Книга - Le Leurre Zéro

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Le Leurre Zéro
Jack Mars


Un Thriller d’Espionnage de L'Agent Zéro #8
“Vous ne trouverez pas le sommeil tant que vous n’aurez pas terminé L’AGENT ZÉRO. L’auteur a fait un magnifique travail en créant un ensemble de personnages à la fois très développé et vraiment plaisant à suivre. La description des scènes d’action nous transporte dans une réalité telle que l’on aurait presque l’impression d’être assis dans une salle de cinéma équipée du son surround et de la 3D (cela ferait d’ailleurs un super film hollywoodien). Il me tarde de découvrir la suite.”. –Roberto Mattos, auteur du blog Books and Movie Reviews. LE LEURRE ZÉRO est le volume #8 de la série best-seller L’AGENT ZÉRO qui débute par L’AGENT ZÉRO (Volume #1), téléchargeable gratuitement, avec près de 200 avis cinq étoiles… Un nouveau canon électrique high-tech est inventé, capable de tirer un missile indéfendable à sept fois la vitesse du son… et le destin des États-Unis est en jeu. Quelle est sa cible ? Et qui se cache derrière son lancement? Dans une course folle contre le temps, l’Agent Zéro devra utiliser toutes ses compétences pour retrouver la source de cette arme inarrêtable et découvrir sa destination avant qu’il ne soit trop tard. . Or, en même temps, Zéro apprend une nouvelle choquante sur le développement de son état mental qui pourrait bien le mettre définitivement sur la touche. Pourra-t-il sauver le monde… et pourra-t-il se sauver lui-même? LE LEURRE ZÉRO (Volume #8) est un thriller d’espionnage que vous n’arriverez pas à reposer une fois que vous l’aurez commencé. Il vous tiendra éveillé, à tourner ses pages, jusque tard dans la nuit. . “Une écriture qui élève le thriller à son plus haut niveau.”. –Midwest Book Review (à propos de Tous Les Moyens Nécessaires). “L’un des meilleurs thrillers que j’ai lus cette année.”. –Books and Movie Reviews (à propos de Tous Les Moyens Nécessaires). Jack Mars est également l’auteur de la série best-seller de thrillers LUKE STONE (7 volumes), qui commence par Tous Les Moyens Nécessaires (Volume #1), téléchargeable gratuitement, avec plus de 800 avis cinq étoiles !





Jack Mars

LE LEURRE ZÉRO




LE LEURRE ZÉRO




(UN THRILLER D’ESPIONNAGE DE L’AGENT ZÉRO—VOLUME 8)




J A C K   M A R S



Jack Mars

Jack Mars est actuellement l’auteur best-seller aux USA de la série de thrillers LUKE STONE, qui contient sept volumes. Il a également écrit la nouvelle série préquel L’ENTRAÎNEMENT DE LUKE STONE, ainsi que la série de thrillers d’espionnage L’AGENT ZÉRO.



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Copyright © 2020 par Jack Mars. Tous droits réservés. À l’exclusion de ce qui est autorisé par l’U.S. Copyright Act de 1976, aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, distribuée ou transmise sous toute forme que ce soit ou par aucun moyen, ni conservée dans une base de données ou un système de récupération, sans l’autorisation préalable de l’auteur. Ce livre numérique est prévu uniquement pour votre plaisir personnel. Ce livre numérique ne peut pas être revendu ou offert à d’autres personnes. Si vous voulez partager ce livre avec quelqu’un d’autre, veuillez acheter un exemplaire supplémentaire pour chaque destinataire. Si vous lisez ce livre sans l’avoir acheté, ou qu’il n’a pas été acheté uniquement pour votre propre usage, alors veuillez le rendre et acheter votre propre exemplaire. Merci de respecter le dur labeur de cet auteur. Il s’agit d’une œuvre de fiction. Les noms, personnages, entreprises, organismes, lieux, événements et incidents sont tous le produit de l’imagination de l’auteur et sont utilisés de manière fictive. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, n’est que pure coïncidence.

Image de couverture : Copyright oOhyperblaster, utilisée sous licence à partir de Shutterstock.com.



LIVRES DE JACK MARS




SÉRIE DE THRILLERS LUKE STONE

TOUS LES MOYENS NÉCESSAIRES (Volume #1)

PRESTATION DE SERMENT (Volume #2)

SALLE DE CRISE (Volume #3)

LUTTER CONTRE TOUT ENNEMI (Volume #4)

PRÉSIDENT ÉLU (Volume #5)




L’ENTRAÎNEMENT DE LUKE STONE

CIBLE PRINCIPALE (Tome #1)

DIRECTIVE PRINCIPALE (Tome #2)

MENACE PRINCIPALE (Tome #3)




UN THRILLER D’ESPIONNAGE DE L’AGENT ZÉRO

L’AGENT ZÉRO (Volume #1)

LA CIBLE ZÉRO (Volume #2)

LA TRAQUE ZÉRO (Volume #3)

LE PIÈGE ZÉRO (Volume #4)

LE FICHIER ZÉRO (Volume #5)

LE SOUVENIR ZÉRO (Volume #6)

L’ASSASSIN ZÉRO (Volume #7)

LE LEURRE ZÉRO (Volume #8)


UNE NOUVELLE DE L’AGENT ZÉRO



Agent Zéro – Livre 7 – Résumé

Après avoir été contraint de reprendre du service,l’agent de la CIA Kent Steele s’est vu confier la mission de traquer un groupe radical aux motivations inconnues, détenteur d’une mystérieuse arme à ultrasons, aussi discrète que mortelle et presque impossible à localiser.Pour ne rien arranger, des souvenirs chargés de lourds secrets, refont douloureusement surface dans sa mémoire.Bien que tourmenté par son sombre passé, l’agent Zéro doit placer la sécurité de millions de personnes au-dessus de tout – même s’il est trop tard pour sauver sa propre vie.



Agent Zéro : Tandis qu’il traquait le groupe de terroristes responsable des nombreuses attaques à l’ultrason aux États-Unis, Zéro fut assailli de souvenirs sous formes de flashs, dans lesquels il se voyait commettre des assassinats pour le compte de la CIA lorsqu’il était jeune agent, au début de sa carrière. Incapable de déterminer s’il s’agissait de réels souvenirs ou si son cerveau lui jouait des tours, Zéro consulta un neurologue suisse, le Dr Guyer, qui lui posa un diagnostic des plus funestes. Celui-ci, non seulement, lui confirma la détérioration de ses capacités cognitives mais, en plus, lui annonça qu’elle continuerait, à un rythme inconnu, jusqu’à lui être fatale. Zéro décida alors de n’en parler à personne et de profiter pleinement du temps qu’il lui restait à vivre auprès de ses filles et de Maria avec qui il avait renoué.



Maria Johansson : Après avoir défié les ordres, à la fois de la CIA et du président, Maria a renoncé à sa fonction de directrice adjointe pour reprendre celle d’agent spécial. Zéro lui a avoué ses récents problèmes de mémoire ainsi que ses craintes d’avoir pu commettre des assassinats par le passé.



Maya Lawson : Après avoir été agressée par trois jeunes hommes dans un vestiaire de West Point, Maya a quitté l’académie militaire, non sans apprendre au préalable, la fugue de sa petite sœur du centre de désintoxication dans lequel elle était placée. Elle réussit à la retrouver, à la sauver in extremis d’une tentative de kidnapping et à la ramener avec elle, à la maison. Maya lutte toujours contre ses propres démons, et tente de déterminer si le chemin qu’elle s’est choisi lui correspond réellement.



Sara Lawson : Toujours aux prises avec sa dépendance à la drogue, Sara avait été placée par son père dans un centre de désintoxication de Virginia Beach. Elle s’en échappa dès la première nuit, et, sous l’emprise de son addiction, partit à la recherche d’une dose. Après une transaction avortée qui lui avait presque valu d’être kidnappée, Sara fut secourue par Maya et Alan Reidigger qui la ramenèrent chez elle.



Mischa : Jeune fille russe de douze ans, elle est la seule rescapée du groupe de terroristes responsables des attaques à l’ultrason. Endoctrinée dès son plus jeune âge, elle a suivi un entraînement pointu pour faire d’elle une espionne et une tueuse redoutable. Zéro et Maria, après l’avoir appréhendée, la livrèrent à la CIA par qui elle est toujours détenue.



Président Jonathan Rutledge : L’ancien président de la Chambre des Représentants des États-Unis accéda au Bureau Ovale après la destitution de ses prédécesseurs. Bien qu’il eût d’abord pensé à démissionner, Rutledge fut galvanisé par la persévérance et le soutien de Zéro et décida donc de rester en poste pour faire autant de bien que sa position le lui permettrait.




PROLOGUE


Le navire à lui seul était une œuvre d’art moderne.

Mesurant seize mètres de la proue à la poupe, il pouvait accueillir confortablement jusqu’à quatorze hommes alors que trois suffisaient à le faire naviguer efficacement. Il contenait à son bord deux moteurs à double étalonnage combinés pour un total de quatorze cents chevaux et d’une vitesse de pointe atteignant les deux cent quarante kilomètres par heure. Équipé d’une technologie furtive, il était pratiquement invisible aux radars, aux sonars, aux infrarouges et à presque toute autre forme de détection électromagnétique. Sa coque était pourvue d’un revêtement réfléchissant qui, en y regardant de plus près, présentait un aspect argenté lui donnant une apparence presque fluide, imitant ainsi le mouvement de l’eau dans lequel il baignait lorsqu’il était au repos, amarré. Cependant, au-delà de trois cents mètres, il n’apparaissait plus que comme un simple flou nébuleux, une vague de chaleur peut-être, un reflet de l’océan, ou encore un mirage.

C’était la raison pour laquelle il portait le nom de Banjjag-Im, ou, dans l’adaptation de son coréen natal à l’anglais, langue que partageait l’équipage multiculturel, il était tout simplement appelé Glimmer (Lueur).

Et pourtant, en dépit de tous ses outils et accessoires, le Glimmer n’était qu’un simple vaisseau, non seulement au sens maritime du terme, mais également dans sa définition littérale de transporteur, un simple moyen d’acheminement d’un trésor bien plus grand. À la manière d’un coffre doré ou un d’un écrin à bijoux, ce que renfermait le Glimmer, caché derrière les formes incurvées de sa coque, enfoui sous une trappe automatisée en aluminium et relié à un ascenseur hydraulique, c’était le véritable chef-d’œuvre, le magnum opus de ceux qui connaissaient son secret.

Park Eun-ho se considérait comme incroyablement chanceux de pouvoir être des leurs. À l’âge de vingt-neuf ans, il était le plus jeune de l’équipage d’environ dix ans, mais son travail en théorie balistique du plasma était indispensable au projet qui ne serait, dorénavant, plus théorique. Cette simple pensée lui donnait le vertige, même s’il faisait de son mieux pour n’en rien montrer et maintenir la solennité qu’affichaient ses collègues. Il devait bien admettre, même si ce n’était qu’à lui-même, que son intérêt pour le domaine avait initialement été engendré par les jeux vidéos. Devant les autres, il pouvait disserter pendant des heures sur l’influence que la science-fiction avait sur le monde réel – des téléphones mobiles, écrans tactiles, réalité virtuelle, intelligence artificielle, aux boissons énergétiques – tous ces rêves qui semblaient impossibles mais qui devinrent réalité à force de persévérance.

Il avait été recommandé par son mentor, le Dr Lee de l’Université de Séoul et, pendant les tous premiers mois, Eun-ho n’avait eu pratiquement aucune idée de ce sur quoi il travaillait, si ce n’est, en raison de la charge de travail exigée et, évidemment de la nature de ses recherches, qu’il s’agissait d’une arme. Au final, les résultats des travaux de recherche avaient nécessité une mise en commun et, à cette occasion, les nombreux ingénieurs qui avaient travaillé d’arrache-pied à ce projet top-secret avaient été conviés.

Eun-ho découvrirait plus tard que seuls deux hommes avaient été mis dans la confidence de l’intégralité des détails du projet : un général du Ministère de la Défense Nationale et un politicien haut placé proche du président, tous deux membres du gouvernement de ce qu’il nommait Hanguk (Corée, dans la forme romanisée de sa langue natale quand on parlait anglais), le pays que l’Occident appelait Corée du Sud. Eun-ho ne les avait pas rencontrés, de même qu’ils n’avaient pas embarqué en compagnie des douze hommes dont faisait partie Park Eun-ho, à bord du Glimmer pour son voyage inaugural.

C’était un privilège qu’une infime partie de lui regrettait.

Ils avaient quitté la rive sud-ouest presque trois heures auparavant, durant ces heures étranges qui, selon la perspective, pouvaient être considérées comme très tard dans la nuit ou très tôt le matin. Lorsqu’il ne naviguait pas, le Glimmer était abrité sous un hangar bâti sur une étendue de plage rocheuse et encerclé par des panneaux avertissant les touristes que la zone était truffée de mines terrestres non explosées, datant de la guerre de Corée (ce qui, évidemment, n’était pas vrai). Sous couvert de la nuit, les douze hommes avaient embarqué sur le vaisseau miracle pour rejoindre l’océan Pacifique Nord en maintenant une vitesse fort peu impressionnante durant les premiers quatre-vingts kilomètres. Le Glimmer était véritablement indétectable, mais ils ne voulaient toutefois prendre aucun risque quant aux satellites de surveillance américains ou aux espions de leurs voisins du Nord, le pays qui continuait de s’autoproclamer les Choson.

Ce sur quoi Eun-ho avait de vagues regrets ne concernait ni l’heure ni les circonstances de leur départ, mais plutôt la période de l’année ; début février il faisait assez froid mais, sur l’océan, le froid devenait mordant. Le vent glissait aisément le long de la coque profilée du navire et lui cinglait sauvagement le visage. Les éclaboussures occasionnelles de l’océan glacé lui piquaient les joues. Les moteurs étaient étonnamment silencieux, ressemblant plus à un bourdonnement sous ses pieds qu’à un son audible, même si l’on pouvait partiellement attribuer cela au fait qu’il avait fermement rabattu la capuche de son anorak doudoune sur sa tête. Même si les machines ne faisaient presque aucun bruit, l’équipage n’en était pas moins sombre et silencieux, comme si l’excursion nécessitait une sorte de révérence. Parmi eux se trouvaient des chercheurs, des experts, des docteurs aux spécialisations scientifiques variées, dont Eun-ho n’avait pas la moindre idée et qu’il n’était pas autorisé à demander. Même leurs identités complètes n’étaient pas connues ni des uns ni des autres. Pour ses onze camarades, Eun-ho était tout simplement « Park », dont la prononciation anglicisée de ses compagnons non-Coréens l’agaçait légèrement. Dans sa langue maternelle, son nom se prononçait plutôt comme « Bahk ».

Il ne prenait pourtant pas la peine de les corriger.

À sa gauche, sur la banquette rembourrée près de la poupe du Glimmer, se trouvait un homme qu’il connaissait sous le nom de Sun, un collègue chercheur coréen que Eun-ho aurait pu croire charpentier ou pratiquant un tout autre métier manuel, en raison de l’état calleux de ses doigts et de ses articulations noueuses. À sa droite se trouvait un Européen à la mâchoire carrée et rasée de près, aux cheveux blonds dorés impeccablement coiffés et gominés de gel que même le vent glacial n’avait pas réussi à ébouriffer. Il était difficile de deviner son âge ; il pouvait aussi bien être un trentenaire aux traits marqués qu’un quarantenaire bien conservé ou avoir n’importe quel âge entre les deux. Il parlait rarement et, lorsqu’il le faisait, c’était d’une voix douce. Eun-ho supposait qu’il devait être néerlandais. Cependant, l’élément le plus frappant dans l’apparence de l’Européen était le pistolet anguleux d’un noir mat qui reposait sur sa hanche, fermement fixé dans son holster assorti en nylon. En dépit du fait qu’il se trouvait presque littéralement assis sur une des armes les plus puissantes et révolutionnaires au monde, la vision du pistolet sur la hanche de l’homme était bien plus troublante.

« Excusez-moi », lui demanda en anglais Eun-ho en couvrant les rugissements du vent. Son anglais était excellent ; il l’étudiait depuis qu’il avait sept ans. « À quoi cela vous sert-il ? »

L’Européen le regarda sans ciller : « Sécurité ».

Ah. Finalement, il n’était pas néerlandais. Sa voix, qu’il avait dû forcer pour parler de manière audible malgré le vent, était lourde de consonnes et, à l’oreille d’Eun-ho, ressemblait à de l’allemand.

Malgré tout, cette réponse n’était pas entièrement satisfaisante. Quels besoins, en termes de sécurité, avaient-ils ici, à presque cinq cents kilomètres au sud-ouest du Japon ? Personne ne savait qu’ils se trouvaient ici. Personne ne les recherchait. Le Glimmer était presque invisible.

Peut-être, pensa Eun-ho, est-ce dans l’éventualité où quelqu’un aurait des remords quant à ce que nous venons de créer. Il jeta un coup d’œil aussi désinvolte que possible sur les visages rouges et gercés de ses collègues. Est-ce que quelqu’un parmi eux pourrait changer d’avis à la vue de la puissance destructrice de l’arme ?

Comme pour répondre à cette question, le gémissement des moteurs diminua et le bateau ralentit. Eun-ho sentit un frisson lui parcourir l’échine qui n’était dû ni à l’eau glacée ni au froid mordant. Le soleil se levait à l’horizon, transformant les eaux sombres en bleu et ornant le ciel de stries roses.

« Messieurs. » L’homme que l’on appelait Kim, seulement Kim, se tenait près de la proue. Il les salua de ses mains gantées et répéta cette phrase en anglais au profit de leurs amis non coréens. Ses petites lunettes rondes et ses tempes dégarnies faisaient de lui un véritable stéréotype du scientifique dédié à la fabrication d’armes tels ceux qu’Eun-ho pouvait trouver dans ses romans de science-fiction. « Aujourd’hui est un jour capital. Il marque l’aboutissement de deux années de travail collectif acharné. Il est regrettable que si peu de personnes puissent assister à cet événement. Toutefois, soyez assurés, mes amis, que l’histoire se souviendra de vos noms !« Seulement si cette satanée machine fonctionne », grommela Sun dans sa barbe.

Eun-ho retient un gloussement.

« Allons-y », déclara Kim. Il fit un signe de tête à un autre, qui se tenait devant un panneau de commandes complexes piloté par trois personnes, juste derrière la colonne de direction du Glimmer et séparé du reste du bateau par un pare-brise épais que Eun-ho savait à l’épreuve des balles. L’homme inséra une clé dans une fente, la tourna et saisit un code à quatre chiffres sur le clavier tactile.

Les portes en aluminium au centre du navire s’élevèrent avec un lourd vrombissement, s’ouvrant vers l’extérieur comme une paire de portes Bilco. Un bourdonnement plus profond résonna lorsque l’ascenseur métallique fut activé. En quelques instants, l’arme sortit des entrailles du Glimmer telle une apparition angélique. C’était un spectacle magnifique à contempler.

Même les experts les plus pointus en la matière diraient qu’un canon à plasma est, au mieux de la théorie, au pire un rêve farfelu, et pourtant, ils en avaient construit un. Après deux ans d’un travail acharné vingt-quatre heures sur vingt-quatre de la part de quelques-uns des esprits les plus brillants que les mondes oriental et le monde occidental aient connu, de mariages brisés, de vies personnelles jetées aux oubliettes et d’un budget absolument indécent, une arme que l’on pensait ne jamais voir le jour venait de naître.

