déteste les virtuoses, c'est qu'ils altèrent et corrompent les chefs-d'œuvre; les arrangeurs, c'est qu'ils outragent les maîtres; les musiciens «parisiens», c'est que leurs ouvrages dépravent le goût public et le détournent d'une musique plus noble et plus fière.

Il exalte les œuvres de Beethoven, de Gluck, de Mozart, de Weber et de Spontini. Nous sommes enclins aujourd'hui à estimer qu'il y met parfois plus de ferveur que de pénétration. Mais n'oublions pas que ces articles étaient écrits en vue d'un journal quotidien. D'ailleurs, pour mesurer le progrès que Berlioz fit faire à la critique musicale, il n'est pas mauvais d'avoir lu quelques articles de Castil-Blaze.

Il publia de nombreux feuilletons sur Beethoven et il analysa les neuf symphonies[15 - Ces analyses ont été recueillies dans A travers Chants.]. Cédant à son propre tempérament, il a peut-être trop objectivé l'art de Beethoven; il en a donné une interprétation moins musicale que poétique. Mais qu'il y a de vivacité, parfois de délicatesse dans ces transcriptions littéraires! et qu'elles ont bien l'accent brûlant d'une passion juvénile!

Les études sur Alceste, sur Orphée, sur Obéron, sur le Freischütz, reproduites dans A travers Chants, manifestent le culte de Berlioz pour Gluck et Weber. L'esquisse biographique de Spontini (Soirées de l'Orchestre) est un acte d'adoration, un hymne à la déesse de la «musique expressive».

On a parfois reproché à Berlioz d'avoir méconnu Mozart. Cela n'est pas exact. Dans un merveilleux feuilleton contre les «arrangeurs» de la Flûte enchantée[16 - Journal des Débats, 1er mai 1836.], il appelle Mozart «le premier musicien du monde». Se réjouissant du succès de Don Juan[17 - Ibid. 15 novembre 1835.] à l'Opéra il félicite le public de «goûter sans ennui une musique fortement pensée, consciencieusement écrite, instrumentée avec goût et dignité, toujours expressive, dramatique, vraie; une musique libre et fière qui ne se courbe pas servilement devant le parterre et préfère l'approbation de quelques esprits élevés (suivant l'expression de Shakespeare) aux applaudissements d'une salle pleine de spectateurs»… Je ne prétends pas que ces éloges soient très chaleureux: ce ne sont pas des cris d'admiration. Berlioz traite autrement Gluck ou Beethoven. Mais l'honneur du critique est sauf: il a loué Mozart.


* * *

Si Berlioz n'avait eu qu'à dauber sur des pianistes ridicules, invectiver contre les fabricants de «pastiches» et exalter les maîtres du passé, il se fût résigné de bon cœur à son métier. Mais il avait aussi la charge de juger les vivants.

Cette partie de sa tâche lui avait causé tant de tracas, tant d'ennuis que jamais il ne fit réimprimer les chroniques où étaient prononcés les noms de ses contemporains. Dans ses volumes il a repris des fantaisies ou des essais théoriques publiés à propos de certains opéras. Mais il ne voulut point exhumer ce qu'il avait écrit sur les œuvres de son temps. Peut-être hésitait-il à signer une seconde fois des éloges de complaisance arrachés à sa lassitude. Il fit une exception pour son célèbre article sur Wagner et la musique de l'avenir; on put le relire dans A travers chants.

Nous n'avons aucune raison de partager ces scrupules. Berlioz, du reste, s'est fait une singulière idée de notre clairvoyance s'il nous a cru incapables de discerner sa vraie pensée à travers les formules laudatives ou courtoises que mille nécessités lui imposaient. «A quels misérables ménagements, disait-il dans ses Mémoires, ne suis-je pas contraint! que de circonlocutions pour éviter l'expression de la vérité! que de concessions faites aux relations sociales et même à l'opinion publique! que de rage contenue! que de honte bue! Et l'on me trouve emporté, méchant, méprisant! Hé! malotrus qui me traitez ainsi, si je disais le fond de ma pensée, vous verriez que le lit d'orties sur lequel vous prétendez être étendus par moi n'est qu'un lit de roses, en comparaison du gril où je vous rôtirais!..»

Assurément il ne put toujours livrer à ses lecteurs le fond de son cœur. Il dut quelquefois trépigner de colère à l'instant de décerner quelques vagues compliments à des compositeurs qu'il eût voulu déchirer. Il lui fallut sacrifier ses dégoûts tantôt à de chères amitiés, tantôt à ses propres intérêts: on n'est pas impunément candidat à l'Institut, puis académicien; de dures servitudes pèsent sur le journaliste, même le plus indépendant de caractère; enfin, si l'on est musicien, on ne saurait faire exécuter sa musique sans le concours d'artistes, de directeurs, de cantatrices, de chefs d'orchestre, etc… et il serait téméraire de vouloir conquérir leur dévouement à force d'injures. Berlioz courba quelquefois la tête, afin de conserver, malgré tout, le droit de dire ou d'insinuer la vérité, quand il lui semblait indispensable de le faire pour la dignité de l'art ou pour sa propre défense.

De ce droit il a usé souvent, plus souvent que lui-même ne l'a dit. Je citerai trois feuilletons où, sans circonlocutions, sans rien concéder aux relations sociales ou à l'opinion publique, il a exprimé sa pensée tout entière. Le premier de ces articles a été écrit en 1835, le second en 1849, le troisième en 1861. On voit que, durant sa longue carrière de journaliste, Berlioz a toujours su, quand l'occasion l'exigeait, exprimer ses indignations, sans ménager personne.

Sa première victime fut Hérold. L'Opéra-Comique venait de reprendre Zampa. Berlioz qui n'avait pas encore à s'occuper des représentations de ce théâtre, fit simplement une étude de la partition. «Hérold, sans avoir un style à lui, n'est cependant ni Italien, ni Français, ni Allemand. Sa musique ressemble fort à ces produits industriels fabriqués à Paris d'après des procédés inventés ailleurs et légèrement modifiés: c'est de la musique parisienne.» Tel était le thème de ce feuilleton qui fit scandale[18 - Journal des Débats, 27 septembre 1835.]. Les admirateurs d'Hérold ne le pardonnèrent jamais à Berlioz. Quand celui ci mourut, Jules Janin prétendit en laver la mémoire de son collaborateur et déclara qu'il était lui-même l'auteur du fameux article sur… le Pré aux Clercs. L'intention était charitable. Mais Jules Janin confondait le Pré aux Clercs avec Zampa. L'article était bel et bien de Berlioz. Il est assez lourdement rédigé, avouons-le. Mais peu de personnes trouveront aujourd'hui déraisonnable le jugement du critique de 1835 sur Zampa.

Quand parut la Fille du Régiment, ce fut au tour de Donizetti d'être étendu sur le «lit d'orties». Berlioz affirma que la musique de cette pièce avait déjà servi au compositeur italien pour un petit opéra imité ou traduit du Chalet d'Adam et représenté en Italie: «C'est une de ces choses comme on en peut écrire deux douzaines par an, quand on a la tête meublée et la main légère… Lorsqu'on est sur le point de produire une œuvre écrite per la fama[19 - L'Opéra s'apprêtait à représenter les Martyrs du même Donizetti.], comme disent les compatriotes de M. Donizetti, il faut bien se garder de montrer un pasticcio esquissé per la fame. On fait en Italie une effrayante consommation de cette denrée chantable, sinon chantante… Et cela n'a pas beaucoup plus d'importance dans l'art que n'en ont les transactions de nos marchands de musique avec les chanteurs de romances et les fabricants d'albums… Tout cela est per la fame, et la fama n'a que peu de chose à y voir… La partition de la Fille du Régiment est donc tout à fait de celles que ni l'auteur ni le public ne prennent au sérieux… L'orchestre se consume en bruits inutiles; les réminiscences les plus hétérogènes se heurtent dans la même scène, on retrouve le style de M. Adam côte à côte avec celui de M. Meyerbeer[20 - Journal des Débats, 16 février 1840.]…» Et le feuilleton tout entier est de cette plume rapide et incisive. Berlioz montre tous les théâtres de Paris envahis à la fois par Donizetti. Il se demande ce que penserait ce dernier s'il voyait Adam accaparer ainsi toutes les scènes de Florence, pour y faire représenter des œuvres méprisées à Paris et il imagine les doléances du public florentin devant le déballage de cette pacotille. – Donizetti se fâcha. On ne sait ce qu'Adam pensa de cette ironique fantaisie. Berlioz fut un peu moins cruel quelques semaines plus tard pour les Martyrs de Donizetti. On ne cesse de jouer la Fille du Régiment à l'Opéra-Comique. Les Martyrs ont eu des destinées moins heureuses.

En 1861, c'est contre la bouffonnerie d'Offenbach que se déchaîne Berlioz. L'Opéra-Comique vient de jouer Barkouf. Le critique s'abandonne à une exaspération qui nous fait aujourd'hui un peu sourire. Il s'indigne, avec le public, car Barkouf était tombé, de voir le genre «trivial, bas, grimaçant», envahir la scène de l'Opéra-Comique et il s'écrie: «Décidément, il y a quelque chose de détraqué dans la cervelle de certains musiciens. Le vent qui souffle à travers l'Allemagne les a rendus fous. Les temps sont-ils proches? De quel Messie alors l'auteur de Barkouf est-il le Jean-Baptiste[21 - Journal des Débats, 2 et 3 janvier 1861.]?..»

Voilà le Berlioz des jours de complète franchise.

Comment traitait-il les gens qu'il voulait «ménager»?

«La violence, disait-il, que je me fais pour louer certains ouvrages, est telle que la vérité suinte à travers mes lignes, comme, dans les efforts extraordinaires de la presse hydraulique, l'eau suinte à travers le fer de l'instrument.» La vérité suintait souvent. Tout le monde s'en apercevait, les auteurs des opéras et les lecteurs des feuilletons. Un jour que l'on avait représenté un ouvrage de Billetta, professeur de piano à Londres, Berlioz écrivait à son ami Morel: «Ne croyez pas un mot des quelques éloges que contient sur cette musique mon feuilleton de ce matin, et croyez, au contraire, que je me suis tenu à quatre pour en faire aussi tranquillement la critique[22 - Correspondance p. 249.]…» Vraiment ni Morel ni personne n'avait besoin d'être averti.

On est surpris au premier abord des louanges accordées par Berlioz aux œuvres d'Halévy, d'Auber et d'Adam. On est un peu scandalisé de trouver sous sa plume cette appréciation du Shérif d'Halévy: «Jamais M. Halévy ne s'est montré si abondant, si riche et si original. Cette œuvre a une physionomie tout à fait à part. Elle m'a fait éprouver, presque d'un bout à l'autre, ce plaisir rare que donnent aux musiciens les compositions hardies, nouvelles et savamment ordonnées[23 - Journal des Débats, 5 septembre 1839.].» Et Halévy n'était pas le seul à bénéficier de cette belle indulgence. Attendez pourtant! Voici ce qu'il écrit, une autre fois, du même Halévy, à propos du Val d'Andorre: «Le succès du Val d'Andorre, à l'Opéra-Comique, est un des plus généraux, des plus spontanés et des plus éclatants dont j'aie été témoin. Les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des auditeurs applaudissaient, approuvaient, étaient émus. Une fraction cependant, une fraction imperceptible, mais qui contient encore des esprits d'élite, ne partageait qu'avec des restrictions l'opinion dominante sur la haute valeur de l'ouvrage; d'autres, dès la fin du second acte, se montraient déjà fatigués d'entendre dire: «Que c'est charmant!» O Athéniens, vous avez pourtant bien peu d'Aristides! Pour moi, j'ai franchement approuvé et admiré; j'ai été impressionné vivement sans songer en écoutant les clameurs enthousiastes de la salle, à appliquer à M. Halévy ce mot antique: «Le peuple applaudit: aurait-il dit quelque sottise?..» Mot plus spirituel que profond, car le peuple applaudit même les belles choses quand elles sont à sa portée et qu'elles ne dérangent pas brusquement le cours de ses habitudes et de ses idées[24 - Journal des Débats, 14 novembre 1848.].» Un long «éreintement», comme nous disons aujourd'hui, eût-il valu ces lignes délicieuses et perfides?

