Книга - Un tuteur embarrassé

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Un tuteur embarrassé
Roger Dombre




Roger Dombre

Un tuteur embarrassé





I


J'étais morte.

Positivement et littéralement morte.

La preuve, c'est que tante Germaine se mouchait avec bruit; or, elle ne se mouche que quand elle pleure, elle ne pleure que devant le trépas; tante Bertrande, elle, récitait des prières funèbres d'une voix entrecoupée de sanglots, et mon oncle Valère s'écriait en gémissant:

"Ma pauvre petite pupille! Elle m'a fait enrager bien souvent, mais je la regrette quand même; et puis, s'en aller ainsi, à quinze ans, c'est trop tôt."

Quant à moi, j'ai honte de l'avouer… j'avais envie de rire.

Pourtant, je me disais:

"Il paraît bien que je suis morte, puisqu'on me pleure et me regrette; mais alors, où donc est le bon Dieu?.. Pourquoi ce jugement annoncé de mon vivant ne commence-t-il pas?"

J'avais beau me répéter:

"Je ne suis plus qu'une âme; mon corps, ce petit corps mince, jadis si remuant d'Odette d'Héristel est maintenant immobile sur mon lit froid…" Je ne pouvais me faire à l'idée que j'avais quitté la terre.

Comment cela m'avait-il pris, de mourir? Je me le rappelais assez bien; j'étais occupée à trier de la musique tout contre le piano, avec Robert qui chantonnait les premières mesures des morceaux en les prenant de mes mains.

Tout à coup, il me dit:

– Tu es pâle, Odette, est-ce que tu souffres?

– Pas du tout, répliquai-je. Quelle idée! Je ne me suis jamais mieux portée.

Mais aussitôt, je sentis un grand trouble en moi; un malaise indéfinissable, comme celui qui précède la syncope.

Cela ne me faisait pas précisément mal, seulement un froid me gagnait les veines, en commençant par les extrémités; tout tournait sous mes yeux, et mes jambes devenaient molles.

J'entendis Robert qui s'écriait, plein d'angoisse:

"Mon Dieu!.. Odette se trouve mal."

Et je le sentis qui me prenait dans ses bras, ses grands bras robustes où je me savais en sûreté.

Ensuite, il y a comme un voile sur mes souvenirs. J'ai dû demeurer évanouie tout à fait, quelque temps; la faculté d'entendre m'est revenue je ne sais trop quand, mais non celle de parler; ni de me mouvoir.

La voix de notre docteur, M. Mérentier, frappa mon oreille, au milieu des exclamations de mes tantes.

– C'est une embolie, prononçait avec ampleur cet homme célèbre dont je me suis souvent moquée, de mon vivant. La mort a dû être instantanée, ce qui a évité à la chère enfant de grandes souffrances; mais ce cas est assez rare dans un âge aussi tendre.

"En effet, pensai-je, prête à pleurer sur moi-même, je m'en vais à la fleur de mon printemps; c'est peut-être très poétique, mais la vie ne m'ennuyait pas encore et je n'aurais pas été fâchée d'en jouir quelques années de plus."

"Pourvu qu'on ne m'enterre pas trop vite! me dis-je aussi; car enfin, je dois être morte, puisque tous l'affirment, mais moi, je n'en suis pas très sûre."

Quelque chose en moi protestait contre cette affirmation.

Je n'avais pas eu d'agonie, d'abord, et cela me paraissait trop beau de m'en aller si doucement dans l'autre monde; "en gondole" dirait Gui.

Ensuite, j'appartenais encore trop à la terre, puisque j'entendais ceux qui me parlaient; enfin, je n'étais pas jugée.

Non que le jugement me fît grand'peur…

Mon Dieu! je n'avais pas péché… grièvement, sinon souventes fois.

Je m'examinais comme lorsque j'allais à confesse, très grave, avec, de temps à autre, une petite envie de rire au souvenir de certaines fredaines.

Mais, j'avais confiance en la miséricorde divine; pour me donner du courage, je me comparais mentalement à tous les grands scélérats connus: Ravachol, Néron, Balthazar, Cartouche, Troppmann, Vacher, Domitien, Marat et Robespierre.

Tout ce monde-là formait dans ma pauvre tête une salade plutôt… rassurante.

"Seulement, pensai-je, ces gens ont sans doute des circonstances atténuantes à leur appoint; les uns ont reçu une éducation cynique ou pas du tout d'éducation; les autres ont été entraînés par de mauvais exemples, par des tempéraments exceptionnels, par l'hérédité.

Moi, quelles excuses puis-je invoquer? Elevée, choyée, gâtée par de bons parents que j'ai perdus trop tôt, j'ai été remise aux mains de mon oncle Samozane, la crème des tuteurs, homme absolument inoffensif, tout livré à l'innocente manie de la phrénologie, et qui me laisse à peu près faire ce que je veux et ne me gronde presque jamais.

Et pourtant!.. il y aurait tant lieu de me gronder! J'aime moins sa femme, tante Germaine, qui se croit obligée de m'abreuver de nombreux sermons et dont l'esprit est quelque peu étroit; j'aime encore moins sa soeur, tante Bertrande, qui possède, amplifiés, les mêmes travers.

Je tyrannise tant que je peux, leurs filles et nièces, mes cousines Blanche et Jeanne.

Quant à mon cousin Robert, je n'ai rien à dire sur lui; c'est la perfection de la perfection, et si jamais il m'exaspère, c'est justement parce que je ne peux pas lui trouver un travers, un défaut.

Son frère cadet, Gui ou Guillaume (que je me plais à appeler Guimauve à cause de la couleur violette de ses yeux), est un si bon garçon, si fou, si amusant, que je regrettais de quitter ce monde rien qu'à cause de lui.

Mais revenons à ma mort.

Toujours, j'entendais la voix de mes tantes, murmurer, gémissantes:

"Du fond de l'abîme, j'ai crié vers vous, Seigneur, Seigneur!.."

Je ne voyais toujours rien surgir devant moi; devant mon âme, devrais-je dire.

"Le bon Dieu finira bien par venir, pensai-je; mon stage va être terminé et, après un court jugement, j'irai certainement en purgatoire. A moins qu'on ne m'ait oubliée, ou que Saint Pierre ait tellement à faire!"

"Et lux perpetua luceat eis…"

"Je dois être affreuse sur mon lit de mort, me disais-je encore."

Cette idée ne laissait pas que de m'inquiéter beaucoup; que devaient penser tous ceux qui m'ont connue… gentille? Il n'y a pas à poser pour la modestie: je sais bien que je ne fais pas peur… Oui, que devaient-ils penser? Robert surtout, ce cher Robert dont les yeux profonds s'attachaient si souvent avec une indulgente affection, sur le minois rieur de cette folle d'Odette?

On m'avait habillée, je le savais, toute de blanc, comme une fiancée ou une première communiante; sans doute avec ma robe de crêpe de Chine que j'avais mise pour le bal blanc de Mme de Boutrilles et qui, au dire de mes cousins, m'allait si bien.

Bon! voilà que j'avais des pensées de vanité jusque par-delà la tombe!

