Книга - La femme auteur; ou, les inconvéniens de la célébrité, tome I

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La femme auteur; ou, les inconvéniens de la célébrité, tome I
Mme. Dufrénoy




Adélaïde-Gillette Dufrénoy

La femme auteur; ou, les inconvéniens de la célébrité, tome I





CHAPITRE I


Auguste, comte de Crécy, jouissait d'une grande fortune. Il avait une figure agréable, une taille noble, un grand fond d'instruction, et beaucoup d'agrémens dans l'esprit. Incapable de flatter ceux que le rang et les richesses plaçaient au-dessus de lui, il montrait de la condescendance pour ses égaux, et de la bonté pour ses inférieurs: il s'enflammait au récit d'une belle action, et se sentait d'abord l'ami de celui qui l'avait faite. L'injustice le révoltait, surtout quand elle était commise envers l'être faible ou malheureux. Il regardait comme un devoir d'en signaler l'auteur, et de le poursuivre, au risque de compromettre sa propre tranquillité.

Convaincu que la nature a créé les hommes pour commander aux femmes, il avait toujours un air protecteur avec elles: toutes pouvaient également prétendre à son appui, aucune ne pouvait prétendre à ses soins. Il regardait l'amour comme une faiblesse, cependant excusait ce sentiment dans les femmes; peut-être même son orgueil lui faisait-il éprouver une prédilection secrète pour celles qui en avaient été les victimes; mais il trouvait indigne de la majesté d'un homme de se laisser subjuguer par cette passion; la mort lui paraissait préférable à la honte de recevoir des lois d'une maîtresse.

Ce cœur si fier s'était pourtant rendu aux charmes de Virginie, fille unique du colonel Surville, mort au champ d'honneur, en défendant sa patrie et son roi.

Virginie était un modèle de beauté, de grâces et de vertus: elle n'avait aucun de ces talens agréables dont on fait tant de cas de nos jours, talens qui sont peut-être plus nuisibles qu'utiles à celles qui les possèdent, qui séduisent plus qu'ils n'attachent. Sa mère, sa seule institutrice, s'était bornée à lui donner une connaissance parfaite de ses devoirs et de sa religion. Virginie était douce, économe, laborieuse; aucune femme ne se livrait avec plus de décence et de dignité, aux soins domestiques. Elle sentit un véritable amour pour M. de Crécy, et lui donna sa main. Comment se serait-elle effrayée de l'empire qu'un homme de ce caractère voudrait exercer sur la compagne de sa vie? Elle partageait les opinions d'Auguste sur la dépendance des femmes; et, plus tendre que vaine, ne demandait pas mieux que de se soumettre au juste pouvoir d'un époux, pourvu qu'elle en fût constamment chérie.

Dix ans d'hymen n'avaient apporté aucune altération aux sentimens de ce couple vertueux; une seule chose s'opposait à ce que la félicité du comte fût parfaite; il avait vainement désiré un fils qui soutînt l'éclat de son nom, Virginie n'était devenue mère que d'une fille, appelée Anaïs.

M. de Crécy aimait beaucoup les sciences et les arts, il les cultivait avec succès: sa maison étoit ouverte à tous ceux des artistes et des savans qui avaient acquis quelque réputation. Aucun jour ne se passait sans qu'il n'en réunît plusieurs chez lui. L'entretien y roulait presque toujours sur des sujets intéressans. Tandis qu'on les discutait avec plus ou moins de chaleur, Anaïs apprenait en silence, auprès de sa mère, à broder ou à faire de la tapisserie. Cette aimable enfant n'était pas tellement captivée par ce travail, qu'elle ne pût prêter son attention aux discours tenus autour d'elle; ils se gravaient, en partie, dans sa jeune mémoire; elle s'instruisait sans étudier, et son esprit et sa raison se formaient, pour ainsi dire, à son insu.

