Книга - Histoire des Musulmans d’Espagne, t. 4

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Histoire des Musulmans d'Espagne, t. 4
Reinhart Dozy




Reinhart Pieter Anne Dozy

Histoire des Musulmans d'Espagne, t. 4/4 / jusqu'à la conquête de l'Andalouisie par les Almoravides (711-1100)





I


Depuis plusieurs années, les provinces de l’Espagne musulmane se trouvaient abandonnées à elles-mêmes sans qu’elles l’eussent voulu. Le peuple en général s’en affligeait; il ne songeait qu’avec effroi à l’avenir et regrettait le passé. Les capitaines étrangers furent les seuls qui profitèrent de la décomposition totale de la Péninsule. Les généraux berbers se partagèrent le Midi; les Slaves régnèrent dans l’Est; le reste échut en partage, soit à des parvenus, soit au petit nombre de familles nobles qui, par un hasard quelconque, avaient résisté aux coups qu’Abdérame III et Almanzor avaient portés à l’aristocratie. Enfin, les deux villes les plus considérables, Cordoue et Séville, se constituèrent en républiques.

Les Hammoudites étaient, mais seulement de nom, les chefs du parti berber. Ils prétendaient avoir des droits sur toute la partie arabe de la Péninsule; en réalité ils n’y possédaient que la ville de Malaga et son territoire. Les plus puissants parmi leurs vassaux étaient les princes de Grenade, Zâwî, qui éleva Grenade au rang de capitale[1 - Jusque-là Elvira avait été la capitale de cette province, mais cette ville ayant eu fort à souffrir de la guerre civile, ses habitants émigrèrent vers l’année 1010, et se transportèrent à Grenade.], et son neveu Habbous qui lui succéda. Il y avait en outre des princes berbers à Carmona, à Moron, à Ronda. Les Aftasides, qui régnaient à Badajoz, appartenaient à la même nation; mais entièrement arabisés, ils se donnaient une origine arabe, et occupaient une position assez isolée.

Dans le parti opposé, les hommes les plus marquants étaient Khairân, le prince d’Almérie, Zohair, qui lui succéda en 1028, et Modjéhid, le prince des Baléares et de Dénia. Ce dernier, le plus grand pirate de son temps, se rendit fameux par les expéditions qu’il fit en Sardaigne et sur la côte de l’Italie, et aussi par la protection qu’il accorda aux hommes de lettres. D’autres Slaves régnèrent d’abord à Valence; mais dans l’année 1021, Abdalazîz, un petit-fils du célèbre Almanzor[2 - Son père était l’infortuné Abdérame-Sanchol.], y fut proclamé roi. A Saragosse une noble famille arabe, celle des Beni-Houd, obtint le pouvoir après la mort de Mondhir, arrivée en 1039.

Enfin, sans compter un assez grand nombre de petits Etats, il y avait encore le royaume de Tolède. Un certain Yaîch y régna jusqu’à l’année 1036; depuis lors les Beni-Dhî-'n-noun en prirent possession. C’était une ancienne famille berbère qui avait pris part à la conquête de l’Espagne au huitième siècle.

Quant à Cordoue, après que le califat y eut été aboli, les principaux habitants se réunirent et résolurent de confier le pouvoir exécutif à Ibn-Djahwar, dont la capacité était universellement reconnue. Il refusa d’abord d’accepter la dignité qu’on lui offrait, et quand il céda enfin aux instances de l’assemblée, il ne le fit qu’à condition qu’on lui donnerait pour collègues deux membres du sénat qui appartenaient à sa famille, à savoir Mohammed ibn-Abbâs et Abdalazîz ibn-Hasan. L’assemblée y consentit, mais en stipulant que ces deux personnes auraient seulement voix consultative.

Le premier consul gouverna la république d’une manière équitable et sage. Grâce à lui, les Cordouans n’eurent plus à se plaindre de la brutalité des Berbers. Son premier soin avait été de les congédier; il avait seulement retenu les Beni-Iforen, sur l’obéissance desquels il pouvait compter, et il avait remplacé les autres par une garde nationale. En apparence, il laissa subsister les institutions républicaines. Quand on lui demandait une faveur: «Ce n’est pas à moi de l’accorder, répondait-il; cela regarde le sénat, et je ne suis que l’exécuteur de ses ordres.» Quand il recevait une lettre officielle qui était adressée à lui seul, il refusait d’en prendre connaissance en disant qu’elle devait être adressée aux vizirs. Avant de prendre une décision, il consultait toujours le sénat. Jamais il ne prenait des airs de prince, et au lieu d’aller habiter le palais califal, il resta dans la modeste demeure qu’il avait toujours occupée. En réalité, toutefois, son pouvoir était illimité, car en aucune circonstance le sénat ne s’avisait de le contredire. Sa probité était rigide et scrupuleuse; il ne voulait pas que le trésor public se trouvât dans sa maison; il en confia la garde aux hommes les plus respectables de la ville. Il aimait l’argent, il est vrai, mais jamais l’intérêt ne lui faisait rien faire de malhonnête. Econome et même parcimonieux, pour ne pas dire avare, il doubla sa fortune, de sorte qu’il devint l’homme le plus riche de Cordoue. Mais en même temps il faisait de louables efforts pour rétablir la prospérité publique. Il s’efforçait d’entretenir des relations amicales avec tous les Etats voisins, et il y réussit si bien, que le commerce et l’industrie jouirent en peu de temps de la sécurité dont ils avaient tant besoin. Aussi le prix des denrées baissa, et Cordoue reçut dans son sein une foule de nouveaux habitants qui rebâtirent quelques-uns des quartiers que les Berbers avaient démolis ou brûlés lors du sac de la ville[3 - Ibn-Haiyân, apud Ibn-Bassâm, t. I, fol. 157 r. et v.; Abd-al-wâhid, p. 42, 43.]. Mais quoi qu’il fît, l’ancienne capitale du califat ne recouvra pas sa prépondérance politique. Le premier rôle appartenait dorénavant à Séville, et c’est de l’histoire de cette cité que nous aurons à nous occuper principalement.

Le sort de Séville avait été longtemps lié à celui de Cordoue. De même que la capitale, elle avait obéi successivement à des souverains de la famille d’Omaiya ou de celle de Hammoud; mais la révolution de Cordoue en 1023 eut son contre-coup à Séville. Les Cordouans s’étant insurgés contre Câsim le Hammoudite et l’ayant chassé de leur territoire, ce prince résolut d’aller chercher un refuge à Séville, où se trouvaient ses deux fils avec une garnison berbère, commandée par Mohammed ibn-Zîrî, de la tribu d’Iforen. En conséquence, il envoya aux Sévillans l’ordre d’évacuer mille maisons qui seraient occupées par ses troupes. Cet ordre causa un mécontentement très-vif, d’autant plus que les soldats de Câsim, les plus pauvres de leur race, avaient la triste réputation d’être de grands pillards. Cordoue venait de montrer aux Sévillans la possibilité de s’affranchir du joug, et ils étaient tentés de suivre l’exemple que leur avait donné la capitale. La crainte de la garnison berbère les retenait encore; mais le cadi de la ville, Abou-'l-Câsim Mohammed, de la famille des Beni-Abbâd, réussit à gagner le chef de cette garnison. Il lui dit qu’il lui serait facile de devenir seigneur de Séville, et dès lors Mohammed ibn-Zîrî se déclara prêt à le seconder. Le cadi conclut ensuite une alliance avec le commandant berber de Carmona, et alors les Sévillans, secondés par la garnison, prirent les armes contre les fils de Câsim, dont ils cernèrent le palais.

Arrivé devant les portes de Séville, qu’il trouva fermées, Câsim essaya de gagner les habitants par des promesses; mais il n’y réussit pas, et comme ses fils étaient exposés à un grand péril, il s’engagea enfin à évacuer le territoire sévillan, pourvu qu’on lui rendît ses fils et ses biens. Les Sévillans y consentirent, et Câsim s’étant retiré, ils saisirent la première occasion qui s’offrit à eux pour chasser la garnison berbère[4 - Ibn-Haiyân, apud Ibn-Bassâm, t. I, fol. 129 r.; Abbad., t. II, p. 32, 208 etc.].

La ville ayant ainsi recouvré sa liberté, les patriciens se réunirent pour se donner un gouvernement. Cependant ils n’étaient nullement tranquilles sur les conséquences de leur révolte; ils craignaient de voir revenir bientôt les Hammoudites irrités, qui, dans ce cas, ne manqueraient pas de punir les coupables. Aussi nul n’osa prendre sur soi la responsabilité de ce qui s’était passé; tous étaient d’accord pour la faire peser uniquement sur le cadi, auquel on enviait ses richesses; on prévoyait déjà, avec un secret plaisir, le moment où ces richesses seraient confisquées[5 - Abbad., t. I, p. 221.]. On offrit donc au cadi l’autorité souveraine; mais quelle que fût son ambition, il était trop sage pour l’accepter en ce moment. Sa naissance n’était pas illustre. Il était très-riche, car il possédait le tiers du territoire sévillan, et il jouissait d’une haute considération à cause de ses talents et de son savoir; mais sa famille n’appartenait que depuis peu à la haute noblesse, et il savait qu’à moins qu’il n’eût des soldats à sa disposition – et il n’en avait pas encore – la fière et exclusive aristocratie de Séville se soulèverait bientôt contre un parvenu. Il n’était rien autre chose, en vérité. Il est vrai que plus tard, lorsque les Abbâdides furent sur le point de rétablir à leur profit le trône des califes, ils se prétendaient issus des anciens rois lakhmides qui, avant Mahomet, avaient régné à Hira, et que les poètes faméliques de leur cour saisissaient alors chaque occasion pour célébrer une si illustre origine; mais rien ne justifie une telle prétention; les Abbâdides et leurs flatteurs n’ont jamais pu la prouver. Tout ce que cette famille avait de commun avec les anciens rois de Hira, c’est qu’elle appartenait comme eux à la tribu yéménite de Lakhm; mais la branche de cette tribu d’où sortaient les Abbâdides ne semble jamais avoir habité Hira; elle demeurait à Arîch, sur les frontières de l’Egypte et de la Syrie, dans le district d’Emèse[6 - Abbad., t. I, p. 220. Cf. Caussin, t. III, p. 212, 422.], et les Abbâdides, loin de pouvoir rattacher leur généalogie à celle des rois de Hira, n’ont jamais pu la faire remonter au delà de Noaim, le père d’Itâf. Cet Itâf, capitaine d’une division des troupes d’Emèse, était arrivé en Espagne avec Baldj, et les soldats d’Emèse ayant reçu des terres près de Séville, il s’était établi dans le hameau de Yaumîn, qui se trouvait dans le district de Tocina et sur les bords du Guadalquivir. Sept générations de gens probes, économes, laborieux, firent sortir la famille, lentement et péniblement, de son obscurité. Ismâîl, le père de notre cadi, fut le premier qui l’illustrât; ce fut lui qui, pour ainsi dire, fit inscrire dans le livre d’or de la noblesse sévillane le nom des Beni-Abbâd ou Abbâdides[7 - Abbâd était le trisaïeul d’Ismâîl.]. A la fois théologien, jurisconsulte et homme d’épée, il avait commandé un régiment de la garde de Hichâm II; puis il avait été imâm de la grande mosquée à Cordoue et cadi de Séville. Renommé par ses lumières, sa sagacité, la prudence de ses conseils et la fermeté de son caractère, il ne l’était pas moins par sa probité, car en dépit de la corruption générale, il n’accepta jamais aucun don du sultan ou de ses ministres. Sa libéralité était sans limites, et les Cordouans exilés avaient trouvé chez lui une généreuse hospitalité. Toutes ces qualités lui valurent le titre du plus noble homme de l’Ouest. Il était mort dans l’année 1019, peu de temps avant l’époque dont nous nous occupons[8 - Abbad., t. I, p. 220, 381 et suiv.; t. II, p. 173.].

Son fils Abou-’l-Câsim Mohammed l’égala peut-être en savoir, mais non en vertu. Egoïste et ambitieux, son premier acte avait été un acte d’ingratitude. Lorsque son père fut mort et qu’il avait espéré de lui succéder comme cadi, un autre lui avait été préféré. Il s’était adressé alors à Câsim ibn-Hammoud, et grâce à l’entremise de ce prince, il avait obtenu l’emploi qu’il désirait[9 - Abbad., t. I, p. 221.]. Nous avons déjà vu de quelle manière il récompensa plus tard cette faveur.

Les patriciens de Séville lui offraient maintenant le pouvoir; mais, devinant leurs motifs, il leur répondit qu’il ne pouvait accepter leur offre, toute honorable qu’elle était, qu’à la condition qu’on lui adjoindrait quelques personnes qu’il nommerait. Ces personnes, ajouta-t-il, seraient ses vizirs, ses collègues, et il ne prendrait aucune résolution sans les avoir consultées. Malgré qu’ils en eussent, les Sévillans furent obligés d’accepter cette proposition, car le cadi refusait fermement de gouverner seul. On le pria donc de nommer ses collègues. Il désigna alors les chefs de quelques familles patriciennes tels que Hauzanî et Ibn-Haddjâdj, et des personnes que l’on regardait comme ses créatures ou du moins comme ses partisans, tels que Mohammed ibn-Yarîm, de la tribu d’Alhân, et Abou-Becr Zobaidî, le célèbre grammairien qui avait été le précepteur de Hichâm II[10 - Abd-al-wâhid, p. 65; Abbad., t. I, p. 221.]. Cela fait, son premier soin fut de se procurer des troupes. Grâce à la haute paye qu’il promettait, il attira sous son drapeau plusieurs soldats arabes, berbers ou autres, et il acheta d’ailleurs beaucoup d’esclaves qu’il fit instruire dans le métier des armes[11 - Abbad., t. I, p. 221.]. Une expédition qu’il fit dans le Nord, probablement avec d’autres princes, lui fournit le moyen de grossir ce noyau d’une armée. Il assiégea à cette occasion deux châteaux au nord de Viseu, qui étaient bâtis, l’un vis-à-vis de l’autre, sur des rochers séparés par un ravin, et qui portaient le nom d’al-akha-wén ou d’al-akhowén, les deux frères, nom qui s’est conservé dans la dénomination actuelle Alafoens[12 - Les Espagnols et les Portugais substituent ordinairement la lettre f à la gutturale arabe kh. Voyez mon Glossaire sur Ibn-Adhârî, p. 23. – Au reste, on se rappellera que sur la rive droite du Rhin, près de Caub, il y a aussi deux châteaux, Liebenstein et Sternberg, que l’on appelle les frères (die Brüder).]. Ils étaient habités par des Espagnols chrétiens, dont les ancêtres avaient conclu un traité avec Mousâ ibn-Noçair, alors que ce général conquit Viseu[13 - La conquête de Viseu par Mousâ est mentionnée par Maccarî, t. I, p. 174.], mais qui, à l’époque dont nous parlons, ne semblent avoir été soumis ni au roi de Léon ni à un prince musulman. Le cadi se rendit maître de ces deux châteaux et força trois cents de leurs défenseurs à entrer à son service[14 - Sisenand, dont parle le moine de Silos (c. 90) et qui, après avoir quitté le service de Motadhid pour celui de Ferdinand I