Dressée sur toute sa hauteur sur l’ascenseur hydraulique, l’arme dépassait la coque du Glimmer d’environ trois mètres. Les deux rails parallèles qui composaient essentiellement le « canon » de l’arme mesuraient six mètres de long, une paire d’électrodes ultra-résistantes le long desquelles une armature de particules ionisées de type gazeux glisserait à une vitesse supérieure à environ sept fois celle du son. La portée de tir effective du canon, pour autant que ses modèles prédictifs puissent le dire, était de deux cent quarante à trois cent vingt kilomètres.

Les paroles de Sun résonnaient dans la tête de Eun-ho. Seulement si cette satanée machine fonctionne. Bien sûr, tous les systèmes qui composaient le canon à plasma avaient leur importance et formaient un tout, mais il aimait à penser que son travail était sans nul doute le plus important ; après tout, si l’arme ne pouvait pas tirer de projectile à plasma, elle serait parfaitement inutile.

Il n’était pas superstitieux, et pourtant, il croisa les doigts.

« Regarde », lui marmonna Sun tandis qu’il lui présentait une paire d’épaisses jumelles noires.

Eun-ho les saisit en hochant la tête. « Où ? »

Sun lui montra du doigt, et Eun-ho regarda dans la direction qu’il lui indiquait. Il pouvait à peine la voir, telle une ombre vague à travers le soleil encore levant. C’était une barge à ordures de soixante-dix mètres de long où s’entassaient des déchets en provenance de Séoul. Elle n’avait pas d’équipage à son bord et les quelques faibles lumières autour de son périmètre étaient les seuls avertissements qu’un quelconque navire pourrait recevoir pour éviter une collision. La barge était amarrée depuis trois semaines à présent, à cet endroit précis et dans ce but précis.

Elle ne se trouvait qu’à dix-huit kilomètres. Le test d’aujourd’hui était un voyage inaugural pour ainsi dire, non pas pour tester l’étendue des possibilités du canon, mais pour s’assurer de son efficacité, de sa précision et de sa puissance – et surtout, comme l’avait si justement souligné Sun, que cette satanée machine fonctionne bien.

« Prêt », déclara Kim.

Le canon à plasma prit vie dans un craquement sourd. Eun-ho savait qu’il lui fallait huit secondes pour préparer sa charge, délai durant lequel l’opérateur entrait habilement les coordonnées et, en quelques secondes seulement, l’arme corrigeait automatiquement sa trajectoire afin d’atteindre sa cible.

« Prêt », répéta l’homme derrière la console.

Kim jeta un regard à ses collègues qui attendaient dans l’expectative. Alors, en hochant brièvement la tête, il dit : « Feu ! »

Tout alla si vite que Eun-ho n’eut pas le temps de réaliser ce qu’il se passait. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, une étincelle de plasma bleu se mit à danser le long des électrodes du canon. Ce fut terminé tout aussi rapidement. Il n’y eut pas de craquement strident, pas de boum sonore, pas de bourdonnements aigus dans les oreilles. Il y eut un simple son étrange – comme un zoum ! – et une microseconde de plasma bleu. À peine plus qu’un flash.

Et l’instant d’après, à dix-huit kilomètres de là, la barge explosa. Même à distance, la force de l’explosion le fit tressaillir. Un instant, on apercevait à peine la barge à l’horizon même avec les jumelles et, l’instant d’après, il y eut un arc de feu ardent dans le ciel en une explosion de morceaux qui volèrent sur des centaines de mètres dans toutes les directions, éclairant les premières heures matinales.

Quelques secondes après, ces morceaux enflammés crépitèrent avant de sombrer dans les eaux glaciales de l’Océan Pacifique Nord.

En de telles circonstances, beaucoup de grands hommes avaient eu la clairvoyance de préparer un discours pour l’occasion, sachant, ou tout du moins suspectant, que leurs mots seraient rapportés aux générations futures dans les livres d’histoire, ou déversés sur Internet, ou, au pire, consignés par une des personnes présentes. Cependant, Eun-ho n’avait rien préparé de tel et, à ce moment précis, il ne réussit à prononcer qu’une syllabe étouffée.

« Ho ! »

Le test s’était particulièrement bien déroulé. Cette satanée machine fonctionnait à la perfection. À l’endroit où s’était trouvée la barge quelques instants auparavant, on ne voyait à présent rien d’autre que les eaux bouillonnantes. La force destructrice du canon à plasma était immense, pas tout à fait celle d’une ogive, mais ce n’était pas une arme explosive. C’était une arme tactique, précise ; ses objectifs étaient plus petits, plus stratégiques et pouvaient même être mobiles. Le canon à plasma serait des plus aptes à couler des navires, à abattre des avions, ou même à contrer des missiles. La capacité qu’il avait à corriger automatiquement sa trajectoire presque instantanément et la vitesse du projectile à plasma de Mach 7 le rendaient virtuellement indestructible. Son seul défaut ne résidait que dans les huit secondes de chargement qui étaient nécessaires avant de pouvoir tirer et, quand bien même, c’était un pâle défaut quand on le comparait aux missiles à longue portée, torpilles ou autres canons de cuirassés. Sa taille relativement petite lui procurait une plus grande mobilité et ses capacités de furtivité le rendaient presque invisible aux yeux de l’ennemi, même à proximité.

Le canon à plasma pourrait révolutionner l’aspect des conflits militaires modernes, même si ce n’était pas son but premier, du moins, ce n’était pas ce que l’on avait dit à Eun-ho et ses collègues. Malgré les nombreux milliards dépensés pour la création de cette arme (la Corée du Sud possédait le dixième budget militaire le plus élevé au monde), ils en produiraient cinq de plus. De cette façon, la demi-douzaine de canons à plasma protégeraient la frontière qui les séparait de leur voisin du Nord, mais les protégeraient aussi de n’importe quel ennemi ou envahisseur potentiels. Ils ne cherchaient pas à devenir une plus grande puissance militaire ou à détruire quiconque qui ne soit pas un agresseur ; il s’agissait de protection, d’assurer la sécurité de leur peuple et rien de plus.

Et il était, lui, Eun-ho Park, parmi ceux qui étaient responsables du bien-être et de la sécurité de son peuple. Il avait contribué à rendre une telle chose possible. Même le vent mordant de février en provenance de l’océan ne pouvait gâcher l’immense sentiment de fierté qui l’étreignait.

« Dr Kim ! » s’écria brusquement l’homme derrière la console. « Un bateau ! »

La tête d’Eun-ho pivota rapidement en direction du cri de détresse et ses yeux s’écarquillèrent lorsqu’il s’aperçut que l’homme ne regardait pas l’écran radar de sa console, mais désignait quelque chose par-delà la proue. Un bateau s’approchait en effet, à moins de quinze cents mètres et bondissait sur les crêtes à pointes blanches tandis que sa distance s’amenuisait.

Ils avaient tous été distraits par la démonstration et en avaient oublié de rester vigilants. Ils avaient supposé qu’ils étaient en sécurité.

« Mais qu’est-ce que c’est que ça ? » grogna Dr Kim. « Qui…? »

Eun-ho se rendit compte qu’il tenait toujours dans ses mains les jumelles de Sun. Il les souleva à hauteur de son visage et les ajusta. Il ne s’y connaissait pas trop en bateaux, mais suffisamment pour savoir que celui qui était à l’approche n’était pas militaire et pas aussi récent que l’était le Glimmer. La coque ébréchée et décolorée témoignait d’une certaine usure… et étaient-ce des impacts de balles qu’il apercevait sur son flanc ?

Il regarda sur le pont et laissa presque échapper un cri d’étonnement. Les hommes qui y étaient rassemblés portaient des vêtements adaptés au froid, mais les zones exposées de leur peau sombre laissaient supposer qu’ils étaient Africains. En outre, les armes qu’ils tenaient fermement dans leurs mains indiquaient clairement que leurs intentions étaient tout sauf amicales.

Eun-ho n’était pas un spécialiste des bateaux mais, en revanche, il s’y connaissait bien en armes, suffisamment en tout cas pour reconnaître un AK-47 lorsqu’il en voyait un.

« Monsieur », dit-il docilement à Kim. « Je ne sais pas comment dire ça, mais je crois que ce sont… des pirates. »

« Donnez-moi ça ! » s’exclama Kim en lui arrachant les jumelles des mains. Les joues imberbes du docteur s’affaissèrent légèrement tandis qu’il gardait les yeux rivés aux jumelles.

Bien sûr, ils avaient tous entendu des histoires sur ces pirates des temps modernes, tout particulièrement ceux en provenance de Somalie, mais cela ne concernait que certaines zones territoriales ; leurs victimes étaient celles qui naviguaient dans le golfe d’Aden, la mer d’Arabie et certainement pas dans le Pacifique Nord où ils se trouvaient à des milliers de kilomètres de leur territoire de chasse.

L’Allemand se tenait debout à présent, son regard perçant fixé au-delà de la proue du navire. Il défit l’attache de l’étui en nylon qu’il portait à la taille et en sortit son arme avec une fluidité telle qu’on aurait pu imaginer qu’elle venait tout juste d’apparaître dans sa main.

Ce fut Sun qui prit la parole.

« Pointez l’arme sur eux. »

Dr Kim lui lança un regard de totale incrédulité : « Est-ce que vous êtes devenus fous ? Vous voulez qu’on les tue tout simplement ?

– Ils ont des armes, murmura l’Allemand, des fusils d’assaut.

– Ils ont tout vu, insista Sun. Ils nous ont vus tirer avec le canon et ils veulent le récupérer. Pas de doute possible. Visez-les. »

Une boule de panique vrilla les entrailles de Eun-ho. C’était assez étrange de penser qu’en dépit de tout le temps qui avait été consacré à ces recherches, il n’avait pourtant jamais envisagé que cette arme de génie puisse être utilisée pour supprimer des vies. Qu’il en serait partie prenante. Que ses propres mains avaient permis la construction de ces projectiles. À présent, ils étaient là, confrontés à une menace bien réelle et avec très peu d’échappatoires possibles.

« Vous avez quinze secondes pour vous décider, déclara l’Allemand avec son accent âpre et d’une voix tonitruante qu’il ne lui connaissait pas.

– Non, déclara Kim fermement. Nous pouvons les distancer aisément. Mettez les moteurs en marche !

– Nous devons d’abord abaisser l’arme… balbutia l’homme à la console.

– Eh bien allez-y ! hurla Kim. Maintenant, vite !

– Mais ils ont tout vu ! insista Sun encore une fois.

– Dix secondes », intervint l’Allemand. »

Une salve de tirs automatiques déchira l’air, si forte et nette au-dessus de l’océan que Eun-ho porta instinctivement ses mains sur son crâne. Il ressentit le vrombissement de l'ascenseur hydraulique descendant le canon à plasma au fond des entrailles du Glimmer. Il entendit les cris, d’abord ceux paniqués et suppliants de certains de ses collègues, puis d’autres, gutturaux, furieux et inintelligibles à son oreille, une langue qui n’était ni le coréen, ni l’anglais, ni le mandarin que Eun-ho parlait aussi couramment, mais qui semblait à la fois furieuse, exigeante et terriblement menaçante.

Lorsqu’il osa à nouveau regarder, l’esquif des pirates – car il était désormais arrivé à la conclusion qu’il s’agissait bien de pirates – s’était rapproché et avait ralenti pour se positionner perpendiculairement à la proue du Glimmer de sorte qu’il ne pouvait désormais plus avancer.

« Renversez les gaz, maintenant ! » glapit Kim tandis que la trappe se refermait sur le canon.

L’homme à la console enveloppait sa main sur la manette des gaz lorsqu’une détonation brusque et soudaine fit sursauter Eun-ho. La tête du pilote fut projetée sur la droite tandis qu’un nuage de brume rouge se déversait sur la mer derrière lui.

L’Allemand abaissa son pistolet. Le silence et l’incrédulité qui suivirent le moment étaient écrasants ; l’homme de la console s’affaissa sur le pont. Les pirates observaient la scène. Les collègues d’Eun-ho restaient, eux, parfaitement immobiles. Ses jambes se tétanisèrent, si pesantes qu’elles semblaient s’être enracinées au pont du navire.

Dans ce moment de flottement, l’Allemand se tourna et sans la moindre émotion tira une seconde balle en pleine tête du Dr Kim.

Cela les fit sortir de leur torpeur. Plusieurs crièrent. Deux autres se précipitèrent en avant, Sun et un autre homme, Bong, si Eun-ho se rappelait correctement. Ils se jetèrent sur l’Allemand mais celui-ci pivota et, au lieu de s’embêter avec son pistolet, il leur asséna un grand coup de coude qui vint s’écraser sur le nez de Sun avec un craquement sinistre ; la tête de celui-ci fut projetée en arrière et le sang qui en jaillit en arc de cercle vint maculer la parka d’Eun-ho. Avec la même fluidité dont il avait fait preuve pour décocher son arme, l’Allemand fit tourner le pistolet dans sa paume, l’agrippant par le canon et asséna un coup à Bong juste derrière la mâchoire avec la crosse.

Les jambes d’Eun-ho s’affaissèrent, ses genoux se dérobèrent et percutèrent lourdement le pont, lui provoquant une onde de douleur dans tout le corps. Deux autres coups de feu furent tirés, pop-pop en une rapide succession et, même les yeux fermés, il reconnut le son révélateur de deux corps qui s’écroulaient.

Il y eut un splash, puis un autre, des collègues qui, entre la fuite, la lutte ou l’immobilisme avaient choisi la fuite. Cependant, alors que la terreur s’était emparée de lui, Eun-ho se dit que cette option revenait au même que l’immobilisme. En effet, en plein mois de février dans les eaux glacées du Pacifique Nord, ils seraient immobiles pour l’éternité en moins d’une minute.

Pop.

Pop-pop.

Ce n’était pas le son déchirant des rafales automatiques que l’on entendait, mais les simples détonations du pistolet noir mat. Ce n’étaient pas les pirates qui faisaient feu, réalisa-t-il alors, ilspatientaient. Ils attendaient patiemment que tout soit fini pour s’emparer du canon. L’Allemand les avait trahis. L’homme responsable de leur sécurité était celui qui avait causé leur perte.

Quand finalement Eun-ho rassembla suffisamment de courage pour ouvrir de nouveau les yeux, le pont du Glimmer était maculé de sang par endroits et blanc immaculé en d’autres. Quatre des pirates africains étaient montés à bord, se mettant à deux afin de balancer les corps de ses collègues par-dessus bord.

L’Allemand était debout derrière lui, tenant négligemment son pistolet dans la main gauche comme s’il s’agissait d’un simple accessoire.

« Pourquoi ? » demanda Eun-ho, ou tout du moins essaya-t-il, mais tout ce qui réussit à sortir de sa bouche fut un son étouffé pareil à un sifflement.

« Un simple jeune homme », murmura l’Allemand, de cette voix douce, celle qui avait fait croire à tort à Eun-ho qu’il pouvait être hollandais, « mais ce sont souvent les jeunes hommes qui souffrent le plus dans ce genre de situation. »

Eun-ho ne put s’empêcher de sursauter légèrement lorsqu’il sentit le canon du pistolet pressé contre sa tempe. Il ferma de nouveau les yeux. La brise était fraîche, mais le soleil matinal venait agréablement caresser son visage.




CHAPITRE UN


Zéro était allongé à plat ventre sur une congère, espérant être à la fois suffisamment au ras du sol et suffisamment éloigné du chalet pour ne pas être visible tandis, que le soleil se couchait sur la prairie. Il maudit son manque de prévoyance – il aurait dû porter du blanc ; sa veste synthétique doublée de molleton était beige, une couleur assez proche en théorie, mais se détachant sans aucun doute sur le blanc pur de la neige. La cagoule qui lui recouvrait le visage était quant à elle noire car, eh bien, il était difficile d’en trouver une qui ne le soit pas, surtout dans des délais aussi brefs.

Il porta une nouvelle fois les jumelles à ses yeux et scruta le chalet au loin. Toujours aucun mouvement. Pourtant, il savait qu’il se trouvait au bon endroit ; la question était de savoir si oui ou non la cible se trouvait actuellement à l’intérieur.

Zéro aurait aimé être mieux équipé. Il n’avait qu’une vague idée de ce qui l’attendait et tout cela ne lui disait rien de bon. Il portait ses vêtements pour temps froid. Il avait les jumelles. Il avait une arme, un petit Walther PPK argenté avec un canon trois pouces trois et une capacité de six coups. Beaucoup croyaient que la série PP signifiait « pistolet de poche » car ces armes se dissimulaient facilement mais, en réalité, ces initiales correspondaient à Polizeipistole – littéralement, « pistolet de police » – ce qui était rendu d’autant plus amusant qu’il était actuellement dissimulé dans la poche droite de sa veste.

Zéro n’avait ni radio, ni détecteur de mouvements, ni dispositif d’écoute, pas même un téléphone. La CIA pourrait le localiser grâce à son téléphone… ou, bien plus dangereux encore, sa fille Maya pourrait le localiser avec son téléphone. Elle n’avait pas cru une seule seconde qu’il se rendait chez un neurologue en Californie pour la blessure qu’il avait subie à la main quelques années auparavant. Comme d’habitude, elle avait raison.

Zéro ne se trouvait pas en Californie. Il ne se trouvait même pas aux États-Unis. Au lieu de cela, il était allongé à moitié enseveli sous un amas de neige dans un coin reculé du Nord-Est de la province Saskatchewan, au Canada. Parce qu’il ne pouvait compter que sur l’utilisation de cartes papier et de stylos, il n’avait qu’une vague idée de l’endroit où il se trouvait. Le paysage qui l’entourait ne se résumait qu’à une vaste bande de prairie qui s’étalait à perte de vue, seulement entachée par la neige que des bourrasques avaient arrangée çà et là en congères et par de rares arbres décharnés.

Et bien sûr, il y avait le chalet.

Il se trouvait à environ cinq cents mètres de lui, une modeste construction modulaire de plain-pied qui ne semblait ni ancienne ni moderne. Il avait à peu près la taille et la forme d’un semi-remorque (sur lequel, supposait Zéro, on l’avait transporté jusqu’ici) et avait été déposé sans plus de cérémonie sur une fondation en parpaings, dont certains s’étaient affaissés sous son poids, le faisant pencher légèrement d’environ trois degrés.

Sur le côté est du chalet, Zéro pouvait apercevoir une citerne en acier inoxydable, certainement destinée à collecter la neige fondue et les eaux souterraines. Même à cette distance, il pouvait entendre le faible ronronnement du générateur diesel et n’arrivait pourtant pas à l’apercevoir d’où il était. On distinguait par ailleurs, très clairement, deux panneaux solaires sur le toit. Le chalet était petit, auto-suffisant et presque complètement introuvable.

Enfin, presque, sinon, il ne l’aurait jamais trouvé.

Après ce qui lui parut des heures, le soleil se coucha finalement derrière l’horizon, obscurcissant suffisamment la plaine pour que Zéro puisse sortir de sa tanière. Il en était reconnaissant car, avec la tombée de la nuit, la température avait chuté et le froid était mordant malgré les précautions qu’il avait prises pour s’en prémunir. La partie nord du Saskatchewan était tout sauf clémente au mois de février.

Avant de se diriger prudemment vers le chalet, il procéda à une rapide vérification mentale. C’était un exercice qu’il avait commencé à pratiquer quotidiennement, puis presque toutes les heures, et ce rituel, devenu comme une seconde nature, lui permettait de s’assurer que sa mémoire ne commençait pas à lui faire défaut ou à se détériorer. Tout d’abord, il pensait à ses filles, Maya et Sara, qui avaient respectivement dix-huit et seize ans. Il visualisait leur nom, leur visage, leur âge, le son de leur rire. Ensuite, il pensait à Maria Johansson, ses cheveux blonds lui descendant en cascade le long du dos et ses yeux d’une teinte gris ardoise qui, d’une certaine façon, réussissaient à paraître vifs et froids en même temps. Pour finir, il pensait à Kate, sa femme.