Un soir la conversation s'engagea sur les différens genres de gloire. On n'étoit pas d'accord sur celui qui devait obtenir la préférence; on passa en revue les grands hommes également illustres dans diverses carrières. Chacun prenait parti pour celui d'entr'eux dont le génie s'accordait le plus avec ses goûts. Quant à moi, dit le comte d'une voix exaltée, je chéris tous les hommes supérieurs qui se sont acquis une gloire pure; mais celui dont j'aime le plus la mémoire, celui dont le caractère me paraît commander le plus l'admiration, celui dont les écrits font les délices de mes loisirs, cet homme enfin est Racine: oui, je consentirais à éprouver toutes les infortunes, à souffrir tous les maux, pour avoir donné l'existence à un fils qui lui ressemblât. Mon dieu! s'écria vivement Anaïs, en laissant tomber son ouvrage, pourquoi ne puis-je être un Racine! Cette exclamation d'une enfant qui entrait dans sa neuvième année, étonna tout le monde, et fit sourire le comte. Anaïs se mit à fondre en larmes. Son père la prit dans ses bras, et lui donna plusieurs baisers; mais à chaque caresse, elle répétait: Vous ne m'aimerez jamais comme Racine! Je suis bien malheureuse! Consolez-vous, charmante Anaïs, lui dit un savant distingué, que touchait sa douleur naïve; consolez-vous, votre sexe a plus d'un titre à la gloire; peut-être êtes-vous appelée à nous rendre un jour ou Deshoulières ou Sevigné. Anaïs aurait bien voulu connaître l'histoire de ces femmes célèbres; un regard de Virginie, qui la rappelait à ses côtés, retint la question qu'elle était près de faire. La nouvelle idée qui s'était emparée de son imagination, troubla cette nuit son sommeil. Tendre Anaïs, eh! quoi! déjà tu vas être enlevée à l'heureuse insouciance de ton âge; déjà les amusemens de l'enfance vont perdre à tes yeux tous leurs charmes; tu verras, sans intérêt, tes compagnes se jouer autour de toi; tu ne donneras plus, à leur joie, qu'un sourire de complaisance. Le germe d'une passion est déjà dans ton sein: tremble qu'il ne s'y développe. Anaïs, ton sexe ne peut rien aimer ardemment, même la gloire, sans qu'il ne lui en coûte le bonheur.




CHAPITRE II


Le lendemain, à déjeûner, Anaïs parut rêveuse. Es-tu souffrante, lui demanda le comte? – Non, mon père; mais je réfléchis. – A quoi donc? – A la conversation d'hier. – Tu y penses encore? – J'y penserai toute ma vie. – Elle se hasarde alors à l'interroger sur les femmes illustres dont elle enviait le destin, écoute avec la plus grande attention, tout ce que lui en raconte M. de Crécy, et quand il a cessé de parler, se jette à son col, en s'écriant: Mon père, nous serons heureux, vous m'aimerez autant que vous aimez Racine; je deviendrai célèbre, soyez-en certain; je le deviendrai. Puis elle courut chercher une superbe poupée dont on lui avait fait présent il y avait peu de jours, et qu'elle avait reçue avec transport, demandant la permission à sa mère de l'envoyer à une de ses amies. Prends garde de te repentir de ce trait généreux, observa le comte. – Jamais, mon père: je ne veux conserver aucun objet de distraction; je ne veux plus songer qu'à devenir savante. Vous me donnerez beaucoup de livres, et j'étudierai du matin au soir. – Ce zèle est beau, mais je doute qu'il dure. – Il durera. S'il arrive que l'étude m'ennuie, je penserai à vous, et je n'y trouverai plus que du plaisir. – Bonne, chère Anaïs! Ma Virginie, presse avec moi notre enfant sur ton cœur. La comtesse embrassa sa fille en soupirant. – Mon projet vous déplairait-il, maman, demanda la petite avec inquiétude. J'approuve toujours tout ce que ton père approuve, répondit la comtesse; mais je serais fâchée que de nouvelles occupations t'éloignassent de celles que tu partageais avec moi. – Oh! ne craignez rien, maman, je ne veux pas être moins aimée de vous que de mon père, je trouverai du temps pour tout. – A la bonne heure. – Me donnerez-vous bientôt des maîtres, mon père? – Dès demain. – Vous me le promettez. – Je te le promets. – La femme-de-chambre vint chercher Anaïs, pour faire sa toilette; elle la suivit, non sans avoir prié plusieurs fois le comte de ne pas oublier sa parole.




