Книга - Собор Парижской Богоматери / Notre-Dame de Paris

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Собор Парижской Богоматери / Notre-Dame de Paris
Виктор Мари Гюго

София Андреевна Бакаева

А. П. Гайденко


Легко читаем по-французски
Знаменитый роман Виктора Гюго «Собор Парижской Богоматери» десятки раз экранизировался, ставился на сцене, в том числе и в жанре мюзикла – последняя такая постановка, как известно, стала одной из самых популярных в мире.

В основе романа увлекательный сюжет, история любви горбуна Квазимодо к прекрасной Эсмеральде. Следить за всеми поворотами фабулы (а она в романе весьма причудлива) доставляет такое же удовольствие, как и язык самого писателя, его умение соединять высокую романтику с шуткой и мягкой иронией; особенно это чувствуешь, когда читаешь книгу по-французски.

В настоящем издании текст романа несколько сокращен и снабжен комментариями, главным образом касающимися исторических реалий и некоторых языковых сложностей. В конце дан небольшой французско-русский словарь.





Виктор Гюго. Собор Парижской Богоматери / Victor Hugo. Notre-Dame de Paris



© Бакаева С. А., Гайденко А. П., адаптация текста, комментарии, словарь, 2015

© ООО «Издательство АСТ», 2015




Livre premier





I

La grand’salle


Il y a aujourd’hui trois cent quarante-huit ans six mois et dix-neuf jours que les Parisiens s’éveillèrent au bruit de toutes les cloches sonnant à grande volée dans la triple enceinte de la Cité, de l’Université et de la Ville.

Ce n’est cependant pas un jour dont l’histoire ait gardé souvenir que le 6 janvier 1482. Rien de notable dans l’événement qui mettait ainsi en branle, dès le matin, les cloches et les bourgeois de Paris. Ce n’était ni un assaut de Picards ou de Bourguignons, ni une châsse menée en procession, ni une révolte d’écoliers dans la vigne de Laas, ni une entrée de notredit très redouté seigneur monsieur le roi, ni même une belle pendaison de larrons et de larronnesses à la Justice de Paris.

Le 6 janvier, ce qui mettait en émotion tout le populaire de Paris[1 - ce qui mettait en émotion tout le populaire de Paris – что взволновало всю парижскую чернь], comme dit Jehan de Troyes[2 - Jehan de Troyes – историк и юрист XV века], c’était la double solennité, réunie depuis un temps immémorial, du jour des Rois et de la Fête des Fous.

Le peuple affluait surtout dans les avenues du Palais de Justice, parce qu’on savait que les ambassadeurs flamands, arrivés de la surveille, se proposaient d’assister à la représentation du mystère et à l’élection du pape des fous, laquelle devait se faire également dans la grand-salle.

Ce n’était pas chose aisée de pénétrer ce jour-là dans cette grand-salle, réputée cependant alors la plus grande enceinte couverte qui fût au monde. La place du Palais, encombrée de peuple, offrait aux curieux des fenêtres l’aspect d’une mer, dans laquelle cinq ou six rues, comme autant d’embouchures de fleuves, dégorgeaient à chaque instant de nouveaux flots de têtes.

Aux portes, aux fenêtres, aux lucarnes, sur les toits, fourmillaient des milliers de bonnes figures bourgeoises, calmes et honnêtes, regardant le palais, regardant la cohue, et n’en demandant pas davantage; car bien des gens à Paris se contentent du spectacle des spectateurs, et c’est déjà pour nous une chose très curieuse qu’une muraille derrière laquelle il se passe quelque chose.

Les deux extrémités de la grand-salle du Palais étaient occupées, l’une par la fameuse table de marbre, si longue, si large et si épaisse que jamais on ne vit, disent les vieux papiers terriers, dans un style qui eût donné appétit à Gargantua; l’autre, par la chapelle où Louis XI s’était fait sculpter à genoux devant la Vierge, et où il avait fait transporter, sans se soucier de laisser deux niches vides dans la file des statues royales, les statues de Charlemagne et de saint Louis, deux saints qu’il supposait fort en crédit au ciel comme rois de France.

Au milieu de la salle, vis-à-vis la grande porte, une estrade de brocart d’or, adossée au mur, et dans laquelle était pratiquée une entrée particulière au moyen d’une fenêtre du couloir de la chambre dorée, avait été élevée pour les envoyés flamands et les autres gros personnages conviés à la représentation du mystère.

C’est sur la table de marbre que devait, selon l’usage, être représenté le mystère. Elle avait été disposée pour cela dès le matin; sa riche planche de marbre, toute rayée par les talons de la basoche, supportait une cage de charpente assez élevée, dont la surface supérieure, accessible aux regards de toute la salle, devait servir de théâtre, et dont l’intérieur, masqué par des tapisseries, devait tenir lieu de vestiaire aux personnages de la pièce. Une échelle, naïvement placée en dehors, devait établir la communication entre la scène et le vestiaire, et prêter ses roides échelons aux entrées comme aux sorties. Il n’y avait pas de personnage si imprévu, pas de péripétie, pas de coup de théâtre qui ne fût tenu de monter par cette échelle. Innocente et vénérable enfance de l’art et des machines!

Quatre sergents du bailli[3 - bailli — бальи (королевский чиновник, выполнявший административные и судебные функции)] du Palais, gardiens obligés de tous les plaisirs du peuple les jours de fête comme les jours d’exécution, se tenaient debout aux quatre coins de la table de marbre.

Ce n’était qu’au douzième coup de midi sonnant à la grande horloge du Palais que la pièce devait commencer. C’était bien tard sans doute pour une représentation théâtrale; mais il avait fallu prendre l’heure des ambassadeurs.

Or toute cette multitude attendait depuis le matin.

Il y avait entre autres un groupe de ces joyeux démons qui, après avoir défoncé le vitrage d’une fenêtre, s’était hardiment assis sur l’entablement, et de là plongeait tour à tour ses regards et ses railleries au dedans et au dehors, dans la foule de la salle et dans la foule de la place. À leurs gestes de parodie, à leurs rires éclatants, aux appels goguenards qu’ils échangeaient d’un bout à l’autre de la salle avec leurs camarades, il était aisé de juger que ces jeunes clercs ne partageaient pas l’ennui et la fatigue du reste des assistants, et qu’ils savaient fort bien, pour leur plaisir particulier, extraire de ce qu’ils avaient sous les yeux un spectacle qui leur faisait attendre patiemment l’autre.

– Sur mon âme, c’est vous, Joannes Frollo de Molendino! criait l’un d’eux à une espèce de petit diable blond, à jolie et maligne figure; vous êtes bien nommé Jehan du Moulin, car vos deux bras et vos deux jambes ont l’air de quatre ailes qui vont au vent. – Depuis combien de temps êtes-vous ici?

« Par la miséricorde du diable, répondit Joannes Frollo, voilà plus de quatre heures, et j’espère bien qu’elles me seront comptées sur mon temps de purgatoire. J’ai entendu les huit chantres du roi de Sicile entonner le premier verset de la haute messe de sept heures dans la Sainte-Chapelle.

– De beaux chantres, reprit l’autre, et qui ont la voix encore plus pointue que leur bonnet! Avant de fonder une messe à monsieur saint Jean, le roi aurait bien dû s’informer si monsieur saint Jean aime le latin psalmodié avec accent provençal.

– C’est pour employer ces maudits chantres du roi de Sicile qu’il a fait cela! cria aigrement une vieille femme dans la foule au bas de la fenêtre. Je vous demande un peu! mille livres parisis pour une messe! et sur la ferme du poisson de mer des halles de Paris, encore!

– Paix! vieille, reprit un gros et grave personnage qui se bouchait le nez à côté de la marchande de poisson; il fallait bien fonder une messe. Vouliez-vous pas que le roi retombât malade?

– Bravement parlé, sire Gilles Lecornu, maître pelletier-fourreur des robes du roi! » cria le petit écolier cramponné au chapiteau.

Un éclat de rire de tous les écoliers accueillit le nom malencontreux du pauvre pelletier-fourreur des robes du roi.

« Hé! sans doute, continuait le petit démon du chapiteau. Qu’ont-ils à rire? Honorable homme Gilles Lecornu, frère de maître Jehan Lecornu, prévôt de l’hôtel du roi, fils de maître Mahiet Lecornu, premier portier du bois de Vincennes, tous bourgeois de Paris, tous mariés de père en fils! »

La gaieté redoubla. Le gros pelletier-fourreur, sans répondre un mot, s’efforçait de se dérober aux regards fixés sur lui de tous côtés.

Enfin un de ceux-ci, gros, court et vénérable comme lui, vint à son secours.

« Abomination! des écoliers qui parlent de la sorte à un bourgeois! de mon temps on les eût fustigés avec un fagot dont on les eût brûlés ensuite. »

La bande entière éclata.

« Holàhé! qui chante cette gamme? quel est le chat-huant de malheur?

– Tiens, je le reconnais, dit l’un; c’est maître Andry Musnier.

– Parce qu’il est un des quatre libraires jurés de l’Université! dit l’autre.

– Eh bien, reprit Jean Frollo, il faut leur faire le diable à quatre.

– Musnier, nous brûlerons tes livres.

– Musnier, nous battrons ton laquais.

– Musnier, nous chiffonnerons ta femme.

– La bonne grosse mademoiselle Oudarde.

– Qui est aussi fraîche et aussi gaie que si elle était veuve.

– Que le diable vous emporte! grommela maître Andry Musnier. »

Jehan, maître du champ de bataille, poursuivit avec triomphe:

« Beaux sires, que nos gens de l’Université! n’avoir seulement pas fait respecter nos privilèges dans un jour comme celui-ci! Enfin, il y a mai et feu de joie à la Ville; mystère, pape des fous et ambassadeurs flamands à la Cité; et à l’Université, rien!

– Cependant la place Maubert est assez grande! dit un des clercs cantonnés sur la table de la fenêtre.

– À bas le recteur, les électeurs et les procureurs!

– À propos, le recteur! le voici qui passe dans la place, cria un de ceux de la fenêtre. »

Ce fut à qui se retournerait vers la place.

« Est-ce que c’est vraiment notre vénérable recteur maître Thibaut? demanda Jehan Frollo du Moulin, qui, s’étant accroché à un pilier de l’intérieur, ne pouvait voir ce qui se passait au dehors.

– Oui, oui, répondirent tous les autres, c’est lui, c’est bien lui, maître Thibaut le recteur. »

C’était en effet le recteur et tous les dignitaires de l’Université qui se rendaient processionnellement au-devant de l’ambassade et traversaient en ce moment la place du Palais. Les écoliers, pressés à la fenêtre, les accueillirent au passage avec des sarcasmes et des applaudissements ironiques. Le recteur, qui marchait en tête de sa compagnie, essuya la première bordée; elle fut rude.

« Bonjour, monsieur le recteur! Holàhée! bonjour donc!

– Comment fait-il pour être ici, le vieux joueur? Il a donc quitté ses dés?

– Comme il trotte sur sa mule! elle a les oreilles moins longues que lui.

– Holàhée! bonjour, monsieur le recteur Thibaut! Tybalde aleator[4 - Tybalde aleator – (лат.) Тибальд – игрок в кости]! vieil imbécile! vieux joueur!

– Dieu vous garde! avez-vous fait souvent double-six cette nuit?

– Oh! la caduque figure, plombée, tirée et battue pour l’amour du jeu et des dés!

– Où allez-vous comme cela, Tybalde ad dados, tournant le dos à l’Université et trottant vers la Ville?

– Il va sans doute chercher un logis rue Thibautodé[5 - Thibautodé – игра слов, означающая «Тибо с игральными костями».] », cria Jehan du Moulin.

Toute la bande répéta le quolibet avec une voix de tonnerre et des battements de mains furieux.

En ce moment midi sonna.

« Ha!… » dit toute la foule d’une seule voix. Les écoliers se turent. Puis il se fit un grand remue-ménage, un grand mouvement de pieds et de têtes, une grande détonation générale de toux et de mouchoirs; chacun s’arrangea, se posta, se haussa, se groupa; puis un grand silence. Cette foule attendait depuis le matin trois choses: midi, l’ambassade de Flandre, le mystère. Midi seul était arrivé à l’heure.

Pour le coup c’était trop fort.

On attendit une, deux, trois, cinq minutes, un quart d’heure; rien ne venait. L’estrade demeurait déserte, le théâtre muet. Cependant à l’impatience avait succédé la colère. Les paroles irritées circulaient, à voix basse encore, il est vrai. « Le mystère! le mystère! » murmurait-on sourdement. Les têtes fermentaient. Une tempête, qui ne faisait encore que gronder, flottait à la surface de cette foule.

En cet instant, la tapisserie du vestiaire que nous avons décrit plus haut se souleva, et donna passage à un personnage dont la seule vue arrêta subitement la foule, et changea comme par enchantement sa colère en curiosité.

« Silence! silence! »

Le personnage, fort peu rassuré et tremblant de tous ses membres, s’avança jusqu’au bord de la table de marbre, avec force révérences qui, à mesure qu’il approchait, ressemblaient de plus en plus à des génuflexions.

Cependant le calme s’était peu à peu rétabli. Il ne restait plus que cette légère rumeur qui se dégage toujours du silence de la foule.

« Messieurs les bourgeois, dit-il, et mesdemoiselles les bourgeoises, nous devons avoir l’honneur de déclamer et représenter devant son éminence Monsieur le cardinal une très belle moralité, qui a nom: Le bon jugement de madame la vierge Marie. C’est moi qui fais Jupiter. Son Éminence accompagne en ce moment l’ambassade très honorable de monsieur le duc d’Autriche; laquelle est retenue, à l’heure qu’il est, à écouter la harangue de monsieur le recteur de l’Université, à la porte Baudets. Dès que l’éminentissime cardinal sera arrivé, nous commencerons. »




II

Pierre Gringoire


« Commencez tout de suite! Le mystère! le mystère tout de suite! criait le peuple. Et l’on entendait par-dessus toutes les voix celle de Johannes de Molendino: – Commencez tout de suite! glapissait l’écolier.

– À bas Jupiter et le cardinal de Bourbon! vociféraient Robin Poussepain et les autres clercs juchés dans la croisée.