« Kate. » En fait, il avait murmuré son nom à voix haute, plus comme un mantra qu’autre chose, comme un Amen ponctuant une brève prière ; son nom avait été la première chose qu’il avait oublié lorsque les défaillances latentes de sa mémoire avaient commencé à se manifester. Il revoyait son visage, son odeur, son rire et le petit sifflement qu’elle émettait lorsqu’elle fulminait. Il se souvenait qu’elle avait été assassinée par un ancien agent de la CIA nommé John Watson, un homme que Zéro avait, par le passé, considéré comme étant son ami. Un homme qui s’était enfui et dont on avait perdu toute trace depuis que Zéro avait décidé de l’épargner.

Alors, il avança doucement et prudemment en direction du chalet, sur la pointe des pieds et balançant son poids à chacun de ses pas. Il ne pouvait pas faire grand-chose pour les traces qu’il laissait dans la neige mais, au moins, il pouvait essayer d’éviter le crissement à chacun de ses pas.

Son rituel, sa « vérification mentale » comme il l’appelait, était un peu plus important que de s’assurer qu’il n’avait pas de simples trous de mémoire. Huit semaines auparavant, il avait consulté un neurologue suisse, le D. Guyer, le même homme qui lui avait auparavant implanté le suppresseur de mémoire, et qui lui avait annoncé de funestes nouvelles. Il l’avait informé que sa mémoire continuerait de se dégrader à un rythme inconnu jusqu’à disparaître complètement et les dommages infligés à son système limbique finiraient, selon toute vraisemblance, par le tuer.

Tout cela était en grande partie la raison pour laquelle il surveillait un chalet dans un coin isolé du Saskatchewan en pleine nuit et au beau milieu de l’hiver. Il avait besoin de tout reprendre depuis le début et de trouver quelqu’un qui pourrait lui fournir des réponses. Du moins, il l’espérait.

Il s’arrêta à une cinquantaine de mètres de l’habitation, posa un genou à terre et demeura ainsi pendant plusieurs minutes dans un silence complet en observant ce qui se passait. De là où il se trouvait, Zéro n’aperçut aucune lumière dans le chalet. Peut-être pour économiser de l’énergie ? Ou bien, les fenêtres étaient-elles recouvertes de planches en bois ? Ou peut-être n’y avait-il personne dans la maison. Toutefois, il pouvait entendre le ronronnement du générateur Diesel un peu plus nettement à présent. S’il n’y avait vraiment personne à l’intérieur, pourquoi était-il en marche ?

Zéro se hissa sur la pointe des pieds et reprit sa marche. Même de nuit, il pouvait voir la façade extérieure du chalet et ne remarqua ni caméra, ni détecteur, ni tourelles automatiques armées qui le déchireraient en lambeaux à la seconde même où il entrerait dans leur champ de vision. Aussi ridicule que cela puisse paraître, connaissant sa cible, ses craintes étaient bel et bien justifiées.

Il réalisa alors que sa main s’était automatiquement glissée dans la poche de sa veste et avait agrippé son PPK. Il le relâcha. Il n’aurait pas besoin de son arme, pas ici. Il ne l’avait apportée que par simple mesure de précaution. Cependant, tandis que Zéro atteignait la porte d’entrée du chalet, il était vaguement conscient que sa minutieuse planification s’arrêtait là. Il avait imaginé ce scénario des centaines de fois, notamment durant les dernières heures qu’il avait passées allongé sur la congère et, pourtant, il n’avait aucun moyen de savoir avec certitude ce qui l’attendait derrière cette porte. S’il s’était agi d’un assaut, les choses auraient été bien plus simples ; généralement, il surgissait à l’intérieur, arme au poing et prêt à affronter n’importe quelle situation. Il tirait en premier et posait des questions ensuite.

Cette fois-ci, cependant, il tourna simplement la poignée de la porte. Elle s’ouvrit facilement, car elle n’était pas fermée à clef. Il poussa la porte et enjamba le seuil prudemment. Comme il l’avait soupçonné depuis l’extérieur, la cabane était entièrement plongée dans le noir. Pourtant, le générateur vrombissait quelque part derrière lui.

C’est un piège.

Son cerveau eût à peine le temps d’enregistrer le message qu’il avait déjà fait un autre pas à l’intérieur. Une dalle sous son poids s’enfonça légèrement, pas plus de cinq ou six millimètres.

Une plaque de pression.

Zéro se figea.

« Je ne relèverais pas ce pied si j’étais toi. » La voix lui était familière et pourtant lui semblait venir de toute part, comme si elle provenait d’un microphone multi-directionnel. « Lève les mains, s’il te plaît. »

Zéro fit ce que la voix lui ordonnait. « Je ne suis pas armé », dit-il d’une voix rendue serrée et rauque pour avoir passé des heures de silence dans le froid dehors.

« Si, tu l’es », le contredit simplement l’ingénieur. « Tu viens de passer environ quatre heures, allongé derrière une congère. Des caméras dissimulées dans deux des arbres étaient braquées sur toi. Le gros rocher que tu as dépassé il y a une centaine de mètres était en réalité un scanner corporel. Tu as un pistolet caché dans la poche droite de ta veste. Garde les mains levées et les piedsàterre. »

Une lumière s’alluma et une LED blanche aveugla Zéro. Derrière celle-ci, une silhouette provenant d’une petite pièce arrière apparut.

« Bixby », prononça Zéro.

La silhouette se figea.

Lentement, Zéro porta les mains à sa tête et fit ce qu’il aurait dû faire avant même d’entrer dans le chalet. Il saisit le tissu de sa cagoule et la retira. Ses cheveux étaient emmêlés et des mèches égarées étaient collées sur son front par la sueur.

« Oh », s’exclama Bixby. La déception dans sa voix était palpable. « Je ne pensais pas qu’ils t’enverraient, toi, mais je suppose que j’aurais dû m’en douter.

– Ce n’est pas le cas », insista Zéro calmement, les deux mains levées au niveau de ses oreilles. « Je te jure que ce n’est pas le cas. Personne ne m’a envoyé ici. Je suis venu ici de mon propre chef et je suis seul. »

Bixby fit un pas en avant, en veillant à rester suffisamment à distance pour ne pas se faire attraper mais suffisamment proche pour que Zéro puisse le voir, à la limite du halo lumineux émis par la LED. La dernière fois que Zéro avait vu l’ingénieur et inventeur excentrique de la CIA, Bixby portait alors une chemise en soie douce violette sous un gilet noir à trois boutons. Il arborait toujours ses lunettes de marque à monture d’écaille mais ne portait qu’un simple tee-shirt en flanelle et un jean. Il ne s’était pas rasé depuis plusieurs jours et sa barbe grise naissante allait de pair avec la couleur poivre et sel de ses cheveux qui semblaient avoir été peignés à la hâte, plus par habitude et hygiène que par souci du résultat.

Il avait des poches sous les yeux et sa peau était un peu jaunâtre. Zéro n’avait pas de mal à imaginer que Bixby n’avait pas dû beaucoup dormir ces deux derniers mois alors qu’il tentait d’échapper à la CIA.

« Comment puis-je être sûr que tu me dis la vérité ? demanda prudemment Bixby.

– Tu as bien dit que tu m’avais scanné non ? Si je suis armé, c’est par simple mesure de précaution. » Lorsqu’il prononça cette excuse à voix haute, il réalisa à quel point elle semblait ridicule, surtout pour un homme qui pensait que Zéro était là pour le tuer. « Je n’ai pas de téléphone. Pas de radio. Pas de traceur GPS. Tu l’aurais vu. »

Bixby haussa légèrement les épaules. « Fais mieux.

– On est amis.

– On l’était.

– On l’est », répliqua catégoriquement Zéro. Il pouvait voir dans les yeux de l’homme plus âgé que celui-ci souhaitait vraiment pouvoir le croire. Combien de fois Bixby l’avait-il préparé en vue d’une opération ? Combien de mauvaises blagues avaient-ils échangées ? La seule pensée que Zéro se trouvait ici pour l’assassiner était risible, du moins pour lui, mais Bixby ne pouvait pas être trop prudent. Pas après ce qu’il avait fait.

Deux mois plus tôt, Zéro et son équipe avaient empêché une bande de mercenaires chinois et leur chef russe de faire exploser un réacteur nucléaire d’une des installations de Calvert Cricks. Bixby les avait aidés en réalisant des modifications sur une machine appelée OMNI, un supercalculateur de la CIA capable d’espionner n’importe quel téléphone portable, tablette, ordinateur, radio ou tout autre dispositif intelligent situé sur le territoire continental des États-Unis. Son existence même était destinée à des situations tout à fait exceptionnelles et son utilisation nécessitait des autorisations émanant des plus hautes instances ; cette machine était hautement immorale, illégale et follement coûteuse.

Les modifications que Bixby avaient apportées à OMNI avaient également causé des dommages irréparables à ce fameux supercalculateur. Non seulement Bixby était le seul à avoir causé de tels dommages, mais il était également le seul à pouvoir les réparer, sauf que celui-ci s’était enfui et avait disparu de la circulation. Les deux hommes qui se trouvaient actuellement dans ce chalet ne doutaient pas un seul instant que, si la CIA posait la main sur Bixby, il n’y aurait pas d’arrestation, pas de procès et pas de peine de prison. Il n’y aurait qu’une balle entre les yeux et une tombe peu profonde, raison pour laquelle Zéro avait pris tant de précautions pour arriver là.

« Comment as-tu réussi à me trouver ? demanda Bixby.

– Est-ce que tu penses que tu pourrais désamorcer ce sur quoi je me trouve avant toute chose ? demanda Zéro en désignant la plaque de pression enfoncée sous son pied. Qu’est-ce que c’est, d’ailleurs ? Une mine ?

– Bien sûr que non, répondit Bixby. Les mines, ça en met partout. Tu sais bien que ce n’est pas mon style.

– Ah. » Une arme sonique selon toute vraisemblance. Si Zéro avait vu juste, soulever son pied de la plaque de pression déclencherait une explosion sonique soigneusement dirigée qui provoquerait instantanément des étourdissements, des nausées et une affreuse migraine, si ce n’était la rupture de ses organes internes.

« Enlève ta veste », ordonna Bixby. « Doucement. Et lance-la-moi. »

Zéro obéit, retirant d’abord ses gants épais, puis tira doucement sur la fermeture éclair du manteau doublé de molleton pour ensuite le faire glisser de ses épaules. Il l’envoya vers Bixby qui l’attrapa par le col. Ce ne fut qu’à ce moment-là que l’ingénieur extirpa une petite télécommande noire de sa poche arrière, appuya sur un simple bouton et lui fit un signe de tête entendu.

Quand bien même, Zéro retint sa respiration en soulevant son pied, ne reprenant son souffle que lorsqu’il constata que rien ne se produisait. « Merci.

– Assieds-toi là », lui dit platement Bixby. Zéro avait tellement été préoccupé par ce qu’il avait sous les pieds qu’il n’avait prêté aucune attention à ce qui l’entourait : c’était une simple pièce qui servait à la fois de salon, de salle à manger et de cuisine. La pièce à l’arrière devait être une petite chambre et il supposa qu’un coin salle de bain se trouvait quelque part, mais c’était à peu près tout.

Zéro fit ce qu’on lui dit et s’assit sur une petite chaise en bois.

« Comment m’as-tu trouvé ? » demanda encore une fois Bixby.

« Ça n’a pas été facile », admit Zéro. C’était le moins que l’on puisse dire. Les huit semaines qu’il lui avait fallu pour localiser la cabane isolée avaient été la mission la plus longue sur laquelle il avait travaillé jusqu’alors. « Je me suis rendu à ton appartement après ta disparition et le ratissage en règle de la CIA. J’ai regardé ce que tu avais emporté et laissé. Tu as plutôt fait du bon boulot pour couvrir tes traces, mais j’ai quand même noté que tout ton équipement pour le froid avait disparu. Je ne suis même pas sûr que la CIA savait que tu en possédais un. Je savais également que tu ne resterais pas aux États-Unis, ce qui nous a permis de réduire le nombre des pays vers lesquels tu aurais pu prendre la fuite…

– Nous ? l’interrompit sèchement Bixby.

– Reidigger m’a aidé », admit Zéro. Quand il s’agissait de retrouver quelqu’un, Alan était presque aussi habile que pour le faire disparaître. « Je me rappelais également cet hiver particulièrement rude durant lequel tu t’étais plaint de ton arthrite à la main, continua-t-il. Tu as dit que le seul médicament qui t’aidait lorsqu’il faisait si froid était le Trexall. Avec toutes ces informations et l’aide d’un certain hacker danois que nous connaissons bien tous les deux, nous avons répertorié toutes les nouvelles prescriptions de Trexall dans chacun des pays vers lesquels tu aurais pu fuir et nous avons recoupé ces données avec des identités jusqu’à ce que nous en trouvions une qui ne correspondait en fait à personne. Des milliers de noms. Cela nous a pris des semaines puis, soudain, un nom est sorti du lot, un homme résidant dans la Saskatchewan du nom de Jack Burton. Jack Burton qui, comme par hasard, est le nom du héros principal de ton film préféré. »

La commissure des lèvres de Bixby se retroussa légèrement en quelque chose qui ressemblait vaguement à un sourire : « Tu te souviens de ça ?

– Je m’en souviens, oui. Je suis donc venu ici et j’ai rendu une petite visite à la pharmacie qui te délivre tes médicaments. J’ai essayé de soudoyer le pharmacien avec mille dollars pour qu’il me dise où je pourrais te trouver, mais il n’a rien voulu dire. Je pensais que c’était une impasse quand, soudain, quelque chose m’est venu à l’esprit. J’ai demandé au pharmacien s’il connaissait la fameuse blague du paradoxe de la forêt amazonienne.

En entendant cela, Bixby sourit : « Ça sent le sapin ».

Zéro savait qu’il y avait peu de choses que Bixby aimait plus qu’une blague vaseuse ou un mauvais jeu de mots et, comme le pharmacien était le seul être humain que Bixby avait côtoyé depuis des semaines, il avait dû toutes les entendre.

« Cela l’a finalement convaincu que je te connaissais et que je devais te retrouver », conclut Zéro.

« Pourquoi ? questionna Bixby.

– Parce que nous sommes amis. »

L’ingénieur approuva d’un hochement de tête, mais son regard était perdu au loin. « Oui. Je suppose que nous le sommes, mais je ne reviendrai pas, Zéro. Je ne peux pas et nous le savons très bien tous les deux.

– Laisse Alan t’aider, plaida Zéro. Il est vraiment doué pour faire disparaître les gens et, quand je dis disparaître, je ne te parle pas à la manière de la CIA, je veux dire qu’il peut te procurer une nouvelle identité, une nouvelle vie. Pas… » Zéro désigna le petit chalet dans lequel ils se trouvaient. « Pas ça. »

Bixby tira la seconde chaise située de l’autre côté de la petite table en bois qui les séparait et s’assit en poussant un gros soupir : « Est-ce que tu travailles toujours pour eux ?

– J’y suis obligé. Tu le sais bien. » La seule raison pour laquelle Zéro ne se trouvait pas en prison ou pire, comme dans la prison secrète marocaine H-6 par exemple, tenait au fait qu’il avait accepté de reprendre du service dans les Forces Spéciales.

« Amis ou pas, déclara Bixby, si tu travailles toujours pour eux, alors, ta présence ici ne peut que m’apporter des ennuis. Je ne peux pas te laisser m’aider. Ni Alan. J’ai fait mes propres choix et je dois les assumer à présent. Et puis… » Il grimaça. « Ce n’est pas si mal. Et ce n’est que la première étape d’un long voyage. Crois-moi. »

Zéro expira longuement, sachant qu’il n’obtiendrait pas gain de cause sur ce coup-là. Cependant, convaincre Bixby d’accepter son aide était seulement une des raisons pour lesquelles il se trouvait ici. En fait, il comptait s’en servir comme monnaie d’échange contre un service beaucoup plus personnel.

« Il y a autre chose. J’ai besoin… de ton aide. »

Bixby haussa un sourcil. « Oh ? »

Zéro inspira profondément, ne sachant pas trop ce qu’il pouvait dévoiler sans en dire trop. « Le suppresseur de mémoire, commença-t-il. Tu en es l’un des deux inventeurs et, dernièrement, j’ai expérimenté certains… appelons-les “effets secondaires”. Des très mauvais.

– Zéro… »

Il ignora Bixby et continua dans son élan. « Il doit y avoir quelque chose que l’on puisse faire pour m’aider ou, je ne sais pas, un moyen de le désactiver. Il doit bien y avoir quelque chose que tu sais et que j’ignore…

– Zéro…

– J’ai besoin d’aide, bordel ! » Il frappa la table du poing.

« Zéro », répéta encore une fois Bixby en insistant. « Écoute-moi, s’il te plaît. Ce qui t’est arrivé est sans précédent. Je veux dire, ils t’ont extirpé ce fichu truc du crâne avec une paire de tenailles. Personne n’aurait pu imaginer une telle chose. Personne n’aurait pu prévoir une telle chose. Pour être tout à fait honnête, je suis même surpris que tu aies réussi à t’en sortir. Et même si je pouvais t’aider… » Bixby désigna le décor spartiate de son petit chalet. « Je manque cruellement de ce que l’on pourrait appeler des ressources.

– Oui », prononça doucement Zéro. Il regardait fixement la surface de la table en bois. Il avait fait tout ce chemin pour rien. Il avait passé des semaines à rechercher un homme qui ne voulait pas être retrouvé, pour rien. Il n’y avait aucune réponse à trouver ici ou ailleurs. Son propre cerveau finirait par le tuer et il devrait vivre en sachant cela jusqu’à ce qu’il ne soit plus.

Une minute entière de silence s’écoula entre eux avant que Bixby ne se racle légèrement la gorge. Quand Zéro releva la tête, l’ingénieur lui tendait sa veste.

« Je suis désolé, dit-il. Je t’aurais bien invité à rester pour la nuit, mais tu sais bien que je ne peux prendre aucun risque. »

Zéro comprenait. Malgré sa méticuleuse préparation, l’Agence trouverait des moyens pour le retrouver si elle le jugeait nécessaire. Les satellites, les dispositifs de traçage sous-cutané, les bons vieux réseaux d’espionnage… chaque minute durant laquelle il s’attardait en était une de plus durant laquelle il mettait Bixby en danger.

Il saisit sa veste, se leva et l’enfila lentement. « Je suppose que si quiconque revenait ici, il n’y aurait plus personne. »

Bixby sourit tristement. « Suppose donc ça. » Il ajouta une dernière fois : « Je suis désolé. »

Zéro hocha la tête et se dirigea vers la porte. « Prends soin de toi, Bixby.

– …Attends. »

Zéro s’immobilisa à mi-parcours, une main sur la poignée de la porte, son cerveau imaginant immédiatement qu’il y avait un autre piège oublié.

« Attends une seconde. » Bixby retira ses lunettes, se frotta les yeux et les reposa sur son nez. « Je… Je t’ai menti. Avant. Quand je t’ai dit que tu avais été la première personne à qui l’on avait implanté le suppresseur. »

Zéro se retourna brusquement. « Quoi ? Tu as menti ?

– Sous la menace de mort ? Oui, certainement, mais, bon, de l’eau a coulé sous les ponts. » Il gloussa légèrement malgré lui. « Le suppresseur qui t’a été installé n’était pas notre premier. Avant cela, il y a eu un autre prototype. Et il y a eu un unique essai humain. À peu près un an avant que ton suppresseur ne disparaisse de mon laboratoire. Un homme, début ou milieu de la trentaine. Affilié à l’Agence. »

Une autre personne à qui on avait installé un suppresseur ? Soudainement, ce voyage valait entièrement le déplacement.

« Un agent ? demanda Zéro.

– Je ne sais pas.

– Où se trouve-t-il ?