CHAPITRE III


La comtesse, demeurée seule avec son époux, se hasarda de lui montrer ses craintes sur les suites de l'engagement qu'il venait de prendre. Je comptais, lui dit-elle, élever ma fille comme je le fus moi-même. Je ne vois pas sans peine, je te l'avoue, mon cher Auguste, que mon projet soit renversé. Peut-être ai-je tort, mais je suis effrayée du désir que notre Anaïs a de se distinguer: ce désir me semble incompatible avec la modestie qui convient à notre sexe, et je me trouverais la plus malheureuse des mères, quand bien même ma fille deviendrait l'objet de l'admiration générale, si les talens qui lui procureraient cet orgueilleux avantage devaient lui coûter une seule vertu. – Rassure-toi, l'envie que notre enfant montre de s'instruire, ne tient pas à la vanité, mais à un sentiment profond de l'ame. L'unique motif qui l'anime n'est-il pas celui de me plaire? – J'en conviens. – Cela doit te rassurer. – Oh! l'extrême sensibilité de cette enfant m'épouvante: tous mes soins tendaient à la modérer. Les leçons qu'elle va recevoir, ses lectures produiront un effet contraire. J'ai souvent entendu dire à ma mère, qui était une personne d'un grand sens, que la culture des lettres et des arts est dangereuse pour une femme, et que celle qui s'y livre doit être nécessairement ou malheureuse ou coupable. M. de Crécy réfuta cette opinion par plusieurs exemples. Ensuite il ajouta: Es-tu convaincue? – Je le suis toujours, dès que tu as parlé: toutefois, loin de porter envie aux femmes qui attirèrent les regards de leur siècle, qui ont mérité les éloges du nôtre, je préfère ma destinée obscure à leur brillante destinée; mon bonheur est si parfait, que je n'en souhaitais pas un autre pour ma fille. – Le comte, fortement ému, serra en silence la main de sa femme; un moment après il dit: Je conviens qu'il eût peut-être été préférable qu'Anaïs se fût montrée la fidelle image de ma Virginie; mais à la touchante douceur de ton caractère, elle joint l'exaltation du mien: elle est tour-à-tour modeste, fière, patiente, emportée: à beaucoup de tes qualités, elle unit quelques-uns de mes défauts. Son imagination cherche continuellement à s'exercer; son cœur éprouve, en secret, le besoin impérieux d'aimer encore autre chose que nous: il est donc de notre prudence de ne pas contrarier le noble penchant qu'un mot a suffi pour développer en elle. Oui, puisque la nature lui créa une ame ardente, il lui faut des illusions: que celle des arts la préserve de toute autre. Je vais m'appliquer à former son esprit; continue à former ses mœurs; que nos leçons et ton exemple la rendent un jour digne de prendre rang parmi les femmes illustres, qui sont ensemble la gloire et le modèle de leur sexe.

Le comte prononça ces derniers mots avec tant d'enthousiasme, que Virginie n'osa plus combattre son opinion: elle avait d'ailleurs une si haute idée des lumières de son époux, et se défiait tellement des siennes, qu'elle se reprocha presque ses légitimes sollicitudes.




