Книга - Les Forestiers du Michigan

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Les Forestiers du Michigan
Gustave Aimard

Jules Berlioz d'Auriac




Gustave Aimard, Jules Berlioz d'Auriac

Les Forestiers du Michigan





CHAPITRE PREMIER

L'HOSPITALITÉ AU DÉSERT


Il faisait nuit dans le désert! une nuit de tempête, de sombre horreur! une nuit de mort!

C'était aux époques légendaires de la jeune Amérique; antérieurement à ses luttes glorieuses pour l'Indépendance; bien avant que la civilisation eût abordé les profondeurs de ses forêts immenses, solitaires, mystérieuses.

L'hiver était sur son déclin; depuis vingt-quatre heures la neige tombait sans relâche. Ses grands flocons blafards flottaient indécis dans l'atmosphère, au gré des rafales, et s'abattaient silencieusement sur le blanc linceul qui couvrait la terre. Toutes les formes des arbres, des pierres, des monticules de terrain, étaient émoussées, arrondies, nivelées avec une uniformité sépulcrale; on aurait dit la vallée de Josaphat où dormaient sous leur suaire immense, les morts, les vieux morts des générations éteintes.

La solitude s'épanouissait dans toute sa muette et frissonnante horreur; la solitude… peuplée de fantômes qu'on sent, mais qu'on ne peut ni voir ni entendre.

Par cette nuit désolée, un être vivant s'agitait dans l'intérieur des forêts qui couvraient toute la région méridionale proche du lac Érié.

Cette créature isolée avait forme humaine; elle trahissait son existence par le mouvement pénible et monotone de ses pieds qui gravissaient la neige pour s'y enfoncer… la gravissaient de nouveau pour s'y enfoncer encore.

C'était Basil Veghte, le robuste Yankee, l'homme de bronze, le forestier aux muscles d'acier, à la volonté indomptable. C'était l'arrière petit-fils de la vieille Europe, naturalisé fils du désert.

Depuis douze heures, il luttait contre la tempête avec la force opiniâtre du buffle et la sagacité de la panthère. Il faut avoir essuyé bien des orages, pour se lancer ainsi en pleine forêt lorsque toute voie a disparu, lorsque sous le voile épais des frimas la bête fauve elle-même ne retrouverait plus sa piste.

Cependant Veghte n'avait pas même songé au péril; l'idée lui était venue de traverser la forêt, il s'était mis en route, et il l'avait traversée.

A la fin, il trouva bon de faire halte sous un arbre immense dont les rameaux épais lui offraient un abri sûr.

Pendant quelques instants il resta immobile et attentif, comme s'il eût épié quelque bruit lointain. Mais rien ne troublait l'effrayant silence du désert, si ce n'étaient les mugissements intermittents des rafales, et le sourd grondement du lac Érié.

Alors il secoua la neige collée à sa carabine, l'appuya contre l'arbre avec précaution; ensuite il battit le sol de ses pieds avec une telle vigueur, que bientôt il eut aplani autour de lui une circonférence respectable.

Cette première opération accomplie, il amoncela des broussailles en forme de bûcher, y entrelaça savamment des branches sèches de toutes les grosseurs; enfin il entreprit la tâche d'allumer du feu, à la manière indienne; tâche difficile et délicate à cause de l'humidité extrême de la température.

Mais, en homme de précaution, il était muni: deux morceaux de bois durs et secs étaient soigneusement enfermés dans sa gibecière. Il les sortit, en planta un dans la terre, – celui-là portait un trou à son extrémité supérieure; – prit entre ses deux mains l'autre qui était pointu, et le fit rouler dans le morceau creux avec une rapidité excessive.

Quelques instants après, le contact et le frottement avaient échauffé les deux morceaux de cet instrument primitif; une poussière embrasée en jaillit comme un tourbillon; les feuilles demi-sèches fumèrent, flambèrent, et le feu fut allumé.

Bientôt les joyeuses lueurs du brasier illuminant le bois, y découpèrent de fantastiques silhouettes; Veghte s'installa sur un nœud saillant du gros arbre, les pieds contre le foyer, fumant sa pipe avec béatitude.

Qu'un bon bourgeois parisien de la rue Saint-Anastase ou de la rue Saint-Paul se figure un pareil coin de feu pour sa nuit!.. il se croirait perdu. Basil Veghte était content.

– Voilà un cuisant orage, murmura-t-il tranquillement en secouant dans le feu la neige attachée à ses guêtres: j'aurais, tout de même, bien pu continuer ma marche jusqu'au matin; mais, à quoi bon? J'arriverai toujours assez tôt au fort. Christie n'est pas particulièrement pressé de me voir; s'il tient à me rencontrer plus tôt, rien ne l'empêche de venir au-devant de moi.

A ce moment, l'oreille exercée du chasseur saisit au vol le bruit d'une sourde détonation qui traversait l'air sur l'aile de la tempête.

– Ah! le canon du fort! Il est réveillé tard cette nuit: dans tous les cas, c'est marque que tout va bien, et je puis faire un bon somme. Depuis si longtemps que j'étais en route, je commençais à craindre de m'être égaré; mais ce petit mot d'amitié me fait voir que je me suis bien tiré d'affaire; me voici justement où je pensais être: tout va bien.

Notre homme tira méditativement quelques épaisses bouffées de sa pipe, et se dorlota pendant plusieurs minutes à la chaleur du feu. Après cette concession faite au far-niente, il tourna la tête et jeta autour de lui un regard investigateur qui cherchait à vaincre les ténèbres.

– Bah! il n'y a personne dehors par une nuit semblable, reprit-il en présentant son dos à la flamme bienfaisante; Pontiac lui-même ne me dépisterait pas; et je suppose qu'il n'aurait pas même la tentation de venir rôder autour de moi, quand il saurait où je suis… Pourtant le vieux drôle aimerait mettre la main sur moi.

Basil se sourit à lui-même avec une nuance de satisfaction orgueilleuse.

– A tout hasard, voyons un peu comment se porte Doux-Amour, continua-t-il en prenant son fusil pour l'examiner.

– Ça me fait penser à la nuit, toute pareille, ma foi! et sur ce même chemin, où Wilkins et moi nous fûmes bloqués dans les bois par les Indiens. – Pauvre Wilkins! je fis un plongeon dans la neige!.. moi je m'en tirai avec un double trou dans mes guêtres; quant à lui, il fut tué sans y avoir songé.

Sur ce propos, Veghte regarda encore autour de lui; il se disposait à se rasseoir, lorsqu'un bruit furtif dans le bois le fit tressaillir.

Il s'adossa dans une anfractuosité de l'arbre, épaula son fusil et cria:

– Qui va là?

– Ami!

Le forestier resta en garde. Au bout de quelques secondes, un homme sortant de l'ombre apparut dans le cercle de lumière qui formait l'auréole du brasier.

C'était un Européen de petite taille, mais trapu et de corpulence énorme. Il s'avança sans cérémonie vers le feu, époussetant la neige qui couvrait ses vêtements, mais sans faire le moindre salut à son hôte improvisé. Celui-ci, de son côté, quoique déposant tout air de méfiance, ne lui fit pas le moindre geste hospitalier.