– Je ne sais pas.

– Qui était-il ?

– Je ne le sais pas non plus.

– Alors, que sais-tu ? demanda Zéro, exaspéré.

– Écoute, pour moi, il n’était que le “sujet A”, déclara Bixby, sur la défensive, mais il y a bien eu quelque chose. Une fois la puce installée, alors qu’il se réveillait de l’anesthésie, le neurochirurgien l’a appelé Connor. Je m’en rappelle très clairement. Il a dit : « Savez-vous qui vous êtes, Connor ? »

– Connor était son prénom ou son nom de famille ? demanda Zéro avec empressement.

– Je ne sais pas. C’est tout ce que je peux te dire, lui répondit Bixby. Toi et moi savons très bien comment l’Agence procède et, à l’heure qu’il est, il est probablement mort depuis longtemps et toute trace de lui aura été détruite. Toutefois… qui sait, c’est peut-être une piste à suivre. Si tu creuses suffisamment. »

Zéro opina. Il tenait quelque chose, il ne savait juste pas encore quoi. « Merci. » Il lui tendit une main que Bixby serra, probablement pour la toute dernière fois. L’ingénieur n’avait déjà pas été facile à trouver et il pouvait être sûr que, la prochaine fois, il ne ferait pas les mêmes erreurs. « S’il te plaît, sois prudent. Disparais. Va te faire bronzer sur une plage pour les vingt prochaines années. »

Bixby sourit. « Je suis Irlandais. Je prends facilement des coups de soleil. » Son sourire s’estompa. « Bonne chance Zéro. J’espère que tu trouveras ce que tu cherches.

– Merci. » Toutefois, tandis que Zéro retournait dehors dans le froid et dans la nuit incroyablement noire de la Saskatchewan, il ne put empêcher cette pensée de traverser son esprit :

J’espère que je me souviendrai ce que je recherche.




CHAPITRE DEUX


Les funérailles du roi saoudien avaient été, comme on pouvait s’y attendre, assez opulentes. Du moins, celles-ci l’étaient, celles auxquelles le monde entier assisterait sur les chaînes d’informations. Les rites islamiques avaient, quant à eux, été honorés lors d’une cérémonie plus intime avec la famille proche. Ces obsèques étaient celles auxquelles assisteraient les chefs d’États, la noblesse saoudienne et les leaders industriels, celles qui se dérouleraient dans la cour dorée et marbrée du palais royal de Riyad. Ou, plus exactement, l’un des palais royaux, se rappela Joanna tandis qu’elle se tenait solennellement parmi les personnes endeuillées présentes, têtes baissées avec révérence et fronts perlant de sueur sous le soleil saoudien éclatant.

Elle était la représentante des États-Unis, mais ne pouvait s’empêcher d’avoir l’impression de  ne pas être entièrement à sa place avec son blazer noir, son chemisier de soie noir au col impeccablement plié et sa jupe crayon noire. Combinée au fait que la température extérieure atteignait les vingt-six degrés, toute cette cérémonie était étouffante, même à l’ombre. Elle fit de son mieux pour n’en rien laisser paraître.

Joanna Barkley était une femme pragmatique aussi bien dans ses idées que dans sa garde-robe. Elle était parfaitement consciente de cet aspect de sa personnalité, même si parfois les autres en doutaient. Adolescente, son ambition de devenir sénatrice de l’État de Californie avait été perçue comme une chimère, aussi bien par ses professeurs que par ses camarades et même par son procureur de père. Mais Joanna avait une idée très précise du chemin à parcourir et quelle était la trajectoire logique qui lui permettrait d’atteindre son objectif. C’était tout simplement écrit. Et à l’âge de trente-deux ans, elle avait réalisé son rêve – ou son objectif, selon elle – et avait été élue au Congrès des États-Unis comme la plus jeune sénatrice de l’histoire.

Quatre ans plus tard, et un peu plus de deux mois auparavant, elle entra une seconde fois dans l’histoire lorsque le président Jonathan Rutledge la nomma vice-présidente. À trente-six ans, Joanna Barkley devint non seulement la première femme vice-présidente des États-Unis mais aussi la plus jeune à égalité avec John C. Breckinridge.

Bien que profondément sensée et pragmatique, Joanna était toutefois perçue comme une douce rêveuse. Ses décisions politiques étaient accueillies avec la même dérision que l’avaient été ses aspirations de jeunesse – aspirations qu’elle avait réalisées et bien plus encore. Pour elle, la réforme du système de santé n’était pas impossible, mais nécessitait simplement une minutieuse planification et une mise en place incrémentale pour qu’elle soit couronnée de succès. Se retirer des conflits au Moyen-Orient, maintenir la paix, favoriser le commerce équitable, et même, pourquoi pas, prendre place dans le Bureau Ovale… rien de tout cela n’était impossible ou irréalisable.

Du moins, pas à ses yeux. Ses détracteurs et rivaux, qui étaient assez nombreux, ne voyaient pas les choses de la même façon.

Finalement la cérémonie touchait à sa fin et se clôturait par l’intervention d’un homme de grande stature, à la barbe grise et au nez crochu, qui murmurait une prière en arabe puis en anglais. Il était vêtu de blanc des pieds à la tête ; un prêtre, supposait Joanna, ou quelle que soit l’appellation qu’ils se donnaient. Elle n’avait pas les connaissances approfondies de la culture islamique qu’elle se devait d’avoir, et cela d’autant plus qu’à présent le succès de ces visites et missions diplomatiques étaient de sa responsabilité. Mais deux mois avaient été à peine suffisants pour se préparer, et son mandat avait été jusqu’alors un tourbillon d’événements, dont celui, non des moindres, qui avait été d’unifier la paix entre les États-Unis et les pays du Moyen-Orient.

Le roi Ghazi d’Arabie Saoudite avait perdu sa longue bataille contre une maladie tenue secrète, que la famille royale n’avait pas tenu à dévoiler. Joanna supposait qu’il s’agissait de quelque chose pouvant être perçu comme une honte ou une disgrâce, susceptible de ternir son nom, et n’avait pas voulu imaginer de quoi il pouvait s’agir. Alors que la prière touchait à sa fin, le cortège des dirigeants, diplomates, et magnats de l’industrie se retira silencieusement dans le sanctuaire (et l’air conditionné) du Palais Royal, à distance de la presse et des objectifs des caméras. Chose plutôt curieuse, pensa Joanna, lorsqu’on considérait à quel point la famille royale semblait être discrète.

Mais avant qu’elle ne puisse entrer, une voix l’interpella.

« Madame la Vice-Présidente. »

Elle s’arrêta. Cette voix n’était autre que celle du prince Basheer, ou plutôt, roi Basheer dorénavant, le fils aîné des sept enfants du défunt roi. Il était grand et large d’épaules, peut-être même bombait-il légèrement le torse, selon elle. Il était entièrement vêtu de blanc, un peu à la manière du prêtre, exception faite de son couvre-chef – comment appelait-on cela déjà ? Se reprocha-t-elle – aux motifs à carreaux rouge et blanc, qui, elle devait bien le reconnaître, lui rappelait une nappe de pique-nique. Sa barbe, taillée ras et dont le bout pointait vers le bas telle une flèche, était noire mais déjà parsemée de gris malgré son relatif jeune âge de trente-neuf ans.

« Roi Basheer. » Elle inclina légèrement la tête tout en se félicitant de s’être rappelée son titre exact. « Mes condoléances, votre Altesse. »

Ses yeux révélèrent son sourire, bien que sa bouche soit restée une ligne serrée. « Je dois reconnaître que s’habituer à ce titre se révèle difficile. » L’anglais de Basheer était excellent mais Joanna remarqua qu’il claquait les lèvres à chaque consonne dure. « J’ai cru comprendre que votre visite serait de courte durée. J’espérais pouvoir avoir un mot en privé. »

C’était exact, le plan de vol était déjà enregistré. Elle souhaitait être revenue dans le jet dans l’heure qui suivait. Mais la diplomatie voulait qu’elle ne rejette pas l’offre d’un fils en deuil, un roi nouvellement intronisé et potentiellement un allié – et cela d’autant plus que le gouvernement américain ne savait pas véritablement vers qui allait la loyauté du roi Basheer.

Joanna opina gracieusement de la tête. « Bien sûr. »

Le roi Basheer lui indiqua le chemin à suivre. « Par ici. »

Elle hésita, se reprenant juste à temps pour ne pas s’écrier : « Maintenant ? » Son regard se posa à nouveau brièvement sur la procession toujours en cours. Basheer venait juste de mettre son père en terre, il avait certainement des choses plus importantes à faire que de parler avec elle.

Un nœud d’appréhension lui noua l’estomac tandis qu’elle le suivait, légèrement en retrait, à travers le palais jusqu’à une pièce de réception de la taille d’un modeste gymnase, destinée à recevoir les dignitaires. Tandis que les serviteurs servaient des rafraîchissements à d’autres visiteurs, Joanna les contourna pour arriver dans une petite antichambre. Elle remarqua un mouvement à la périphérie de ses yeux, le grand prêtre en blanc la suivait silencieusement.

Plus qu’un simple prêtre, pensa-t-elle. Un conseiller, peut-être ? Bien que dans leur culture ils puissent très bien être les deux. Elle lutta pour se remémorer le terme utilisé pour ce type de personne, un Imam, non ?

Quoi qu’il puisse être, le grand prêtre (comme elle le surnommait désormais) ferma les épaisses doubles portes de l’antichambre derrière lui. Ils n’étaient que tous les trois dans cette pièce ; de façon assez surprenante pas un seul serviteur ou garde n’étaient présents. Des divans et des coussins aux couleurs vertigineuses étaient disposés dans une sorte d’ambiance, le-feng-shui-rencontre-le-Moyen-Orient, et même les fenêtres étaient parées de velours épais.

C’était une pièce où des secrets étaient échangés, à l’abri des oreilles indiscrètes. Bien qu’elle ne sache pas ce dont ils allaient parler, Joanna Barkley savait que c’était exactement la raison pour laquelle elle avait souhaité rentrer au plus vite à Washington.

« Je vous en prie », lui dit Basheer, en lui présentant d’un large geste de la main les fauteuils de la pièce. « Asseyez-vous. »

Ce qu’elle fit, sur un divan couleur crème, mais sans toutefois s’adosser ou se mettre à son aise. Joanna s’assit sur le bord d’un coussin gardant son dos droit et ses mains sur ses genoux. « Que me vaut cet honneur ? » osa-t-elle demander, laissant de côté toute autre formalité mondaine.

Basheer s’autorisa un de ses rares sourires.

Ce n’était un secret pour personne que les relations entre les États-Unis et l’Arabie Saoudite s’était détériorées depuis que le roi était tombé malade. Ghazi avait été un allié, mais quand la maladie l’avait frappé et qu’il se fut retiré de la scène publique, ceux qui l’avaient jusqu’alors épaulé furent soudainement absents. La monarchie d’Arabie Saoudite détenait le pouvoir absolu et contrôlait toutes les branches du gouvernement, c’est pourquoi les États-Unis jugèrent prudent de commencer à suivre discrètement tous les mouvements du prince héritier Basheer.

Ils n’aimèrent pas ce qu’ils découvrirent.

Pour aggraver encore un peu plus les choses, Joanna savait pertinemment que l’ancien prince était un fervent défenseur de la Charia et avait un dédain évident pour les femmes au pouvoir. Dans son esprit, elles n’étaient pas et ne seraient jamais les égales des hommes. Elles étaient inférieures à lui, tout simplement.

« J’aimerais vous parler brièvement de l’avenir des relations entre nos deux grandes nations », commença le roi.

Joanna sourit avec douceur. « Avant que vous me disiez ce que vous avez en tête, votre Altesse, vous devriez savoir que je n’ai pas l’autorité pour autoriser quelque sanction que ce soit au nom de mon pays.

– Oui, concéda le roi. Mais tout ce dont nous discutons ici peut-être rapporté au président. »

Joanna reteint une protestation à l’idée qu’elle n’était qu’une messagère, mais ne dit rien.

« J’ai crû comprendre que les États-Unis vont recevoir l’Ayatollah d’Iran cette semaine, continua Basheer.

– En effet. » Joanna avait elle-même organisé cette visite. Une partie essentielle des efforts du président Rutledge pour apporter la paix entre les États-Unis et le Moyen-Orient était une alliance stratégique avec l’Iran. Les enjeux étaient importants, mais comme elle l’avait toujours fait dans sa vie, Joanna abordait le problème de manière diplomatique, sans parti-pris et pensait qu’une solution serait tout à fait possible. « Nos pays se réconcilient. Un traité est actuellement en cours d’élaboration par les Nations unies. »

Les narines du prêtre en blanc frémirent légèrement. Ce mouvement imperceptible aurait pu passer inaperçu s’il ne s’était pas tenu aussi immobile qu’une statue derrière les doubles portes. Figé comme il l’était, le léger tressaillement de son visage aurait tout aussi bien pu être un grognement sonore.

« Je peux comprendre que vous ne soyez pas complètement, euh, comment pourrions-nous formuler cela… au fait des derniers développements, dit Basheer de manière hautaine. Étant donné que vous êtes nouvelle au gouvernement…

– Je suis nouvelle dans ce gouvernement, l’interrompit Joanna. Je peux vous assurer, que je ne suis pas nouvelle au gouvernement. »

Mais qu’est-ce que je suis en train de faire ? Se réprimanda-t-elle. Ce n’était pas du tout son style de faire dans la condescendance ou même dans la dérision pure et simple. Mais il y avait quelque chose chez ce jeune roi et son conseiller immobile comme une statue qui l’avait irritée d’une manière qu’elle n’avait jamais ressentie auparavant. Le dédain qu’il lui manifestait ne lui était pas personnellement destiné, mais s’appliquait aux femmes d’une manière générale, qui selon sa conception des choses, ne serait jamais les égales des hommes. Et pourtant, elle savait qu’elle devait se maîtriser. C’était sa première mission diplomatique importante depuis qu’elle avait pris ses fonctions de vice-présidente et elle ne pouvait pas se permettre qu’elle prenne un mauvais tour.

Basheer opina. « Bien sûr. Ce que je voulais dire est qu’il est possible que vous ne connaissiez pas l’histoire qui lie nos deux pays. Je veux dire, l’Arabie Saoudite et l’Iran. Nous sommes des ennemis jurés, et en tant que tel, nous ne pouvons cautionner un tel traité. Il y a un vieux proverbe qui dit : “Les ennemis de mes ennemis sont mes amis.” Et en toute logique, les amis de mes ennemis sont mes ennemis. »

Joanna garda sa langue dans sa bouche, prenant sur elle pour ne pas dire ce qu’elle aurait beaucoup aimé répondre à ce roi entêté. Au lieu de souligner les failles dans son raisonnement, elle demanda « Et puis-je vous demander ce que vous suggérez, avec votre grande sagesse, monsieur ?

– Un choix, madame la Vice-Présidente, déclara simplement Basheer. Une alliance avec l’Iran est un affront à mon pays, à mon peuple et à ma famille.

– Un choix », répéta Joanna. La notion même que Basheer s’attendait à ce que les États-Unis ne choisissent la paix qu’avec un seul des deux pays était ridicule – à moins, réfléchit-elle, qu’il ne soit en train de la tester. « J’espère que vous comprendrez que notre objectif est la paix avec toutes les nations du Moyen-Orient. Pas seulement l’Iran ou l’Arabie Saoudite. Ce n’est pas personnel, il s’agit de diplomatie.

– Je ne peux m’empêcher de le prendre personnellement, répondit immédiatement le roi. En tant que nouveau monarque, on attend de moi que je me montre ferme…

– Vous en avez toujours la possibilité, répliqua Joanna, en vous alliant à nous. La paix n’est pas un signe de faiblesse.

– La paix n’est pas une option, la corrigea Basheer. Les conflits historiques entre nos nations vont bien au-delà de ce que vous avez pu apprendre au travers de simples rapports ou livres… »

La colère s’empara d’elle. « Avec tout le respect que je vous dois…

– Et pourtant vous ne cessez de m’interrompre ! » lui répliqua sèchement le roi.

Joanna grimaça. Clairement, Basheer n’était pas habitué que quiconque le contredise et encore moins une femme. « Votre Altesse, dit-elle, en gardant une voix mesurée, je ne pense pas que le moment soit le mieux choisi pour parler de tout cela. Sans compter que je ne suis pas en position de vous accorder ce que vous demandez.

– Ce qui m’est dû, la corrigea Basheer.

– Ce que je ne ferais de toute façon pas, Joanna haussa le ton, même si je le pouvais. » Elle n’arrivait pas à contenir la fureur qu’il l’habitait à présent. « Nous sommes au courant de vos… arrangements, Roi Basheer. De vos alliances personnelles avec certaines factions douteuses. »

Elle regretta immédiatement ses propos tandis que les yeux de Basheer se durcirent de colère en la fixant. Non seulement elle avait révélé de manière détournée que les États-Unis l’avaient mis sous surveillance, mais aussi qu’ils étaient au courant des relations entre la royauté saoudienne et les groupes d’insurgés violents qui se tenaient à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de leurs frontières.

« Partez », gronda Basheer.

Tout cela avait été orchestré, songea Joanna avec ironie tandis qu’elle se levait. Au lieu de rajouter quoi que ce soit, elle fit une légère révérence, « Merci pour votre hospitalité », et tourna les talons pour se diriger vers la porte.

« Je ne pense pas que vous compreniez, tonna Basheer. Je ne vous demande pas à vous de partir. Je vous dis que les États-Unis doivent quitter mon pays. Les ambassades sont fermées, avec effet immédiat. Toutes les troupes américaines, les citoyens et les diplomates américains seront expulsés. Tant que votre gouvernement ne reviendra pas à la raison et ne sera pas disposé à échanger sérieusement sur le sujet, nous coupons tous nos liens avec votre pays. »

Joanna Barkley resta bouche béé tandis qu’elle essayait de jauger si Basheer était sérieux ou s’il était en train de bluffer. Tout portait à croire qu’il était on ne peut plus sérieux. « Vous feriez de nous votre ennemi en raison de l’Iran ?

– C’est vous qui avez décidé de faire de moi votre ennemi. » Basheer désigna la porte sans prendre la peine de se lever. « Partez et allez dire ça à votre Président. »

Il n’y avait rien à ajouter. La vice-présidente Joanna Barkley ouvrit la porte de l’antichambre sans un regard pour le prêtre qui se tenait toujours stoïquement à son côté. Elle fut immédiatement accueillie par le brouhaha des voix en pleine conversation ; elle avait presque oublié qu’une cérémonie funéraire se déroulait. Mais elle n’y accorda pas la moindre importance tandis qu’elle traversait le large auditorium où deux agents des services secrets l’attendaient.

« Allons-y, leur dit-elle sèchement. Et je veux avoir le Président Rutledge au téléphone avant même que nous ayons décollé. »

Elle craignait avoir échoué dans sa toute première mission diplomatique en qualité de vice-présidente, alors qu’il aurait dû s’agir d’une simple mission de routine. Mais plus encore, elle redoutait que la paix avec un des pays du Moyen-Orient ne signifie la guerre avec un autre.