CHAPITRE IV


Anaïs eut bientôt des maîtres de tout genre: elle s'appliquait également à la peinture, à la musique, à l'étude des langues, à celle de l'histoire: c'était par une occupation, qu'elle se délassait d'une autre; elle ne voulait pas entendre parler de repos; elle regrettait le temps qu'elle était obligée de donner au sommeil; et pendant celui qu'elle restait auprès de sa mère à broder, elle repassait en elle-même les leçons qu'elle avait reçues, et dont elle craignait de ne jamais assez se pénétrer; ses progrès furent rapides. A quinze ans elle joignait à la connaissance parfaite de sa langue, celle de la langue latine; elle pinçait très-bien la harpe, chantait à merveille, peignait agréablement la miniature, les fleurs, et dansait avec grace. Ses lectures en poésie se bornaient à nos Tragédies saintes, au poëme de la Religion, aux odes de J. – B. Rousseau, à quelques chants de la Henriade, et aux idylles de madame Deshoulières. M. de Crécy s'étant principalement occupé de parler à sa raison, elle était devenue très-réfléchie: elle écoutait beaucoup, parlait peu, répondait avec justesse aux questions qui lui étaient adressées, mais elle ne laissait échapper aucune de ces réparties qui donnent un tour orignal et piquant à la conversation. On la louait sans cesse sur son talent en musique, en peinture; on ne la louait jamais sur son esprit; on croyait qu'elle n'en avait point: cette opinion, qu'elle partageait, lui avait donné une timidité excessive: elle exprimait souvent très-mal ce qu'elle sentait très-bien; et chagrine du peu de fruit qu'elle pensait avoir retiré de l'étude, si elle s'y livrait encore avec constance, c'était uniquement pour satisfaire à son goût, et non plus dans l'espoir qui l'avait d'abord portée à la chérir.

Dans le nombre des jeunes gens de qualité qui étaient admis chez M. de Crécy, on remarquait le marquis de Simiane. Vingt-sept ans, un grand nom, une belle figure, une taille agréable, étaient ses titres à la bienveillance; il n'avait que peu d'instruction et d'esprit, mais il avait ce qui en tient lieu dans le monde, ce qui souvent même y fait mieux réussir, du tact et de l'adresse. Il croyait devoir à son rang de se montrer le protecteur des lettres et des arts; il accueillait avec distinction ceux qui les professaient, recherchait leur société, prêtait à leur entretien une attention qui lui faisait supposer des lumières qu'il n'avait pas, et quand il s'élevait des discussions entr'eux, il avait toujours soin de se ranger à l'opinion de celui dont le mérite était le plus reconnu.

Le marquis cherchait à s'allier à une famille noble et riche: Anaïs lui convenait, il se crut amoureux d'elle, et demanda sa main. Le comte n'avait aucune objection à faire contre M. de Simiane, il instruisit sa fille des vues que ce seigneur avait sur elle, en la laissant maîtresse de les agréer ou de les refuser.

Anaïs n'avait pas encore éprouvé le désir de changer d'état, mais à seize ans, malgré beaucoup de raison, on ne voit pas sans plaisir approcher le moment où l'on comptera dans le monde. Mademoiselle de Crécy n'avait d'ailleurs aucun motif de redouter l'hymen; il donnait, depuis tant d'années, de si beaux jours à ses parens! Etrangère à tout ce qui n'était pas eux, ou ses études, elle s'imaginait que tous les hommes ressemblaient à son père. M. de Simiane avait l'air de partager ses goûts; il sollicitait souvent la faveur de l'entendre pincer la harpe, il admirait ses petits tableaux, il lui demandait quelquefois son avis sur un trait d'histoire, ou sur une question de littérature, et y déférait toujours. Enfin, il était le seul qui eût cherché, jusqu'à cet instant, à lui plaire; et quelle est la femme dont le cœur n'est pas encore ouvert à l'amour, qui n'accorde un sentiment de préférence à l'homme qui, le premier, l'avertit du pouvoir de ses charmes? Anaïs consentit à devenir marquise de Simiane.




CHAPITRE V


Les trois premiers mois de son mariage se passèrent dans une dissipation continuelle; le marquis se plaisait à la conduire dans les cercles les plus brillans, aux spectacles, aux concerts, aux bals. Madame de Simiane était très-belle; mais sa timidité lui donnait une sorte de gaucherie qui la déparait un peu; comme elle était mal à son aise au milieu du grand monde, elle n'y paraissait pas à son avantage. On s'y permettait quelquefois des plaisanteries que sa candeur l'empêchait de comprendre: ses questions naïves la rendaient alors l'objet d'une attention désobligeante; quelquefois aussi elle entendait parler en riant de certaines matières que l'austérité de ses principes ne lui permettait pas de traiter avec légèreté; tout ce qu'elle voyait lui causait un étonnement mêlé de tristesse. Elle pria M. de Simiane de la laisser désormais mener une vie plus retirée.