, devint gouverneur de Coïmbre, était, selon toute apparence, un de ces chrétiens d’Alafoens.], de sorte que dès lors il pouvait disposer de cinq cents cavaliers. Il avait donc assez de soldats pour faire des razzias sur les terres de ses voisins[15 - Abbad., t. II, p. 7. L’auteur arabe raconte ceci en parlant de Motadhid, le fils du cadi, mais en ce point il se trompe.], mais il n’était pas encore en état de défendre Séville contre une attaque sérieuse. C’est ce qu’il éprouva en 1027. Dans cette année le calife hammoudite Yahyâ ibn-Alî et le seigneur berber de Carmona, Mohammed ibn-Abdallâh, vinrent assiéger Séville[16 - Abbad., t. II, p. 216. L’auteur arabe (Ibn-Khaldoun), au lieu de nommer le cadi, nomme ici par erreur son fils Motadhid.]. Trop faibles pour opposer une longue résistance, les Sévillans entrèrent en pourparlers avec Yahyâ. Ils se déclarèrent prêts à reconnaître sa souveraineté, à condition que les Berbers n’entreraient pas dans la ville. Yahyâ y consentit; mais il exigea comme otages quelques jeunes patriciens qui lui répondraient sur leur tête de la fidélité des Sévillans. Cette demande répandit la consternation dans la ville; aucun patricien ne voulait livrer son fils aux Berbers, qui pourraient le tuer au moindre soupçon. Le cadi seul n’hésita pas; il offrit à Yahyâ son fils Abbâd, et le calife, qui savait que le cadi jouissait d’une grande influence, se contenta de ce seul otage. Grâce à cet acte de dévoûment, le cadi vit sa popularité s’accroître, et n’ayant désormais plus rien à craindre ni des nobles ni du calife, dont il reconnaissait la souveraineté pour la forme, il crut le moment venu pour régner seul. Ayant déjà écarté du conseil les patriciens tels qu’Ibn-Haddjâdj et Hauzanî, il n’avait plus que deux collègues, Zobaidî et Ibn-Yarîm. Il les congédia et Zobaidî fut même envoyé en exil[17 - Il alla d’abord à Cairawân, puis à Almérie, où il devint cadi. Voyez Abbad., t. I, p. 234, note 49.]. Un plébéien des environs de Séville, qui s’appelait Habîb, fut nommé premier ministre. C’était un homme sans principes, mais intelligent, actif et entièrement dévoué aux intérêts de son maître[18 - Abbad., t. I, p. 223.].

Le cadi voulut ensuite agrandir son territoire en s’emparant de Béja. Dans les derniers temps cette ville, qui avait déjà beaucoup souffert au neuvième siècle par la guerre entre les Arabes et les renégats, avait été saccagée et en partie détruite par les Berbers qui avaient couru le pays en pillant et brûlant tout ce qui se trouvait sur leur passage. Le cadi avait l’intention de la rebâtir; mais informé de son projet, Abdallâh ibn-al-Aftas, le prince de Badajoz, y envoya des troupes commandées par son fils Mohammed (qui lui succéda plus tard sous le nom de Modhaffar), et ces troupes avaient déjà pris possession de Béja au moment où Ismâîl, le fils du cadi, se présenta devant les portes avec l’armée de Séville et celle du seigneur de Carmona, l’allié de son père. Il commença aussitôt le siége et fit piller par sa cavalerie les villages qui se trouvaient entre Evora et la mer. Malgré le renfort qu’il avait reçu du seigneur de Mertola, Ibn-Taifour, Mohammed l’Aftaside fut très-malheureux: après avoir perdu ses meilleurs guerriers, il tomba entre les mains des ennemis et fut envoyé à Carmona.

Enhardis par les succès qu’ils avaient remportés, le cadi et son allié firent des incursions, non-seulement sur le territoire de Badajoz, mais aussi sur celui de Cordoue, de sorte que le gouvernement de cette ville dut prendre à son service des Berbers de la province de Sidona. Quelque temps après, cependant, ils conclurent la paix, ou du moins un armistice, avec l’Aftaside, et alors Mohammed fut délivré de sa prison du consentement du cadi (mars 1030). En lui annonçant qu’il était libre, le seigneur de Carmona lui recommanda de passer par Séville et de remercier le cadi; mais Mohammed avait tant d’aversion pour ce dernier, qu’il répondit au Berber: «J’aime mieux demeurer votre prisonnier que d’avoir une obligation à cet homme. Si ce n’est pas à vous seul que je suis redevable de ma délivrance, si j’en dois remercier aussi le cadi de Séville, je resterai où je suis.» Le seigneur de Carmona respecta ses sentiments, et sans insister davantage, il le fit reconduire à Badajoz avec tous les honneurs dus à son rang.

Quatre ans plus tard, en 1034, Abdallâh l’Aftaside se vengea, mais d’une manière peu honorable, des revers qu’il avait essuyés. Il avait accordé au cadi le passage de son armée, qui allait faire, sous les ordres d’Ismâîl, une razzia dans le royaume de Léon; mais quand Ismâîl fut arrivé dans un défilé non loin de la frontière léonaise, il l’attaqua à l’improviste. Beaucoup de soldats sévillans furent tués, d’autres furent massacrés pendant leur fuite par les cavaliers léonais. Ismâîl lui-même échappa au carnage avec une poignée de ses guerriers; mais tandis qu’il se dirigeait sur Lisbonne, ville qui formait la frontière des Etats de son père du côté du nord-ouest, lui et les siens eurent à endurer les plus grandes privations.

Dès lors le cadi devint l’ennemi mortel du prince de Badajoz[19 - Abbad., t. I, p. 223-225. Ibn-Khaldoun (Abbad., t. II. p. 209, 216) dit aussi quelques mots de ces événements, mais au lieu de nommer le cadi, il nomme son fils Motadhid.]; mais nous ne possédons pas de détails sur les combats qu’ils se livrèrent dans la suite, et sans doute cette guerre n’eut pas pour l’Espagne musulmane des conséquences aussi importantes qu’un événement d’une autre nature, dont nous avons à nous occuper à présent.

Le cadi, comme nous l’avons dit, avait reconnu la souveraineté du calife hammoudite Yahyâ ibn-Alî. Ç’avait été longtemps un acte de nulle conséquence; le cadi régnait sans contrôle à Séville, Yahyâ étant trop faible pour y faire valoir ses droits. Peu à peu cet état de choses changea. Yahyâ parvint à rallier successivement à sa cause presque tous les chefs berbers; il devint donc en réalité ce qu’auparavant il n’avait été que de nom, le chef de tout le parti africain, et comme il avait établi son quartier général à Carmona, d’où il avait chassé Mohammed ibn-Abdallâh[20 - Ibn-Haiyân, apud Ibn-Bassâm, t. I, fol. 81 r. et v., 82 r.], il menaçait à la fois Cordoue et Séville[21 - Abd-al-wâhid, p. 37, 38; Abbad., t. I, p. 222, l. 22.].

La gravité du péril inspira alors au cadi une pensée qui eût été grande et patriotique, si elle n’eût été suggérée en partie par l’ambition. Pour empêcher les Berbers, désormais unis, de reconquérir le terrain qu’ils avaient perdu, l’union des Arabes et des Slaves sous un seul chef était nécessaire; c’était le seul moyen pour préserver le pays du retour des maux dont il avait souffert. Le cadi le sentait; il désirait qu’une grande ligue se formât, dans laquelle entreraient tous les ennemis des Africains, mais en même temps il voulait en devenir le chef. Il ne s’aveuglait pas sur les obstacles qu’il aurait à vaincre; il savait que les princes slaves, les seigneurs arabes et les sénateurs de Cordoue seraient blessés dans leur ombrageuse fierté au cas où il tâcherait de les dominer; mais il ne se laissa pas décourager par des considérations de cette nature, et comme les circonstances lui prêtèrent un puissant appui, il parvint, jusqu’à un certain point, à réaliser son projet. Nous allons voir de quelle manière il s’y prit.

Nous avons dit plus haut que le malheureux calife Hichâm II s’était évadé du palais sous le règne de Solaimân, et que, selon toute apparence, il était mort en Asie, ignoré et inconnu. Cependant le peuple, encore fort attaché à la dynastie omaiyade qui lui avait donné la prospérité et la gloire, refusait de croire à la mort de ce monarque, et accueillait avidement les bruits étranges qui couraient sur son compte. Il se trouvait des gens qui se piquaient de pouvoir donner les détails les plus précis sur son séjour en Asie. D’abord, disait-on, il s’était rendu à la Mecque, muni d’une bourse remplie d’argent et de pierres précieuses. Cette bourse lui ayant été arrachée par des nègres de la garde de l’émir, il passa deux jours et deux nuits sans manger, jusqu’à ce qu’un potier, touché de compassion, lui demandât s’il savait pétrir de l’argile. A tout hasard Hichâm répondit que oui. «Eh bien! lui dit alors le potier, si tu veux entrer à mon service, je te donnerai un dirhem et un pain par jour. – J’accepte de grand cœur votre offre, lui répondit Hichâm, mais donnez-moi tout de suite un pain, je vous en supplie, car j’ai été deux jours sans manger.» Pendant quelque temps Hichâm, quoiqu’il fût un ouvrier fort paresseux, gagna sa vie chez le potier; mais enfin, dégoûté de sa besogne, il s’échappa et se joignit à une caravane qui allait partir pour la Palestine. Il arriva à Jérusalem dans le plus complet dénûment. Un jour qu’il se promenait sur le marché, il s’arrêta devant la boutique d’un nattier qui travaillait. «Pourquoi me regardes-tu avec tant d’attention? lui demanda cet homme; est-ce que tu connaîtrais mon métier? – Non, lui répondit tristement Hichâm, et je le regrette, car je n’ai aucun moyen de subsistance. – Eh bien, reste auprès de moi, reprit le nattier; tu pourras m’être utile en allant me chercher du jonc et je te payerai tes services.» Hichâm accepta avec joie cette proposition, et peu à peu il apprit à faire des nattes. Plusieurs années se passèrent ainsi, mais en 1033 il retourna en Espagne[22 - Abbad., t. II, p. 127, 128.]. Après s’être montré à Malaga[23 - Abbad., t. II, p. 34.], il se rendit à Almérie, où il arriva dans l’année 1035; mais bientôt après, le prince Zohair l’ayant expulsé de ses Etats, il alla se fixer à Calatrava[24 - Abbad., t. I, p. 222; t. II, p. 34.].

Ce récit, que le peuple acceptait avec une aveugle crédulité, ne semble mériter aucune confiance. Le fait est qu’à l’époque où Yahyâ menaçait Séville et Cordoue, il y avait à Calatrava un nattier du nom de Khalaf, qui avait une ressemblance frappante avec Hichâm; mais rien ne prouve que cet homme ait été l’ex-calife, et les clients omaiyades tels que les historiens Ibn-Haiyân et Ibn-Hazm, bien qu’il eût été de leur intérêt de reconnaître le soi-disant Hichâm, ont toujours protesté de la manière la plus énergique contre ce qu’ils appelaient une grossière imposture. Khalaf, toutefois, avait de l’ambition. Ayant souvent entendu dire qu’il ressemblait beaucoup à Hichâm II, il se donna pour ce monarque, et comme il n’était pas né à Calatrava, ses concitoyens le crurent. Qui plus est, ils le reconnurent pour leur souverain et se révoltèrent contre leur seigneur Ismâîl ibn-Dhî-’n-noun, le prince de Tolède. Ce dernier vint alors les assiéger, et leur résistance ne fut pas longue. Ayant fait sortir le soi-disant Hichâm de leur ville, ils se soumirent de nouveau à leur ancien seigneur[25 - Abbad., t. II, p. 34.].

Cependant le rôle de Khalaf n’était pas fini; il ne faisait que commencer. Le cadi de Séville, quand il fut informé de la réapparition de Hichâm II, comprit sans tarder le parti qu’il pouvait tirer de cet homme s’il le faisait venir à Séville. Peu lui importait que ce fût Hichâm ou un autre; l’essentiel pour lui, c’était que la ressemblance fût assez grande pour qu’on pût prétendre, sans trop se compromettre, que c’était Hichâm, et alors une ligue contre les Berbers pourrait s’organiser en son nom, ligue dont le cadi, en sa qualité de premier ministre du calife, serait le chef et l’âme. Il fit donc inviter le prétendant de se rendre à Séville, et lui promit son appui pour le cas où son identité serait constatée. Le nattier ne se fit pas prier; il vint à Séville, où le cadi le montra à des femmes du sérail de Hichâm. Sachant ce qu’elles avaient à dire, elles déclarèrent presque toutes que cet homme était réellement l’ex-calife, et alors le cadi, s’appuyant sur leurs témoignages, écrivit au sénat de Cordoue ainsi qu’aux seigneurs arabes et slaves, pour leur annoncer que Hichâm II se trouvait auprès de lui et les inviter à prendre les armes pour sa cause[26 - Abbad., t. I, p. 222.]. Cette démarche fut couronnée d’un brillant succès. La souveraineté de Hichâm fut reconnue par Mohammed ibn-Abdallâh, le prince détrôné de Carmona, qui avait trouvé un refuge à Séville[27 - Ibn-Haiyân, apud Ibn-Bassâm, t. I, fol. 81 r. et v.], par Abdalazîz, prince de Valence, par Modjéhid, prince de Dénia et des îles Baléares, et par le seigneur de Tortose[28 - Abbad., t. II, p. 34.]. A Cordoue le peuple apprit avec enthousiasme qu’il vivait encore. Moins crédule et jaloux de conserver le pouvoir, le président de la république, Abou-’l-Hazm ibn-Djahwar, ne fut pas dupe de cette imposture; mais il savait qu’il lui serait impossible de résister à la volonté du peuple. Il comprenait la nécessité de l’union des Arabes et des Slaves sous un seul chef, et il craignait de voir Cordoue attaquée par les Berbers. Il ne s’opposa donc pas aux désirs de ses concitoyens, et il permit que l’on prêtât de nouveau serment à Hichâm II (novembre 1035)[29 - Abbad., t. I, p. 222; t. II, p. 34. Sur la date, voyez la note A (#litres_trial_promo) à la fin de ce volume.].