La mansuétude qu'il témoignait à Auber était assez intermittente: «Il y a un nombre prodigieux de motifs de contredanse dans cette partition (Les Diamants de la couronne). La première reprise est ainsi toute faite, il ne s'agira plus que d'en ajouter une seconde et les quadrilles surgiront par douzaines. Évidemment, c'est le but que s'est proposé M. Auber; il a cru plaire davantage par là au public spécial de l'Opéra-Comique, et lui plaire d'autant plus que ces thèmes courants seraient moins originaux. La durée du succès peut seule démontrer si ce but a été atteint[25 - Ibid. 12 mars 1841.].» Encore cette fine et charmante ironie: «M. Auber a écrit sur ce livret (L'Enfant prodigue) une riche partition, brillante, animée, vive, joyeuse, souvent touchante et complètement privée de ces beautés terribles qu'accompagne l'ennui[26 - Journal des Débats, 9 décembre 1850.].» De tels traits sembleraient maintenant inoffensifs. En ce temps-là, on savait encore goûter les sous-entendus, comprendre les allusions.

Berlioz fut donc moins féroce qu'on ne l'a dit; mais il fut moins indulgent qu'il ne l'a lui-même prétendu.


* * *

Il a sincèrement aimé les œuvres de quelques-uns de ses contemporains. Prenons ici – cette réserve est indispensable – le mot de sincèrement dans le sens atténué qu'il faut toujours lui attribuer s'il s'agit d'un artiste jugeant les productions de ses rivaux ou de ses disciples heureux. Un musicien dénué de toute jalousie, étranger à toute malice, joyeux de succès qui ne sont pas les siens, ce prodige s'est une fois rencontré: César Franck fut un saint. Berlioz n'en était pas un: il aima qui l'aimait et célébra volontiers les œuvres dont la réussite lui semblait un gage de sa propre revanche. Cependant l'accent de certains feuilletons trahissait une chaleur de sentiment à laquelle ne pouvaient pas se tromper les compositeurs gratifiés la veille de louanges banales: ces jours-là, le critique était heureux que la reconnaissance, l'intérêt et la prudence lui permissent d'admirer librement ce qu'au fond du cœur il jugeait admirable.

Il a pieusement glorifié la musique de son maître Jean-François Lesueur[27 - Journal des Débats, 21 novembre 1835 et 15 octobre 1837.]. Son grand dégoût de l'italianisme ne l'empêcha pas de répéter vingt fois que le Barbier était un chef-d'œuvre et de reconnaître «la sensibilité profonde» de Bellini, «son expression si souvent juste et vraie… sa simplicité naïve[28 - Ibid. 16 juillet 1836.]». Pour l'amour de la symphonie, il combla de louanges les pauvres symphonistes de cette époque: Heller, Reber, Litolff.

De tous les musiciens de son temps, celui qu'il loua avec le plus d'ardeur, ce fut Meyerbeer. Ce goût déconcertant gêne quelques-uns de ses fervents: ils voudraient mettre au compte des complaisances nécessaires les éloges décernés par le musicien des Troyens au compositeur du Pardon de Ploërmel: simple gratitude de Berlioz, disent-ils, pour un maître illustre, auditeur assidu et bienveillant de toutes ses symphonies et de tous ses opéras. A leur avis, si l'on veut savoir sa véritable opinion, il faut s'en tenir à cette boutade rapportée par M. Adolphe Jullien[29 - Hector Berlioz, sa Vie et son Œuvre, p. 291.]: «Meyerbeer n'a pas seulement le bonheur d'avoir du talent, il a surtout le talent d'avoir du bonheur.»

Berlioz a pu lâcher cette méchanceté dans un instant d'humeur. Ce n'était point son opinion intime. Tels passages de ses œuvres (ce ne sont pas les meilleurs), notamment le finale de la Réconciliation, théâtral épilogue de la belle symphonie de Roméo et Juliette, prouveraient que l'admiration de Berlioz pour Meyerbeer ne fut que trop réelle… Mais, rien qu'à lire ses feuilletons, nous en sommes déjà convaincus. Qu'il s'agisse de l'auteur des Huguenots ou de celui de la Juive, l'éloge sonne d'une manière différente.

En 1836, Berlioz avait publié une analyse de la partition des Huguenots, très longue et très chaleureuse[30 - Journal des Débats, 10 novembre et 10 décembre 1836.]. On a lu plus haut un fragment d'un de ses articles sur le Prophète. A la suite de la représentation de l'Étoile du Nord, il disait: «C'est merveilleux de vérité, d'élégance, de fraîcheur d'idées, d'originalité, d'audace et de bonheur. A côté des plus jolies, des plus coquettes chatteries musicales, on y trouve des combinaisons effrayantes de complexité, des traits d'expression passionnée d'une vérité saisissante[31 - Journal des Débats, 21 février 1854.].» – Pour le Pardon de Ploërmel, mêmes louanges[32 - Ibid. 10 avril 1859.]. Et si l'on conserve un doute, malgré tous ces témoignages publics, il faut ouvrir les Lettres intimes à Humbert Ferrand: on y lit ceci (28 avril 1859): «Que la musique d'Herculanum est d'une faiblesse et d'un incoloris (pardon du néologisme) désespérants! Que celle du Pardon de Ploërmel est écrite, au contraire, d'une façon magistrale, ingénieuse, fine, piquante et souvent poétique! Il y a un abîme entre Meyerbeer et ces jeune gens. On voit qu'il n'est pas Parisien. On voit le contraire pour David et Gounod.»

Berlioz traite ici avec un peu d'amertume ces deux jeunes gens. Il avait pourtant salué leurs débuts avec une évidente sympathie. Pour Félicien David, sympathie est trop peu dire. L'article sur la première audition du Désert ressemble à un sacre, à une apothéose: un grand compositeur vient d'apparaître; un chef d'œuvre vient d'être dévoilé. «Arrière toutes les tièdes réticences, toutes les réserves ingrates sous lesquelles se cache la lâche crainte de trouver des railleurs, ou celle plus misérable encore et plus mal fondée de voir les travaux futurs du nouvel artiste ne pas répondre à l'attente que son premier triomphe fait concevoir!.. Ah! prudents aristarques, vous ne savez pas de quelle nature est l'émotion qui fait battre le cœur de l'artiste dont l'œuvre est reconnue belle! Ce n'est pas de la vanité, ce n'est pas de l'orgueil, ce n'est pas la satisfaction d'avoir vaincu une difficulté, la joie d'être sorti d'un péril, ce n'est rien de tout cela, détrompez-vous, c'est de la passion, c'est une passion partagée, c'est l'enthousiasme pour son œuvre multiplié par la somme des enthousiasmes intelligents qu'elle a excités… L'amour du beau remplit seul tout entière l'âme du poète; ce qu'il désire, c'est d'avoir, autour de lui, quand il chante, un chœur de voix émues pour répondre à sa voix: plus elles sont belles, savantes et nombreuses et plus sa vie rayonne et se divinise, plus il est heureux[33 - Journal des Débats, 15 décembre 1844.]…» Pauvre Berlioz! Il livrait le secret de ses plus cruelles rancœurs, lorsqu'il peignait avec tant de feu les joies du poète applaudi; de toute son âme il aspirait à l'ivresse du triomphe, au délire qui «divinise» la vie; mais un destin avare lui marchandait cette félicité: ce fut son désespoir. Pauvre David! la gloire lui avait souri trop tôt. Ces «aristarques prudents» dont les scrupules et les réserves indignaient son panégyriste, n'étaient peut-être pas si mal avisés. Il justifia leur prudence, et Berlioz lui-même écrivit sur Herculanum un article d'une sévérité mitigée où le dépit d'avoir été mauvais prophète se mêlait à la crainte que tout le monde n'eût pas perdu le souvenir des solennels enthousiasmes de naguère.

Quant à Gounod, le feuilleton de Berlioz sur Sapho contient de sévères admonestations mais aussi de grands éloges. Il mérite d'être relu. C'est un de ceux où Berlioz a exprimé sa pensée, toute sa pensée, avec le plus de franchise et de liberté. Après avoir vanté le poème d'Émile Augier comme un «magnifique texte pour la musique», il ajoute que Gounod l'a très bien traité dans certaines parties. Mais d'autres passages de l'œuvre l'ont révolté: «Je trouve cela, dit-il, hideux, insupportable, horrible.» Et s'adressant au musicien: «Non, mon cher Gounod, l'expression fidèle des sentiments et des passions n'est pas exclusive de la forme musicale… Avant tout il faut qu'un musicien fasse de la musique. Et ces interjections continuelles de l'orchestre et des voix dans les scènes dont je parle, ces cris de femmes sur des notes aiguës, arrivant au cœur comme des coups de couteau, ce désordre pénible, ce hachis de modulations et d'accords, ne sont ni du chant, ni du récitatif, ni de l'harmonie rythmée, ni de l'instrumentation, ni de l'expression. Il arrive dans certains cas au compositeur d'être obligé par son sujet à des espèces de préludes dans lesquels se montrent à demi les idées qu'il se propose de développer immédiatement après; mais il faut qu'enfin il les développe, ces idées, il faut que l'espoir de voir le morceau de musique commencer et finir ne soit pas continuellement déçu[34 - Journal des Débats, 22 avril 1851.]…» Après cette vive mercuriale, il met en lumière toutes les beautés de la partition, surtout la dernière scène, dont il dira quelques mois plus tard, en rendant compte d'une reprise de Sapho:

«L'art est si complet qu'il disparaît. On ne songe plus qu'à la sublimité de l'expression générale sans tenir compte des moyens employés par l'auteur. C'est beau!.. mais très beau, miraculeusement beau[35 - Journal des Débats, 7 janvier 1852.]!»

J'ai déjà cité les vivants dialogues par lesquels débute le feuilleton sur Faust. Quand, dans le même article, Berlioz prend ensuite la parole pour son compte, il s'efforce d'être équitable; mais le cœur n'y est pas. Comment ne serait-il pas blessé des inventions saugrenues des librettistes? comment, surtout, pourrait-il écarter de sa pensée le triste destin de sa Damnation? A son avis la partition de Gounod a «de fort belles parties et de fort médiocres[36 - Lettre à Humbert Ferrand, 28 avril 1859.]». Il loue de son mieux les premières. Quant aux secondes, il use d'ingénieuses prétentions: «Je ne puis me rappeler la forme ni l'accent du petit morceau chanté par Siébel cueillant des fleurs dans le jardin de Marguerite.» Quatre heures de musique l'ont tellement fatigué qu'il a gardé seulement un «souvenir confus» du trio final[37 - Journal des Débats, 26 mars 1859.].

Avant que Berlioz renonçât à la critique musicale, deux jeunes compositeurs français dont les noms furent depuis glorieux. Georges Bizet et Ernest Reyer, avaient fait représenter à Paris leurs premiers ouvrages. Berlioz leur rendit justice.

Ce fut l'auteur de la Statue qui occupa dans les Débats la place abandonnée par l'auteur des Troyens. Il continua la glorieuse tradition de son maître. A son tour, pendant plus de trente années, il prodigua dans d'innombrables articles les fantaisies, les malices, les ironies de son esprit alerte et mordant, les boutades de son humeur indépendante, et les jugements de son goût libre, sûr et délicat.


* * *

La suite des feuilletons de Berlioz forme donc une histoire complète de la musique à Paris de 1835 à 1863. On n'y relève qu'une grave omission: Berlioz n'a point prononcé le nom de César Franck. Mais il faut observer que la seule œuvre de Franck exécutée pendant ce laps de temps fut Ruth et Booz et qu'alors (4 janvier 1846), Berlioz voyageait en Autriche. Ce fut Delécluze qui rendit compte de ce concert dans les Débats[38 - Journal des Débats, 20 janvier 1846.]; il loua le nouvel oratorio et fit écho à l'enthousiasme du public, car la première œuvre de César Franck remporta un éclatant succès.