Le marquis ne s'opposa point à ses désirs; le peu de succès qu'elle avait obtenu dans la société était, à ses yeux, un tort qui lui avait ravi tous ses charmes: l'indifférence succéda au penchant assez vif qu'il avait senti pour elle; la politesse remplaça les soins; il ne l'empêchait pas de cultiver ses talens, mais il ne paraissait plus y attacher de prix; il n'était plus le témoin ni l'admirateur de ses aimables travaux.

Ce changement affligea beaucoup madame de Simiane; elle chercha vainement à regagner la tendresse de son époux. Loin d'être sensible à ses douces prévenances, il en paraissait fatigué: l'air d'ennui qu'il apportait dans leur tête-à-tête les lui fit bientôt redouter à elle-même. Il est cruel pour une femme sensible et délicate, de n'être jamais comprise par celui avec qui elle se trouve sans cesse en rapport. Anaïs était dans ce cas; M. de Simiane n'avait que la surface de l'ame et de l'esprit; il devait être vu en perspective, et non de près.

Le marquis avait au moins cela de bon, qu'il laissait une entière liberté à sa compagne; elle conduisait à son gré sa maison, et recevait ceux qu'elle voulait; il ne lui demandait aucun compte de l'emploi de son temps, ni de celui de son revenu. Beaucoup de femmes à sa place auraient été satisfaites de leur sort; mais elle s'était fait de l'hymen le tableau le plus séduisant, et n'y trouvant que l'absence du malheur, elle comparait sa situation à celle de sa mère, et soupirait en se répétant: c'est pour toujours.

La crainte de troubler la tranquillité de ses parens, lui faisait renfermer sa douleur dans son sein: leur présence, d'ailleurs, rendait la sérénité à son front. Elle était si touchée de leur tendresse, si heureuse de leur bonheur, qu'elle oubliait auprès d'eux tout ce qui manquait au sien; jamais elle ne leur avait témoigné autant d'amour: M. de Simiane, en détruisant ses espérances, avait doublé dans son cœur la force du sentiment de l'amour filial. Ce sentiment, le seul qui ne trompe jamais, le seul qui conserve toujours une égale énergie, adoucit les regrets de la marquise. L'étude embellit de nouveau ses loisirs; son père la guide encore dans ses travaux; il est maintenant bien plus son ami que son maître; il ne craint plus de parler trop vivement à son ame par la magique peinture de la plus séduisante des passions; il croit qu'elle aime, qu'elle est aimée de son époux: il déploie à ses regards toutes les richesses de nos poëtes; il applaudit à l'enthousiasme avec lequel elle déclame les scènes magnifiques de Racine et de Voltaire, et sourit de l'exaltation qui l'a fait s'écrier: O fortunée Zaïre, que j'envie ton destin!

Jusqu'à cette époque, Anaïs avait cultivé tous les arts, sans montrer une prédilection particulière pour aucun; mais nos poëtes divins ont fait vibrer une corde nouvelle dans son cœur; elle y résonne à chaque instant plus fortement. Ce ne sera point en vain qu'ils lui auront découvert un monde enchanteur; elle essayera de les y suivre. Sa palette et sa harpe vont désormais être négligées, elle ne les traitera plus que comme de simples connaissances qu'on visite de loin en loin, pour ne pas s'en laisser entièrement oublier. Mais Racine, mais Voltaire, mais tous ceux qui, marchant sur leurs traces, parlent à l'ame, éclairent l'esprit, fortifient la raison, ils ne la quitteront plus: voilà ses amis, ses modèles; elle leur doit une illusion qui pourra charmer sa vie.