Sur ces entrefaites et pendant que le parti arabe-slave s’armait partout contre lui, Yahyâ assiégeait Séville ou en ravageait le territoire, bien résolu à tirer une éclatante vengeance de l’astucieux cadi. Mais il était entouré de traîtres. Les Berbers de Carmona qu’il avait contraints à s’enrôler sous sa bannière, étaient fort attachés à leur ancien seigneur; ils entretenaient des intelligences avec lui, et en octobre 1035, quelques-uns d’entre eux se rendirent secrètement à Séville. Quand ils y furent arrivés, ils apprirent au cadi et à Mohammed ibn-Abdallâh qu’il leur serait facile de surprendre Yahyâ, attendu que ce prince était presque toujours ivre. Le cadi et son allié résolurent aussitôt de profiter de cet avis. En conséquence, Ismâîl, le fils du cadi, se mit en marche à la tête de l’armée sévillane et accompagné de Mohammed ibn-Abdallâh. La nuit venue, il se tint en embuscade avec le gros de ses forces, et envoya un escadron contre Carmona, dans l’espoir d’attirer Yahyâ hors de la place. Son projet lui réussit. Yahyâ était occupé à boire lorsqu’il fut informé de l’approche des Sévillans. Quittant aussitôt son sofa: «Quel bonheur! s’écria-t-il; Ibn-Abbâd vient me rendre visite! Qu’on s’arme sans perdre un instant! En selle!» Ses ordres furent exécutés, et bientôt après il sortit de la ville, accompagné de trois cents cavaliers. Echauffé par le vin, il se précipita sur les ennemis, sans prendre le temps de ranger ses troupes en bataille et quoique l’obscurité l’empêchât presque de distinguer les objets. Un peu déconcertés d’abord par sa brusque attaque, les Sévillans y répondirent cependant avec vigueur, et quand enfin ils eurent été contraints à la retraite, ils rétrogradèrent vers l’endroit où se trouvait Ismâîl. Dès lors Yahyâ était perdu. Ismâîl fondit sur les ennemis à la tête de ses chrétiens d’Alafoens, et les mit en déroute. Yahyâ lui-même fut tué, et peut-être la plupart de ses soldats auraient-ils partagé son sort, si Mohammed ibn-Abdallâh ne l’eût pas empêché. Il pria Ismâîl d’épargner ces malheureux. «Presque tous, lui dit-il, sont des Berbers de Carmona, qui ont été obligés, bien contre leur gré, à servir un usurpateur qu’ils haïssaient.» Ismâîl céda à ses instances, et ordonna qu’on cessât la poursuite. Cet ordre à peine donné, Mohammed galopa vers Carmona pour se remettre en possession de sa principauté. Les nègres de Yahyâ, qui s’étaient rendus maîtres des portes de la ville, voulaient lui en interdire l’entrée; mais Mohammed, secondé par la population, y pénétra par une brèche; puis il se rendit au palais de Yahyâ, livra les femmes de ce prince à ses fils, et s’appropria tous ses trésors (novembre 1035).

La nouvelle de la mort de Yahyâ causa une joie indicible tant à Séville qu’à Cordoue. Le cadi, quand il la reçut, tomba à genoux pour remercier le ciel, et tous ceux qui l’entouraient suivirent son exemple[30 - Ibn-Haiyân, apud Ibn-Bassâm, t. I, fol. 81 r. -82 r.; Abd-al-wâhid, p. 38, 43; Abbad., t. II, p. 33. Comparez la note A (#litres_trial_promo) à la fin de ce volume.]. Pour le moment il n’avait plus rien à craindre des Hammoudites. Idrîs, un frère de Yahyâ, fut bien proclamé calife à Malaga; mais il lui fallait du temps pour gagner, à force de promesses et de concessions, les chefs berbers à sa cause, et il fut même hors d’état de réduire à l’obéissance Algéziras, où son cousin Mohammed avait été proclamé calife par les nègres[31 - Abd-al-wâhid, p. 43, 45.]. Voyant donc que les circonstances lui étaient propices, le cadi voulut s’installer, avec le soi-disant Hichâm II, dans le palais califal de Cordoue. Mais Ibn-Djahwar n’avait nulle envie d’abdiquer le consulat. Il réussit à convaincre ses concitoyens que le prétendu calife n’était qu’un imposteur; le nom de Hichâm II fut supprimé dans les prières publiques, et lorsque le cadi arriva devant les portes de la ville, il les trouva fermées. N’étant pas assez puissant pour réduire à main armée une ville aussi considérable, force lui fut de retourner d’où il était venu[32 - Ibn-Khaldoun, fol. 25 v.].

Il résolut alors de tourner ses armes contre le seul prince slave qui avait refusé de reconnaître Hichâm II. C’était Zohair d’Almérie. Depuis que le calife Câsim, qui voulait se concilier l’affection des Amirides, lui avait donné plusieurs fiefs, Zohair avait fait ordinairement cause commune avec les Hammoudites, et quand Idrîs eut été proclamé calife, il s’était hâté de le reconnaître[33 - Ibn-Khaldoun, fol. 22 v. Comparez la lettre que Zohair fit écrire aux Cordouans par son ministre Ibn-Abbâs, apud Ibn-Bassâm, t. I, fol. 170 r. et v.]. Menacé maintenant par le cadi, il conclut une alliance avec Habbous de Grenade; puis, l’armée sévillane s’étant mise en marche, il alla à sa rencontre avec ses propres troupes et celles de son allié, et la contraignit à la retraite[34 - Abbad., t. II, p. 34.].

Il était évident que le cadi avait trop présumé de ses forces, et il pouvait craindre que le moment ne vînt où les armées d’Almérie et de Grenade, prenant l’offensive à leur tour, envahiraient le territoire de Séville. Heureusement pour lui, le hasard, qui le servait presque toujours à souhait, voulut que l’un de ses ennemis le débarrassât de l’autre.




II


A l’époque dont nous parlons, deux hommes également remarquables, mais qui se portaient une haine mortelle, avaient la conduite des affaires à Grenade et à Almérie. C’étaient l’Arabe Ibn-Abbâs et le juif Samuel.

Rabbi Samuel ha-Lévi, qu’on nommait ordinairement Ben-Naghdéla, était né à Cordoue, où il avait étudié le Talmud sous Rabbi Hanokh, le chef spirituel de la communauté juive. Il s’était appliqué aussi, avec beaucoup de succès, à l’étude de la littérature arabe et de presque toutes les sciences que l’on cultivait alors. Au reste, il n’avait été longtemps rien autre chose qu’un simple marchand d’épicerie, d’abord à Cordoue, puis à Malaga, où il s’était établi après la prise de la capitale par les Berbers de Solaimân, lorsqu’un heureux hasard vint l’arracher à son humble condition.

Sa boutique se trouvait près d’un château qui appartenait à Abou-’l-Câsim ibn-al-Arîf, le vizir de Habbous, roi de Grenade. Or, les gens de ce château avaient souvent à écrire à leur maître, mais comme ils étaient illettrés, ils firent rédiger leurs lettres par Samuel. Ces lettres excitèrent l’admiration du vizir, car elles étaient écrites avec la plus grande élégance et artistement émaillées des plus belles fleurs de la rhétorique arabe. Aussi s’empressa-t-il, quand il eut l’occasion de venir à Malaga, de s’enquérir de la personne qui les avait composées. Puis, ayant fait venir le juif: «Il n’est pas digne de toi, lui dit-il, de rester dans une boutique. Tu mérites de briller à la cour, et si tu le veux bien, tu seras mon secrétaire.» Samuel accompagna donc le vizir alors que ce dernier retourna à Grenade, et l’estime qu’Ibn-al-Arîf avait déjà conçue pour lui ne fit que s’accroître quand, dans leurs entretiens sur des affaires d’Etat, il découvrit chez lui une rare intelligence des hommes et des choses, et une sûreté de coup d’œil vraiment merveilleuse. «Tous les conseils que donnait Samuel, dit un historien juif, étaient comme si quelqu’un interrogeait la parole de Dieu.» Aussi le vizir les suivait-il désormais, ce dont il n’eut qu’à se louer. Puis, étant tombé malade et sentant sa fin approcher, il dit à son roi qui était venu le visiter et qui ne savait comment remplacer le fidèle serviteur qu’il allait perdre: «Dans ces derniers temps, seigneur, je ne vous ai jamais conseillé d’après mon propre cœur, mais par l’inspiration de mon secrétaire, le juif Samuel. Fixez vos yeux sur lui, qu’il vous soit un père et un ministre; faites tout ce qu’il vous conseillera, et Dieu vous sera en aide.» Le roi Habbous suivit ce conseil. Il accueillit Samuel dans son palais, et ce juif devint son secrétaire et son conseiller[35 - Journal asiat., IV


série, t. XVI, p. 203-205 (article de M. Munk).].

Dans aucun autre Etat musulman peut-être, un juif n’a gouverné directement et publiquement sous le titre de vizir et de chancelier. Souvent, il est vrai, des juifs ont joui d’une certaine considération auprès des souverains musulmans, qui aimaient surtout à leur confier l’administration des finances; mais d’ordinaire la tolérance musulmane n’allait pas jusqu’à souffrir patiemment qu’un juif fût premier ministre. Aussi la chose, si elle était possible quelque part, ne l’était qu’à Grenade. Les juifs y étaient si nombreux, qu’on l’appelait la ville des juifs[36 - Cronica del Moro Rasis, p. 37.], et comme ils étaient riches et puissants, ils se mêlaient assez souvent des affaires de l’Etat. C’est là, en un mot, qu’ils avaient trouvé, sinon la terre promise, au moins la manne au désert et le rocher d’Horeb. L’élévation de Samuel s’explique encore d’une autre manière. Il n’était pas facile pour le roi de Grenade de trouver un premier ministre, car, à vrai dire, il ne pouvait confier ce poste important ni à un Berber ni à un Arabe. Dans ce temps-là on voulait qu’un ministre fût très-lettré, qu’il fût en état de composer les lettres que l’on envoyait à d’autres princes et qui s’écrivaient en prose rimée, dans un style extrêmement recherché. Le roi de Grenade surtout tenait à des talents de cette nature. Il ressemblait à un parvenu qui tâche de se donner les airs du grand monde: à demi barbare, il prenait une peine infinie pour ne pas le paraître. Il se piquait d’avoir de la littérature, et prétendait même que la nation dont il était issu, celle de Cinhédja, n’était pas d’origine berbère, mais d’origine arabe[37 - Ibn-Haiyân, apud Ibn-Bassâm, t. I, fol. 122 r.]. Il lui fallait donc à tout prix un ministre qui ne le cédât en rien à ceux de ses voisins. Mais où le trouver? Ses Berbers savaient fort bien se battre, prendre des villes, les saccager et les brûler, mais ils étaient incapables d’écrire correctement une seule ligne dans la langue du Coran. Et quant aux Arabes, qui ne subissaient son joug qu’en frémissant de rage et de honte, il ne pouvait se fier à eux. Ils auraient tenu à honneur de le tromper, de le trahir. Dans ces circonstances un juif tel que Samuel, qui, selon le témoignage des savants arabes eux-mêmes, avait approfondi toutes les finesses de leur langue; qui, tout zélé qu’il était pour sa religion, ne se faisait cependant point scrupule, quand il écrivait à des musulmans, d’employer les formules religieuses qui leur étaient habituelles[38 - Voyez mon Introduction à la Chronique d’Ibn-Adhârî, p. 97.], devait être pour lui un véritable trésor. Et il n’eut point à rougir de l’avoir élevé au rang de premier ministre: son choix fut approuvé même par les Arabes. Malgré leur intolérance et leurs préjugés contre les enfants d’Israël, ils étaient forcés d’avouer que Samuel était un génie supérieur. Et de fait, son savoir était varié et immense. Il était mathématicien, logicien, astronome[39 - Ibid., p. 96, 97.]; il ne savait pas moins de sept langues[40 - Journ. asiat., p. 209, dans la note.]. Joignez-y qu’il était fort généreux envers les poètes et les hommes de lettres en général. Aussi ceux qu’il avait comblés de ses faveurs ne tarissaient pas sur son éloge, et le poète Monfatil lui adressa même ces vers, que les écrivains musulmans ne citent qu’avec une sainte horreur:

O toi qui as réuni en ta personne toutes les belles qualités dont d’autres ne possèdent qu’une partie, toi qui as rendu la liberté à la Générosité captive, tu es supérieur aux hommes les plus libéraux de l’Orient et de l’Occident, de même que l’or est supérieur au cuivre. Ah! si les hommes pouvaient distinguer la vérité de l’erreur, ils n’appliqueraient leur bouche que sur tes doigts. Au lieu de chercher à plaire à l’Eternel en baisant la pierre noire à la Mecque, ils baiseraient tes mains, car ce sont elles qui disposent du bonheur. Grâce à toi, j’ai obtenu ici-bas ce que je désirais, et j’espère que, grâce à toi, j’obtiendrai aussi là-haut ce que je souhaite. Quand je me trouve auprès de toi et des tiens, je professe ouvertement la religion qui prescrit d’observer le sabbat, et quand je suis auprès de mon propre peuple, je la professe en secret[41 - Ibn-Bassâm, t. I, fol. 200 r.].

Mais ce que les Arabes ne pouvaient estimer à sa juste valeur, c’étaient les services que Samuel rendait à la littérature hébraïque. Et ils étaient très-considérables. Il publia en hébreu une Introduction au Talmud et vingt-deux ouvrages relatifs à la grammaire, parmi lesquels le plus développé et le plus remarquable était le Livre de richesse, qu’un juge fort compétent, un coreligionnaire de Samuel qui florissait au douzième siècle, met au-dessus de tous les autres ouvrages qui traitent de la grammaire. Il était aussi poète: il donna des imitations des Psaumes, des Proverbes et de l’Ecclésiaste. Remplies d’allusions, de proverbes arabes, de sentences empruntées aux philosophes, d’expressions rares tirées des poètes sacrés, ces poésies étaient fort difficiles à comprendre; les juifs, même les plus savants, n’en saisissaient le sens qu’avec l’aide d’un commentaire[42 - Journ. asiat., p. 222-224.]; mais comme l’affectation et la recherche étaient alors aussi communes dans la littérature hébraïque que dans la littérature arabe qui lui servait de modèle, l’obscurité comptait plutôt pour un mérite que pour un vice. Il veillait, d’ailleurs, avec une sollicitude paternelle sur les jeunes étudiants juifs, et s’ils étaient pauvres, il pourvoyait généreusement à leurs besoins. Il avait à son service des écrivains qui copiaient le Michnâ et le Talmud, et il donnait ces copies en cadeau aux élèves qui n’avaient pas les moyens d’en acheter. Ses bienfaits ne se bornaient pas à ses coreligionnaires d’Espagne. En Afrique, en Sicile, à Jérusalem, à Bagdad, partout enfin les juifs pouvaient compter sur son appui et ses largesses[43 - Journ. asiat., p. 209.]. Aussi les juifs de la principauté de Grenade, voulant lui donner une preuve de leur estime et de leur reconnaissance, lui avaient décerné, dès l’année 1027, le titre de naghîd, c’est-à-dire de chef ou prince des juifs de Grenade.