*

« Quelle insolence ! » tempêta Basheer en arabe alors qu’il faisait les cent pas dans l’antichambre. « Cette audace ! Voilà pourquoi l’Amérique est en train de s’effondrer. Voilà pourquoi ils s’effondrent. Rutledge est faible. Cette femme est insupportable. Si elle avait été saoudienne, je l’aurais faite exécuter publiquement ! »

Le cheikh n’avait pas bougé de sa position depuis plusieurs minutes, malgré le désir qui l’avait étreint de faire glisser la fine lame cachée dans sa manche pour trancher la gorge de la politicienne américaine. Il traversa la pièce en de longues enjambées pour se tenir auprès de son roi. « Patience, votre Altesse. Ce n’est pas le moment de perdre votre sang-froid. C’est le moment d’agir avec discipline et tact. »

Basheer approuva d’un hochement de tête, bien que ses lèvres étaient encore frémissantes de colère. « Oui, approuva-t-il. Oui, tu as raison. Bien sûr. »

En temps normal, un cheikh tribal comme Salman n’aurait jamais pu être aux côtés du roi. Mais tandis que d’autres s’étaient attirés les faveurs de Ghazi, Salman avait anticipé et porté son attention sur son fils aîné, Basheer, qui deviendrait un jour roi. Depuis les seize ans du garçon, Salman avait utilisé toutes les opportunités qui s’étaient présentées pour influencer ses décisions. De lui rappeler sa grandeur. De le persuader qu’il serait un roi bien plus puissant que son père. De le convaincre de la nécessité absolue de la chute de l’occident et de l’expansion du royaume saoudien. Salman ne souhaiterait jamais, ne pourrait jamais être roi, mais il pouvait se tenir aux côtés du roi, et son nom serait ainsi connu du monde entier.

« J’ai bien peur d’avoir réagi précipitamment, marmonna Basheer. Ce ne sera pas de bon augure pour nous.

– Bien au contraire, le rassura Salman. Vous avez fait preuve d’une forte volonté. À présent vous devez agir avec cette même volonté.

– Mais comment ? Dis-moi comment ! l’implora Basheer. S’ils réussissent à conclure un traité avec l’Iran, nous n’aurons plus d’alliés. Nous passerons pour des idiots aux yeux du monde entier. Nous ne pouvons pas nous opposer à l’armée américaine. Nous ne pouvons pas nous permettre une guerre contre eux.

– Non, admit Salman en posant une main frêle sur l’épaule du jeune roi. Nous ne le pouvons pas. Mais nous n’en aurons pas forcément besoin. Nous avons un plan, Altesse, un plan qui est déjà en marche. Et une fois accompli, l’Occident apprendra une douloureuse leçon… et le monde assistera à notre ascension. »




CHAPITRE TROIS


Don’t worry

About a thing,

’Cause every little thing…

’Cause every little thing…

« Bon sang, murmura Zéro. Tu la connais pourtant. » Il avait siffloté l’air tout en récitant les paroles dans sa tête – les filles lui avaient demandé à de nombreuses reprises d’arrêter de chanter – mais jamais il n’avait buté sur ces paroles-là auparavant. « C’est quoi déjà ?

– Tu parles tout seul ? » lui demanda Sara tandis qu’elle entrait dans la petite cuisine de l’appartement de Zéro à Bethesda, dans le Maryland. Elle portait un ample tee-shirt, ses cheveux blonds ébouriffés et emmêlés formaient une masse informe sur sa tête et, à en juger aux traces noires sous ses yeux, elle avait oublié (ou négligé) de se démaquiller la nuit précédente.

« Évidemment ! » Zéro lui déposa un baiser sur la tête tandis qu’elle ouvrait la porte du frigo. « Bonjour chérie !

– Mm », marmonna Sara en guise de réponse tout en sortant le pichet de jus d’orange. Elle était restée avec Zéro depuis Thanksgiving, depuis qu’elle s’était enfuie de la clinique de désintoxication dans laquelle il l’avait envoyée. Elle avait terminé sa fugue sous un des pontons du bord de mer, où une transaction avec un dealer avait mal tourné et lui avait presque valu d’être kidnappée. Elle avait seize ans, presque dix-sept à présent se rappela-t-il, bien que ses traits soient suffisamment matures pour qu’on lui donne quelques années de plus. C’était assez douloureux de voir que ses filles grandissaient, sans compter que le traumatisme qu’elle avait traversé l’avait fait mûrir prématurément, mais plus douloureux encore était de voir à quel point sa cadette ressemblait de plus en plus à sa mère.

« Qu’est-ce que tu prépares ? demanda-t-elle en se penchant par-dessus son épaule pour voir le contenu de la poêle.

– Oh, ça ? Ceci, ma chère, est une frittata. » Zéro saisit la poêle à frire, la secoua deux fois, puis retourna la frittata en la faisant sauter en l’air d’une manière experte.

Sara remua son nez. « On dirait une omelette.

– C’est presque une omelette. Une omelesque, si tu préfères. Comme si une pizza et une omelette avait eu un bébé. Une frittata.

– Oh mon Dieu arrête de dire…

– Frittata.

Sara leva les yeux au ciel tout en avalant une longue gorgée de son jus d’orange. « Tu es trop bizarre ! »

« Hé, Pouêt-Pouêt », déclara Maya en entrant dans la cuisine. « Donne-m’en un peu. » Elle portait un short, un sweat à capuche, des tennis et un bandeau autour du front. Ses cheveux noirs étaient coupés très court, au carré, une “coupe pixie” comme disaient les jeunes, et tandis que les traits de sa jeune sœur rappelaient ceux de sa mère, le visage de Maya se rapprochait plus de celui de Zéro.

Maya séjournait également chez Zéro, faisant de l’appartement deux pièces un endroit chaleureux mais où l’on se sentait quelque peu à l’étroit. Ses filles, qui avaient presque dix-sept et dix-neuf ans respectivement, partageaient l’une des chambres, ce dont elles ne s’étaient pas encore plaintes une seule fois. Zéro attribuait cela au temps qu’elles avaient passé séparées, Sara vivant en Floride et Maya étant enrôlée à West Point. Mais son aînée n’y avait pas terminé son premier semestre, et à présent, elle prenait le même chemin pour le deuxième. Bien qu’il n’ait pas encore abordé le sujet, il espérait qu’elle finirait par y achever son cursus.

Sara passa le jus d’orange à Maya, qui en prit une bonne lampée. « Maya, tu ne trouves pas que Papa est bizarre en ce moment ?

– Tu veux dire plus que d’habitude ? Ouais. Carrément.

– Premièrement, dit Zéro, Prenez un verre. Je n’ai pas élevé des sauvages. Et deuxièmement, comment ça je suis bizarre ?

– Tu n’arrêtes pas de chanter, dit Maya.

– J’ai arrêté de le faire dès que tu me l’as demandé.

– Maintenant tu n’arrêtes pas de siffloter, répliqua Sara.

– Et quel mal y a-t-il à siffloter ?

– Est-ce que tu es en train de faire une frittata ? demanda Maya.

– Il n’arrête pas de cuisiner, dit Sara comme s’il ne se trouvait même pas dans la pièce.

– Ouais, acquiesça Maya. C’est comme s’il était… plus heureux.

– Et en quoi est-ce bizarre ? protesta Zéro.

– Dans cette famille ? railla Sara. C’est bizarre.

– Ouche ! Zéro posa la main sur son cœur en simulant une crise cardiaque. Je suis navré d’essayer d’enrichir la vie de ceux que j’aime.

– J’y crois pas ! susurra Sara à sa sœur.

– Où étais-tu la semaine dernière ?

La question arriva si soudainement que Zéro manqua de lâcher la poêle. Un sourire relevé, son aînée planta son regard dans le sien le fixait en attente de sa réponse.

– Je te l’ai dit. J’étais en Californie…

– Oui, dit Maya, pour consulter un spécialiste pour ta main.

– Exactement.

– Sauf que j’ai vérifié avec notre prestataire d’assurance maladie et aucun document ne lui a été envoyé, dit précautionneusement Maya. Pas de franchise à payer. Donc… où étais-tu la semaine dernière ? »

Je traquais un ingénieur faisant partie de la liste des hommes les plus recherchés par la CIAafin qu’il me dise si mon cerveau était en train de me tuerà petit feu. C’était ça la vérité, mais non seulement il ne leur dirait jamais cela, son appartement pouvait très bien être sur écoute, mais en plus, elles n’avaient pas la moindre idée de ses problèmes récents de pertes de mémoire, ou du terrible diagnostic du Dr Guyer.

Au lieu de ça, il força un sourire timide et dit : « Peut-être que cela ne vous regarde pas. »

Maya imita son faux sourire à la perfection : « Peut-être que tu ne devrais pas mentir à tes filles.

– Peut-être que j’essaye de les protéger.

– Peut-être qu’elles n’ont pas besoin d’être protégées.

– Peut-être… »

Un coup sec à la porte l’interrompit. Au grand désarroi de Zéro, son premier réflexe fut de vouloir récupérer son Glock qui était caché dans le tiroir à couverts. En dépit des nombreuses fois où sa appartement avait été mis à sac, il dut se rappeler que les terroristes ne frappaient pas aux portes, et il força ses muscles à se détendre et se ressaisit tandis que Maya criait :

« C’est ouvert ! »

La porte de l’appartement s’ouvrit et une femme entra. Elle avait deux ans de moins que Zéro, pas encore quarante ans, même si elle pouvait passer pour quelqu’un ayant dix ans de moins si nécessaire. Lorsqu’ils n’étaient pas en mission, elle portait ses épais cheveux blonds détachés, les laissant retomber en cascade sur ses épaules ce qui mettait parfaitement en valeur son visage et ses yeux gris ardoise. Elle portait un jeans slim, des bottines noires, et un manteau doudoune noir. Zéro l’avait vue sous son meilleur jour, en tenue de soirée, en robe, et son pire, avec du sang sur le visage et un pistolet à la main, et pourtant, à chaque fois qu’il la voyait son cœur s’emballait.

Maria entra dans la cuisine, donna à Zéro un baiser sur la joue, puis déposa une boite blanche sur le plan de travail. « Bonjour tout le monde ! J’ai apporté des croissants.

– Parfait ! Maya en saisit un et en croqua une bouchée. Ça me fera du bien, des glucides avant mon jogging.

– Mais la frittata, murmura Zéro.

– Maria, réponds-nous franchement, dit Sara. Est-ce que papa a été bizarre ces derniers temps ? »

Maria fronça les sourcils. « Bizarre ? Bizarre, je ne sais pas, mais différent, ça oui. Plus heureux, peut-être ?

– Tu vois, j’avais raison ! dit Sara en prenant un croissant.

– Tu te joins à nous ? lui demanda Zéro en déposant son omelesque, dont personne ne voulait, dans une assiette.

– Je passais juste vous faire un petit coucou, lui répondit Maria. Je dois aller à Langley.

– Un samedi ? » demanda Zéro en haussant un sourcil.

Elle haussa les épaules : “De la paperasse.”

– De la paperasse, répéta-t-il. » Il savait parfaitement qu’il n’y avait pas de paperasse. “De la paperasse” était l’excuse qu’ils utilisaient lorsqu’ils ne pouvaient pas se dire la vérité mais ne voulaient pas non plus se servir un mensonge éhonté, l’ironie étant, bien sûr, que “la paperasse” était en soi un mensonge éhonté.

« Et où étais-tu la semaine dernière ? » demanda Maria avec une fausse innocence.

Zéro sourit triomphalement : “De la paperasse.”

– Touché. »

Maria n’était pas au courant pour Bixby et Zéro comptait bien que cela reste ainsi.

Il changea rapidement de sujet. « Est-ce que je te verrai ce soir ?

– Bien sûr. » Elle sourit et plongea la main pour prendre un croissant. « Mais je dois y aller maintenant, j’ai une course à faire. J’en prends un pour la route. Je t’appelle plus tard.

– Moi aussi j’ai une course à faire, ajouta Maya. Littéralement.

– Je vais prendre une douche, annonça Sara.

– Hé ! Attendez ! » les rappela Zéro, alors qu’elles s’apprêtaient toutes trois à quitter la cuisine. « Attendez une minute. » Trois visages étonnés se tournèrent vers lui. « Hum, Je me disais… La Saint-Valentin est dans quelques jours. Peut-être qu’il serait judicieux de ne faire aucun plan. »

Elles se dévisagèrent. « Qui ? demanda Maya.

– Vous toutes. N’importe laquelle d’entre vous. J’aimerais la passer avec les trois femmes de ma vie.

– Euh… bien sûr. OK, fit Maya en hochant la tête.

– Très bonne idée, dit Maria.

– C’est bien ce que je disais, murmura Sara. Trop bizarre. »

L’instant d’après, elles étaient parties, la porte d’entrée et celle de la salle de bain se fermant derrière elles presque au même moment.

Zéro soupira devant sa frittata. « Je suppose que c’est juste toi et moi, ma vieille. » Il saisit

l’assiette et s’attabla au comptoir.

Extérieurement, tout semblait parfait dans sa vie. Maria et lui étaient de nouveau officiellement en couple et ces derniers mois leur relation était repartie sur de nouvelles bases. Il avait gardé son appartement de Bethesda et elle avait gardé le petit bungalow qu’ils avaient partagé à une époque, mais qui sait ? Peut-être vivraient-ils bientôt de nouveau ensemble. Ses deux filles étaient auprès de lui, ce qui était vraiment agréable. Il avait fait de gros efforts pour leur donner l’espace dont elles avaient besoin et les laisser prendre leurs propres décisions – après tout, l’une était adulte à présent et l’autre était techniquement émancipée. Et peu importe si elles prétendaient qu’il était bizarre, elles avaient certainement remarqué le changement positif dans son comportement.

Et du changement, il y en avait eu. Zéro avait fait de réels efforts pour s’améliorer, en commençant par développer ses compétences culinaires, en passant plus de temps avec ses filles, en leur proposant des choses amusantes à faire en famille et en y incluant Maria autant que possible. Il voulait profiter de la vie au maximum… car il ne savait pas combien de temps il lui restait.

Guyer ne le savait pas. Pas plus que Bixby. Et si les deux esprits les plus brillants qui lui ait été donné de rencontrer ne pouvaient lui donner de réponse, alors il doutait fort que quiconque sur cette planète le puisse. Il continuerait à perdre la mémoire. Certains souvenirs ressurgiraient occasionnellement dans son esprit, comme ceux des assassinats qu’il avait commis dans sa jeunesse pour le compte de la CIA. Mais il avait décidé qu’il devait aller de l’avant et ne pas s’appesantir sur le passé. Le passé était derrière lui, et son avenir était en jeu.

Il savait ce qu’il devait faire : il devait trouver l’agent dont Bixby lui avait parlé, cet homme dénommé Connor, celui à qui on avait implanté le suppresseur de mémoire. Les chances pour que celui-ci soit toujours en vie étaient minces, et s’il l’était, les chances pour que Zéro le retrouve l’étaient encore plus.

Et pourtant, il se devait d’essayer. Et il devait aussi continuer à profiter au maximum du temps qu’il lui restait à vivre, à avoir une influence positive sur les vies de ceux et celles qu’il aimait. Il voulait s’assurer que lorsqu’il ne serait plus de ce monde, ce seraient ces moments-là dont ses proches se souviendraient. Que ce serait cette version de lui à laquelle ils penseraient avec émotion.

Parce ce que son cerveau finirait par le tuer, si toutefois la douleur de devoir garder tant de secrets après avoir promis d’être honnête ne le tuait pas en premier.




CHAPITRE QUATRE


Maria Johansson fit glisser son badge d’accès à travers une fente verticale située au mur d’un couloir blanc bétonné d’un des sous-sols du quartier général Langley de la CIA. Un grand bourdonnement se fit entendre, suivi du glissement d’un verrou électronique, puis, une lourde porte d’acier s’ouvrit en produisant un bruit métallique sourd.

Ce n’était que l’un des quatre sous-niveaux du centre de renseignements George Bush, quatre dont elle avait connaissance et très probablement bien d’autres qui lui étaient inconnus. Même en qualité d’ancienne directrice adjointe, elle n’avait pas accès à tous les secrets de l’Agence et n’était pas assez naïve pour s’imaginer que ce serait le cas un jour.

Néanmoins, c’était quand même un miracle que son badge d’accès fonctionne toujours. En novembre dernier, après avoir appréhendé le groupe d’insurgés chinois et leur canon à plasma, elle avait démissionné de son poste pour reprendre sa vie d’agent spécial. Malgré cela, ils n’avaient toujours pas révoqué les privilèges d’accès dont elle bénéficiait à son ancien poste.

Et elle pensait savoir pourquoi.

Maria referma la porte derrière elle et fit un signe de tête à l’unique agent de sécurité en costume gris qui était assis derrière un bureau beige et lisait un exemplaire de Sports Illustrated. « Bonjour, Ben.

– Madame Johansson. » L’agent à la retraite ne fit aucun effort pour bouger et encore moins pour vérifier son identité ou scanner son badge d’accès.

« Dois-je signer…? » demanda-t-elle après un silence gênant.

Ben sourit. « Je pense pouvoir me rappeler de vous depuis jeudi. Il indiqua d’un signe de tête le couloir. Passez par l’arrière.

– Merci. »



Les talons de ses bottines claquèrent contre le sol carrelé et résonnèrent à travers les cellules vides du couloir tandis qu’elle se dirigeait vers la dernière à gauche. Ce sous-sol qui n’abritait pas d’autres prisonniers était un poste de détention provisoire, généralement réservé aux terroristes nationaux, criminels de guerre, mercenaires et aux occasionnels agents doubles. C’était un point de passage vers des destinations encore moins enviables, telles que l’Enfer Six au Maroc, ou tout simplement un trou en terre.

Elle détestait mentir à Zéro. C’était ainsi qu’elle l’appelait désormais, Zéro. Le mois dernier, il lui avait demandé de ne plus l’appeler Kent. De toute façon, personne n’utilisait plus son ancien alias de la CIA pour faire référence à lui ; il n’était plus réellement Kent Steele. De même que toutes les personnes qui étaient régulièrement en contact avec lui ne l’appelaient plus par son nom réel, Reid Lawson. Il était tout simplement l’agent Zéro. Même le président l’appelait Zéro et Maria en faisait autant.

“De la paperasse” n’était pas, techniquement, un mensonge se rappela-t-elle. C’était leur code pour : “C’est un secret et je préférerais que tu ne me poses aucune question.” En fait, pas plus tôt que la semaine dernière, lorsqu’il avait dit aux filles qu’il se rendait en Californie, Zéro l’avait informée qu’il devait s’occuper “de lapaperasse.”

Elle ne posa donc aucune question. Bien sûr, elle s’était amusée à l’embêter avec ça ce matin, mais ce n’était pas sérieux. Et puis, qu’était-elle supposée lui dire ? Ces derniers mois, je rendais visite à un meurtrier, prisonnier de la CIA et je suis gênée de devoir l’admettre.

Bien sûr que non. Impossible.

La cellule faisait trois mètres cinquante par trois mètres cinquante avec un sol et un plafond en béton et, au lieu des traditionnels murs à barreaux, se dressaient des vitres en verre renforcé de cinq centimètres d’épaisseur. Sur le côté, faisant face au couloir, se trouvait une grille avec des trous d’un centimètre et demi permettant ainsi de communiquer avec le détenu. Il n’y avait aucune fenêtre, mais le pire était l’absence manifeste de porte. Maria ne savait même pas de quelle façon on pouvait accéder à la cellule ; un panneau caché dans l’une des façades vitrées très probablement, mais rien ne le laissait paraître. C’était une manœuvre psychologique afin de faire comprendre au prisonnier qu’il n’y avait aucune échappatoire possible.

Le cœur de Maria se serrait chaque fois un peu plus à la vue de cette vitre. Bien qu’il n’y ait personne d’autre ici, et probablement dans tout l’étage excepté Ben le gardien, elle n’autorisait aucune intimité. À l’intérieur se trouvait un petit lit pourvu d’une couverture et d’un oreiller, un petit espace salle de bain qui se résumait à un évier, des toilettes et un pommeau de douche ; le tout parfaitement ouvert, parfaitement exposé, et une simple chaise en acier fixée au sol.

Aujourd’hui, l’occupant de la cellule était assis en tailleur sur le sol froid en ciment au centre de la pièce, l’espace le plus dégagé de leur minuscule habitat. Sûrement, se disait Maria, pour leur donner l’illusion d’espace.

