Книга - Champavert

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Champavert
Pétrus Borel




Pétrus Borel

Champavert / contes immoraux





NOTICE SUR CHAMPAVERT


C’est toujours un pénible emploi que celui de détrompeur, c’est toujours une pénible corvée que celle de venir enlever au public ses douces erreurs, ses mensonges auxquels il s’est fait, auxquels il a donné sa foi; rien n’est plus dangereux que de faire un vide dans le cœur de l’homme. Jamais je ne me hasarderai à une aussi scabreuse mission. Croyez, croyez, abusez-vous, soyez abusés!.. L’erreur est presque toujours aimable et consolatrice. Malgré tout cet éloignement, ma religieuse sincérité, aujourd’hui, me fait un devoir de démasquer une supercherie, heureusement sans importance, une pseudonymie. De grâce, veuillez bien ne point vous emporter, comme vous le faites de coutume, quand on vient vous dire que la Clotilde de Surville n’a pas été, que son livre est apocryphe; que la correspondance de Ganganelli et Carlino est apocryphe; que Joseph Delorme est un pseudographe et sa biographie un mythe. De grâces, de grâces! je vous en supplie, ne vous emportez point!..

Pétrus Borel s’est tué ce printemps: prions Dieu pour lui, afin que son âme, à laquelle il ne croyait plus, trouve merci devant Dieu qu’il niait, afin que Dieu ne frappe pas l’erreur du même bras que le crime.

Pétrus Borel, le rhapsode, le lycanthrope, s’est tué, ou pour dire la vérité que nous avons promise, le pauvre jeune homme qui se recélait sous ce sobriquet, qu’il s’était donné à peine au sortir de l’enfance; aussi, peu de ses camarades connurent-ils son véritable nom; aucun ne sut jamais la cause de ce travestissement; le fit-il par nécessité ou par bizarrerie? c’est ce qu’on ignore entièrement. Autrefois ce même nom avait été illustré en littérature et en sciences, par Pétrus Borel de Castres, profond docteur, antiquaire, médecin de Louis XIV et fils du poète Jacques Borel. Descendait-il maternellement de cette famille, avait-il voulu reprendre le nom d’un de ses aïeux? c’est ce qu’on ignore entièrement et que sans doute on ignorera toujours.

Ainsi que nous l’avons rétabli en titre de ce livre, son vrai nom était Champavert.

Il n’est pas de plus doux plaisir que celui de descendre dans l’intimité d’un être sensible, c’est-à-dire supérieur, qui s’est éteint; c’est une indiscrétion bien louable que celle de vouloir s’initier au secret de la vie d’un grand artiste ou d’un malheureux. On aime bien l’écrivain qui se complaît à étaler comme des tapisseries l’existence, souvent très occulte, des hommes qui nous sont chers. Quoique celle du jeune et fatal poète qui nous occupe n’excite pas en vous un aussi haut intérêt, je pense cependant que vous ne les auriez pas mal accueillis si j’avais pu déterrer quelques détails et quelques circonstances de cette vie anomale; mais regrettablement on en sait bien peu de chose. Champavert était peu parleur de lui-même; il tombait généralement dans le monde comme une apparition, sans antécédens connus, sans avenir présumé.

On a quelques raisons de croire, qu’originaire des Hautes-Alpes, il était né dans l’antique Ségusie, souvent, lui ayant entendu maudire son père, descendu des Montagnes, et nommer avec fierté comme ses compatriotes, Philibert-Delorme, Martel-Ange, Servandoni, Audran, Stella, Coisevox, Coustou: Ballanche!.. Mais, jeune, il avait laissé sa patrie.

Il montrait au plus vingt à vingt-deux ans à ceux qui l’approchaient, mais ses traits graves, de prime abord, le vieillissaient beaucoup.

Il était assez grand et svelte, peut-être même frêle; il avait le teint brun, le profil caractéristique, l’œil grand, blanc et noir, et quelque chose dans le regard qui fatiguait lorsqu’il était fixé, comme l’œil convoiteux du serpent qui attire une proie.

Contre l’usage de notre époque, de même que Leonardo da Vinci, contrairement à celui de la sienne, il portait la barbe longue depuis l’âge de dix-sept ans; jamais les plus instantes prières ne purent le contraindre à l’abattre. En cette étrangeté, il devança de quatre ans les apôtres de Henri-Saint-Simon. L’idée la plus juste qu’on puisse en donner, c’est de dire qu’il avait beaucoup de l’aspect de saint Bruno.

Sa voix et ses façons étaient douces, à la grande surprise de ceux qui le voyaient pour la première fois, et qui, par ses écrits, ses poésies, se l’étaient figuré un ogre effroyable. Il était bon, doux, affable, fier, opiniâtre, serviable, bienveillant, son cœur aimant, amoroso con los suyos, divine expression espagnole, n’avait point encore été gâté par l’égoïsme et l’or. Mais quand on le blessait à fond, sa haine devenait, comme son amour, implacable.

Lorsqu’on l’entraînait dans le monde, il y apportait un air de souffrante mélancolie, comme un cerf lancé hors de son hallier.

Quant à des particularités sur son enfance, on ne sait presque rien: on ne sait que ce que lui-même en a voulu dire à ses intimes. La volonté était développée chez lui au plus haut point, hardi, têtu, impérieux, le mépris des usages et coutumes était inné en lui, il ne s’y ploya jamais, même en son plus bas âge. Il avait en horreur les habits, et passa ses premières années entièrement nu; ce n’est qu’assez tard qu’on parvint à lui faire endosser les vêtemens les plus nécessaires.

On a encore quelques soupçons vagues que son instruction avait été confiée à des prêtres, son irréligion viendrait assez à l’appui de cette opinion. Il n’est pas de héros pour le valet de chambre, il n’est pas de Dieu pour qui habite le temple.

Il se plaisait souvent à conter avec une espèce de joie qu’il avait été toujours fatigant pour ses maîtres, toujours redouté par eux, sans trop savoir pourquoi: peut-être les mettait-il souvent à quia par ses questions à la Condamine, et flairant leur ignorance crasseuse, les traitait-il avec mépris et dégoût! Il disait aussi avec orgueil qu’il avait été chassé de toute école.

Comme l’étude était sa seule passion et que la seule langue latine n’étanchait pas sa soif de savoir, il s’entourait toujours de cinq à six grammaires d’idiomes anciens et modernes, et d’ouvrages savans qu’il se procurait avec peine, et que ses maîtres honteux lui brûlaient à mesure.

Déjà, en ce temps, il portait en lui une tristesse, un chagrin indéfini, vague et profond, la mélancolie était déjà son idiosyncrasie. De ses anciens condisciples se rappellent l’avoir vu passer très souvent des jours entiers à verser des larmes amèrement, sans causes connues ou apparentes, lui-même plus tard n’a jamais pu définir ces désolations. Assurément la vie en communauté forcée l’avait jeté dans cet état chronique de souffrance, et cette souffrance, cet ennui exhaltaient ses organes sensitifs et aiguillonnaient sa chagrine irritabilité.

Le cours de sa brève carrière fut semblable au cours de ces torrens dont on ignore la source, qui tantôt inondent les vallées, et tantôt coulent souterrainement.

A partir de cette première époque de sa vie vient une série d’années sur lesquelles nous n’avons pu rencontrer le moindre renseignement; seulement, nous avons retrouvé dans ses papiers deux petites notes, que voici; elles font présumer que son père l’avait placé contre son gré chez un artiste ou un artisan.



    Novembre 1823.

Hier mon père m’a dit: Tu es grand maintenant, il faut dans ce monde une profession; viens, je vais t’offrir à un maître qui te traitera bien, tu apprendras un métier qui doit te plaire, à toi qui charbonnes les murailles, qui fais si bien les peupliers, les hussards, les perroquets, tu apprendras un bon état. Je ne savais ce que tout cela voulait dire; je suivis mon père, et il me vendit pour deux ans.



    Janvier 1824.

Voilà donc ce que c’est qu’un état, un maître, un apprenti. Je ne sais si je comprends bien; mais je suis triste et je pense à la vie; elle me semble bien courte! Sur cette terre de passage, alors pourquoi tant de soucis, tant de travaux pénibles, à quoi bon?.. Maintenant, je ris quand je vois un homme qui se case, se caser!.. Que faut-il donc à l’homme pour faire sa vie? une peau d’ours et quelques substances.

Si j’ai rêvé une existence, ce n’est pas celle-là, ô mon père! si j’ai rêvé une existence, c’est chamelier au désert, c’est muletier andalous, c’est Otahïtien!

Il est probable que cet homme chez lequel il faisait son apprentissage était architecte: car quelques années plus tard, on se rappelle l’avoir vu travailler dans l’atelier d’architecture d’Antoine Garnaud; du reste, nous n’avons rien pu apprendre sur sa vie, à cette phase; sans doute, il battait corps à corps avec la misère, et, dans les intervalles que lui laissaient ses travaux stupides et la faim, il s’abandonnait à l’étude. On a trouvé dans ses paperasses des dessins d’architecture et des poésies portant mêmes dates. Son assiduité à l’atelier d’Antoine Garnaud devint plus réservée peu à peu, et il en disparut entièrement. Son aversion pour l’architecture antique qu’on y enseignait à l’exclusion fut cause à coup sûr de cet éloignement. Il rentra dans l’ombre pour se livrer à ses études d’affection; on ne le vit plus reparaître que de loin en loin, dirigeant quelques constructions, ou dans l’atelier de quelque habile peintre dont il avait conquis l’amitié. C’est aussi vers ce temps, deux ans environ avant sa mort, vers la fin de 1829, qu’il se groupa à l’entour de lui quelques jeunes et timides artistes, afin d’être plus forts en faisceau, afin de n’être pas brisé et renversé à l’entrée dans le monde; il fut même regardé par beaucoup comme le grand prêtre de cette camaraderie du bousingo, dont on fit grand scandale, et dont on a par méchanceté et par ignorance perverti les intentions et le titre. Mais n’anticipons pas, Champavert, dans un ouvrage collectif qui doit incessamment paraître, a rétabli la véracité des faits, et éclairé le public que les journaux ont abusé.

Ses derniers compagnons, dont les noms sont cités dans les Rhapsodies, qui l’ont connu dans la plus grande intimité, auraient pu donner sur lui des renseignemens exacts et positifs; mais, comme il n’approuva pas cette publication, ils nous ont fermé leurs portes.

Ce fut vers la fin de 1831 que parurent les essais poétiques de Champavert, sous le titre de Rhapsodies, par Pétrus Borel. Jamais petit livre n’avait fait plus grand scandale, du reste, scandale que fera toujours toute œuvre écrite avec l’âme et le cœur, sans politesse pour un temps où l’on fait de l’art et de la passion avec la tête et la main, et en se battant les flancs à tant la page. Pour juger ces poésies, nous sommes trop favorablement disposés, on ne nous croirait pas impartiaux; or, nous dirons seulement qu’elles nous semblent abruptes, souffertes, senties, pleines de feu, et, qu’on nous passe l’expression, quelquefois fleurette, mais bien plus souvent barre de fer; c’est un livret empreigné de fiel et de douleur, c’est le prélude du drame qui le suivit, et que les plus simples avaient pressenti; une œuvre comme celle-là n’a pas de second tome: son épilogue, c’est la mort.

Nous allons, pour nos lecteurs qui ne les connaîtraient point, en donner quelques extraits, à l’appui de ce que nous venons d’avancer.

Voici la pièce qui ouvre le recueil; nous la citons préférablement parce qu’elle est pleine de douleur et d’une franchise rare, et qu’elle contient quelques circonstances de sa vie dont nous n’avons pu parler: elle est adressée à un ami qui lui avait donné l’hospitalité, à ce qu’il paraîtrait, dans un temps où, comme Métastase, il n’avait pour abri que le ciel et le pavé.