Je n'ai rien dit de l'attitude de Berlioz à l'égard de Wagner. On a si souvent conté la querelle du musicien français et du musicien allemand[39 - L'article de Berlioz se trouve dans A travers Chants. La réponse de Wagner, publiée dans les Débats, a été reproduite par M. Georges Servières dans son livre: Wagner jugé en France.]! Autrefois beaucoup de personnes s'imaginaient, sur la foi de Scudo, que Berlioz et Wagner étaient «de la même famille… deux frères ennemis… deux enfants terribles de la vieillesse de Beethoven»; et, comme cette opinion était acceptée non seulement par les détracteurs mais aussi par certains admirateurs de Berlioz et de Wagner, une telle dispute de famille étonnait les uns et attristait les autres. Aujourd'hui que les grandes haines sont éteintes et que les grands engouements sont calmés, aujourd'hui que l'on ne goûte plus en applaudissant, soit Wagner, soit Berlioz, la joie de passer pour révolutionnaire, on comprend mieux que Berlioz ne pouvait pas aimer Wagner, sans désavouer une partie de son œuvre, sans blasphémer ses dieux.

Il rédigea une solennelle profession de foi, un véritable credo et jeta l'anathème à la «musique de l'avenir». Plus tard, des griefs personnels se mêlèrent à ses répugnances artistiques; sa colère s'exaspéra quand il vit l'Opéra recevoir Tannhäuser, tandis que le sort des Troyens demeurait incertain. Le lendemain de la première représentation, il allait, dans ses lettres, jusqu'à féliciter les Parisiens de leurs rires et de leurs sifflets; il trouvait bon que la foule, sur l'escalier de l'Opéra, eût traité tout haut Wagner «de gredin, d'insolent, d'idiot»; il ne pouvait réprimer ce cri pitoyable: «Je suis cruellement vengé[40 - Correspondance, pp. 225 à 280, passim.]». Cependant tout n'était pas rancune assouvie et jalousie satisfaite dans le plaisir que lui procurait la chute du Tannhäuser. Il faut se reporter à l'article que, dix années auparavant, il avait consacré à la Sapho de Gounod, pour saisir les causes lointaines et profondes de son hostilité contre la musique de Wagner.


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«Esthétique! maugréait Berlioz, je voudrais bien voir fusiller le cuistre qui a inventé ce mot là.» – Le vocable est disgracieux, disons-le avec Berlioz. Mais celui-ci avait des raisons particulières de haïr l'esthétique. Sa devise était celle du romantisme: Désordre et Génie. On ne discipline pas le Désordre; on ne définit pas le Génie.

Après avoir parcouru livres et feuilletons de Berlioz, nous gardons le souvenir d'un chaos d'invectives et de dithyrambes, d'un étrange pêle-mêle de folie et de bon sens, d'amour et de haine, d'emphase et d'esprit, mais où rien ne ressemble à un système. Il est sans doute puéril de réclamer d'un artiste créateur un ensemble de règles et de préceptes: ces législations sont jeux de pédants. Mais, sachant les objets de ses préférences et de ses aversions, nous pouvons, en général, restituer sa poétique, c'est-à-dire déterminer avec plus de précision et de sûreté les caractères de son génie: un artiste qui se mêle de critique confesse au public ses propres ambitions.

Nous connaissons bien la doctrine morale de Berlioz, son «éthique» professionnelle: elle est très belle et très claire: le musicien doit se garder de toute trivialité, mépriser le vulgaire, le médiocre, le «parisien», se moquer de la fortune, respecter les maîtres et ne rien céder de son idéal.

Mais quel fut l'idéal de Berlioz? quelle son esthétique?

On découvre sans peine dans les livres de Wagner la genèse des idées qui devaient aboutir à la fondation de Bayreuth, les influences sous lesquelles s'est élaborée, achevée la conception du drame lyrique. Quelques phrases éparses en des lettres familières suffisent à dévoiler la pensée intime de Mozart sur la musique et l'opéra. Avec Berlioz, nous sommes en pleines ténèbres. Il a entassé des milliers de pages de critique; on possède les lettres qu'il adressait à ses amis; lui-même n'a jamais été avare de confidences sur ses œuvres et sa vie; cependant il nous est impossible de nous orienter au milieu de la diversité de ses théories et de ses tendances.

Wagner a entrevu la cause de ces décevantes inconséquences: «Du fond de notre Allemagne, dit-il, l'esprit de Beethoven a soufflé sur lui, et certainement il fut des heures où Berlioz désirait être un Allemand; c'est en de telles heures que son génie le poussait à écrire à l'imitation du grand maître, à exprimer cela même qu'il sentait exprimé dans ses œuvres. Mais dès qu'il saisissait la plume, le bouillonnement naturel de son sang de Français reprenait le dessus, le bouillonnement de ce sang qui frémissait dans les veines d'Auber, lorsqu'il écrivit le volcanique dernier acte de sa Muette… Heureux Auber, qui ne connaissait pas les symphonies de Beethoven! Berlioz lui, les connaissait; bien plus, il les comprenait, elles l'avaient transporté, elles avaient enivré son âme… et néanmoins c'est par là qu'il lui fut rappelé qu'un sang français coulait dans ses veines. C'est alors qu'il se reconnut incapable de faire un Beethoven, c'est alors aussi qu'il se sentit incapable d'écrire comme un Auber[41 - Cette étude sur Berlioz a été écrite par Wagner en 1841. Elle a été traduite par M. Camille Benoît dans Musiciens, Poètes et Philosophes.].»

La remarque de Wagner est pénétrante, mais elle ne touche qu'à l'écriture musicale; elle n'éclaire pas encore tous les aspects du génie de Berlioz. Il faut pousser plus loin si l'on veut deviner quel combat terrible tourmenta cette âme divisée contre elle-même.

«J'ai mis au pillage Virgile et Shakespeare…», écrit Berlioz au sujet des Troyens. Virgile et Shakespeare! Voilà en deux mots l'origine des incertitudes, des contradictions, des incohérences parmi lesquelles se débattait son imagination inquiète et douloureuse. Pas un seul jour il ne se douta qu'il adorait deux divinités ennemies et que servir l'une, c'était renier l'autre. Il ne s'en douta pas; mais les divinités se vengèrent.

Il était classique d'intelligence, classique d'éducation, classique jusqu'aux moelles.

Le premier poète qu'il a lu, senti, aimé, c'est Virgile[42 - «J'ai passé ma vie avec ce peuple de demi-dieux; je me figure qu'ils m'ont connu, tant je les connais. Et cela me rappelle une impression de mon enfance qui prouve à quel point ces beaux êtres antiques m'ont tout d'abord fasciné. A l'époque où, par suite de mes études classiques, j'expliquais, sous la direction de mon père, le douzième livre de l'Énéide, ma tête s'enflamma tout à fait pour les personnages de ce chef-d'œuvre: Lavinie, Turnus, Énée Mezence, Lausus, Pallas, Evaudre, Amata, Latinus, Camille, etc., etc.; j'en devins somnambule, et, pour emprunter un vers à Victor Hugo:Je marchais tout vivant dans mon rêve étoilé.Un dimanche, on me mena aux vêpres: le chant monotone et triste du psaume: «In exitu Israël» produisit en moi l'effet magnétique qu'il produit encore aujourd'hui et me plongea dans les plus belles rêveries rétrospectives. Je retrouvais mes héros virgiliens, j'entendais le bruit de leurs armes, je voyais courir la belle amazone Camille, j'admirais la pudique rougeur de Lavinie éplorée, et ce pauvre Turnus, et son père Daunus, et sa sœur Juturne; j'entendais retentir les grands palais de Laurente… et un chagrin incommensurable s'empara de moi, je sortis de l'église tout en larmes…» – (Lettre d'Hector Berlioz à la princesse Caroline Sayn, – Wittgenstein, 20 juin 1859).]. Enfant, l'agonie de Didon l'a fait pleurer et frissonner. Plus tard, Gluck excite les premiers transports du musicien et lui dicte sa vocation, Gluck qui, même en évoquant les héros d'Euripide ou du Tasse, reste par-dessus tout virgilien, c'est-à-dire profondément classique au sens français çais du mot, Gluck si voisin de l'art de nos tragiques par sa robuste sobriété, sa science de la passion, sa pompeuse élégance, Gluck qui, dans ses chefs-d'œuvre, a continué, sans le surpasser, Rameau, «le plus français des Français de France[43 - Le mot est de J. – J. Weiss.]». Mais, pour son malheur, le temps de ses premières œuvres et de ses premières amours est celui où la bourrasque romantique se déchaîne sur la France. Tout dans les promesses de l'école nouvelle séduit sa nature brûlante: les règles brisées, les conventions abolies, la passion glorifiée, la révélation d'une beauté inconnue. Il devient donc romantique; mais sa sensibilité est seule atteinte; son goût demeure classique.

Quand Berlioz part pour Rome, le poison est déjà dans ses veines: c'est Byron qu'il lit au Colisée, ce sont des chœurs de Weber qu'il chante avec des peintres allemands en revenant, le soir, de ses promenades à travers la campagne romaine. Égaré par les prestiges romantiques, il n'est plus capable d'écouter la leçon des ruines et du ciel. Mais ni les fées, ni les sorcières, ni Satan, ni les dieux du Nord ne peuvent fermer son oreille à la voix de Virgile, qui lui parle sans relâche sur la terre du Latium. Des vers de l'Énéide se réveillent à tout propos dans son esprit; et, près de Subiaco, s'accompagnant de sa guitare, il chante, dans la solitude, la mort du jeune Pallas et le désespoir du bon Évandre. Ces souvenirs, rien ne les effacera jamais; ils se mêleront à toutes les joies, à toutes les souffrances, à toutes les admirations de Berlioz. Ce sera le convoi de Pallas qu'il croira voir passer, quand il entendra la marche funèbre de la Symphonie héroïque. Tous ses écrits sont parsemés de citations de Virgile; ses feuilletons les plus moroses en sont émaillés. Il est torturé, tenaillé, à la pensée de débrouiller un scénario de Scribe: un vers des Églogues traverse sa mémoire, et le voilà qui sourit sur le chevalet. Le poète latin a inspiré son premier essai: la Mort d'Orphée, et sa dernière œuvre: les Troyens.

Berlioz a aimé aussi, hélas! formidablement aimé ce fétiche barbare que les artistes d'alors nommaient Shakespeare, ayant appris, par les traductions de Letourneur, que le poète anglais, détesté de Voltaire, ignorait la règle des trois unités, peuplait la scène de fantômes et introduisait le calembour dans la tragédie. Le shakespearianisme des romantiques français est une des mystifications les plus plaisantes de l'histoire littéraire. Berlioz, lui-même, nous a fait là-dessus des aveux bons à retenir. Il venait d'assister avec une émotion poignante à la représentation de Roméo et Juliette donnée à Paris par la troupe anglaise dont Henriette Smithson faisait partie; «Il faut ajouter, dit-il en rappelant cette heure de sa vie, que je ne savais pas alors un seul mot d'anglais, que je n'entrevoyais Shakespeare qu'à travers les brouillards de la traduction de Letourneur et que je n'apercevais point en conséquence la trame poétique qui enveloppe comme d'un réseau d'or ces merveilleuses créations. J'ai le malheur qu'il en soit à peu près de même aujourd'hui. Il est bien plus difficile à un Français de sonder les profondeurs du style de Shakespeare qu'à un Anglais de sentir les finesses et l'originalité de celui de La Fontaine et de Molière. Nos deux poètes sont de riches continents. Shakespeare est un monde.» Avec les autres romantiques, il adora donc ce poète inconnu. Shakespearien devint pour lui comme pour eux le mot qui excuse toutes les folies. Shakespeariens, les effets «foudroyants» pour lesquels il décuple les sonorités de l'orchestre; shakespearienne, l'obsession du colossal, du titanique; shakespearien, le mélange du trivial et du sublime dans la symphonie; shakespearien surtout, ce mépris des conventions qui tiennent à l'essence même de l'art, l'imprudente ambition d'amalgamer des sons, des couleurs et de la littérature.