Comme homme d’Etat, il joignait à un esprit vif et lucide un caractère ferme et une prudence consommée. D’ordinaire – qualité précieuse pour un diplomate – il parlait peu et pensait beaucoup. Il profitait de toutes les circonstances avec un savoir-faire merveilleux; il connaissait le caractère et les passions des hommes, et les moyens de les dominer par leurs vices. De plus, il était homme du monde. Dans les magnifiques salles de l’Alhambra il se montrait si parfaitement à son aise, qu’on l’eût cru né au sein du luxe. Personne ne parlait avec autant d’élégance ou d’adresse, ne maniait mieux la flatterie, ne savait avec plus d’art être caressant ou familier dans le discours, entraînant par sa verve ou persuasif par ses arguments. Et pourtant – chose rare chez ceux qu’un tour de roue de la fortune élève à une subite opulence et à une haute dignité – il n’avait rien de la hauteur d’un parvenu, rien de l’insolente et sotte infatuation généralement familière aux enrichis. Bienveillant et aimable pour tout le monde, il possédait cette dignité vraie qui résulte du naturel, du manque absolu de prétentions. Loin de rougir de son ancienne condition et de la vouloir cacher, il la glorifiait de son mieux, et imposait par sa simplicité même à ses détracteurs[44 - Voyez mon Introduction à la Chronique d’Ibn-Adhârî, p. 96, 97.].

Le vizir de Zohair d’Almérie, Ibn-Abbâs, était aussi un homme fort remarquable. On disait de lui qu’il n’avait point d’égal sous quatre rapports: le style épistolaire, la richesse, l’avarice et la vanité. Sa richesse était en effet presque fabuleuse. On évaluait sa fortune à plus de cinq cent mille ducats[45 - Cinq millions de francs; au pouvoir actuel de l’argent, trente-cinq millions.]. Son palais était meublé avec une magnificence princière et encombré de serviteurs; il y avait cinq cents chanteuses, toutes d’une rare beauté; mais ce que l’on y admirait surtout, c’était une immense bibliothèque, qui, sans compter d’innombrables cahiers détachés, contenait quatre-cent mille volumes. Rien ne semblait manquer au bonheur de ce favori de la fortune. Il était beau et encore jeune, car il comptait à peine trente ans; sa naissance était fort honorable, car il appartenait à l’ancienne tribu des défenseurs de Mahomet; il nageait dans l’or, et d’ailleurs, comme il était fort instruit, qu’il avait la repartie prompte et qu’il s’exprimait avec beaucoup de correction et d’élégance, il jouissait d’une haute réputation littéraire. Malheureusement une sorte de vertige s’était emparé de lui: sa présomption ne connaissait pas de bornes et elle lui avait fait des ennemis innombrables. Les Cordouans surtout étaient furieux contre lui, car une fois qu’il était venu dans leur ville avec Zohair, il avait traité avec le plus grand dédain les hommes les plus distingués par leur naissance ou par leurs talents, et en partant il avait dit: «Je n’ai vu ici que des sâïl et des djâhil (des mendiants et des ignorants).» Le fait est que sa présomption tenait de près à la folie. «Tous les hommes fussent-ils mes esclaves, disait-il dans ses vers, mon âme ne serait pas encore contente. Elle voudrait monter à un endroit plus élevé que les plus hautes étoiles, et arrivée là, elle voudrait monter encore.» Il avait aussi composé ce vers qu’il répétait à tout propos, mais principalement quand il jouait aux échecs:

Lorsqu’il s’agit de moi, le Malheur dort toujours, – et défense expresse lui a été faite de me frapper.

Cet insolent défi jeté à la destinée avait excité à Almérie l’indignation de tout le monde, et un hardi poète se fit l’interprète de l’opinion publique en substituant à la seconde moitié du vers ces mots qui étaient un pronostic véritable:

Mais le temps arrivera où la Destinée, qui ne dort jamais, l’éveillera (éveillera le Malheur).

Arabe pur sang, Ibn-Abbâs haïssait les Berbers et méprisait les juifs. Peut-être ne voulait-il pas précisément que son maître se joignît à la ligue arabe-slave, car dans ce cas Zohair aurait été jeté dans l’ombre par le chef de cette ligue, le cadi de Séville; mais il s’indignait du moins de le voir l’allié d’un Berber qui avait pour ministre un juif qu’il détestait et dont il se savait haï. De concert avec Ibn-Bacanna[46 - Moïse ben-Ezra (dans le Journ. asiat., p. 212, note) l’appelle Ibn-abî-Mousâ. Tel est en effet le nom que Homaidî donne au vizir Ibn-Bacanna, et c’est à tort que le copiste du man. d’Abd-al-wâhid (voyez mon édition de cet auteur, p. 43) a biffé le mot abî, qu’il avait écrit d’abord.], le vizir des Hammoudites de Malaga, il avait tâché d’abord de renverser Samuel. Pour y parvenir, il avait inventé d’innombrables calomnies, mais sans atteindre son but. Alors il avait essayé de brouiller son maître avec le roi de Grenade, en l’engageant à prêter son appui à Mohammed de Carmona, l’ennemi de Habbous, et ce plan lui avait réussi.

Peu de temps après, dans le mois de juin de l’année 1038[47 - Abbad., t. II, p. 34.], Habbous vint à mourir. Il laissa deux fils, dont l’aîné s’appelait Bâdîs et le cadet Bologguîn. Les Berbers et quelques juifs voulaient donner le trône à ce dernier; d’autres juifs, Samuel entre autres, penchaient pour Bâdîs, de même que les Arabes. Une guerre civile eût donc éclaté, si Bologguîn n’eût renoncé spontanément à la couronne, et quand il eut prêté serment à son frère, ses partisans, malgré qu’ils en eussent, furent obligés de suivre son exemple[48 - Journ. asiat., p. 206-208.].

Le nouveau prince fit tout ce qu’il put pour rétablir l’alliance avec le seigneur d’Almérie, et celui-ci déclara enfin que tout serait réglé dans une entrevue. Accompagné d’un nombreux et magnifique cortége, il se mit donc en marche, et arriva inopinément devant les portes de Grenade, sans avoir demandé la permission de franchir la frontière. Bâdîs fut profondément blessé de cette démarche inconvenante; néanmoins il reçut le prince d’Almérie avec beaucoup d’égards, régala somptueusement les gens de sa suite, et les combla de dons. La négociation, toutefois, n’aboutit pas; ni les princes, ni leurs ministres (Samuel avait conservé son poste) ne purent s’entendre. Joignez-y que Zohair, qui se laissait influencer par Ibn-Abbâs, prenait envers Bâdîs un ton de supériorité fort offensant. Aussi le roi de Grenade songeait déjà à punir le prince d’Almérie de son insolence, lorsqu’un de ses officiers, qui s’appelait Bologguîn, se chargea de faire une dernière tentative pour amener une réconciliation. La nuit venue, il se rendit donc auprès d’Ibn-Abbâs. «Craignez le châtiment de Dieu, lui dit-il. C’est vous qui faites obstacle à un raccommodement, car votre maître se laisse guider par vous. Cependant vous savez aussi bien que nous, qu’à l’époque où nous agissions de concert, nous étions heureux dans toutes nos entreprises, de sorte que nous faisions envie à tout le monde. Eh bien, rétablissons notre alliance! Le point sur lequel nous n’avons pu nous entendre jusqu’ici, c’est l’appui que vous prêtez à Mohammed de Carmona. Abandonnez ce prince à son sort, comme notre émir l’exige, et tout le reste s’arrangera de soi-même.» Ibn-Abbâs lui répondit d’un ton moitié protecteur, moitié dédaigneux, et quand le Berber essaya de toucher son cœur en l’embrassant et en versant des larmes: «Epargne-toi ces démonstrations et ces grands mots, lui dit-il, car ils n’ont aucun effet sur moi. Ce que je te disais hier, je te le dis aujourd’hui: si toi et les tiens, vous ne faites pas ce que nous voulons, je ferai en sorte que vous vous en repentirez.» Exaspéré par ces paroles: «Est-ce là la réponse que je dois rapporter au conseil?» demanda Bologguîn. «Sans doute, lui répondit Ibn-Abbâs, et si tu veux me prêter des termes encore plus forts que ceux dont je me suis servi, je te le permets volontiers.»

Pleurant d’indignation et de rage, Bologguîn retourna auprès de Bâdîs et de son conseil. Puis, quand il eut rapporté l’entretien qu’il avait eu avec le vizir: «Cinhédjites, s’écria-t-il, l’arrogance de cet homme est insupportable. Levez-vous tous pour la rabattre, sinon vos demeures ne vous appartiennent plus!» Les Grenadins partagèrent son courroux, et l’autre Bologguîn, le frère de Bâdîs, se montra le plus indigné de tous. Il somma son frère de prendre à l’instant même les mesures nécessaires pour punir les Almériens, et Bâdîs le lui promit.

En retournant vers ses Etats, Zohair avait à passer plusieurs défilés et un pont auquel un village voisin empruntait son nom d’Alpuente. Bâdîs ordonna de couper ce pont et envoya des soldats qu’il chargea d’occuper les défilés. Toutefois, comme il était moins exaspéré contre Zohair que son frère, et qu’il ne désespérait pas encore tout à fait de ramener l’ancien ami de son père à de meilleurs sentiments, il résolut de le faire avertir secrètement du péril qui le menaçait. A cet effet il eut recours à l’entremise d’un officier berber qui servait dans l’armée almérienne. Cet officier alla trouver Zohair pendant la nuit, et lui parla en ces termes: «Croyez-moi, seigneur, quand je vous assure que vous aurez de la difficulté à passer demain les défilés qui se trouvent sur votre route. Je vous conseille donc de partir à l’instant même; de cette manière vous serez peut-être en état de traverser les défilés avant que les Grenadins aient eu le temps de les occuper, et si alors ils vous poursuivent, vous pourrez leur livrer bataille dans la plaine ou vous mettre en sûreté dans une de vos forteresses.» Ce conseil parut ne pas déplaire à Zohair; mais Ibn-Abbâs, qui assistait à cet entretien, s’écria: «C’est la peur qui le fait parler ainsi.» «Quoi! dit alors l’officier, c’est en parlant de moi que vous dites cela? De moi qui ai pris part à vingt batailles, tandis que vous-même, vous n’en avez jamais vu une seule? Eh bien! vous verrez que l’événement me donnera raison.» Et il sortit indigné.

Les ennemis d’Ibn-Abbâs (et nous avons déjà dit qu’il en avait beaucoup) ont prétendu qu’il avait repoussé le conseil de l’officier berber, non parce qu’il le croyait mauvais, mais parce qu’il désirait que Zohair fût tué. Ibn-Abbâs, disaient-ils, avait l’ambition de régner à Almérie; il voulait donc que Zohair trouvât la mort en combattant contre les Grenadins, et quant à lui-même, il espérait qu’il lui serait possible de se sauver par la fuite et de se faire proclamer souverain à Almérie. Peut-être y a-t-il quelque chose de vrai dans cette accusation; nous verrons du moins que plus tard Ibn-Abbâs se vanta auprès de Bâdîs d’avoir attiré Zohair dans un piége.

Quoi qu’il en soit, Zohair se vit cerné, le lendemain matin (5 août 1038), par les troupes de Grenade. Ses soldats en furent consternés; mais lui-même ne perdit pas sa présence d’esprit. Il rangea aussitôt en bataille ses fantassins noirs, qui étaient au nombre de cinq cents, et ses Andalous; puis il ordonna à son lieutenant Hodhail de fondre sur les ennemis à la tête de la cavalerie slave. Hodhail obéit; mais le combat à peine engagé, il fut démonté, soit par un coup de lance, soit par un faux pas de son cheval, et alors ses cavaliers prirent la fuite dans le plus grand désordre. Au même instant Zohair fut trahi par ses nègres, dans lesquels il avait cependant une grande confiance. Ces nègres passèrent à l’ennemi, après s’être rendus maîtres du dépôt d’armes. Il ne restait donc que les Andalous; mais ceux-ci, qui étaient en général de fort mauvais soldats, n’eurent rien de plus pressé que de s’enfuir, et bon gré, mal gré, Zohair dut en faire autant. Comme le pont d’Alpuente était coupé et que les défilés étaient occupés par les ennemis, les fuyards durent chercher un refuge sur les montagnes. La plupart furent sabrés par les Grenadins qui ne donnaient point de quartier; d’autres trouvèrent la mort dans d’effroyables précipices, et de ce nombre fut Zohair lui-même.

Tous les fonctionnaires civils avaient été faits prisonniers, Bâdis ayant ordonné d’épargner leur vie. Ibn-Abbâs se trouvait parmi eux. Il croyait n’avoir rien à craindre et ne s’inquiétait que de ses livres. «Mon Dieu, mon Dieu, criait-il, que deviendront mes paquets!» Et s’adressant aux soldats qui le conduisaient vers Bâdîs: «Allez dire à votre maître, leur dit-il, qu’il prenne bien soin de mes paquets; il ne faut pas qu’il s’en déchire quelque chose, car ils contiennent des livres d’une valeur inestimable.» Puis, quand il fut arrivé en présence de Bâdîs: «Eh bien, lui dit-il en souriant, n’ai-je pas bien servi vos intérêts, puisque je vous ai livré les chiens que voilà?» et il désigna du doigt les prisonniers slaves. «Rendez-moi maintenant un service à votre tour, continua-t-il; ordonnez qu’on respecte mes livres; rien ne me tient tant au cœur.» Pendant qu’il parlait ainsi, les prisonniers almériens lui jetaient des regards furieux, et l’un d’entre eux, le capitaine Ibn-Chabîb, s’écria en s’adressant à Bâdîs: «Seigneur, je vous en conjure par celui qui vous a donné la victoire, ne laissez pas échapper cet infâme qui a perdu notre maître. Lui seul est coupable de tout ce qui est arrivé, et si je puis être témoin de son supplice, je me laisserai volontiers couper la tête l’instant d’après!» A ces paroles Bâdîs sourit d’une manière bienveillante, et ordonna de rendre la liberté au capitaine. Il fut le seul parmi les militaires qui eût la vie sauve; tous les autres furent livrés successivement au bourreau. Ibn-Abbâs, au contraire, fut le seul parmi les fonctionnaires civils qui ne fût pas remis en liberté. L’orgueilleux vizir connut enfin le malheur qu’il avait défié dans sa folle audace; il voyait s’accomplir la prédiction du poète almérien. Il fut enfermé dans un cachot de l’Alhambra, et les chaînes dont on le chargea ne pesaient pas moins de quarante livres. Il savait que Bâdîs était fort irrité contre lui, et que Samuel désirait sa mort. Toutefois il conservait encore quelque espoir; Bâdîs, à qui il avait fait offrir trente mille ducats comme le prix de sa délivrance, lui avait fait répondre qu’il prendrait sa demande en considération, et il avait laissé passer presque deux mois sans rien décider à son égard. Pendant ce temps des influences contraires se combattaient à la cour de Grenade: d’une part, l’ambassadeur cordouan sollicitait la liberté des prisonniers et principalement d’Ibn-Abbâs; de l’autre, l’ambassadeur et le beau-frère de l’Amiride Abdalazîz de Valence, Abou-’l-Ahwaç Man ibn-Çomâdih, insistait auprès de Bâdîs pour qu’il mît à mort tous les prisonniers, et Ibn-Abbâs en premier lieu. Abdalazîz s’était hâté de prendre possession de la principauté d’Almérie, sous le prétexte qu’elle lui revenait par droit de dévolution, Zohair ayant été un client de sa famille, et il craignait que si Ibn-Abbâs et les autres prisonniers recouvraient la liberté, ils ne lui disputassent le pouvoir. Bâdîs lui-même ne savait à quel parti s’arrêter; la cupidité et le désir de la vengeance se combattaient dans son cœur; mais un soir qu’il se promenait à cheval avec son frère Bologguîn, il lui parla de la proposition d’Ibn-Abbâs et lui demanda son avis. «Quand vous aurez accepté son argent, lui répondit Bologguîn, et qu’il aura recouvré la liberté, il vous suscitera une guerre qui vous coûtera le double de sa rançon. Je suis d’avis que vous ferez bien de le mettre à mort sans retard.»