Quand ton Pétrus ou ton Pierre
N’avait pas même une pierre
Pour se poser, l’œil tari;
Un clou sur un mur avare
Pour suspendre sa guitare:
Tu me donnas un abri.

Tu me dis: – Viens, mon Rhapsode,
Viens chez moi finir ton ode;
Car ton ciel n’est pas d’azur,
Ainsi que le ciel d’Homère
Ou du provençal trouvère;
L’air est froid, le sol est dur.

Paris n’a point de bocage;
Viens donc, je t’ouvre ma cage,
Où, pauvre, gaîment je vis;
Viens, l’amitié nous rassemble,
Nous partagerons ensemble
Quelques grains de chenevis.

– Tout bas, mon âme honteuse
Bénissait ta voix flatteuse
Qui caressait son malheur;
Car toi seul, au sort austère
Qui m’accablait solitaire,
Léon, tu donnas un pleur.

Quoi! ma franchise te blesse?
Voudrais-tu que, par faiblesse,
On voilât sa pauvreté?
Non! non! nouveau Malfilâtre,
Je veux, au siècle parâtre,
Etaler ma nudité!

Je le veux, afin qu’on sache,
Que je ne suis point un lâche,
Car j’eus deux parts de douleur
A ce banquet de la terre,
Car, bien jeune, la misère
N’a pu briser ma verdeur.

Je le veux, afin qu’on sache
Que je n’ai que ma moustache,
Ma guitare, et puis mon cœur
Qui se rit de la détresse;
Et que mon âme maîtresse
Contre tout surgit vainqueur.

Je le veux, afin qu’on sache
Que, sans toge et sans rondache,
Ni chancelier, ni baron,
Je ne suis point gentilhomme,
Ni commis à maigre somme,
Parodiant lord Byron.

A la cour, dans ses orgies,
Je n’ai point fait d’élégies,
Point d’hymne à la déité;
Sur le flanc d’une duchesse,
Barbotant dans la richesse,
De lai sur ma pauvreté.



Voici encore quelques autres vers et quelques fragmens pris pour ainsi dire au hasard, tous pleins pareillement de chagrin et de fiel, et de la pensée qui le minait sourdement et qui, peu de temps plus tard, devait le perdre.



DOLÉANCE

Son joyeux, importun, d’un clavecin sonore,
Parle, que me veux-tu?
Viens-tu dans mon grenier pour insulter encore
A ce cœur abattu?
Son joyeux, ne viens plus; verse à d’autres l’ivresse;
Leur vie est un festin
Que je n’ai point troublé; tu troubles ma détresse,
Mon râle clandestin!

Indiscret, d’où viens-tu? Sans doute une main blanche,
Un beau doigt prisonnier
Dans de riches joyaux, a frappé sur ton anche
D’ivoire et d’ébénier;
Accompagnerais-tu d’une enfant angélique,
La timide leçon?
Si le rythme est bien sombre et l’air mélancolique,
Trahis-moi sa chanson.

Non: j’entends les pas sourds d’une foule ameutée,
Dans un salon étroit;
Elle vogue en tournant, par la walse exaltée,
Ebranlant mur et toit.
Au dehors bruits confus, cris, chevaux qui hennissent,
Fleurs, esclaves, flambeaux;
Le riche épand sa joie et les pauvres gémissent,
Honteux sous leurs lambeaux!

Autour de moi ce n’est que palais, joie immonde,
Biens, somptueuses nuits,
Avenir, gloire, honneurs: au milieu de ce monde,
Pauvre et souffrant je suis
Comme entouré des grands, du roi, du saint office,
Sur le quémadero,
Tous en pompe assemblés pour humer un supplice,
Un juif au brazero!

Car tout m’accable enfin: néant, misère, envie,
Vont morcelant mes jours!
Mes amours brochaient d’or le crêpe de ma vie,
Désormais plus d’amours.
Pauvre fille! c’est moi qui t’avais entraînée
Au sentier de douleur;
Mais, d’un poison plus fort, avant qu’il t’eût fanée,
Tu tuas le malheur!

Eh! moi, plus qu’une enfant, capon, flasque, gavache,
De ce fer acéré
Je ne déchire pas avec ce bras trop lâche
Mon poitrail ulcéré!
Je rumine mes maux: son ombre est poursuivie
D’un regret coutumier.
Qui donc me rend si veule et m’enchaîne à la vie?..
Pauvre Job au fumier.


HYMNE AU SOLEIL

Là, dans ce sentier creux, promenoir solitaire
De mon clandestin mal,
Je viens tout souffreteux, et je me couche à terre
Comme un brute animal.
Je viens couver ma faim, la tête sur la pierre
Appeler le sommeil,
Pour étancher un peu ma brûlante paupière;
Je viens user mon écot de soleil!

Là-bas, dans la cité, l’avarice sordide
Du roi, sur tout Champart,
Au mouton-peuple, on vend le soleil et le vide;
J’ai payé; j’ai ma part!
Mais sur tous, tous égaux devant toi, soleil juste,
Tu verses tes rayons,
Qui ne sont pas plus doux au front d’un prince auguste,
Qu’au sale front d’une gueuse en haillons.


FRAGMENT DE LA PIÈCE INTITULÉE


HEUR ET MALHEUR




C’est un oiseau, le barde! il doit rester sauvage;
La nuit sous la ramure, il gazouille son chant;
Le canard tout boueux se pavane au rivage,
Saluant tout soleil, ou levant ou couchant.
C’est un oiseau, le barde! il doit vieillir austère,
Sobre, pauvre, ignoré, farouche, soucieux,
Ne chanter pour aucun, et n’avoir rien sur terre,
Qu’une cape trouée, un poignard et les cieux!
Mais le barde aujourd’hui, c’est une voix de femme,
Un habit bien collant, un minois relavé,
Un perroquet juché, chantonnant pour madame,
Dans une cage d’or, un canari privé;
C’est un gras merveilleux, versant de chaudes larmes
Sur des maux obligés après un long repas,
Portant un parapluie, et jurant par ses armes,
Et, l’élixir en main, invoquant le trépas.
Joyaux, bal, fleur, cheval, château, fine maîtresse,
Sont les matériaux de ses poëmes lourds:
Rien pour la pauvreté, rien pour l’humble en détresse;
Toujours les souffletant de ses vers de velours.
Par merci! voilez-nous vos airs autocratiques;
Heureux si vous cueillez les biens à pleins sillons!
Mais ne galonnez pas comme vos domestiques,
Vos vers qui font rougir nos fronts ceints de haillons.
Eh! vous, de ces soleils, moutonnier parélie!
De cacher vos lambeaux ne prenez tant de soin,
Ce n’est qu’à leur abri que l’esprit se délie;
Le barde ne grandit qu’enivré de besoin!
J’ai caressé la mort, riant au suicide,
Souvent et volontiers, quand j’étais plus heureux;
Maintenant je la hais, et d’elle suis peureux,
Misérable et miné par la faim homicide.


MISÈRE

A mon air enjoué, mon rire sur la lèvre,
Vous me croyez heureux, doux, azyme et sans fièvre,
Vivant, au jour le jour, sans nulle ambition,
Ignorant le remords, vierge d’affliction;
A travers les parois d’une haute poitrine,
Voit-on le cœur qui sèche et le feu qui le mine?
Dans une lampe sourde on ne saurait puiser,
Il faut, comme le cœur, l’ouvrir ou la briser.

Aux bourreaux, pauvre André! quand tu portais ta tête,
De rage tu frappais ton front sur la charrette;
N’ayant pas assez fait pour l’immortalité,
Pour ton pays, sa gloire et pour sa liberté.
Que de fois, sur le roc qui borde cette vie,
Ai-je frappé du pied, heurté du front d’envie,
Criant contre le ciel mes longs tourments soufferts;
Je sentais ma puissance, et je sentais des fers!

Puissance… fers… quoi donc? – Rien! encore un poète
Qui ferait du divin, mais sa muse est muette,
Sa puissance est aux fers: – Allons! on ne croit plus
En ce siècle voyant qu’aux talens révolus;
Travaille, on ne croit plus aux futures merveilles. —
Travaille!.. Eh! le besoin qui me hurle aux oreilles,
Etouffant tout penser qui se dresse en mon sein!
Aux accords de mon luth que répondre?.. J’ai faim!

Ah! tout cela fait saigner le cœur!.. Passons.

Son allure indépendante, son amour violent de la liberté, l’avaient fait désigner comme républicain redoutable. Il crut devoir répondre à cette accusation dans la préface de ses Rhapsodies: – Je suis républicain, dit-il, comme l’entendrait un loup cervier: mon républicanisme, c’est de la lycanthropie! – Si je parle de république, c’est parce que ce mot me représente la plus large indépendance que puissent laisser l’association et la civilisation. Je suis républicain parce que je ne puis pas être Caraïbe; j’ai besoin d’une somme énorme de liberté: la république me la donnera-t-elle? Je n’ai pas l’expérience pour moi. Mais, quand cet espoir sera déçu comme tant d’autres, il me restera le Missouri!..

De là, les journaux appelèrent ces vers lycanthropiques, lui lycanthrope, et son inclination d’esprit lycanthropisme. L’épithète eut grand succès par le monde et lui resta; lui-même se plaisait à l’entendre; aussi, avons-nous cru qu’il était de notre respect de ne point lui arracher ce pavillon caractéristique.

Au milieu de toutes les critiques haineuses qui jonglèrent sur lui, et qui auraient saturé une âme moins abreuvée que la sienne, il ne douta pas un seul instant de sa force, et reçut dans le secret de bien douces consolations, quelques applaudissemens sincères, et des conseils vrais.

Entre autres, nous allons rapporter ici une lettre et des vers qui lui furent adressés à ce propos, et qu’on vient de retrouver parmi ses manuscrits.


MONSIEUR,

Pardonnez-moi d’avoir autant tardé à vous remercier de l’envoi que vous avez bien voulu me faire de vos poésies. M. Gérard ne m’a donné votre adresse que depuis quelques jours.

Si le métal bouillonnant a rejeté ses scories; ces scories font bien présumer du métal, et, dussiez-vous vous irriter contre moi de trop présumer de votre avenir, j’aime à croire qu’il sera remarquable. J’ai été jeune aussi, Monsieur, jeune et mélancolique, comme vous je m’en suis souvent pris à l’ordre social des angoisses que j’éprouvais: j’ai conservé telle strophe d’ode, car jeune je faisais des odes, où j’exprime le vœu d’aller vivre parmi les loups. Une grande confiance dans la divinité a été souvent mon seul refuge. Mes premiers vers un peu raisonnables l’attesteraient; ils ne valent pas les vôtres, mais, je vous le répète, ils ne sont pas sans de nombreux rapports; je vous dis cela pour que vous jugiez du plaisir triste, mais profond, que m’ont fait les vôtres. J’ai d’autant mieux sympathisé avec quelques-unes de vos idées, que si ma destinée a éprouvé un grand changement, je n’ai ni oublié mes premières impressions, ni pris beaucoup de goût à cette société que je maudissais à vingt ans. Seulement aujourd’hui je n’ai plus à me plaindre d’elle pour mon propre compte, je m’en plains quand je rencontre de ses victimes. Mais, Monsieur, vous êtes né avec du talent, vous avez reçu de plus que moi une éducation soignée; vous triompherez, je l’espère, des obstacles dont la route est semée; si cela arrive, comme je le souhaite, conservez bien toujours l’heureuse originalité de votre esprit et vous aurez lieu de bénir la providence des épreuves qu’elle aura fait subir à votre jeunesse.

Vous ne devez pas aimer les éloges; je n’en ajouterai pas à ce que je viens de vous dire. J’ai pensé d’ailleurs que vous préfériez connaître les réflexions que votre poésie m’aurait suggérées. Vous verrez bien que ce n’est pas par égoïsme que je vous ai beaucoup parlé de moi.

Recevez, Monsieur, avec mes sincères remercîmens, l’assurance de ma considération et du plus vif intérêt.



    BÉRANGER.