– Tout de suite la moralité! répétait la foule. Sur-le-champ! tout de suite! Le sac et la corde[6 - Le sac et la corde… – Это выражение восходит к Древнему Риму. Воров и убийц в то время казнили следующим образом: их запихивали в мешок, завязывали горловину верёвкой и бросали в воды Тибра.] aux comédiens et au cardinal! »

Le pauvre Jupiter, hagard, effaré, pâle sous son rouge, laissa tomber sa foudre, prit à la main son bicoquet; puis il saluait et tremblait en balbutiant: Son Éminence… les ambassadeurs… Madame Marguerite de Flandre… Il ne savait que dire. Au fond, il avait peur d’être pendu.

Pendu par la populace pour attendre, pendu par le cardinal pour n’avoir pas attendu, il ne voyait des deux côtés qu’un abîme, c’est-à-dire une potence.

Heureusement quelqu’un vint le tirer d’embarras et assumer la responsabilité.

Un individu qui se tenait en deçà de la balustrade dans l’espace laissé libre autour de la table de marbre, et que personne n’avait encore aperçu, tant sa longue et mince personne était complètement abritée de tout rayon visuel par le diamètre du pilier auquel il était adossé, cet individu, disons-nous, grand, maigre, blême, blond, jeune encore, quoique déjà ridé au front et aux joues, avec des yeux brillants et une bouche souriante, vêtu d’une serge noire, râpée et lustrée de vieillesse, s’approcha de la table de marbre et fit un signe au pauvre patient. Mais l’autre, interdit, ne voyait pas.

Le nouveau venu fit un pas de plus: « Jupiter! dit-il, mon cher Jupiter! »

L’autre n’entendait point.

Enfin le grand blond, impatienté, lui cria presque sous le nez:

« Michel Giborne!

– Qui m’appelle? dit Jupiter, comme éveillé en sursaut.

– Moi, répondit le personnage vêtu de noir.

– Ah! dit Jupiter.

– Commencez tout de suite, reprit l’autre. Satisfaites le populaire. Je me charge d’apaiser monsieur le bailli, qui apaisera monsieur le cardinal. »

Jupiter respira.

« Messeigneurs les bourgeois, cria-t-il de toute la force de ses poumons à la foule qui continuait de le huer, nous allons commencer tout de suite.

– Evoe, Jupiter! Plaudite, cives[7 - laudite, cives! – (лат.) Аплодируйте, граждане! (этим призывом заканчивались все театральные представления в Риме)]! crièrent les écoliers.

– Noël! Noël![8 - Noël! Noël! – здесь: Слава! Слава!] cria le peuple.

Ce fut un battement de mains assourdissant, et Jupiter était déjà rentré sous sa tapisserie.

Cependant le personnage inconnu qui avait si magiquement changé la tempête en bonace, comme dit notre vieux et cher Corneille[9 - Corneille – Корнель, французский драматург.], était modestement rentré dans la pénombre de son pilier, et y serait sans doute resté invisible, immobile et muet comme auparavant, s’il n’en eût été tiré par deux jeunes femmes qui, placées au premier rang des spectateurs, avaient remarqué son colloque avec Michel Giborne-Jupiter.

« Maître, dit l’une d’elles en lui faisant signe de s’approcher…

– Taisez-vous donc, ma chère Liénarde, dit sa voisine, jolie, fraîche, et toute brave à force d’être endimanchée. Ce n’est pas un clerc, c’est un laïque; il ne faut pas dire maître, mais bien messire.

– Messire », dit Liénarde.

L’inconnu s’approcha de la balustrade.

« Que voulez-vous de moi, mesdamoiselles? demanda-t-il avec empressement.

– Oh! rien, dit Liénarde toute confuse, c’est ma voisine Gisquette la Gencienne qui veut vous parler.

– Cela sera-t-il beau, ce qu’ils vont dire là-dessus? demanda timidement Gisquette.

– Très beau, madamoiselle, répondit l’anonyme sans la moindre hésitation.

– Qu’est-ce que ce sera? dit Liénarde.

– Le bon jugement de madame la Vierge, moralité, s’il vous plaît, madamoiselle.

– Ah! c’est différent», reprit Liénarde.

Un court silence suivit. L’inconnu le rompit:

« C’est une moralité toute neuve, et qui n’a pas encore servi.

– Vous nous promettez que ce mystère sera beau? dit Gisquette.

– Sans doute, répondit-il; puis il ajouta avec une certaine emphase: – Mesdamoiselles, c’est moi qui en suis l’auteur.

– Vraiment? dirent les jeunes filles, tout ébahies.

– Vraiment! répondit le poète en se rengorgeant légèrement; c’est-à-dire nous sommes deux: Jehan Marchand, qui a scié les planches, et dressé la charpente du théâtre et toute la boiserie, et moi qui ai fait la pièce. – Je m’appelle Pierre Gringoire. »

Chose remarquable: toute cette foule, quelques minutes auparavant si tumultueuse, attendait maintenant avec mansuétude, sur la foi du comédien; ce qui prouve cette vérité éternelle et tous les jours encore éprouvée dans nos théâtres, que le meilleur moyen de faire attendre patiemment le public, c’est de lui affirmer qu’on va commencer tout de suite.

Toutefois l’écolier Joannes ne s’endormait pas.

« Holàhée! cria-t-il tout à coup au milieu de la paisible attente qui avait succédé au trouble, Jupiter, madame la Vierge, bateleurs du diable! vous gaussez-vous? la pièce! la pièce! Commencez, ou nous recommençons. »

Il n’en fallut pas davantage.

Une musique de hauts et bas instruments se fit entendre de l’intérieur de l’échafaudage; la tapisserie se souleva; quatre personnages bariolés et fardés en sortirent, grimpèrent la roide échelle du théâtre, et, parvenus sur la plate-forme supérieure, se rangèrent en ligne devant le public, qu’ils saluèrent profondément; alors la symphonie se tut. C’était le mystère qui commençait.

Les personnages étaient vêtus tous quatre de robes mi-parties jaune et blanc; la première était en brocart, or et argent, la deuxième en soie, la troisième en laine, la quatrième en toile. Le premier des personnages portait en main droite une épée, le second deux clefs d’or, le troisième une balance, le quatrième une bêche; et pour aider les intelligences paresseuses qui n’auraient pas vu clair à travers la transparence de ces attributs, on pouvait lire en grosses lettres noires brodées: au bas de la robe de brocart, JE M’APPELLE NOBLESSE; au bas de la robe de soie, JE M’APPELLE CLERGÉ; au bas de la robe de laine, JE M’APPELLE MARCHANDISE; au bas de la robe de toile, JE M’APPELLE LABOUR.

Il eût fallu aussi beaucoup de mauvaise volonté pour ne pas comprendre, à travers la poésie du prologue, que Labour était marié à Marchandise et Clergé à Noblesse, et que les deux heureux couples possédaient en commun un magnifique dauphin d’or, qu’ils prétendaient n’adjuger qu’à la plus belle. Ils allaient donc par le monde cherchant et quêtant cette beauté.

Tout cela était en effet très beau.

Cependant, dans cette foule sur laquelle les quatre allégories versaient à qui mieux mieux des flots de métaphores, il n’y avait pas une oreille plus attentive, pas un cœur plus palpitant, pas un œil plus hagard, pas un cou plus tendu, que l’œil, l’oreille, le cou et le cœur de l’auteur, du poète, de ce brave Pierre Gringoire, qui n’avait pu résister, le moment d’auparavant, à la joie de dire son nom à deux jolies filles. Il était retourné à quelques pas d’elles, derrière son pilier, et là, il écoutait, il regardait, il savourait.

À peine Gringoire avait-il approché ses lèvres de cette coupe enivrante de joie et de triomphe, qu’une goutte d’amertume vint s’y mêler.

Un mendiant déguenillé, qui ne pouvait faire recette, perdu qu’il était au milieu de la foule, et qui n’avait sans doute pas trouvé suffisante indemnité dans les poches de ses voisins, avait imaginé de se jucher sur quelque point en évidence, pour attirer les regards et les aumônes. Il s’était donc hissé pendant les premiers vers du prologue, à l’aide des piliers de l’estrade réservée, jusqu’à la corniche qui en bordait la balustrade à sa partie inférieure, et là, il s’était assis, sollicitant l’attention et la pitié de la multitude avec ses haillons et une plaie hideuse qui couvrait son bras droit. Du reste il ne proférait pas une parole.

Le silence qu’il gardait laissait aller le prologue sans encombre, et aucun désordre sensible ne serait survenu, si le malheur n’eût voulu que l’écolier Joannes avisât, du haut de son pilier, le mendiant et ses simagrées. Un fou rire s’empara du jeune drôle, qui, sans se soucier d’interrompre le spectacle et de troubler le recueillement universel, s’écria gaillardement:

« Tiens! ce malingreux qui demande l’aumône! »

Quiconque a jeté une pierre dans une mare à grenouilles ou tiré un coup de fusil dans une volée d’oiseaux, peut se faire une idée de l’effet que produisirent ces paroles incongrues, au milieu de l’attention générale. Gringoire en tressaillit comme d’une secousse électrique. Le prologue resta court, et toutes les têtes se retournèrent en tumulte vers le mendiant, qui, loin de se déconcerter, vit dans cet incident une bonne occasion de récolte, et se mit à dire d’un air dolent, en fermant ses yeux à demi:

« La charité, s’il vous plaît!

– Eh mais, sur mon âme, reprit Joannes, c’est Clopin Trouillefou. Holàhée! l’ami, ta plaie te gênait donc à la jambe, que tu l’as mise sur ton bras? »

En parlant ainsi, il jetait avec une adresse de singe un petit-blanc dans le feutre gras que le mendiant tendait de son bras malade.

Gringoire était fort mécontent. Revenu de sa première stupéfaction, il s’évertuait à crier aux quatre personnages en scène: «Continuez! que diable, continuez!» sans même daigner jeter un regard de dédain sur les deux interrupteurs.

Les acteurs avaient obéi à son injonction, et le public, voyant qu’ils se remettaient à parler, s’était remis à écouter, non sans avoir perdu force beautés, dans l’espèce de soudure qui se fit entre les deux parties de la pièce ainsi brusquement coupée. Gringoire en faisait tout bas l’amère réflexion. Pourtant la tranquillité s’était rétablie peu à peu, l’écolier se taisait, le mendiant comptait quelque monnaie, et la pièce avait repris le dessus.

Tout à coup, au beau milieu d’une querelle entre mademoiselle Marchandise et madame Noblesse, au moment où maître Labour prononçait ce vers mirifique:

Onc ne vis dans les bois bête plus triomphante[10 - Onc ne vis dans les bois bête plus triomphante. — Нет, царственней его не видывали зверя.]; la porte de l’estrade réservée, qui était jusque-là restée si mal à propos fermée, s’ouvrit plus mal à propos encore; et la voix retentissante de l’huissier annonça brusquement: Son Éminence monseigneur le cardinal de Bourbon.




III

Monsieur le cardinal


Pauvre Gringoire!

Il n’y avait ni haine du cardinal, ni dédain de sa présence, dans l’impression désagréable qu’elle fit à Pierre Gringoire. Bien au contraire; notre poète avait trop de bon sens et une souquenille trop râpée pour ne pas attacher un prix particulier à ce que mainte allusion de son prologue, et en particulier la glorification du dauphin fils du lion de France, fût recueillie par une oreille éminentissime. Mais ce n’est pas l’intérêt qui domine dans la noble nature des poètes. Je suppose que l’entité du poète soit représentée par le nombre dix, il est certain qu’un chimiste, en l’analysant et pharmacopolisant, comme dit Rabelais, la trouverait composée d’une partie d’intérêt contre neuf parties d’amour-propre.

L’entrée de son éminence bouleversa l’auditoire. Toutes les têtes se tournèrent vers l’estrade. Ce fut à ne plus s’entendre. « Le cardinal! Le cardinal! » répétèrent toutes les bouches. Le malheureux prologue resta court une seconde fois.

Le cardinal s’arrêta un moment sur le seuil de l’estrade. Tandis qu’il promenait un regard assez indifférent sur l’auditoire, le tumulte redoublait. Chacun voulait le mieux voir. C’était à qui mettrait sa tête sur les épaules de son voisin.

C’était en effet un haut personnage et dont le spectacle valait bien toute autre comédie. Charles, cardinal de Bourbon, archevêque et comte de Lyon, primat des Gaules, était à la fois allié à Louis XI par son frère, Pierre, seigneur de Beaujeu, qui avait épousé la fille aînée du roi, et allié à Charles le Téméraire par sa mère Agnès de Bourgogne. Or le trait dominant, le trait caractéristique et distinctif du caractère du primat des Gaules, c’était l’esprit de courtisan et la dévotion aux puissances. Du reste, c’était un bon homme. Il menait joyeuse vie de cardinal, s’égayait volontiers avec du cru royal de Challuau, ne haïssait pas Richarde la Garmoise et Thomasse la Saillarde, faisait l’aumône aux jolies filles plutôt qu’aux vieilles femmes, et pour toutes ces raisons était fort agréable au populaire de Paris.

Il entra donc, salua l’assistance avec ce sourire héréditaire des grands pour le peuple, et se dirigea à pas lents vers son fauteuil de velours écarlate, en ayant l’air de songer à tout autre chose. Son cortège, ce que nous appellerions aujourd’hui son état-major d’évêques et d’abbés, fit irruption à sa suite dans l’estrade, non sans redoublement de tumulte et de curiosité au parterre. Quant aux écoliers, ils juraient. C’était leur jour, leur fête des fous, leur saturnale, l’orgie annuelle de la basoche et de l’école. Chacun d’eux, dans les nouveaux venus de l’estrade, avait pris à partie une soutane noire, ou grise, ou blanche, ou violette. Quant à Joannes Frollo de Molendino, en sa qualité de frère d’un archidiacre, c’était à la rouge qu’il s’était hardiment attaqué, et il chantait à tue-tête, en fixant ses yeux effrontés sur le cardinal: Cappa repleta mero[11 - Cappa repleta mero! – (лат.) Ряса, напитанная вином!]!