– Voilà une vilaine nuit, et qui n'engage pas à la promenade? dit Veghte d'un ton interrogateur.

– Oui, répliqua l'autre stoïquement; et je me serais aussi bien attendu à trouver une comète dans le bois, qu'à y rencontrer un feu de campement.

– De mon côté je n'aurais pas supposé qu'un homme, sans y être forcé, s'amusât à courir les forêts, par ce temps-ci; et maintenant que nous sommes réunis, je parie bien qu'à cinquante milles à la ronde, il ne se trouve pas une Face-Pâle ou un Peau-Rouge disposé à franchir le seuil de sa porte.

– Ceci est pour moi une fort bonne aventure! reprit l'étranger en répondant moitié à ses propres pensées, moitié à celles de son interlocuteur.

En même temps il retira en arrière son capuchon, pour en expulser une vraie montagne de neige; puis, il compléta sa toilette par un trémoussement général identique à celui d'un chien qui se secoue.

– … Une fort bonne aventure! continua-t-il; nous sommes seuls dans le bois, c'est évident. Et je ruminais dans mon esprit la pensée de m'abriter tant bien que mal, lorsque j'ai aperçu votre feu; cette vue m'a donné un courage extraordinaire comme je n'en avais pas ressenti depuis longtemps.

Cependant Veghte l'observait d'un œil perçant qui semblait vouloir le perforer d'outre en outre; il épiait ses moindres mouvements et cherchait à y découvrir quelque nuance suspecte. Enfin, il laissa échapper la question qui était sur ses lèvres depuis le commencement de l'entrevue.

– Vous vous dites ami, mais je n'ai pas entendu votre nom… si vous l'avez dit.

– Je ne l'ai point dit; observa l'autre en croisant négligemment ses mains derrière lui, et tournant le dos au feu.

Cette froide et imperturbable assurance faillit déconcerter Veghte, tout habitué qu'il fût aux plus étranges rencontres. Il revint cependant à sa question.

– Eh bien! voyons donc ce nom? car je suppose que vous ne trouvez aucun inconvénient à le donner.

– Oh! je n'y rencontre aucun inconvénient, répondit indifféremment l'étranger; mais… que signifie un nom, Basil Veghte?

Le forestier fut stupéfait de voir que cet inconnu le connaissait. Néanmoins il reprit d'un ton sec:

– Il ne s'agit pas de ce que peut signifier un nom; je vous donne le choix entre deux choses que je vais vous proposer: dites-moi votre nom ou allez-vous-en camper ailleurs.

L'étranger le regarda et se mit à rire.

– Basil, vous rappelez-vous Brock Bradburn?

Veghte l'enveloppa d'un regard rapide:

– Je ne me souviens pas, dit-il, d'avoir entendu ce nom.

– C'est mon opinion également; car je ne vous l'avais point encore dit.

– Voudriez-vous me faire croire que ce n'est pas vous!

– Je serais assez de cet avis.

– Enfin! voulez-vous, oui ou non, me dire qui vous êtes?

– Et si je ne le voulais pas?

– Eh bien! la question est tranchée! Laissez-moi tranquille avec mon feu. Vous êtes venu sans être invité; retirez-vous de même.

– Et si je ne le voulais pas?.. riposta l'étranger en le regardant entre les deux yeux.

Le visage de Veghte prit une expression dangereuse.

– Si-vous-ne-vou-lez-pas, répondit-il en appuyant sur les mots, je crois qu'il se présentera certaines circonstances qui vous feront changer d'avis.

– Voyons, que pensez-vous du nom de Zacharie Smithson, Basil? Il n'est pas absolument mélodieux, j'en conviens; mais cela ne doit pas vous empêcher de me serrer la main en me souhaitant la bienvenue.

– Si c'est réellement votre vrai nom, et si vos intentions sont droites, vous avez place à mon feu et sous ma couverture, répliqua Basil sensiblement radouci.

– Merci, j'en ai une pour moi, et une bonne couverture. Mais je vous vois fumer de si bonne grâce que j'en deviens jaloux; permettez que j'en fasse autant.

Et, joignant le geste à la parole, l'étranger prit au foyer une branche enflammée, la présenta à sa pipe qui exhala aussitôt des bouffées odorantes. Pendant l'opération ses traits furent vivement éclairés par cette flamme plus proche que celle du foyer. En réalité, il avait d'abord évité de se laisser voir en pleine lumière; mais à ce moment il affecta au contraire d'éclairer longuement son visage, pour faciliter au soupçonneux forestier l'examen auquel il s'acharnait visiblement.

Veghte put donc voir à son aise les sourcils épais, les yeux noirs et expressifs, le nez court, la large face, l'épaisse barbe de son interlocuteur.

Dans les souvenirs de Basil il y avait quelque trace de ce visage-là; il devait l'avoir vu; mais où? à quelle époque? Il eut beau remonter une à une les années de son aventureuse existence, il ne rencontra rien de précis à cet égard.

Cependant, après s'être répété plusieurs fois à lui-même le nom de Smithson, pour aider sa mémoire, il arriva à une conviction peu flatteuse pour l'inconnu; savoir que, comme le précédent, ce nom était une invention.

Cette conclusion le jeta dans une disposition d'esprit passablement agressive; il en revint à son ultimatum, et se disposa à faire vider les lieux au trop facétieux étranger.

Mais celui-ci avait étendu sa couverture, s'y était moelleusement installé et fumait comme un bienheureux. Il était visiblement plongé dans les béates abstractions de la quiétude, et se délectait à la contemplation de ses riantes pensées intérieures.

Veghte fit un mouvement pour prendre la parole; l'autre le prévint:

– Il neige plus fort que jamais! dit-il en allongeant ses jambes vers le feu. Voilà bien la plus forte tourmente que j'aie vue. Si elle continue comme ça toute la nuit, ce ne sera pas une petite affaire de regagner le fort demain matin.

– A quel fort allez-vous?

– Au Fort de Presqu'île, sur le Lac.

– C'est également le but vers lequel je marche depuis trois jours.

– Oui, je sais, je sais, fit l'étranger d'un ton suffisant; vous vouliez y arriver cette nuit même. C'est comme moi, et figurez-vous que j'ai fait tout mon possible; mais il n'y a pas eu moyen.

– Vous me semblez terriblement savant et perspicace, répliqua le forestier, outré des airs supérieurs que se donnait l'autre.

– Heu! pas trop! Cependant il est un point sur lequel j'ai l'avance à votre égard, quoique je sois en arrière sur d'autres.

– Et lequel, s'il vous plaît?

– Je sais votre nom; vous ne connaissez pas le mien.

– Ah! vous ne m'avez pas encore décliné votre vrai nom!

– Comprenez! je vous connais, de souvenir, pour vous avoir vu; tandis que vous… depuis une heure que vous me dévisagez, vous ne pouvez pas classer ma figure ni ma personne dans votre mémoire. Non! je ne vous ai pas dit vraiment comment je m'appelle…

Veghte faisait décidément mauvaise figure: pour prévenir l'explosion, l'étranger se hâta d'ajouter:

– Je vous ai un peu mystifié, Basil; mais c'est pour rire; voici mon vrai nom. Je suis Horace Johnson.