Dans ses premières œuvres, la passion romantique domina presque souverainement; mais elle ne put en bannir la finesse, l'élégance et la tendresse virgiliennes. La «scène aux champs» de la Symphonie fantastique, le début de la Damnation de Faust, d'autres fragments encore attestaient la persistance du goût classique. Puis, un jour, par cette sorte de régression qui, vers le milieu de la vie, ramène les hommes à leur véritable nature, aux instincts qu'ils ont hérités de leur race et de leur famille, Berlioz se détourna du romantisme. Alors il composa l'Enfance du Christ, Béatrice et Bénédict, les Troyens: à son insu, il rentrait dans sa voie. Quand il fit exécuter l'Enfance du Christ, quelques personnes soutinrent qu'il avait modifié son style et sa manière. Il haussa les épaules: «J'aurais écrit, dit-il, l'Enfance du Christ de la même façon, il y a vingt ans.» C'était vrai: il eût pu l'écrire; mais il avait écrit la Symphonie fantastique! Nul artiste ne fut aussi inconscient des mouvements de son génie. Jamais il ne s'aperçut qu'en lui même son goût et sa sensibilité se livraient bataille. Il souffrit tragiquement de ce conflit, mais ignora la cause de son mal.

Combien de poètes et d'artistes romantiques subirent le même tourment pour avoir, dans un moment de bravade, refusé d'entendre le cri de leur propre nature! Combien ont pu répéter le cantique de Racine:

Hélas! en guerre avec moi-même
Où pourrai-je trouver la paix?

La paix, c'est-à-dire l'heureux accord de toutes les facultés d'une âme humaine, sous la loi de la tradition.



    ANDRÉ HALLAYS




AVERTISSEMENT


Le titre de ce volume: La Musique et les Musiciens avait été choisi, du vivant de Berlioz, pour un recueil d'articles qui est resté à l'état de projet. Celui que nous offrons aujourd'hui au public, contient quelques-uns des feuilletons publiés dans le Journal des Débats, de 1835 à 1863.

Un grand nombre de feuilletons de Berlioz ont été déjà réédités, soit en entier, soit par fragments, dans A travers Chants, dans les Grotesques de la Musique, dans les Soirées de l'Orchestre, dans les Mémoires. Ceux que nous réunissons aujourd'hui n'ont jamais été reproduits. On pourra retrouver çà et là quelques lignes déjà réimprimées dans de précédents volumes. Lorsque le feuilleton d'où ces lignes avaient été tirées, présentait un réel intérêt, nous avons cru pouvoir le donner intégralement.

Nous nous sommes attachés à choisir les articles les plus propres à bien faire connaître l'opinion de Berlioz sur les musiciens de son temps. Si l'on veut savoir comment il jugeait ses maîtres de prédilection: Beethoven, Gluck, Weber et Spontini, il faut se reporter aux Soirées de l'Orchestre et à A travers Chants. Cependant nous avons cru devoir citer ici deux feuilletons relatifs à Mozart, les autres recueils ne donnant que d'une façon incomplète la pensée du critique sur l'auteur de Don Juan. Tout le reste de la publication est consacré à des contemporains de Berlioz.

Il ne pouvait être question de reproduire tous les articles de critique musicale insérés dans le Journal des Débats pendant vingt-huit années. Personne aujourd'hui ne s'intéresserait à tous les opéras mort-nés que Berlioz a été forcé de passer en revue. Nous nous en sommes tenus aux œuvres des compositeurs qui sont demeurés glorieux ou célèbres.

On a parfois omis la partie du feuilleton où est analysé le livret. On a pensé aussi que, dans certains cas, le jugement de Berlioz sur les interprètes ne présentait plus aucun intérêt et on a retranché de fastidieuses nomenclatures d'artistes disparus.

Nous ne nous sommes pas cru autorisés à effacer certaines négligences de style que Berlioz eut sans doute fait disparaître, s'il avait réédité lui-même ces articles écrits au jour le jour.




MOZART





DON JUAN




    15 novembre 1835.

On a donné hier soir Don Juan à l'Opéra. Je ne viens pas en faire l'analyse. Dieu m'en garde! Trop de savants critiques, musiciens, poètes, ou à la fois poètes et musiciens (comme Hoffmann par exemple) se sont exercés sur ce vaste sujet, de manière à ne rien laisser à glaner après eux. Je me bornerai à émettre quelques idées générales à propos de cette étonnante production toujours jeune, toujours forte, toujours à l'avant-garde de la civilisation musicale, lorsque tant d'autres, dont l'âge n'égale pas la moitié du sien, gisent déjà, cadavres oubliés dans les fossés du chemin, ou mendient des suffrages d'une voix cassée qu'on écoute à peine. Quand Mozart l'écrivit, il n'ignorait pas que le succès d'une œuvre pareille serait lent, et que peut-être même il ne serait pas donné à l'auteur de le voir. Il disait souvent, en parlant de Don Juan: «Je l'ai fait pour moi et quelques amis.» Mozart avait raison de n'espérer que l'admiration du petit nombre de musiciens avancés de son époque. La froideur de la masse du public devant le monument musical qu'il venait d'élever le prouva bien. Aujourd'hui même, si la supériorité de Mozart ne trouve pas en France de contradicteurs, c'est moins dans un sentiment réel du peuple dilettante qu'il en faut voir la cause, que dans l'influence exercée sur lui par l'opinion constamment la même des artistes distingués de toutes les nations; opinion qui a fini par passer dans l'esprit de la foule comme un dogme religieux sur lequel la controverse n'est point permise, et dont il serait criminel de douter. Pourtant le succès de Don Juan à l'Opéra, succès d'argent s'il en fut, peut être regardé comme la manifestation d'un progrès sensible dans notre éducation musicale. Il prouve avec évidence qu'une bonne partie du public peut déjà goûter sans ennui une musique fortement pensée, consciencieusement écrite, instrumentée avec goût et dignité, toujours expressive, dramatique, vraie; une musique libre et fière, qui ne se courbe pas servilement devant le parterre et préfère l'approbation de quelques esprits élevés (suivant l'expression de Shakespeare) aux applaudissements d'une salle pleine de spectateurs vulgaires. Oui, le nombre des initiés est devenu assez grand aujourd'hui pour qu'un homme de génie ne soit plus obligé de mutiler son œuvre en la rapetissant à la taille de ses auditeurs. La majorité des habitués de nos théâtres lyriques est encore, il est vrai, sous l'influence d'idées bien étroites, mais ces idées mêmes perdent peu à peu de leur empire, et, dans l'incertitude causée par la chute successive de leurs illusions, les traînards finissent par s'en rapporter aveuglément à la parole de ceux qui les ont devancés dans la voie du progrès, et s'applaudissent chaque jour de les avoir suivis, en faisant sur leurs pas de merveilleuses découvertes. Certaines parties des grandes compositions demeureront bien encore quelque temps voilées pour la multitude, mais au moins n'en est-elle plus à refuser à ces hiéroglyphes une signification, et ne désespère-t-elle pas d'en pénétrer le sens. On commence à comprendre qu'il y a un style en musique comme en poésie, qu'il y a par conséquent une musicalité de bas étage, comme une littérature d'antichambre, des opéras de grisettes et de soldats, comme des romans de cuisinières et de palefreniers. Par induction, on concevra peu à peu qu'il ne suffit pas qu'un morceau de musique soit d'un agréable effet sur l'organe de l'ouïe, mais qu'il doit remplir en outre d'autres conditions sans lesquelles l'art musical ne s'éleverait pas beaucoup au-dessus de l'art des Carêmes et des Vatels. On comprendra que, s'il est ridicule de vouloir exclure de l'orchestre le moindre de ses instruments, puisqu'ils peuvent tous produire des effets intéressants, employés à propos et avec sagacité, il l'est cent fois davantage de jouer de l'orchestre comme d'un piano dont on a levé les étouffoirs; d'entendre tous les sons confondus sans distinction de caractère, sans égard pour la mélodie qui disparaît, pour l'harmonie qui devient confuse, pour les convenances dramatiques blessées et pour les oreilles sensibles offensées. On verra bien qu'il est monstrueux d'accueillir l'entrée en scène de mademoiselle Taglioni avec les beuglements de l'ophicléïde et un feu roulant de coups de tampon, que cette instrumentation barbare, qui conviendrait à des évolutions de cyclopes, devient un stupide contresens appliquée à la danse de la plus gracieuse des sylphides; qu'il n'est pas moins singulier d'entendre la petite flûte doubler à la triple octave le chant d'une voix de basse, ou un accompagnement de violons, a punta d'arco, égayer un hymne de prêtres inclinés sur un tombeau. On apercevra enfin les déplorables conséquences de ce système de musique saltimbanque. En effet, comment voulez-vous ainsi produire des contrastes puissants? Où le compositeur consciencieux pourra-t-il trouver les moyens de faire ressortir certaines nuances sans lesquelles il n'y a pas de musique? Veut-il tirer de son orchestre une voix effrayante, grandiose, terrible? Les trombones, l'ophicléïde, les trompettes et les cors sont là, il les met en action… Ils ne produisent cependant pas sur l'auditoire l'impression qu'il espérait; le bruit de cette masse d'instruments de cuivre n'est ni effrayant, ni grandiose. Le public en entend tous les jours de semblables dans l'accompagnement d'un duo d'amour ou d'un chant d'hyménée; il y est accoutumé, et l'éclat sur lequel comptait le musicien n'ayant pour lui rien d'extraordinaire, ne le frappe en aucune façon. Si l'auteur a besoin, au contraire, d'une instrumentation douce et délicate, à moins que la situation dramatique ne soit saisissante au dernier point, soyez sûr qu'un auditoire, habitué à voir ses conversations couvertes par le fracas d'un orchestre possédé, ne prêtera pas le degré d'attention nécessaire pour l'apprécier. Voilà pourquoi je pense qu'avant l'apparition de Robert le Diable et celle du second acte de Guillaume Tell, c'eût été folie d'espérer un brillant succès pour la partition de Don Juan à l'Opéra. La sensibilité du public était engourdie; c'est grâce à l'heureuse influence exercée par ces deux modèles dans l'art de dispenser les trésors de l'instrumentation, que nous devons de l'avoir vue se réveiller. Enfin Mozart est venu à point.

Malheureusement, on a cru devoir introduire dans Don Juan des airs de danse formés de lambeaux arrachés çà et là aux autres œuvres de Mozart, étendus, tronqués, disloqués et instrumentés selon la méthode qui me paraît si contraire au sens musical et aux intérêts de l'art; sans cela, le style si constamment pur de la sublime partition, en rompant sans ménagements les habitudes que le public avait prises depuis huit ou dix ans, eût achevé cette révolution importante. Et notez bien que Mozart seul pouvait prendre la responsabilité d'une pareille tentative. On n'a pas encore osé dire que son orchestre fût pauvre, ni que son style mélodique eût vieilli; ce nom a conservé sur les savants comme sur les ignorants, sur les jeunes compositeurs comme sur les anciens maîtres, tout son prestige. On pouvait donc, sans crainte de s'attirer le reproche de ressusciter des vieilleries, remonter un opéra dont l'ensemble et les détails sont une critique sanglante des procédés adoptés par une école musicale moderne. Tentative qui eût été souverainement imprudente, au contraire, dans un nouvel ouvrage. «C'est une musique bien pâle, aurait-on dit de toutes parts, cet orchestre est bien pauvre, bien dépourvu d'éclat et de vigueur.» Tout cela, parce que la grosse caisse n'aurait pas tonné dans tous les morceaux, flanquée d'un tambour, d'une paire de timbales, des cimbales et du triangle, et accompagnée de toute la brillante cohorte des instruments de cuivre. Eh malheureux! vous ne savez donc pas que Weber n'a jamais permis à la grosse caisse de s'introduire dans son orchestre; que Beethoven, dont vous ne récuserez pas, j'espère, la puissance, ne l'a employée qu'une seule fois, et que dans le Barbier de Séville et quelques autres ouvrages de Rossini on n'en trouve pas une note! Si donc tout orchestre dépourvu de ce grossier auxiliaire vous paraît faible et maigre, n'en accusez que ceux qui vous ont ainsi blasés par l'abus des moyens violents, et prêtez plus d'attention au compositeur assez clairvoyant sur les causes réelles du pouvoir de son art, pour n'avoir recours au bruit qu'en des occasions rares et exceptionnelles.