16 février 1832.


A PÉTRUS BOREL

Brave Pierre, pourquoi cette mélancolie
Qui règne dans tes vers; pourquoi sur l’avenir
Ce regard douloureux suivi d’un long soupir,
Pourquoi ce dégoût de la vie?

Elle est belle pourtant: regarde l’horizon
Qui s’ouvre devant nous, éclatant de lumières…
Va, nous saurons franchir ces débiles barrières
Qui nous tiennent comme en prison.

Ou’importe un peu de peine au matin de la vie,
Ou, le nuage obscur errant à ton zénith?
Le nom qu’on a gravé sur le rude granit
Échappe à l’ongle de l’envie.

Et quand viendra le soir, nous aurons le repos,
Nous trouverons la gloire au bout de la carrière,
Et l’amour sera là, séduisante chimère!
Versant son baume sur nos maux.

Regarde autour de nous ces masses immobiles
Ignorant de l’amour les doux embrassemens,
Ou de l’ambition les beaux emportemens,
Êtres incomplets et débiles!

N’ont-ils pas plus que nous droit d’accuser le ciel,
Ceux qui, jetés tous nus sur cette route aride,
De leurs lèvres de feu, pressent la coupe vide,
Ou n’y rencontrent que du fiel?

Et toi, tu te plaindrais (quand, tout plein de jeunesse,
Tu bondis libre et fort comme un brave coursier),
De quelques jours de deuil que te font oublier
Les doux baisers d’une maîtresse.

Que veux-tu donc de plus demander pour ta part?
Amour, gloire, amitié, t’échoiront en partage,
N’est-ce donc pas assez pour charmer le voyage?
La fortune viendra plus tard!

En avant, en avant! courage brave Pierre!
Porte ta lourde croix par les vilains chemins,
Sans montrer aux regards tes genoux et tes mains,
Meurtris sur les angles de pierre.

Car la gloire est marâtre à ses pauvres enfans!..
Devant les lauréats le monde entier s’incline;
Mais il ne doit pas voir la couronne d’épine
Qui déchire leurs fronts brûlans.

Ces vers portent la signature d’un grand artiste dont s’honore la France, nous aurions bien voulu pouvoir la livrer à la publicité, mais nous avons craint d’effaroucher sa modestie, et de paraître par trop indiscret en décelant la source d’une poésie naïve, toute d’intimité, d’intimité confidentielle.

En faisant deux parts, l’une des aboiemens et l’autre des nobles et amitieux conseils, on verra, en ce cas, comme en tous, que ce n’est que du bas étage que sort la sale critique.

Voici tout ce que nous avons pu recueillir sur la vie matérielle de Champavert: quant à l’histoire de son âme, elle est tout entière dans ses écrits; nous renverrons, d’abord, à ce présent livre de contes, et puis aux Rapsodies dont la seconde édition va paraître incessamment.

Enfin, pour des détails sur son dégoût de la vie et son suicide, nous renverrons à la narration intitulée Champavert qui termine cet ouvrage.

M. Jean-Louis, son inconsolable ami, a bien voulu nous confier pour les mettre en ordre, tous les manuscrits et petits papiers de Champavert, dont il était possesseur; et il a bien voulu aussi nous autoriser à en publier ce que bon nous semblerait; nous avons d’abord choisi et recueilli entre beaucoup d’autres ces nouvelles inédites.

Si le monde leur faisait un bon accueil, nous les publierions toutes successivement, ainsi que plusieurs romans et plusieurs drames que nous avons également entre les mains.

La mort prématurée de ce jeune écrivain est-elle une perte réelle et regrettable pour la France? Nous ne pouvons répondre, nous, c’est à la France à le juger, c’est à la France à assigner son rang, c’est à Lyon, sa patrie, à revendiquer et à faire l’apothéose de son jeune et trop infortuné poète.

Mais nous croyons qu’il est de notre politesse de prévenir les lecteurs, qui cherchent et aiment la littérature lymphatique, de refermer ce livre et de passer outre. Si, cependant, ils désiraient avoir quelques notions sur l’allure d’esprit de Champavert, il leur suffirait de lire ce qui suit.

A la réception de la lettre où Champavert le prévenait de son extrême détermination, M. Jean-Louis partit sur l’heure, espérant arriver assez à temps pour le détourner de son funeste projet; il était trop tard. Sitôt à Paris, il se présenta au domicile de Champavert, on lui affirma qu’il était allé faire un voyage de long cours. Dans la ville, il ne put obtenir aucun renseignement. Mais, le soir, parcourant la Tribune, au café Procope, il en rencontra de cruels et de positifs. Le lendemain il fit enlever le cadavre de son ami, exposé à la morgue depuis trois jours, et le fit enterrer au cimetière du Mont-Louis; près du tombeau d’Héloïse et d’Abélard, vous pourrez voir encore une pierre brisée, moussue, sur laquelle, se penchant, on lit avec peine ces mots: A Champavert, Jean-Louis.

Vivement ému par le suicide de ce jeune cœur, et des larmes m’étant échappées pendant le récit que M. Jean-Louis en fit au café, touché, il s’approcha de moi et me dit: – L’auriez-vous connu? – Non, Monsieur, si je l’avais connu nous serions morts ensemble. – Je conquis son amitié, et ce brave jeune homme, avant de retourner à Lachapelle en Vaudragon, me fit don du portefeuille trouvé sur Champavert.

Voici à peu près tout ce qu’il contenait: quelques notes, quelques boutades, griffonnées sans ordre à la sanguine, et presque totalement illisibles, quelques vers et des lettres.

D’abord, je déchiffrai sur la peau d’âne ces pensées.

On recommande toujours aux hommes de ne rien faire d’inutile, d’accord; mais autant vaudrait leur dire de se tuer, car, de bonne foi, à quoi bon vivre?.. Est-il rien plus inutile que la vie? une chose utile, c’est une chose dont le but est connu; une chose utile doit être avantageuse par le fait et le résultat, doit servir ou servira, enfin c’est une chose bonne. La vie remplit-elle une seule de ces conditions?.. le but en est ignoré, elle n’est ni avantageuse par le fait, ni par le résultat; elle ne sert pas, elle ne servira pas, enfin, elle est nuisible; que quelqu’un me prouve l’utilité de la vie, la nécessité de vivre, je vivrai…

Pour moi, je suis convaincu du contraire, et je redis souvent avec Pétrarca:

Che più d’un giorno é la vita mortale
Nubilo, breve, freddo e pien di noja;
Che può bella parer, ma nulla vale.

Le penser qui m’a toujours poursuivi amèrement, et jeté le plus de dégoût en mon cœur, c’est celui-ci:

Qu’on ne cesse d’être honnête homme, seulement que du jour où le crime est découvert: que les plus infâmes scélérats, dont les atrocités restent cachées, sont des hommes honorables, qui hautement jouissent de la faveur et de l’estime. Que d’hommes doivent rire sourdement dans leur poitrine, quand ils s’entendent traités de bons, de justes, de loyaux, de sérénissimes, d’altesses!

Oh! ce penser est déchirant!..

Aussi, je répugne à donner des poignées de main à d’autres qu’à des intimes; je frissonne involontairement à cette idée qui ne manque jamais de m’assaillir, que je presse peut-être une main infidèle, traîtresse, parricide!

Quand je vois un homme, malgré moi mon œil le toise et le sonde, et je demande en mon cœur, celui-là est-ce bien un probe, en vérité? ou un brigand heureux dont les concussions, les dilapidations, les crimes sont ignorés, et le seront à tout jamais? Indigné, navré, le mépris sur la lèvre, je suis tenté de lui tourner le dos.

Si du moins les hommes étaient classés comme les autres bêtes; s’ils avaient des formes variées suivant leurs penchans, leur férocité, leur bonté comme les autres animaux. – S’il y avait une forme pour le féroce, l’assassin, comme il y en a une pour le tigre et la hyène. – S’il y en avait une pour le voleur, l’usurier, le cupide, comme il y en a une pour le milan, le loup, le renard; du moins il serait facile de connaître son monde, on aimerait à bon escient, et l’on pourrait fuir les mauvais, les chasser et les dérouter, comme on fuit et chasse la panthère et l’ours, comme on aime le chien, le cerf, la brebis.


Marchand et voleur est synonyme

Un pauvre qui dérobe par nécessité le moindre objet est envoyé au bagne; mais les marchands, avec privilége, ouvrent des boutiques sur le bord des chemins pour détrousser les passans qui s’y fourvoient. Ces voleurs-là, n’ont ni fausses clefs, ni pinces, mais ils ont des balances, des registres, des merceries, et nul ne peut en sortir sans se dire je viens d’être dépouillé. Ces voleurs à petit peu s’enrichissent à la longue et deviennent propriétaires, comme ils s’intitulent, – propriétaires insolens!

Au moindre mouvement politique, ils s’assemblent, et s’arment, hurlant qu’on veut le pillage, et s’en vont massacrer tout cœur généreux qui s’insurge contre la tyrannie.

Stupides brocanteurs! c’est bien à vous de parler de propriété, et de frapper comme pillards des braves appauvris à vos comptoirs!.. défendez donc vos propriétés! mauvais rustres! qui, désertant les campagnes, êtes venus vous abattre sur la ville, comme des hordes de corbeaux et de loups affamés, pour en sucer la charogne; défendez donc vos propriétés!.. Sales maquignons, en auriez-vous sans vos barbares pilleries? en auriez-vous?.. si vous ne vendiez du laiton pour de l’or, de la teinture pour du vin? empoisonneurs!

Je ne crois pas qu’on puisse devenir riche à moins d’être féroce, un homme sensible n’amassera jamais.

Pour s’enrichir, il faut avoir une seule idée, une pensée fixe, dure, immuable, le désir de faire un gros tas d’or; et pour arriver à grossir ce tas d’or, il faut être usurier, escroc, inexorable, extorqueur et meurtrier! maltraiter surtout les faibles et les petits! Et, quand cette montagne d’or est faite, on peut monter dessus, et du haut du sommet, le sourire à la bouche, contempler la vallée de misérables qu’on a faits.

Le haut commerce détrousse le négociant, le négociant détrousse le marchand, le marchand détrousse le chambrelan, le chambrelan détrousse l’ouvrier, et l’ouvrier meurt de faim.

Ce ne sont pas les travailleurs de leurs mains qui parviennent, ce sont les exploiteurs d’hommes.

Sur le livret étaient griffonnés ces vers, que je présume être de lui, ne me rappelant pas les avoir lus nulle autre part.


A CERTAIN DÉBITANT DE MORALE

Il est beau tout en haut de la chaire où l’on trône,
Se prélassant d’un ris moqueur,
Pour festonner sa phrase et guillocher son prône
De ne point mentir à son cœur!
Il est beau, quand on vient dire neuves paroles,
Morigéner mœurs et bon goût,
De ne point s’en aller puiser ses paraboles
Dans le corps-de-garde ou l’égout!
Avant tout, il est beau, quand un barde se couvre
Du manteau de l’apostolat,
De ne point tirailler par un balcon du Louvre,
Sur une populace à plat!

Frères, mais quel est donc ce rude anachorète?
Quel est donc ce moine bourru?
Cet âpre chipotier, ce gros Jean à barète,
Qui vient nous remontrer si dru?
Quel est donc ce bourreau? de sa gueule canine,
Lacérant tout, niant le beau,
Salissant l’art, qui dit que notre âge décline
Et n’est que pâture à corbeau.
Frères, mais quel est-il?.. Il chante les mains sales,
Pousse le peuple et crie haro!
Au seuil des lupanars débite ses morales,
Comme un bouvier crie ahuro!

Je ne dirai rien de la peine de mort, assez de voix éloquentes depuis Beccaria l’ont flétrie: mais je m’élèverai, mais j’appellerai l’infamie sur le témoin à charge, je le couvrirai de honte! Conçoit-on être témoin à charge?.. quelle horreur! il n’y a que l’humanité qui donne de pareils exemples de monstruosité! Est-il une barbarie plus raffinée, plus civilisée, que le témoignage à charge?..