CHAPITRE II

UN CRI DE MORT


Ce nom n'était pas tout à fait inconnu à Veghte, mais, pour le moment, il lui aurait été impossible de se rappeler le lieu ni l'époque où il l'avait déjà entendu.

A la fin il crut se souvenir que le propriétaire de ce nom avait voyagé avec lui, deux ans auparavant, sur les bords du lac Saint-Clair, et qu'en cette circonstance, ayant été pourchassés par un détachement de Chippewas, ils avaient eu toutes les peines du monde à leur échapper.

– C'est bizarre que je ne vous aie pas reconnu! dit-il enfin en souriant et lui tendant la main; il me semblait bien que j'avais entendu votre voix et vu votre visage quelque part; mais, quand ma vie en aurait dépendu, je n'aurais pu dire où; pourquoi avez-vous tant tardé à vous faire connaître?

– Eh! je vous l'ai dit: histoire de rire! Je vous avais reconnu au premier coup-d'œil: je me suis amusé à me cacher le visage en commençant, et je vous ai ensuite montré ma figure fort adroitement lorsque j'ai allumé ma pipe; j'avais passablement envie de rire en examinant vos efforts pour me dévisager. A présent, voyons un peu! Il y a deux bonnes années que nous avons essuyé cette bousculade au bord du vieux lac Saint-Clair, n'est-ce pas? Ce fut alors notre dernière entrevue: qu'en dites-vous?

– Deux ans à l'automne passé. Vous avez considérablement changé depuis cette époque, Horace.

– Hélas, oui! sans plaisanter. Je n'en puis dire autant de vous; vous êtes toujours le même: toujours la même chevelure, toujours le même visage. Qu'êtes-vous donc devenu pendant tout ce temps?

– J'ai été beaucoup à Presqu'île; quoique depuis trois mois je sois absent du fort. J'ai passé un certain temps à Michilimakinuk, ensuite au fort Sandusky; puis, à Saint-Joseph; enfin à Ouatanon.

– Il est singulier que nous ne nous soyons pas rencontrés: j'ai fréquenté ces trois forts, surtout le Sandusky.

– Quand avez-vous quitté ce dernier poste?

– Vers le milieu d'octobre.

– Eh bien! moi j'y ai passé la première semaine de novembre. Vous avez pris plus de temps que moi pour faire le voyage.

– Ma foi! je n'étais pas pressé: j'ai marché à petites journées.

– Moi aussi: seulement, quand j'ai vu la tourmente qui se préparait, j'ai doublé le pas dans l'espoir d'arriver au fort cette nuit. Mais, le moyen de marcher!.. quand il y a deux pieds de neige!

Les deux nouveaux amis se rassirent auprès du feu, et, commodément appuyés sur le coude, s'envoyèrent réciproquement d'énormes bouffées de fumée: la conversation continua, entremêlée d'un échange de regards curieux.

Par moments ils s'oubliaient dans une rêveuse contemplation de leur feu dont l'activité croissait avec la fureur de l'ouragan. Sur leurs têtes se balançaient mélancoliquement les gigantesques branches chargées de neige, déversant par intervalles de petites avalanches qui roulaient jusque dans le brasier.

– Encore un redoublement de neige! remarqua Johnson après avoir vainement essayé de sonder les ténèbres du regard. Encore quelques heures comme cela, et nous ne pourrons plus regagner le fort.

– Je ne m'étonnerais point qu'elle tombât sans discontinuer tout le jour: la tempête a commencé d'une façon régulière, elle durera longtemps. Vous souvenez-vous de la tourmente qui eut lieu à Noël de l'année dernière? Il neigea sans relâche pendant toute une semaine? fit Veghte d'un ton interrogateur.

– Oui, oui! je m'en souviendrai tant que je vivrai. J'étais à une douzaine de milles du fort Sandusky lorsque ça commença, et j'étais un peu indécis sur la direction que je prendrais. Je me décidai à faire un tour de chasse, et, dans l'après-midi je tirai un ours: cet animal, au lieu de tomber mort tranquillement, prit ses jambes à son cou et se sauva: naturellement, je lui courus après. A la trace du sang sur la neige, je m'apercevais qu'il était grièvement blessé, et je m'attendais, de minute en minute, à le voir culbuter et me donner le temps de le rejoindre. Mais la vilaine brute ne cessa de courir et courir encore jusqu'à la nuit close.

«Sans me décourager, je le suivis de mon mieux, tantôt près, tantôt loin, ne le perdant pas de vue. A la fin, le voyant disparaître comme par enchantement, je doublai le pas si vivement, que, sans m'en apercevoir je perdis pied et me trouvai culbuté dans un trou avec mon diable d'ours.

«Il y eut un petit instant de confusion, j'avais les yeux, le nez, la bouche, pleins de neige. En me relevant j'avais perdu mon gibier; plus d'ours! J'eus beau fouiller les broussailles, vérifier tous les environs; mon stupide animal avait décampé; je n'en ai plus entendu parler.

«Pendant ce temps-là, il avait continué de neiger, et, pour conclusion, il ne me restait d'autre ressource que d'allumer vivement du feu, et de m'organiser un gîte le plus confortablement possible jusqu'au jour. Remarquez bien que l'air était glacial quoiqu'il tombât tant de neige. Nous autres, gens des bois, nous ne sommes jamais en peine pour nous installer; au bout d'une minute j'avais trouvé un gros, bel arbre, un peu creux, parfait pour servir de cheminée.

«Bon! j'allume ma pipe, je m'adosse à mon arbre, et me voilà à réfléchir… Je ne sais pas pourquoi, mais, sans m'en douter, je ne pouvais me sortir cet ours de la tête: Et avec des idées bizarres! qui auraient fait mourir de rire un Indien.

«Je me le figurais grand-père d'une nombreuse famille qui l'attendait ce soir là pour fêter son retour par un beau festin. Je le voyais encore s'asseyant au haut bout de la table aussi majestueusement qu'un vieux général anglais, racontant à ses convives que je l'avais fort maltraité et presque tué, tandis que, lui, il n'avait pas daigné faire un pas contre moi pour se venger. Puis, il me semblait entendre tous ses enfants et ses amis faire serment de me poursuivre à outrance pour laver cette insulte dans mon sang.

«Je ne sais combien de temps avait duré ce fandango de rêveries, lorsque je m'avisai de lever les yeux: mon diable d'ours était là, à six pas, avec sa blessure saignante!

«Oui, Sir! j'étais pétrifié! Je pense que mes cheveux se sont mis tout debout sur ma tête, au point de soulever mon chapeau. Mais, le pire de tout cela, c'était que dans ma préoccupation d'allumer le feu, j'avais oublié mon fusil par terre, assez loin de moi et je n'y avais plus pensé. En regardant l'ours, je m'aperçus que le bout du canon touchait presque une de ses grosses pattes: il n'aurait pas fait bon aller le chercher là.