C'est ce qu'on fait aujourd'hui pour Mozart, je n'en citerai pour preuve que le silence religieux avec lequel on écoute à l'Opéra la scène de la statue, dont l'entrée au Théâtre-Italien, est ordinairement le signal de l'évacuation de la salle. Il n'y a plus là de prima donna ou de ténor à la voix séduisante, pour donner une leçon de chant aux élégantes des premières loges; il ne s'agit point d'un duo à la mode, dans lequel les deux virtuoses font assaut de talent et d'inspiration, ce n'est qu'un chant mortuaire, une sorte de récitatif, mais sublime de vérité et de grandeur. Et comme l'instrumentation des actes précédents a été traitée avec discernement et modération, il s'ensuit qu'à l'apparition du spectre, le son des trombones, qu'on n'a pas entendus depuis longtemps, vous glace d'épouvante, et qu'un simple coup de timbale, frappé de temps en temps sous une harmonie sinistre, semble ébranler toute la salle. Cette scène est si extraordinaire, le musicien a réalisé là de tels prodiges, qu'elle écrase toujours l'acteur chargé du rôle du Commandeur; l'imagination devient d'une exigence excessive et dix voix de Lablache unies lui paraîtraient à peine suffisantes pour de tels accents. Il n'en est pas de même des cris forcenés de Don Juan, se débattant sous les étreintes glacées du colosse de marbre. Comme l'impie séducteur de donna Anna n'est rien de plus qu'une créature humaine, l'esprit ne lui demande que des accents humains, et c'est peut-être même de toutes les parties de ce rôle varié celle que l'acteur rend ordinairement le mieux. Au moins cela nous a-t-il semblé tel pour Garcia, Nourrit et Tamburini.

Le rôle d'Ottavio est devenu presque inabordable par la perfection désespérante avec laquelle Rubini chante l'air fameux: Il mio tesoro. Je cite cet air seulement parce qu'il est impossible de reconnaître la même supériorité dans la manière dont il exécute tout le reste du rôle. Dans les morceaux d'ensemble, dans le duo du premier acte, Rubini semble chercher à s'effacer complètement; le grand nombre de phrases écrites dans le bas, ou tout au moins dans le medium, doivent en effet présenter un obstacle réel au développement de cette voix admirable, destinée à planer toujours sur les autres au lieu de les accompagner. Il en résulte que le duo dont il est question produit ordinairement beaucoup plus d'effet à l'Opéra qu'au Théâtre Italien. Disons aussi que mademoiselle Falcon est pour beaucoup dans cette différence. Mademoiselle Grisi n'aime guère Mozart, et ne joue donna Anna qu'à contre cœur; ce n'est pas en Italie, où jamais Don Giovanni n'obtint droit de cité, qu'elle pouvait apprendre à goûter cette musique. Mademoiselle Falcon, au contraire, la chante avec amour, avec passion, on s'en aperçoit à l'émotion qui la tourmente, au tremblement de sa voix dans certains passages touchants, à l'énergie avec laquelle elle lance certaines notes, à l'habileté qu'elle met à faire ressortir plusieurs coins du tableau que la plupart de ses rivales laissent dans l'ombre. Je n'ai pas entendu mademoiselle Sontag dans donna Anna, mais de toutes les autres cantatrices que j'ai vues s'essayer dans ce rôle difficile, mademoiselle Falcon me paraît incontestablement la meilleure sous tous les rapports.

Je lui reprocherai seulement le mode de vocalisation qu'elle a adopté pour les phrases formées de gruppetti diatoniques où les notes se lient de deux en deux, comme celle qui se trouve dans son duo avec Ottavio au premier acte. En pareil cas, mademoiselle Falcon accentue tellement fort la première noie de chaque gruppetto, que la seconde en est presque effacée, et qu'à un certain éloignement il résulte de cette inégalité un effet tout autre que celui qu'en attend probablement la cantatrice, et assez analogue à la phraséologie des cors, lorsqu'ils emploient alternativement un son ouvert et un son bouché. Ainsi rendu, le trait que je viens de désigner dans le duo de Don Juan, perd beaucoup de sa force au lieu d'en acquérir. Si on ne le lui dit pas, il est impossible que mademoiselle Falcon s'en aperçoive, l'effet n'étant plus le même de près.

Je ne saurais passer sous silence l'exécution foudroyante du grand finale aux premières représentations. Le soin avec lequel les répétitions générales en avaient été faites, et l'assurance qu'une étude minutieuse et bien dirigée de sa partie avait donnée à chaque choriste, ne sont pas les seules causes de ce résultat. Tous les acteurs de l'Opéra, qui n'avaient pas de rôle dans la pièce, ayant demandé à figurer comme choristes dans le finale, cette augmentation inusitée du nombre des voix, l'exécution chaleureuse de ces chanteurs auxiliaires, l'enthousiasme réel éprouvé par quelques-uns et se communiquant à la masse, tout concourut à faire de ce morceau le prodige de l'exécution chorale à l'Opéra. Comme, d'ailleurs, l'orchestre de Mozart, malgré tout ce qu'il a de richesse et de force, n'écrase pas le chant, on a pu voir enfin de quoi était capable un pareil chœur ainsi exécuté. Voilà de la musique dramatique!!!




LA FLÛTE ENCHANTÉE ETLES MYSTÈRES D'ISIS[44 - Quelques lignes de cet article ont été intercalées par Berlioz dans ses Mémoires.]




    1er mai 1836.

La Flûte enchantée est celui peut-être de tous les ouvrages de Mozart dont les morceaux détachés sont les plus répandus et la partition complète la moins appréciée en France; elle n'obtint du moins qu'un fort médiocre succès à Paris, quand la troupe allemande voulut la représenter au théâtre Favart, il y a six ou sept ans. Pourtant il n'y a pas de concert où l'on ne puisse en entendre des fragments; l'ouverture est sans contredit l'une des plus admirées et des plus admirables qui existent; la marche religieuse est de toutes les cérémonies des temples protestants; à l'aide de quelques vers parodiés sur elle, cette mélodie instrumentale est devenue un hymne que chantent en Angleterre des milliers d'enfants; les petits airs, depuis longtemps populaires, ont servi de thèmes aux fabricants de variations, pour la plus grande joie des amateurs de guitare, de flûte, de clarinette et de flageolet, cette lèpre de la musique moderne; et avec quelques autres, bien que fort peu dansants, on a confectionné même des ballets. On ne devinerait guère cependant quelle somme Mozart a retirée de cette partition qui, avant d'arriver jusqu'à nous, a fait la fortune de trente théâtres en Allemagne et sauvé de sa ruine le directeur qui l'avait demandée… Six cents francs, ni plus ni moins. C'est précisément le prix que les éditeurs donnent à un de nos faiseurs à la mode pour une romance; et Rubini ou mademoiselle Grisi ne gagnent pas moins en dix minutes à chanter deux cavatines de Vaccaï. Pauvre Mozart! il ne lui manquait plus pour dernière misère que de voir son sublime ouvrage accommodé aux exigences de la scène française, et c'est ce qui lui arrivera.

L'Opéra, qui, peu d'années auparavant, avait si dédaigneusement refusé de lui ouvrir ses portes, l'Opéra, d'ordinaire si fier de ses prérogatives, si fier de son titre d'Académie royale de Musique, l'Opéra, qui jusque-là se serait cru déshonoré d'admettre un ouvrage déjà représenté sur un autre théâtre, en était venu à s'estimer heureux de monter une traduction de la Flûte enchantée. Quand je dis une traduction, c'est un pasticcio que je devrais dire, un informe et absurde pasticcio resté au répertoire sous le nom des Mystères d'Isis. Fi donc, une traduction! Est-ce que les exigences d'un public français permettaient une traduction pure et simple du livret qui avait inspiré de si belle musique? D'ailleurs, ne faut-il pas toujours corriger plus ou moins un auteur étranger, poète ou musicien, s'appela-t-il Shakespeare, Gœthe, Schiller, Beethoven ou Mozart, quand un directeur parisien daigne l'admettre à l'honneur de comparaître devant son parterre? Ne doit-on pas le civiliser un peu? On a tant de goût, d'esprit, de génie même dans la plupart de nos administrations théâtrales, que des barbares, comme ceux que je viens de nommer, doivent s'estimer heureux de passer par de si belles mains. Il y a dans Paris, sans qu'on s'en doute, une foule de gens aussi favorisés sous le rapport de la puissance créatrice que Mozart, Beethoven, Schiller, Gœthe ou Shakespeare; plus d'un souffleur eût été capable de créer Faust, Hamlet ou Don Carlos; bien des clarinettes et autant de bassons eussent pu écrire Fidelio ou Don Juan; et s'ils ne l'ont pas fait, c'est indolence, c'est paresse de leur part, mépris de la gloire, que sais-je? enfin c'est qu'ils n'ont pas voulu. On ne pouvait donc pas, sans de grandes modifications, non seulement dans le libretto, mais aussi dans la musique, introduire à l'Opéra une partition allemande de Mozart. En conséquence, on fit le beau drame que vous savez, ce poème des Mystères d'Isis, mystère lui-même, que personne n'a jamais pu dévoiler. Puis quand ce chef-d'œuvre fut bien et dûment charpenté, le directeur de l'Opéra, pensant faire un coup de maître, appela à son aide un musicien allemand pour charpenter aussi la musique de Mozart, et l'accommoder aux exigences de ces beaux vers. Un Français, un Italien ou un Anglais, qui eût consenti à se charger de cette tâche sacrilège, ne serait à nos yeux qu'un pauvre diable dépourvu de tout sentiment élevé de l'art, qu'un manœuvre dont l'intelligence ne va pas jusqu'à concevoir le respect dû au génie; mais un Allemand, un homme qui, par orgueil national au moins, devait vénérer Mozart à l'égal d'un dieu, un musicien (il est vrai que ce musicien a écrit d'incroyables platitudes sous le nom de symphonies) oser porter sa brutale main sur un tel chef-d'œuvre! Ne pas rougir de le mutiler, de le salir, de l'insulter de toutes façons!.. Voilà qui bouleverse toutes les idées reçues. Et vous allez voir jusqu'où ce malheureux a porté l'outrage et l'insolence. Je ne cite qu'à coup sûr, ayant sous les yeux les deux partitions.

L'ouverture de la Flûte enchantée finit fort laconiquement; Mozart se contente de frapper trois fois la tonique, et c'est tout. Pour la rendre digne des Mystères d'Isis, l'arrangeur-charpentier a ajouté quatre mesures, répercutant ainsi treize fois de suite le même accord, suivant la méthode ingénieuse et économique des Italiens pour allonger les opéras. Le premier air de Zorastro (Ô déesse immortelle), rôle de basse, comme on sait, et de basse très grave, est fait avec la partie de soprano du chœur Per voi risplende il giorno, enrichie de quatre autres mesures dues au génie du charpentier-arrangeur. Le chœur reprend ensuite, mais avec diverses corrections également remarquables, et la suppression complète des flûtes, trompettes et timbales, si admirablement employées dans l'original. L'instrumentation de Mozart corrigée par un tel homme! n'est-ce pas l'impertinence la plus bouffonne qui se puisse concevoir?