D’ailleurs le cardinal s’en fût peu ému, tant les libertés de ce jour-là étaient dans les mœurs. Il avait du reste, et sa mine en était toute préoccupée, un autre souci qui le suivait de près. C’était l’ambassade de Flandre.

Il se fit dans l’assemblée un grand silence accompagné de rires étouffés pour écouter tous les noms saugrenus et toutes les qualifications bourgeoises que chacun de ces personnages transmettait imperturbablement à l’huissier, qui jetait ensuite noms et qualités pêle-mêle et tout estropiés à travers la foule. Ces personnages portaient tous écrit sur le front que Maximilien d’Autriche avait eu raison de se confier à plain, comme disait son manifeste, en leur sens, vaillance, expérience, loyaultez et bonnes preudomies.

Un excepté pourtant. C’était un visage fin, intelligent, rusé, une espèce de museau de singe et de diplomate, au-devant duquel le cardinal fit trois pas et une profonde révérence, et qui ne s’appelait pourtant que Guillaume Rym, conseiller et pensionnaire de la ville de Gand.

Peu de personnes savaient alors ce que c’était que Guillaume Rym. Rare génie qui dans un temps de révolution eût paru avec éclat à la surface des événements, mais qui au quinzième siècle était réduit aux caverneuses intrigues et à vivre dans les sapes[12 - était réduit aux caverneuses intrigues et à vivre dans les sapes – был обречён на подпольные интриги и «существование в подкопах»], comme dit le duc de Saint-Simon. Du reste, il était apprécié du premier sapeur de l’Europe, il machinait familièrement avec Louis XI, et mettait souvent la main aux secrètes besognes du roi.




IV

Maître Jacques Coppenole


Pendant que le pensionnaire de Gand et l’éminence échangeaient une révérence fort basse et quelques paroles à voix plus basse encore, un homme à haute stature, à large face, à puissantes épaules, se présentait pour entrer de front avec Guillaume Rym: on eût dit un dogue auprès d’un renard. Son bicoquet[13 - bicoquet – войлочная шляпа с заострённой тульей.] de feutre et sa veste de cuir faisaient tache au milieu du velours et de la soie qui l’entouraient. Présumant que c’était quelque palefrenier fourvoyé, l’huissier l’arrêta.

« Hé, l’ami! on ne passe pas. »

L’homme à veste de cuir le repoussa de l’épaule.

« Que me veut ce drôle? dit-il avec un éclat de voix qui rendit la salle entière attentive à cet étrange colloque. Tu ne vois pas que j’en suis?

– Votre nom? demanda l’huissier.

– Jacques Coppenole.

– Vos qualités?

– Chaussetier, à l’enseigne des Trois Chaînettes, à Gand. »

L’huissier recula. Annoncer des échevins et des bourgmestres, passe; mais un chaussetier, c’était dur. Le cardinal était sur les épines. Tout le peuple écoutait et regardait. Voilà deux jours que son Éminence s’évertuait à lécher ces ours flamands pour les rendre un peu plus présentables en public, et l’incartade était rude. Cependant Guillaume Rym, avec son fin sourire, s’approcha de l’huissier:

« Annoncez maître Jacques Coppenole, clerc des échevins[14 - clerc des échevins — секретарь совета старшин] de la ville de Gand, lui souffla-t-il très bas.

– Huissier, reprit le cardinal à haute voix, annoncez maître Jacques Coppenole, clerc des échevins de l’illustre ville de Gand. »

Ce fut une faute. Guillaume Rym tout seul eût escamoté la difficulté; mais Coppenole avait entendu le cardinal.

« Non, croix-Dieu! s’écria-t-il avec sa voix de tonnerre, Jacques Coppenole, chaussetier. Entends-tu, l’huissier? Rien de plus, rien de moins. Croix-Dieu! chaussetier, c’est assez beau. Monsieur l’archiduc a plus d’une fois cherché son gant dans mes chausses. »

Les rires et les applaudissements éclatèrent. Un quolibet est tout de suite compris à Paris, et par conséquent toujours applaudi.

Coppenole salua fièrement son Éminence, qui rendit son salut au tout-puissant bourgeois redouté de Louis XI. Puis, tandis que Guillaume Rym, sage homme et malicieux, comme dit Philippe de Comines, les suivait tous deux d’un sourire de raillerie et de supériorité, ils gagnèrent chacun leur place, le cardinal tout décontenancé et soucieux, Coppenole tranquille et hautain.

Cependant tout n’était pas fini pour ce pauvre cardinal, et il devait boire jusqu’à la lie le calice d’être en si mauvaise compagnie.

Le lecteur n’a peut-être pas oublié l’effronté mendiant qui était venu se cramponner, dès le commencement du prologue, aux franges de l’estrade cardinale. L’arrivée des illustres conviés ne lui avait nullement fait lâcher prise, et tandis que prélats et ambassadeurs s’encaquaient, en vrais harengs flamands, dans les stalles de la tribune, lui s’était mis à l’aise, et avait bravement croisé ses jambes sur l’architrave. L’insolence était rare, et personne ne s’en était aperçu au premier moment, l’attention étant tournée ailleurs. Lui, de son côté, ne s’apercevait de rien dans la salle; il balançait sa tête avec une insouciance de napolitain, répétant de temps en temps dans la rumeur, comme par une machinale habitude: « La charité, s’il vous plaît! » Et certes il était, dans toute l’assistance, le seul probablement qui n’eût pas daigné tourner la tête à l’altercation de Coppenole et de l’huissier. Or, le hasard voulut que le maître chaussetier de Gand, avec qui le peuple sympathisait déjà si vivement et sur qui tous les yeux étaient fixés, vînt précisément s’asseoir au premier rang de l’estrade au-dessus du mendiant; et l’on ne fut pas médiocrement étonné de voir l’ambassadeur flamand, inspection faite du drôle placé sous ses yeux, frapper amicalement sur cette épaule couverte de haillons. Le mendiant se retourna; il y eut surprise, reconnaissance, épanouissement des deux visages, etc.; puis, sans se soucier le moins du monde des spectateurs, le chaussetier et le malingreux se mirent à causer à voix basse, en se tenant les mains dans les mains, tandis que les guenilles de Clopin Trouillefou étalées sur le drap d’or de l’estrade faisaient l’effet d’une chenille sur une orange.

La nouveauté de cette scène singulière excita une telle rumeur de folie et de gaieté dans la salle que le cardinal ne tarda pas à s’en apercevoir; il se pencha à demi, et ne pouvant, du point où il était placé, qu’entrevoir fort imparfaitement la casaque ignominieuse de Trouillefou, il se figura assez naturellement que le mendiant demandait l’aumône, et, révolté de l’audace, il s’écria: « Monsieur le bailli du Palais, jetez-moi ce drôle à la rivière!

– Croix-Dieu! monseigneur le cardinal, dit Coppenole sans quitter la main de Clopin, c’est un de mes amis.

– Noël! Noël! » cria la cohue. À dater de ce moment, maître Coppenole eut à Paris, comme à Gand, grand crédit avec le peuple; car gens de telle taille l’y ont, dit Philippe de Comines, quand ils sont ainsi désordonnés.

Le cardinal se mordit les lèvres. Il se pencha vers son voisin l’abbé de Sainte-Geneviève, et lui dit à demi-voix:

« Plaisants ambassadeurs que nous envoie là monsieur l’archiduc pour nous annoncer madame Marguerite!

– Votre Éminence, répondit l’abbé, perd ses politesses avec ces groins flamands. Margaritas ante porcos[15 - Margaritas ante porcos. — (лат.) «Не мечите бисер перед свиньями»; это выражение встречается в Евангелии от Матфея (гл. 7, ст. 6).].

– Dites plutôt, répondit le cardinal avec un sourire: Porcos ante Margaritam. »

Toute la petite cour en soutane s’extasia sur le jeu de mots. Le cardinal se sentit un peu soulagé; il était maintenant quitte avec Coppenole, il avait eu aussi son quolibet applaudi.

Du moment où le cardinal était entré, Gringoire n’avait cessé de s’agiter pour le salut de son prologue. Il avait d’abord enjoint aux acteurs, restés en suspens, de continuer et de hausser la voix; puis, voyant que personne n’écoutait, il les avait arrêtés, et depuis près d’un quart d’heure que l’interruption durait, il n’avait cessé de frapper du pied, de se démener, d’interpeller Gisquette et Liénarde, d’encourager ses voisins à la poursuite du prologue; le tout en vain.

Pourtant quand notre poète vit le calme un peu rétabli, il imagina un stratagème qui eût tout sauvé.

« Monsieur, dit-il en se tournant vers un de ses voisins, brave et gros homme à figure patiente, si l’on recommençait?

– Quoi? dit le voisin.

– Hé! le mystère, dit Gringoire.

– Comme il vous plaira », repartit le voisin.

Cette demi-approbation suffit à Gringoire, et faisant ses affaires lui-même, il commença à crier, en se confondant le plus possible avec la foule: « Recommencez le mystère! recommencez!

– Diable! dit Joannes de Molendino, qu’est-ce qu’ils chantent donc là-bas, au bout? (Car Gringoire faisait du bruit comme quatre.) Dites donc, camarades! est-ce que le mystère n’est pas fini? Ils veulent le recommencer. Ce n’est pas juste.

– Non! non! crièrent tous les écoliers. À bas le mystère! à bas! »

Mais Gringoire se multipliait et n’en criait que plus fort: « Recommencez! recommencez! »

Ces clameurs attirèrent l’attention du cardinal.

« Monsieur le bailli du Palais, dit-il à un grand homme noir placé à quelques pas de lui, est-ce que ces drôles sont dans un bénitier, qu’ils font ce bruit d’enfer? »

Le bailli du Palais était une espèce de magistrat amphibie, une sorte de chauve-souris de l’ordre judiciaire, tenant à la fois du rat et de l’oiseau, du juge et du soldat. Il s’approcha de son Éminence, et, non sans redouter fort son mécontentement, il lui expliqua en balbutiant l’incongruité populaire: que midi était arrivé avant son Éminence, et que les comédiens avaient été forcés de commencer sans attendre son Éminence.

Le cardinal éclata de rire.

« Sur ma foi, monsieur le recteur de l’Université aurait bien dû en faire autant. Qu’en dites-vous, maître Guillaume Rym?

– Monseigneur, répondit Guillaume Rym, contentons-nous d’avoir échappé à la moitié de la comédie. C’est toujours cela de gagné.

– Ces coquins peuvent-ils continuer leur farce? demanda le bailli.

– Continuez, continuez, dit le cardinal; cela m’est égal. Pendant ce temps-là, je vais lire mon bréviaire. »

Le bailli s’avança au bord de l’estrade, et cria, après avoir fait faire silence d’un geste de la main:

« Bourgeois, manants et habitants, pour satisfaire ceux qui veulent qu’on recommence et ceux qui veulent qu’on finisse, son éminence ordonne que l’on continue. »

Il fallut bien se résigner des deux parts. Cependant l’auteur et le public en gardèrent longtemps rancune au cardinal.

Cet étrange accompagnement, qui rendait la pièce difficile à suivre, indignait d’autant plus Gringoire qu’il ne pouvait se dissimuler que l’intérêt allait toujours croissant et qu’il ne manquait à son ouvrage que d’être écouté.

Le brutal monologue de l’huissier cessa pourtant. Tout le monde était arrivé, et Gringoire respira. Les acteurs continuaient bravement. Mais ne voilà-t-il pas que maître Coppenole, le chaussetier, se lève tout à coup, et que Gringoire lui entend prononcer, au milieu de l’attention universelle, cette abominable harangue:

« Messieurs les bourgeois et hobereaux de Paris, je ne sais, croix-Dieu! pas ce que nous faisons ici. Je vois bien là-bas dans ce coin, sur ce tréteau, des gens qui ont l’air de vouloir se battre. J’ignore si c’est là ce que vous appelez un mystère; mais ce n’est pas amusant. Ils se querellent de la langue, et rien de plus. Voilà un quart d’heure que j’attends le premier coup. Rien ne vient. Ce sont des lâches, qui ne s’égratignent qu’avec des injures. Il fallait faire venir des lutteurs de Londres ou de Rotterdam; et, à la bonne heure! vous auriez eu des coups de poing qu’on aurait entendus de la place. Mais ceux-là font pitié. Ils devraient nous donner au moins une danse morisque, ou quelque autre momerie! Ce n’est pas là ce qu’on m’avait dit. On m’avait promis une fête des fous, avec élection du pape. Nous avons aussi notre pape des fous à Gand, et en cela nous ne sommes pas en arrière, croix-Dieu! Mais voici comme nous faisons. On se rassemble une cohue, comme ici. Puis chacun à son tour va passer sa tête par un trou et fait une grimace aux autres. Celui qui fait la plus laide, à l’acclamation de tous, est élu pape. Voilà. C’est fort divertissant. Voulez-vous que nous fassions votre pape à la mode de mon pays? Ce sera toujours moins fastidieux que d’écouter ces bavards. S’ils veulent venir faire leur grimace à la lucarne, ils seront du jeu. Qu’en dites-vous, messieurs les bourgeois? Il y a ici un suffisamment grotesque échantillon des deux sexes pour qu’on rie à la flamande, et nous sommes assez de laids visages pour espérer une belle grimace. »

Gringoire eût voulu répondre. La stupéfaction, la colère, l’indignation lui ôtèrent la parole. D’ailleurs la motion du chaussetier populaire fut accueillie avec un tel enthousiasme par ces bourgeois flattés d’être appelés hobereaux, que toute résistance était inutile. Il n’y avait plus qu’à se laisser aller au torrent.




V

Quasimodo


En un clin d’œil tout fut prêt pour exécuter l’idée de Coppenole. Bourgeois, écoliers et basochiens s’étaient mis à l’œuvre. La petite chapelle située en face de la table de marbre fut choisie pour le théâtre des grimaces. Une vitre brisée à la jolie rosace au-dessus de la porte laissa libre un cercle de pierre par lequel il fut convenu que les concurrents passeraient la tête. Il suffisait, pour y atteindre, de grimper sur deux tonneaux, qu’on avait pris je ne sais où et juchés l’un sur l’autre tant bien que mal. Il fut réglé que chaque candidat, homme ou femme (car on pouvait faire une papesse), pour laisser vierge et entière l’impression de sa grimace, se couvrirait le visage et se tiendrait caché dans la chapelle jusqu’au moment de faire apparition. En moins d’un instant la chapelle fut remplie de concurrents, sur lesquels la porte se referma.