La promenade finie, Bâdîs se fit amener son prisonnier et lui reprocha ses torts dans les paroles les plus dures. Ibn-Abbâs attendit avec résignation la fin de cette longue invective; puis, quand le roi eut cessé de parler: «Seigneur, s’écria-t-il, je vous en supplie, ayez pitié de moi; délivrez-moi de mes peines! – Tu en seras délivré aujourd’hui même,» lui répondit le prince; et comme il voyait briller une lueur d’espérance sur la pâle et morne figure de son prisonnier, il se tut quelques instants. Puis il reprit avec un sourire féroce: «Tu iras là où tu souffriras bien davantage.» Ensuite il dit à Bologguîn quelques paroles en berber, langue qu’Ibn-Abbâs ne comprenait pas; mais les derniers mots que Bâdîs lui avait adressés, son terrible sourire, son air menaçant et farouche, tout cela lui disait assez clairement que sa dernière heure allait sonner. «Prince, prince, s’écria-t-il en tombant à genoux, épargnez ma vie, je vous en conjure! Ayez pitié de mes femmes, de mes jeunes enfants! Ce n’est pas trente mille ducats que je vous offre, c’est soixante mille; mais au nom de Dieu, laissez-moi la vie!»

Bâdîs l’écouta sans mot dire; puis, brandissant son javelot, il le lui plongea dans la poitrine. Son frère Bologguîn et son chambellan Alî ibn-al-Carawî suivirent son exemple; mais Ibn-Abbâs, qui ne discontinuait pas d’implorer la clémence de ses bourreaux, ne tomba par terre qu’au dix-septième coup (24 septembre 1038)[49 - Ibn-Haiyân, apud Ibn-Bassâm, t. I, fol. 171 r. -175 r.; Ibn-al-Khatîb, man. G., fol. 134 v., 135 r. (article sur Zohair), 51 v. -52 v. (article sur Abou-Djafar Ahmed ibn-Abbâs al-Ançârî); Maccarî, t. II, p. 359, 360; Abbad., t. II, p. 34.].

Grenade ne tarda pas à apprendre que le riche et orgueilleux Ibn-Abbâs avait cessé de vivre. Les Africains s’en réjouirent, mais personne ne reçut cette nouvelle avec autant de satisfaction que Samuel. Il ne lui restait maintenant qu’un seul ennemi dangereux, Ibn-Bacanna, et un pressentiment secret lui disait que celui-là aussi périrait bientôt. De même que les Arabes, les juifs croyaient alors qu’on entendait parfois dans son sommeil un esprit qui prédisait l’avenir en vers, et une nuit qu’il dormait, Samuel entendit une voix qui lui récitait trois vers hébreux, dont voici le sens:

Déjà Ibn-Abbâs a péri, ainsi que ses amis et ses affidés; à Dieu louange et sanctification! Et l’autre ministre, celui qui complotait avec lui, sera promptement abattu et broyé comme la vesce. Que sont devenus tous leurs murmures, leur méchanceté et leur puissance? – Que le nom de Dieu soit sanctifié[50 - Voyez Moïse ben-Ezra, cité par M. Munk dans le Journ. asiat., p. 212. Dans ce passage il faut prononcer onchida, au passif, et non anchada, à l’actif, comme l’a fait M. Munk.]!

Peu d’années plus tard, comme nous serons obligé de le raconter, Samuel vit s’accomplir cette prédiction; tant il est vrai que les sentiments de haine ou d’amour donnent parfois une singulière prescience de l’avenir.




III


Bien malgré lui, Bâdîs avait rendu aux coalisés qui reconnaissaient le soi-disant Hichâm pour calife, un éclatant service alors qu’il fit assaillir et tuer Zohair. L’Amiride Abdalazîz de Valence, qui, comme nous l’avons dit, avait pris possession de la principauté d’Almérie, ne fut pas en état, il est vrai, de prêter du secours à son allié, le cadi de Séville, car il fut bientôt obligé de se défendre contre Modjéhid de Dénia, qui voyait de fort mauvais œil l’agrandissement des Etats de son voisin[51 - Voyez mes Recherches, t. I, p. 245.]; mais au moins le cadi n’avait plus à craindre une guerre contre Almérie, et parfaitement rassuré de ce côté-là, il ne songea désormais qu’à prendre l’offensive contre les Berbers, en commençant par Mohammed de Carmona, avec lequel il s’était brouillé. En même temps il entretenait des intelligences avec une faction à Grenade, et tâchait d’y faire éclater une révolution.

Bien des gens à Grenade étaient mécontents de Bâdîs. Au commencement de son règne, ce prince avait donné quelques espérances[52 - Voyez Abbad., t. I, p. 51.]; mais dans la suite il s’était montré de plus en plus cruel, perfide, sanguinaire et adonné à la plus honteuse ivrognerie. D’abord on se plaignit, puis on murmura, à la fin on conspira.

L’âme du complot était un aventurier qui s’appelait Abou-’l-Fotouh. Né à une grande distance de l’Espagne, d’une famille arabe établie dans le Djordjân, l’ancienne Hyrcanie, il avait étudié les belles-lettres, la philosophie et l’astronomie sous les professeurs les plus renommés de Bagdad. Mais il était encore autre chose qu’un savant: excellent cavalier et guerrier intrépide, il appréciait un noble coursier ou une épée bien trempée aussi bien qu’un beau poème ou un profond traité scientifique. Arrivé en Espagne dans l’année 1015, probablement pour y chercher fortune, il passa quelque temps à la cour de Modjéhid de Dénia. Là il s’entretenait tantôt de littérature avec ce savant prince, ou travaillait à son commentaire sur le traité grammatical qui porte le titre de Djomal; tantôt il combattait aux côtés du prince en Sardaigne; maintefois aussi il méditait sur les questions philosophiques les plus abstraites, ou tâchait de deviner l’avenir en observant le cours des astres. Ensuite, étant allé à Saragosse, la résidence de Mondhir, ce prince le prit d’abord en amitié et lui confia l’éducation de son fils; mais comme d’après l’observation fort juste, quoiqu’un peu rebattue, de l’historien arabe que nous suivons ici, les temps changent et les hommes avec eux, Mondhir lui fit un jour entendre qu’il n’avait plus besoin de ses services, et que, par conséquent, il lui permettait de quitter Saragosse. Abou-’l-Fotouh alla alors s’établir à Grenade, où il ouvrit un cours sur les anciennes poésies, et notamment sur le recueil connu sous le nom de Hamâsa[53 - Voyez sur Abou-’l-Fotouh Thâbit ibn-Mohammed al-Djordjânî, outre l’article d’Ibn-al-Khatîb, ceux que lui ont consacrés Soyoutî, dans son Dictionnaire biographique des grammairiens, et Homaidî. Comparez aussi l’article sur Modjéhid, dans Dhabbî (man. de la Société asiatique).]; mais il y fit encore autre chose: sachant que Bâdîs avait beaucoup d’ennemis, il stimula l’ambition de Yazîr, un cousin germain du roi, en l’assurant qu’il avait lu dans les étoiles que Bâdîs perdrait le trône et que son cousin régnerait trente ans. Il réussit ainsi à former une conspiration; mais Bâdîs ayant découvert le complot avant le temps fixé pour son exécution, Abou-’l-Fotouh, Yazîr et les autres conjurés eurent à peine le temps de se soustraire par la fuite à sa vengeance. Ils allèrent chercher un refuge auprès du cadi de Séville, sans doute leur complice, bien qu’il soit impossible de dire jusqu’à quel point il l’était[54 - Ibn-al-Khatîb, man. G., fol. 114 r. et v. (article sur Abou-’l-Fotouh).].

Sur ces entrefaites, le cadi avait attaqué Mohammed de Carmona, et son armée, commandée comme à l’ordinaire par son fils Ismâîl, avait déjà remporté de brillants avantages. Ossuna et Ecija avaient été forcées de se rendre, Carmona elle-même était assiégée. Réduit à la dernière extrémité, Mohammed demanda du secours à Idrîs de Malaga et à Bâdîs. L’un et l’autre répondirent à son appel: Idrîs, qui était malade, lui envoya des troupes sous les ordres de son ministre Ibn-Bacanna; Bâdîs vint en personne avec les siennes. Ces deux armées s’étant réunies, Ismâîl, plein de confiance dans le nombre et dans la bravoure de ses soldats, leur offrit aussitôt la bataille; mais Bâdîs et Ibn-Bacanna, voyant que l’ennemi avait la supériorité du nombre ou le croyant du moins, n’osèrent l’accepter, et sans trop se mettre en peine du seigneur de Carmona, ils l’abandonnèrent à son sort; l’un reprit la route de Grenade, l’autre celle de Malaga. Ismâîl se mit aussitôt à la poursuite des Grenadins. Heureusement pour Bâdîs, il y avait à peine une heure qu’Ibn-Bacanna s’était séparé de lui; il lui envoya donc en toute hâte un courrier, en le conjurant de venir à son secours, puisque, sans cela, il allait être écrasé par les Sévillans. Ibn-Bacanna le rejoignit sans retard, et les deux armées ayant opéré leur jonction dans le voisinage d’Ecija, elles attendirent l’ennemi de pied ferme.

Les Sévillans, qui croyaient avoir affaire à une armée en retraite, furent désagréablement surpris lorsqu’ils vinrent se heurter contre deux armées parfaitement préparées à les recevoir. Démoralisés par cette circonstance inattendue, le premier choc suffit pour jeter le désordre dans leurs rangs. Vainement Ismâîl tâcha-t-il de les rallier et de les ramener au combat: victime de sa bravoure, il fut tué le premier de tous. Dès lors les Sévillans ne songèrent plus qu’à se sauver[55 - Abd-al-wâhid, p. 44, 65; Abbad., t. II, p. 33, 34, 207, 217. Cf. Ibn-al-Khatîb, fol. 114 v.].

Demeuré maître du champ de bataille après une si facile victoire et ayant établi son camp près des portes d’Ecija, Bâdîs fut fort étonné en voyant venir Abou-’l-Fotouh se jeter à ses pieds. Ce qui l’amenait, c’était l’amour de sa famille. Il avait été obligé de quitter Grenade avec tant de précipitation, qu’il avait dû abandonner à leur sort sa femme et ses enfants. Il savait que Bâdîs les avait fait arrêter par le nègre Codâm, son grand prévôt, son Tristan-l’Ermite à lui, et que Codâm les avait fait enfermer à Almuñecar. Or, il aimait passionnément sa femme, une jeune et belle Andalouse, et sa tendresse pour ses enfants, un fils et une fille, était extrême. Ne pouvant se résoudre à vivre sans eux, et craignant surtout que Bâdîs ne se vengeât de son crime sur ces têtes chéries, il venait maintenant implorer son pardon, et quoiqu’il connût l’humeur implacable et sanguinaire du tyran, il espérait néanmoins que cette fois il ne serait pas inflexible, attendu qu’il avait déjà fait grâce à son oncle Abou-Rîch, qui avait également trempé dans le complot.

S’agenouillant donc devant le prince:

– Seigneur, lui dit-il, ayez pitié de moi! Je vous assure que je suis innocent.

– Quoi, s’écria Bâdîs le regard enflammé de colère, tu oses te présenter devant moi? Tu as semé la discorde dans ma famille, et à présent tu viens me dire que tu n’es pas coupable! Crois-tu donc qu’il soit si facile de me tromper?

– Pour l’amour de Dieu, soyez clément, seigneur! Souvenez-vous qu’un jour vous m’avez pris sous votre protection, et que, condamné à vivre loin des lieux qui m’ont vu naître, je suis déjà assez malheureux. Ne m’imputez pas le crime commis par votre cousin; je n’y ai participé d’aucune manière. Il est vrai que je l’ai accompagné dans sa fuite; mais je l’ai fait parce que, comme vous me saviez lié avec lui, je craignais d’être puni comme son complice. Me voici devant vous: si vous le voulez absolument, je suis prêt à m’avouer coupable d’un crime dont je suis innocent, pourvu que de cette manière je puisse obtenir votre pardon. Traitez-moi comme il sied à un grand roi, à un monarque qui est placé trop haut pour avoir de la rancune contre un pauvre homme comme moi, et rendez-moi ma famille.

– Certes, je te traiterai comme tu le mérites, s’il plaît à Dieu. Retourne à Grenade; tu y retrouveras ta famille, et quand j’y serai revenu, je règlerai tes affaires.

Rassuré par ces paroles, dont il ne remarqua pas d’abord l’ambiguïté, Abou-’l-Fotouh prit le chemin de Grenade sous l’escorte de deux cavaliers. Mais quand il fut arrivé dans le voisinage de la ville, Codâm le nègre exécuta les ordres qu’il venait de recevoir de son maître. Il fit donc arrêter Abou-’l-Fotouh par ses satellites, qui, après lui avoir rasé la tête, le placèrent sur un chameau. Un nègre d’une force herculéenne monta derrière lui, et se mit à le souffleter sans relâche. De cette manière il fut promené par les rues, après quoi on le jeta dans un cachot fort étroit, qu’il dut partager avec un de ses complices, un soldat berber qui avait été fait prisonnier dans la bataille d’Ecija.

Plusieurs jours se passèrent. Bâdîs était déjà de retour et pourtant il n’avait encore rien décidé à l’égard d’Abou-’l-Fotouh. Cette fois, au rebours de ce qui s’était passé alors qu’il s’agissait d’Ibn-Abbâs, c’était Bologguîn qui l’empêchait de prononcer l’arrêt fatal. Bologguîn s’intéressait au docteur, on ne sait pourquoi; il tâchait de prouver son innocence, et il le défendait avec tant de chaleur, que Bâdîs, craignant de le mécontenter, hésitait à prendre une résolution. Mais un jour que Bologguîn se grisait dans une orgie – ce qui lui arrivait fréquemment, de même qu’à son frère – Bâdîs se fit amener Abou-’l-Fotouh ainsi que son compagnon. Dès qu’il vit le docteur, il vomit contre lui un torrent d’injures; après quoi il continua en ces termes: «Tes étoiles ne t’ont servi de rien, menteur que tu es! N’avais-tu pas promis à ton émir, à ce pauvre imbécile dont tu avais fait ta dupe, qu’il m’aurait bientôt en son pouvoir et qu’il régnerait trente ans sur mes Etats? Pourquoi n’as-tu pas plutôt dressé ton propre horoscope? Tu aurais pu te préserver alors d’un grand malheur. Ta vie, misérable, est à présent entre mes mains!»