Dans Paris, il y a deux cavernes, l’une de voleurs, l’autre de meurtriers; celle de voleurs c’est la bourse, celle de meurtriers c’est le Palais-de-Justice.




MONSIEURDE L’ARGENTIÈRE, L’ACCUSATEUR



Aussi pourquoi vouloir, avec une pensée,
Enfant! moraliser cette Rome lassée
De ses rétheurs de Grèce, et tirée entre tous
Comme un morceau de chair aux dents de chiens jaloux?Pourquoi ne pas laisser cette reine du monde,
Se débattre à loisir dans sa gadoue immonde,
Et lui montrer la bourbe au fond des flots vermeils,
Et troubler, par des mots graves, ses longs sommeils?




Pouvais-tu pas chanter Damœtas et Phyllis
Et Tityrus pleurant la mort d’Amaryllis?
Ou, laissant de côté ces contes bucoliques,
Elever ton génie aux nobles Géorgiques,
Dire en vers de six pieds Enée et ses vaisseaux
Sauvé par Neptunus de la fureur des eaux?
– N’avais-tu pas la voix de ta maîtresse blonde,
Et sa gorge lassive et souple comme l’onde,
Et cette Ibérienne encore aux grands yeux noirs
Qui chantait, comme on chante à Corduba, les soirs?

    Barthelemi Hauréau.
S’ils sont rouges de sang, ils rougiront encore!

    André Borel.



I

ROCCOCO


Une seule bougie placée sur une petite table éclairait faiblement une salle vaste et haute; sans quelques chocs de verres et d’argenterie, sans quelques rares éclats de voix, elle aurait semblé la veilleuse d’un mort. En fouillant avec soin dans ce clair-obscur, comme on fouille du regard dans les eaux-fortes de Rembrandt, on déchiffrait la décoration d’une salle à manger, de l’époque caractéristique de Louis XV, que les classiques inepto-romains appellent malicieusement Roccoco. Il est vrai que la corniche encadrant le plafond était nervée et profilée en bandeau et à gorge, sans la moindre parenté avec l’entablement de l’Eresichtœum, du temple d’Antoninus et Faustina ou de l’arc de Drusus; il est vrai qu’elle était sans saillie, larmier, coupe-larme et mouchette chassant et rejetant la pluie qui ne pleut pas. Il est vrai que les portes n’étaient point surmontées d’un couronnement, dit attique, pour chasser les eaux de la pluie qui ne pleut pas. Il est vrai que les arcades n’avaient point en hauteur leur largeur deux fois et demi. Il est vrai qu’on n’avait eu aucun égard aux spirituels modules de l’illustrissimo signor Jacopo Barrozio da Vignola, et qu’on avait ri au nez des cinq-ordres.

Mais il est vrai aussi et du devoir de dire, que cet intérieur n’était point un ignoble pastiche de l’architecture butorde de Pæstum, de l’architecture d’Athènes, glacée, nue, constante, rabâcheuse, de l’architecture singe et jumart de Rome; celle-là avait son aspect à elle, sa tournure à elle, sa coquetterie à elle; expression exacte de son époque, elle lui convenait en tout point; et sa physionomie est tellement unique, qu’après la plus longue série de siècles, on reconnaîtra de prime abord ce Roccoco Louis XIV et Louis XV; avantage que n’auront pas les funestes et ignorantes copies de l’antique de nos faiseurs contemporains, qui n’impriment aucun cachet à leur époque et n’en reçoivent aucun, si bien que les temps à venir prendront leurs œuvres pour de mauvais antiques dépaysés.

Les grands panneaux des lambris étaient couverts de peintures de nature morte digne de Venninx, mais d’une main inconnue; et les impostes de pastorales d’opéra, de fêtes galantes, de bergères-camargo de l’immortel et délicieux Watteau. Les compositions en étaient gracieuses et délicates, le coloris suave et cristallin, suivant l’usage de ce grand maître que la France ignare et ingrate doit réhabiliter et revendiquer comme une de ses plus belles gloires. Gloire donc à Watteau! gloire à Lancret! gloire à Carle Vanloo! gloire à Lenôtre!.. gloire à Hyacinthe Rigault! gloire à Boucher! gloire à Edelinck!.. gloire à Oudry!..

Et, s’il faut tout dire, j’avouerai que j’éprouve une sensation presque aussi rêveuse, un plaisir aussi à l’aise, dans ces vastes logis du dix-septième et dix-huitième siècles que dans une salle capitulaire bizantine, ou dans un cloître roman. Tout ce qui fait ressouvenir de nos pères à nous, de nos aïeux trépassés sur notre France, jette dans le cœur une religieuse mélancolie. Honte à celui qui n’a pas tressailli, dont la poitrine n’a pas palpité en entrant dans une vieille habitation, dans un manoir délabré, dans une église veuve!

Autour de la table qui portait la bougie deux hommes étaient assis.

Le plus jeune tenait baissée une figure blême, sur laquelle pleuvaient des cheveux roux; ses yeux étaient caverneux et faux, son nez long et en fer de lance; vous dire que ses favoris étaient taillés carrément sur ses joues comme des sous-pieds, c’est vous dire que la scène se passait sous l’empire, aux abords de 1810.

Le plus âgé, trapu, était le prototype des Francs-Comtois de la plaine; sa chevelure, moisson épaisse, était suspendue, comme les jardins de Babylone, sur sa face large et plate en oiseau de nuit.

Ils étaient goulument penchés sur la table, semblant deux loups se disputant une carcasse; mais leurs interlocutions sourdes et brouillées par la sonorité de la salle contrefaisaient les grognements d’un porc.

L’un était moins qu’un loup, c’était un accusateur public. L’autre plus qu’un porc, c’était un préfet.

Le préfet venait de recevoir sa nomination pour un chef-lieu de province, et partait le lendemain. L’accusateur exerçait depuis assez long-temps cette fonction à la cour d’assises de Paris; et, joyeux, avait offert un dîner d’adieu à son ami.

Tous deux, vêtus de noir, portaient comme les médecins, le deuil de leurs assassinats.

Comme ils parlaient assez bas, et souvent la bouche pleine, le nègre qui se tenait à l’entrée, – car le jeune accusateur de l’Argentière faisait nègre et jouait l’aristocrate rentré, – ne put attraper au vol que quelques lambeaux de phrases dans ce genre-ci.

– Mon cher Bertholin, que j’ai fait hier un bon dîner chez notre ami Arnauld de Royaumont!.. De son appartement, qui donne sur la Grève, j’ai vu exécuter ces sept conspirateurs que nous avions condamnés il y a quelques jours: quel délicieux repas! à chaque bouchée, j’allais voir tomber une tête!..

– Pauvres béjaunes! croire encore à la patrie! ces messieurs voulaient faire les Brutus! les Hempden!..

– N’ont-ils pas eu l’effronterie de vouloir parler au peuple du haut de l’échafaud; morbleu! comme on leur a vite coupé la parole et la tête! ce qui ne les as pas empêchés préliminairement de hurler à tout rompre: Vive la patrie! vive la France! mort au tyran!.. mort au tyran!.. Pauvres bêtes!.. Il ne faut pas de ménagement avec ces brigands; zeste! il faut expédier ça au bourreau: sans cela, mais, corbleu! sa majesté l’empereur ne pourrait dormir tranquille une seule nuit.

A en juger par ces bribes, la conversation n’aurait pas laissé que d’être très édifiante, et il est bien regrettable pour l’honneur de la magistrature que ce maudit nègre n’ait pu en recueillir davantage.

Mais, au dessert, le vin de Corse ayant remonté d’une tierce la gamme de la conversation devenue bruyante et rieuse à pleine gorge, il eût été facile de sténographier ce qui suit:

– A propos, mon cher l’Argentière, habile en subterfuges et en échappatoires, comment te tirerais-tu de cette perplexité? Je dois partir absolument demain matin, et j’ai pour demain soir un rendez-vous très-alléchant.

– Le cas est simple, mon ami, je partirais sans aller au rendez-vous, ou j’irais au rendez-vous et je ne partirais pas.

– Mauvaise robinerie.

– Si tu veux du plus grave: à priori, renseigne-moi mieux que cela sur la matière. Quel est ce rendez-vous? est-il du genre masculin ou féminin? est-ce pour affaires commerciales ou paillardes?

– Du féminin et tournant au paillard.

– Tonnerre du père Duchêne! si tu ne tiens à l’unité de lieu aristotélique, le problême est facile à résoudre. J’emmenerais avec moi la princesse, et, demain soir, je serais au rendez-vous à Auxerre.

– Et si la bégueule faisait la Lucrèce?

– Ventrebleu! Je ferais le petit Jupiter et de bon ou de maugré je forcerais la belle Europe à me suivre.

– Et le lendemain qu’en ferais-tu?

– Je n’en ferais rien: je la laisserais à Auxerre pleine de mon souvenir!

– Et, à son tour, que ferait cette malheureuse?

– Malheureuse!.. bienheureuse au contraire que je lui aie créé une industrie!.. Elle n’aurait qu’à prendre le coche et venir ici chercher des nourrissons.

– L’Argentière, tu fais le roué!.. Non, mon ami, non, ce n’est point une fille digne d’un traitement aussi hussard, c’est une jeune enfant infortunée!

– Allons, de la sensiblerie; c’est cela, vite une scène de mouchoir.

– C’est un prestige qui éblouit, une hamadryade, un lutin dont le charme entraîne …

– Au précipice.

– Je le suivrai … qui l’a vue l’aime, qui la verra l’aimera.

– Peste soit de l’amoureux transi!

– Tu aurais beau te forger un cœur de fer, il serait bientôt bossué.

– Dans quel cimetière, vieil ours, as-tu déterré cette chair fraîche? Mais comment diable as-tu pu gagner les faveurs de cette curiosité?

– Quant à ses faveurs, je ne me suis jamais vanté de cela, je mentirais: et quant à la trouvaille, elle est sans mérite.

Depuis long-temps cette pauvre Apolline habite la même maison que moi; je l’ai connue toute petite; elle me faisait la révérence avec tant de gracieuseté, quand elle me rencontrait; sa mise était toujours riche et soignée. Que sa vue me mit souvent du sombre dans l’âme! Je maudissais mon célibat et mon isolement; j’enviais toute la joie d’un père, possesseur d’une aussi belle créature; alors la paternité, comme dans ma jeunesse, ne se présentait plus à mon esprit sous un aspect comique. Son père, en ce temps-là, sous le consulat, occupait un assez haut emploi qui versait l’abondance dans cette petite famille; mais, s’étant, je ne sais comment, trouvé compromis dans quelque machination, quelque prétendue conjuration, un beau matin, la police du consul vint l’éveiller, et, sans autre jugement, depuis cette fois il est claquemuré comme prisonnier d’État. Sa majesté l’Empereur est rancunière. L’opulence de la maison tomba avec le père. Apolline grandissait chaque année en misère et en beauté; arrivée à l’âge où la coquetterie et le besoin de parure se fait sentir vivement, elle n’avait plus pour s’attifer que quelques lambeaux de toilette, dorures effacées, lambris en ruines; mais il lui restait quelque chose de royal, une erre impérieuse. Hélas! que c’était triste de voir une si belle personne, honteuse et fuyant le jour, enveloppée dans un cachemire troué et des savates aux pieds, descendre acheter de grossiers légumes au marché voisin! Mon cœur en a souvent saigné! Quoi de plus poignant et de plus amer?

Si tu veux rire, l’Argentière, ris au moins de moi, car ce serait féroce que de rire d’elle!

– Je ris, Bertholin, d’entendre sortir de ta bouche des paroles si contraires à ta coutume; toi, célibataire dogmatique, par principe haineux des femmes, somme toute, bon homme rassis! C’est mal choisir l’heure d’être amoureux: poursuis ton rôle de père Cassandre, pour celui d’Arlequin il est trop tard.