Coppenole de sa place ordonnait tout, dirigeait tout, arrangeait tout. Pendant le brouhaha, le cardinal, non moins décontenancé que Gringoire, s’était, sous un prétexte d’affaires et de vêpres, retiré avec toute sa suite, sans que cette foule, que son arrivée avait remuée si vivement, se fût le moindrement émue à son départ. Il n’y avait plus que des flamands et de la canaille.

Les grimaces commencèrent. Qu’on se figure une série de visages présentant successivement toutes les formes géométriques, depuis le triangle jusqu’au trapèze, depuis le cône jusqu’au polyèdre; toutes les expressions humaines, depuis la colère jusqu’à la luxure; tous les âges, depuis les rides du nouveau-né jusqu’aux rides de la vieille moribonde; toutes les fantasmagories religieuses, depuis Faune jusqu’à Belzébuth; tous les profils animaux, depuis la gueule jusqu’au bec, depuis la hure jusqu’au museau.

Tout s’effaçait dans la licence commune. La grand-salle n’était plus qu’une vaste fournaise d’effronterie et de jovialité où chaque bouche était un cri, chaque œil un éclair, chaque face une grimace, chaque individu une posture. Le tout criait et hurlait.

Quant à Gringoire, le premier mouvement d’abattement passé, il avait repris contenance. Il s’était roidi contre l’adversité. Continuez!» avait-il dit pour la troisième fois à ses comédiens, machines parlantes. Puis se promenant à grands pas devant la table de marbre, il lui prenait des fantaisies d’aller apparaître à son tour à la lucarne de la chapelle, ne fût-ce que pour avoir le plaisir de faire la grimace à ce peuple ingrat. « Mais non, cela ne serait pas digne de nous; pas de vengeance! luttons jusqu’à la fin, se répétait-il. Le pouvoir de la poésie est grand sur le peuple; je les ramènerai. Nous verrons qui l’emportera, des grimaces ou des belles-lettres. »

Hélas! il était resté le seul spectateur de sa pièce.

C’était bien pis que tout à l’heure. Il ne voyait plus que des dos.

Je me trompe. Le gros homme patient, qu’il avait déjà consulté dans un moment critique, était resté tourné vers le théâtre. Quant à Gisquette et à Liénarde, elles avaient déserté depuis longtemps.

Gringoire fut touché au fond du cœur de la fidélité de son unique spectateur. Il s’approcha de lui, et lui adressa la parole en lui secouant légèrement le bras; car le brave homme s’était appuyé à la balustrade et dormait un peu.

« Monsieur, dit Gringoire, je vous remercie.

– Monsieur, répondit le gros homme avec un bâillement, de quoi?

– Vous êtes le seul, reprit Gringoire, qui ayez convenablement écouté la pièce. Comment la trouvez-vous?

– Hé! hé! répondit le gros magistrat à demi réveillé, assez gaillarde en effet. »

Il fallut que Gringoire se contentât de cet éloge, car un tonnerre d’applaudissements, mêlé à une prodigieuse acclamation, vint couper court à leur conversation. Le pape des fous était élu.

« Noël! Noël! Noël! » criait le peuple de toutes parts.

C’était une merveilleuse grimace, en effet, que celle qui rayonnait en ce moment au trou de la rosace. Après toutes les figures pentagones, hexagones et hétéroclites qui s’étaient succédé à cette lucarne sans réaliser cet idéal du grotesque qui s’était construit dans les imaginations exaltées par l’orgie, il ne fallait rien moins, pour enlever les suffrages, que la grimace sublime qui venait d’éblouir l’assemblée. Maître Coppenole lui-même applaudit; et Clopin Trouillefou, qui avait concouru, et Dieu sait quelle intensité de laideur son visage pouvait atteindre, s’avoua vaincu. Nous ferons de même. Nous n’essaierons pas de donner au lecteur une idée de ce nez tétraèdre, de cette bouche en fer à cheval, de ce petit œil gauche obstrué d’un sourcil roux en broussailles tandis que l’œil droit disparaissait entièrement sous une énorme verrue, de ces dents désordonnées, ébréchées çà et là, comme les créneaux d’une forteresse, de cette lèvre calleuse sur laquelle une de ces dents empiétait comme la défense d’un éléphant, de ce menton fourchu, et surtout de la physionomie répandue sur tout cela, de ce mélange de malice, d’étonnement et de tristesse. Qu’on rêve, si l’on peut, cet ensemble.

L’acclamation fut unanime. On se précipita vers la chapelle. On en fit sortir en triomphe le bienheureux pape des fous. Mais c’est alors que la surprise et l’admiration furent à leur comble. La grimace était son visage.

Ou plutôt toute sa personne était une grimace. Une grosse tête hérissée de cheveux roux; entre les deux épaules une bosse énorme dont le contre-coup se faisait sentir par devant; un système de cuisses et de jambes si étrangement fourvoyées qu’elles ne pouvaient se toucher que par les genoux, et, vues de face, ressemblaient à deux croissants de faucilles qui se rejoignent par la poignée; de larges pieds, des mains monstrueuses; et, avec toute cette difformité, je ne sais quelle allure redoutable de vigueur, d’agilité et de courage; étrange exception à la règle éternelle qui veut que la force, comme la beauté, résulte de l’harmonie. Tel était le pape que les fous venaient de se donner.

On eût dit un géant brisé et mal ressoudé.

Quand cette espèce de cyclope parut sur le seuil de la chapelle, immobile, trapu, et presque aussi large que haut, carré par la base, comme dit un grand homme, à son surtout mi-parti rouge et violet, semé de campanilles d’argent, et surtout à la perfection de sa laideur, la populace le reconnut sur-le-champ, et s’écria d’une voix:

« C’est Quasimodo, le sonneur de cloches! c’est Quasimodo, le bossu de Notre-Dame! Quasimodo le borgne! Quasimodo le bancal! Noël! Noël! »

On voit que le pauvre diable avait des surnoms à choisir.

Quasimodo, objet du tumulte, se tenait toujours sur la porte de la chapelle, debout, sombre et grave, se laissant admirer.

Un écolier, Robin Poussepain, je crois, vint lui rire sous le nez, et trop près. Quasimodo se contenta de le prendre par la ceinture, et de le jeter à dix pas à travers la foule. Le tout sans dire un mot.

Maître Coppenole, émerveillé, s’approcha de lui.

« Croix-Dieu! Saint-Père! tu as bien la plus belle laideur que j’aie vue de ma vie. Tu mériterais la papauté à Rome comme à Paris. »

En parlant ainsi, il lui mettait la main gaiement sur l’épaule. Quasimodo ne bougea pas. Coppenole poursuivit.

« Tu es un drôle avec qui j’ai démangeaison de ripailler, dût-il m’en coûter un douzain neuf de douze tournois[16 - avec qui j’ai démangeaison de ripailler, dût-il m’en coûter un douzain neuf de douze tournois – с которым я охотно кутнул бы, пусть и пришлось бы потратить дюжину турских ливров]. Que t’en semble? »

Quasimodo ne répondit pas.

« Croix-Dieu! dit le chaussetier, est-ce que tu es sourd? »

Il était sourd en effet.

Cependant il commençait à s’impatienter des façons de Coppenole, et se tourna tout à coup vers lui avec un grincement de dents si formidable que le géant flamand recula.

Alors il se fit autour de l’étrange personnage un cercle de terreur et de respect. Une vieille femme expliqua à maître Coppenole que Quasimodo était sourd.

« Sourd! dit le chaussetier avec son gros rire flamand. Croix-Dieu! c’est un pape accompli.

– Hé! je le reconnais, s’écria Jehan, qui était enfin descendu de son chapiteau pour voir Quasimodo de plus près, c’est le sonneur de cloches de mon frère l’archidiacre. – Bonjour, Quasimodo!

– Diable d’homme! dit Robin Poussepain, encore tout contus de sa chute. Il paraît: c’est un bossu. Il marche: c’est un bancal. Il vous regarde: c’est un borgne. Vous lui parlez: c’est un sourd. – Ah çà, que fait-il de sa langue, ce Polyphème?

– Il parle quand il veut, dit la vieille. Il est devenu sourd à sonner les cloches. Il n’est pas muet.

– Cela lui manque, observa Jehan.

– Et il a un œil de trop, ajouta Robin Poussepain.

– Non pas, dit judicieusement Jehan. Un borgne est bien plus incomplet qu’un aveugle. Il sait ce qui lui manque. »

Cependant tous les mendiants, tous les laquais, tous les coupe-bourses, réunis aux écoliers, avaient été chercher processionnellement, dans l’armoire de la basoche, la tiare de carton et la simarre dérisoire du pape des fous. Quasimodo s’en laissa revêtir sans sourciller et avec une sorte de docilité orgueilleuse. Puis on le fit asseoir sur un brancard bariolé. Douze officiers de la confrérie des fous l’enlevèrent sur leurs épaules; et une espèce de joie amère et dédaigneuse vint s’épanouir sur la face morose du cyclope, quand il vit sous ses pieds difformes toutes ces têtes d’hommes beaux, droits et bien faits. Puis la procession hurlante et déguenillée se mit en marche pour faire, selon l’usage, la tournée intérieure des galeries du Palais, avant la promenade des rues et des carrefours.




VI

La Esmeralda


Nous sommes ravi d’avoir à apprendre à nos lecteurs que pendant toute cette scène Gringoire et sa pièce avaient tenu bon. Ses acteurs, talonnés par lui, n’avaient pas discontinué de débiter sa comédie, et lui n’avait pas discontinué de l’écouter. Il avait pris son parti du vacarme, et était déterminé à aller jusqu’au bout, ne désespérant pas d’un retour d’attention de la part du public. Cette lueur d’espérance se ranima quand il vit Quasimodo, Coppenole et le cortège assourdissant du pape des fous sortir à grand bruit de la salle. La foule se précipita avidement à leur suite. Bon, se dit-il, voilà tous les brouillons qui s’en vont. – Malheureusement, tous les brouillons c’était le public. En un clin d’œil la grand-salle fut vide.

À vrai dire, il restait encore quelques spectateurs, les uns épars, les autres groupés autour des piliers, femmes, vieillards ou enfants, en ayant assez du brouhaha et du tumulte.

– Camarades, cria tout à coup un de ces jeunes drôles des croisées, la Esmeralda! la Esmeralda dans la place!

Ce mot produisit un effet magique. Tout ce qui restait dans la salle se précipita aux fenêtres, grimpant aux murailles pour voir, et répétant: la Esmeralda! la Esmeralda!

En même temps on entendait au dehors un grand bruit d’applaudissements.

« Qu’est-ce que cela veut dire, la Esmeralda? dit Gringoire en joignant les mains avec désolation. Ah! mon Dieu! il paraît que c’est le tour des fenêtres maintenant. »

Il se retourna vers la table de marbre, et vit que la représentation était interrompue. C’était précisément l’instant où Jupiter devait paraître avec sa foudre. Or Jupiter se tenait immobile au bas du théâtre.

« Michel Giborne! cria le poète irrité, que fais-tu là? est-ce ton rôle? monte donc!

– Hélas, dit Jupiter, un écolier vient de prendre l’échelle. »

Gringoire regarda. La chose n’était que trop vraie. Toute communication était interceptée entre son nœud et son dénouement.

« Le drôle! murmura-t-il. Et pourquoi a-t-il pris cette échelle?

– Pour aller voir la Esmeralda, répondit piteusement Jupiter. Il a dit: Tiens, voilà une échelle qui ne sert pas! et il l’a prise. »

C’était le dernier coup. Gringoire le reçut avec résignation.

« Que le diable vous emporte! dit-il aux comédiens, et si je suis payé vous le serez. »

Alors il fit retraite, la tête basse, mais le dernier, comme un général qui s’est bien battu.




Livre deuxième





I

De Charybde en Scylla


La nuit arrive de bonne heure en janvier. Les rues étaient déjà sombres quand Gringoire sortit du Palais. Cette nuit tombée lui plut; il lui tardait d’aborder quelque ruelle obscure et déserte pour y méditer à son aise et pour que le philosophe posât le premier appareil sur la blessure du poète. La philosophie était du reste son seul refuge, car il ne savait où loger. Après l’éclatant avortement de son coup d’essai théâtral, il n’osait rentrer dans le logis qu’il occupait, rue Grenier-sur-l’Eau, vis-à-vis le Port-au-Foin, ayant compté sur ce que M. le prévôt devait lui donner de son épithalame pour payer à maître Guillaume Doulx-Sire, fermier de la coutume du pied-fourché de Paris, les six mois de loyer qu’il lui devait, c’est-à-dire douze sols parisis; douze fois la valeur de ce qu’il possédait au monde, y compris son haut-de-chausses, sa chemise et son bicoquet. Après avoir un moment réfléchi, provisoirement abrité sous le petit guichet de la prison du trésorier de la Sainte-Chapelle, au gîte qu’il élirait pour la nuit, ayant tous les pavés de Paris à son choix, il se souvint d’avoir avisé, la semaine précédente, rue de la Savaterie, à la porte d’un conseiller au parlement, un marche-pied à monter sur mule, et de s’être dit que cette pierre serait, dans l’occasion, un fort excellent oreiller pour un mendiant ou pour un poète. Il remercia la providence de lui avoir envoyé cette bonne idée; mais, comme il se préparait à traverser la place du Palais pour gagner le tortueux labyrinthe de la Cité, où serpentent toutes ces vieilles sœurs, les rues de la Barillerie, de la Vieille-Draperie, de la Savaterie, de la Juiverie, etc., encore debout aujourd’hui avec leurs maisons à neuf étages, il vit la procession du pape des fous qui sortait aussi du Palais et se ruait au travers de la cour, avec grands cris, grande clarté de torches et sa musique, à lui Gringoire. Cette vue raviva les écorchures de son amour-propre; il s’enfuit. Dans l’amertume de sa mésaventure dramatique, tout ce qui lui rappelait la fête du jour l’aigrissait et faisait saigner sa plaie.