Il y avait un va et vient autour de mon lit funèbre; des gens s'approchaient de moi, me baisant au front, s'apitoyant…

Puisque le bon Dieu tardait tant à me juger et que j'avais fait et refait mon examen de conscience, je pouvais bien m'amuser à écouter ce qu'on disait d'Odette d'Héristel, décédée tout fraîchement dans la seizième année de son âge.

Je me suis instruite très utilement. Mais, procédons par ordre.

L'oncle Valère, d'un ton triste:

"J'avais toujours dit que cette petite était en dehors du commun des mortels; outre la bosse de l'excentricité, elle avait celle…"

Je ne pus savoir la suite, tante Germaine interrompant le tuteur:

"Que Dieu lui pardonne ses fautes, à la chère enfant, car elle a beaucoup péché! Nous en a-t-elle fait des misères, la pauvre mignonne, avec ses idées saugrenues, depuis bientôt six ans qu'elle vit avec nous!"

"Oui, a riposté tante Bertrande, mais elle va bien nous manquer, et la maison nous paraîtra fort triste; elle l'égayait tellement!

Le jour où je sentirai mon rhumatisme, qui me le fera oublier en me racontant de drôles d'histoires?"

Avouez qu'ici le regret que j'inspirais était un tantinet égoïste.

Blanche étreignit mes mains froides et, sanglotant, ne put que répéter:

"Odette! pauvre Odette!"

Sa soeur Jeanne, que j'aime moins, se pencha sur moi et, dans un souffle moins désolé, prononça très bas:

"Cousinette, ta mort nous laisse riches; je pourrai épouser M. de Grandflair… Merci."

Ces paroles me rendaient rêveuse.

Au fait, j'étais riche. Riche et mineure, je n'avais pas écrit de testament: mes biens revenaient donc tout naturellement à mes parents les plus proches, les Samozane.

Est-ce que cela n'allait pas atténuer de beaucoup leur regret de me perdre?

Bah! Je m'en voulus pour cette idée injurieuse, déplacée, et je dressai de nouveau l'oreille.

Un grand fracas retentit dans ma chambre… mortuaire, et je devinai Gui, Guimauve, mon bon camarade, le complice accoutumé de mes fredaines.

"Que me dit-on? Odette! Morte! C'est impossible! Ce matin, quand je suis parti pour le collège, elle allait comme un charme.

"Eh! oui, soupira tante Bertrande, mais cela est survenu subitement. Regarde-la, la pauvre chérie; elle n'a pas souffert. Ne dirait-on pas qu'elle dort?

"Absolument, répondit Gui dans un grand sanglot, et c'est à se demander si…

"Ah! Nénette, je t'aimais bien va, en dépit de nos fréquentes disputes.

Ah! comme tu vas me manquer!"

Puis, changeant soudain de ton, anxieux:

"Et Robert, comment supporte-t-il cela? dit le grand fou en se mouchant bruyamment.

"Pauvre frère, le voilà veuf de sa petite fiancée!"

Sa petite fiancée?

Il me sembla que je bondissais; où Gui prenait-il cela?

Jamais il n'a été question d'avenir entre Robert et moi, et je crois que si ses parents et lui ont… avaient, plutôt, des vues sur ma personne, ils auraient pu m'en instruire.

Certes, j'aime bien Robert; je l'admire même, comme un grand frère très aîné (il a dix ans de plus que moi) et très sérieux; mais, il ne m'est jamais venu à l'idée…

Robert, au fait, comment n'était-il pas là à pleurer et à prier au pied de mon lit funèbre?

L'oublieux! L'indifférent!

Son absence m'offusqua et je lui en voulus beaucoup… Je lui en veux encore à l'heure qu'il est.

Ne manquait-il pas à tous ses devoirs?

Mon oncle, lui, pouvait avoir affaire ailleurs; mes tantes aussi, appelées au dehors par les amis à recevoir, les ordres à donner relativement à mes funérailles; mais Jeanne et Blanche égrenaient leur chapelet auprès de moi et Gui ne quittait pas mon chevet où il se lamentait tout haut.

Que faisait donc Robert?

Peu à peu, un grand silence se fit dans la pièce; sans doute, on m'avait assez pleurée, on respirait un brin. Je profitai de ce répit pour réciter un psaume pour le repos de ma pauvre âme, m'étonnant toujours de demeurer entre ciel et terre sans m'arrêter nulle part, ni apercevoir l'ombre même d'un juge.

Soudain un pas, dans le lointain de la maison, fit gémir l'escalier.

Comme j'avais l'ouïe fine, alors!

– Voilà enfin Robert! pensai-je.

Mais non, le pas se rapprochait, non léger et harmonieux, comme celui de mon cousin, mais lourd et inégal.

C'était Miss Hangora, bientôt suivie de son inséparable Mlle Dapremont que je ne puis souffrir.

En ce moment, toutefois, sur le point de paraître devant Dieu, j'essayai de l'aimer de tout mon coeur.

Ah! bien oui! vous allez voir si cela m'était facile!

Elles se répandirent d'abord, toutes les deux, en clameurs énervantes et en doléances sur la pauvre Odette:

"Une si charmante fille! qui avait tant d'esprit! des yeux si espiègles! la réplique si vive!"

Ici, également, les regrets manquaient de chaleur; il me semble qu'on pouvait bien m'aimer et me pleurer pour des raisons plus sérieuses, pour au moins les quelques qualités morales que je me flatte de posséder.

Miss Hangora s'approcha de mon corps et déclara que j'étais "une délicheusse petite morte; un peu pâlotte, voilà tout, et pas du tout effrayante."

Au fond de moi-même, je lui sus gré de se montrer si expansive et de m'apprendre, sans le vouloir, que je ne faisais pas peur.

Puis, ces demoiselles s'assirent auprès de mes cousines et tentèrent de les consoler, ce qui ne fut pas difficile, avec des natures aussi superficielles que Blanche et Jeanne.

"Porterez-vous longtemps le deuil? Le noir ira bien à votre teint, faisait remarquer Mlle Dapremont; faites-vous fabriquer un toquet de soie noire par Crespin, Jeanne, car le crêpe ne se prend pas pour une cousine.

"Presque une soeur… murmura la voix dolente de ma cousine."

"Oui; mais on réserve le crêpe pour des parents plus proches; autrement, ma chère, il n'y aurait plus de différence; n'est-ce pas, Blanche!"

Blanche acquiesça faiblement.

Tante Bertrande rentra, affairée, et exposa la manière par laquelle on comptait m'enterrer.

Je compris que l'on ferait bien les choses et que mon tuteur ne regardait pas à la dépense.

Des domestiques entrèrent aussi, apportant des fleurs.

Ma vieille bonne, Euphranie, était plongée dans la désolation; ses larmes ruisselaient bruyamment et elle faisait toucher à mes mains inertes son chapelet de bois pour conserver, disait-elle, "une relique" de Mademoiselle. Tout comme si j'étais morte en odeur de sainteté.

Les jeunes filles profitèrent, pour quitter la chambre un instant, de l'arrivée de la brave servante qui voulait "me veiller" au moins une heure.

Pauvre vieille! elle commença par prier, puis, s'assoupit, puis ronfla et ne s'éveilla que lorsque Gertrude vint s'asseoir à côté d'elle.