«La brute avait la gueule grande, ouverte, pleine de sang: à son air je reconnus sans peine qu'elle n'avait pas de bons sentiments pour moi. Je suppose que sa première idée avait été de s'enterrer dans quelque arbre creux pour y mourir; mais ensuite, ne se trouvant pas aussi gravement blessée qu'elle l'avait cru d'abord, elle avait un peu repris courage, avait fait un petit tour dans les environs, et apercevant le feu, était venue voir ce que ça signifiait.

«Il paraît que nous étions tous deux aussi stupéfaits l'un que l'autre, car l'ours s'arrêta en grognant, et me regarda sans bouger pendant deux ou trois minutes. Si j'avais eu l'esprit de me tenir tranquille, l'animal serait parti sans rien me dire: mais j'étais complètement abruti. Voyant que je ne pouvais mettre la main sur mon fusil, je me levai sans trop savoir pourquoi. Tant que j'étais resté immobile, il avait eu l'air de ne pas me reconnaître; dès que j'eus bougé, il comprit son affaire.

«Avec un grondement très-sérieux il marcha sur moi. Je reculai, je pris un tison et le lui présentai au nez. Cette démonstration ne fut pas de son goût; elle le fit reculer à son tour. Cependant il ne s'avoua pas vaincu, et cinq secondes après, il avait regagné son premier poste, et de là, il me guettait avec un certain air qui ne présageait rien de bon.

«Je connus de suite qu'il était déterminé à me surveiller jusqu'au jour: cela me fit songer. Je passai en revue ma provision de bois; il m'en restait juste pour deux heures au plus.

«J'étais donc assez embarrassé de savoir quel parti prendre.

«En regardant autour de moi, je remarquai que l'arbre avait de grosses racines saillantes; je pouvais m'élancer et à l'aide de ce marchepied naturel, grimper sur l'arbre. Mais, au même instant, je fis la réflexion que le tronc était assez gros pour que mon ennemi pût y monter après moi, et qu'il serait fort capable de commettre cette indélicatesse. A ce moment je ne pus m'empêcher de conclure que j'avais tiré un méchant coup de fusil, et que j'avais été bien stupide de laisser fuir cette bête avec une aussi minime blessure.

«Si, seulement, j'avais pu rattraper mon fusil, j'aurais pu terminer assez bien la plaisanterie; mais, comme vous voyez, c'était là, précisément, le point difficile. L'ours était, pour ainsi dire, assis dessus; et il n'aurait, vraiment, pas été commode de le déranger.

«Enfin je me rappelai qu'aucun animal ne tient bon contre le feu, et je me décidai à le charger avec un bon tison.

«J'avisai une superbe branche bien enflammée; pour aviver encore son incandescence, je la fis tournoyer pendant quelques secondes autour de ma tête, et je me jetai sur l'animal en poussant un grand cri.

«Probablement j'aurais réussi à ravoir mon fusil si je n'avais pas fait une fâcheuse glissade. Le talon me tourna si malheureusement que je tombai, et le tison sauta loin de moi.

«Je ne fus pas long à me relever; mais toute mon agilité ne me procura d'autre profit que de n'avoir pas été mis en pièces par les griffes de cette brute obstinée.

«Pendant ce temps, mon feu baissait; il n'en avait pas pour longtemps à s'éteindre. Ça me contrariait, car il n'allait pas faire bon, sans foyer, par une nuit aussi froide; impossible de faire du bois, l'autre me guettait.

«Vlan! je prends mon élan, je saute en l'air et me voilà sur l'arbre! Avant de gagner la cime, je donne un coup d'œil en bas, pour savoir ce que faisait mon compagnon.

«Il paraît que j'avais fait mon ascension au moment où il ne me regardait pas, car je l'aperçus tournant la tête en tout sens comme s'il me cherchait.

«Ce n'était pas le cas de rien dire; je grimpai tout doucement jusqu'aux plus hautes branches, et je m'y installai le mieux possible en attendant le jour. Mais, le poste était terriblement peu confortable, je vous en réponds! Il n'y faisait pas bon, à cheval sur la rude écorce, dans une atmosphère glaciale, sous la neige tombant à gros flocons. Que voulez-vous? Je n'avais pas le choix de prendre un autre parti, il fallait bien en passer par là.

«Dès les premiers moments le froid et le sommeil, – deux vilains camarades, – vinrent me visiter rudement… si rudement qu'au bout de quelques minutes je dégringolais dans la neige, juste à deux pieds de mon ours.

«La chute m'avait très-bien réveillé, je bondis comme un ressort, et je saisis dans le foyer un tison demi-mort pour m'en faire une arme. Je le rallumai en le faisant tournoyer au-dessus de ma tête, et j'attendis de pied ferme mon noir ennemi.

«L'animal ne bougea pas et ne souffla mot. Après avoir attendu une ou deux minutes je m'approchai; il était mort, raide, froid comme une pierre. Je pris mon fusil avec une satisfaction facile à concevoir, je renouvelai ma provision de bois, je rallumai mon feu, et je pus enfin examiner l'animal à mon aise. Il avait été touché au cœur; positivement, il était blessé mortellement; je ne comprends pas comment il avait pu courir aussi longtemps. Il me semble…»

Le narrateur s'interrompit en voyant Basil lui faire un signe de la main: il s'assit aussitôt et se tut, en prêtant l'oreille. Durant quelques secondes tous deux écoutèrent, retenant même leur souffle pour mieux entendre.

– Un son a frappé mes oreilles pendant que vous parliez; dit Basil en reprenant avec soin sa position.

– Bah! c'est le vent, et rien de plus.

– Ç'a été ma première pensée, mais le son s'est répété; je ne pouvais m'y tromper.

– Eh bien! qu'est-ce que c'était?

– Quelque chose comme un cri de détresse. Il venait des profondeurs du bois, à environ un quart de mille.

Johnson regarda son compagnon d'un air significatif.

– Savez-vous quel animal fait entendre cette voix, Basil? Ne l'avez-vous jamais remarqué…?

– Je sais ce que vous voulez dire. Le cri de la panthère ne m'est pas inconnu, je ne m'y trompe pas; c'est un rauquement furibond: mais cette fois il n'y a rien de semblable.

– Mais, l'éloignement peut l'avoir modifié en l'affaiblissant.

Veghte secoua la tête d'un air de supériorité dédaigneuse.

– Pensez-vous que j'aie vécu trente ans dans les bois, pour commettre une pareille erreur? Ah! le voilà encore…! interrompit brusquement Basil en se levant pour sonder du regard les ténèbres environnantes.

Il était impossible de rien voir dans l'infernale obscurité de cette sombre nuit: Basil se retourna vers Johnson qui, demi-couché, fumait imperturbablement sa pipe.

– L'avez-vous entendu, cette fois?..

– Oui… oui… quelque chose; un murmure; mais je n'oserais dire que ce n'est pas le vent. Justement! entendez-le hurler dans les cimes des arbres.

Veghte lui lança un coup d'œil presque irrité: il ne pouvait lui pardonner sa froide apathie.

– Je vous dis, Horace Johnson, qu'il y a un être vivant près de nous dans le bois et cet être, quel qu'il soit, est en souffrance.

– Pshaw!.. répliqua l'autre en riant: vous êtes fou, ami Basil! qui, diable! peut avoir à faire dehors, par une semblable nuit?

– Eh! qu'avons-nous à faire, nous?..