Il voulut prendre le pont Saint-Michel, des enfants y couraient çà et là avec des lances à feu et des fusées.

« Peste soit des chandelles d’artifice! » dit Gringoire, et il se rabattit sur le Pont-au-Change. Une rue était devant lui; il la trouva si noire et si abandonnée qu’il espéra y échapper à tous les retentissements comme à tous les rayonnements de la fête. Il s’y enfonça. Au bout de quelques instants, son pied heurta un obstacle; il trébucha et tomba. C’était la botte de mai, que les clercs de la basoche avaient déposée le matin à la porte d’un président au parlement, en l’honneur de la solennité du jour. Gringoire supporta héroïquement cette nouvelle rencontre. Il se releva et gagna le bord de l’eau.

Puis il regarda la Seine à ses pieds, et une horrible tentation le prit:

« Oh! dit-il, que volontiers je me noierais, si l’eau n’était pas si froide! »

Alors il lui vint une résolution désespérée. C’était, puisqu’il ne pouvait échapper au pape des fous, aux drapelets de Jehan Fourbault, aux bottes de mai, aux lances à feu et aux pétards, de s’enfoncer hardiment au cœur même de la fête, et d’aller à la place de Grève.

« Au moins, pensa-t-il, j’y aurai peut-être un tison du feu de joie pour me réchauffer, et j’y pourrai souper avec quelque miette des trois grandes armoiries de sucre royal qu’on a dû y dresser sur le buffet public de la ville. »




II

« Besos para golpes »


[17 - Besos para golpes. – (исп.) Поцелуи за удары.]

Lorsque Pierre Gringoire arriva sur la place de Grève, il était transi. Aussi se hâta-t-il de s’approcher du feu de joie qui brûlait magnifiquement au milieu de la place. Mais une foule considérable faisait cercle à l’entour.

« Damnés Parisiens! se dit-il à lui-même, car Gringoire en vrai poète dramatique était sujet aux monologues, les voilà qui m’obstruent le feu! Pourtant j’ai bon besoin d’un coin de cheminée. Je vous demande ce qu’ils font là! Ils se chauffent; beau plaisir! Ils regardent brûler un cent de bourrées; beau spectacle! »

En examinant de plus près, il s’aperçut que le cercle était beaucoup plus grand qu’il ne fallait pour se chauffer au feu du roi, et que cette affluence de spectateurs n’était pas uniquement attirée par la beauté du cent de bourrées qui brûlait.

Dans un vaste espace laissé libre entre la foule et le feu, une jeune fille dansait.

Si cette jeune fille était un être humain, ou une fée, ou un ange, c’est ce que Gringoire, tout philosophe sceptique, tout poète ironique qu’il était, ne put décider dans le premier moment, tant il fut fasciné par cette éblouissante vision.

Elle n’était pas grande, mais elle le semblait, tant sa fine taille s’élançait hardiment. Elle était brune, mais on devinait que le jour sa peau devait avoir ce beau reflet doré des Andalouses et des Romaines. Son petit pied aussi était andalou, car il était tout ensemble à l’étroit et à l’aise dans sa gracieuse chaussure. Elle dansait, elle tournait, elle tourbillonnait sur un vieux tapis de Perse, jeté négligemment sous ses pieds; et chaque fois qu’en tournoyant sa rayonnante figure passait devant vous, ses grands yeux noirs vous jetaient un éclair.

Autour d’elle tous les regards étaient fixes, toutes les bouches ouvertes; et en effet, tandis qu’elle dansait ainsi, au bourdonnement du tambour de basque que ses deux bras ronds et purs élevaient au-dessus de sa tête, mince, frêle et vive comme une guêpe, avec son corsage d’or sans pli, sa robe bariolée qui se gonflait, avec ses épaules nues, ses jambes fines que sa jupe découvrait par moments, ses cheveux noirs, ses yeux de flamme, c’était une surnaturelle créature.

« En vérité, pensa Gringoire, c’est une salamandre, c’est une nymphe, c’est une déesse, c’est une bacchante du mont Ménaléen! »

En ce moment une des nattes de la chevelure de la « salamandre » se détacha, et une pièce de cuivre jaune qui y était attachée roula à terre.

« Hé non! dit-il, c’est une bohémienne. »

Toute illusion avait disparu.

Elle se remit à danser. Elle prit à terre deux épées dont elle appuya la pointe sur son front et qu’elle fit tourner dans un sens tandis qu’elle tournait dans l’autre. C’était en effet tout bonnement une bohémienne. Mais quelque désenchanté que fût Gringoire, l’ensemble de ce tableau n’était pas sans prestige et sans magie.

Parmi les mille visages que cette lueur teignait d’écarlate, il y en avait un qui semblait plus encore que tous les autres absorbé dans la contemplation de la danseuse. C’était une figure d’homme, austère, calme et sombre. Cet homme, dont le costume était caché par la foule qui l’entourait, ne paraissait pas avoir plus de trente-cinq ans; cependant il était chauve; à peine avait-il aux tempes quelques touffes de cheveux rares et déjà gris; son front large et haut commençait à se creuser de rides; mais dans ses yeux enfoncés éclatait une jeunesse extraordinaire, une vie ardente, une passion profonde. Il les tenait sans cesse attachés sur la bohémienne, et tandis que la folle jeune fille de seize ans dansait et voltigeait au plaisir de tous, sa rêverie, à lui, semblait devenir de plus en plus sombre. De temps en temps un sourire et un soupir se rencontraient sur ses lèvres, mais le sourire était plus douloureux que le soupir.

La jeune fille, essoufflée, s’arrêta enfin, et le peuple l’applaudit avec amour.

« Djali », dit la bohémienne.

Alors Gringoire vit arriver une jolie petite chèvre blanche, alerte, éveillée, lustrée, avec des cornes dorées, avec des pieds dorés, avec un collier doré, qu’il n’avait pas encore aperçue, et qui était restée jusque-là accroupie sur un coin du tapis et regardant danser sa maîtresse.

« Djali, dit la danseuse, à votre tour. »

Et s’asseyant, elle présenta gracieusement à la chèvre son tambour de basque.

« Djali, continua-t-elle, à quel mois sommes-nous de l’année? »

La chèvre leva son pied de devant et frappa un coup sur le tambour. On était en effet au premier mois. La foule applaudit.

« Djali, reprit la jeune fille en tournant son tambour de basque d’un autre côté, à quel jour du mois sommes-nous? »

Djali leva son petit pied d’or et frappa six coups sur le tambour.

« Djali, poursuivit l’égyptienne toujours avec un nouveau manège du tambour, à quelle heure du jour sommes-nous? »

Djali frappa sept coups. Au même moment l’horloge de la Maison-aux-Piliers sonna sept heures.

Le peuple était émerveillé.

« Il y a de la sorcellerie là-dessous », dit une voix sinistre dans la foule. C’était celle de l’homme chauve qui ne quittait pas la bohémienne des yeux.

Elle tressaillit, se détourna; mais les applaudissements éclatèrent et couvrirent la morose exclamation.

Ils l’effacèrent même si complètement dans son esprit qu’elle continua d’interpeller sa chèvre.

« Djali, comment fait maître Guichard Grand-Remy, capitaine des pistoliers de la ville, à la procession de la Chandeleur? »

Djali se dressa sur ses pattes de derrière et se mit à bêler, en marchant avec une si gentille gravité que le cercle entier des spectateurs éclata de rire à cette parodie de la dévotion intéressée du capitaine des pistoliers.

« Djali, reprit la jeune fille enhardie par le succès croissant, comment prêche maître Jacques Charmolue, procureur du roi en cour d’église? »

La chèvre prit séance sur son derrière, et se mit à bêler, en agitant ses pattes de devant d’une si étrange façon que, hormis le mauvais français et le mauvais latin, geste, accent, attitude, tout Jacques Charmolue y était.

Et la foule d’applaudir de plus belle.

« Sacrilège! profanation! » reprit la voix de l’homme chauve.

La bohémienne se retourna encore une fois.

« Ah! dit-elle, c’est ce vilain homme! » puis, allongeant sa lèvre inférieure au delà de la lèvre supérieure, elle fit une petite moue qui paraissait lui être familière, pirouetta sur le talon, et se mit à recueillir dans un tambour de basque les dons de la multitude.

Les grands-blancs, les petits-blancs, les targes, les liards-à-l’aigle pleuvaient. Tout à coup elle passa devant Gringoire. Gringoire mit si étourdiment la main à sa poche qu’elle s’arrêta. « Diable! » dit le poète en trouvant au fond de sa poche la réalité, c’est-à-dire le vide. Cependant la jolie fille était là, le regardant avec ses grands yeux, lui tendant son tambour, et attendant. Gringoire suait à grosses gouttes. S’il avait eu le Pérou dans sa poche, certainement il l’eût donné à la danseuse; mais Gringoire n’avait pas le Pérou, et d’ailleurs l’Amérique n’était pas encore découverte.

Heureusement un incident inattendu vint à son secours.

« T’en iras-tu, sauterelle d’Égypte? » cria une voix aigre qui partait du coin le plus sombre de la place.

La jeune fille se retourna effrayée. Ce n’était plus la voix de l’homme chauve; c’était une voix de femme, une voix dévote et méchante.

Du reste, ce cri, qui fit peur à la bohémienne, mit en joie une troupe d’enfants qui rôdait par là.

« C’est la recluse de la Tour-Roland, s’écrièrent-ils avec des rires désordonnés, c’est la sachette qui gronde! Est-ce qu’elle n’a pas soupé? portons-lui quelque reste du buffet de ville! »

Tous se précipitèrent vers la Maison-aux-Piliers.

Cependant Gringoire avait profité du trouble de la danseuse pour s’éclipser. La clameur des enfants lui rappela que lui aussi n’avait pas soupé. Il courut donc au buffet. Mais les petits drôles avaient de meilleures jambes que lui; quand il arriva, ils avaient fait table rase.

C’est une chose importune de se coucher sans souper; c’est une chose moins riante encore de ne pas souper et de ne savoir où coucher. Gringoire en était là. Pas de pain, pas de gîte; il se voyait pressé de toutes parts par la nécessité, et il trouvait la nécessité fort bourrue.

Cette mélancolique rêverie l’absorbait de plus en plus, lorsqu’un chant bizarre, quoique plein de douceur, vint brusquement l’en arracher. C’était la jeune égyptienne qui chantait.

Il en était de sa voix comme de sa danse, comme de sa beauté. C’était indéfinissable et charmant; quelque chose de pur, de sonore, d’aérien, d’ailé, pour ainsi dire. C’étaient de continuels épanouissements, des mélodies, des cadences inattendues, puis des phrases simples semées de notes acérées et sifflantes, puis des sauts de gammes qui eussent dérouté un rossignol, mais où l’harmonie se retrouvait toujours, puis de molles ondulations d’octaves qui s’élevaient et s’abaissaient comme le sein de la jeune chanteuse. Son beau visage suivait avec une mobilité singulière tous les caprices de sa chanson, depuis l’inspiration la plus échevelée jusqu’à la plus chaste dignité. On eût dit tantôt une folle, tantôt une reine.

La chanson de la bohémienne avait troublé la rêverie de Gringoire, mais comme le cygne trouble l’eau. Il l’écoutait avec une sorte de ravissement et d’oubli de toute chose. C’était depuis plusieurs heures le premier moment où il ne se sentît pas souffrir.

Ce moment fut court.

La même voix de femme qui avait interrompu la danse de la bohémienne vint interrompre son chant.

« Te tairas-tu, cigale d’enfer? » cria-t-elle, toujours du même coin obscur de la place.

La pauvre cigale s’arrêta court. Gringoire se boucha les oreilles.

« Oh! s’écria-t-il, maudite scie ébréchée, qui vient briser la lyre! »

Cependant les autres spectateurs murmuraient comme lui: «Au diable la sachette! » disait plus d’un. Et la vieille trouble-fête invisible eût pu avoir à se repentir de ses agressions contre la bohémienne, s’ils n’eussent été distraits en ce moment même par la procession du pape des fous, qui, après avoir parcouru force rues et carrefours, débouchait dans la place de Grève, avec toutes ses torches et toute sa rumeur.

Cette procession, que nos lecteurs ont vue partir du Palais, s’était organisée chemin faisant, et recrutée de tout ce qu’il y avait à Paris de marauds, de voleurs oisifs, et de vagabonds disponibles; aussi présentait-elle un aspect respectable lorsqu’elle arriva en Grève.

Au centre de cette foule, les grands officiers de la confrérie des fous portaient sur leurs épaules un brancard plus surchargé de cierges que la châsse de Sainte-Geneviève en temps de peste. Et sur ce brancard resplendissait, crossé, chapé et mitré, le nouveau pape des fous, le sonneur de cloches de Notre-Dame, Quasimodo le Bossu.

Il est difficile de donner une idée du degré d’épanouissement orgueilleux et béat où le triste et hideux visage de Quasimodo était parvenu dans le trajet du Palais à la Grève. C’était la première jouissance d’amour-propre qu’il eût jamais éprouvée. Il n’avait connu jusque-là que l’humiliation, le dédain pour sa condition, le dégoût pour sa personne. Aussi, tout sourd qu’il était, savourait-il en véritable pape les acclamations de cette foule qu’il haïssait pour s’en sentir haï. Que son peuple fût un ramas de fous, de perclus, de voleurs, de mendiants, qu’importe! c’était toujours un peuple, et lui un souverain. Et il prenait au sérieux tous ces applaudissements ironiques, tous ces respects dérisoires, auxquels nous devons dire qu’il se mêlait pourtant dans la foule un peu de crainte fort réelle. Car le bossu était robuste; car le bancal était agile; car le sourd était méchant: trois qualités qui tempèrent le ridicule.

Du reste, que le nouveau pape des fous se rendît compte à lui-même des sentiments qu’il éprouvait et des sentiments qu’il inspirait, c’est ce que nous sommes loin de croire. L’esprit qui était logé dans ce corps manqué avait nécessairement lui-même quelque chose d’incomplet et de sourd. Aussi, ce qu’il ressentait en ce moment était-il pour lui absolument vague, indistinct et confus. Seulement la joie perçait, l’orgueil dominait. Autour de cette sombre et malheureuse figure, il y avait rayonnement.