Ailleurs, nous la verrons se manifester d'une autre manière. Ce ne sera plus sur l'orchestre que s'exercera le rabot de notre manouvrier mais bien sur la mélodie, l'harmonie et les dessins d'accompagnement. Nous en trouvons la trace d'abord dans cet air sublime, la plus belle page de Mozart peut-être, où le grand prêtre dépeint le calme profond dont jouissent les initiés dans le temple d'Isis; à la fin de la dernière phrase: N'est-ce pas imiter les dieux, le rabotteur a mis ut, ut, la, au lieu des deux notes graves sol, fa, sur lesquelles la voix du pontife descend avec une si paisible majesté. En outre, la partie d'alto est changée, et les accords que Mozart avait mis au nombre de deux seulement par mesure, entrecoupés de petits silences d'une admirable intention, se trouvent remplacés par six notes dans les violons, et enrichis d'une tenue de deux cors à laquelle n'avait pas songé l'auteur.

Plus loin, c'est le chœur des esclaves: O cara armonia, qu'il a impitoyablement estropié, et dont il s'est servi pour fabriquer l'air encore charmant, malgré tout: Soyez sensibles à nos peines; ailleurs, c'est le duetto: La dove prende amor ricetto, qu'il a converti en trio; et, comme si la partition de la Flûte enchantée ne suffisait pas à cette faim de harpie, c'est aux dépens de celles de Tito et de Don Giovanni qu'elle va s'assouvir. L'air: Quel charme à mes esprits rappelle est tiré de Tito, mais pour l'andante seulement, l'allegro si original qui le complète ne plaisant pas apparemment à notre uomo capace. Bien qu'il eût pu satisfaire aux exigences de la situation, il l'en a arraché pour en cheviller à la place un autre dans lequel il a fait entrer des lambeaux de l'allegro de Mozart.

Et savez-vous ce que ce monsieur a fait encore du fameux Fin ch'an dal vino, de cet éclat de verve libertine où se résume tout le caractère de Don Juan?.. un trio pour une basse et deux soprani chantant entre autres gentillesses sentimentales les vers suivants:

Heureux délire!
Mon cœur soupire!
Que mon sort diffère du sien!
Quel plaisir est égal au mien!
Crois ton amie,
C'est pour la vie
Que ton sort va s'unir au mien (bis)…
O douce ivresse
De la tendresse!
Ma main te presse,
Dieu, quel grand bien!

C'est ainsi qu'habillé en singe, affublé de ridicules oripeaux, un œil crevé, un bras tordu, une jambe cassée, on osa présenter le plus grand musicien du monde à ce public français si délicat, si exigeant, en lui disant: voilà Mozart! – O misérables, vous fûtes bien heureux d'avoir à faire à de bonnes gens qui n'y entendaient pas malice et qui vous crurent sur parole; si vous aviez tardé quelque vingt-cinq ans pour commettre votre chef-d'œuvre, je connais quelqu'un qui vous aurait envoyé un furieux démenti.

Nous avons toujours cru, en France, beaucoup aimer la musique; il faut espérer que cette opinion est mieux fondée aujourd'hui qu'elle ne l'était à l'époque où l'on écartelait ainsi Mozart à l'Opéra. En tout cas, quand une nation en est encore à supporter de semblables profanations, c'est le signe le plus évident de son état de barbarie, et toutes ses prétentions au sentiment de l'art sont le comble du ridicule.

Je n'ai pas nommé le coupable[45 - Il s'appelait Lachnith.] qui s'est ainsi vautré avec ses guenilles sur le riche manteau du roi de l'harmonie; c'est à dessein; il est mort depuis longtemps; ainsi paix à ses os, il serait inutile de donner à ce nom aucun genre de célébrité; j'ai voulu seulement faire ressortir l'intelligence avec laquelle les intérêts de la musique ont été défendus chez nous pendant si longtemps, et montrer les conséquences du système qui tend à placer le sceptre des arts entre les mains de ceux qui, ne voulant s'en servir que pour battre monnaie, sont toujours prêts, au moindre espoir de lucre, à encourager le brocantage de la pensée, et pour quelques écus feraient, selon la belle expression de Victor Hugo, corriger Homère et gratter Phidias.




CHERUBINI





ESQUISSE BIOGRAPHIQUE




    20 mars 1842.

La vie de ce grand compositeur peut être offerte aux jeunes artistes comme un modèle sous presque tous les rapports. Les études de Cherubini furent longues et patientes, ses travaux nombreux, ses ennemis puissants. A l'inflexibilité de son caractère, à la ténacité de ses convictions, se joignait une dignité réelle qui les rendit toujours respectables, et qu'on ne trouve pas souvent, il faut malheureusement le reconnaître, chez les artistes même les plus éminents.

Né à Florence, vers la fin de 1760, disciple dès l'âge de neuf ans, de Bartholomeo et d'Alexandro Felici, et plus tard de Bizarri, et de Castrucci, maîtres tous également inconnus aujourd'hui, il n'acheva son éducation musicale que vers sa vingtième année et sous la direction de Sarti. Le grand duc de Toscane, Léopold II, le prit alors sous sa protection spéciale, et Sarti, pour prix de ses leçons, se contenta de faire écrire à son élève une foule de morceaux qu'il intercalait dans ses propres ouvrages, et dont il gardait sans scrupule tout l'honneur pour lui seul. Le maître dut se décider pourtant à donner carrière à son élève; et Cherubini, libre enfin de voir ses compositions applaudies sous son nom, écrivit pour les théâtres d'Italie plusieurs partitions dont le succès le fit bientôt appeler à Londres. Ce fut en Angleterre qu'il composa la Finta principessa et Julio Sabino. Quelques années après, Ifigenia in Aulide parut avec un grand succès sur le théâtre de Turin. Après avoir donné Faniska à Vienne, Cherubini retourna en Angleterre pour diriger les concerts de la Société Philharmonique. A son retour en France, son ami Viotti, qui était fort à la mode, le mit en relations avec le monde élégant et lui ouvrit la plupart des salons de la capitale. Cherubini songea seulement alors à écrire pour la scène française, et Marmontel lui donna le poème de Démophon. Ce sujet, très dramatique et essentiellement musical cependant, avait déjà été fatal à une partition de Vogel, dont la pathétique ouverture est seule restée. Le succès du Démophon de Cherubini fut douteux; mais les beautés énergiques qu'on ne put y méconnaître firent prèssentir ce qu'on pouvait attendre de l'auteur dans ce genre grandiose et sévère.

Chargé bientôt après de la direction musicale de l'Opéra-Italien, il dut, dans l'intérêt des ouvrages qu'on y représentait et, peut-être aussi bien souvent, pour satisfaire les caprices des chanteurs, reprendre sa tâche de collaborateur anonyme, abandonnée avec les leçons de Sarti. Il introduisit ainsi dans diverses partitions un grand nombre de morceaux charmants, dont quelques-uns décidèrent le succès des opéras auxquels il les donnait si généreusement; tels furent le fameux quatuor des Viaggiatori felici et celui moins connu mais également admirable du Don Giovanni de Gazzaniga. Ce qui prouve sans réplique qu'il y eut un compositeur italien du nom de Gazzaniga, qui fit un opéra de Don Giovanni: Mozart aussi en a fait un.

Tout en écrivant ces mélodieux fragments pour les habiles virtuoses du Théâtre-Italien, Cherubini étudiait l'esprit de l'école française, et cherchait si, en demandant davantage à l'accent dramatique, aux modulations imprévues, aux effets d'orchestre, on ne pourrait suppléer à ce qui manquait d'habileté aux chanteurs français. La question fut résolue affirmativement par son opéra de Lodoïska, dont le succès eut été plus long et plus populaire si le petit ouvrage de Kreutzer, sur le même sujet et portant le même titre, ne se fut assuré la vogue par une plus grande facilité d'exécution et par l'exiguité gracieuse de ses formes mélodiques. On sait qu'en France surtout, des productions grandes et belles sont souvent éclipsées par d'autres qui ne sont que jolies. La Lodoïska de Cherubini produisit néanmoins une profonde sensation dans le monde musical, et le mouvement qu'elle imprima à l'art, secondé par les efforts à peu près parallèles de Méhul, de Berton et de Lesueur, amena pour l'école française une ère de gloire à laquelle il était permis de douter qu'elle pût jamais atteindre.

Lodoïska fut suivie, à des intervalles plus ou moins rapprochés, d'Élisa ou le Mont Saint-Bernard, de Médée, de l'Hôtellerie portugaise et enfin des Deux Journées, dont le succès devint rapidement populaire. C'est dans Élisa que se trouve ce chœur de moines cherchant les voyageurs ensevelis sous la neige, qu'on a trop rarement exécuté aux concerts du Conservatoire, et dont le caractère est empreint d'une telle vérité, qu'on disait en l'entendant: «Cette musique fait grelotter!» Dans le même opéra, on admire avec raison la scène de la cloche, dans laquelle, en tournant constamment autour de la note unique d'une cloche, dont le tintement se fait entendre sans interruption d'un bout à l'autre du morceau, le maître a montré tout ce qu'il possédait de ressources harmoniques et son adresse rare à enchaîner les modulations.

La Médée est une œuvre plus complète que la précédente; elle est restée au répertoire d'un grand nombre de théâtres allemands, et c'est une honte pour les nôtres qu'elle en soit bannie depuis si longtemps.

La même observation s'applique aussi aux Deux Journées, qu'on a eu dernièrement une velléité de remonter à l'Opéra-Comique, et qu'on a laissées en définitive dans les cartons, parce qu'il était impossible d'accorder à l'auteur, pour le rôle du porteur d'eau, l'acteur Henri qu'il exigeait. Voilà de ces impossibilités à faire mourir de rire, et dont on parle aussi sérieusement dans nos théâtres que s'il s'agissait de ressusciter Talma. L'Hôtellerie portugaise a été moins heureuse. Cette partition n'est pas même gravée; il n'en est resté qu'un trio bouffe fort intéressant (on le chante souvent dans les concerts) et l'ouverture, dont l'andante contient un canon sur l'air des Folies d'Espagne d'une couleur mystérieuse et de l'effet le plus original.

Un peu avant la représentation de son opéra des Deux Journées, Cherubini avait été nommé l'un des inspecteurs de l'enseignement du Conservatoire. Cette place fut pendant longtemps la seule qu'il eut à remplir; Napoléon ayant, comme on sait, une affectation bizarre, et en tout cas peu digne de lui, à faire sentir à Cherubini l'antipathie qu'il ressentait pour sa personne et pour ses ouvrages. On a donné pour motif à cet éloignement quelques réparties fort rudes de Cherubini à des observations assez mal fondées de Napoléon sur sa musique; on prétend que le compositeur aurait dit un jour au Premier Consul, avec une vivacité, fort concevable du reste en pareille occasion: «Citoyen consul, mêlez-vous de gagner des batailles, et laissez-moi faire mon métier auquel vous n'entendez rien!» Une autre fois, comme Napoléon lui avouait sa prédilection pour la musique monotone, c'est-à-dire pour celle qui le berçait doucement, Cherubini aurait répliqué, avec plus de finesse que d'humeur cependant: «J'entends, vous aimez la musique qui ne vous empêche pas de songer aux affaires d'État!» Ces réparties, on le verra plus loin, sont bien dans le caractère et la tournure d'esprit de Cherubini; toujours est-il certain que Napoléon chercha constamment à blesser son amour-propre en exaltant sans mesure en sa présence Paisiello et Zingarelli, toutes les fois qu'il en trouvait l'occasion, en le laissant à l'écart comme un homme médiocre, et en s'obstinant à prononcer son nom à la française, pour faire entendre par là qu'il ne le trouvait pas digne de porter un nom italien.