Alors, elles conversèrent.

Bien entendu, je fis le sujet de leur entretien.

"Si la pauvre mignonne avait vécu, disait le cordon-bleu de la famille Samozane, elle serait devenue la bru de son tuteur et la femme de M. Robert."

Il y eut un silence. Euphranie reprit:

"C'est un beau parti qui échappe à M. Robert; la petite mignonne aurait eu sept cent mille francs de dot."

"Il doit être bien marri, M'sieur Robert.

"Y a de quoi, avouez-le. Nos maîtres n'ont pas de fortune, qu'il paraît, et la jeune famille ne sera pas d'un casement facile.

"A présent, tout est changé: nos demoiselles sont dotées, et quant à nos jeunes Messieurs…

"Monsieur Gui est un tantinet paresseux, mais si bon garçon, si amusant, qu'il trouvera facilement une femme pour s'épouser avec lui.

"Monsieur Robert, on ne sait que dire sur lui. Il arrivera à tout ce qu'il voudra; mais c'est un artiste, un indépendant, comme ils disent, et il lui aurait fallu une petite demoiselle comme Mlle Odette pour lui apporter la fortune.

"Aussi, avait-il jeté son dévolu sur elle.

"Lui ou ses parents, on ne sait pas," conclut Euphranie à laquelle j'aurais volontiers arraché les yeux car elle m'arrachait, elle, mes illusions.

Ainsi, tout le monde me fiançait donc à ce Robert qui ne venait pas me pleurer, lui, et que j'avais eu la sottise de tant admirer, moi?

C'était exaspérant, en vérité, et il me tardait de disparaître tout à fait de ce monde, dont je n'entrevoyais que trop, à présent, la cupidité et la petitesse.

"Tout à l'heure je m'en irai, pensai-je, et ce sera bien temps; on me déposera entre quatre planches; puis dans le caveau des Héristel, et…"

Mais un petit frisson me prit:

"Eh! quoi! demain, ou après-demain, au lieu de me réveiller le matin sous mes rideaux de soie pâle caressés par le soleil levant, entre des murailles tendues d'étoffes veloutées, dans une jolie chambre parfumée et riante, je me trouverai à plusieurs pieds sous terre au milieu d'une froide humidité!..

"Au lieu de ces bottes de fleurs qui embaument, j'aurai les parois rudes d'un cercueil!.."

Mon frisson s'accentua au point que je m'écriai, en moi-même:

"Mais, ai-je bien réellement trépassé?"

Et aussitôt, dans ma mémoire flottante, s'éveilla l'histoire touchante de la fille de Jaïre:

"Cette enfant n'est point morte, elle n'est qu'endormie!"

Grand Dieu! si quelqu'un avait la bonne inspiration de prononcer cette parole.

Un médecin un peu intelligent!.. Si Robert seulement daignait approcher de mon lit!.. Lui qui voyait tout, devinait tout…

Si ma bonne Euphranie avait la charitable idée de me verser une carafe d'eau sur la tête, sûrement cela me remettrait!

Car, plus le temps s'écoulait, plus je me sentais revivre, sortir de la léthargie qui paralysait mes membres et enchaînait ma langue avec les battements de mon coeur.

Les deux servantes se rendormaient, sourdes à tout appel; dans la chambre assombrie par l'approche de la nuit, flottait un bruit insaisissable, comme un frôlement de fantômes, dû, peut-être, au vacillement léger des flammes des cierges ou au souffle de la brise, à peine sensible, qui soulevait imperceptiblement les rideaux.

Mais, une intense frayeur me venait de ne pouvoir manifester jamais la vie qui se réveillait en moi.

Alors, qu'adviendrait-il? On m'enterrerait vivante, et je ne serais pas la première victime d'une semblable erreur.

"Si seulement, on avait l'idée de me brûler la plante des pieds, pensai-je, ou celle de me tâter le pouls; je suis sûre que mon coeur bat de nouveau!

Après tout, si laid que soit le monde, je ne suis pas fâchée d'y rentrer… Je comprends maintenant pourquoi je ne paraissais pas devant Dieu et pourquoi le jugement était si long à arriver.

J'ouvris les yeux et regardai autour de moi: le jour mourait doucement; dans la cheminée, plus de bûches, mais des cendres encore roses qui envoyaient un peu de chaleur dans l'appartement, malgré la fenêtre restée entr'ouverte.

Je souris à tout cela.

Le plus pressé, pour le moment, était de changer la position de ma pauvre tête véritablement ankylosée depuis tant d'heures qu'elle reposait, immobile, sur l'oreiller; mais, sans aide, je ne pouvais encore me mouvoir.

– Euphranie! Gertude! prononçai-je, mais si bas, qu'un double ronflement sonore me répondit seul.

Je rassemblai mes forces et tentai de remuer; un vertige allant jusqu'à la souffrance me cloua de nouveau sur mon lit.

L'impatience me prit: c'était bon signe.

"Où est mon mouchoir? me demandai-je; on l'a inondé d'eau de Cologne, et si je pouvais aspirer ce parfum, il me semble que cela me ferait du bien. Euphranie! Gertrude! vieilles sorcières! ne voulez-vous me venir en aide?"

Ma voix reprenait un peu de force; mais, comment me faire entendre de ces deux commères que le bruit du canon ne pourrait même réveiller?

"C'est bien, me dis-je, on se passera d'elles, et je vais leur jouer un bon tour. Quand elles rouvriront les yeux, la morte aura fui pour apparaître, telle que la statue du Commandeur, dans l'appartement où ma chère famille suppute peut-être ce que va lui rapporter mon trépas."




II


Si Mlle Odette d'Héristel, alors qu'elle était en léthargie, crise qui ne devait pas se renouveler pour elle, avait eu le don d'ubiquité, au lieu d'accuser son cousin Robert d'indifférence, elle aurait été touchée profondément de son chagrin.

Afin d'échapper à l'indiscrète curiosité des allants et des venants, il s'était réfugié dans sa chambre, dont l'ombre propice cachait l'atroce douleur qui bouleversait ses traits.

Odette, morte!

Etait-ce possible? l'enfant qu'il chérissait à l'égal de ses soeurs, plus peut-être ou, du moins, d'une façon différente; le tyran si câlin parfois, si amusant d'autres fois, que l'on adorait quand même?

Morte, comme cela, sans bruit, sans éclat, ainsi qu'un bébé qui s'endort?

Et il ne la verrait plus; tout à l'heure, on le mettrait dans le cercueil, ce charmant petit corps, si joli, si fin, que le trépas ne défigurait point; et, peu à peu, le souvenir de sa grâce et de sa gentillesse s'effacerait de la maison.

Chez les Samozane, tous aimaient Odette, c'était vrai; mais, seul, Robert comprenait cette délicieuse nature d'enfant gâtée et savait la faire plier.

Il souffrait cruellement; il lui semblait que le soleil avait disparu de son horizon, et il s'étonnait lui-même que cette perte le torturât à ce point.

Car, qui connaissait, mieux que lui, la beauté de cette petite âme délicate et nerveuse, vite cabrée et si tendre, une fois soumise?