« Bonjour », dit Maria. Elle devait parler un peu plus fort qu’à l’accoutumée afin que la jeune fille puisse l’entendre, et cela malgré les trous de la vitre.

« Salut », répondit Mischa, ne prenant pas la peine de se retourner pour la regarder, du moins, pas au début. Mais c’était ainsi qu’elle fonctionnait, ainsi qu’elle l’avait toujours fait depuis que Maria avait commencé à lui rendre visite. Elle gardait ses distances, au moins pour un petit moment, non pour se jouer d’elle mais plutôt pour s’acclimater.

La fille d’une douzaine d’années avait des cheveux blonds et des yeux verts. Maria la trouvait plutôt jolie, même si l’absence d’expression rendait ses traits plus fades. Elle portait une simple blouse bleue en coton-polyester telle une infirmière du service des urgences, sans poche ni fermeture éclair ou quoi que ce soit qui fut en métal. Ses pieds étaient nus. Elle était habituellement maussade, peu causante, et pouvait tuer un homme faisant trois fois sa taille avec très peu d’effort. La dernière fois que Maria l’avait vue autrement que séparée d’elle par deux centimètres de verre, elle avait effectivement tenté de les tuer, elle et Zéro.

« Je t’ai apporté quelque chose », dit Maria en Russe. Elle ne savait pas exactement quelle était la nationalité de la jeune fille mais son Anglais était parfait et sans le moindre accent. Après de nombreuses visites, elle avait découvert que la jeune fille maîtrisait également à la perfection le Russe, l’Ukrainien, et le Chinois.

Au niveau du coude de Maria se trouvait une petite trappe rectangulaire dans le verre surmontée d’une poignée. Elle s’en saisit pour l’ouvrir et y déposa le croissant qu’elle avait pris un peu plus tôt dans l’appartement de Zéro. L’ouverture de l’autre côté, celui de Mischa, avait été conçue de telle sorte qu’il était impossible d’ouvrir les deux au même moment – non pas que cela ait une grande importance. La fille ne touchait jamais la nourriture que lui apportait Maria tant que celle-ci n’était pas partie.

« Il devrait être encore chaud, ajouta-t-elle.

– “Spasiba,” répondit Mischa, presque trop bas pour être entendue. Merci.

– Est-ce qu’ils te nourrissent suffisamment ? »

La fille haussa très légèrement les épaules.

Maria ferma les yeux pendant un moment afin de stopper le flot de larmes qui menaçait de déborder. Elle ne savait pas pourquoi l’émotion la submergeait à chaque fois qu’elle venait lui rendre visite, mais à chacune de leurs rencontres elle ressentait au moins une fois une vague de tristesse l’envahir à la vue de cette fille, si jeune et seule, dans cette cellule souterraine.

Mischa avait fait partie du groupe de Chinois détenant l’arme à ultrasons. Son contact, un ancien agent des services de renseignements russes, du nom de Samara, avait fait défection pour s’allier aux Chinois dans un projet d’attaque terroriste sur le sol américain, censé ressembler à une attaque des Russes. Samara et ses acolytes étaient tous morts. Seule Mischa avait survécu. Et pourtant, aucun pays n’avait essayé de plaider sa cause ou de la faire extrader, elle avait été désavouée par le monde entier.

La raison principale pour laquelle elle était détenue ici, dans un des niveaux souterrains de Langley, n’était certainement pas parce que la CIA avait des scrupules à l’envoyer dans la prison secrète marocaine. Non, cela était dû au fait que l’Agence n’avait pas de preuves qu’elle eût commis le moindre crime. Personne dans l’équipe, ni Zéro, ni Strickland et certainement pas Maria, n’avait fait la moindre déclaration contre elle ou dénoncé ses agissements.

Ils ne savaient tout simplement pas quoi faire avec une enfant ayant subi un lavage de cerveau, d’une dangerosité manifeste, hautement entraînée et qualifiée pour tuer. Par conséquent, elle restait ici.

Mais Maria ne voyait rien de tout cela. Elle voyait une jeune fille qui, au fil des mois, lui avait fait entrevoir quelques éléments de vulnérabilité attestant qu’il lui restait un soupçon d’humanité.

« Que se passe-t-il ? » demanda Mischa.

Maria réalisa alors qu’elle avait toujours les yeux fermés. Elle les rouvrit et lui sourit lorsqu’elle vit que la jeune fille l’observait avec perplexité : « Euh… pour être tout à fait honnête, je suis triste.

– Pourquoi. » Sa question ressemblait plus à une simple affirmation dénuée de toute émotion qu’à une véritable interrogation.

« Je suis triste pour toi, expliqua Maria. Que tu sois détenue ici.

– J’ai vu bien pire, dit simplement la jeune fille.

– Ce n’est pas une raison, lui répondit Maria fermement. Tu mérites mieux. Tu n’es pas un animal. Peut-être que… » Elle s’arrêta. Peut-être que je pourrais négocier pour que tu aies une cellule avec des fenêtres, était ce qu’elle avait prévu de dire.

Mais ce serait toujours une prison.

Maria lui avait rendu visite quelques jours à peine après son incarcération et était, depuis, venue la voir deux fois par semaine. Lors des toutes premières visites, Mischa ne la regardait même pas, et lui parlait encore moins. Après cela, elle avait passé les visites suivantes à essayer de convaincre la jeune fille qu’elle n’était là ni pour la blesser, ni pour la torturer. Maria ne tentait pas d’obtenir des informations. En réalité, elle ne voulait véritablement rien savoir du passé de la jeune fille. La cellule étant sous surveillance audio et vidéo, la moindre information que révélerait Mischa pourrait lui valoir un aller sans retour dans les pires centres de détention imaginables.

Il avait fallu sept semaines à Maria pour apprendre que la couleur préférée de la jeune fille était le violet et qu’elle aimait les Cachous Lajaunie – ce qui était en soi une assez forte indication qu’elle n’avait pas dû goûter beaucoup d’autres bonbons. Donc Maria lui en apporta. Au fur et à mesure, cela devint un rituel pour elle d’apporter un peu de nourriture et, avec la permission de Ben le gardien, de les lui faire passer à travers la petite trappe rectangulaire de sa cellule.

Maria savait qu’elle était filmée, mais elle s’en fichait. En réalité, les visites qu’elle faisait à la jeune fille étaient sans doute la raison pour laquelle elle avait encore les autorisations normalement réservées au directeur adjoint. À partir du moment où elle le faisait sur son temps libre, personne n’avait rien d’autre à faire que de regarder, écouter et attendre dans l’espoir de grappiller une information.

Maria se baissa vers le sol afin de s’asseoir jambes croisées juste derrière la vitre, ses genoux touchant presque la surface. « Est-ce que tu veux jouer à un jeu ? »

Mischa la regarda du coin de l’œil pendant un long moment. « Quelle sorte de jeu ?

– Ça s’appelle “Je n’ai jamais.” En as-tu déjà entendu parler ? »

La fille secoua légèrement la tête en signe de dénégation.

« C’est très simple. Lève trois doigts en l’air comme ceci. » Maria savait que la jeune fille n’allait pas parler ouvertement, mais elle espérait qu’en déguisant certaines questions en jeu, peut-être celle-ci se livrerait-elle un peu plus. « Je commence par dire quelque chose que je n’ai jamais fait mais que je souhaiterais faire. Si toi tu l’as déjà fait, tu abaisses un de tes doigts. Puis c’est à toi de dire quelque chose que tu n’as jamais fait. Si tous tes doigts sont baissés, tu perds. »

Mischa fixa le sol plusieurs secondes, suffisamment longtemps pour que Maria pense que son stratagème n’était pas aussi malin qu’elle l’avait imaginé. Puis la jeune fille leva lentement son bras et enfin, ses trois doigts.

« Très bien. Je commence. Hmm… Je ne suis jamais allée aux Bahamas. »

Les doigts de la jeune fille restèrent levés.

« OK, dit Maria, à ton tour.

– Je n’ai jamais… murmura la jeune fille, joué au football. »

Maria abaissa lentement un de ses doigts. « Mais tu aimerais essayer ? »

Mischa opina.

« As-tu vu d’autres enfants y jouer ? Ou bien était-ce à la télé ?

– À la télévision. Ça paraissait… » Elle sembla perdue dans ses pensées pendant un moment comme si elle cherchait dans sa mémoire le mot juste. « Amusant. »

Maria se retint de sourire. C’était la plus grande confession qu’elle avait obtenue de Mischa jusqu’à présent. « Bien. À mon tour. Je n’ai jamais mangé de bonbons à m’en rendre malade. »

La jeune fille fronça les sourcils. « Pourquoi voudrais-tu faire une chose pareille ?

– Eh bien, ce n’est pas que jevoudraisvéritablement le faire, je suppose. Mais parfois les gens ont tendance à abuser des bonnes choses. »

Mischa garda ses trois doigts en l’air. « Je n’ai jamais eu d’amis. »

Maria se mordit rapidement la lèvre pour contenir le son de stupeur qui faillit lui échapper. Elle ne s’était pas attendue à cette candeur et cela l’avait prise par surprise. Elle sentit son cœur se serrer dans sa poitrine.

« Je suis navrée, dit-elle doucement en baissant son second doigt. Peut-être devrions-nous arrêter.

– Mais je suis en train de gagner ! »

Un sourire involontaire se dessina sur les lèvres de Maria en entendant cela. « Tu as raison. Tu es en train de gagner. OK. Euh… je n’ai jamais fait de jardinage. »

Les trois doigts de la jeune fille restèrent en l’air et Maria retint sa respiration en redoutant ce qu’elle allait bien pouvoir dire.

« Je n’ai jamais rencontré ma mère. »

Maria expira lentement. C’était une déclaration affreuse, mais pas vraiment surprenante. Elle imaginait que Mischa avait sans doute été abandonnée, ou orpheline, ou même kidnappée par les chinois ou par Samara ou encore par n’importe quel groupe qui se soit chargé de l’entraîner. Elle baissa son dernier doigt et posa la main sur sa cuisse.

« Tu as gagné », dit-elle. Le jeu s’était complètement retourné contre elle. En dehors de l’envie de jouer au football, la seule chose que Maria avait apprise de la vie de la jeune fille était qu’elle avait été aussi horrible que ce qu’elle s’était imaginée. Si seulement…

« Mischa, dit-elle soudainement, je ne peux pas te promettre que tu la rencontreras un jour. Ta mère, je veux dire. Mais je peux te promettre d’autres choses. Je peux te promettre que tu ne resteras pas ici pour toujours. » Elle parlait rapidement, comme si elle avait peur que les mots n’arrivent plus à sortir si elle s’arrêtait de parler. « Tu pourras jouer au football, et tu auras des amis, et… et tu pourras manger des bonbons jusqu’à t’en rendre malade si c’est ce que tu veux. Tu pourras avoir toutes ces choses. » Maria cligna des yeux plusieurs fois afin de retenir ses larmes, surprise par le flot de promesses et regrettant instantanément de les avoir formulées. Elle pouvait essayer, mais elle ne pouvait en réalité rien lui promettre. « Tu devrais avoir toutes ces choses.

– Comment pourrais-je vous croire ? » demanda la jeune fille.

Maria secoua la tête, sachant que la déception serait encore plus grande si elle échouait. « En commençant par des petites choses, je suppose. Laisse-moi t’apporter quelque chose. Pas seulement de la nourriture, une chose que tu aimerais, ou qui t’occuperais. Un… un jouet, ou un ballon, ou…? » Elle n’avait pas la moindre idée de ce qui intéresserait la jeune fille.

Mischa réfléchit pendant un moment. « Un livre.

– Un livre ?

– Dostoïevski. »

Maria rit, quelque peu surprise. « Tu veux que je t’apporte… Dostoïevski ?

– “Les carnets du sous-sol”.

– Waouh. Euh… OK. D’accord. Je le ferai. Je te le promets. Maria se leva. Je reviendrai dans quelques jours et je t’apporterai le livre.

– Merci, Maria. » C’était la première fois que la jeune fille s’adressait à elle par son prénom. C’était agréable à entendre et en même temps étrange.

« Mischa ? Tu avais tort à propos d’une chose. Tu as une amie. »

Maria repartit par le couloir, ses bottes claquant et résonnant sur le sol. Elle ne se retourna pas, mais elle entendit le cliquetis révélateur de la trappe qui s’ouvrait, là où se trouvait le croissant, et sourit.

Elle ne savait pas comment elle allait s’y prendre pour convaincre qui que ce soit de libérer Mischa, ou même qu’on lui autorise un peu plus d’intimité, mais elle allait se débattre comme un  diable pour y arriver. La jeune fille avait laissé entrevoir qu’elle n’était pas entièrement endoctrinée, qu’elle n’était qu’une simple enfant après tout, qui voulait avoir des amis, faire du sport et avoir une famille.

Maria s’assurerait qu’elle puisse avoir tout cela. Elle ne reviendrait pas sur les promesses qu’elle lui avait faites si précipitamment, et dorénavant elle n’avait pas d’autre choix que de les tenir.




CHAPITRE CINQ


Zéro arborait des lunettes de soleil, une calotte noire et avait relevé bien haut le col de sa veste lorsqu’il poussa la porte du bureau au Third Street Garage à Alexandria, en Virginie. Son accoutrement était probablement exagéré mais, depuis qu’il avait réussi à retrouver Bixby, il essayait de se faire le plus discret possible lorsqu’il recherchait des informations. L’Agence avait déjà, par le passé, surveillé ses moindres faits et gestes alors qu’il ne s’y attendait pas ; il était tout à fait possible que ce soit le cas actuellement.

La petite pièce était vide, excepté un bureau en acier où trônait un vieil ordinateur et deux chaises pour les visiteurs. Il entendit le son étouffé de la musique en provenance du garage et il s’y dirigea. Lorsqu’il ouvrit la seconde porte, ses tympans furent agressés par les hurlements de « Bad Moon Rising » par CCR qui s’échappaient d’une chaîne stéréo semblant dater de l’année à laquelle la chanson avait été composée.

Il appuya sur le bouton stop – serait-ceune cassette audio ? – mais Alan continua de beugler les prochaines mesures d’une voix totalement fausse, allongé sous une Buick Skylark de 1972, couleur cerise.

« C’est le meilleur passage du morceau », bougonna-t-il en faisant rouler son chariot grinçant pour s’extirper de dessous la Buick. « Donne-moi un coup de main, veux-tu ? »

Zéro attrapa l’épaisse main d’Alan et poussa un grognement en aidant l’imposant gabarit à se relever. Alan grogna aussi, mais Zéro savait qu’il jouait la comédie. Il était large d’épaules et avait de l’embonpoint mais sous son ventre rebondi se cachaient de solides muscles compacts qu’il devait à sa carrière d’agent opérationnel de la CIA. Son épaisse barbe, à présent parsemée de gris, et sa casquette de camionneur dissimulaient ses traits et entretenaient l’illusion d’avoir affaire à un simple mécanicien. Cependant, Alan Reidigger était beaucoup, beaucoup plus que ça, en plus d’être le meilleur ami de Zéro d’aussi loin qu’il s’en souvienne.

« Tu es un peu en avance, remarqua Alan.

– Est-ce que tu insinues que ce n’est pas prêt ? demanda Zéro, en désignant la voiture.

– Oh mais c’est prêt ! Je pensais juste avoir un peu de temps pour exercer mes talents de chanteur. Vas-y, monte. » Zéro se glissa sur le siège passager tandis qu’Alan prit place derrière le volant. Il tourna la clé de contact et on entendit le moteur reprendre vie sous le capot en poussant des rugissements sonores.

Alan était beaucoup de choses et, notamment, quelque peu paranoïaque. Il était convaincu que son garage avait été mis sur écoute par la CIA malgré les nombres incalculables de fois où il l’avait passé au peigne fin. Zéro ne savait pas à qui appartenait la Buick mais, derrière ses vitres teintées et le grondement de son moteur, ils étaient à l’abri des caméras et des micros.

« Alors, qu’as-tu trouvé ? demanda Zéro.

– Moi ? Rien. Alan sortit de sa poche en flanelle un mouchoir déjà taché et y essuya ses mains graisseuses. Mais, le père Noël t’a peut-être laissé un petit quelque chose dans la boîte à gants. »

Zéro l’ouvrit et en sortit l’épais classeur qui s’y trouvait. Celui-ci devait renfermer, au bas mot, cent cinquante pages. « Mon Dieu, Alan, tu as piraté la base de données de la CIA ?

– Bien sûr que non, s’indigna Reidigger. J’ai payé quelqu’un pour le faire. Les commissures de ses lèvres cachées derrière sa barbe touffue se relevèrent en un sourire. Tu as entre les mains toutes les informations détaillées et localisations actuelles des personnes portant le nom ou prénom Connor ayant été en contact avec la CIA ces six dernières années.

– Impressionnant. » Zéro feuilleta rapidement le classeur en jetant un coup d’œil à des douzaines de visages, des photos d’identité, vraisemblablement, avec, sous chacune d’elles, un paragraphe contenant de nombreuses informations personnelles. « J’attends le “mais”.

– Mais, dit Alan, j’ai déjà tout consulté et…

– Et aucune mention n’est faite du suppresseur de mémoire ». Zéro secoua la tête. « Je ne m’attendais pas à ce que ce soit le cas. Je suis plutôt à la recherche de quelqu’un qui aurait disparu sans laisser de traces, ou dont le dossier présente des incohérences avec la personne qu’il était ou la description de son travail.

– Peut-être que si tu m’avais laissé finir… bougonna Alan. J’ai déjà cherché tout ça aussi. Écoute Zéro, je suis vraiment bon lorsqu’il s’agit de faire disparaître des personnes qui souhaitent disparaître et, presque tout ce que je sais, je l’ai appris à la CIA. Donc, soit ton gars est mort, soit il n’est pas dans ce classeur et, dans ce cas-là, il y a de grandes chances qu’il n’existe nulle part. Ni sur papier, ni sur ordinateur.

– Il doit bien être quelque part, murmura Zéro. Il suffirait d’un infime détail, une toute petite chose qu’ils auraient oublié de faire disparaître. Un compte bancaire secret, un abonnement à un club de gym ou une garantie qui aurait expiré…

– Et comment veux-tu que l’on s’y prenne pour trouver cette information ?

– Je ne sais pas. Il ouvrit le classeur au hasard et commença à lire une des pages. Je veux dire, comment peut-on être sûr que ce ne soit pas ce gars-là, par exemple ? C’était un agent prétendument tué au cours d’une opération au Liban. Ça pourrait être un mensonge.

– Possible, admit Alan, mais cela signifierait qu’il est mort et ce n’est pas non plus ce que tu veux.

– Non, en effet. Réfléchis, Zéro. Tu es forcément passé à côté de quelque chose. On peut au moins supposer qu’il s’agissait d’un agent. Nous sommes quand même les plus faciles à faire disparaître. Ils auraient très bien pu prétendre qu’il avait été envoyé quelque part et n’était jamais revenu…

– Tu spécules, là, le prévint Alan et, si quelqu’un nous observe, ça va commencer à paraître bizarre.

– Oui », murmura-t-il. Leur petite réunion dans la voiture ne pouvait pas durer trop longtemps au cas où des yeux indiscrets les observeraient réellement. « Tu as raison. »

Alan se pencha pour couper le moteur, mais Zéro ne bougeait toujours pas.

Qu’est-ce que qui m’échappe ?

Les mots qu’avait prononcés Bixby la semaine précédente, dans la Saskatchewan, lui revinrent soudain à l’esprit.

Après que le suppresseur a été installé et alors qu’il se réveillait de l’anesthésie, le neurochirurgien l’a appelé Connor. Je m’en souviens très clairement. Il a dit : ‘Sais-tu qui tu es, Connor ?’