– Ah! nous, c'est autre chose: nous sommes dans les bois parce que ça nous convient; nous suivons notre idée.

– Enfin! à vous entendre, on croirait que nous sommes les deux seuls personnages, au sud du lac Érié, qui ayons quelque chose à faire. Je ne conçois pas votre insouciance! dit Basil d'un ton de reproche.

Johnson pinça dédaigneusement les lèvres.

– Bon! j'admets qu'il y a par ici une âme en peine. Qu'est-ce que ça nous fait?

– Ce que ça nous fait! Qu'est-ce que ça me faisait de vous donner asile auprès de mon feu?

– C'est tout différent! Si quelqu'un vient nous demander l'hospitalité, nous le recevrons, nous lui donnerons part au foyer, part à la pipe; mais si ce quelqu'un est à un quart de mille, en quoi ça peut-il nous concerner?

– Nous devons lui porter secours.

– Vous le pouvez si ça vous convient: moi, non! c'est réglé!

– Si, pourtant, il y avait par là quelque pauvre malheureux, massacré par les Peaux-Rouges, et laissé mourant sous la neige?..

– Il subira son sort, si ses forces ne peuvent le soutenir jusqu'au jour! Basil, avez-vous perdu le sens commun? Voyez quelle furie nouvelle a la neige! Et vous voudriez quitter ce bon feu alors que vous n'y verriez pas à mettre un pied devant l'autre! Quelle obligation trouvez-vous donc à courir le risque certain de vous perdre pour secourir je ne sais qui, sans savoir même si vous pourrez lui être utile?

– Je ne regarde pas tout ça; je ne me perds pas si facilement. J'ai trop couru les bois pour ne point savoir retrouver le campement à mon retour.

– Enfin! vous n'y songez pas; au milieu d'une telle nuit!

– Aussi bien celle-ci qu'une autre.

– Ah! mon Dieu! neige, tempête, nuit partout! sous vos pieds! sur votre tête!

– Vous tirerez quelques coups de fusil pour m'aider à m'orienter.

– Oui, je peux le faire… répliqua Johnson après quelques instants de méditation.

– Bien! n'y manquez point: me voilà parti. Adieu.

Au même instant on entendit dans le lointain une clameur tremblante et plaintive, lamentable comme un cri d'agonie.

– D'où ça arrive-t-il? demanda Veghte.

– De là-bas: répondit Johnson en indiquant une direction précisément opposée à celle que Basil aurait désignée.

– Impossible! observa ce dernier étonné: je l'ai entendu par ici.

– Vous vous êtes trompé, fit Johnson avec une assurance qui fit hésiter le forestier.

Il s'arrêta un moment, indécis. Au bout de quelques secondes le même cri étrange se fit entendre.

– C'était bien la direction que je pensais, dit Veghte: je parierais que c'est la voix d'une femme. Adieu! n'oubliez pas de tirer quelques coups de feu pour me remettre dans la bonne route.

Les dernières paroles du brave forestier se perdirent dans l'éloignement: il marchait droit au but de sa courageuse expédition.




CHAPITRE III

DÉCOUVERTE ÉTRANGE


Il fallait vraiment ton courage et bon cœur à l'intrépide chasseur, pour affronter cette noire profondeur du désert, cette sinistre tempête, cette neige mortelle amoncelée en menaçantes avalanches.

Quand il eut fait une centaine de pas, il se retourna pour voir s'il apercevrait son feu. Plus rien n'apparaissait.

– Un beau noir! un joli sombre! murmura-t-il en reprenant sa marche: ma foi! il tombe de la neige de façon à épuiser toutes les provisions d'en haut. Brrrrt! ce n'est pas un badinage de se promener à cette heure!

Au même instant, en dépit de toute sa précaution, il se cogna rudement contre un arbre; en se détournant pour l'éviter, il en heurta un autre avec la même violence.

– Il n'y a rien d'agréable à se renfoncer ainsi le nez contre les arbres, se dit-il avec un sang-froid que rien ne pouvait déconcerter.

Et il poussa en avant. Soudain le cri se fit entendre, mais si près de lui, que, malgré toute son assurance, il ne put réprimer un frisson et un ressaut en arrière. Il resta immobile, écoutant toujours.

– C'est la voix d'une femme, pensa-t-il; aussi sûr que mon nom est Basil Veghte; c'est un peu fort! que fait-elle là?

Bien des gens auraient poussé un cri d'appel en forme de signal; assurément il eût été entendu. Mais le forestier était trop avisé pour commettre une telle imprudence. Son oreille exercée avait reconnu la voix d'une squaw indienne.

Mille pensées inquiètes se pressèrent tumultueusement dans son esprit. Toutes ces aventures ne cachaient-elles pas quelque artifice perfide combiné pour le massacrer ou le faire prisonnier?.. N'était-il pas possible que son mystérieux et impassible compagnon eût organisé cette trame diabolique?.. Et sans courir aucun risque, quelque lâche ennemi ne pouvait-il pas précipiter Basil dans un gouffre inconnu?..

En une seconde tous ces soupçons tourbillonnèrent dans son esprit; Veghte se sentit mal à l'aise et écouta plus minutieusement que jamais. Un moment vint, où il s'imagina sentir la présence de plusieurs ennemis; il tourna l'oreille et l'œil dans toutes les directions pour sonder le ténébreux et impénétrable espace.

Puis, il fit quelques pas avec précaution: la voix s'éleva de nouveau; cette fois c'était une sorte de chant sourd et monotone que Veghte reconnut à l'instant.

– Dieu me bénisse! fit-il étonné; c'est le chant de mort. Je vois bien maintenant qu'il n'y a aucune trahison; mais il y a une créature en danger. Holà! qui est là?

Le chant continua comme si rien n'était venu l'interrompre. Pensant n'avoir pas été entendu, Basil réitéra son appel.

– Holà! hé! m'entendez-vous?

Sa voix dominant la tempête, alla se répercuter dans les échos endormis de la forêt: nul doute qu'elle n'eût été entendue.

– Rien n'arrête un Indien qui psalmodie son chant de mort! grommela Veghte avec impatience; voilà une Peau-Rouge encore plus obstinée que les autres.

Quelques pas le portèrent à côté de la femme qui se livrait à ce sépulcral exercice. D'abord, il ne distingua rien: peu à peu le large tronc d'un arbre se dessina dans les ténèbres, et devant lui une forme humaine qui s'y appuyait.

Basil s'avança et tâta avec les mains: cette investigation matérielle acheva de le renseigner.

Mais une chose l'exaspérait considérablement: la femme continuait de chanter avec une persistance inexorable.

– Chut donc! Silence! ou bien je vais vous y forcer. Qu'est-ce que ça signifie de brailler ainsi, alors que personne ne peut vous entendre? Taisez-vous, à la fin! ou je me fâcherai!

Ses injonctions ne produisirent pas plus d'effet que s'il se fût adressé au vent ou à la neige.

– Ah! ah! vous ne voulez pas vous arrêter? Eh bien! nous allons voir!

A ces mots il déploya sa large main et l'appliqua sans cérémonie sur la bouche de la chanteuse. Force lui fut d'interrompre pour le moment ses manifestations musicales.