Ce ne fut donc pas sans surprise et sans effroi que l’on vit tout à coup, au moment où Quasimodo, dans cette demi-ivresse, passait triomphalement devant la Maison-aux-Piliers, un homme s’élancer de la foule et lui arracher des mains, avec un geste de colère, sa crosse de bois doré, insigne de sa folle papauté.

Cet homme, ce téméraire, c’était le personnage au front chauve qui, le moment auparavant, mêlé au groupe de la bohémienne, avait glacé la pauvre fille de ses paroles de menace et de haine. Il était revêtu du costume ecclésiastique. Au moment où il sortit de la foule, Gringoire, qui ne l’avait point remarqué jusqu’alors, le reconnut: « Tiens! dit-il, avec un cri d’étonnement, c’est mon maître en Hermès, dom Claude Frollo, l’archidiacre! Que diable veut-il à ce vilain borgne? Il va se faire dévorer. »

Un cri de terreur s’éleva en effet. Le formidable Quasimodo s’était précipité à bas du brancard, et les femmes détournaient les yeux pour ne pas le voir déchirer l’archidiacre. Il fit un bond jusqu’au prêtre, le regarda, et tomba à genoux.

Le prêtre lui arracha sa tiare, lui brisa sa crosse, lui lacéra sa chape de clinquant.

Quasimodo resta à genoux, baissa la tête et joignit les mains.

Puis il s’établit entre eux un étrange dialogue de signes et de gestes, car ni l’un ni l’autre ne parlait. Le prêtre, debout, irrité, menaçant, impérieux; Quasimodo, prosterné, humble, suppliant. Et cependant il est certain que Quasimodo eût pu écraser le prêtre avec le pouce.

Enfin l’archidiacre, secouant rudement la puissante épaule de Quasimodo, lui fit signe de se lever et de le suivre.

Quasimodo se leva.

Alors la confrérie des fous, la première stupeur passée, voulut défendre son pape si brusquement détrôné. Les égyptiens, les argotiers et toute la basoche vinrent japper autour du prêtre.

Quasimodo se plaça devant le prêtre, fit jouer les muscles de ses poings athlétiques, et regarda les assaillants avec le grincement de dents d’un tigre fâché.

Le prêtre reprit sa gravité sombre, fit un signe à Quasimodo, et se retira en silence.

Quasimodo marchait devant lui, éparpillant la foule à son passage.

Quand ils eurent traversé la populace et la place, la nuée des curieux et des oisifs voulut les suivre. Quasimodo prit alors l’arrière-garde, et suivit l’archidiacre à reculons, trapu, hargneux, monstrueux, hérissé, ramassant ses membres, léchant ses défenses de sanglier, grondant comme une bête fauve, et imprimant d’immenses oscillations à la foule avec un geste ou un regard.

On les laissa s’enfoncer tous deux dans une rue étroite et ténébreuse, où nul n’osa se risquer après eux; tant la seule chimère de Quasimodo grinçant des dents en barrait bien l’entrée.

« Voilà qui est merveilleux, dit Gringoire; mais où diable trouverai-je à souper? »




III

Les inconvénients de suivre une jolie femme le soir dans les rues


Gringoire, à tout hasard, s’était mis à suivre la bohémienne. Il lui avait vu prendre, avec sa chèvre, la rue de la Coutellerie; il avait pris la rue de la Coutellerie.

« Après tout, pensait-il à peu près, il faut bien qu’elle loge quelque part; les bohémiennes ont bon cœur. – Qui sait?… »

Et il y avait dans les points suspensifs dont il faisait suivre cette réticence dans son esprit je ne sais quelles idées assez gracieuses.

La bohémienne et Djali marchaient toujours devant lui; deux fines, délicates et charmantes créatures, dont il admirait les petits pieds, les jolies formes, les gracieuses manières, les confondant presque dans sa contemplation; pour l’intelligence et la bonne amitié, les croyant toutes deux jeunes filles; pour la légèreté, l’agilité, la dextérité de la marche, les trouvant chèvres toutes deux.

Depuis quelques instants, il avait attiré l’attention de la jeune fille; elle avait à plusieurs reprises tourné la tête vers lui avec inquiétude; elle s’était même une fois arrêtée tout court, avait profité d’un rayon de lumière qui s’échappait d’une boulangerie entr’ouverte pour le regarder fixement du haut en bas; puis, ce coup d’œil jeté, Gringoire lui avait vu faire cette petite moue qu’il avait déjà remarquée, et elle avait passé outre.

Cette petite moue donna à penser à Gringoire. Il y avait certainement du dédain et de la moquerie dans cette gracieuse grimace. Aussi commençait-il à baisser la tête, à compter les pavés, et à suivre la jeune fille d’un peu plus loin, lorsque, au tournant d’une rue qui venait de la lui faire perdre de vue, il l’entendit pousser un cri perçant.

Il hâta le pas.

La rue était pleine de ténèbres. Pourtant une étoupe imbibée d’huile, qui brûlait dans une cage de fer aux pieds de la Sainte-Vierge du coin de la rue, permit à Gringoire de distinguer la bohémienne se débattant dans les bras de deux hommes qui s’efforçaient d’étouffer ses cris. La pauvre petite chèvre, tout effarée, baissait les cornes et bêlait.

« À nous, messieurs du guet », cria Gringoire, et il s’avança bravement. L’un des hommes qui tenaient la jeune fille se tourna vers lui. C’était la formidable figure de Quasimodo.

Gringoire ne prit pas la fuite, mais il ne fit point un pas de plus.

Quasimodo vint à lui, le jeta à quatre pas sur le pavé d’un revers de la main, et s’enfonça rapidement dans l’ombre, emportant la jeune fille ployée sur un de ses bras comme une écharpe de soie. Son compagnon le suivait, et la pauvre chèvre courait après tous, avec son bêlement plaintif.

« Au meurtre! au meurtre! criait la malheureuse bohémienne.

– Halte-là, misérables, et lâchez-moi cette ribaude! » dit tout à coup d’une voix de tonnerre un cavalier qui déboucha brusquement du carrefour voisin.

C’était un capitaine des archers de l’ordonnance du roi armé de pied en cap, et l’espadon à la main.

Il arracha la bohémienne des bras de Quasimodo stupéfait, la mit en travers sur sa selle, et, au moment où le redoutable bossu, revenu de sa surprise, se précipitait sur lui pour reprendre sa proie, quinze ou seize archers, qui suivaient de près leur capitaine, parurent l’estramaçon au poing. C’était une escouade de l’ordonnance du roi qui faisait le contre-guet, par ordre de messire Robert d’Estouteville, garde de la prévôté de Paris.

Quasimodo fut enveloppé, saisi, garrotté. Il rugissait, il écumait, il mordait, et, s’il eût fait grand jour, nul doute que son visage seul, rendu plus hideux encore par la colère, n’eût mis en fuite toute l’escouade. Mais la nuit il était désarmé de son arme la plus redoutable, de sa laideur.

Son compagnon avait disparu dans la lutte.

La bohémienne se dressa gracieusement sur la selle de l’officier, elle appuya ses deux mains sur les deux épaules du jeune homme, et le regarda fixement quelques secondes, comme ravie de sa bonne mine et du bon secours qu’il venait de lui porter. Puis, rompant le silence la première, elle lui dit, en faisant plus douce encore sa douce voix:

« Comment vous appelez-vous, monsieur le gendarme?

– Le capitaine Phœbus de Châteaupers, pour vous servir, ma belle! répondit l’officier en se redressant.

– Merci », dit-elle.

Et, pendant que le capitaine Phœbus retroussait sa moustache à la bourguignonne, elle se laissa glisser à bas du cheval, comme une flèche qui tombe à terre, et s’enfuit.

Un éclair se fût évanoui moins vite.

« Nombril du pape! dit le capitaine en faisant resserrer les courroies de Quasimodo, j’eusse aimé mieux garder la ribaude.

– Que voulez-vous, capitaine? dit un gendarme, la fauvette s’est envolée, la chauve-souris est restée. »




IV

Suite des inconvénients


Gringoire, tout étourdi de sa chute, était resté sur le pavé devant la bonne Vierge du coin de la rue. Peu à peu, il reprit ses sens; il fut d’abord quelques minutes flottant dans une espèce de rêverie à demi somnolente qui n’était pas sans douceur, où les aériennes figures de la bohémienne et de la chèvre se mariaient à la pesanteur du poing de Quasimodo. Cet état dura peu. Une assez vive impression de froid à la partie de son corps qui se trouvait en contact avec le pavé le réveilla tout à coup, et fit revenir son esprit à la surface. « D’où me vient donc cette fraîcheur? » se dit-il brusquement. Il s’aperçut alors qu’il était un peu dans le milieu du ruisseau.

La place devenait de moins en moins tenable. Chaque molécule de l’eau du ruisseau enlevait une molécule de calorique rayonnant aux reins de Gringoire, et l’équilibre entre la température de son corps et la température du ruisseau commençait à s’établir d’une rude façon.

Un ennui d’une toute autre nature vint tout à coup l’assaillir.

Un groupe d’enfants, de ces petits sauvages va-nu-pieds qui ont de tout temps battu le pavé de Paris sous le nom éternel de gamins, et qui, lorsque nous étions enfants aussi, nous ont jeté des pierres à tous le soir au sortir de classe, parce que nos pantalons n’étaient pas déchirés, un essaim de ces jeunes drôles accourait vers le carrefour où gisait Gringoire, avec des rires et des cris qui paraissaient se soucier fort peu du sommeil des voisins. Ils traînaient après eux je ne sais quel sac informe; et le bruit seul de leurs sabots eût réveillé un mort. Gringoire, qui ne l’était pas encore tout à fait, se souleva à demi.

« Ohé, Hennequin Dandèche! ohé, Jehan Pincebourde! criaient-ils à tue-tête; le vieux Eustache Moubon, le marchand feron du coin, vient de mourir. Nous avons sa paillasse, nous allons en faire un feu de joie. C’est aujourd’hui les flamands! »

Et voilà qu’ils jetèrent la paillasse précisément sur Gringoire, près duquel ils étaient arrivés sans le voir. En même temps, un d’eux prit une poignée de paille qu’il alla allumer à la mèche de la bonne Vierge.

« Mort-Christ! grommela Gringoire, est-ce que je vais avoir trop chaud maintenant? »

Le moment était critique. Il allait être pris entre le feu et l’eau; il fit un effort surnaturel, un effort de faux monnayeur qu’on va bouillir et qui tâche de s’échapper. Il se leva debout, rejeta la paillasse sur les gamins, et s’enfuit.

« Sainte Vierge! crièrent les enfants; le marchand feron qui revient! »

Et ils s’enfuirent de leur côté.

La paillasse resta maîtresse du champ de bataille.




V

La cruche cassée


Après avoir couru à toutes jambes pendant quelque temps, sans savoir où, donnant de la tête à maint coin de rue, enjambant maint ruisseau, traversant mainte ruelle, maint cul-de-sac, maint carrefour, cherchant fuite et passage à travers tous les méandres du vieux pavé des Halles, explorant dans sa peur panique ce que le beau latin des chartes appelle tota via, cheminum et viaria[18 - tota via, cheminum et viaria – (лат.) вся дорога, путь и относящееся к дороге], notre poète s’arrêta tout à coup, d’essoufflement d’abord, puis saisi en quelque sorte au collet par un dilemme qui venait de surgir dans son esprit. « Il me semble, maître Pierre Gringoire, se dit-il à lui-même en appuyant son doigt sur son front, que vous courez là comme un écervelé. Les petits drôles n’ont pas eu moins peur de vous que vous d’eux. Or, de deux choses l’une: ou ils ont pris la fuite; et alors la paillasse qu’ils ont dû oublier dans leur terreur est précisément ce lit hospitalier après lequel vous courez depuis ce matin; ou les enfants n’ont pas pris la fuite, et dans ce cas ils ont mis le brandon à la paillasse, et c’est là justement l’excellent feu dont vous avez besoin pour vous réjouir, sécher et réchauffer. »

Alors il revint sur ses pas, et s’orientant et furetant, le nez au vent et l’oreille aux aguets, il s’efforça de retrouver la bienheureuse paillasse. Mais en vain. Ce n’étaient qu’intersections de maisons, culs-de-sac, pattes-d’oie, au milieu desquels il hésitait et doutait sans cesse, plus empêché et plus englué dans cet enchevêtrement de ruelles noires qu’il ne l’eût été dans le dédalus même de l’hôtel des Tournelles.

Une espèce de reflet rougeâtre qu’il aperçut en ce moment au bout d’une longue et étroite ruelle, acheva de relever son moral. À peine avait-il fait quelques pas dans cette ruelle, laquelle était en pente, non pavée, et de plus en plus boueuse et inclinée, qu’il remarqua quelque chose d’assez singulier. Elle n’était pas déserte. Çà et là, dans sa longueur, rampaient je ne sais quelles masses vagues et informes, se dirigeant toutes vers la lueur qui vacillait au bout de la rue, comme ces lourds insectes qui se traînent la nuit de brin d’herbe en brin d’herbe vers un feu de pâtre.

Rien ne rend aventureux comme de ne pas sentir la place de son gousset. Gringoire continua de s’avancer, et eut bientôt rejoint celle de ces larves qui se traînait le plus paresseusement à la suite des autres. En s’en approchant, il vit que ce n’était rien autre chose qu’un misérable cul-de-jatte qui sautelait sur ses deux mains, comme un faucheux blessé qui n’a plus que deux pattes. Au moment où il passa près de cette espèce d’araignée à face humaine, elle éleva vers lui une voix lamentable: « La buona mancia, signor! la buona mancia[19 - La buona mancia, signor! la buona mancia! – (итал.) Подайте, синьор! Подайте!]!

– Que le diable t’emporte, dit Gringoire, et moi avec toi, si je sais ce que tu veux dire! »

Et il passa outre.

Il rejoignit une autre de ces masses ambulantes, et l’examina. C’était un perclus, à la fois boiteux et manchot, et si manchot et si boiteux que le système compliqué de béquilles et de jambes de bois qui le soutenait lui donnait l’air d’un échafaudage de maçons en marche.