CHAPITRE VI


M. de Simiane devait faire un voyage de trois mois; la marquise lui demanda et obtint son agrément pour aller passer cet intervalle au château de M. de Crécy. Ce château, situé dans le joli village de Villemonble, réunissait l'utile et l'agréable. Un parc superbe, un riche verger, et des prairies très-étendues bordées par des saules pleureurs qu'arrosaient des ruisseaux d'eaux vives. On était dans la plus belle saison de l'année. Madame de Simiane, entourée de ses bons parens et de quelques-uns de leurs savans amis, absente d'un époux dont la présence ne lui rappelait que d'importunes chaînes, s'imaginait quelquefois n'être encore qu'Anaïs. Elle allait dès le point du jour, un de ses auteurs favoris en main, s'enfoncer dans les routes solitaires qui environnaient son habitation; elle choisissait, pour s'y asseoir, l'endroit le plus agreste, et, là, jouissait avec transport du charme des beaux vers, et de celui d'un paysage varié. Lorsque la cloche du déjeûner se faisait entendre, elle s'empressait de cueillir la fleur que sa mère aimait le mieux, et courait la lui offrir; un tendre baiser était le prix de ce tendre soin.

Elle s'entretenait, pendant le repas, de sa promenade, de sa lecture, de ses sentimens, de ses pensées; elle trouvait toujours une ame qui répondait à la sienne. Son exaltation n'était point traitée de folie, sa sensibilité d'exagération, sa délicatesse de susceptibilité. Aucune des personnes de sa société n'était étrangère au langage qu'elle parlait; madame de Crécy elle-même paraissait s'y complaire. Le propre de la véritable bonté est de savoir se prêter aux goûts de ceux qu'on aime, quoiqu'on ne les partage pas.

Si les matinées d'Anaïs s'écoulaient au sein de doux plaisirs, ses soirées lui en apportaient de plus doux encore. C'est surtout au déclin d'un beau jour, que la campagne brille de son éclat le plus touchant: le soleil, qui se retire par degrés de l'horizon pour faire place à la lumière mélancolique de la lune; le bêlement des troupeaux qui regagnent à pas lents leur étable, le bruit harmonieux des sources, l'agréable parfum des fleurs, le souffle caressant du zéphyr, tout vous invite aux rêveries aimables. Le génie des fables antiques semble alors errer autour de vous; tout est alors, dans la nature, amour ou poésie; c'est l'heure des divins prestiges, c'est celle de l'inspiration. Anaïs l'éprouva: son cœur, plein d'un sentiment délicieux, avait besoin de l'exhaler; l'amour filial lui dicta ce chant:

Beaux lieux, séjour de l'innocence,
Où je coule en paix mes loisirs!
Des jours de mon adolescence,
Vous me rendez tous les plaisirs.
Combien votre ombre solitaire
Parle doucement à mon cœur!
Ici je vis près de mon père,
Et je crois encor au bonheur.

Chaque matin, avant l'aurore,
Je viens rêver sous ce berceau;
Le soir j'y viens rêver encore,
Et j'y goûte un charme nouveau.
Oui, vous me serez toujours chère,
Retraite où, seule avec mon cœur,
Sans trouble je songe à mon père,
Et peux croire encore au bonheur.

Loin d'un monde vain et frivole,
Je respire ici librement;
La gloire, mon aimable idole,
Parfois m'y caresse un moment;
Parfois sa brillante chimère
Fait doucement battre mon cœur;
Mais c'est surtout près de mon père
Que je crois encore au bonheur.