« Attends ! Zéro stoppa Alan avant qu’il n’ait le temps de couper le moteur. Mais oui, c’est ça ! Je n’arrive pas à croire que je sois passé à côté. Le neurochirurgien l’a appelé Connor !

– Quoi ?

– C’est ce que m’a dit Bixby, expliqua-t-il rapidement. J’étais tellement obnubilé par ce Connor que je n’ai même pas pensé à essayer de retrouver le neurochirurgien ! Combien peut-il y en avoir dans les dossiers de la CIA sur les cinq dernières années ? Beaucoup moins que ça, je parie ! » dit-il en secouant le classeur, tout excité. Au lieu d’une centaine ou plus, les possibilités pourraient être réduites à, eh bien… Zéro ne savait pas exactement. Une petite douzaine, peut-être moins ?

Alan soupira. « OK. Donc tu veux que je fasse une autre…

– Je veux que tu fasses une autre recherche, oui.

– Tu sais que ce classeur m’a coûté 5000 dollars ?!

– Je te payerai un verre ! » fit Zéro avec un sourire malicieux qui disparut rapidement. « S’il te plaît.

– Tu sais que je ferais n’importe quoi pour toi, mon pote. » Alan coupa le moteur ; il n’y avait pas de « mais », cette fois-ci. C’était une évidence et Zéro le savait. Alan lui avait non seulement sauvé la vie plus d’une fois, mais aussi celle de ses filles. Il s’était plié en quatre pour le sortir des ennuis tant de fois qu’il en avait perdu le compte. Alan était même allé jusqu’à simuler sa propre mort et faire une croix sur sa vie en disparaissant de la circulation pendant plusieurs années, tout ça pour le bénéfice de Zéro. De plus, l’inverse était vrai. Zéro ferait n’importe quoi pour Alan… et pourtant, celui-ci ne lui avait jamais rien demandé. Du moins, rien d’aussi significatif que ce qu’il avait fait pour Zéro et qu’il n’hésiterait pas à refaire si nécessaire. Le moteur cessa ses vrombissements, mais le silence qui suivit dans l’habitacle de la Skylark était tout aussi assourdissant.

« Merci, dit doucement Zéro. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi.

– Sans moi, tu serais mort , plaisanta Alan, même si ce n’était que la stricte vérité. Donc nous retrouvons le neurochirurgien…

– Pour lui soutirer toutes les informations qu’il pourra nous fournir…

– Nous retrouvons l’agent…

– En espérant qu’il n’est pas déjà mort, compléta Zéro.

– Un jeu d’enfant, ricana Alan avant de redevenir sérieux. On va trouver cet agent. Mais tu me devras deux verres. »


*

Étrangement, le centre social avait une odeur de copeaux de cèdre. Toutes les pièces, même le couloir, sentaient comme l’intérieur d’une cage à hamster. Sara s’était imaginée que cette odeur provenait sans doute de la cour de récréation située à l’extérieur, mais on était en plein mois de février, bon sang ! Les fenêtres étaient fermées et le sol était gelé. Pourquoi cette odeur de copeaux de cèdre persistait-elle ?

Elle essaya de ne pas y penser en appliquant des petits coups de pinceaux à la toile devant elle. Ils étaient quatorze dans la classe, des personnes dont l’âge allait du sien à celui d’un homme voûté et chauve, qu’elle présumait être dans la soixantaine. Ils étaient assis sur des tabourets derrière des chevalets placés en cercle avec, trônant au centre, un bol de fruits en cire sur un piédestal. On appelait cela une nature morte.

Sara ricana presque en pensant à l’ironie de la situation. Une nature morte. Jusqu’à, il y a encore quelques semaines, cela aurait été une métaphore plutôt bien adaptée pour décrire ce qu’elle ressentait.

Le professeur qui leur enseignait l’art était une femme frêle au style bohémien qui s’appelait Madame Guest. Elle portait des caftans, des petites lunettes rondes qui lui donnait un air à la fois sérieux et intelligent et des foulards qui recouvraient ses cheveux blonds crépus. Elle déambulait lentement entre les étudiants, s’arrêtant de temps à autre pour murmurer des mots d’encouragements tels que « Oui, bien » et « Excellente perspective, Mark ».

Sara sentit sa colonne vertébrale se raidir instinctivement – en réaction de défense – tandis que le professeur s’arrêtait derrière son chevalet.

« Mon Dieu, lui souffla Madame Guest à l’oreille. Une telle vision, Sara ! Il n’y a pas de mauvaises réponses, mais, s’il te plaît, explique-moi ce qui t’a poussée à peindre la banane en rose ? »

Son premier réflexe avait été de vouloir se moquer gentiment d’elle, de la regarder avec de grands yeux innocents et dire : Que voulez-vous dire ? Ce n’est pas la bonne couleur ? C’est pourtant comme ça que je la vois. Mais au lieu de cela, elle avait pris sur elle et réfléchi à une réponse qu’un professeur d’art de centre social puisse trouver profonde.

« Parce que, dit Sara en prenant un air dramatique et en esquissant un petit coup de pinceau, tout le monde la peint en jaune. »

Madame Guest posa une main sur son cœur. « Ma chère, tu accompliras de grandes choses dans la vie. »

Sara retint un ricanement tandis que le professeur continuait sa déambulation. Peut-être que les leçons d’art étaient une erreur, finalement, mais elle n’avait rien dessiné ou peint depuis un long moment et, même si elle haïssait la thérapeute de cet endroit ridicule qu’on appelait centre de désintoxication, celle-ci avait peut-être eu une infime dose de bon sens lorsqu’elle avait suggéré que Sara devrait se trouver une passion, quelque chose qu’elle adorerait et à quoi elle pourrait se raccrocher dans les moments difficiles. Son choix s’était alors porté sur la peinture.

Il y avait encore des moments difficiles, mais les affres de son addiction semblaient être derrière elle. Même si parfois il lui arrivait d’avoir des envies presque irrépressibles, elles étaient toutefois beaucoup moins présentes. Elle n’avait plus touché à quoi que ce soit, pas même une aspirine, depuis Thanksgiving, mais elle redoutait toujours la noirceur qu’elle portait en elle, la possibilité beaucoup trop réelle que ses démons reviennent la hanter à n’importe quel moment. Qu’un jour, ils puissent soudainement s’emparer d’elle jusqu’à la consumer entièrement, qu’ils l’entraînent dans un gouffre si profond qu’elle ne puisse plus jamais en sortir.

Une fois encore, elle faillit rire d’elle-même. Une âme si torturée. Si Maya était là, elle aurait pu suggérer que Sara utilisait le sarcasme d’autodérision comme mécanisme de défense. Toutefois, Maya n’était pas là, alors, faute de mieux, Sara peignait en rose des fruits en cire. Le soir, elle étudiait pour passer le GED, le diplôme de fin d’études secondaires. D’ordinaire, elle n’aurait pas été bien motivée, du moins pas autant qu’il aurait fallu, mais – et même si elle ne l’admettrait jamais ouvertement – son père avait tellement changé d’attitude dernièrement que cela avait quelque chose de motivant. Bien qu’elle se moquât gentiment de lui, les efforts qu’il faisait étaient les bienvenus.

C’était quand même très bizarre. Les gens ne changeaient pas comme cela. Il y avait toujours une raison, un événement déclencheur. Pour elle, c’était clairement de s’être sortie de sa dépendance à la drogue. Son père leur cachait ses motivations, de ça elle était certaine. Mais elle et Maya avaient leurs propres problèmes à gérer, donc, ni l’une ni l’autre n’irait chercher plus loin.

« J’ai bien peur que ce soit tout pour aujourd’hui », annonça Madame Guest. « Je dois aller donner mes cours de céramique. Vous pouvez laisser vos peintures ici pour qu’elles sèchent, mais, s’il vous plaît, nettoyez vos pinceaux avant de partir. Merci ! »

Sara soupira. Elle était en train de peindre sa pomme en orange et pensait la transformer en citrouille, mais cela devrait attendre. Elle nettoya consciencieusement son poste de travail, hissa son sac à dos sur son épaule et rejoignit le couloir à l’odeur de copeaux de cèdre.

Elle prit son temps, traînant les pieds, pas du tout pressée de rentrer chez elle à vélo par ce froid glacial. Maya lui avait proposé de venir la chercher une fois son cours terminé, mais Sara ne voulait pas l’embêter ou devoir compter sur quiconque, et puis, le vent froid qui lui fouettait le visage lui permettait de garder les idées claires.

En parcourant le couloir qui menait vers la sortie, elle jeta de rapides coups d’œil dans les différentes pièces du centre social. Une leçon de gymnastique était en cours, juste une bande de gamins qui roulaient sur des tapis ou essayaient de faire le poirier. Elle passa également devant une classe de poterie, une autre d’anglais langue étrangère, puis d’informatique…

La porte sur sa gauche était presque fermée, entrouverte d’à peine quelques centimètres, pas assez pour qu’elle puisse voir à l’intérieur mais, alors qu’elle passait devant, un fragment de conversation lui parvint.

« Je m’étais promise que jamais plus je ne toucherais à l’héroïne. »

Sara se figea presque littéralement sur place, son pied encore en l’air, puis essaya de jeter un œil par l’entrebâillement de la porte.

« Mais, comme vous pouvez l’imaginer, dit sombrement une jeune femme à l’intérieur, mon addiction, elle, avait d’autres plans en réserve. Et, après une très mauvaise après-midi, elle a eu raison de moi. Je connaissais un type, juste au coin de la rue, et je l’ai appelé. »

Il y avait une note sur la porte, une simple feuille de papier blanc avec quelques mots imprimés à l’encre noire, le tout maintenu par des morceaux de scotch.


Des liens communs


Partager les traumatismes, Partager l’espoir

« Ça n’a pris qu’une minute. » La femme baissa encore la voix, si bien que Sara n’arrivait presque plus à l’entendre. Elle poussa la porte d’à peine quelques centimètres. « J’ai laissé mon fils de deux ans tout seul dans l’appartement, mais seulement pour quelques minutes. » Dans la pièce, Sara apercevait des femmes assises en arc-de-cercle qui se faisaient face. Leurs mines étaient sombres, presque funèbres.

« Malheureusement, pendant ce laps de temps, mon ancien compagnon – le père de mon bébé – a décidé de passer nous voir à l’improviste. » La femme qui s’exprimait gardait les yeux rivés au sol. Sa peau était pâle, elle ne portait pas de maquillage et ses cheveux châtains avaient été noués hâtivement en une queue de cheval. « Je suis revenue en tenant à la main mon petit sachet pour trouver mon fils dans ses bras. Ce jour-là, je l’ai perdu… »

Un visage apparut soudainement dans l’entrebâillement de la porte, faisant sursauter Sara qui fit un bond en arrière. La femme qui lui souriait avait un air de jeune matrone, un peu comme une mère de famille de banlieue qui inviterait les amis de ses enfants à dîner et n’accepterait aucun refus.

« Bonjour », murmura-t-elle afin de ne pas interrompre la réunion qui se déroulait derrière elle. « Es-tu là pour “Des liens communs” ?

– Je, Euh… Sara s’éclaircit la gorge et secoua rapidement la tête. Non. Pas du tout. Je jetais juste un coup d’œil. Désolée.

– Pas de soucis. » La femme fit un petit pas dans le couloir et referma doucement la porte derrière elle. « Nous sommes un groupe de soutien pour des femmes ayant vécu toutes sortes de traumatismes. Dépendance à la drogue, violence conjugale, syndrome de stress post-traumatique, dépression… Nous partageons nos expériences et, à travers ce partage…

– Vous créez des liens communs, marmonna Sara. Oui, je vois. »

La femme sourit. « Exactement. » Puis elle fit quelque chose d’étrange : elle regarda Sara droit dans les yeux et fronça les sourcils sans jamais se départir de son sourire.

Cela perturba Sara. C’était comme si la femme pouvait… lire en elle.

« Es-tu sûre de ne pas vouloir entrer ? Tu peux juste venir t’asseoir et écouter. Tu n’as pas besoin de parler.

– Non. Merci. Je… ça va. » Sara fit un pas en arrière. « En fait, j’étais sur le point de partir. » Elle avait réussi à s’en sortir sans l’aide d’un centre de désintoxication ; elle n’avait certainement pas besoin d’un « groupe de soutien ».

Elle se détourna, mais la femme continua de lui parler. « Au fait, je m’appelle Maddie.

– Sara, répondit-elle par-dessus son épaule.

– J’ai été ravie de te rencontrer. À très bientôt, Sara. »

Non, je ne pense pas. Sara pressa le pas le long du couloir. Soudain, le froid de février du Maryland lui sembla beaucoup plus accueillant.




CHAPITRE SIX


Maya regardait fixement le téléphone qui reposait au creux de sa main. L’historique des appels était affiché à l’écran, le numéro était juste là. Il lui suffirait de cliquer dessus.

Peut-être demain.

Elle était assise les jambes en tailleur sur son lit deux places, dans le coin de la chambre, à un mètre environ de celui de Sara, dans la chambre qu’elles partageaient. L’espace était parfois un peu exigu, mais ce n’était rien en comparaison des baraquements auxquels elle s’était habituée à West Point. Quant à Sara, elle avait eu quatre colocataires lorsqu’elle vivait à Jacksonville, donc, cet arrangement leur allait très bien à toutes les deux. Elles avaient refusé plus d’une fois la proposition de leur père d’occuper la plus grande des deux chambres de l’appartement.

Maya jeta le téléphone sur le couvre-lit, à côté d’un exemplaire à peine lu d’Ulysse (un « triomphe du masochisme », comme l’appelait son père) et d’une barre protéinée à moitié entamée. Elle voulait passer cet appel et elle le ferait, mais pas aujourd’hui.

Le numéro, si elle arrivait à trouver le courage de l’appeler, la mettrait en relation avec le bureau du doyen de West Point, le brigadier-général Joanne Hunt. Le bureau du doyen Hunt avait essayé de joindre Maya pas moins de quatre fois au cours des deux dernières semaines, sans toutefois laisser de messages ni aucune information sur la raison de ses appels.

Ce n’était pas nécessaire ; elle savait de quoi il s’agissait. Victime d’une traumatisante agression par trois garçons dans le vestiaire des filles, Maya en avait brutalisé deux et presque tué le troisième. À la suite de cela, le doyen Hunt lui avait gracieusement proposé de rentrer chez elle jusqu’à la fin du semestre et de ne revenir qu’en janvier après les vacances d’hiver.

Cependant, Maya n’y était pas retournée et il était à présent trop tard pour le faire. Elle avait manqué beaucoup de cours et ainsi prolongé inutilement sa formation d’au moins six mois, un sacré coup dur pour son objectif de devenir le plus jeune agent de l’histoire de la CIA.

Elle avait seulement besoin d’un peu de temps. C’est ce qu’elle avait dit à son père et sa sœur. Un peu plus de temps en leur compagnie et pour elle-même. Ensuite, elle y retournerait. Mais elle savait pertinemment que chaque jour qui s’écoulait sans qu’elle passe cet appel et promette de revenir au semestre suivant était un jour de plus durant lequel elle envisageait de ne jamais y retourner.

La porte d’entrée de l’appartement s’ouvrit et Maya se figea pendant un bref moment, une réaction naturelle considérant le nombre de fois où quelqu’un avait pénétré dans leur appartement par effraction avec l’intention de tuer ou kidnapper sa famille, mais elle s’était habituée à reconnaître les pas de son père et son soupir agacé lorsque la porte dilatée par le froid coinçait légèrement. Elle laissa échapper un soupir de soulagement.

« Chérie, je suis rentré ! dit-il d’une voix forte.

– Et qui est “chérie” ? lui répondit Maya avec un sourire.

– Quiconque répond à “chérie”, je suppose.

– Il n’y a que moi ici. »

Il apparut dans l’encadrement de la porte, un sourire malicieux aux lèvres. « Dans ce cas, bonsoir, chérie. Où est ta sœur ?

– À son cours d’art au centre social.

– Oui, c’est vrai. J’avais oublié qu’elle faisait ça, mais je suis content qu’elle y soit. Est-ce qu’elle a besoin qu’on aille la chercher ?

– Elle est à vélo.

Son père cligna des yeux. « En février ?

– Elle a dit qu’elle aimait bien le froid, que ça lui permettait de garder les idées claires.

– Mmm. Et elle me trouve bizarre. »

Maya glissa du lit et le suivit dans la cuisine, où il fouilla dans le frigo pour en sortir une bière légère. Après l’avoir décapsulée, il passa une main dans ses cheveux et soupira avant d’en prendre une gorgée.

« Tu es agacé, observa Maya.

– Nan, ça va. Je suis heureux comme un poisson dans l’eau. Il essaya de tourner cela en dérision avec un sourire, mais elle voyait clair dans son jeu. Tu sais que cette expression, dans sa forme actuelle, date de la fin du XVII


siècle ? Avant on disait sain comme un poisson… »

Il s’interrompit lorsqu’elle croisa les bras et haussa un sourcil. « Tu es agacé ou contrarié par quelque chose. Peut-être même les deux. Tu n’as pas enlevé tes chaussures quand tu es rentré, tu es allé directement chercher une bière et tu as fait ton truc de « je passe-ma-main-dans-les-cheveux-en-soupirant »…

– Ce n’est pas un “truc”, argumenta-t-il.

– Et à présent tu changes de sujet, finit-elle. Je te parie ce que tu veux que, dans moins d’une minute, tu vas suggérer que l’on commande une pizza ce soir. » La pizza était son repas de prédilection quand il avait trop de soucis en tête.

« Oui, bon, d’accord, tu as raison, ajouta-t-il dans un murmure, parfois j’aurais aimé avoir des enfants un peu plus stupides ou un peu moins observateurs.

– Tu ne voudrais pas me dire comment s’est passé ton “rendez-vous médical” ? demanda Maya. »

Il y réfléchit un instant, puis lui dit : « Enfile une veste ».

Elle récupéra son manteau et le suivit sur leur petit balcon, à peine assez large pour deux chaises et une petite table en verre de chaque côté, mais ils ne s’assirent pas ; son père referma la porte vitrée derrière eux et s’appuya à la balustrade.

Maya boutonna sa veste jusqu’au cou pour se protéger de l’air froid hivernal et croisa les bras sur la poitrine. « Vas-y, je t’écoute.

– Je recherche quelqu’un, lui dit-il d’une voix si basse qu’elle eut du mal à l’entendre. Un agent ou quelqu’un qui l’était jusqu’à il y a environ cinq ans. Appelé Connor.

– Prénom ou nom ? » demanda Maya.

Il haussa les épaules. « Aucune idée. Il pourrait très bien être mort et, si ce n’est pas le cas, il est drôlement bien caché. »

Elle fronça les sourcils en se demandant pourquoi son père était à la recherche d’un agent possiblement décédé. « Pourquoi es-tu à sa recherche ? »

Son père prit une gorgée de bière péniblement longue puis marmonna quelque chose dans sa barbe. Maya n’avait pas bien entendu, mais il lui semblait qu’il avait prononcé le mot « paperasse ».

« Quoi ?

– Rien, répondit-il. Je ne peux pas vraiment t’en parler. C’est lié… à mon travail.

– Je comprends. » Cependant, étant donné son comportement et le fait qu’il n’était pas parti pour une chasse à l’homme avec toutes les ressources que la CIA allouait lors de ces missions de grande ampleur, elle supposa que cela n’avait rien à voir avec son travail. « Et tu me dis tout ça dehors sur le balcon, dans le froid glacial, parce que…? »

Il ne répondit rien mais lui lança un regard dénué de toute émotion. Il lui fallut un moment pour l’interpréter mais, quand elle y arriva, son estomac se noua.

« Oh mon Dieu, tu ne penses tout de même pas…? » Elle s’arrêta avant de le dire tout haut. Il pensait que leur appartement pouvait, d’une manière ou d’une autre, être sur écoute.