A présent qu'elle n'était plus, il ne voulait se rappeler que sa tendresse, oubliant ses fautes et ses caprices passés.

Il eût donné tout ce qu'il possédait pour revoir cette jolie moue qu'elle mettait si souvent sur ses lèvres roses, promptes à la riposte et aussi à la bouderie; pour l'entendre se fâcher et même trépigner un peu.

N'était-elle pas exquise jusque dans ses petites colères? Certes, il y aurait eu quelques retouches à faire en cette jeune fille, afin qu'elle passât pour une beauté accomplie; mais combien elle était gentille et douce à regarder, même sur son lit de mort, avec sa bouche close et les lignes pures de son fin visage!

Un certain vacarme qui se produisit dans la maison, fit tressaillir Robert.

– Mon Dieu! pensa-t-il, en fronçant le sourcil, ne peuvent-ils donc respecter le dernier sommeil de notre pauvre chérie? Qu'est-ce qu'ils peuvent avoir à s'agiter ainsi?

Il n'eut pas le temps de s'en enquérir; une main hésitante entr'ouvrait la porte, et un rire léger, discret, effleurait son oreille.

Ce rire ressemblait à celui d'Odette; ce n'était pourtant pas le rire d'un spectre… Mais, était-ce la morte qui le produisait?

Robert crut devenir fou, quand une petite voix, mal assurée, mais douce et fraîche, prononça près de lui:

– Je ne voudrais pas te faire peur, Robert, mais je viens te dire que… que je ne suis pas du tout morte. On s'est trompé: je dormais seulement.

Homme de sang-froid et d'intelligence prompte, Robert Samozane avait déjà compris.

Debout, très pâle, il tendait les bras à la jolie revenante qui s'y était blottie, contente de le revoir, contente de revivre, quoique un peu faible encore.

Une grande, une intense émotion faisait battre, à coups précipités, ce coeur contre lequel se pressait la ressuscitée; et, tout bas, Robert remerciait Dieu qui lui rendait sa petite amie.

Soudain, Odette s'arracha des bras qui l'enserraient et, regardant son grand cousin avec une surprise nuancée de malice:

– Comme tu as l'air troublé!.. Et tes yeux sont mouillés! Toi, Robert, toi!..

– Dame! on te croyait morte…

– Et l'on me pleurait! Que c'est gentil! J'en vaux donc la peine! Si tu savais comme cela me fait plaisir!

– Pourquoi?

– Si tu avais été mort, seulement pendant cinq ou six heures, tu saurais qu'on prend de l'expérience en cette… absence, et que cela vous vieillit.

– Pas physiquement, au moins, dit Robert en souriant; tu as toujours ta gentille petite frimousse mutine.

– Ah! oui, parlons-en: elle doit être jolie, ma tête… Mais, cela s'arrangera. Je vais te faire un aveu, Robert: je meurs de faim.

– On va te servir tout de suite, mignonne, répondit le jeune homme en entraînant la fillette vers la porte. Qu'il fera bon te regarder manger!

Puis il s'arrêta, pris d'inquiétude.

– Mais, à propos; et les autres?.. Savent-ils?

– Ma résurrection? Certainement, j'ai commencé par eux.

– Tu as dû leur faire une frayeur!..

– Un peu; mais, je suis bonne et j'y ai mis des formes. Voilà: Euphranie et Gertrude ronflaient en me gardant avec vigilance… Si je n'avais eu que leurs prières pour le repos de mon âme, je risquerais fort de m'éterniser en purgatoire; mais tu vois que les prières n'étaient pas nécessaires. Depuis quelques minutes, je me sentais des fourmillements dans les membres et je doutais de mon trépas; puis, le ronflement des deux servantes m'agaçait. Ensuite, j'ai pu remuer un doigt, puis le bras, et surtout ma pauvre tête endolorie. Ca n'a pas été comme sur des roulettes, tu le penses.

– Ne plaisante pas, Odette.

– Tu aimes mieux me voir pleurer sur mon sort? Que nenni! Je ne suis pas fâchée d'être revenue parmi vous.

– Enfin, tu as secoué ou appelé les deux servantes?

– Pas du tout; elles dormaient trop bien. Je me suis levée… J'ai couru au salon où mes cousines discouraient encore avec Miss Hangora et Mlle Dapremont, au lieu d'écrire les adresses destinées aux billets de faire-part…

– Tais-toi, ne parle pas de cela!

– Pourquoi? Ils serviront pour une autre fois, voilà tout, fit Odette avec sérénité.

Ces jeunes personnes parlaient de moi, et jamais je ne me suis autant félicitée d'avoir appris l'anglais, car, elles faisaient mon oraison funèbre dans la langue de Shakespeare…

– Et ton éloge, sans doute?

– Pas absolument; on prétendait que, "de mon vivant", j'étais souvent hargneuse. Est-ce vrai, cela, mon Robert?

– Eh! eh!.. il y a du vrai.

– Mais ce n'était pas le moment de me bêcher, n'est-ce pas, pendant que mon cadavre gisait à deux pas de là?

Ne frissonne pas, Robert, ajouta la douce enfant en lui pressant la main avec force, puisque ce cadavre est revenu à la vie.

Mais laisse-moi achever. Comme elles parlaient ainsi, j'entrai dans le salon, telle que tu me vois, avec cette robe blanche, et je dis tranquillement:

– C'est cela, ne vous gênez pas, mes petits enfants; cassez du sucre sur ma tête…

– Elles ne se sont pas évanouies de peur ou de saisissement?

– Si; pas toutes, du moins: Mlle Dapremont et Blanche; les deux autres les ont secourues en m'invectivant.

– Pourquoi?

– Dame! Elles se figuraient que je leur avais offert une petite comédie, que je me moquais d'elles.

– Mais, tu les en as dissuadées?

– Pas le moins du monde; j'ai laissé Jeanne et Miss Hangora jouer du flacon sous le nez de leurs compagnes, et je suis allée trouver mon oncle.

– Qu'a dit ce cher père?

– Lui, tu le sais, ne s'étonne jamais de rien. Il a mis son lorgnon, m'a regardée, écoutée, et a conclu:

"Aussi, cela me surprenait trop de te voir mourir à quinze ans, quand les protubérances de ton crâne affirmaient…"

Là-dessus, je me suis sauvée chez mes tantes. J'ai eu la délicatesse de me faire annoncer par Philibert que j'ai rencontré dans le corridor, et qui a fait force signes de croix à ma vue. En deux mots, je l'ai mis au courant de ma résurrection et, précédée par ce brave serviteur, j'ai pu faire une entrée correcte chez ta mère.

Souriant, mais encore un peu pâle, Robert Samozane écoutait la mignonne enfant conter son épopée.

– C'est pour le coup qu'on va m'accuser d'être excentrique et encombrante! reprit Odette en secouant la tête; et pourtant, avoue qu'il n'y a pas de ma faute, je ne pouvais prévoir ce qui est arrivé; je n'ai rien fait pour provoquer cette léthargie.

– Non, chérie, j'étais là et tu m'as assez effrayé.

– D'autant plus que je n'ai pas coutume de m'évanouir comme une poule mouillée.