Ces vers n'ont d'autre mérite que celui d'être l'expression d'une pure tendresse, et, pourtant, Anaïs trouva un grand charme à les composer. Rien ne peut se comparer à l'enchantement que produit une première création dans les arts, si ce n'est l'enchantement que produit le premier moment d'un premier amour. Le poëte dont une longue étude a formé le goût, revoit souvent avec l'œil du dédain les faibles essais de sa muse. On ne s'honore pas toujours de l'objet de son premier choix. Ce n'est ordinairement que dans l'été de la vie qu'on enfante des ouvrages dignes de la postérité; ce n'est souvent aussi qu'à cette époque qu'on réunit dans le cœur tout ce qu'il faut pour bien aimer. Le dernier amour est le plus vrai et le plus invincible, mais les arts, comme l'amour, ont leur fleur qu'on ne cueille jamais qu'une fois. Le jeune poëte et le jeune amant doublent leur félicité présente par les heureux songes de l'avenir. L'expérience gâte tout, elle apprend à l'un qu'il faut plus que du talent pour se survivre; à l'autre, que toujours n'est un mot vrai en amour que pour quelques êtres privilégiés.




CHAPITRE VII


Les jours de bonheur s'écoulent vîte. Au moment où elle y pensait le moins, Anaïs reçut une lettre de M. de Simiane, qui lui annonçait son retour dans la capitale, et lui mandait qu'il serait fort aise de l'y trouver à son arrivée. Ce ne fut pas sans regret qu'elle obéit à la voix du devoir, et quand elle reçut le baiser d'adieu de son père, elle fut saisie tout-à-coup d'un si triste pressentiment, que des pleurs s'échappèrent en abondance de ses yeux.

Le comte attendri l'embrassa de nouveau en lui disant: «Ne t'afflige pas, ma fille, nous nous reverrons bientôt; ta mère et moi, nous irons te rejoindre dans une semaine.»

– Ah! mon père, qu'une semaine est longue, écoulée loin de vous! et pour la première fois Anaïs songea qu'un seul moment suffit pour amener un grand malheur.

Son arrivée à Paris précéda d'environ deux heures celle de M. de Simiane; il la remercia de sa complaisance, et lui fit quelques excuses de n'être pas allé la chercher chez M. de Crécy, en lui expliquant les motifs qui l'en avait empêché. Il resta avec elle tout ce jour, l'entretint avec confiance du désir qu'il avait d'obtenir du roi que sa terre fût érigée en duché, et la pria de lui faire, pendant quelques mois, le sacrifice de son goût pour la solitude. J'ai besoin, ajouta-t-il, d'être fortement appuyé dans mon projet; je souhaite donner une fête, et j'espère que vous voudrez bien m'aider à la rendre à la fois agréable et brillante. – Je ferai mes efforts pour seconder vos desseins. – Je vous en remercie. – J'aime, il est vrai, la retraite; mais dès l'instant où vous croyez utile à vos intérêts que j'y renonce, j'oublierai qu'elle m'est chère. – Cette condescendance m'enchante. – Elle est juste. – Eh bien, puisque vous y consentez, il y aura chez vous, jeudi prochain, souper, bal et concert; vous y rassemblerez les premiers virtuoses. – Je crains que cela ne soit impossible; nous n'avons, d'ici à jeudi, que sept jours. – L'argent fait des miracles, et je ne m'oppose point à ce que vous le prodiguiez. – Le marquis baisa respectueusement la main de madame de Simiane, et se retira, en lui disant qu'il allait écrire à M. et madame de Crécy, pour les inviter à vouloir bien venir honorer son assemblée de leur présence.

Les soins que les apprêts de la fête exigèrent de la marquise, adoucirent la tristesse où son départ de la campagne l'avait jetée. Le désir d'obliger le marquis, lui fit attacher beaucoup d'importance à une chose qui n'en avait pas par elle-même; elle s'applaudissait en outre de pouvoir lui prouver que l'espèce d'éloignement qu'elle avait pour le monde, ne venait pas de son peu de moyen d'y plaire. M. et madame de Crécy promirent de se rendre à l'invitation de leur gendre.