Veghte tâta ensuite ses bras, ses mains et ses pieds pour savoir quels vêtements garantissaient la pauvre créature contre les rigueurs du temps: il ne trouva, hélas! qu'une mince robe en calicot, suffisante à peine pour la fraîcheur d'une nuit d'été.

– Gelée, glacée à mort! murmura-t-il; par le ciel! tout allait être fini pour vous, pauvre fille! hein? que vois-je par terre?.. Ah! une couverture!.. mais elle est toute raide de glace. Il nous faut du feu, c'est évident! Hé! vous, ne bougez pas, ou je vous tue! ajouta-t-il en déblayant le sol et recollant çà et là des broussailles pour construire son bûcher humide. – Je ne sais trop comment elle ferait pour courir, la malheureuse créature, si l'envie lui venait d'essayer!.. – Attention, vous! de ne pas chercher à fuir: j'ai l'œil sur vous, et si vous faites un pas je vous écrase! poursuivit-il en s'efforçant de rendurcir sa bonne voix émue de compassion.

Le bon forestier ne doutait pas que l'Indienne ne fût arrêtée par cette idée «qu'il avait l'œil sur elle.» – Au milieu de cette obscurité épaisse dans laquelle ils ne pouvaient s'apercevoir, ce propos aurait pu paraître présomptueux! mais il n'y regardait pas de si près, l'excellent homme! Il ne songeait qu'à l'empêcher de fuir, c'est-à-dire de courir à une mort certaine: pour cela il s'efforçait de l'épouvanter en la menaçant de sa colère, «si elle bougeait.»

– Ah! ah! grondait-il tout en bâtissant son feu; oh! oh! je suis un terrible homme, quand on m'irrite! je ne sais pas ce dont je suis capable dans ma colère! si vous faites un mouvement, je vous tuerai avant de m'en apercevoir. – Holà! elle remue, je crois! s'écria-t-il en entendant un léger froissement sur la neige.

Prompt comme l'éclair, il jeta la poignée de petit bois qu'il tenait, et bondit vers elle.

– Non! elle ne peut aller loin…: Ah! Seigneur! elle est tombée! poursuivit-il, lorsque ses mains après l'avoir cherchée contre l'arbre, l'eurent trouvée affaissée dans la neige. – Patience! encore une minute, pauvre mourante! le feu va briller; ajouta-t-il en l'enveloppant de son mieux avec la couverture.

En effet, au bout de quelques instants, la flamme jaillit, chaude, brillante, joyeuse; en dépit du noir orage et de l'humidité glacée.

Basil prit dans ses bras l'Indienne, et la coucha avec précaution près du feu: là, il s'empressa de l'examiner.

C'était une très jeune fille, à peine sortie de l'enfance; son visage marbré par le froid avait une expression charmante et noble; ses yeux noirs, profonds, expressifs; ses longs cheveux brillants attestaient sa race.

Un frisson traversa l'âme bronzée du forestier en voyant cette frêle créature raidie par un mortel engourdissement, presque sans haleine, et qui se mourait au souffle fatal du vent de neige.

Il lui sembla, au premier coup d'œil, l'avoir déjà vue quelque part: mais ce n'était pas le moment de se répandre en hypothèses, il fallait agir, il fallait lutter; la mort était là, attendant sa proie.

Basil lui retira ses moccassins, et examina ses petits pieds:

– Tonnerre! ils sont gelés, je m'en doutais! grommela-t-il en prenant une poignée de neige pour les frictionner.

Le brave forestier mit une telle ardeur à cette utile opération, que la jeune fille poussa un cri de douleur.

C'était mieux que rien: c'était signe de vie.

– Bon! elle reprend la parole! dit-il en riant dans sa barbe; et dans ce discours il y a plus de sens que dans tout son baragouin sauvage. Allons! criez un peu, petite fille! ça me réjouit de vous entendre. Le sang commence à circuler dans ces mignonnes pattes; je vais les bien envelopper de la couverture, ensuite je donnerai une «frottée» aux bras.

Effectivement, il donna une telle «frottée» aux deux bras, que la jeune fille en poussa des cris. Mais le vaillant Basil ne s'arrêta pas pour si peu, et il ne discontinua sa vigoureuse médication que lorsqu'il fut certain d'un bon résultat.

Il y a bien des médecins qui n'en font pas autant: cela tient sans doute à un excès de science.

– Je ne m'étonnerais pas si son nez avait besoin d'une ou deux frictions; poursuivit le forestier, qui, joignant le geste à la parole, opéra sur le champ, d'une manière délicate, avec le pouce et l'index. Il est froid comme un glaçon, observa-t-il au bout d'un moment: ce n'est pas là ce qui m'inquiète; la voilà en bon chemin.

Alors, satisfait de sa cure, il emmaillota sa protégée dans deux couvertures, et la coucha sur un tas de fougères, de la même façon que si c'eût été un petit enfant de quinze mois.

– Les femmes sont des choses bizarres, grommela Veghte en regardant l'Indienne qui continuait de rester immobile: tout-à-l'heure celle-ci chantait, alors qu'elle avait tout sujet de pleurer; maintenant elle reste muette comme un poisson, comme si ça ne valait pas la peine de me dire merci. Vraiment, je n'y connais pas grand chose, aux femmes. Il y avait bien ma vieille mère, et une sœur, je crois; par là-bas, derrière le levant… mais elles sont mortes, j'imagine.

Il se tut un moment pour essuyer le brouillard qui humecta ses yeux à ces souvenirs; puis il reprit son monologue:

– Oui, les femmes sont de drôles de choses; elles ont été pour moi la cause de plus d'une épreuve. Toutes les fois que j'y ai pensé, ça m'a fait tourner la tête. Une autre chose bizarre… Je n'ai jamais vu de femme avec des moustaches; ça m'étonne qu'elles n'aient pas de moustaches comme nous autres hommes! C'est, sans doute, parce qu'elles ne sauraient pas se raser: oui, mais… elles pourraient se faire raser par quelqu'un. C'est bizarre!..

Le problème lui paraissant de solution trop difficile, il prit le parti de n'y plus songer.

– … Encore une chose singulière! les femmes ont de longs cheveux!.. ça m'a embarrassé longtemps de deviner pourquoi: je l'ai trouvé ce pourquoi… C'est parce qu'elles les laissent pousser. Je parierais que les miens seraient tout aussi longs, si je leur en laissais le temps.

Veghte éprouva le besoin de respirer après ce laborieux travail d'esprit. Il se reposa donc avec un soupir de satisfaction orgueilleuse; jamais écolier lauréat, jamais mathématicien venant à bout d'un problème ardu, ne se sentirent plus triomphants et plus joyeux que l'innocent forestier quand il fut arrivé à cette ingénieuse solution.

Il se sourit à lui-même et jeta un regard sur la jeune Indienne: celle-ci, toujours muette et immobile, tenait ses yeux noirs dirigés sur lui avec une fixité farouche dont l'étrange expression le mit mal à l'aise.

– Parlez-vous anglais? lui demanda-t-il. S'il en était ainsi, je serais bien aise de vous adresser quelques questions. Hein, parlez-vous?..