– Mais, tu mourais de faim, tout à l'heure, mignonne? Viens à la salle à manger, ou chez toi; on te servira…

– Non, non, pas chez moi. Mon lit me laisse de trop désagréables souvenirs; j'ai besoin de remuer, de chanter, de voir des visages amis.

– Alors, suis-moi.

Comme il disait ces mots, la porte s'ouvrit si violemment qu'Odette en fut heurtée, et Gui entra, très rouge, effaré mais joyeux.

– Que m'apprend-on? Elle n'est pas morte?

– Non, puisque la voilà. Tiens, embrasse-la, frère, répliqua gaiement Robert en poussant sa cousine vers le jeune homme.

Odette tendit sa joue qui reçut un baiser sonore.

Gui respira, soulagé.

– Ca fait du bien d'embrasser un si mignon revenant, s'écria-t-il, et j'aime mieux ça que de larmoyer sur lui comme tout à l'heure.

– Où donc étais-tu quand j'ai ressuscité? demanda Mlle d'Héristel.

– A travailler pour toi, ma chère; je commandais quelques couronnes mirifiques qu'il va falloir aller décommander.

– Ce qui fera faire la grimace aux fleuristes.

– Ca, je m'en moque! En route, j'ai rencontré plusieurs personnes auxquelles, d'un air navré, tu le devines, j'ai appris le malheur.

– C'est très contrariant, cela, fit Odette, une moue aux lèvres; je vais être obligée de présenter des excuses à tout ce monde-là… Aussi, pourquoi se pressait-on autant de m'enterrer?

– Peu importe ce qu'on croira et dira, chérie, prononça Robert de sa voix chaude et grave; l'essentiel est que tu nous sois rendue, et que tu te portes bien… Montre-moi ta frimousse.

Obéissante, Odette leva vers le jeune homme son joli visage pâli mais plein de vie; puis, impatiente, elle s'écria:

– Eh bien! quand tu m'auras assez regardée, tu m'enverras dîner, j'imagine. Faut-il te répéter que j'ai faim?

– Tant mieux, mignonne! l'appétit et ton impatience revenue sont d'heureux signes de santé.

Le bruit s'était promptement répandu dans la maison qu'habitait la famille Samozane, au deuxième étage, rue Spontini, que la jeune trépassée, prête à être enterrée, avait repris non seulement la vie, mais son entrain habituel.

Peu s'en fallut que l'appartement ne se vît assiéger par les curieux.

Mais, Mme Samozane consigna sa porte, et chacun en fut pour ses frais.

On envoya seulement des "petits bleus" au docteur et aux amis qui avaient été prévenus de l'accident, puis on retira la déclaration de décès qui avait été faite à la mairie.

– Que d'embarras nous cause cette petite fille! murmurait l'oncle Valère en se mettant à table, tardivement, ce soir-là, à côté de sa nièce qu'il regardait affectueusement et malicieusement.

– Pauvre oncle! riposta Odette; dire que vous vous voyiez déjà si bien déchargé de tous vos soucis de tutelle, et voilà que la pupille vous reste pour compte!

– Tâche seulement de ne pas nous procurer deux alertes semblables; c'est assez d'une fois, dit M. Samozane en plongeant sa cuillère dans son potage.

– Je m'en tiendrai là, je pense, fit Odette.

Gui ayant réclamé un sujet d'entretien plus gai, la conversation prit un autre tour; puis, brisé d'émotion, chacun eut hâte de se retirer chez soi, sauf peut-être Odette qui, sans vouloir l'avouer, redoutait l'heure du sommeil.

"Si, cette fois encore, j'allais ne pas me réveiller!" se disait-elle.

Robert pénétra sa pensée et insinua à ses soeurs de coucher dans l'appartement de Mlle d'Héristel, ce qu'elles firent avec une bonne grâce suffisante.




III


"Ce n'était rien du tout, en somme, que ce petit accident, cette léthargie qui n'a pas duré vingt-quatre heures; c'est arrivé à bien d'autres qu'à moi… Et cependant, je sens que cela a changé quelque chose à mon caractère. Certes, je n'ai jamais eu la prétention de passer pour un ange; d'abord, je ne voudrais pas être un ange, cela m'obligerait à trop veiller sur mes paroles et sur mes actes.

"Eh! bien, depuis ma… maladie d'une demi-journée, je suis devenue pire, fantasque, grincheuse, et je me sens mal disposée à l'égard du genre humain en général et de ma famille en particulier.

D'abord il m'est désagréable que l'on me parle sans cesse de mon… accident.

Quand je dis sans cesse, c'est un peu exagéré, car je ne vois pas des visiteurs toute la journée, et j'ai déclaré à mon entourage que c'était chose enterrée.

Il n'y a ici que ce scélérat de Guimauve pour me plaisanter encore là-dessus, malgré ma défense; mais, il le fait si drôlement et il est tellement en contradiction avec toutes les défenses, que je lui pardonne et fais la sourde oreille.

Je parle des étrangers, des amis… ou ennemis, qui viennent voir tante Samozane.

"Et cette chère petite ressuscitée, ne pourrons-nous la voir? Nous sommes venus spécialement pour la féliciter."

Or, parce que je suis la nièce de mon oncle et de ma tante, et parce que j'ai reçu une bonne éducation, me voilà obligée d'entrer au salon, la bouche en coeur et le regard ingénu, de me laisser embrasser la main et de répondre le plus aimablement que je le peux aux questions qu'on me pose.

Et je sens que, malgré moi, je fais la tête d'une petite fille qu'on envoie coucher sans dessert; ou bien je suis froide, froide à glacer une crème.

J'ai souvent constaté que c'est très gênant d'avoir reçu une bonne éducation et d'être la fille de ses parents; ça vous oblige à vous montrer toujours suave et bien élevée, quand on aurait envie de décocher une vérité!

Ce n'est tout de même pas sans plaisir que je me retrouve vivante après mon alerte, dans ce home qui m'est cher en dépit des vicissitudes qui m'y assiègent actuellement.

Il me semble que je n'ai jamais trouvé ma chambre si gentille; jaune paille, ce qui sied à une brune; des bibelots à la diable, un peu partout; le bon Dieu suspendu à mon chevet; mes robes en face, dans le cabinet; ma cheminée à gauche, recouverte de peluche; à l'opposé l'armoire à glace… avec laquelle je me rencontre souvent sans grande répugnance, il faut l'avouer.

J'ai toujours été enthousiaste du beau et même du joli; je ne suis pas belle, (moi qui aurais tant voulu être Mme Récamier!) mais je ne suis pas laide… surtout quand je ne me relève pas d'un lit mortuaire.

Je mets, de préférence, ce qui flatte mon visage, et fait ressortir ma taille, désobéissant en cela carrément à tante Germaine qui me répète cinq fois par semaine:

"Tu ne dois pas aimer ta beauté ni t'en servir pour t'attirer des hommages."

D'abord, m'attirer des hommages, il faut être dans les circonstances voulues pour cela. Jusqu'à présent, si j'avais écrit ma vie, ce serait une histoire édifiante à l'usage de la jeunesse; désormais… ou plutôt l'hiver prochain, aussitôt que j'aurai dix-sept ans, on m'exhibera dans les salons.