Ce fut en 1805 seulement que Napoléon, après la victoire d'Austerlitz, ayant su que Cherubini était à Vienne, occupé à écrire son opéra Faniska, le fit venir et lui témoigna assez de bienveillance pour ne plus prononcer son nom à la française. Il le chargea même d'organiser ses concerts particuliers, et ne manqua pas, lorsqu'ils eurent lieu, d'en critiquer l'ordonnance et d'exiger de Cherubini les choses les plus ridicules. Ainsi il voulut que l'air du père de la Nina de Paisiello (air de basse) fût chanté par le castrat Crescentini; Cherubini lui faisant observer que le povero ne pourrait le chanter qu'à l'octave supérieure: «Eh bien, qu'il le chante, dit Napoléon, je ne tiens pas à une octave!» Et ce fut vraiment bien heureux, car si le grand homme avait tenu à une octave, et s'il eût exigé que le chanteur prît une voix grave, malgré toute sa bonne volonté, il eût été impossible à celui-ci d'y parvenir.

Napoléon eut encore à Vienne avec Cherubini l'éternelle discussion, tant de fois commencée à Paris avec Paisiello et avec Lesueur, sur les nuances de l'orchestre. Le géant des batailles, le virtuose du canon, n'aimait pas que les instruments de musique se permissent d'élever la voix; les forte, les tutti éclatants l'impatientaient. Il prétendait alors que l'orchestre jouait trop haut, et quand il avait fait comprendre à ses malheureux maîtres de chapelle qu'il entendait par ces mots, jouer trop fort, ils devaient nécessairement ne plus tenir compte des intentions du compositeur, ni du sens de l'œuvre, et ordonner aux exécutants d'éteindre le son jusqu'au pianissimo. La musique alors berçait le grand homme, et il pouvait rêver aux affaires d'État. Napoléon aurait dû se contenter pour chœur et pour orchestre d'une harpe éolienne. Certes, rien ne ressemble moins aux soupirs harmonieux de cet instrument que l'orchestre de Cherubini; mais le goût exclusif de l'Empereur pour la musique douce, calme et rêveuse, a peut-être contribué, en dirigeant l'esprit du compositeur sur ce point de son art, à lui faire trouver cette forme curieuse de decrescendo dont il a laissé de si admirables modèles dans quelques-unes de ses compositions religieuses. Personne avant Cherubini et personne après lui n'a possédé à ce point la science du clair obscur, de la demi-teinte, de la dégradation progressive du son; appliquée à certaines parties essentiellement mélodieuses de ses messes, elle lui a fait produire de véritables merveilles d'expression religieuse et découvrir des finesses exquises d'instrumentation.

A son retour de Vienne, Cherubini fut atteint d'une maladie nerveuse qui donna les plus sérieuses inquiétudes à sa famille, et qui lui rendit tout travail musical impossible. La composition lui étant absolument interdite, il se prit, dans sa profonde mélancolie, d'un vif amour pour les fleurs; il étudia la botanique, ne songea plus qu'à herboriser, à former des herbiers, à étudier Linné, de Jussieu et Tournefort. Cette passion sembla même survivre à la maladie qui l'avait fait naître, et lorsque, entièrement rétabli, fixé chez le prince de Chimay, il aurait dû reprendre ses travaux trop longtemps interrompus, ce ne fut que pour céder aux vives instances de ses hôtes qu'il se décida à écrire une messe. Il produisit alors et presque à contre-cœur sa fameuse messe solennelle à trois voix, l'un des chefs-d'œuvre du genre.

Revenu à Paris, plein de santé et de confiance dans la force et la verdeur de son génie, il écrivit Pimmalione pour le Théâtre-Italien, le Crescendo pour l'Opéra-Comique, et les Abencérages pour l'Opéra. Je ne connais rien des deux premiers ouvrages, mais nous avons entendu au Conservatoire divers fragments du troisième qui donnent une grande idée de son mérite. L'air surtout, si souvent chanté par Ponchard: Suspendez à ces murs mes armes, ma bannière, est évidemment une des plus belles choses dont la musique dramatique ait eu à s'enorgueillir depuis Gluck. Rien de plus vrai, de plus profondément senti, de plus noble et de plus touchant à la fois. On ne sait ce qu'on doit admirer le plus du récitatif si plein d'accablement, de la mélodie si désolée et si tendre de l'andante ou de l'allegro final, où la douleur se ravivant arrache des cris d'angoisse au malheureux amant de Zoraïde.

Cherubini, en société avec trois autres compositeurs, improvisa, pour ainsi dire, deux opéras de circonstance, l'Oriflamme et Bayard à Mézières. Un seul morceau de l'Oriflamme nous est connu: c'est un chœur conçu dans son système de decrescendo dont nous avons parlé tout à-l'heure; on l'exécutait, il y a huit ou dix ans, assez souvent dans les concerts du Conservatoire, et il n'a jamais manqué d'y produire l'impression la plus vive par son exquise douceur et sa complète originalité. En présence des effets vraiment délicieux que Cherubini a su tirer des voix et de l'orchestre dans la nuance du pianissimo, de la distinction du style mélodique, de la finesse d'orchestration qui ne l'abandonnent jamais alors, de la grâce avec laquelle s'enchaînent ses harmonies et ses modulations, il est permis de regretter qu'il ait beaucoup plus écrit dans la nuance contraire. Ses morceaux énergiques ne brillent pas toujours par les qualités qui devraient leur être propres; l'orchestre y fait quelquefois, même dans ses messes, des mouvements brusques et durs qui conviennent peu au style religieux.

La Restauration amena pour Cherubini une tardive justice; les Bourbons prirent à cœur de lui faire oublier les rigueurs de Napoléon, et lui donnèrent la survivance de Martini à la surintendance de la musique du Roi. Au retour de l'île d'Elbe, l'Empereur cependant crut devoir le nommer chevalier de la Légion d'honneur. En outre, à la même époque, le nombre des membres de l'Académie des Beaux-Arts ayant été augmenté, Cherubini entra à l'Institut. A la mort de Martini, il lui succéda, en partageant avec Lesueur la place de surintendant de la musique du Roi. Dès lors, Cherubini se livra presque exclusivement aux compositions sacrées. Il écrivit pour la chapelle de Louis XVIII et pour celle de Charles X un nombre considérable de prières, psaumes, motets et messes, dont les deux principales sont connues et admirées de tous les musiciens de l'Europe; je veux parler de la messe du Sacre de Charles X et du premier Requiem à quatre voix. On rencontre, il est vrai, dans la messe du Sacre, plusieurs passages dont le style, empreint du défaut que je signalais tout à l'heure, a plus de violence que de vigueur, et partant peu d'accent religieux; mais tant d'autres sont irréprochables, et d'ailleurs, la Marche de la Communion qui s'y trouve, est une inspiration de telle nature, qu'elle doit faire oublier quelques taches et immortaliser l'œuvre à laquelle elle appartient.

Voilà l'expression mystique dans toute sa pureté, la contemplation, l'extase catholiques! Si Gluck, avec son chant instrumental aux contours arrêtés, empreint d'une sorte de passion triste, mais non rêveuse, a trouvé dans la marche d'Alceste, l'idéal du style religieux antique, Cherubini, par sa mélodie, également instrumentale, vague, voilée, insaisissable, a su atteindre aux plus mystérieuses profondeurs de la méditation chrétienne. La marche de Gluck, passionnée dans sa gravité même, et laissant par intervalles échapper les accents de reproche d'un cœur souffrant, mal résigné aux volontés des dieux, trouble l'auditeur et lui arrache des larmes ardentes; elle porte le caractère d'une religion poétique, mais sensuelle. Le morceau de Cherubini ne respire que l'amour divin, la foi sans nuages, le calme, la sérénité infinie d'une âme en présence de son créateur; aucune terrestre rumeur n'en altère la céleste quiétude, et s'il amène des pleurs dans les yeux de celui qui l'écoute, ils coulent si doucement, et la rêverie qu'il produit est si profonde, que l'auditeur de ce chant séraphique, emporté par delà les idées d'art et le souvenir du monde réel, ignore sa propre émotion. Si jamais le mot sublime a été d'une application juste et vraie, c'est à propos de la Marche de la Communion de Cherubini.

Le Requiem, dans son ensemble, est, selon moi, le chef-d'œuvre de son auteur; aucune autre composition de ce grand maître ne peut soutenir la comparaison avec celle-là, pour l'abondance des idées, l'ampleur des formes, la hauteur soutenue du style, et, n'était la fugue violente sur ce lambeau de phrase dépourvu de sens: quam olim Abrahæ promisisti, il faudrait dire aussi, pour la constante vérité d'expression. L'Agnus en decrescendo dépasse tout ce qu'on a tenté en ce genre; c'est l'affaiblissement graduel de l'être souffrant, on le voit s'éteindre et mourir, on l'entend expirer. Le travail de cette partition a d'ailleurs un prix inestimable; le tissu vocal en est serré mais clair, l'instrumentation colorée, puissante, mais toujours digne de son objet. Inutile d'ajouter que ce Requiem est fort supérieur au dernier, que Cherubini composa, il y a trois ans, pour ses propres funérailles, et qu'on a, d'après sa dernière volonté, exécuté à Saint-Roch ce matin. Le plan général de celui-ci est bien moins vaste; le souffle de l'inspiration s'y fait plus rarement sentir; cette sorte de brusquerie, ou de tendance à la colère, qui se manifeste trop souvent dans quelques-unes des productions de Cherubini, est ici plus sensible, et les idées ne sont pas toujours d'une extrême distinction. Il contient cependant des morceaux entiers et de longue haleine de la plus grande beauté; entre autres, le Lacrymosa.

Cherubini a écrit quelques quatuors d'instruments à cordes d'un bon style et trop peu connus.

Son dernier opéra Ali-Baba a été éloigné de la scène de l'Opéra, après dix ou douze représentations, par une de ces raisons financières qui ont fait mettre à l'écart tant d'autres beaux ouvrages depuis que l'Opéra est devenu une entreprise particulière, une exploitation industrielle.

Rien de plus entier, de plus inaltérable que les convictions de Cherubini; en matière harmonique surtout, il n'admettait pas la possibilité d'une modification ou seulement d'une extension des règles établies. Il eut souvent, à ce sujet, des discussions très vives avec le savant professeur Reicha, avec Choron; et, un jour qu'un théoricien systématique, moins connu que ces deux maîtres, et fort entier aussi dans l'étrange doctrine de théologie musicale dont il est à la fois le disciple et le fondateur, s'obstinait à argumenter contre lui, Cherubini, bouillant de colère, ne pouvant parvenir à mettre à la porte son entêté disputeur, s'écria: «Sortez de chez moi! sortez, vous dis-je, ou je me jette par la fenêtre! et l'on dira que c'est vous qui m'avez assassiné!»

La tournure de son esprit était éminemment caustique; sa conversation abondait en traits mordants, en réparties d'un laconisme piquant et incisif.

Un jour, passant dans la cour des Menus-Plaisirs à l'heure d'un concert donné par un jeune compositeur de ma connaissance, quelqu'un voulut l'entraîner dans la salle pour entendre la symphonie nouvelle qui servait alors de texte aux controverses musicales les plus animées: «Laissez-moi, dit Cherubini, je n'ai pas besoin de savoir comment il ne faut pas faire!» Une autre fois, à une répétition de la grande messe solennelle de Beethoven, m'étant prononcé contre la fugue en ré majeur qu'elle contient[46 - Voir l'introduction, p. XIX.], avec une franchise que mon admiration pour l'auteur pouvait, ce me semble, excuser, un pianiste, homme de mérite sans doute, surtout à cette époque, et qui a composé beaucoup de musique, prit fait et cause pour le fracas fugué et anti-religieux de Beethoven. Cherubini entre au foyer au milieu de la discussion; malgré mes signes pour l'engager au silence, mon adversaire la continue de manière à attirer au contraire l'attention de Cherubini qui se retournant vivement: «Qu'est-ce que c'est? – C'est monsieur, répond perfidement le virtuose, qui n'aime pas la fugue. – Parce que la fugue ne l'aime pas.»