– Aurais-tu l’intention de me blesser?

– De plus en plus ridicule; décidément, tu es amoureux!

– Eh bien, oui! je suis amoureux! et ne rougirai pas d’un amour sage, d’un amour engendré de la pitié, et je bénis le ciel…

– Ou tu ne bénis rien!..

– … Qui m’a conservé libre jusqu’à ce jour, afin que je puisse être tutélaire à cette orpheline.

– Tu as souscrit au Châteaubriand, est-ce pas?

– Afin que je devienne l’ange gardien de cette vierge abandonnée, que le besoin pourrait tuer ou corrompre. Elle est aujourd’hui tout-à-fait isolée: sa pauvre mère, affaiblie par tant d’années de privations et minée plus encore par les souffrances de sa fille, est morte il y a trois mois. Quand les cris d’Apolline m’apprirent qu’elle venait d’expirer, ému, je montai la consoler et lui offrir mes services en cette horrible circonstance. Je me chargeai des démarches funèbres, et la fis enterrer par la mairie. Pour la première fois, je parlais à Apolline: dire le coup qui me frappa, quand j’entrai dans cette chambre dénuée, en désordre, quand cette fille me baisant les mains, la voix pleine de larmes, me remercia, j’étais hors de moi, je ne sais pas, je ne me rappelle rien, je pleurais!.. Elle, égarée, à génoux contre un lit de sangles, était accoudée sur le corps de sa mère, qu’elle appelait.

Cette heure a usé dix ans de ma vie!..

Et c’est de tant de pitié, qu’est sorti tant d’amour.

Quelques jours après, je fus la visiter: tout le temps que je causai avec elle, je lui remarquai un air embarrassé; elle se tenait toujours assise et ses deux bras toujours étaient posés sur son giron: quand elle se leva pour me reconduire, je vis que sa robe, par-devant, était déchirée et trouée et que sous ses petites mains elle avait tâché de dissimuler sa misère.

Après quelques temps d’assiduité, séduit par son esprit doux et triste, épris de sa beauté rare, éperdu comme un jeune homme, je lui fis l’aveu de ma passion. Elle me répondit qu’elle avait une trop haute estime de moi pour présumer que je voulusse exploiter son dénuement; qu’elle croyait sincèrement à la noblesse et à la pureté de mes sentiments; mais, qu’ayant résolu de quitter le monde, où elle avait tant souffert, elle venait d’écrire à la supérieure du couvent de Saint-Thomas afin d’y être admise en noviciat. J’eus beaucoup de peine à la détourner de ce projet: je lui fis sentir qu’assurément elle se tuerait en embrassant une vie austère après toutes les douleurs qui l’avaient affaiblie. Enfin, elle se rendit.

Je ne m’abuse point assez sur moi-même, pour croire que cette douce Apolline ait un amour vif pour moi: elle me chérit comme son père; je suis pour elle un tuteur généreux, un ami compatissant. Elle est d’autant plus attachée à moi, que jusque-là elle n’avait rencontré que des êtres égoïstes et féroces. Elle est bonne, sensible, bienveillante, sans folie, que pourrais-je demander de plus? Tous les dons que j’ai voulu lui offrir, tous les présents que je lui ai portés, noblement elle a tout refusé: il est de son devoir, dit-elle, d’agir ainsi, et qu’une fille d’honneur ne saurait rien accepter que de son époux. Aussi lui ai-je promis que nous serions unis avant peu; cette pensée l’a remplie de joie. Je lui avais donc demandé pour demain soir, à neuf heures, un rendez-vous chez elle, pour nous entretenir des préparatifs de notre mariage, et peut-être … Tu vois, je ne mens pas, voici sa lettre en réponse.


Mon cher Bertholin,



Je présume que de grandes occupations dans la journée, vous ont fait choisir une heure aussi avancée: mais que la volonté de mon époux soit faite, sa servante l’attendra. J’éteindrai ma lampe pour prévenir tout soupçon de mes méchants et indiscrets voisins. Venez avec mystère.

    Votre amie et épouse de cœur.

Tout résolu, je partirai sans l’avertir, pour nous épargner de pénibles adieux; si je la revoyais, je sens que je n’aurais plus le cœur de m’éloigner. Arrivé là-bas, je lui écrirai; aussitôt que je serai installé dans ma préfecture, je reviendrai l’épouser clandestinement, et puis, je l’emmenerai de suite et la présenterai à mes administrés comme étant depuis long-temps ma compagne, afin de trancher court aux bons mots.

Décidément, je partirai demain matin; mais il faut que je lui fasse remettre quelque argent, incognito, pour que cette pauvre fille ne meure pas de faim en mon absence.

Déjà, onze heures!.. Adieu, adieu l’Argentière!

Bertholin, en disant ces derniers mots, s’était levé et se retirait du côté de la porte: M. l’accusateur, qui avait écouté ce récit avec une attention froide, morne, soutenue, le poursuivit en le questionnant jusqu’au bas de l’escalier.

– Tu dis, Bertholin, que cette Apolline est belle?

– O mon ami, j’ai beaucoup vécu et beaucoup vu, mais jamais je n’avais rencontré de femme aussi séduisante: figure-toi l’Eucharis de Bertin, l’Éléonore de Parny, une nymphe, Égerie, Diane!.. Elle est grande, élancée, gracieuse; elle est blême et mélancolique comme une malade; ses cheveux, qu’elle porte en bandeau sur le front, achèvent son aspect virginal, et, sous des sourcils noirs et épais, ses grands yeux bleus languissent.

– Et, tu dis qu’elle habite la même maison que toi?

– La même, au fond du corridor au-dessus de mon logis.

Alors l’Argentière se jeta au cou de Bertholin et l’embrassa comme une patène: gentillesse étrange de sa part, lui, si dédaigneux et si froid?




II

WAS-IST-DAS?


Neuf heures sonnaient aux Carmes, au Luxembourg, à Saint-Sulpice, à l’Abbaye-au-Bois, à Saint-Germain-des-Prés, et semblaient donner un charivari à la nuit tombante.

En ce moment, rue Cassette, un homme se glissait dans une maison de riche apparence, et montait l’escalier à pas de loup; tout en haut, il entra et s’arrêta dans un corridor sombre; à travers les ais d’une porte une voix s’échappait; il appuya l’oreille contre la serrure; cette voix douce récitait une prière du soir. Il heurta légèrement du doigt.

– Qui est là?

– Ouvrez, Apolline, c’est moi!

– Qui vous?

– Bertholin!

Aussitôt elle entr’ouvrit sa maudite porte qui craquait comme des escarpins, et dont les gonds grinçaient comme une girouette.

– Bonsoir, mon ami.

– Bonsoir, toute belle.

– Pardon, si je vous reçois si inconvenablement, sans flambeau, c’est que, misérable, je n’ai pas de rideaux à ma croisée, et du vis-à-vis on plonge et distingue tout chez moi. Aussi, pourquoi choisir une heure si avancée?

– Le jour j’ai la tête bourrelée par les affaires, et, d’ailleurs, le plein soleil prédispose peu aux épanchements: qu’est-ce donc l’amour sans la nuit? qu’est-ce donc l’amour sans mystère?

– J’aurais mauvaise façon à vous blâmer de cela, car je n’aime jamais tant Dieu que la nuit, dans une église bien sombre. – Vous toussez, mon ami?

– Oui, faisant le pied de grue à la porte du ministre, j’ai maraudé un rhume et un enrouement qui me fatiguent beaucoup.

– C’est cela que je vous trouvais la voix rauque et changée. Mais causons sérieusement; mon cher petit, à quoi bon, dis-moi, retarder plus long-temps notre union? Si le monde venait à s’apercevoir de notre liaison, on dirait bien du mal de moi.

– Patience, ma bonne, patience! aujourd’hui, j’ai reçu ma nomination officielle à la préfecture du Mont-Blanc et je dois partir demain; sitôt mon installation faite et mon administration réformée, je te jure que je reviendrai célébrer notre mariage clandestin; nous quitterons Paris sur l’heure, et je te présenterai là-bas à mes sujets comme une ancienne épouse.

– O mon ami, que je suis heureuse!.. mais ton absence ne sera pas longue, n’est-ce pas? Seule, ici, je souffrirais trop dans l’expectative.

– Petite pédante; si tu comprenais combien je t’aime!

– Mais, Bertholin, que faites-vous?.. Ne m’embrassez donc pas comme cela!..

– Amie!..

– Vous me traitez ce soir bien cavalièrement, monsieur!..

– Non, amie! je vous traite en épouse.

– En épouse!.. la suis-je, monsieur?

– Quand deux êtres qui s’aiment se sont fait un serment, a-t-il besoin pour être sacré d’être visé par le municipal? La loi ne fait que ratifier. Nous nous aimons à toujours, nous nous le sommes juré, nous sommes époux: et si nous sommes époux, à quoi bon?..

– Toute liaison sans la sanctification de Dieu est péché.

– Dieu, comme la loi, ne fait que ratifier.

– Je ne puis lutter avec vous, je ne suis pas subtile en controverse, je ne décline pas ma faiblesse, mais soyez généreux!

– Je le suis!

– Mais laissez-moi, Bertholin, vous êtes indigne de vous ce soir! que me voulez-vous?.. Ah! c’est mal, une pauvre fille!.. Bourreau! pouvez-vous bien me torturer de la sorte?.. J’appelle!..

– Appelle.

– Je frappe au plancher et fais monter vos domestiques.

– Ils ne monteront pas.

– Hélas! hélas! c’est mal, Bertholin!..








Maintenant, mon ami, tu vas me dédaigner, tu vas me repousser, tu ne voudras plus pour compagne d’une fille si peu fidèle à son devoir, d’une fille sans honneur?

– Ne parle pas ainsi, Apolline, tu me blesses! Il faut que tu m’estimes bien lâche et bien bas. Moi, t’abuser? oh! non, jamais! cela te rehausse encore en mon cœur.

– Tu m’aimes encore?

– A toujours!

– Mais ta voix vient de changer subitement, ciel! est-ce bien toi, Bertholin? Folle que je suis … fatal pressentiment!.. oh! si j’étais trompée!.. C’est bien toi, Bertholin, réponds-moi? je t’en prie, parle-moi, est-ce toi, Bertholin? est-ce toi?..

Laisse-moi toucher ta figure, Bertholin n’a pas de barbe; oh! si j’étais trompée!..

– La belle, dit alors l’énigme à pleine voix, la morale de ceci est qu’il ne faut pas recevoir ses amants sans flambeau.

A cet accent inconnu, Apolline tomba de sa hauteur sur le plancher.

Quand, revenue de son anéantissement, elle eut recueilli ses esprits et ses forces, elle se traîna sans bruit jusqu’à la croisée, un rayon de la lune glissant dans la chambre éclairait la tête de l’homme qui dormait profondément dans un fauteuil. Apolline, tremblante, le considéra: il était vêtu de noir, portait baissée une tête blême, où pleuvaient des cheveux roux; ses yeux étaient caverneux, son nez long et en fer de lance, ses joues étaient accoutrées de favoris rouges, taillés carrément comme des sous-pieds.

– Quel est cet homme? se disait cette malheureuse enfant. Oh! l’infâme Bertholin, c’est lui qui m’a fait cette abomination!.. à qui croire? ah! c’est affreux que de tromper ainsi!..

Sur la poitrine de l’inconnu elle sentit un portefeuille; tout au monde elle aurait donné pour pouvoir le soustraire, espérant par-là découvrir son suborneur; mais c’était impossible, son habit était croisé et boutonné jusqu’en haut.

En cette fatale angoisse elle maudissait Bertholin et Dieu.

Enfin, accablée par le chagrin, le sommeil, elle s’accroupit de nouveau et s’assoupit sur le plancher trempé de ses larmes.

Quand elle s’éveilla, il faisait grand jour, le fauteuil était vide, elle était seule, face à face avec sa honte.