Je crois que cela m'amusera, et ce sera bien le diable si je ne récolte par deux ou trois pauvres petits compliments par soirée.

Ici, pour m'en faire, il n'y a personne, tant on craint de m'induire en tentation de vanité.

L'oncle Valère ne consulte que les protubérances de mon crâne, qui n'en a guère, du reste.

Tante Germaine me prêche le détachement de tout.

Tante Bertrande me répète que j'aurais pu être beaucoup mieux.

Jeanne me dénigre chaque fois qu'elle en trouve l'occasion.

Blanche me fait remarquer qu'il vaudrait mieux pour moi être blonde.

Guimauve me rit au nez quand il me trouve décoiffée, ce qui n'est pas rare.

Et Robert, le grave Robert, a un petit sourire ironique lorsqu'il me voit donner un regard… furtif ou prolongé, au miroir.

Seule, ma vieille bonne Euphranie témoigne une admiration sans bornes pour ma personne.

Mais voilà, je me méfie de son appréciation.

N'empêche que je suis satisfaite de sortir de l'épreuve aussi fraîche que par le passé, et avec trente-deux dents toujours; trente-deux dents bien blanches et bien alignées.

Ca ne m'a pas absolument surprise de me retrouver de ce monde, ni étonnée, ni ahurie; la crise a si peu duré!

Dieu du ciel et de la terre, soyez béni!

Quand je pense que quelques heures plus tard, je me réveillais entre les quatre planches d'une bière!

C'est sans doute cette idée qui a aigri mon caractère; ou, pour être plus juste, c'est le souvenir de certaines paroles recueillies dans mon étrange sommeil.

D'abord, il y en a qui, après avoir un peu pleuré sur moi, ont pensé à mes dépouilles opimes.

Mon oncle, lui, pauvre homme, n'a songé qu'à mes bosses crâniennes qui le trompaient.

Sa femme et sa belle-soeur ont dû… espérer vaguement ma succession.

Que le dieu d'Israël me pardonne si je juge témérairement!

Blanche et Jeanne se sont dit, et de cela, je suis certaine, hélas! que mon trépas leur fournissait une jolie dot.

Guimauve a geint de n'avoir plus de camarade bonne enfant à taquiner.

Robert, lui, n'a ni assez geint, ni assez gémi, ni assez pleuré, ni assez soupiré, à mon avis.

Que cachait ce silence?

Je me le demande avec curiosité depuis que je suis de retour en ce monde.

Et, malgré moi, l'opinion des deux servantes, Euphranie et Gertrude, gardant mon cadavre, me revient à la mémoire et je me demande…

Mais n'est-ce pas absurde de se laisser impressionner par les bavardages de deux vieilles commères?

Aussi, pourquoi suis-je riche, et pas eux?.."




IV


Notes de M. Samozane.

"Nous avons failli perdre ma pupille; il n'en fallait pas davantage pour affoler toute la maisonnée, car, on chérit cette enfant gâtée qui se nomme Odette d'Héristel.

Mais ce malaise n'était que passager, et la chère petite en est quitte pour rester un peu pâlotte.

Ou du moins… en est quitte! Je m'avance beaucoup, car au moral elle est fort changée.

Je sais bien qu'elle a la bosse du caprice et qu'il ne faut pas demander une conduite persévérante à cet oiseau léger; mais, je ne l'ai jamais vue aussi bizarre que depuis son retour parmi les vivants.

Certes, maintes fois depuis qu'elle est ma pupille, Odette a manifesté des dispositions tout à fait contraires à celles de son tuteur et de ses tantes, et nous avons malheureusement trop souvent cédé; mais aujourd'hui, on dirait qu'elle se plaît à être en continuelle contradiction avec nous. Qu'y a-t-il?

J'examinerai encore son crâne.

Car, en ma qualité de tuteur et d'oncle, je devrais…

Oui, que devrais-je faire? Moi qui trouve déjà trop sévères à son égard ma femme et ma belle-soeur…

Ouf! heureusement que mes filles sont d'une nature beaucoup plus calme que leur cousine et qu'elles ne me donneront pas de fil à retordre!

Mon Dieu! oui, je le répète, nous l'avons gâtée, élevée un peu comme un garçon… Et cependant aujourd'hui elle est très femme; et fantasque, Seigneur!

Or, le procès qui menace sa fortune m'a l'air de tourner contre nos désirs.

Certes, si la chère enfant le perdait, se voyant ainsi tout à coup appauvrie, elle n'en serait pas plus malheureuse pour cela; nous sommes ici, nous, et tant qu'il y aura du pain chez nous, elle partagera notre médiocrité.

De plus, je sais un garçon qui n'a déjà d'yeux que pour cette gamine (elle n'en est pas digne, la petite sorcière!) et, comme ce cher Robert a un bel avenir devant lui, il offrira au moins l'aisance à sa femme.

Mais, Odette est si jeune encore!"




V


Notes de Mme Samozane.

"Elle devient de plus en plus insupportable, me répondant, à moi sa tante, presque sa seconde mère, sur un ton d'insolence polie qui nous afflige tous.

J'espère que ce n'est qu'une fatigue passagère, suite de son accident d'il y a un mois; pour plus de sûreté, je l'ai fait examiner par le docteur Mérentié; or, l'excellent homme nous a affirmé que jamais Mlle d'Héristel ne s'est jamais si bien portée.

Alors?.. Je n'y comprends rien.

Elle a perdu sa verve piquante qui nous amusait, quoique maintes fois je dusse la rappeler à l'ordre. Tout cela est remplacé par une suprême impertinence; elle a même des mots cruels pour ce pauvre Robert, qui en est peiné quoiqu'il n'en montre rien, le cher enfant. Quant à ses cousines, elle se moque d'elles avec un petit air candide et ingénu qui agace mes pauvres fillettes.

Je me demande toujours ce qui a pu motiver un pareil changement… Et je ne trouve pas.

A moins que… en dépit des affirmations du docteur, la santé y soit pour quelque chose.

J'aimerais mieux cela, je l'avoue.

Il paraît (c'est Valère, mon mari, qui me tient au courant de la chose) que la fortune de notre nièce est fort compromise.

Ce ne peut être l'appréhension d'une future pauvreté qui "travaille" la pauvre enfant, puisqu'elle ne s'en doute même pas.

Vaguement elle sait qu'un étranger, son parent au soixantième degré, lui conteste des biens qu'elle croit tout à fait à elle; elle n'y voit pas plus loin que le bout de son petit nez blanc, et se figure être aussi riche que par le passé.

Nous ne lui parlons pas affaires, du reste; à quoi bon assombrir cette jeunesse si insouciante!

Pour moi, je voudrais lui voir conserver cette fortune, qui deviendrait l'apanage de mon Robert; en bonne mère, n'est-ce pas? et en bonne tante aussi, il m'est bien permis de le souhaiter.

Enfin, il en sera ce que Dieu voudra."




VI


Notes de Betrande.

"Seigneur, je vous offre, en expiation de mes fautes, toutes les impatiences que suscite en moi la conduite de ma nièce Odette.