Le jeudi matin, M. de Simiane témoigna sa satisfaction du goût et de la magnificence qui présidaient aux préparatifs de la fête. – Vous êtes vraiment une femme admirable, dit-il à la marquise, vous avez surpassé mon attente; ma fête sera superbe, elle me fera un honneur infini, il en sera mention partout; je suis le plus heureux des hommes! Il s'approcha d'elle d'un air caressant, et lui prodigua mille complimens aimables. Madame de Simiane songea qu'un homme aussi frivole n'était pas celui de qui elle pouvait attendre sa félicité: mais cet homme était son époux; elle feignit de sourire, et cacha soigneusement sa pensée.

Le marquis dîna tête-à-tête avec elle: il prit le ton empressé, et l'air de galanterie d'un amant à la mode. Savez-vous, répéta-t-il plusieurs fois, que vous êtes belle à ravir aujourd'hui, et lui donnant divers conseils sur sa coiffure, il l'assura que, si elle voulait, elle éclipserait toutes les femmes, et lui ferait plus d'un jaloux. Il lui débita ensuite mille folies, et la quitta en lui recommandant de se préparer à paraître avec éclat.

La gaîté insignifiante de M. de Simiane avait fait éprouver une sensation désagréable à la marquise: sa pensée se reporta vers M. de Crécy; elle s'étonna de n'avoir pas eu de ses nouvelles pendant ce jour; il avait l'habitude de venir la voir en arrivant de la campagne. Une vague inquiétude s'empara de son cœur, mais elle réfléchit que son père pouvait n'être parti que tard de son château, et devint plus tranquille, en songeant qu'elle n'avait plus que peu d'heures à souffrir de son absence.

La manière affectueuse et noble avec laquelle elle fit les honneurs de son cercle aux premières personnes qui s'y rendirent, enchanta M. de Simiane; les éloges qu'il entendit prodiguer à la marquise le rendirent de nouveau orgueilleux de son choix.

Il était près de neuf heures, une grande partie de la société était déjà réunie, le comte et la comtesse n'arrivaient pas: chaque voiture qui entrait dans la cour de l'hôtel, donnait à la marquise un léger mouvement de joie, que suivait bientôt un profond sentiment de tristesse. Ses regards, sans cesse attachés sur la porte du sallon, offraient un mélange touchant d'espoir et d'inquiétude. Sa situation devenant trop pénible, elle ordonna à un de ses gens de courir à l'hôtel de sa mère, pour s'informer des motifs du retard qui lui causait tant d'alarmes. Elle aurait désiré différer l'ouverture du bal jusqu'au retour de son messager; mais M. de Simiane témoigna une si grande impatience de le voir enfin commencer, que cédant, quoiqu'avec répugnance, à ses vœux, elle présenta sa main à l'homme le plus important de l'assemblée, pour danser avec lui le menuet de la Cour.

Les graces décentes qu'elle déploya d'abord, surprirent tout le monde: on se demandait l'un à l'autre si c'était bien là cette même personne qui paraissait naguère si empesée et si gauche. Vous verrez, observa à demi-voix un jeune fat qui se croyait malin, vous verrez qu'un beau jour elle nous confondra aussi, tout-à-coup, par son esprit. – Le trait serait unique, répondit une vieille coquette, en riant aux éclats.

Madame de Simiane était à la fin de son menuet, quand le claquement d'un fouet de poste retentit à son oreille: ce bruit lui causa une agitation affreuse; elle sentit ses genoux fléchir, se hâta, en tremblant, d'achever sa danse, et, saisie d'effroi, suivit M. de Simiane, qu'elle venait de voir s'échapper du sallon.

Elle le rejoignit au moment où il faisait entrer dans son cabinet un domestique de confiance de M. de Crécy, dont tous les traits offraient l'empreinte de la plus profonde douleur. O mon dieu! mon dieu! s'écria-t-elle, il est arrivé quelque funeste événement. Où est mon père, poursuivit-elle d'une voix étouffée et sombre? ne me trompez pas: dites, où est mon père? – Il n'a pu venir, il s'est trouvé mal, très-mal. – Ciel! l'aurais-je perdu! – Le domestique frémit, et se tait. Madame de Simiane s'évanouit.





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  • константин александрович обрезанов:
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    21.08.2023
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    11.08.2023
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