III

MATER DOLOROSA


Le portier monta dans la journée chez Apolline pour lui remettre un sac d’argent: c’était la somme que Bertholin devait lui faire parvenir incognito après son départ; car il redoutait qu’avant son retour, cette malheureuse, sans ressource, ne succombât sous le besoin.

– De quelle part? demanda Apolline.

– Je ne sais, mademoiselle, un inconnu vient de me l’apporter pour vous, sans dire plus.

– Remportez cet argent!

– Je ne puis, on m’a bien dit: pour mademoiselle Apolline.

– Remportez-le, vous dis-je!

Le bon homme était tout interdit.

Apolline, fière et noble, le repoussait d’autant plus durement, qu’elle présumait en son cœur que c’était le prix de son déshonneur, que l’homme de la nuit tarifait pour l’humilier encore et l’avilir plus bas.

Mais le portier, tout en s’excusant, jeta le sac sur la table et se retira précipitamment.

Tout le jour, Apolline fut aux aguets; elle écouta si elle n’entendrait point, au-dessous, dans l’appartement de Bertholin, quelque bruit, marcher, remuer des meubles, ouvrir les portes ou les fenêtres, mais vainement. Ainsi, elle épia plusieurs jours de suite, sans plus de succès. Enfin elle se hasarda, un soir, de descendre heurter; pas de réponse: Bertholin avait emmené ses domestiques avec lui.

L’imbroglio se compliquait, et la pauvre Apolline y perdait la tête: – A-t-il déménagé? se disait-elle, mais je l’aurais entendu; aurait-il quitté Paris? et, avant son départ, aurait-il comploté avec un de ses intimes l’affreuse fourberie … Oh non! c’est impossible. Il serait donc bien faux et bien méchant! Oh non! Bertholin est un homme sensible et vrai … Qui m’expliquera tout cela? Elle allait, dans sa perplexité, jusqu’à douter d’elle-même, et se demander si son regard ne l’avait point trompée dans les ténèbres et si ce n’était point Bertholin lui-même qui s’était offert étranger à son imagination frappée. – Pourtant ce n’étaient point ses traits; je ne rêvais pas: pourtant ce n’était pas sa voix, pourtant ce n’étaient pas ses manières élégantes; oh non! ce n’était point lui.

Une semaine environ après cette mésaventure, Apolline reçut une lettre datée du Mont-Blanc; elle était de Bertholin, et s’exprimait ainsi:

Pardon, ma belle future, si je suis parti sans vous avoir baisé les mains; j’ai voulu nous épargner des adieux pénibles. Appelé à la préfecture du Mont-Blanc, je suis allé prendre possession de mon royaume. J’espère, avant quinze jours, revoler près de vous consacrer notre union secrètement, et aussitôt repartir pour ce pays qui, je pense, ne vous déplaira point. Vous n’avez pas eu sans doute la maladroite fierté de repousser la faible somme qu’on doit vous avoir remise d’une part invisible; vous êtes mon épouse, et je souffrirais trop de vous savoir des privations.

Cette lettre ne fit qu’accroître l’embarras d’Appoline: après tant de belles démonstrations, elle n’osait plus accuser Bertholin de noire perfidie; et cependant, à l’heure dite du rendez-vous, bien informé, un autre était venu en son nom la violenter. Mystère inextricable! la raison la plus plausible était que son billet avait pu s’être égaré entre les mains d’un étranger.

Quelque temps après cette première lettre de Bertholin, elle en reçut une autre, où il lui annonçait que, surchargé de travaux imprévus, il était forcé de retarder son départ.

A cette époque, Apolline commença à ressentir un malaise général. Dégoûtée de tout aliment, il lui prenait souvent des tranchées et des vomissemens; son inquiétude devint grande. Un médecin lui conseilla l’usage du safran, qui n’eut aucun résultat; alors il la déclara tout net en grossesse. A cette nouvelle, Apolline tomba dans la consternation et le désespoir.

Nuit et jour, elle pleurait amèrement. Sa position devenait bien cruelle. Bertholin lui avait enfin annoncé son retour; et, d’heure en heure, elle s’attendait à le revoir. Que faire en cette fatale conjoncture? Lui cacher et le duper était chose difficile et malhonnête; lui déclarer tout franchement, c’était tout perdre, et cependant sa délicatesse ne lui laissait que ce parti. Aussi résolut-elle de lui confesser sans déguisement dès son arrivée, et peut-être espérait-elle que sa générosité lui pardonnerait une faute désespérante, commise pour lui et par lui.

Enfin, Bertholin reparut: dès l’abord, il remarqua un grand changement en elle, une tristesse, un air guindé à son vis-à-vis, une altération et un amaigrissement dans ses beaux traits. Il la comblait de tant de caresses et de tant d’amour, que, malgré sa résolution ferme, Apolline n’osait entamer son aveu: vingt fois le premier mot expira sur ses lèvres tremblantes; elle n’osait jeter un si grand désenchantement à un homme si grandement épris. Bertholin s’inquiétait aussi, et ne savait à quoi attribuer tant de larmes.

L’heure de frapper le coup sonna: les préparatifs et les démarches légales étaient faits; le mariage était fixé au samedi suivant; c’était à Saint-Sulpice, à minuit, que, devant deux ou trois témoins, ils devaient, en grand négligé, recevoir la bénédiction nuptiale, pour partir le matin même.

Le jeudi soir, Bertholin invita Apolline à descendre en son appartement, et joyeux, la conduisit, dans le salon: le guéridon et le sopha étaient couverts d’étoffes, de châles, de parures, de bijoux.

– Voici, ma belle, quelques présens que vous offre votre humble époux, puissent-ils vous être agréables.

Apolline se prit tout à coup à sangloter, et resta morne à l’entrée.

– Qu’avez-vous, mon amie? approchez, tout cela est à vous! Aimez-vous cette robe de velours bleu Marie-Louise, cette jeannette d’or, ces bracelets de corail, ce cachemire boiteux?..

Alors Apolline tomba de sa hauteur sur les genoux.

– O Bertholin! Bertholin! si vous saviez?..

– Qu’avez-vous, mon enfant?

– Si vous saviez combien je suis indigne de tout cela? N’est-ce pas, ô mon Dieu! qu’il faut tout lui dire? Je ne sais pas tromper, Bertholin! Oh! si vous saviez? vous chasseriez du pied celle que vous appelez votre épouse!

Il était pétrifié.

– Ecoutez! peut-être êtes-vous coupable de mon crime? Regardez!!!

Disant cela elle arrachait son châle et sa robe plissée qui voilaient sa grossesse.

– Regardez donc!.. Faudra-t-il que je dise ma honte?..

– Abomination!.. Vous enceinte, Apolline? Ah! c’est infâme que d’avoir abusé ainsi un vieillard généreux!

Voilà donc l’épouse! la vierge! que par pitié j’avais choisie! fille de rien! que je voulais grandir!.. prostituée!!!

– Mille fois mourir plutôt!.. criait Apolline se traînant à ses pieds.

Ecoutez-moi, au nom de Dieu! vous me tuerez après! Ecoutez-moi donc, ô mon père! écoutez la vérité.

– Te tairas-tu, effrontée?..

– Dieu voit mon innocence et votre crime, car j’étais pure avant de vous connaître…

– Infâme!..

– Car j’étais pure quand vous m’avez élue votre épouse, c’est vous qui m’avez perdue; écoutez!

Avant votre départ, vous me demandâtes rendez-vous, un soir, chez moi, je l’accordai. A neuf heures on heurte à ma porte, j’ouvre et reçois dans l’obscurité; je croyais que c’était vous, mon Bertholin! Ce démon contrefaisait votre voix et me trompa. Après un long combat, je succombai, croyant m’abandonner à vous… Il me viola!..

– Apolline, vous en avez menti!..

– Quand ce monstre eut consommé sur moi son attentat, lui-même il m’arracha de mon erreur. A la lueur de la lune, je distinguai ses traits: il était blême, avait les cheveux roux, les favoris rouges, les yeux caverneux; il était grand et vêtu de noir.

– Apolline, vous en avez menti!..

– O mon père, croyez-moi!..

– Vous en avez menti!

– Je le jure par ce Christ, par ma mère qui m’entend là-haut!

– Vous en avez menti!

– C’est à vous que je croyais abandonner mes caresses, et vous me traitez ainsi!.. C’est vous qui m’avez perdue!..

– Vous en avez menti…

– Vous avez égaré ma lettre: ce devait être quelqu’un de vos amis....

– Vous en avez menti!

– O mon père!

– Sortez de devant moi!

Il t’en cuit, pauvre Bertholin; à cinquante ans, de t’être dépouillé de ta haine, pour aller t’abaisser aux genoux d’une fille! Cruelle leçon! Mais c’est infâme! Quand j’y pense!.. – Va-t-en, va-t-en, ou je te foule aux pieds comme ces écrins! Va-t-en, si tu veux m’épargner un meurtre! Va-t-en, gueuse, prostituée!!!!

Apolline râlait sur le carreau.

Bertholin la saisit par les pieds, la traîna et la jeta dehors, et sur-le-champ même il repartit.




IV

MOISE SAUVÉ DES EAUX


Rien n’est plus démoralisant que l’injustice, rien ne jette plus d’amertume et plus de haine au cœur. Bertholin semblait injuste à Apolline, Apolline semblait coupable à Bertholin, elle l’aurait semblée aux yeux de toute la terre. Il ne faut qu’un concours de circonstances pour faire du plus innocent un coupable. Ce n’est que sur du probable et de l’apparent que peuvent juger les hommes avec leurs courtes antennes. On pourrait comparer les crimes à des ballots bien clos: c’est par l’enveloppe que le juge estime le contenu, et quand, par sa sentence, il l’a déclaré taré et à l’index, et fait jeter à la mer, le ballot, dans sa chute, se brise et s’ouvre sur une roche; tout ce qu’il recélait remonte à fleur d’eau et paraît en pleine lumière; la balourdise du tribunal devient patente, la foule en ricane amèrement; alors le juge se drape et se hausse, et s’écrie, avec son ton archiépiscopal risible: Je suis infaillible!

Rongée par un chagrin mortel, Apolline se minait sourdement et se consumait chaque jour.

Elle, quelques mois plus tôt, si belle encore, amaigrie, phtisique, comme un spectre, ne sortait qu’à la nuit noire pour éviter les regards méchans.

Le voisinage l’aurait crue morte, si, de temps en temps, elle n’avait touché un piano délabré et servant de table, triste ruine de son ancienne opulence. On avait même remarqué et retenu cette strophe que souvent elle psalmodiait langoureusement, et qu’elle semblait affectionner par-dessus toutes.

Bourreaux, arrêtez ma torture!
Le mal a fait mon cœur mauvais:
Haine à toi Dieu, monde, nature,
Haine à tout ce que je rêvais!..
Avant mon corps, sur cette roue
Où le sort le tient garotté,
Mon âme expire, et je la voue
A Satan, pour l’éternité!..

Ce seul refrain nous montre la disposition d’esprit d’Apolline, et combien la souffrance et le malheur peuvent pervertir la plus belle âme; elle, douce, bonne, fervente, aimante, religieuse, n’avait plus que du fiel dans la poitrine et du venin à la bouche. Elle haïssait tout, jusqu’à son créateur à qui elle reniait sa foi; elle se vengeait en abandonnant à son tour Dieu qui l’avait abandonnée. Quand un être a été maltraité à ce point, il n’a plus qu’un rire d’enfer sur sa lèvre dédaigneuse, tout ce qui est, lui fait pitié, et provoque son dégoût; plus une chose est sainte et sacrée, plus elle est révérée de tous, plus il trouve de joie à la profaner, à la fouler aux pieds. Pour le malheureux le blasphême est une volupté!