Un coup d'œil plus fixe encore s'il était possible, fut son unique réponse.

– Allons! parlez-vous?.. ou bien je vous tire les oreilles! fit-il en allongeant le bras vers elle.

L'excellent homme se serait brûlé les deux mains plutôt que de toucher à un cheveu de la jeune fille. Mais cette dernière, au geste qu'il fit, répondit par un regard de reproche et d'épouvante qui lui alla jusqu'au cœur. C'était le coup d'œil suprême et lamentable de la biche immolée par le chasseur.

– Dieu me bénisse! s'écria-t-il; vous avez pu croire que je voudrais faire du mal à une pauvre infortunée créature comme vous! N'avez-vous pas compris que je plaisantais?

La jeune fille fit un brusque mouvement pour repousser le forestier; une expression d'embarras courroucé se peignit sur son visage, comme pour réprimander Basil de cette familiarité irréfléchie.

Il se trouva tout interdit, la replaça auprès du feu, et impressionné par la fixité étrange de ces yeux plus noirs, plus sombres que la nuit, il se prit à souhaiter d'être à cent lieues de là, au fond de quelque épaisse forêt, bien loin de cette fille extraordinaire.

Tout à coup elle lui dit avec une énergie soudaine qui le fit tressaillir;

– Allez-vous-en!

La surprise de Veghte fut telle qu'il ne put répondre tout d'abord.

– M'en aller! répliqua-t-il enfin: et pourquoi?.. vous voulez donc que je vous abandonne?

– Allez-vous-en, répéta-t-elle avec une énergie croissante.

– Oui, n'est-ce pas? pour vous laisser geler à mort?

– Allez-vous-en!

– Eh, non! que je sois pendu si je fais un pas!

Un sentiment de méfiance s'éleva de nouveau dans l'esprit de Basil; il trouvait une expression offensante et suspecte dans les allures de cette fille, à laquelle il venait de sauver la vie. Tous ses soupçons lui revinrent, il enveloppa sa protégée d'un regard rude et investigateur destiné à la fouiller d'outre en outre.

Mais celle-ci, s'apercevant que les recommandations étaient inutiles, se renferma dans son silence, et lui lança un coup d'œil presque suppliant et si expressif que Basil en fut touché; ses méfiances s'évanouirent, il comprit qu'elle cherchait à lui faire éviter un danger sérieux.

Néanmoins ses aventures de la nuit l'avaient prédisposé à l'imprévu tout extraordinaire qu'il pût être; et, en résumé, Veghte ne connaissait pas la peur.

Il se pencha donc très près de l'Indienne et lui demanda à l'oreille:

– Parlez, mon enfant, dites sans crainte vos pensées. Il y a par ici des Peaux-Rouges sur ma piste. Quoique vous soyez de leur race, vous ne pouvez désirer ma perte, moi qui viens de vous sauver?..

– Allez-vous-en! allez-vous-en! reprit-elle en le regardant dans les yeux.

Mais, soit ignorance, soit obstination, elle ne dit pas d'autre parole.

– Vous laisserai-je donc là?

Apparemment elle ne comprit pas cette question: sans quoi elle y aurait répondu.

– Eh! bien! je pars, mais je vous emmène! dit-il soudain, en s'enfonçant avec elle dans les ténèbres.

Le feu, pendant ce temps, s'était presque éteint, et les derniers tisons ne jetaient plus qu'une fumée rougeâtre: tout disparut au milieu des sombres obscurités de la tempête.

Quand il vit que tout était noir autour de lui, Basil éprouva une certaine satisfaction: quels que fussent ses ennemis, Blancs ou Rouges, il se trouvait dans des conditions égales vis-à-vis d'eux; la nuit, l'ouragan, le désert étaient pour lui comme pour d'autres.

Tout en cheminant à pas précipités, il repassait et commentait dans son esprit les événements inouïs dont il était le héros. On peut croire que la question était au moins aussi grave et perplexe que son précédent problème sur les femmes. Mais ici, Basil était sur son terrain, il examina les choses sur toutes leurs faces avec une grande facilité d'esprit. – Une jeune Indienne se mourant de froid, au cœur du grand désert américain, par cette nuit d'horrible tempête; – cette même Indienne cherchant obstinément à éloigner son sauveur!

Veghte eut beau tourner et retourner cette énigme complexe; il n'y put rien comprendre.

Une préoccupation détourna l'honnête forestier de ses spéculations métaphysiques; il s'aperçut qu'il marchait parfaitement à l'aventure. Toute sa perspicacité sauvage lui devenait inutile au milieu des ténèbres palpables qui l'entouraient. A cette observation désobligeante s'en joignait une autre: Johnson n'avait nullement fait retentir sa carabine, ainsi qu'il avait été convenu entre eux. Et pourtant, l'excursion de Basil avait duré assez longtemps, pour que son mystérieux compagnon s'inquiétât de lui, et songeât à donner quelque signal.

A la fin, se sentant mal à l'aise, il prit le parti de faire feu, lui-même, à trois reprises différentes.

Rien ne lui répondit.

Cependant, comme il avait marché avec une précaution extrême, il se croyait certain de n'être pas loin de son premier campement.

– Ce coquin là doit pourtant m'avoir entendu! grommela-t-il; c'est un singulier compagnon, celui-là! et sa conduite me paraît louche. Je ne me fie que tout juste à son amitié, et si nous devons faire route ensemble, il faudra que je le fasse marcher. Impossible qu'il se soit endormi comme une brute!

Comme il parlait encore, une lueur fugitive, ou plutôt une ombre de lueur frappa ses yeux vigilants.

C'était son bienheureux foyer, dont il ne s'était guère détourné, dans sa course à tâtons.

Quelques secondes lui suffirent pour y arriver; il s'installa en jetant à Johnson un regard de travers.




CHAPITRE IV

PROBLÈME INSOLUBLE


– Pourquoi n'avez-vous pas tiré des coups de fusil, comme je vous l'avais recommandé? demanda Veghte, assez aigrement, à Johnson qui s'était mis debout pour le recevoir.

– Au nom du ciel qu'amenez-vous là? riposta ce dernier.

– Eh! une créature qui s'en allait mourant de froid si je ne lui avais porté secours, malgré vos bons conseils.

– Tiens! tiens! une femme! s'écria Johnson au comble de l'étonnement: que je sois pendu si ce n'en est pas une!.. et vivante, encore!

– Eh bien! oui, vivante! qu'y a-t-il là d'extraordinaire?

A ce moment, la jeune fille se débattit si fort dans ses couvertures qu'elle les fit tomber et bondit comme une biche effarouchée.

– Là! là! doucement! fit Basil; reprenez vos couvertures et ne faites pas de sottises! Enfant! ou bien!.. mais non; je vous ai effrayée une fois déjà; je n'y veux plus revenir. Allons! voyons! soyez sage! remettez votre manteau, sans quoi vous mourrez de froid. – Vous! ajouta-t-il en s'adressant à Horace; parlez-moi un peu ici: n'avez-vous pas entendu mes coups de feu?

– Il m'a bien semblé ouïr quelque chose; mais je n'ai pas trop su ce que c'était.