Abou-’l-Fotouh ne lui répondit rien. Quand il espérait revoir une épouse et des enfants qu’il adorait, il s’était abaissé à la prière et au mensonge; mais à présent, pleinement convaincu que rien ne pourrait fléchir ce perfide et farouche tyran, il retrouva toute sa fierté, toute la force de son âme, toute l’énergie de son caractère. Les yeux fixés sur le sol, un sourire méprisant sur les lèvres, il garda un silence plein de dignité. Cette attitude noble et calme mit le comble à l’irritation de Bâdîs. Ecumant de rage, il bondit de son siége, et tirant son épée, il la plongea dans le cœur de sa victime. Abou-’l-Fotouh reçut le coup fatal sans sourciller, sans qu’une plainte s’échappât de sa poitrine, et son courage arracha à Bâdîs lui-même un cri d’admiration involontaire. Puis, s’adressant à Barhoun, un de ses esclaves: «Tu couperas la tête à ce cadavre, lui dit le roi, et tu la feras attacher à un poteau. Quant au corps, tu l’enterreras à coté de celui d’Ibn-Abbâs. Il faut que mes deux ennemis reposent l’un à côté de l’autre jusqu’au jour du dernier jugement… Et maintenant c’est ton tour. Approche, soldat!»

Le Berber auquel s’adressaient ces paroles était en proie à une indicible angoisse et tremblait de tous ses membres. Tombant à genoux, il tâcha de s’excuser de son mieux et conjura le prince d’épargner sa vie. «Misérable, lui dit alors Bâdîs, as-tu donc perdu toute honte? Le docteur chez qui un peu de crainte eût été excusable, a subi la mort avec un courage héroïque, comme tu as pu le voir; il n’a pas daigné m’adresser une seule parole, et toi, vieux guerrier, toi qui te comptais parmi les plus braves, tu montres tant de lâcheté? Que Dieu n’ait pas pitié de toi, misérable!» Et il lui coupa la tête. (20 octobre 1039.)

Ainsi que Bâdîs l’avait ordonné, Abou-’l-Fotouh fut enseveli à côté d’Ibn-Abbâs. Les regrets de la partie intelligente et lettrée de la population de Grenade le suivirent dans la tombe, et maintefois, en passant près de l’endroit qui renfermait sa dépouille mortelle, l’Arabe, condamné à porter en silence le joug d’un étranger et d’un barbare, murmurait tout bas: «Ah! quels savants incomparables étaient-ils, ceux dont les ossements reposent ici!.. Dieu seul est immortel; que son nom soit glorifié et sanctifié!»[56 - Ibn-al-Khatîb, fol. 114 v. -115 v.]




IV


Le sanguinaire tyran de Grenade devenait de plus en plus le chef de son parti. Il est vrai qu’il reconnaissait encore la suzeraineté des Hammoudites de Malaga, mais ce n’était que pour la forme. Ces princes étaient très-faibles: ils se laissaient dominer par leurs ministres, ils s’exterminaient les uns les autres par le fer ou par le poison, et loin de pouvoir songer à contrôler leurs puissants vassaux, ils s’estimaient heureux s’ils réussissaient à régner, avec quelque apparence de tranquillité, sur Malaga, Tanger et Ceuta.

Il y avait, d’ailleurs, une profonde différence entre ces deux cours. A celle de Grenade il n’y avait que des Berbers ou des hommes qui, comme le juif Samuel, agissaient constamment dans l’intérêt berber. Il y régnait, par conséquent, une remarquable unité de vues et de plans. A la cour de Malaga, au contraire, il y avait aussi des Slaves, et tôt ou tard les jalousies, les rivalités, les haines, qui avaient tant contribué à renverser les Omaiyades, devaient s’y faire jour.

Le calife Idrîs I


, déjà malade au moment où il envoya ses troupes contre les Sévillans, rendit le dernier soupir deux jours après qu’il eut reçu la tête d’Ismâîl, qui avait été tué dans la bataille d’Ecija. Aussitôt la lutte s’engage entre Ibn-Bacanna, le ministre berber, et Nadjâ, le ministre slave. Le premier veut donner le trône à Yahyâ, le fils aîné d’Idrîs, pleinement convaincu que dans ce cas le pouvoir lui appartiendra. Le Slave s’y oppose. Premier ministre dans les possessions africaines, il y proclame calife Hasan ibn-Yahyâ, un cousin germain de l’autre prétendant, et prépare tout pour passer le Détroit avec lui. D’un caractère moins ferme, moins audacieux, le ministre berber se laisse intimider par l’attitude menaçante du Slave. Ne sachant à quelle résolution s’arrêter, il veut tantôt persister dans son projet, et tantôt y renoncer. Dans son indécision, il néglige de prendre les mesures nécessaires. Tout à coup il voit la flotte africaine mouiller dans la rade de Malaga. Il s’enfuit en toute hâte, et se retire à Comarès avec son prétendant. Hasan, maître de la capitale, lui fait dire qu’il lui pardonne et qu’il lui permet de revenir. Le Berber se fie à sa parole, mais on lui coupe la tête. La prédiction que le juif Samuel avait cru entendre dans son rêve, s’était donc accomplie.

Bientôt après, le compétiteur de Hasan fut aussi mis à mort. Peut-être Nadjâ fut-il seul coupable de ce crime, comme quelques historiens donnent à l’entendre; mais Hasan dut en subir la punition. Il fut empoisonné par sa femme, la sœur du malheureux Yahyâ.

Alors Nadjâ crut pouvoir se passer d’un prête-nom. D’un souverain il voulait posséder non-seulement l’autorité, mais aussi le titre. Ayant donc tué le fils de Hasan, qui était encore fort jeune, et jeté son frère Idrîs en prison, il se proposa hardiment aux Berbers comme souverain, et tâcha de les gagner par les promesses les plus brillantes. Quoique profondément indignés de son incroyable audace, de son ambition sacrilége – car ils avaient pour les descendants du Prophète une vénération presque superstitieuse – les Berbers crurent toutefois devoir attendre, pour le punir, un moment plus favorable. Ils répondirent donc qu’ils lui obéiraient et lui prêtèrent serment.

Nadjâ annonça alors son intention d’aller enlever Algéziras au Hammoudite Mohammed qui y régnait. On se mit en campagne; mais déjà dans les premières rencontres avec l’ennemi, le Slave put remarquer que les Berbers se battaient mollement et qu’il ne pouvait pas compter sur eux. Il crut donc agir sagement en donnant l’ordre de la retraite. Il avait formé le projet d’exiler les Berbers les plus suspects dès qu’il serait de retour dans la capitale, de gagner les autres à force d’argent, et de s’entourer d’autant de Slaves que cela lui serait possible. Mais ses ennemis les plus acharnés furent informés de son plan ou le devinèrent, et au moment où l’armée passait par un étroit défilé, ils fondirent sur l’usurpateur et le tuèrent (5 février 1043[57 - Cette date se trouve chez Ibn-Bassâm, t. I, fol. 224 v.]).

Pendant que la plus grande confusion régnait parmi les troupes, les Berbers poussant des cris de joie et les Slaves prenant la fuite parce qu’ils craignaient de partager le sort de leur chef, deux des meurtriers galopèrent vers Malaga à bride abattue. En arrivant dans la ville: «Bonne nouvelle, bonne nouvelle, crièrent-ils, l’usurpateur est mort!» Puis, se précipitant sur le lieutenant de Nadjâ, ils l’assassinèrent. Idrîs, le frère de Hasan, fut tiré de sa prison et proclamé calife.

Dès lors le rôle des Slaves était fini à Malaga; mais la tranquillité, un moment rétablie, ne fut pas de longue durée.

Idrîs II n’était pas, à coup sûr, un grand esprit, mais il était bon, charitable, presque exclusivement occupé de répandre des bienfaits. S’il n’eût tenu qu’à lui, personne n’eût été malheureux. Il rappela tous les exilés, de quelque parti qu’ils fussent, et leur rendit leurs biens; jamais il ne voulait prêter l’oreille à un délateur; chaque jour il faisait distribuer cinq cents ducats aux pauvres. Sa sympathie pour les hommes du peuple, avec lesquels il aimait à s’entretenir, contrastait singulièrement avec le faste, l’ostentation et la scrupuleuse étiquette de sa cour. En leur qualité de descendants du gendre du Prophète, les Hammoudites étaient, aux yeux de leurs sujets, presque des demi-dieux. Pour entretenir une illusion si favorable à leur autorité, ils se montraient rarement en public et s’entouraient d’une sorte de mystère. Idrîs lui-même, malgré la simplicité de ses goûts, ne s’écarta pas du cérémonial établi par ses prédécesseurs: un rideau le dérobait aux regards de ceux qui lui parlaient; seulement, comme il était la bonhomie en personne, il oubliait parfois son rôle. Un jour, par exemple, un poète de Lisbonne lui récita une ode. Il vanta sa charité et glorifia aussi sa noble origine. «Tandis que les autres mortels ont été créés d’eau et de poussière, disait-il dans son langage bizarre, les descendants du Prophète ont été créés de l’eau la plus pure, l’eau de la justice et de la piété. Le don de la prophétie est descendu sur leur aïeul, et l’ange Gabriel, invisible pour nous, plane sur leur tête. Le visage d’Idrîs, le commandeur des croyants, ressemble au soleil levant, qui éblouit par ses rayons les yeux de ceux qui le regardent, et pourtant, prince, nous voudrions vous voir, afin de pouvoir profiter de votre lumière, émanation de celle qui entoure le seigneur de l’univers.» «Lève le rideau!» dit alors le calife à son chambellan, car jamais il ne repoussait une prière. Plus heureux que cette pauvre amante de Jupiter qui périt victime de sa fatale curiosité, le poète put alors contempler à son aise la figure de son Jupiter à lui, laquelle, si elle ne répandait pas une lumière foudroyante, portait au moins l’empreinte de la bienveillance et de la bonté. Peut-être lui plut-elle mieux, telle qu’elle était, que si elle eût été entourée de ces rayons éblouissants dont il avait parlé dans ses vers. Il est certain du moins qu’ayant reçu un beau cadeau, il se retira fort content.

Malheureusement pour la dignité et la sûreté de l’Etat, Idrîs joignait à une grande bonté de cœur une extrême faiblesse de caractère. Il ne savait ou n’osait rien refuser à qui que ce fût. Bâdîs ou un autre lui demandait-il un château ou autre chose, il lui accordait toujours sa demande. Un jour Bâdîs le somma de lui livrer son vizir, lequel avait eu le malheur de lui déplaire. «Hélas, mon ami, dit alors Idrîs à son ministre, voici une lettre du roi de Grenade dans laquelle il me demande de vous mettre entre ses mains. J’en suis bien affligé, mais vraiment, je n’ose lui répondre par un refus. – Faites donc ce qu’il veut, répondit cet excellent homme, un vieux serviteur de la famille; Dieu me donnera des forces, et vous verrez que je saurai supporter mon sort avec résignation et avec courage.» Arrivé à Grenade, il eut la tête coupée…

Tant de faiblesse irrita les Berbers, déjà blessés par la sympathie qu’Idrîs montrait pour le peuple, par ses tendances socialistes comme on dirait aujourd’hui; mais elle exaspéra surtout les nègres. Accoutumés au régime du fouet, du sabre et de la potence, ils méprisaient un maître qui ne prononçait jamais un arrêt de mort. Il y avait donc beaucoup de mécontentement, lorsque le gouverneur du château d’Airos[58 - Cet endroit n’existe plus, à ce qu’il paraît.] donna le signal de la révolte. Geôlier des deux cousins d’Idrîs, il les remit en liberté, et proclama calife l’aîné, Mohammed. Alors les nègres qui formaient la garnison du château de Malaga, se mirent en insurrection et invitèrent Mohammed à se rendre au milieu d’eux. Le peuple de Malaga, toutefois, rempli d’amour pour le prince qui avait été son bienfaiteur, ne l’abandonna pas à l’heure du danger. Ces braves gens accoururent en foule auprès de lui et demandèrent à grands cris des armes, en l’assurant que, s’ils en avaient, les nègres ne tiendraient pas une heure dans le château. Idrîs les remercia de leur dévoûment, mais il refusa leur offre en disant: «Retournez dans vos demeures; je ne veux pas qu’il périsse un seul homme pour ma querelle.» Mohammed put donc faire son entrée dans la capitale, et Idrîs alla le remplacer dans la prison d’Airos. Ils avaient échangé leurs rôles (1046-7).

Le nouveau calife ne ressemblait pas à son prédécesseur, mais à sa mère, une vaillante amazone qui aimait à vivre dans les camps, à surveiller les préparatifs d’une bataille ou les travaux d’un siége, à stimuler par ses paroles ou par son or le courage des soldats. Il poussait la bravoure jusqu’à la témérité; mais il était en même temps d’une sévérité inexorable, et si Idrîs avait manqué d’énergie, Mohammed (tel, du moins, fut bientôt l’avis des auteurs de la révolution) n’en avait que trop. C’était la fable des grenouilles qui avaient demandé un roi à Jupiter. A l’exemple de la «gent marécageuse,» comme dit le bon la Fontaine, Berbers et nègres en vinrent bientôt à maudire la terrible grue et à regretter le pacifique soliveau. Un complot se forma; les conjurés entrèrent en négociations avec le gouverneur d’Airos qui se laissa facilement gagner par eux, et qui rendit la liberté à Idrîs II, après l’avoir reconnu pour calife. Cette fois Idrîs ne recula pas devant l’idée d’une guerre civile; le monotone séjour dans un cachot avait vaincu ses scrupules; mais Mohammed, soutenu par sa mère, combattit ses adversaires avec tant de vigueur, qu’il les contraignit à mettre bas les armes. Cependant ils ne lui livrèrent pas Idrîs; avant de faire leur soumission, ils le firent passer en Afrique, où commandaient deux affranchis berbers, à savoir Sacaute[59 - Abd-al-wâhid écrit ce nom Sacât, d’autres l’écrivent Sacout, ou, d’après la prononciation des Arabes d’Espagne, Sacôt (prononcez le t). Je crois donc que la voyelle longue dans la seconde syllabe a un son intermédiaire entre l’â et l’ô. En français on peut rendre ce son par la diphthongue au.], qui était gouverneur de Ceuta, et Rizc-allâh, qui l’était de Tanger. Sacaute et Rizc-allâh l’accueillirent avec beaucoup d’égards et firent faire les prières publiques en son nom; mais au reste ils ne lui concédèrent aucune autorité réelle; jaloux de leur propre pouvoir, ils le gardèrent étroitement, l’empêchèrent de se montrer en public, et ne permirent à personne d’approcher de lui. Quelques seigneurs berbers, ennemis secrets des deux gouverneurs, trouvèrent cependant le moyen de lui parler et lui dirent: «Ces deux esclaves vous traitent comme un captif et vous empêchent de gouverner par vous-même. Donnez-nous plein pouvoir et nous saurons bien vous délivrer.» Mais Idrîs, toujours doux et débonnaire, refusa leur offre; dans la candeur de son âme, il raconta même aux deux gouverneurs tout ce qu’il venait d’entendre. Les seigneurs en question furent frappés à l’instant même d’une sentence d’exil; mais comme il y avait peut-être quelque raison de craindre qu’une autre fois Idrîs ne prêtât l’oreille aux insinuations des mécontents, Sacaute et Rizc-allâh le renvoyèrent en Espagne, sans cesser toutefois de le reconnaître comme calife dans les prières publiques. Idrîs alla chercher un asile auprès du chef berber de Ronda[60 - D’après Ibn-Khaldoun, il alla à Comarès, mais j’ai cru devoir suivre Homaidî.].