À mesure que Gringoire s’enfonçait dans la rue, culs-de-jatte, aveugles, boiteux, pullulaient autour de lui, et des manchots, et des borgnes, et des lépreux avec leurs plaies, qui sortant des maisons, qui des petites rues adjacentes, qui des soupiraux des caves, hurlant, beuglant, glapissant, tous clopin-clopant, cahin-caha, se ruant vers la lumière, et vautrés dans la fange comme des limaces après la pluie.

L’idée lui vint d’essayer de retourner sur ses pas. Mais il était trop tard. Toute cette légion s’était refermée derrière lui, et ses trois mendiants le tenaient. Il continua donc, poussé à la fois par ce flot irrésistible, par la peur et par un vertige qui lui faisait de tout cela une sorte de rêve horrible.

Cependant le cul-de-jatte, debout sur ses pieds, coiffait Gringoire de sa lourde jatte ferrée, et l’aveugle le regardait en face avec des yeux flamboyants.

« Où suis-je? dit le poète terrifié.

– Dans la Cour des Miracles, répondit un quatrième spectre qui les avait accostés.

– Sur mon âme, reprit Gringoire, je vois bien les aveugles qui regardent et les boiteux qui courent; mais où est le Sauveur? »

Ils répondirent par un éclat de rire sinistre.

Le pauvre poète jeta les yeux autour de lui. Il était en effet dans cette redoutable Cour des Miracles, où jamais honnête homme n’avait pénétré à pareille heure; cercle magique où les officiers du Châtelet et les sergents de la prévôté qui s’y aventuraient disparaissaient en miettes; cité des voleurs, hideuse verrue à la face de Paris.

C’était une vaste place, irrégulière et mal pavée, comme toutes les places de Paris alors. Des feux, autour desquels fourmillaient des groupes étranges, y brillaient çà et là. Tout cela allait, venait, criait. Hommes, femmes, bêtes, âge, sexe, santé, maladie, tout semblait être en commun parmi ce peuple; tout allait ensemble, mêlé, confondu, superposé; chacun y participait de tout.

C’était comme un nouveau monde, inconnu, inouï, difforme, reptile, fourmillant, fantastique.

En ce moment, un cri distinct s’éleva dans la cohue bourdonnante qui l’enveloppait: « Menons-le au roi! menons-le au roi! »

On l’entraîna. Ce fut à qui mettrait la griffe sur lui. Mais les trois mendiants ne lâchaient pas prise, et l’arrachaient aux autres en hurlant: « Il est à nous! »

Le pourpoint déjà malade du poète rendit le dernier soupir dans cette lutte.

Le spectacle qui s’offrit à ses yeux, quand son escorte en guenilles le déposa enfin au terme de sa course, n’était pas propre à le ramener à la poésie, fût-ce même à la poésie de l’enfer. C’était plus que jamais la prosaïque et brutale réalité de la taverne.

Autour d’un grand feu qui brûlait sur une large dalle ronde, et qui pénétrait de ses flammes les tiges rougies d’un trépied vide pour le moment, quelques tables vermoulues étaient dressées, çà et là, au hasard, sans que le moindre laquais géomètre eût daigné ajuster leur parallélisme ou veiller à ce qu’au moins elles ne se coupassent pas à des angles trop inusités. Sur ces tables reluisaient quelques pots ruisselants de vin et de cervoise, et autour de ces pots se groupaient force visages bachiques, empourprés de feu et de vin.

Le gros rire éclatait partout, et la chanson obscène.

Un tonneau était près du feu, et un mendiant sur le tonneau. C’était le roi sur son trône.

Les trois qui avaient Gringoire l’amenèrent devant ce tonneau, et toute la bacchanale fit un moment silence.

« Qu’est-ce que c’est que ce maraud? »

Gringoire tressaillit. Cette voix, quoique accentuée par la menace, lui rappela une autre voix qui le matin même avait porté le premier coup à son mystère en nasillant au milieu de l’auditoire: La charité, s’il vous plaît! Il leva la tête. C’était en effet Clopin Trouillefou.

Clopin Trouillefou, revêtu de ses insignes royaux, n’avait pas un haillon de plus ni de moins. Sa plaie au bras avait déjà disparu. Il portait à la main un de ces fouets à lanières de cuir blanc dont se servaient alors les sergents à verge pour serrer la foule. Il avait sur la tête une espèce de coiffure cerclée et fermée par le haut.

Cependant Gringoire, sans savoir pourquoi, avait repris quelque espoir en reconnaissant dans le roi de la Cour des Miracles son maudit mendiant de la grand-salle.

« Maître, balbutia-t-il… Monseigneur… Sire… Comment dois-je vous appeler? dit-il enfin, arrivé au point culminant de son crescendo, et ne sachant plus comment monter ni redescendre.

– Monseigneur, Sa Majesté, ou camarade, appelle-moi comme tu voudras. Mais dépêche. Qu’as-tu à dire pour ta défense? »

Pour ta défense! pensa Gringoire, ceci me déplaît. Il reprit en bégayant: « Je suis celui qui ce matin…

– Par les ongles du diable! interrompit Clopin, ton nom, maraud, et rien de plus. Écoute. Tu es devant trois puissants souverains: moi, Clopin Trouillefou, roi de Thunes, suzerain suprême du royaume de l’argot; Mathias Hungadi Spicali, duc d’Égypte et de Bohême, ce vieux jaune que tu vois là avec un torchon autour de la tête; Guillaume Rousseau, empereur de Galilée, ce gros qui ne nous écoute pas et qui caresse une ribaude. Nous sommes tes juges. Tu es entré dans le royaume d’argot sans être argotier, tu as violé les privilèges de notre ville. Tu dois être puni, à moins que tu ne sois capon, franc-mitou ou rifodé, c’est-à-dire, dans l’argot des honnêtes gens, voleur, mendiant ou vagabond. Es-tu quelque chose comme cela? Justifie-toi. Décline tes qualités.[20 - Décline tes qualités. – Скажи своё звание.]

– Hélas! dit Gringoire, je n’ai pas cet honneur. Je suis l’auteur…

– Cela suffit, reprit Trouillefou sans le laisser achever. Tu vas être pendu. Chose toute simple, messieurs les honnêtes bourgeois! comme vous traitez les nôtres chez vous, nous traitons les vôtres chez nous. La loi que vous faites aux truands, les truands vous la font. C’est votre faute si elle est méchante. Il faut bien qu’on voie de temps en temps une grimace d’honnête homme au-dessus du collier de chanvre; cela rend la chose honorable. »

– Messeigneurs les empereurs et rois, dit Gringoire avec sang-froid (car je ne sais comment la fermeté lui était revenue, et il parlait résolument), vous n’y pensez pas. Je m’appelle Pierre Gringoire, je suis le poète dont on a représenté ce matin une moralité dans la grand-salle du Palais.

– Ah! c’est toi, maître! dit Clopin. J’y étais, par la tête-Dieu! Eh bien! camarade, est-ce une raison, parce que tu nous as ennuyés ce matin, pour ne pas être pendu ce soir? »

Trouillefou fit un signe, et le duc, et l’empereur, et les archisuppôts et les cagoux vinrent se ranger autour de lui en un fer-à-cheval, dont Gringoire, toujours rudement appréhendé au corps, occupait le centre.

« Écoute, dit-il à Gringoire en caressant son menton difforme avec sa main calleuse, je ne vois pas pourquoi tu ne serais pas pendu. Il est vrai que cela a l’air de te répugner; et c’est tout simple, vous autres bourgeois, vous n’y êtes pas habitués, vous vous faites de la chose une grosse idée. Après tout, nous ne te voulons pas de mal, voici un moyen de te tirer d’affaire pour le moment, veux-tu être des nôtres? »

On peut juger de l’effet que fit cette proposition sur Gringoire, qui voyait la vie lui échapper, et commençait à lâcher prise. Il s’y rattacha énergiquement.

« Je le veux, certes, bellement, dit-il.

– Tu consens, reprit Clopin, à t’enrôler parmi les gens de la petite flambe?

– De la petite flambe. Précisément, répondit Gringoire.

– Tu te reconnais membre de la franche bourgeoisie? reprit le roi de Thunes.

– De la franche bourgeoisie.

– Sujet du royaume d’argot?

– Du royaume d’argot.

– Truand?

– Truand.

– Dans l’âme?

– Dans l’âme.

– Je te fais remarquer, reprit le roi, que tu n’en seras pas moins pendu pour cela.

– Diable! dit le poète.

– Seulement, continua Clopin, imperturbable, tu seras pendu plus tard, avec plus de cérémonie, aux frais de la bonne ville de Paris, à un beau gibet de pierre, et par les honnêtes gens. C’est une consolation.

– Comme vous dites, répondit Gringoire.

– Il y a d’autres avantages. En qualité de franc-bourgeois, tu n’auras à payer ni boues, ni pauvres, ni lanternes, à quoi sont sujets les bourgeois de Paris.

– Ainsi soit-il, dit le poète. Je consens. Je suis truand, argotier, franc-bourgeois, petite flambe, tout ce que vous voudrez. Et j’étais tout cela d’avance, monsieur le roi de Thunes, car je suis philosophe; et omnia in philosophia, omnes in philosopho continentur[21 - et omnia in philosophia, omnes in philosopho continentur – (лат.) философия и философы всеобъемлющи], comme vous savez. »

Le roi de Thunes fronça le sourcil.

« Pour qui me prends-tu, l’ami? Quel argot de juif de Hongrie nous chantes-tu là? Je ne sais pas l’hébreu. Pour être bandit on n’est pas juif. Je ne vole même plus, je suis au-dessus de cela, je tue. Coupe-gorge, oui; coupe-bourse, non. »

Enfin monseigneur Clopin se calma.

« Maraud! dit-il à notre poète, tu veux donc être truand?

– Sans doute, répondit le poète.

– Ce n’est pas le tout de vouloir, dit le bourru Clopin. La bonne volonté ne met pas un oignon de plus dans la soupe, et n’est bonne que pour aller en paradis; or, paradis et argot sont deux. Pour être reçu dans l’argot, il faut que tu prouves que tu es bon à quelque chose, et pour cela que tu fouilles le mannequin.

– Je fouillerai, dit Gringoire, tout ce qu’il vous plaira. »

Clopin fit un signe. Quelques argotiers se détachèrent du cercle et revinrent un moment après. Ils apportaient deux poteaux terminés à leur extrémité inférieure par deux spatules en charpente, qui leur faisaient prendre aisément pied sur le sol. À l’extrémité supérieure des deux poteaux ils adaptèrent une solive transversale, et le tout constitua une fort jolie potence portative, que Gringoire eut la satisfaction de voir se dresser devant lui en un clin d’œil. Rien n’y manquait, pas même la corde qui se balançait gracieusement au-dessous de la traverse.

« Où veulent-ils en venir? » se demanda Gringoire avec quelque inquiétude. Un bruit de sonnettes qu’il entendit au même moment mit fin à son anxiété. C’était un mannequin que les truands suspendaient par le cou à la corde, espèce d’épouvantail aux oiseaux, vêtu de rouge, et tellement chargé de grelots et de clochettes qu’on eût pu en harnacher trente mules castillanes. Ces mille sonnettes frissonnèrent quelque temps aux oscillations de la corde, puis s’éteignirent peu à peu, et se turent enfin, quand le mannequin eut été ramené à l’immobilité par cette loi du pendule qui a détrôné la clepsydre et le sablier.

Alors Clopin, indiquant à Gringoire un vieil escabeau chancelant placé au-dessous du mannequin: « Monte là-dessus.

– Mort-diable! objecta Gringoire, je vais me rompre le cou. Votre escabelle boite comme un distique de Martial; elle a un pied hexamètre et un pied pentamètre.

– Monte », reprit Clopin.

Gringoire monta sur l’escabeau, et parvint, non sans quelques oscillations de la tête et des bras, à y retrouver son centre de gravité.

« Maintenant, poursuivit le roi de Thunes, tourne ton pied droit autour de ta jambe gauche et dresse-toi sur la pointe du pied gauche.

– Monseigneur, dit Gringoire, vous tenez donc absolument à ce que je me casse quelque membre? »

Clopin hocha la tête.

« Écoute, l’ami, tu parles trop, voilà en deux mots de quoi il s’agit. Tu vas te dresser sur la pointe du pied, comme je te le dis; de cette façon tu pourras atteindre jusqu’à la poche du mannequin; tu y fouilleras; tu en tireras une bourse qui s’y trouve; et si tu fais tout cela sans qu’on entende le bruit d’une sonnette, c’est bien; tu seras truand. Nous n’aurons plus qu’à te rouer de coups pendant huit jours.

– Ventre-Dieu! je n’aurais garde, dit Gringoire. Et si je fais chanter les sonnettes?

– Alors tu seras pendu. Comprends-tu?

– Je ne comprends pas du tout, répondit Gringoire.

– Écoute encore une fois. Tu vas fouiller le mannequin et lui prendre sa bourse; si une seule sonnette bouge dans l’opération, tu seras pendu. Comprends-tu cela? »

Voyant qu’il n’y avait ni répit, ni sursis, ni faux-fuyant possible, il prit bravement son parti. Il tourna son pied droit autour de son pied gauche, se dressa sur son pied gauche, et étendit le bras; mais, au moment où il touchait le mannequin, son corps qui n’avait plus qu’un pied chancela sur l’escabeau qui n’en avait que trois; il voulut machinalement s’appuyer au mannequin, perdit l’équilibre, et tomba lourdement sur la terre, tout assourdi par la fatale vibration des mille sonnettes du mannequin, qui, cédant à l’impulsion de sa main, décrivit d’abord une rotation sur lui-même, puis se balança majestueusement entre les deux poteaux.

« Malédiction! » cria-t-il en tombant, et il resta comme mort la face contre terre.

Cependant il entendait le redoutable carillon au-dessus de sa tête, et le rire diabolique des truands, et la voix de Trouillefou, qui disait: « Relevez-moi le drôle, et pendez-le-moi rudement. »

Il se leva. On avait déjà décroché le mannequin.