Quand on pense qu'elle ose me tenir tête, à moi, sa tante Bertrande! à moi que personne n'a jamais encore contredite, pas même un époux, puisque je n'ai jamais voulu en prendre.

Et je ne puis que blâmer tout bas mon neveu Robert, qui continue à n'avoir d'yeux que pour cette petite diablesse.

Mon Dieu, encore une fois, je vous l'offre!

J'ai insinué à Valère et à Germaine que cet exemple peut être pernicieux pour leurs filles; ils font la sourde oreille.

Combien grande sur eux est la puissance de cette enfant gâtée!

Moi aussi, je l'aime, seulement je n'encourage pas ses faiblesses.

Elle était si mignonne quand elle nous est arrivée de province, après la mort de ses parents; elle est si câline, si délicatement attentionnée, quand elle le veut!

Mais aujourd'hui, Dieu du ciel! Que s'est-il passé en elle?

C'est à croire que depuis sa crise de léthargie qui nous a tous si fort effrayés, elle demeure possédée d'un démon et qu'il faudrait l'exorciser pour nous rendre l'Odette d'autrefois."




VII


Notes de Jeanne.

"Certainement, Blanche est comme moi bien heureuse que Nénette soit revenue en ce monde, mais combien on l'aimait mieux avant… sa mort!

Quelle mouche l'a donc piquée et que lui avons-nous fait pour qu'elle nous traite tous avec une telle désinvolture?"

Notes de Gui.

"Pour un cousin embêté, je suis un cousin embêté! Mais, aussi, mettez-vous à ma place.

J'avais une cousinette gentille à croquer, même quand elle trépignait et se mettait en colère… (il y a bien quelque vingt mois que cela ne lui arrivait plus); pleine d'esprit, pétillante d'humour, qui montait à bicyclette comme un ange et jouait au tennis comme un séraphin…

Et puis, crac! on nous la change, non pas en nourrice, mais dans l'autre monde où elle est allée fourrer son petit nez pendant quelques heures, si je sais, diable, pourquoi?

A quel propos nous en veut-elle, cette petite créature si jolie et si méchante que nous avons toujours gâtée beaucoup et dont nous avons fêté la résurrection récente avec tant de joie?

Moi, je sais bien que si je répondais seulement le quart du quart des impertinences qu'elle débite aux auteurs de mes jours, on me flanquerait à la porte, et l'on aurait bien raison!

Mais, voir Nénette grincheuse, non, c'est à n'y pas croire!"

Notes de Robert.

"Que se passe-t-il dans le coeur ou dans la tête de notre chérie?

On lui pardonne, d'abord parce qu'elle est femme et mignonne à ravir, ensuite, parce que, un instant, nous avons cru l'avoir perdue.

Mon Dieu! penser qu'elle aurait pu mourir là, sous nos yeux! que son joli sourire n'aurait plus lui; que ses lèvres si fines auraient pu être fermées à jamais; que cette voix si fraîche n'aurait plus résonné par ici!

Heureusement, cela n'a été qu'une fausse alerte.

Mais que l'Odette d'aujourd'hui ressemble peu à l'Odette d'avant… le malheur!

Mon Dieu! j'ai tant souffert quand je l'ai portée sur son lit, déjà la croyant morte subitement! Sans oser l'effleurer d'un dernier baiser fraternel, je regardais, comme hébété, ce corps inanimé. A la violence de mon chagrin, j'ai compris la force de ma tendresse pour elle, mesuré la place qu'elle tient dans mon coeur. Mais, je n'en ai rien montré, et personne n'aura deviné ce qui se passait alors en moi, Oui, je crois que je l'ai aimée fillette, dès qu'elle est apparue sous notre toit… Et maintenant, bien qu'elle n'ait pas encore seize ans accomplis, je sens que mon plus cher désir est qu'elle réponde vraiment à ma tendresse et soit mienne à jamais. Or, jusqu'à ce jour funeste, où nous avons pleuré sur elle, je me figurais qu'elle éprouvait pour moi une affection plus que fraternelle… Aujourd'hui, hélas! je doute."




VIII


– Pourquoi, mon bijou, n'êtes-vous plus la même depuis que vous avez été quasiment morte?

– Ca, ma bonne Euphranie, je ne saurais te le dire. Avoue, au moins, qu'avec toi je n'ai pas changé.

– Non, faut en convenir, demoiselle, faut en convenir. Vous êtes toujours câline avec votre vieille bonne qui vous aime tant.

– Et d'une façon désintéressée, toi du moins, Nanie.

– Comment ça, désintéressée? fit la bonne femme en ouvrant tout grand ses petits yeux bridés.

– Oui, tu m'aimes pour moi-même, toi, Nanie.

– Ben, naturellement; parce que vous êtes tout plein gentille et mignonne.

– N'est-ce pas? pour cela seulement.

– Et aussi parce que vous me faites des petits cadeaux à chaque instant.

– Ah! voilà, fit amèrement Mlle d'Héristel. Ton affection ressemble à celle des autres.

La vieille femme réfléchit une minute, puis branla la tête et dit carrément:

– Comprend pas.

La jeune fille soupira:

– Mais moi, je m'entends, et cela suffit.

– Ben oui, répéta la servante, revenue à son idée, on vous aime pour votre petit coeur si généreux.

– Et si je ne donnais rien?

– On vous aimerait quand même pour vos autres qualités, ma mignonne; c'est qu'alors vous seriez pauvre et ne pourriez plus faire plaisir aux autres.

– Ah! fit encore Odette, qui eût voulu interroger davantage la vieille femme, mais qui n'osait.

Hélas! oui, comme le déclaraient, chacun dans son for intérieur, tous les Samozane, la jeune ressuscitée n'était plus du tout la charmante et rieuse fille du temps passé.

D'abord contente de revenir au monde bien portante, de revoir tous les siens, elle avait ensuite peu à peu, réfléchi, se remémorant les paroles entendues pendant sa léthargie et les commentant à sa façon, la pauvre fillette. Sa vive imagination aidant, elle en vint à se grossir les choses, à interpréter bizarrement les propos recueillis et à se forger mille chimères.

Elle les avait bien entendus, ces propos, tendres et désolés pour la plupart, mais elle n'avait pu voir la mimique sincèrement navrée qui les accompagnait.

Mon Dieu! oui, le tuteur un peu maniaque avait bien murmuré:

– J'avais toujours dit que celle petite n'était pas comme les autres.

Mais, en prononçant ces mots, il avait l'oeil humide et la voix chevrotante.

Mme Samozane avait dit, en effet:

– Elle nous en a fait voir de dures, la pauvre enfant, que le bon Dieu lui pardonne!

Mais quoi de plus vrai? cette idée venait simplement à l'esprit de l'excellente femme dont "la trépassée" n'apercevait pas le visage bouleversé.

De même pour tante Bertrande, bien meilleure dans le fond que ne le comportait son apparence bourrue.

Un peu insignifiantes, les demoiselles Samozane se sentaient réellement navrées de perdre leur cousine qui les taquinait souvent, mais que leur coeur étroit et superficiel n'eût guère plus aimée si elle eût été leur soeur.

Jeanne avait eu cette exclamation, malheureuse il est vrai, et naïve dans sa reconnaissance anticipée:

"Cousinette, grâce à toi, je pourrai épouser M. de Grandflair."