Sur ces entrefaites, les mécontents de Malaga avaient imploré le secours de Bâdîs. Celui-ci déclara d’abord la guerre à Mohammed, mais bientôt après, il se réconcilia avec lui. Alors on proclama le prince d’Algéziras, qui portait aussi le nom de Mohammed et qui prit à son tour le titre de calife. A cette époque il y en avait donc quatre depuis Séville jusqu’à Ceuta: c’étaient le soi-disant Hichâm II à Séville, Mohammed à Malaga, l’autre Mohammed à Algéziras, et enfin Idrîs II. Deux d’entre eux n’avaient en réalité aucun pouvoir; les deux autres étaient des princes d’une mince importance, des roitelets, et l’abus du titre de calife était d’autant plus ridicule que, dans sa véritable acception, il indiquait le souverain de tout le monde musulman.

Le prince d’Algéziras échoua dans sa tentative. Abandonné par ceux qui l’avaient appelé, il retourna précipitamment dans son pays, et mourut, peu de jours après, de honte et de douleur (1048-9).

Quatre ou cinq ans plus tard, Mohammed de Malaga rendit aussi le dernier soupir. Un de ses neveux (Idrîs III) aspira au trône, mais sans succès; cette fois, on rétablit le bon Idrîs II, et le destin ayant enfin cessé de le persécuter, il régna paisiblement jusqu’à ce qu’il payât, lui aussi, son tribut à la nature (1055). Un autre Hammoudite crut régner à sa place, mais Bâdîs frustra ses espérances. Véritable chef du parti berber, le roi de Grenade ne voulait plus d’un calife; il avait résolu d’en finir avec les Hammoudites et d’incorporer la principauté de Malaga dans ses Etats. Il exécuta son projet sans rencontrer de grands obstacles. Les Arabes, il est vrai, ne se soumirent à lui qu’à contre-cœur; mais ayant gagné les plus influents d’entre eux, tels que le vizir-cadi Abou-Abdallâh Djodhâmî[61 - Voyez Ibn-al-Khatîb, man. G., fol. 107 v. (article sur Bologguîn, fils de Bâdîs).], il se soucia peu des murmures des autres; et quant aux Berbers, comme ils étaient convaincus de la faiblesse de leurs princes et de la nécessité de s’unir étroitement à leurs frères de Grenade, s’ils voulaient se maintenir contre le parti arabe qui gagnait chaque jour du terrain dans le Sud-ouest, ils favorisèrent les projets de Bâdîs plutôt qu’ils ne les contrarièrent. Le roi de Grenade devint donc maître de Malaga et tous les Hammoudites furent exilés. Ils jouèrent encore un rôle en Afrique, mais celui qu’ils avaient rempli en Espagne était terminé[62 - Abd-al-wâhid, p. 45-49; Ibn-Khaldoun, fol. 22 v., 23 r.; Maccarî, t. I, p. 132, 282-284.].




V


Afin de ne pas interrompre notre rapide esquisse de l’histoire de la principauté de Malaga, nous avons tant soit peu anticipé sur les événements, et comme à présent nous allons jeter un coup d’œil sur les progrès que le parti arabe avait faits dans cet intervalle, nous devons nous reporter quelques années en arrière.

Le cadi de Séville, Abou-’l-Câsim Mohammed, étant mort à la fin de janvier 1042, son fils Abbâd, qui comptait alors vingt-six ans, lui avait succédé sous le titre de hâdjib, ou premier ministre du soi-disant Hichâm II. Dans l’histoire il est connu sous le nom de Motadhid, et bien qu’il ne prît ce titre que plus tard, nous l’appellerons ainsi dès à présent, afin d’éviter la confusion qu’un changement de nom pourrait faire naître.

Le nouveau chef du parti arabe dans le Sud-ouest réalisait en sa personne une des physionomies les plus accentuées qu’ait jamais produites la verte vieillesse d’une société. C’était en tout point le digne rival de Bâdîs, le chef de la faction opposée. Soupçonneux, vindicatif, perfide, tyrannique, cruel et sanguinaire comme lui, comme lui adonné à l’ivrognerie, il le surpassait en luxure. Nature mobile et voluptueuse s’il en fut, ses appétits étaient insatiables et incessants. Aucun prince d’alors n’avait un sérail aussi nombreux que le sien: huit cents jeunes filles, assure-t-on, y entrèrent successivement[63 - Abbad., t. II, p. 48; t. I, p. 245.].

D’ailleurs, malgré la ressemblance générale, les deux princes n’avaient pas tout à fait le même caractère; leurs goûts, leurs habitudes différaient sur bien des points. Bâdîs était un barbare ou peu s’en faut; il dédaignait les belles manières, la culture de l’esprit, la civilisation. Point de poètes dans les salles de l’Alhambra; parlant ordinairement le berber, Bâdîs aurait à peine compris leurs odes. Motadhid, au contraire, avait reçu une éducation soignée; il ne pouvait prétendre, à la vérité, au titre de savant; il n’avait pas fait de vastes lectures; mais, comme il était doué d’un tact fin et pénétrant et d’une excellente mémoire, il savait plus qu’un homme du monde ne sait ordinairement. Les poèmes qu’il composa, et qui, indépendamment de leur valeur littéraire, ne sont pas sans intérêt quand on veut connaître à fond son caractère, lui valurent parmi ses contemporains la réputation d’un bon poète[64 - Abbad., t. I, p. 245.]. Il était ami des lettres et des arts. Pour un peu d’encens, il comblait les poètes de cadeaux. Il aimait à faire bâtir de magnifiques palais[65 - Abbad., t. I, p. 243.]. Jusque dans la tyrannie il apportait une certaine érudition; il avait pris pour modèle le calife de Bagdad dont il avait adopté le titre, tandis que Bâdîs ignorait probablement à quelle époque ce calife avait vécu. Buveurs tous les deux, Bâdîs se grisait brutalement, grossièrement, sans honte ni vergogne, comme un rustre ou comme un troupier. Motadhid, toujours homme du monde, toujours grand seigneur, ne faisait rien sans grâce; il apportait un certain bon goût, une certaine distinction, jusque dans ses orgies, et tout en buvant d’une manière immodérée, lui-même et ses compagnons de débauche improvisaient des chansons bachiques qui se distinguaient par un tact merveilleux, par une grande délicatesse d’expression. Sa puissante organisation se prêtait également au plaisir et au travail; viveur effréné et travailleur prodigieux, il passait de la fièvre des passions à celle des affaires. Il aimait à s’absorber tout entier dans ses occupations de prince, mais après des efforts surhumains qu’il faisait pour regagner le temps donné aux plaisirs, il lui fallait l’ivresse de nouveaux désordres pour retremper ses forces[66 - Voyez Abbad., t. I, p. 243, et un poème de Motadhid, ibid., p. 53.]. Chose étrange! ce tyran dont le terrible regard faisait trembler les nombreuses beautés de son sérail, a composé pour quelques-unes d’entre elles des vers d’une galanterie exquise, d’une suavité charmante.

Il y avait donc entre Bâdîs et Motadhid la distance qui sépare le scélérat barbare du scélérat civilisé; mais, à tout prendre, le barbare était le moins profondément dépravé des deux. Bâdîs apportait une certaine franchise brutale jusque dans le crime; Motadhid était impénétrable, même pour ses affidés. Tandis que son regard scrutateur épiait sans cesse les pensées les plus secrètes des autres et les devinait, personne ne surprenait jamais un mouvement de sa physionomie ni un accent de sa parole[67 - Abbad., t. I, p. 244.]. Le prince de Grenade payait de sa personne sur les champs de bataille; celui de Séville, quoiqu’il fût presque constamment en guerre et qu’il ne manquât pas de courage, ne commanda ses troupes qu’une ou deux fois dans toute sa vie; d’ordinaire il traçait du fond de sa tanière, comme dit un historien arabe, les plans de campagne à ses généraux[68 - Abbad., t. I, p. 243.]. Les ruses de Bâdîs étaient grossières et il était facile de les déjouer; celles de Motadhid, bien calculées et subtiles, échouaient rarement. C’était là son fort, et l’on raconte à ce sujet une histoire qui mérite d’être rapportée.

En guerre contre Carmona, Motadhid entretenait une correspondance secrète avec un habitant arabe de cette ville, qui l’informait des mouvements et des desseins des Berbers. Afin que les lettres qu’ils s’écrivaient ne fussent pas interceptées et que personne ne soupçonnât leurs intrigues, il fallait naturellement une grande circonspection. Or, Motadhid, d’après un plan qu’il avait concerté avec son espion, fit venir un jour dans son palais un paysan des environs, homme simple et sans malice s’il en fut, et lui dit: «Ote ta casaque qui ne vaut rien, et revêts cette djobba. Elle est assez belle comme tu vois, et je t’en fais cadeau à condition que tu feras ce que je vais te dire.» Rempli de joie, le paysan revêtit la djobba sans soupçonner que la doublure de cet habit cachait une lettre que Motadhid voulait faire tenir à son espion, et promit d’exécuter fidèlement les ordres que le prince voudrait bien lui donner. «Fort bien, reprit alors Motadhid; voici ce que tu as à faire: tu prendras le chemin de Carmona; quand tu seras arrivé dans le voisinage de cette ville, tu ramasseras du bois et tu en formeras un fagot. Cela fait, tu entreras dans la ville et tu iras le mettre à l’endroit où les marchands de fagots se tiennent ordinairement; mais tu ne vendras le tien qu’à celui qui t’en offrira cinq dirhems.»

Le paysan, quoiqu’il ne devinât nullement le motif de ces ordres singuliers, s’empressa d’y obéir. Il partit donc de Séville, et arrivé près de Carmona, il se mit à fagoter; mais comme il n’en avait pas l’habitude et qu’il y a fagots et fagots selon le proverbe, il entra dans la ville avec un faisceau de branchages bien maigre, bien chétif, et alla se placer sur le marché.

– Combien coûte-t-il, ce fagot? lui demanda un passant.

– Cinq dirhems, sans en rien rabattre; c’est à prendre ou à laisser, lui répondit le paysan.

L’autre lui rit au nez.

– Bon Dieu! dit-il, c’est donc sans doute de l’ébène que tu as là?

– Mais non, dit un autre, c’est du bambou.

Et chacun de lancer son petit bon-mot au paysan et de le railler.

Déjà le jour baissait, lorsqu’un homme qui n’était autre que l’espion de Motadhid, s’approcha du paysan, et lui ayant demandé le prix de son fagot, il l’acheta; après quoi il lui dit:

– Prends ce bois sur tes épaules et porte-le à ma demeure. Je vais te montrer le chemin.

Quand ils furent arrivés à la maison, le paysan déposa sa charge, et ayant reçu ses cinq dirhems, il voulut s’en aller.

– Où vas-tu à cette heure avancée? lui demanda le maître de la maison.

– Je vais sortir de la ville, car je ne suis pas d’ici, lui répondit le paysan.

– Y songes-tu? Ignores-tu donc qu’il y a des brigands sur les routes? Reste ici; je suis à même de t’offrir un souper et un gîte, et demain de bonne heure tu pourras te remettre en voyage.

Le paysan accepta cette offre avec reconnaissance. Bientôt un bon souper lui fit oublier les railleries auxquelles il avait été en butte, et quand il eut mangé d’un excellent appétit:

– Apprends-moi maintenant d’où tu viens, lui dit son hôte.

– Des environs de Séville, où je demeure.

– Dans ce cas, mon frère, tu me parais bien courageux, bien hardi, d’avoir osé venir ici, car tu dois connaître la cruauté, la férocité de nos Berbers, tu dois savoir qu’ils vous tuent un homme en moins de rien. C’est sans doute quelque grave motif qui t’amène?

– Nullement; mais il faut gagner sa vie, et puis, personne ne s’avisera de maltraiter un pauvre paysan inoffensif comme moi.

On causa jusqu’à ce que le paysan se sentît gagner par le sommeil. Son hôte le conduisit alors au gîte qu’il lui destinait. L’autre voulut se coucher sans se déshabiller; mais l’homme de Carmona lui dit:

– Ote ta djobba; tu dormiras mieux alors et tu te réveilleras plus rafraîchi, car la nuit est tiède.

Le paysan le fit et bientôt après il dormait profondément. Alors l’espion prit la djobba, en décousit la doublure, trouva la lettre de Motadhid, la lut, y répondit sur-le-champ, mit sa propre lettre à la place de celle du prince, recousit la doublure sans qu’il y parût, et remit la djobba à l’endroit où le paysan l’avait mise. Ce dernier, s’étant levé le lendemain de bonne heure, la revêtit, et après avoir remercié l’habitant de Carmona de sa généreuse hospitalité, il reprit la route de Séville.

Quand il y fut de retour, il se présenta devant Motadhid et lui raconta ses aventures.

– Je suis content de toi, lui dit alors le prince d’un air bienveillant, et tu mérites une récompense. Ote donc ta djobba et laisse-la-moi; voici un habillement complet dont je te fais cadeau.

Se sentant à peine de joie, le paysan prit les beaux habits que le prince lui offrait, et alla raconter avec un certain orgueil à ses amis, à ses voisins, à tous ceux qu’il connaissait, que le prince lui avait donné des vêtements d’honneur, tout comme s’il eût été un homme d’importance, un haut fonctionnaire ou une altesse. Qu’il avait servi de courrier extraordinaire, de porteur de dépêches tellement importantes, qu’elles lui eussent coûté la vie, si les Berbers les eussent trouvées sur lui, c’est ce dont il n’eut pas le moindre soupçon[69 - Abd-al-wâhid, p. 68-70.].