Le terme de sa grossesse approchait et sa misère devenait profonde. Les huits premiers mois elle avait vécu de la maigre somme de Bertholin. Il ne lui restait plus rien. Le soir elle allait arracher des herbes sauvages le long des chemins déserts, mais cette nourriture d’âne, si contraire à sa délicatesse, l’avait tellement affaiblie, que, vers la fin du neuvième mois, il lui fut presque impossible de descendre. Ce jeûne, pour ainsi dire absolu, lui avait donné des éblouissemens, et une céphalalgie chronique qui par instant dégénérait en folie. Sa démence était sombre. Elle avait des déchiremens atroces d’estomac, et souvent il lui prenait des spasmes épileptiques. Quand elle ressentit les premières douleurs de l’enfantement, il y avait deux jours passés qu’elle n’avait pris aucun aliment: étendue sur son grabat, dévorée par la faim, elle rongeait la basane d’un vieux livre, privée de raison, exténuée…

A la vue de son enfant, sa sombre folie se réveilla, et retrempa ses forces: dressée sur ses pieds, elle l’embrassait et le frappait tour à tour; elle lui donnait ses mamelles vides; elle le jetait à terre, pleurait, et se couchait sur lui.

Enfin, l’ayant enveloppé dans une toile et mis sous son bras comme un paquet, elle descendit en se traînant.

Il était nuit.

Sur les deux heures du matin, Erman Busembaum, cultivateur à Vaugirard, se rendant à la halle, perché sur sa charrette et sifflant un noël, descendait la rue du Four. En approchant d’une des ruelles sales et immondes qui s’y débouchent, il entendit les vagissemens d’un enfant nouveau né, brusquement il interrompt son sifflet, lâche un ahuro accentué à la provençale, et écoute: les cris se prolongeaient et paraissaient sortir d’un égout voisin. Il saute à bas, prête l’oreille à l’embouchure, et recule épouvanté.

Il court aussitôt avertir de cet étrange événement le corps-de-garde de la prison de l’Abbaye. Le commissaire, par hasard, s’y trouvait à verbaliser sur deux filles de joie, arrêtées pour quelques coups de couteau donnés à un client. Vite, il se mit en tête d’une patrouille; Erman Busembaum guidait le caporal portant une lanterne. Arrivés en hâte à l’égout, il y régnait un profond silence, sauf le clapotement des ruisseaux. Le soldat, né malin, brocardait déjà Busembaum sur sa prétendue audition, attribuée à la peur; l’autorité en écharpe, était prête à invectiver contre le maladroit goujat qui l’avait déplacée inutilement; quand les cris reprirent de plus belle. La patrouille en vibra, et les capucines en sonnèrent. L’anspessade qui portait le falot l’approcha de l’ouverture du cloaque, et, se penchant, aperçut à l’entrée un paquet blanc d’où sortaient des gémissemens. Un des gardes l’enleva à la baïonnette et le tira hors. Alors Busembaum et le commissaire, faisant la fille de Pharaon, développèrent la toile et découvrirent un enfant tout nouveau né.

– Mille bons Dieux! voilà un conscrit qui en réchappe d’une sévère! s’écria la patrouille.

– Pauvre petit môme, répétait, l’âme attendrie, le vieux père Busembaum.

– C’est ici le cas où les enfans sont vraiment malheureux d’avoir des parens, murmura l’agréable caporal.

– Messieurs, dit alors le commissaire perspicace, et prenant une pose de calife, un crime a été commis, explorons!.. Il se prit à examiner le marmot qui n’avait aucune blessure grave.

Au grand contentement de l’armée, après des recherches consciencieuses et dignes d’être entérinées par l’académie, il fut proclamé, à la majorité, du genre masculin ou neutre; un sourire de satisfaction se promena sur les lèvres du père Busembaum.

– Que voulez-vous faire de ce petit marmouset? dit-il alors au commissaire; ma femme en ce moment est en gésine, voilà trois fois, qu’à son grand crève-cœur, cette brave mère ne fait que des morts-nés. Si vous voulez me le confier, je vais sur-le-champ le lui porter en compensation, elle en prendra bien soin et nous l’adopterons.

Au moment où il enlevait l’enfant pour le monter dans sa charrette, il se raidit et expira: et le commissaire aperçut des gouttes de sang; approchant le falot et voyant que ces traces se dirigeaient vers le haut de la rue, il ordonna à la patrouille de le suivre. Ces gouttes, quoique semées à d’assez longues distances, suffisaient cependant pour les diriger. Arrivés à la rue Beurrière, elles disparurent, mais ils les retrouvèrent dans cette ruelle débouchant rue du Vieux-Colombier; et, suivant toujours attentivement, ils remontèrent jusqu’à la rue Cassette, où les vestiges se prolongaient encore; enfin, les traces de sang s’arrêtèrent contre une porte.

– C’est ici, messieurs, cria le commissaire, entrons! Il heurta plusieurs coups de marteau. – Au nom de la loi, ouvrez! répéta le caporal en frappant de la crosse de son fusil. Le portier tout éperdu obéit: – Au nom de Dieu, messieurs, quel train! Que voulez-vous?

– Guidez-nous, nous allons faire perquisition. Tenez, voici le sang qui reparaît! suivez-moi.

Ils montèrent l’escalier et entrèrent, en haut, dans un corridor; là, les traces de sang s’arrêtaient encore à une porte.

– Qui demeure là, monsieur le portier?

– Une jeune fille, bonne et sage.

– Ouvrez donc, au nom de la loi!.. Caporal, faites enfoncer la porte!

Aussitôt elle s’ouvrit sous le choc des crosses, et les regards avides pénétrant dans la chambre, virent, à la lueur du falot, étendue sur le plancher et baignée dans une marre de sang, une jeune femme pâle et desséchée.

On la releva; elle était tiède encore.

A son retour, sans doute, Apolline s’était abattue de faiblesse, épuisée par une aussi grande perte de sang et par un aussi long trajet.

On la transporta, sur un brancard, à l’hospice de la Maternité, nommé vulgairement la Bourbe.




V

VERY WELL


Le lendemain, dans tout Paris, il n’était question que d’un enfant jeté dans un égout, et les crieurs publics s’en allaient processionnellement par la ville, hurlant et vendant pour un sou le détail exact de l’horrible infanticide commis, au faubourg Saint-Germain, par une fille de grande maison.

Cet événement avait jeté l’effroi parmi la bourgeoisie, qui brûlait déjà de voir l’affaire à la cour d’assises, pour la connaître tout à fond; et qui, rancunière, jouissait, par avance, du spectacle rare d’une fille noble sur la sellette et l’échafaud.

A l’hospice, on avait d’abord désesperé des jours d’Apolline, mais on l’entoura de tant de soins, sur la recommandation de Messieurs de la justice, qui redoutaient que la mort ne tranchât la question sans eux et n’empiétât sur leurs droits et sur ceux du bourreau. Au bout d’une semaine environ, elle commença à recouvrer quelques forces, et la connaissance lui revint.

Son étonnement fut grand et douloureux quand elle se vit dans une salle d’hôpital. Elle n’avait aucune souvenance de ce qu’elle avait fait, ni de ce qui s’était passé: ainsi qu’un ivrogne au réveil ne conserve aucune idée des folies de son ivresse. Elle questionna, on ne lui répondit que vaguement. Quand elle fut parfaitement rétablie, on vint lui annoncer qu’on allait la transférer à la prison de la Force.

– A la Force! s’écria-t-elle, eh! pourquoi?

– Sous prévention d’infanticide.

– Moi! Oh non, vous êtes fous!..

– Vous avez jeté votre enfant dans un égout.

Alors, Apolline, consternée, porta ses mains à son flanc, et, semblant sortir en soubresaut d’un sommeil et se rappeler subitement, tomba froide sur le pavé.

Quand elle reprit ses esprits, elle était dans un cachot étroit et sombre.

Son procès s’instruisit longuement; et, après quatre mois de détention et de contact avec tout ce qu’il y a de plus fétide et de plus croupi dans la marre sociale, elle comparut à la cour d’assises. Le grand scandale avait attiré une foule innombrable de curieux qui voulaient voir la belle marâtre du faubourg Saint-Germain. On lui avait fait une réputation de beauté égale à celle de sa férocité. Les vitres des marchands d’estampes étaient garnies de prétendus portraits de la belle Apolline, aussi authentiques que ceux d’Héloïse ou de Jeanne d’Arc: l’un rappelait madame de la Vallière, l’autre Charlotte Corday, l’autre Joséphine, mais le public, qui veut être dupé à tous prix, en était fort satisfait. Le palais était aussi encombré que si la basoche eût dû jouer un mystère sur la table de marbre. Un murmure général de désappointement s’éleva quand les huissiers annoncèrent que le tribunal ordonnait huis-clos pour ce jugement.

Bientôt Apolline fut introduite dans la salle: sa jeunesse, sa vénusté, son air triste et candide, sa voix suave et son maintien impressionnèrent vivement la cour blasée.

Pour ne pas compromettre Bertholin, elle avait déclaré qu’un homme, à elle tout-à-fait inconnu, et qu’elle n’avait jamais revu, un soir, s’étant glissé chez elle, l’avait forcée avec violence. Quant au crime qu’on lui imputait, elle avouait qu’il pouvait être, mais qu’il ne lui en restait nul souvenir positif; et que n’ayant pris aucun aliment depuis plusieurs jours, quand les douleurs de l’enfantement lui étaient survenues, elle devait avoir été assurément dans un état complet de démence.

Sur cinq médecins appelés à constater quel avait pu être son état moral lors de son accouchement, un seul avait affirmé l’aliénation, et quatre l’avaient niée.

Au moment où l’accusateur public, M. de l’Argentière, se leva et entonna sa déclamation, Apolline, frappée comme à un accent connu, tourna ses regards sur lui, jeta un cri perçant, et se renversa sans connaissance.

Jamais réquisitoire ne fut plus violent et plus inhumain: il n’est rien que M. de l’Argentière ne mit en jeu pour accabler l’accusée. Il poussa sa rage extravagante jusqu’à la comparer à Saturne, qui dévorait ses enfans, et se résuma en demandant sa tête. – Ne vous laissez point séduire, criait-il, par les beaux dehors de cette mère dénaturée, le laurier-rose contient un venin subtil, la beauté n’est souvent que le voile de la perfidie; ne vous laissez point faiblir, messieurs, il faut un exemple absolument, pour arrêter l’infanticide en son cours. Messieurs, soyez inexorables, vous serez justes!

L’avocat d’Apolline, avec un rare talent, s’acquitta de sa défense; son plaidoyer aurait arraché des larmes à des tigres, le tribunal resta froid; et l’accusateur commença sa sauvage réplique.

Quand la pauvre Apolline eut recueilli ses esprits, elle se leva brusquement, et montrant du poing l’accusateur, M. de l’Argentière: – C’est lui! criait-elle, c’est lui! je reconnais sa voix, c’est lui! cet homme-là qui parle! c’est lui que j’ai vu aux rayons de la lune, blême et rouge, l’œil caverneux… Puis, fondant en larmes, elle jetait des hurlemens.

– Cette enfant est égarée, dit froidement M. de l’Argentière, dont la morne physionomie n’avait pas laissé paraître la plus légère émotion.

– Emmenez l’accusée; et nous, messieurs, passons dans la salle de délibération, ordonna le président.

Au bout d’un quart d’heure, la cour rentra en séance: le jury ayant répondu affirmativement à toutes les questions posées, le président fit lecture de la sentence, qui condamnait Apolline à la peine capitale.

Elle écouta son arrêt avec dignité, et dit seulement, se tournant du côté de l’accusateur public: – Ceux qui envoient au bourreau sont ceux-là mêmes qui devraient y être envoyés!

Son défenseur, égaré, pleurant et se heurtant le front, se jeta dans ses bras, et l’embrassa, au grand scandale de la cour, qui demanda si elle voulait se pourvoir en cassation. – Oui, répondit Apolline, mais au tribunal de Dieu.