Les argotiers le firent monter sur l’escabeau. Clopin vint à lui, lui passa la corde au cou, et lui frappant sur l’épaule: « Adieu, l’ami! Tu ne peux plus échapper maintenant, quand même tu digérerais avec les boyaux du pape. »

Le mot grâce expira sur les lèvres de Gringoire. Il promena ses regards autour de lui. Mais aucun espoir: tous riaient.

« Bellevigne de l’Étoile, dit le roi de Thunes à un énorme truand qui sortit des rangs, grimpe sur la traverse. »

Bellevigne de l’Étoile monta lestement sur la solive transversale, et au bout d’un instant Gringoire, en levant les yeux, le vit avec terreur accroupi sur la traverse au-dessus de sa tête.

« Maintenant, reprit Clopin Trouillefou, dès que je frapperai des mains, Andry le Rouge, tu jetteras l’escabelle à terre d’un coup de genou; François Chante-Prune, tu te pendras aux pieds du maraud; et toi, Bellevigne, tu te jetteras sur ses épaules; et tous trois à la fois, entendez-vous? »

Mais il s’arrêta, comme averti par une idée subite. « Un instant! dit-il; j’oubliais!… Il est d’usage que nous ne pendions pas un homme sans demander s’il y a une femme qui en veut. Camarade, c’est ta dernière ressource. Il faut que tu épouses une truande ou la corde. »

Gringoire respira. C’était la seconde fois qu’il revenait à la vie depuis une demi-heure. Aussi n’osait-il trop s’y fier.

« Holà! cria Clopin remonté sur sa futaille, holà! femmes, femelles, y a-t-il parmi vous, depuis la sorcière jusqu’à sa chatte, une ribaude qui veuille de ce ribaud? »

Gringoire, dans ce misérable état, était sans doute peu appétissant. Les truandes se montrèrent médiocrement touchées de la proposition. Le malheureux les entendit répondre: « Non! non! pendez-le, il y aura du plaisir pour toutes. »

« Camarade, dit Clopin, tu as du malheur. »

Puis, se levant debout sur son tonneau: « Personne n’en veut? cria-t-il en contrefaisant l’accent d’un huissier priseur, à la grande gaieté de tous; personne n’en veut? une fois, deux fois, trois fois!» Et se tournant vers la potence avec un signe de tête: « Adjugé! »

En ce moment un cri s’éleva parmi les argotiers: « La Esmeralda! la Esmeralda! »

Gringoire tressaillit, et se tourna du côté d’où venait la clameur. La foule s’ouvrit, et donna passage à une pure et éblouissante figure.

C’était la bohémienne.

« La Esmeralda! » dit Gringoire, stupéfait, au milieu de ses émotions, de la brusque manière dont ce mot magique nouait tous les souvenirs de sa journée.

Cette rare créature paraissait exercer jusque dans la Cour des Miracles son empire de charme et de beauté. Argotiers et argotières se rangeaient doucement à son passage, et leurs brutales figures s’épanouissaient à son regard.

Elle s’approcha du patient avec son pas léger. Sa jolie Djali la suivait. Gringoire était plus mort que vif. Elle le considéra un moment en silence.

« Vous allez pendre cet homme? dit-elle gravement à Clopin.

– Oui, sœur, répondit le roi de Thunes, à moins que tu ne le prennes pour mari. »

Elle fit sa jolie petite moue de la lèvre inférieure.

« Je le prends », dit-elle.

Gringoire ici crut fermement qu’il n’avait fait qu’un rêve depuis le matin, et que ceci en était la suite.

La péripétie en effet, quoique gracieuse, était violente.

On détacha le nœud coulant, on fit descendre le poète de l’escabeau. Il fut obligé de s’asseoir, tant la commotion était vive.

Le duc d’Égypte, sans prononcer une parole, apporta une cruche d’argile. La bohémienne la présenta à Gringoire. « Jetez-la à terre », lui dit-elle.

La cruche se brisa en quatre morceaux.

« Frère, dit alors le duc d’Égypte en leur imposant les mains sur le front, elle est ta femme; sœur, il est ton mari. Pour quatre ans. Allez. »




VI

Une nuit de noces


Au bout de quelques instants, notre poète se trouva dans une petite chambre voûtée en ogive, bien close, bien chaude, assis devant une table qui ne paraissait pas demander mieux que de faire quelques emprunts à un garde-manger suspendu tout auprès, ayant un bon lit en perspective, et tête à tête avec une jolie fille.

Enfoncé de plus en plus dans sa rêverie, « Voilà donc, se disait-il en la suivant vaguement des yeux, ce que c’est que la Esmeralda! une céleste créature! une danseuse des rues! tant et si peu! C’est elle qui a donné le coup de grâce à mon mystère ce matin, c’est elle qui me sauve la vie ce soir. Mon mauvais génie! mon bon ange! – Une jolie femme, sur ma parole! – et qui doit m’aimer à la folie pour m’avoir pris de la sorte. – À propos, dit-il en se levant tout à coup avec ce sentiment du vrai qui faisait le fond de son caractère et de sa philosophie, je ne sais trop comment cela se fait, mais je suis son mari! »

Cette idée en tête et dans les yeux, il s’approcha de la jeune fille d’une façon si militaire et si galante qu’elle recula.

« Que me voulez-vous donc? dit-elle.

– Pouvez-vous me le demander, adorable Esmeralda? » répondit Gringoire avec un accent si passionné qu’il en était étonné lui-même en s’entendant parler.

L’égyptienne ouvrit ses grands yeux. « Je ne sais pas ce que vous voulez dire.

– Eh quoi! reprit Gringoire, s’échauffant de plus en plus, et songeant qu’il n’avait affaire après tout qu’à une vertu de la Cour des Miracles, ne suis-je pas à toi, douce amie? n’es-tu pas à moi? »

Et, tout ingénument, il lui prit la taille.

Le corsage de la bohémienne glissa dans ses mains comme la robe d’une anguille. Elle sauta d’un bond à l’autre bout de la cellule, se baissa, et se redressa, avec un petit poignard à la main, avant que Gringoire eût eu seulement le temps de voir d’où ce poignard sortait; irritée et fière, les lèvres gonflées, les narines ouvertes, les joues rouges comme une pomme d’api, les prunelles rayonnantes d’éclairs. En même temps, la chevrette blanche se plaça devant elle, et présenta à Gringoire un front de bataille, hérissé de deux cornes jolies, dorées et fort pointues. Tout cela se fit en un clin d’œil.

La demoiselle se faisait guêpe et ne demandait pas mieux que de piquer.

Notre philosophe resta interdit, promenant tour à tour de la chèvre à la jeune fille des regards hébétés.

« Sainte Vierge! dit-il enfin quand la surprise lui permit de parler, voilà deux luronnes! »

La bohémienne rompit le silence de son côté.

« Il faut que tu sois un drôle bien hardi!

– Pardon, mademoiselle, dit Gringoire en souriant. Mais pourquoi donc m’avez-vous pris pour mari?

– Fallait-il te laisser pendre?

– Ainsi, reprit le poète un peu désappointé dans ses espérances amoureuses, vous n’avez eu d’autre pensée en m’épousant que de me sauver du gibet?

– Et quelle autre pensée veux-tu que j’aie eue? »

Gringoire se mordit les lèvres. « Allons, dit-il, je suis pas encore si triomphant en Cupido que je croyais. Mais alors, à quoi bon avoir cassé cette pauvre cruche? »

Cependant le poignard de la Esmeralda et les cornes de la chèvre étaient toujours sur la défensive.

« Mademoiselle Esmeralda, dit le poète, capitulons. Je vous jure sur ma part de paradis de ne pas vous approcher sans votre congé et permission; mais donnez-moi à souper. »

L’égyptienne ne répondit pas. Elle fit sa petite moue dédaigneuse, dressa la tête comme un oiseau, puis éclata de rire, et le poignard mignon disparut comme il était venu, sans que Gringoire pût voir où l’abeille cachait son aiguillon.

Un moment après, il y avait sur la table un pain de seigle, une tranche de lard, quelques pommes ridées et un broc de cervoise. Gringoire se mit à manger avec emportement. À entendre le cliquetis furieux de sa fourchette de fer et de son assiette de faïence, on eût dit que tout son amour s’était tourné en appétit.

La jeune fille assise devant lui le regardait faire en silence, visiblement préoccupée d’une autre pensée à laquelle elle souriait de temps en temps, tandis que sa douce main caressait la tête intelligente de la chèvre mollement pressée entre ses genoux.

Gringoire hasarda une question délicate.

« Vous ne voulez donc pas de moi pour votre mari? »

La jeune fille le regarda fixement, et dit: « Non.

– Pour votre amant? » reprit Gringoire.

Elle fit sa moue, et répondit: « Non.

– Pour votre ami? » poursuivit Gringoire.

Elle le regarda encore fixement, et dit après un moment de réflexion: « Peut-être. »

Ce peut-être, si cher aux philosophes, enhardit Gringoire.

« Savez-vous ce que c’est que l’amitié? demanda-t-il.

– Oui, répondit l’égyptienne. C’est être frère et sœur, deux âmes qui se touchent sans se confondre, les deux doigts de la main.

– Et l’amour? poursuivit Gringoire.

– Oh! l’amour! dit-elle, et sa voix tremblait, et son œil rayonnait. C’est être deux et n’être qu’un. Un homme et une femme qui se fondent en un ange. C’est le ciel. »

Gringoire n’en poursuivit pas moins.

« Comment faut-il donc être pour vous plaire?

– Il faut être homme.

– Et moi, dit-il, qu’est-ce que je suis donc?

– Un homme a le casque en tête, l’épée au poing et des éperons d’or aux talons.

– Bon, dit Gringoire, sans le cheval point d’homme. – Aimez-vous quelqu’un?

– D’amour?

– D’amour. »

Elle resta un moment pensive, puis elle dit avec une expression particulière: « Je saurai cela bientôt.

– Pourquoi pas ce soir? reprit alors tendrement le poète. Pourquoi pas moi? »

Elle lui jeta un coup d’œil grave.

« Je ne pourrai aimer qu’un homme qui pourra me protéger. »

Gringoire rougit et se le tint pour dit. Il était évident que la jeune fille faisait allusion au peu d’appui qu’il lui avait prêté dans la circonstance critique où elle s’était trouvée deux heures auparavant. Ce souvenir, effacé par ses autres aventures de la soirée, lui revint. Il se frappa le front.

« À propos, mademoiselle, j’aurais dû commencer par là. Pardonnez-moi mes folles distractions. Comment donc avez-vous fait pour échapper aux griffes de Quasimodo? »

Cette question fit tressaillir la bohémienne.

« Oh! l’horrible bossu! dit-elle en se cachant le visage dans ses mains; et elle frissonnait comme dans un grand froid.

– Horrible en effet! dit Gringoire qui ne lâchait pas son idée; mais comment avez-vous pu lui échapper? »

La Esmeralda sourit, soupira, et garda le silence.

« Pourquoi vous appelle-t-on la Esmeralda? demanda le poète.

– Je n’en sais rien.

– Mais encore? »

Elle tira de son sein une espèce de petit sachet oblong suspendu à son cou par une chaîne de grains d’adrézarach. Ce sachet exhalait une forte odeur de camphre. Il était recouvert de soie verte, et portait à son centre une grosse verroterie verte, imitant l’émeraude[22 - Эсмеральда (esmeralda) по-испански означает «изумруд».]





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notes


Примечания





1


ce qui mettait en émotion tout le populaire de Paris – что взволновало всю парижскую чернь




2


Jehan de Troyes – историк и юрист XV века




3


bailli — бальи (королевский чиновник, выполнявший административные и судебные функции)




4


Tybalde aleator – (лат.) Тибальд – игрок в кости




5


Thibautodé – игра слов, означающая «Тибо с игральными костями».




6


Le sac et la corde… – Это выражение восходит к Древнему Риму. Воров и убийц в то время казнили следующим образом: их запихивали в мешок, завязывали горловину верёвкой и бросали в воды Тибра.




7


laudite, cives! – (лат.) Аплодируйте, граждане! (этим призывом заканчивались все театральные представления в Риме)




8


Noël! Noël! – здесь: Слава! Слава!




9


Corneille – Корнель, французский драматург.




10


Onc ne vis dans les bois bête plus triomphante. — Нет, царственней его не видывали зверя.




11


Cappa repleta mero! – (лат.) Ряса, напитанная вином!




12


était réduit aux caverneuses intrigues et à vivre dans les sapes – был обречён на подпольные интриги и «существование в подкопах»




13


bicoquet – войлочная шляпа с заострённой тульей.




14


clerc des échevins — секретарь совета старшин




15


Margaritas ante porcos. — (лат.) «Не мечите бисер перед свиньями»; это выражение встречается в Евангелии от Матфея (гл. 7, ст. 6).




16


avec qui j’ai démangeaison de ripailler, dût-il m’en coûter un douzain neuf de douze tournois – с которым я охотно кутнул бы, пусть и пришлось бы потратить дюжину турских ливров




17


Besos para golpes. – (исп.) Поцелуи за удары.




18


tota via, cheminum et viaria – (лат.) вся дорога, путь и относящееся к дороге




19


La buona mancia, signor! la buona mancia! – (итал.) Подайте, синьор! Подайте!




20


Décline tes qualités. – Скажи своё звание.




21


et omnia in philosophia, omnes in philosopho continentur – (лат.) философия и философы всеобъемлющи




22


Эсмеральда (esmeralda) по-испански означает «изумруд».



Знаменитый роман Виктора Гюго «Собор Парижской Богоматери» десятки раз экранизировался, ставился на сцене, в том числе и в жанре мюзикла – последняя такая постановка, как известно, стала одной из самых популярных в мире.

В основе романа увлекательный сюжет, история любви горбуна Квазимодо к прекрасной Эсмеральде. Следить за всеми поворотами фабулы (а она в романе весьма причудлива) доставляет такое же удовольствие, как и язык самого писателя, его умение соединять высокую романтику с шуткой и мягкой иронией; особенно это чувствуешь, когда читаешь книгу по-французски.

В настоящем издании текст романа несколько сокращен и снабжен комментариями, главным образом касающимися исторических реалий и некоторых языковых сложностей. В конце дан небольшой французско-русский словарь.

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