Il était bien rusé, le prince de Séville, bien fertile en expédients, en stratagèmes, en artifices de tout genre; il avait à son service tout un arsenal d’embûches, et malheur à celui qui avait provoqué sa colère! Un tel homme avait beau chercher un asile dans un autre pays: fût-il allé se cacher au bout du monde, la vengeance du prince l’atteignait infailliblement. Un aveugle, raconte-t-on, avait été privé par Motadhid de la plus grande partie de ses biens; il en avait dépensé le reste, et, complétement ruiné, il était allé comme pèlerin mendiant à la Mecque. Là il maudissait sans cesse et en public le tyran qui l’avait réduit à la mendicité. Motadhid l’apprit, et ayant fait venir un de ses sujets qui allait faire le pèlerinage de la Mecque, il lui remit une cassette qui contenait des pièces d’or enduites d’un poison mortel. «Quand tu seras arrivé à la Mecque, lui dit-il, tu feras tenir cette cassette à notre concitoyen aveugle. Tu lui diras que c’est un cadeau que je lui fais et tu le salueras de ma part. Mais prends garde de ne pas ouvrir la cassette.» L’autre promit d’exécuter ces ordres et se mit en route. Arrivé à la Mecque et ayant rencontré l’aveugle:

– Voici une cassette que Motadhid t’envoie, lui dit-il.

– Bon Dieu! elle rend un son métallique, s’écria l’aveugle, il y a de l’or là-dedans! Mais comment se peut-il qu’à Séville Motadhid me réduise à la misère et qu’en Arabie il m’enrichisse?

– Les princes ont de singuliers caprices, répliqua l’autre. Peut-être aussi que Motadhid, convaincu à cette heure de l’injustice qu’il t’a faite, en éprouve des remords. Enfin, je n’en sais rien et cela ne me regarde pas; j’ai fait ma commission, cela me suffit. Prends toujours ce cadeau; c’est pour toi un bonheur inespéré.

– Je le crois bien, reprit l’aveugle; mille mercis pour ta peine et assure le prince de ma gratitude.

Son trésor sous le bras, le pauvre homme courut à son misérable taudis avec autant de vitesse que sa cécité le lui permettait, et après avoir soigneusement fermé la porte, il s’empressa d’ouvrir sa cassette.

Il n’y a, dit-on, rien de plus enivrant pour un malheureux qui a lutté longtemps contre la misère et que le hasard enrichit tout d’un coup, que de couver des yeux son monceau d’or, de se laisser éblouir par l’éclat de ces belles pièces luisantes. Aveugle, le Sévillan ne pouvait se donner une telle jouissance; chez lui, le tact et l’ouïe devaient remplacer la vue, et ravi, plongé dans une extase délicieuse, il tâtait, palpait, maniait ses chères espèces, les faisait sonner, les comptait, les plaçait dans sa bouche, les goûtait pour ainsi dire… Le poison produisit son effet: avant la nuit venue le malheureux était un cadavre[70 - Abd-al-wâhid, p. 67, 68.].

Bâdîs et Motadhid étaient tous les deux cruels, mais avec des nuances assez sensibles. Tandis que le premier, dans ses accès d’aveugle fureur, massacrait souvent ses victimes de ses propres mains, Motadhid empiétait rarement sur les attributions du bourreau; mais quoiqu’il n’aimât pas à souiller de sang ses mains aristocratiques, la haine chez lui était plus implacable, plus tenace, que chez son rival. Son ennemi mort, la vengeance de Bâdîs était satisfaite, sa rage assouvie; il faisait attacher la tête du cadavre à un poteau, la coutume le voulait ainsi, mais il n’allait pas plus loin. Chez le prince de Séville, au contraire, la haine ne se rassasiait jamais; il poursuivait ses victimes jusqu’au-delà du trépas; il voulait que l’aspect de leurs restes mutilés stimulât sans relâche ses passions féroces. A l’exemple du calife Mahdî, il fit planter des fleurs dans les crânes de ses ennemis, et les plaça dans la cour de son palais. Un morceau de papier, attaché à l’oreille de chaque crâne, portait le nom de celui auquel ce crâne avait appartenu jadis. Souvent il s’extasiait devant ce jardin, comme il disait. Et cependant il ne contenait pas les têtes à ses yeux les plus précieuses, celles des princes qu’il avait vaincus. Celles-là, il les gardait, avec le plus grand soin, au fond de son palais, dans une cassette[71 - Abbad., t. I, p. 243, 244; Abd-al-wâhid, p. 67; Ibn-Bassâm, t. I, fol. 109 r.].

Ajoutons que ce monstre de cruauté était à ses propres yeux le meilleur des princes, un Titus formé exprès pour le bonheur du genre humain. «Si tu désires, mon Dieu, que les mortels soient heureux, disait-il dans ses vers, fais-moi régner alors sur tous les Arabes et sur tous les barbares; car jamais je n’ai dévié de la bonne route, jamais je n’ai traité mes sujets autrement qu’il ne convient à un homme généreux et magnanime. Toujours je les protége contre leurs agresseurs, toujours je détourne les calamités de leur tête[72 - Abbad., t. II, p. 52.].»




VI


Ayant d’abord mis à mort Habîb, le vizir et le confident de son père[73 - Abbad., t. I, p. 242.], Motadhid tourna ses armes contre les Berbers et principalement contre ceux de Carmona, ses voisins. Il avait un motif tout particulier pour haïr les Berbers, car il croyait que, s’il n’y pourvoyait, ils ôteraient le trône à lui ou à ses descendants, ses astrologues lui ayant prédit que sa dynastie serait renversée par des hommes nés hors de la Péninsule[74 - Abbad., t. I, p. 251; t. II, p. 60.]. Il mit donc tout en œuvre pour les extirper. Cette guerre fut de longue durée. Mohammed, le prince de Carmona, fut tué après s’être laissé attirer dans une embuscade (1042-3)[75 - Abbad., t. II, p. 209, 216.]; mais comme son fils Ishâc lui succéda[76 - Ibn-Haiyân, apud Ibn-Bassâm, t. I, fol. 109 r. Ibn-Khaldoun (Abbad., t. II, p. 216) donne à ce prince le nom d’al-Azîz. C’est une erreur.], les hostilités continuèrent.

En même temps Motadhid étendait ses limites du côté de l’ouest. En 1044 il enleva Mertola à Ibn-Taifour[77 - Abbad., t. II, p. 211.]. Puis il attaqua Ibn-Yahyâ, seigneur de Niébla. Ce n’était pas un Berber, c’était un Arabe, mais quand il s’agissait d’arrondir son territoire, Motadhid n’y regardait pas de si près. Réduit à l’étroit, Ibn-Yahyâ se jeta dans les bras des Berbers. Modhaffar de Badajoz vint à son secours, repoussa Motadhid, et se mit à former contre lui une ligue formidable dans laquelle entrèrent Bâdîs, Mohammed de Malaga et Mohammed d’Algéziras. Abou-’l-Walîd ibn-Djahwar, qui, dans l’année 1043, avait succédé à son père comme président de la république de Cordoue, fit tout ce qu’il pouvait pour réconcilier les deux partis; mais ce fut en vain: personne ne prêta l’oreille à ses ambassadeurs.





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notes



1


Jusque-là Elvira avait été la capitale de cette province, mais cette ville ayant eu fort à souffrir de la guerre civile, ses habitants émigrèrent vers l’année 1010, et se transportèrent à Grenade.




2


Son père était l’infortuné Abdérame-Sanchol.




3


Ibn-Haiyân, apud Ibn-Bassâm, t. I, fol. 157 r. et v.; Abd-al-wâhid, p. 42, 43.




4


Ibn-Haiyân, apud Ibn-Bassâm, t. I, fol. 129 r.; Abbad., t. II, p. 32, 208 etc.




5


Abbad., t. I, p. 221.




6


Abbad., t. I, p. 220. Cf. Caussin, t. III, p. 212, 422.




7


Abbâd était le trisaïeul d’Ismâîl.




8


Abbad., t. I, p. 220, 381 et suiv.; t. II, p. 173.




9


Abbad., t. I, p. 221.




10


Abd-al-wâhid, p. 65; Abbad., t. I, p. 221.




11


Abbad., t. I, p. 221.




12


Les Espagnols et les Portugais substituent ordinairement la lettre f à la gutturale arabe kh. Voyez mon Glossaire sur Ibn-Adhârî, p. 23. – Au reste, on se rappellera que sur la rive droite du Rhin, près de Caub, il y a aussi deux châteaux, Liebenstein et Sternberg, que l’on appelle les frères (die Brüder).




13


La conquête de Viseu par Mousâ est mentionnée par Maccarî, t. I, p. 174.




14


Sisenand, dont parle le moine de Silos (c. 90) et qui, après avoir quitté le service de Motadhid pour celui de Ferdinand I


, devint gouverneur de Coïmbre, était, selon toute apparence, un de ces chrétiens d’Alafoens.




15


Abbad., t. II, p. 7. L’auteur arabe raconte ceci en parlant de Motadhid, le fils du cadi, mais en ce point il se trompe.




16


Abbad., t. II, p. 216. L’auteur arabe (Ibn-Khaldoun), au lieu de nommer le cadi, nomme ici par erreur son fils Motadhid.




17


Il alla d’abord à Cairawân, puis à Almérie, où il devint cadi. Voyez Abbad., t. I, p. 234, note 49.




18


Abbad., t. I, p. 223.




19


Abbad., t. I, p. 223-225. Ibn-Khaldoun (Abbad., t. II. p. 209, 216) dit aussi quelques mots de ces événements, mais au lieu de nommer le cadi, il nomme son fils Motadhid.




20


Ibn-Haiyân, apud Ibn-Bassâm, t. I, fol. 81 r. et v., 82 r.




21


Abd-al-wâhid, p. 37, 38; Abbad., t. I, p. 222, l. 22.




22


Abbad., t. II, p. 127, 128.




23


Abbad., t. II, p. 34.




24


Abbad., t. I, p. 222; t. II, p. 34.




25


Abbad., t. II, p. 34.




26


Abbad., t. I, p. 222.




27


Ibn-Haiyân, apud Ibn-Bassâm, t. I, fol. 81 r. et v.




28


Abbad., t. II, p. 34.




29


Abbad., t. I, p. 222; t. II, p. 34. Sur la date, voyez la note A (#litres_trial_promo) à la fin de ce volume.




30


Ibn-Haiyân, apud Ibn-Bassâm, t. I, fol. 81 r. -82 r.; Abd-al-wâhid, p. 38, 43; Abbad., t. II, p. 33. Comparez la note A (#litres_trial_promo) à la fin de ce volume.




31


Abd-al-wâhid, p. 43, 45.




32


Ibn-Khaldoun, fol. 25 v.




33


Ibn-Khaldoun, fol. 22 v. Comparez la lettre que Zohair fit écrire aux Cordouans par son ministre Ibn-Abbâs, apud Ibn-Bassâm, t. I, fol. 170 r. et v.




34


Abbad., t. II, p. 34.




35


Journal asiat., IV


série, t. XVI, p. 203-205 (article de M. Munk).




36


Cronica del Moro Rasis, p. 37.




37


Ibn-Haiyân, apud Ibn-Bassâm, t. I, fol. 122 r.




38


Voyez mon Introduction à la Chronique d’Ibn-Adhârî, p. 97.




39


Ibid., p. 96, 97.




40


Journ. asiat., p. 209, dans la note.




41


Ibn-Bassâm, t. I, fol. 200 r.




42


Journ. asiat., p. 222-224.




43


Journ. asiat., p. 209.




44


Voyez mon Introduction à la Chronique d’Ibn-Adhârî, p. 96, 97.




45


Cinq millions de francs; au pouvoir actuel de l’argent, trente-cinq millions.




46


Moïse ben-Ezra (dans le Journ. asiat., p. 212, note) l’appelle Ibn-abî-Mousâ. Tel est en effet le nom que Homaidî donne au vizir Ibn-Bacanna, et c’est à tort que le copiste du man. d’Abd-al-wâhid (voyez mon édition de cet auteur, p. 43) a biffé le mot abî, qu’il avait écrit d’abord.




47


Abbad., t. II, p. 34.




48


Journ. asiat., p. 206-208.




49


Ibn-Haiyân, apud Ibn-Bassâm, t. I, fol. 171 r. -175 r.; Ibn-al-Khatîb, man. G., fol. 134 v., 135 r. (article sur Zohair), 51 v. -52 v. (article sur Abou-Djafar Ahmed ibn-Abbâs al-Ançârî); Maccarî, t. II, p. 359, 360; Abbad., t. II, p. 34.




50


Voyez Moïse ben-Ezra, cité par M. Munk dans le Journ. asiat., p. 212. Dans ce passage il faut prononcer onchida, au passif, et non anchada, à l’actif, comme l’a fait M. Munk.




51


Voyez mes Recherches, t. I, p. 245.




52


Voyez Abbad., t. I, p. 51.




53


Voyez sur Abou-’l-Fotouh Thâbit ibn-Mohammed al-Djordjânî, outre l’article d’Ibn-al-Khatîb, ceux que lui ont consacrés Soyoutî, dans son Dictionnaire biographique des grammairiens, et Homaidî. Comparez aussi l’article sur Modjéhid, dans Dhabbî (man. de la Société asiatique).




54


Ibn-al-Khatîb, man. G., fol. 114 r. et v. (article sur Abou-’l-Fotouh).




55


Abd-al-wâhid, p. 44, 65; Abbad., t. II, p. 33, 34, 207, 217. Cf. Ibn-al-Khatîb, fol. 114 v.




56


Ibn-al-Khatîb, fol. 114 v. -115 v.




57


Cette date se trouve chez Ibn-Bassâm, t. I, fol. 224 v.




58


Cet endroit n’existe plus, à ce qu’il paraît.




59


Abd-al-wâhid écrit ce nom Sacât, d’autres l’écrivent Sacout, ou, d’après la prononciation des Arabes d’Espagne, Sacôt (prononcez le t). Je crois donc que la voyelle longue dans la seconde syllabe a un son intermédiaire entre l’â et l’ô. En français on peut rendre ce son par la diphthongue au.




60


D’après Ibn-Khaldoun, il alla à Comarès, mais j’ai cru devoir suivre Homaidî.




61


Voyez Ibn-al-Khatîb, man. G., fol. 107 v. (article sur Bologguîn, fils de Bâdîs).




62


Abd-al-wâhid, p. 45-49; Ibn-Khaldoun, fol. 22 v., 23 r.; Maccarî, t. I, p. 132, 282-284.




63


Abbad., t. II, p. 48; t. I, p. 245.




64


Abbad., t. I, p. 245.




65


Abbad., t. I, p. 243.




66


Voyez Abbad., t. I, p. 243, et un poème de Motadhid, ibid., p. 53.




67


Abbad., t. I, p. 244.




68


Abbad., t. I, p. 243.




69


Abd-al-wâhid, p. 68-70.




70


Abd-al-wâhid, p. 67, 68.




71


Abbad., t. I, p. 243, 244; Abd-al-wâhid, p. 67; Ibn-Bassâm, t. I, fol. 109 r.




72


Abbad., t. II, p. 52.




73


Abbad., t. I, p. 242.




74


Abbad., t. I, p. 251; t. II, p. 60.




75


Abbad., t. II, p. 209, 216.




76


Ibn-Haiyân, apud Ibn-Bassâm, t. I, fol. 109 r. Ibn-Khaldoun (Abbad., t. II, p. 216) donne à ce prince le nom d’al-Azîz. C’est une erreur.




77


Abbad., t. II, p. 211.



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