« Je ne suis pas complètement sûr. Alan a fait quelques ratissages, mais ces gens-là ont tendance à se montrer créatifs. »

Maya secoua la tête de dégoût à l’idée que tout ce qu’elle avait dit, et probablement ce qu’elle avait fait – ainsi que sa petite sœur – avait été enregistré quelque part dans une des bases de données de la CIA. On lui avait une fois implanté sous la peau une puce de traçage numérique et l’idée que ses moindres déplacements soient connus en permanence avait été suffisamment dérangeante.

Cependant, de là à être observée… cela lui rappelait l’incident à West Point, avec les trois jeunes hommes qui s’étaient cachés dans les vestiaires, attendant qu’elle sorte de la douche afin de l’attaquer. Combien de temps avaient-ils pu passer là et qu’avaient-ils vu…?

Elle s’obligea à ne pas y penser. Son père ne connaissait que le strict minimum de ce qu’il s’était passé et elle n’avait pour le moment pas l’intention de lui en dire plus. C’était à elle de gérer le problème, tout comme lui devait gérer le sien.

« Que vas-tu faire, alors ? » lui demanda-t-elle.

Il agita la main en signe d’impuissance. « Il y a un docteur, ou il pourrait y en avoir un, qui le connaît. Ou le connaissait. Je ne sais pas encore. J’attends plus d’infos de la part de Reidigger. » Il lui sourit en la regardant par-dessus son épaule. « Allez, viens, rentrons.

– Attends une minute. Si tu es supposé ne pas m’en parler, pourquoi me dis-tu tout cela ? Il la fixa si longtemps qu’elle s’imagina que lui non plus n’était pas sûr de la réponse.

– Parce que, dit-il enfin, quand je suis agacé, te parler m’aide à me sentir moins agacé. »

Il lui serra l’épaule puis ils retournèrent à l’intérieur, juste à temps pour trouver Sara qui fermait la porte derrière elle et ôtait son bonnet de laine. Son nez et ses joues étaient rougis et gercés par l’air hivernal.

Sara regarda son père puis hocha la tête. « Pizza ce soir, alors ? »

Il leva les deux mains en l’air. « Je suis vraiment si prévisible ? »

Maya sourit, puis elle remarqua qu’il y avait quelque chose d’étrange dans le comportement de Sara. Ses mouvements étaient raides, comme figés et pas uniquement à cause du froid, semblait-il. Même après avoir retiré son anorak, sa petite sœur gardait les coudes serrés, presque sur la défensive.

« Ça va ? » demanda Maya.

Sara renifla. « Ouais. C’est juste… mes conneries habituelles.

– Doucement, les gros mots ! s’écria leur père depuis la cuisine. Puis : Oui, je voudrais deux grandes pizzas…

– T’en fais pas, ça va », lui assura Sara en se dirigeant vers la chambre qu’elles partageaient.

Maya ne la crut pas, mais elle savait qu’il était inutile d’insister. Ils avaient tous leurs problèmes et chacun essayait de les gérer à sa façon. Pour les membres d’une famille qui s’étaient promis d’être honnêtes les uns envers les autres, il semblait qu’ils gardaient tous beaucoup de secrets, mais ce n’était pas par malhonnêteté, il s’agissait d’indépendance, d’être capable de s’assumer.

Même si parfois, il fallait bien l’admettre, cela les faisait se sentir bien seuls. Pourtant, il n’était peut-être pas nécessaire qu’il en soit ainsi. Elle pensa à ce fameux Connor qui avait disparu. Il devait bien y avoir un moyen de retrouver ce type… peut-être même qu’une personne aussi intelligente qu’elle, pourrait y arriver. Peut-être pourrait-elle faire quelque chose pour son père qui lui prouverait, au lieu de seulement le lui dire, qu’il n’était pas obligé de garder ses problèmes pour lui seul.

Si seulement elle pouvait apprendre à appliquer ses propres conseils.




CHAPITRE SEPT


Le président Jonathan Rutledge s’installa confortablement sur un canapé rayé du Bureau Ovale, retira les pieds de ses mocassins et posa ses talons sur la table basse cirée devant lui. Il était presque certain que le canapé, un des deux qui étaient perpendiculaires au bureau présidentiel, n’était pas là hier, mais il ne pouvait en être sûr. D’ordinaire, la pièce était toujours bourdonnante d’activité ; les conseillers, chefs d’état-major et administrateurs se pressaient ici et là, tant et si bien que le mobilier devenait plus une toile de fond qu’un décor. À l’origine de cet agencement se trouvait sa femme Deidre, qui s’était attribuée la mission « d’aider » l’équipe de décorateurs de la Maison-Blanche et de réaménager toutes les pièces une fois par semaine ou, du moins, c’était l’impression qu’il en avait.

C’était un canapé agréable. Il espérait qu’il demeurerait dans le bureau un certain temps.

En novembre dernier, Rutledge avait presque suivi le même chemin que le mobilier. À peine quelques mois auparavant, se jugeant inapte à assurer ses fonctions, il avait sérieusement envisagé de démissionner de son mandat de président. Il avait été promu de son ancien poste de Président de la Chambre des Représentants directement au sommet de l’échelle en raison de l’implication de ses prédécesseurs dans l’immense scandale avec la Russie. Il lui avait fallu un certain temps pour s’habituer à son nouveau rôle, au pouvoir qu’il lui conférait et aux responsabilités qui en découlaient.

Mais tout cela était derrière lui. Il avait pris la décision de continuer son mandat et avait ensuite nommé la sénatrice de Californie, Joanna Barkley, vice-présidente. Elle avait fait un travail remarquable jusqu’à présent. Leur cote de popularité était particulièrement élevée ; Rutledge était même perçu positivement par les conservateurs. Il y avait eu une petite baisse des sondages pendant quelques jours à la mi-décembre, lorsqu’il avait fait la grave erreur de teindre ses cheveux pour retrouver leur châtain d’origine. Il ne l’avait fait que parce que les stries grises parsemant sa chevelure le dérangeaient, ni par vanité ni par désir de paraître plus jeune, mais simplement pour préserver sa confiance en lui. Malgré tout, cela n’avait pas empêché les experts des médias de spéculer pendant deux bons jours et demi sur ce que Rutledge essayait de prouver. Apparemment, se teindre les cheveux n’avait pas encore été intégré au grand livre présidentiel des lois non-écrites. Comme ceux qui l’avaient précédé, il était supposé vieillir soit de façon distinguée soit de façon épouvantable.

Le moment présent était l’un des rares durant lesquels il était seul et il en profitait pour se mettre en bras de chemise et pour poser ses pieds en chaussettes noires sur la table basse. Bien sûr, il n’était jamais véritablement seul ; il y avait constamment des caméras rivées sur lui et au minimum deux agents des services secrets postés à l’extérieur, derrière les portes de son bureau. Mais c’était suffisant, et il était décidé à profiter de chacun de ces petits moments dès qu’il le pourrait, car ils étaient très rares, s’insinuant entre de nombreux événements de l’agenda présidentiel bien plus important, comme du mortier entre des briques.

À présent, les relations américano-russes étaient sur la corde raide depuis plusieurs années, bien avant que Rutledge n’endosse les fonctions suprêmes. À présent, c’était aussi avec la Chine que les choses ne se présentaient pas sous leurs meilleurs jours. La guerre commerciale était terminée et le gouvernement chinois jouait franc-jeu, mais seulement parce que Rutledge lui-même avait menacé les Chinois de révéler tous les détails concernant la terrible affaire de l’arme à ultra-sons et l’identité des commandos qui étaient impliqués. Actuellement, il y avait une trêve, mais elle était fragile comme du verre et menaçait de se briser en morceaux dès que les Chinois en auraient l’opportunité.

Malgré tout, il fallait bien faire des concessions. Rutledge le savait et avait même une petite idée derrière la tête, mais c’était Barkley qui l’avait convaincu qu’elle était réalisable. Elle avait cette manière d’aborder des problèmes immenses qui semblaient de prime abord insolubles pour les transformer en petites étapes réalisables. Elle aurait été une grande mathématicienne, se dit-il ; pour elle, chaque problème pouvait être divisé en ses éléments les plus simples.

L’objectif, pour simplifier, était la paix au Moyen-Orient. Pas uniquement entre les États-Unis et chacun des pays du Moyen-Orient, mais également entre tous les pays. C’était certainement ambitieux, mais chaque étape franchie était un pas de plus dans la bonne direction. Et après deux mois à organiser des réunions, à planifier, à écouter les opposants et à tenter de les rallier à la cause, à élaborer des stratégies, des discours, à faire des cauchemars, c’était finalement en train de se réaliser.

« Demain, l’Ayatollah d’Iran vient à Washington. »

Il prononça cette phrase à voix haute, pour son propre bénéfice, lui qui était seul dans le grand Bureau Ovale, comme s’il défiait quiconque d’entrer à la volée pour le contredire. Pourtant, c’était une réalité ; le chef suprême de l’Iran, l’homme qui avait un jour prêté serment publiquement de ne jamais capituler devant les États-Unis, cet homme qui avait diabolisé le pays tout entier, devait arriver le jour suivant pour, dans un premier temps, visiter le siège des Nations Unies à New-York, où un traité était en cours de finalisation. Ensuite, l’Ayatollah rejoindrait Washington, DC pour rencontrer Rutledge et signer le traité qui bénéficierait aux deux nations : non seulement il assurerait la paix mais il apporterait également une aide au peuple de l’Ayatollah et (dans un monde parfait) aiderait à atténuer la xénophobie anti-islamique aux États-Unis.

Rutledge était tendu mais faisait preuve d’un optimisme prudent. Si l’Ayatollah acceptait les termes du traité, non seulement ce serait une étape historique, mais cela montrerait la voie à suivre aux autres états islamiques.

Ou à la plupart d’entre eux, pensa-t-il avec amertume. Barkley ne lui avait épargné aucun détail du récent déplacement qu’elle avait fait en Arabie Saoudite pour les funérailles du défunt roi et sur les exigences formulées à cette occasion par le prince, ou plutôt, le nouveau roi. Déjà, les troupes américaines quittaient les postes de commandement et se retiraient vers les nations voisines. Les ambassades se vidaient. Rutledge avait des troupes armées sur le terrain qui tentaient de cacher autant que possible la situation au peuple américain, mais c’était une tâche insurmontable ; déjà, des rumeurs se propageaient et des informations en provenance d’Arabie Saoudite avaient fuité par le biais d’autres sources.

Un jour ou l’autre, il faudrait remédier à la fragilité actuelle des relations entre l’Iran, l’Arabie Saoudite et les États-Unis. Tôt ou tard, des actions seraient mises en place et on tiendrait des conférences de presse.

Un jour ou l’autre, mais il faudrait que cela attende après la visite du dirigeant iranien. Il avait passé trop de temps à rendre cette visite possible.

Un brusque coup à la porte le sortit non seulement de ses pensées, mais le surprit suffisamment pour qu’il retire promptement ses deux pieds de la table basse et se redresse sur son siège comme si sa propre mère allait le surprendre les pieds sur le mobilier.

« Monsieur le Président ? »

Il s’éclaircit la gorge. « Oui, entrez, Tabby. »

Le battant gauche de la double porte crème s’ouvrit juste assez pour que Tabitha Halpern puisse passer sa tête aux cheveux auburn coupés au carré, dans l’entrebâillement de la porte. « Je suis désolée, Monsieur, on vous demande de toute urgence dans…

– Laissez-moi deviner. Rutledge se frotta le front. La Salle de Crise.

La cheffe de cabinet de la Maison-Blanche fronça les sourcils. « Quelqu’un a-t-il appelé ?

– Non, Tabby. Une simple supposition. Il attrapa ses chaussures. Une semaine. J’aimerais juste une semaine sans situation de crise. Ce serait quelque chose, n’est-ce pas ? »


*

La salle de conférence John F. Kennedy était située au sous-sol de l’aile ouest, une pièce centrale de quatre cent cinquante mètres carré, plus communément appelée la Salle de Crise, et à juste titre, car les seuls moments durant lesquels le président Rutledge y mettait les pieds étaient lors d’une situation de crise.

Et il y avait constamment une crise, semblait-il.

Deux agents des services secrets lui ouvraient le chemin et deux autres le fermaient derrière lui, tandis que Tabby Halpern accélérait le pas du haut de son mètre soixante-quatre pour tenter de suivre la cadence tout en lui lisant le briefing d’une page qu’elle venait de recevoir quelques instants auparavant. Cela concernait la Corée du Sud et un bateau volé ; Rutledge était encore assez perdu dans ses propres pensées.

Je vous en prie, faites que ce ne soit pas une catastrophe. Pas à l’aube d’une visite qui fera date dans l’histoire.

Déjà présents autour de la table de conférence cirée se trouvaient la bande habituelle et les visages familiers – du moins, pour la plupart d’entre eux. Le secrétaire d’État à la Défense Colin Kressley se tenait debout devant son siège, à côté du directeur du Renseignement National, David Barren. En face d’eux se trouvait le directeur de la CIA Edward Shaw, un homme qui se mouvait de telle façon que l’on aurait facilement pu s’imaginer que sa colonne vertébrale était en acier et que sa bouche ne servait qu’à grimacer. Les deux hommes encadrant Shaw lui étaient inconnus.

La vice-présidente Barkley n’était pas présente, remarqua-t-il, même si le protocole n’exigeait pas sa présence étant donné la nature de la situation et l’objet du travail qui l’occupait sur le moment.

« Messieurs, dit Rutledge, pour saluer l’assemblée tandis que lui et Tabby faisaient leur entrée dans la pièce. Je vous en prie, asseyez-vous. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de rappeler à quiconque parmi vous l’événement de demain ni l’importance de cette visite. Je vous en prie, dites-moi que c’est un briefing sur la sécurité ou une fête surprise. »

Personne n’esquissa le moindre sourire ; le froncement de sourcils du directeur Shaw s’était même accentué. Rutledge se rappela qu’il devait brider son comportement désinvolte lorsqu’il se trouvait dans une pièce qui avait été conçue pour la gestion des catastrophes.

« Monsieur le Président, dit le général Kressley de sa voix bourrue de baryton. Il y a deux jours, à approximativement 1700 Roméo[1 - N.d.T. Format militaire pour exprimer l’heure – correspond à 17h00.], un satellite au-dessus de l’océan Pacifique Nord a détecté un très bref, très puissant pic d’énergie, à un peu plus de trois cents miles au Sud-Est du Japon. »

Le président fronça un peu plus les sourcils. Il n’avait écouté que d’une oreille distraite ce que Tabby lui disait lorsqu’ils se dirigeaient vers la Salle de Crise, mais elle avait mentionné la disparition d’un bateau.

« Sur le moment, cette poussée d’énergie a été rapportée comme un puissant déferlement de foudre ou potentiellement une explosion provenant d’une poche géothermique, continua Kressley. Toutefois, à présent, nous avons des raisons de croire qu’il s’agissait de tout autre chose…

– Excusez-moi Général, l’interrompit Rutledge en levant la main. Le briefing indiquait la disparition d’un bateau sud-coréen. Concernant cette poussée d’énergie, pouvons-nous aller directement aux faits ? »

Kressley se raidit un moment puis adressa un signe de tête au directeur Shaw.

« Monsieur le Président. » Shaw croisa les mains sur la table, une étrange habitude que Rutledge ne manquait pas de remarquer chaque fois que l’ancien directeur de la NSA parlait. « Il y a moins de trente minutes, le gouvernement de Corée du Sud a partagé un dossier classé secret défense avec la CIA. Si ce que les Sud-Coréens disent est vrai, ils ont développé une arme très puissante et l’ont installée sur un petit navire furtif. Durant le test initial de l’arme sur l’océan Pacifique – la fameuse poussée d’énergie que vient de décrire le secrétaire d’État à la Défense – le navire a été attaqué. Tout l’équipage a été tué. Le navire et l’arme ont été volés. »

Un sifflement s’échappa de la gorge de Rutledge, accompagnant la sensation d’abattement qu'il ressentait soudain. Il y avait beaucoup d'informations à digérer en très peu de temps.

« Cette arme. » La voix de Rutledge était basse mais tout à fait audible dans la pièce autrement silencieuse. « Cette arme a été développée dans le plus grand secret ?

– Oui, Monsieur le Président.

– Et testée dans le plus grand secret.

– C’est exact, Monsieur le Président.

– Et la Corée du Sud a attendu deux jours entiers pour nous dire qu’elle avait été volée. » Rutledge voulait juste avoir confirmation que ce qu’il venait d’entendre au sujet de ses soi-disant alliés de la péninsule coréenne était correct.

« Affirmatif, Monsieur le Président. Shaw fit une pause avant d’ajouter : Il semblerait qu’ils aient été un petit peu trop optimistes sur leur capacité à récupérer l’arme mais, à présent, ils nous demandent notre aide pour régler ce problème. »

Rutledge serra les dents. C’était pire que ce qu’il avait pu imaginer. Non seulement, quelqu’un, quelque part, détenait cette arme de nature inconnue, mais il était désastreux que des alliances se brisent au moment même où l’on essayait d’en créer une nouvelle.

« Quelle est cette arme ? demanda-t-il.

– Pour cela, répondit Shaw, je laisse la parole au Docteur Michael Rodrigo. Il désigna l’homme à sa gauche, de loin le plus jeune de la pièce, atteignant à peine la quarantaine. Il est notre expert en technologie d’armes de pointe et responsable du département Recherche et Développement pour l’US Navy.





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notes



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N.d.T. Format militaire pour exprimer l’heure – correspond à 17h00.



“Vous ne trouverez pas le sommeil tant que vous n’aurez pas terminé L’AGENT ZÉRO. L’auteur a fait un magnifique travail en créant un ensemble de personnages à la fois très développé et vraiment plaisant à suivre. La description des scènes d’action nous transporte dans une réalité telle que l’on aurait presque l’impression d’être assis dans une salle de cinéma équipée du son surround et de la 3D (cela ferait d’ailleurs un super film hollywoodien). Il me tarde de découvrir la suite.”. –Roberto Mattos, auteur du blog Books and Movie Reviews. LE LEURRE ZÉRO est le volume #8 de la série best-seller L’AGENT ZÉRO qui débute par L’AGENT ZÉRO (Volume #1), téléchargeable gratuitement, avec près de 200 avis cinq étoiles… Un nouveau canon électrique high-tech est inventé, capable de tirer un missile indéfendable à sept fois la vitesse du son… et le destin des États-Unis est en jeu. Quelle est sa cible ? Et qui se cache derrière son lancement? Dans une course folle contre le temps, l’Agent Zéro devra utiliser toutes ses compétences pour retrouver la source de cette arme inarrêtable et découvrir sa destination avant qu’il ne soit trop tard. . Or, en même temps, Zéro apprend une nouvelle choquante sur le développement de son état mental qui pourrait bien le mettre définitivement sur la touche. Pourra-t-il sauver le monde… et pourra-t-il se sauver lui-même? LE LEURRE ZÉRO (Volume #8) est un thriller d’espionnage que vous n’arriverez pas à reposer une fois que vous l’aurez commencé. Il vous tiendra éveillé, à tourner ses pages, jusque tard dans la nuit. . “Une écriture qui élève le thriller à son plus haut niveau.”. –Midwest Book Review (à propos de Tous Les Moyens Nécessaires). “L’un des meilleurs thrillers que j’ai lus cette année.”. –Books and Movie Reviews (à propos de Tous Les Moyens Nécessaires). Jack Mars est également l’auteur de la série best-seller de thrillers LUKE STONE (7 volumes), qui commence par Tous Les Moyens Nécessaires (Volume #1), téléchargeable gratuitement, avec plus de 800 avis cinq étoiles !

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