Cherubini était impitoyable même pour ses élèves, quand une saillie se présentait à son esprit. L'un d'eux allait donner un nouvel opéra, Cherubini assistait, dans une loge, à la dernière répétition. Après le second acte, le jeune compositeur, plein d'anxiété, entre dans la loge et attend inutilement quelques-unes de ces bonnes paroles dont on a tant besoin en pareil cas: «Eh bien, cher maître, dit-il enfin, vous ne me dites rien! – Que diable veux-tu que je te dise? réplique en riant Cherubini; je t'écoute depuis deux heures et tu ne me dis rien non plus!» Le mot était d'autant plus dur, qu'il manquait de justesse et de justice; l'ouvrage de l'élève eut un grand succès.




AUBER





LES DIAMANTS DE LA COURONNE




    12 mars 1840.

Il s'agit de diamants faux qu'on veut faire briller comme s'ils sortaient des mines de Golconde. Voici comment.

Nous sommes en Estramadure, dans un souterrain habité par une bande de malfaiteurs qui, à la fin de la pièce, se trouvent être les bienfaiteurs du Portugal. Ces braves fabriquent de la fausse monnaie, de faux billets, de faux diamants, et généralement tout ce qui concerne leur état. Les cavités de la montagne retentissent des coups de leurs balanciers; on travaille sans relâche. Ce qui prouve bien que l'oisiveté n'engendre pas tous les vices. Entre un jeune seigneur, don Henrique, neveu du ministre de la Justice espagnole. Il pleut à verse, il tonne; ses chevaux épouvantés ont pris le mors aux dents; il n'a eu que le temps de s'élancer de sa voiture au moment où, moderne Hippolyte, il allait être par ses furieux coursiers traîné de roc en roc, au fond d'un précipice. Il voit un ermitage, une espèce de couvent, et vient y demander un abri. Bien étonné de n'y trouver personne, don Henrique s'amuse, pour tuer le temps, à chanter une ballade sur les agréments des voyages, quand trois ou quatre gaillards, fort peu semblables par leurs costumes à de pieux anachorètes, s'avancent traînant la valise de l'étranger. Ils l'ouvrent sans façon et s'emparent de tout ce qu'elle contient. L'heure du repas des ouvriers a sonné; ils sortent en foule des sombres ateliers en chantant à tue-tête, non pas, comme dans Guillaume Tell, le travail, l'hymen et l'amour: mais le travail et… quelque autre chose. Rien ne dispose à la joie comme une vie active, réglée et une conscience pure. La pureté de conscience est surtout de rigueur.

A force de parcourir, dans leurs joyeux ébats, les coins et recoins du faux monastère, les faux monnayeurs finissent par apercevoir notre voyageur, qui depuis un quart d'heure se cachait de son mieux derrière une enclume. Cinquante couteaux et autant de marteaux se lèvent à l'instant sur lui, on va le mettre en pièces, le monnayer; mais une charmante jeune fille, en robe tricolore, béret en tête, et poignard à la ceinture (à la bonne heure! je ne connais rien d'ignoble comme cet usage des honnêtes femmes espagnoles de porter le poignard à la jarretière; voyez un peu le gracieux mouvement que cela les oblige de faire, quand le moment est venu de poignarder leur amant!) une délicieuse brigande, donc, la Vénus de ces cyclopes, s'élance au devant d'eux, et leur ordonne de respecter l'étranger, qu'elle prend sous sa protection. Bien plus, elle l'invite à déjeuner, et exige du chef des bandits, un gros monsieur rébarbatif, nommé Rebolledo, qu'il lui serve le chocolat. La troupe soumise, religieuse et frugale, se retire, fait le signe de la croix, et va se restaurer avec des cigaretti et quelques verres d'eau fraîche. Ce repas économique n'est pas terminé, qu'un émissaire accourt, hors d'haleine, et pâle comme s'il n'avait ni bu ni fumé depuis huit jours.

«Des soldats gravissent la montagne, gardent toutes les avenues, ils vont entourer l'ermitage; il n'y a plus moyen de leur échapper, nous sommes perdus. – Bah! répond Catarina (c'est le nom de la capitaine brigande), bah! dit-elle, en versant à don Henrique une seconde tasse de chocolat, ils ne nous tiennent pas; finissez tranquillement votre déjeuner.» Mais nos hommes n'ont plus d'appétit; la perspective des bûchers de l'inquisition l'a fait disparaître instantanément; pourtant la sécurité de Catarina est motivée; elle a son plan, la jolie scélérate. Elle vous encapuchonne tous ses industriels, les convertit en moines, les range sur deux lignes en procession, place au centre le trésor de la bande, un immense écrin qui représente en faux diamants des centaines de millions, l'enferme dans un coffre à reliques; ainsi enchâssé, le fait porter pieusement par quatre faux frères, et, armée d'un sauf-conduit qu'elle a trouvé dans la valise de don Henrique, se présente avec sa troupe devant les soldats, qui se mettent à genoux pour les laisser passer. Don Henrique, pour prix de la vie qu'on lui a laissée, s'est engagé sur sa parole à ne pas parler de son aventure avant un an.

Nous le retrouvons dans un château près de Madrid, chez son oncle le ministre, et sur le point d'épouser sa cousine Diana, qu'il aimait un peu autrefois, mais qu'il n'aime plus du tout depuis qu'il a eu l'honneur de déjeuner avec Catarina, la capa di banda. En héros de roman bien appris, pouvait-il se dispenser d'avoir une passion romantique pour la gracieuse fée qui lui sauva la vie! De son côté, Diana nourrit en secret le classique amour qu'une héritière éprouve toujours pour un autre que son futur époux. Et cet autre, c'est don Sébastien, le commandant de la troupe chargée d'arrêter les faux monnayeurs, et qui s'est agenouillée si dévotement sur leur passage. De là explication entre le cousin et la cousine, aveux mutuels, bonheur des jeunes amants en découvrant la flamme dont ils ne brûlent pas l'un pour l'autre. Diana est trop heureuse de rendre sa parole à son cousin, mais à la condition qu'au moment du contrat, c'est lui qui refusera de signer et amènera ainsi la rupture. Déjà les salons ministériels s'illuminent; une brillante assemblée vient assister à la noce de Diana; il y a bal et concert. On apporte un faux piano blanc en nougat (la couleur locale eût exigé, je crois, qu'il fût en chocolat), sur lequel un faux pianiste fait semblant de plaquer de faux accords pour accompagner la fiancée qui chante réellement juste de temps en temps. Elle commence un duo avec son cousin, la complainte des bandits de la Roche-Noire, dont l'anecdote de don Henrique fait le sujet, au grand étonnement de celui-ci. A peine les deux virtuoses ont-ils été interrompus trois fois dans le premier couplet par des entrées de convives, par des domestiques servant des rafraîchissements, par l'arrivée de l'oncle ministre, absolument comme dans une foule de salons de Paris où l'on croit faire de la musique, qu'une quatrième interruption est causée par une belle dame inconnue dont la voiture s'est brisée près du château, et qui, suivie de son intendant, demande pour quelques heures l'hospitalité. Grand tremblement d'amour et d'effroi pour don Henrique, qui reconnaît Catarina et Rebolledo. Dieu du ciel! le bandit et sa complice dans le salon du ministre de la Justice! Mais son anxiété va redoubler. Catarina pousse l'audace jusqu'à s'offrir pour remplacer, dans le concert quatre fois interrompu, don Henrique, à qui la peur a fait perdre la voix. Elle chante la ballade de la Roche-Noire





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notes



1


Mémoires, II, p. 159.




2


Correspondance, p. 274.




3


Journal des Débats, 9 juin 1849.




4


Théophile Gautier, Notices romantiques, Hector Berlioz.




5


Mémoires, II, p. 383.




6


Correspondance, p. 306.




7


Journal des Débats, 30 mars 1844.




8


Ibid. 3 avril 1844. – On retrouve ces impressions d'Italie dans les Mémoires.




9


Journal des Débats, 7 janvier 1849.




10


Journal des Débats, 26 mars 1859.




11


Livre du Centenaire du Journal des Débats.– Étude de M. Ernest Reyer sur la critique musicale.




12


Journal des Débats, 27 octobre 1849.




13


Journal des Débats, 25 janvier 1835.




14


Quand on a lu tout ce que Berlioz a écrit contre les «arrangeurs», on est abasourdi de l'audace d'un entrepreneur de spectacles qui, ayant travesti en opéra la Damnation de Faust, ne craint pas de protester de son respect pour le génie du musicien.




15


Ces analyses ont été recueillies dans A travers Chants.




16


Journal des Débats, 1er mai 1836.




17


Ibid. 15 novembre 1835.




18


Journal des Débats, 27 septembre 1835.




19


L'Opéra s'apprêtait à représenter les Martyrs du même Donizetti.




20


Journal des Débats, 16 février 1840.




21


Journal des Débats, 2 et 3 janvier 1861.




22


Correspondance p. 249.




23


Journal des Débats, 5 septembre 1839.




24


Journal des Débats, 14 novembre 1848.




25


Ibid. 12 mars 1841.




26


Journal des Débats, 9 décembre 1850.




27


Journal des Débats, 21 novembre 1835 et 15 octobre 1837.




28


Ibid. 16 juillet 1836.




29


Hector Berlioz, sa Vie et son Œuvre, p. 291.




30


Journal des Débats, 10 novembre et 10 décembre 1836.




31


Journal des Débats, 21 février 1854.




32


Ibid. 10 avril 1859.




33


Journal des Débats, 15 décembre 1844.




34


Journal des Débats, 22 avril 1851.




35


Journal des Débats, 7 janvier 1852.




36


Lettre à Humbert Ferrand, 28 avril 1859.




37


Journal des Débats, 26 mars 1859.




38


Journal des Débats, 20 janvier 1846.




39


L'article de Berlioz se trouve dans A travers Chants. La réponse de Wagner, publiée dans les Débats, a été reproduite par M. Georges Servières dans son livre: Wagner jugé en France.




40


Correspondance, pp. 225 à 280, passim.




41


Cette étude sur Berlioz a été écrite par Wagner en 1841. Elle a été traduite par M. Camille Benoît dans Musiciens, Poètes et Philosophes.




42


«J'ai passé ma vie avec ce peuple de demi-dieux; je me figure qu'ils m'ont connu, tant je les connais. Et cela me rappelle une impression de mon enfance qui prouve à quel point ces beaux êtres antiques m'ont tout d'abord fasciné. A l'époque où, par suite de mes études classiques, j'expliquais, sous la direction de mon père, le douzième livre de l'Énéide, ma tête s'enflamma tout à fait pour les personnages de ce chef-d'œuvre: Lavinie, Turnus, Énée Mezence, Lausus, Pallas, Evaudre, Amata, Latinus, Camille, etc., etc.; j'en devins somnambule, et, pour emprunter un vers à Victor Hugo:

Je marchais tout vivant dans mon rêve étoilé.

Un dimanche, on me mena aux vêpres: le chant monotone et triste du psaume: «In exitu Israël» produisit en moi l'effet magnétique qu'il produit encore aujourd'hui et me plongea dans les plus belles rêveries rétrospectives. Je retrouvais mes héros virgiliens, j'entendais le bruit de leurs armes, je voyais courir la belle amazone Camille, j'admirais la pudique rougeur de Lavinie éplorée, et ce pauvre Turnus, et son père Daunus, et sa sœur Juturne; j'entendais retentir les grands palais de Laurente… et un chagrin incommensurable s'empara de moi, je sortis de l'église tout en larmes…» – (Lettre d'Hector Berlioz à la princesse Caroline Sayn, – Wittgenstein, 20 juin 1859).




43


Le mot est de J. – J. Weiss.




44


Quelques lignes de cet article ont été intercalées par Berlioz dans ses Mémoires.




45


Il s'appelait Lachnith.




46


Voir l'introduction, p. XIX.



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