– Pas-trop-su-ce-que-c'é-tait!.. reprit Basil avec humeur, et contrefaisant la parole nonchalante de son interlocuteur. Vous allez peut-être me faire croire que vous ne distinguez pas un coup de feu du miaulement d'un chat!

– Peut-être, oui! répliqua l'autre avec un redoublement de flegme irritant.

– Pourquoi n'avez-vous pas fait parler votre fusil? Vous m'auriez évité bien des tâtonnements dans ce bois obscur, au moment de mon retour?

– Peuh! savais-je que vous iriez si loin? D'ailleurs, à vous voir si passionné pour vous mettre en campagne, je m'imaginais qu'une tournée de chasse, en pleine nuit, était nécessaire pour votre santé.

– Enfin! vous n'auriez donc pas tiré un seul coup de fusil?

– Oh! vers l'aurore, j'aurais peut-être songé à y penser… mais vous êtes arrivé trop tôt.

Veghte lui lança un coup d'œil qui n'avait rien de pacifique, et réprima une violente envie de lui répondre sur un autre ton. Mais, après un moment de silence il se calma, et reprit la conversation sur un autre sujet.

– N'est-ce pas la chose du monde la plus bizarre Johnson? Quant à moi, cette aventure-là me dépasse.

– Quelle aventure?

– Eh donc! la manière dont j'ai découvert cette fille.

– Comment l'avez-vous trouvée?

– Debout contre un arbre, gelée à mort.

– Ah! et comment avez-vous connu qu'elle était gelée?

– Potence et corde! comment voit-on avec les yeux? comment touche-t-on avec les mains? vous êtes stupide, ce soir, mon camarade!

Johnson sourit paisiblement de cette boutade, et poursuivit avec son flegme habituel:

– Vous ne voyez pas que je cherche à éplucher la question. Est-ce que c'est la jeune fille qui vous a dit qu'elle allait mourir de froid?

– Si elle ne s'en était pas doutée, pourquoi aurait-elle chanté son chant de mort?

– Certes! elle le chantait?

– Oui bien! et c'était parfaitement l'occasion pour elle.

– Ceci est fort. Si elle était mourante, c'est-à-dire sans connaissance, comment s'apercevait-elle de la chose, et comment pouvait-elle chanter?

– Je n'en sais rien. Ce qui m'étonne encore plus, c'est qu'elle fût seule en pareil endroit et dans une pareille nuit.

– Pourquoi pas? Il n'y a rien là d'impossible. D'ailleurs qui empêche de penser qu'elle était venue là avant la tempête?

– Mais, comment y serait-elle arrivée seule?

– Je ne puis rien décider là-dessus: on peut dire oui et non. Je suppose qu'elle avait été accompagnée par quelqu'un.

– Alors, comment se fait-il qu'on l'ait laissée seule?

– C'est ce qui reste à savoir: peut-être les autres n'étaient pas loin.

Cette dernière remarque et le ton sur lequel elle fut faite impressionnèrent Veghte; il abaissa pendant quelques instants sur le feu un regard distrait, et s'absorba dans ses pensées. Enfin il releva les yeux et dit:

– S'ils étaient proches, pourquoi la laissaient-ils mourir de froid?

– Peut-être l'avait-on mise là en punition.

– Bah! quelle punition pouvait mériter une innocente enfant comme ça? Parlez-vous sérieusement?

– Vous savez bien que ces petits êtres aux yeux innocents sont presque toujours de dangereuses créatures.

– Moi, j'ignore tout ça: les femmes sont bizarres, n'est-ce pas? On a bien de la peine à les comprendre.

– Il y en a qui les comprennent, répliqua Johnson avec une orgueilleuse suffisance; moi, elles ne m'ont jamais embarrassé.

– Mais, je reviens à ma question; si les autres l'ont laissée seule, pour se retirer à peu de distance, comment se fait-il qu'ils me l'aient laissé emmener?

– Ah! c'est là le mystère. Peut-être sont-ils partis convaincus qu'elle succomberait sous la tempête, et ne se sont-ils pas donné la peine de la surveiller.

– Je ne suis pas convaincu de cette idée. Johnson, vous parlez l'Indien, n'est-ce pas?

– Oui, pourquoi?

– Pour lui parler, la questionner; tirer au clair tout ce qui la concerne.

– Ne lui avez-vous fait aucune question?

– Si, mais elle n'a pas l'air de comprendre l'Anglais.

Johnson se livra à un silencieux sourire:

– Pshaw! Elle l'entend aussi bien que nous. Voyez donc comme elle vous observe: je parierais qu'elle sait, jusqu'au moindre mot, tout ce que nous avons dit l'un et l'autre.

– Mais, par le ciel! pourquoi ne dit-elle rien?

– Ah! ah! c'est qu'elle ne veut pas; apprenez que lorsqu'une femme a mis quelque chose dans sa tête, vous la tueriez plutôt que de l'en arracher.

– En vérité?.. murmura Basil, au comble de la stupéfaction.

– Vrai comme je le dis!

– Eh! bien les femmes sont d'étranges êtres. Nous autres hommes n'agirions pas ainsi.

– C'est ce qui vous trompe, un homme ferait de même.

– Bah! ce n'est pas possible, nous ne sommes pas si fantasques, après tout! Et si un bon garçon m'avait rendu un service pareil à celui que je viens de lui rendre, par la neige et la tempête, par ma foi! je répondrais congruement à ses questions.

– Écoutez un peu: elle ne trouve peut-être pas qu'il y ait tant à vous remercier dans cette affaire.

– Je pense autrement que vous; regardez ses yeux, et dites-moi s'ils ne parlent pas de reconnaissance?

– Je ne comprends guère ce langage muet. Et dans ses yeux je ne vois rien, si ce n'est qu'ils sont noirs comme la nuit et luisants comme des charbons.

– Dites-lui donc encore quelque chose en langue indienne; pour voir si elle nous comprend, oui ou non.

Johnson lui demanda son nom. A peine la question était-elle faite que la jeune fille répondit:

– Mariami!

– Mary Ann?.. elle dit? demanda Veghte fort intrigué.

– Mariami – un joli nom pour une indienne. Voulez-vous que je lui demande encore quelque chose?

– Oui: tâchez de savoir pourquoi elle était restée seule.

Johnson l'interrogea de nouveau, mais sans succès: il fut désormais impossible de lui arracher une parole. A la fin, Veghte se consola en répétant son axiome «que les femmes étaient d'étranges choses;» et se renferma dans le silence, après avoir invité, par signes, la jeune fille à dormir.

Pendant près d'un quart d'heure pas un mot ne fut prononcé: Basil fumait, les yeux nonchalamment fixés sur le feu, lorsque tout à coup une idée lui vint, il releva la tête pour parler. En faisant ce mouvement il s'aperçut que Johnson et l'indienne se regardaient avec un air qui lui parut éminemment suspect. A l'instant où Veghte bougea, les yeux de son mystérieux compagnon s'abaissèrent vivement vers le feu, et y restèrent fixés avec une expression affectée de somnolence et de rêverie. On aurait pu croire que Johnson, absorbé dans ses méditations, avait depuis longtemps oublié l'univers entier, l'Indienne et Veghte lui-même.





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