Mais si, dès sa résurrection, Odette s'était montrée plus gentille avec elle, nul doute que Jeanne lui eût témoigné toute la joie sincère qu'elle ressentait.

Quant à Robert, nous sommes fixés sur la nature de ses impressions.

Seul, Gui, n'avait rien perdu de l'amitié d'Odette. Par exemple, lui qui n'avait jamais eu un tact très sûr, il se plaisait à la taquiner davantage depuis qu'il la voyait plus agressive, et il recevait souvent les éclaboussures de sa mauvaise humeur.

Au fond, les deux soeurs n'étaient pas encore convaincues qu'Odette n'avait pas voulu "se payer leur tête", pour employer une des plus élégantes expressions du jeune Samozane. Or, Blanche et Jeanne lui en voulaient de cela.

Elle leur avait joué tant de tours, cette cousine endiablée, depuis qu'elle vivait avec elles, profitant probablement de la supériorité d'esprit qu'elle se sentait sur elles.

Ainsi donc, tout concourait peu à peu et davantage chaque jour à entretenir les idées noires de Mlle d'Héristel; des mots, des plaisanteries, des réticences de domestiques entendus par hasard, dont elle aurait dû hausser les épaules si elle eût été en d'autres dispositions morales.

Dès son entrée dans le monde qui, en dépit de sa jeunesse et de sa gaminerie, avait eu lieu peu à peu, par degrés, en commençant par les bals blancs et les réunions intimes, elle s'était vue recherchée, mais des femmes et des jeunes filles autant que des hommes, parce qu'elle était dépourvue d'affectation, sincère, bonne et amusante.

Jusqu'alors, elle n'avait jamais pensé que sa dot rondelette pût lui attirer des amis; cela ne lui venait même pas à l'idée et elle avait bien raison.

Aujourd'hui, dans son coeur de fillette inexpérimentée, elle croyait discerner la vérité du mensonge au milieu des sourires qui s'adressaient à elle.

Et elle accusa tout bas d'ambition et de vils calculs des gens qui ignoraient même qu'elle fût une riche héritière.

Dans sa petite âme repliée maintenant, était entré le poison de la défiance et, elle si franche, elle voyait des menteurs là où il n'y avait que de sincères amis. Elle se sentait meurtrie moralement par tout ce qu'elle avait entendu de vilain ou plutôt par tout ce que, prévenue, elle avait interprété à sa façon.

De plus, Miss Hangora et Antoinette Dapremont qui, réellement la jalousaient et qui professaient l'une et l'autre une admiration sans bornes, mais hélas! inutile pour Robert Samozane, prenaient soin d'entretenir ces sombres préventions chez Odette.

La chère petite ne les aimait pas, et pourtant elle les écoutait et même les croyait parfois.

Odette d'Héristel n'était plus la petite âme limpide où chacun pouvait lire à livre ouvert; elle, si active jadis, demeurait des heures oisive, pelotonnée dans les coussins du divan comme un jeune chat, inclinant sa petite tête farouche comme si le poids trop lourd de ses sombres pensées l'entraînait.

Réfléchie et enthousiaste à la fois, elle prenait à l'extrême toutes choses. Jusqu'à ce jour, elle n'avait pas vu ou voulu voir, dans la vie, de jaloux, d'envieux, d'ambitieux; mais soudain, apprenant qu'il en existait de par le monde, elle se prenait à douter même des meilleurs, ce qui était une immense injustice et pouvait lui coûter cher.

Enfin, elle commençait à lasser la patience de ceux qui l'entouraient.

Sans prendre garde à ses colères d'enfant, les hommes, occupés ailleurs, haussaient les épaules à ses diatribes contre l'humanité.

Moins indulgentes, les femmes supportaient mal sa persistante ironie et les insinuations faites d'une voix mordante. Une guerre intime et fatigante pour tous s'alluma dans la maison de Passy, nid chaud naguère et si riant, où l'on ne s'était jamais disputé qu'en plaisantant.

Dans la pauvre petite âme désemparée d'Odette naissait cette crainte vague de n'être pas aimée pour elle-même, douloureux sentiment qui arrachait de ses lèvres le rire et la sérénité de son coeur.

Ses tantes ne devinaient pas, comme l'eût fait sa mère, qu'elle souffrait plus que tous de cet état de choses, et, dans leurs entretiens avec le chef de famille, elles se plaignaient amèrement de la jeune révoltée.




IX


"Je sens que j'ai le diable au corps… hélas! est-ce ma faute?.. On m'a faite ainsi… Qui, on?

La vie, les hommes, les circonstances.

Et je vais prendre un grand parti.

Ce n'est pas qu'il ne m'en coûte, certes, de quitter une famille où, après tout, je trouve quelques satisfactions, pour entrer dans l'inconnu, dans la dépendance, dans le spleen peut-être!

Mais, je suis charitable, je débarrasserai les miens d'une présence qui ne peut que leur être importune, étant donné l'état de "grincherie" perpétuelle où je me sens.

Et ensuite, que ferai-je?

Eh! mon Dieu! qu'en sais-je? Je ne voix plus clair devant moi, je n'ose plus m'appuyer sur personne et je me rends très malheureuse tout en rendant malheureux les autres autour de moi. J'en excepte ma vieille Nanie et son chat Boileau."




X


Mlle d'Héristel entra chez son tuteur d'un petit air si soumis, que le brave homme se dit aussitôt:

"Qu'a-t-elle donc, aujourd'hui, mademoiselle ma pupille? Elle me paraît terriblement malléable. Qu'est-ce qu'il y a là-dessous?"

– Es-tu souffrante, fillette? lui demanda-t-il avec une sollicitude dont elle se sentit touchée.

Très grave, elle répondit:

– Non, mon oncle, je me porte en charme… malheureusement.

– Comment, malheureusement?

– Mon Dieu! oui; plût au ciel que je fusse demeurée réellement morte dans la crise de léthargie où j'ai failli, très doucement au moins, passer de vie à trépas!

– Vous déraisonnez, ma nièce. Je ne suppose pas que ce soit pour me dire cela que vous êtes venue me trouver?

– Non, mon oncle. Est-ce que, d'après les protubérances de mon crâne, vous n'avez pas découvert en moi la vocation religieuse?

Avec Mlle d'Héristel, M. samoazne savait qu'on pouvait s'attendre aux questions les plus bizarres; aussi, se contenta-t-il de répondre en retenant un sourire:

– Non, ma nièce, point du tout.

Odette réfléchit l'espace d'une demi-minute, puis elle reprit d'une voix blanche:

– Eh bien! moi, je me crois appelée de Dieu.

– Au couvent?

– Oui, mon oncle, dans un couvent de femmes.

– Bien entendu.

– Et je viens vous dire, continua l'étourdie tout à fait lancée, que je vais m'essayer.

– Comme nonne? Il y a des pupilles qui "demanderaient l'autorisation" au lieu de "venir dire", fit M. Samozane avec une nuance de reproche.

– Eh bien, oui, mon oncle; mais vous m'avez tellement accoutumée à faire mes quatre volontés… Alors, je puis entrer au couvent?





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