Le matin du jour, on lui envoya un prêtre pour se préparer; il ne sortit plus d’auprès d’elle. Apolline lui ayant naïvement raconté son histoire, le pauvre homme, convaincu de son innocence, pleurait désespéré; celui qui était venu la consoler était plus faible qu’elle et plus inconsolable. – Pauvre martyr! l’appelait-il, en lui baisant les pieds comme on baise une châsse sainte. Il n’osait lui parler de son Dieu juste et bon; sa providence était trop compromise par cette vie fatale.

A quatre heures, le geôlier monta l’avertir. Sa toilette achevée, elle descendit, soutenant son confesseur.

Aussitôt la charrette se mit en marche. Il semblait que toute la population de Paris s’était encaquée du palais à la Grève. De haut en bas, les maisons étaient chargées de spectateurs avides: jamais supplice n’avait attiré plus de monde. – La voilà! – la voilà! répétait-on de rang en rang.

Qu’elle était belle du haut de son tombereau, cette infortunée Apolline! quelle dignité! quelle résignation! Son teint était plus blanc que le peignoir qui l’enveloppait, et sa chevelure plus noire que le prêtre qui pleurait à ses côtés. Elle promenait sur la foule son regard langoureux; les commères lui montraient le poing, et les jeunes hommes attendris lui envoyaient des baisers. Enfin, la charrette déboucha sur la Grève. En montant à l’échelle, Apolline aperçut, à une croisée, M. de l’Argentière qui la fixait froidement; elle en jeta un long cri d’horreur, et tomba faible entre les bras d’un valet de guillotine. Il se fit alors un brouhaha général et une fluctuation dans la foule. Il pleuvait: – A bas les parapluies, on ne voit pas! criait-on de toutes parts; – à bas les parapluies! répétaient des voix de femmes; – soyez galans, messieurs, on ne voit pas!

Toute la tourbe, le cou tendu, était sur la pointe du pied.

Quand le coutelas tomba, il se fit une sourde rumeur; et un Anglais, penché sur une fenêtre qu’il avait louée 500 fr., fort satisfait, cria un long very well en applaudissant des mains.




JAQUEZ BARRAOU LE CHARPENTIER



LA HAVANE





Car amour est fort comme la mort,

Et jalousie est dure comme enfer.

    La Bible.



Je suis noire, mais je suis belle comme les tabernacles de

Cédar, comme les peaux de Salomon.

    La Bible.



Eh! pourquoi cette jalousie?..

    P. L. Jacob, Bibliophile.




I

PESADUMBRE Y CONJURACION


C’était le jour de Dieu: assez l’indiquaient le calme des campagnes, l’air jovial et le linge blanc des esclaves qui passaient au loin sans râler sous d’énormes fardeaux, hommes infortunés! auxquels il ne manque plus qu’un grelot de mulet. Le soleil dardait à l’heure de la sieste; cependant le charpentier Jaquez Barraou, noir membru et gigantesque, vint s’asseoir à la porte de sa case engoncée, pour ainsi dire, dans une crique, où se trouvaient amarrées deux pinasses et une balancelle en radoubs. Le sol était jonché çà et là de bois en grume, de billots et de madriers.

Jaquez Barraou avait encore sa chemise rayée et ses vêtements de travail; pourtant, lui, si religieux, n’avait point travaillé, car c’eût été péché mortel. Il était pieds nus. Dans toute sa personne régnait un nonchaloir qui contrastait avec son maintien énergique. Sous sa laine crépue et noire roulaient deux gros yeux blancs: souvent, il les promenait sur la mer et sur le terroir environnant; souvent, il les soulevait aux cieux, puis les reportait fixement sur la Havane, sourcillant et lançant avec mépris des bouffées d’une fumée bleue qu’il aspirait d’un long cigare.

Il eût été difficile de s’expliquer les mouvemens et les brusques soupirs de cet homme; son regard, chagrin et menaçant, qu’il arrêtait tantôt sur la vaste mer des Antilles, dont il semblait mesurer l’étendue, et que tantôt il jetait sur la ville, aurait pu faire penser qu’il était abîmé dans des rêves nostalgiques; que son cœur était meurtri par le mal du pays, cet amour violent de la patrie absente que rien ne saurait abattre, qui fait encore trouver des larmes aux vieillards canadiens courbés sous le joug infamant de l’Anglais, rien qu’au seul nom de leur ancienne patrie, et qui leur fait parfois repousser avec dégoût les jeunes enfans de leur race, qui fatiguent leurs oreilles de la rude langue des vainqueurs. Il paraissait toiser la distance de son Afrique à cette rive américaine, et maudire les Européens barbares qui l’y avaient transplanté après l’avoir échangé contre une scie ou un sabre à ses ravisseurs.

On aurait bien pu se plonger dans le fiel de tous ces pensers, et pourtant rien de tout cela n’agitait Barraou, car c’était un fils de Cuba qui n’avait d’africain que les traits et l’âme. Tout à coup il jette loin de lui son cigare inachevé, se lève et s’assied lourdement, entrecoupant, dans ses dents, de rauques monosyllabes semblables à des jurons grossiers. Il faisait claquer sa mâchoire, et se heurtait du derrière de la tête sur la muraille; enfin, paraissant se calmer, il répéta d’une voix pleurante:

– Jalousie! jalousie! que tu me fais de mal! que tu dévores, jalousie!.. Maudit soit de moi, maudit soit de Jaquez Barraou! Ma poitrine est plus brûlante que si j’avais avalé du cubèbe et du piment. Jalousie! tu me mâches le cœur avec une dent plus incisive que la dent du serpent! Quand je veux te repousser, c’est alors que tu m’assièges? Te repousser? Au fait, et comment?.. Ils ne m’ont pas même laissé le doute; car, l’autre soir, quand je revenais de la ville, pour la troisième fois je l’ai surpris fuyant près de la case; il en sortait à coup sûr… Oui, je l’ai vu, infâme Juan Cazador; que venais-tu tenter auprès de mon Amada? Tenter … que je suis bon!.. Eh! qui m’a répondu d’Amada? Oh non! mon Amada, tu es pure, oui!.. cependant dois-je le croire?.. les femmes sont si fourbes. Cruel sort! horrible incertitude! bientôt j’en sortirai ou de la vie. Ami faux, toi que j’appelais mon Juanito; toi qui m’as connu plus petit que cette chèvre; toi qui, tant de fois, avec moi, t’endormis ivre-mort sur la même natte, bien avant dans la nuit; nuit d’épanchemens et de rêves plus doux que ceux apportés par le sommeil! Que de tafia! que de cigaritos!.. Ces temps sont déjà bien loin, pauvre Barraou! Tu fêtoyas ta jeunesse; et maintenant que tu t’inclines comme ton père, il te faudra pleurer.

Que les hommes sont injustes! Ai-je jamais convoité leurs épouses? Donc, pourquoi me fraude-t-on la mienne? Je suis pauvre; je n’ai rien, je n’avais qu’Amada. Je ne pourrai donc rien posséder, misérable, sur cette terre, sans qu’on en lève la dîme? rien! pas même celle que j’ai choisie entre mille. Ah! je suis trop crédule au mal!.. Un stratagème, une embûche pourraient tout m’éclaircir: si c’est erreur, si je me suis trompé, je rentrerai dans la paix; et si … alors vengeance!.. Santa Virgen! sois à mon aide, et demain tout sera fait.

Soudain il s’interrompit, se penchant et prêtant l’oreille, comme s’il eût entendu quelque bruit; il se rajustait et prenait un air de roideur pour singer le calme, quand sortit follement de la case une jeune femme qui, se laissant aller à lui, s’appuya sur son épaule.

Oh! qu’elle me parut belle et digne de toute la violence de Barraou! Je ne sais si j’étais aveuglé par cet amour préjugé, cette propension sympathique qui toujours m’entraîne aux femmes de couleur, qui, toujours dans mes songes, me livre une beauté africaine; qui, tout enfant, me faisait rechercher les embrassemens des noires, et rester froid aux caresses de nos blanches créoles. Oh! qu’elle me parut belle! elle était svelte, joyeuse et riante; son teint était celui d’un sang mêlé, que méprisamment vous appelez mulâtresse; ses traits étaient fins et profiles comme ceux d’une Arlésienne et son œil vif en amande. Autour de sa tête elle avait roulé avec grâce un turban de mousseline; des pendans de corail se balançaient à ses oreilles; un collier de ramina de Venise faisait une base d’or au galbe de son beau cou; ses doigts effilés étaient prisonniers dans des anneaux précieux; sa courte saya de cotonnade blanche découvrait ses jambes rondelettes et ses pieds de Cendrillon que ne chaussaient pourtant que de rustiques esparteñas espagnoles.

– Que fais-tu là? lui dit-elle en relevant de sa main sa longue chevelure, et collant ses lèvres au front déprimé de Barraou. Toi, aujourd’hui, à cette heure, encore en pareil désordre? tu me tourmentes, mon Jaquez, tu sembles chagrin, qu’as-tu donc? partage-moi ta moindre peine, parle, sois confiant!

– Je n’ai rien, franchement, peut-être est-ce la chaleur qui m’accable!

– Non, tu te caches; même en parlant tu rêves encore, et tu sembles engolfado: d’ailleurs, ne t’ai-je pas entendu? tout à l’heure tu parlais, querellais et plaignais hautement.

– Corazon mio! tu t’es trompée, je fredonnais, pensant que tu reposais, je chantonnais doucement cet air, ton favori.

Paxarito que vienes herido
Por las balas del cruel Cazador,
Cesa, Cesa tu triste gemido.
Mientras duerme mi dulce amor!

– Oh! que vous êtes bon, mon Jaquez, pour votre Amada! daigner songer à elle.

– Vous daignâtes bien m’aimer; mais trêve de cela. Ta grâce voudrait-elle bien préparer, pour ce soir, un souper copieux? bonne chère! J’ai l’intention de convier Cazador.

– Cet homme … Eh! pourquoi?

– Pourquoi? sotte question! Que trouves-tu d’extraordinaire; est-ce la première fois que cet ami partage ma table?..

– Rien! mais vous êtes si maussade, je veux dire si triste, qu’assurément vous lui ferez froide réception.

– Qu’importe, il aura les bonnes grâces de l’hôtesse! Dis à Pablo de venir; il doit être près du chantier, je l’ai vu tantôt jouant avec ton vieux chien Spalestro; va et fais.

Mes funestes pressentimens viennent encore de se corroborer. Comme elle a rougi à son seul nom; quel embarras, quelle surprise! Et cette ruse de femme, recevoir avec froideur une nouvelle qui lui met la joie au cœur!

– Patron, votre grâce me fait mander; me voici, que faut-il?

– Ecoute bien, Pablo; tu vas prendre dans le bahut un paquet de tabac, puis, tu iras trouver Juan Cazador chez son maître, Gédéon Robertson, et, lui offrant de ma part, tu le convieras à venir souper, ce soir même, chez son ami Jaquez Barraou; sois prompt, ne reviens pas sans lui. Pars, béni soit ton chemin.




II

EL CORAZON NO ES TRAYDOR


Quand le pequeno Pablo fut éloigné, Barraou rentra dans la case. Amada préparait la cène; lui se lava et s’endimancha. Décrochant ensuite l’escopette suspendue à la muraille, au-dessus de quelques figurines et images de saint Jacques de Gallice et de Madones caparaçonnées, il se prit à la nettoyer avec une espèce de joie sombre: Amada le remarquait.

– A quel propos, lui demanda-t-elle, t’occuper de cette escopette?

– Pour rien, mon amie, seulement pour enlever la rouille qui la ronge.

– Ah! seulement pour enlever la rouille; à quoi bon alors mettre cette pierre neuve? Hélas! Santa Virgen! que fais-tu là? de la poudre! des balles! voudrais-tu la charger? C’est imprudence, non, je t’en prie; il arrivera malheur, cette arme est à la portée de tout venant.

– Il arrivera malheur… peut-être!..

– Mais à quoi bon? réponds-moi.





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