Книга - Charlotte de Bourbon, princesse d’Orange

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Charlotte de Bourbon, princesse d'Orange
Jules Delaborde




comte Jules Delaborde

Charlotte de Bourbon, princesse d'Orange





CHAPITRE PREMIER




Charlotte de Bourbon, que ses parents, le duc et la duchesse de Montpensier, ont destinée à la vie monastique, est confinée par eux, dès son bas âge, dans l'abbaye de Jouarre, dont ils veulent qu'elle ait, un jour, la direction. – Aversion de Charlotte pour le régime du cloître. – Menaces et violences employées à son égard. – Scène sacrilège du 17 mars 1559, dans laquelle le rôle d'abbesse de Jouarre lui est imposé. – Sa protestation, par acte authentique, contre la contrainte qu'elle a subie, et témoignages des religieuses de Jouarre à l'appui de sa protestation. – La duchesse de Montpensier se repent de la dureté de ses procédés envers Charlotte. – Mort de la duchesse, en 1561. – Maintenue à Jouarre par l'opiniâtreté de son père, Charlotte n'exerce, des fonctions d'abbesse, que celles qui se concilient avec les enseignements du pur Évangile, qu'elle a été amenée à connaître par ses relations avec quelques-unes des hautes personnalités du protestantisme, telles, notamment, que sa sœur, la duchesse de Bouillon, et Jeanne d'Albret, reine de Navarre. – Le duc de Montpensier épouse, en secondes noces, Catherine de Lorraine. – Désormais maîtresse de ses actions, Charlotte de Bourbon confie à la duchesse de Bouillon et à la reine de Navarre sa résolution de quitter l'abbaye de Jouarre. – L'une et l'autre l'approuvent et lui assurent une retraite auprès de l'électeur palatin, Frédéric III, et de l'électrice. – En février 1572, Charlotte de Bourbon sort pour toujours de l'abbaye de Jouarre et se rend à Heydelberg, où elle est favorablement accueillie. – Lettre de Frédéric III au duc de Montpensier.


Nulle femme, par sa piété, par ses vertus, par le charme de ses exquises qualités, n'a porté plus haut que Charlotte de Bourbon le nom de la grande famille dont elle était issue.

Retracer la vie de cette noble femme, c'est mettre sur la voie du respect qu'elle commande et de la sympathie qu'elle doit inspirer à toute âme éprise de la grandeur morale et de l'intime alliance d'un cœur aimant à un esprit distingué.

Quelque courte qu'ait été cette belle vie, elle demeure féconde en précieux enseignements, qui, dégagés de tous commentaires, ressortiront naturellement du simple exposé des actions de l'excellente princesse et de la fidèle reproduction de son langage, toujours empreint de sincérité.

Dans l'isolement immérité, qui fut le triste lot de son enfance et de sa première jeunesse s'accomplit peu à peu, en elle, sous le regard de Dieu, un travail intérieur qui, épurant et éclairant son âme au contact des vérités éternelles, la fortifia contre de douloureuses épreuves, les lui fit surmonter, et, en réponse à ses légitimes aspirations, la mit enfin, comme femme et comme croyante, en possession d'une liberté d'agir, dont elle consacra dignement l'exercice à l'accomplissement des plus saints devoirs.

En ces quelques mots se résume la vie de la princesse. Etudions-en maintenant en détail les diverses phases.

Alliée, de longue date, à la maison royale de France[1 - Par le mariage de Béatrix de Bourbon avec Robert, l'un des fils du roi saint Louis.], la famille de Bourbon se divisait, vers le milieu du XVIe siècle, en deux branches, dont la principale était représentée par Antoine de Bourbon, d'abord duc de Vendôme, puis roi de Navarre; par Charles, cardinal de Bourbon, et par Louis Ier de Bourbon, prince de Condé. La branche secondaire avait pour seuls représentants Louis II de Bourbon, duc de Montpensier, et Charles de Bourbon, prince de la Roche-sur-Yon.

Louis II de Bourbon épousa, en 1538, Jacqueline de Long-Vic, fille de Jean de Long-Vic, seigneur de Givry, baron de Lagny et de Mirebeau en Bourgogne, et de Jeanne d'Orléans.

De l'union de Louis II avec Jacqueline naquirent un fils et cinq filles.

Sous l'empire des habitudes et des préjugés nobiliaires de l'époque, ce fils, François de Bourbon, portant le titre de prince dauphin d'Auvergne, fut pour ses parents, au point de vue de son avenir, l'objet d'une sollicitude particulière.

Des cinq filles, deux, par de hautes alliances qu'il leur fut donné de contracter, échappèrent à la vie du cloître, qui, de gré ou de force, devint le partage des trois autres.

Charlotte de Bourbon, née en 1546 ou 1547[2 - Charlotte de Bourbon, ainsi que le prouve un acte émané d'elle le 25 août 1565, lequel sera ci-après reproduit, ignorait à tel point la date précise de sa naissance, qu'elle ne pouvait pas plus se dire, en 1565, âgée de treize ans que de douze.], était la quatrième de ces cinq filles. Son sort, à la différence de celui de ses sœurs, dont il sera parlé plus loin, fut, dès sa naissance, fixé par ses parents avec une inflexible rigueur, qui, pendant de longues années, ne cessa de peser sur elle.

Les faits sont, à cet égard, d'une signification précise.

L'opulente abbaye de Jouarre avait alors à sa tête la propre sœur de la duchesse de Montpensier, Louise de Long-Vic. Le duc et la duchesse obtinrent d'elle la promesse de ne se démettre de ses fonctions et de ses prérogatives abbatiales qu'en y substituant directement sa nièce Charlotte, dès que cette dernière aurait atteint l'âge requis pour être apte à lui succéder.

Méconnaissant ses devoirs de père, le duc, en qui la dureté de cœur s'alliait à un grossier despotisme d'idées et d'habitudes, proscrivit promptement du foyer domestique la pauvre enfant et la livra aux mains de sa tante, afin d'être façonnée et assouplie par elle au régime de la vie monastique.

Complice de son mari, en cette circonstance, la duchesse de Montpensier eut la coupable faiblesse de consentir à ce que la débile créature à laquelle elle avait récemment donné le jour demeurât, dès le berceau, privée de la tendresse maternelle qui eût dû l'entourer, et fût vouée à la torpeur d'une existence dont elle ne pourrait, semblait-il, secouer le joug, quelque intolérable qu'il devînt ultérieurement.

Toutefois, le père et la mère, en confinant dans l'enceinte d'un cloître le corps de leur fille, n'avaient pas compté avec les droits inaliénables de son âme. Que pouvaient-ils sur cette partie immatérielle de son être? La froisser, sans doute, l'ulcérer, la torturer même; mais l'arrêter dans son légitime essor, la comprimer, l'asservir? jamais! Quels que fussent, dans l'avenir, les assauts livrés à l'âme de Charlotte, ils devaient, en dépit des prévisions humaines, échouer devant l'irrésistible puissance du protecteur suprême, qui autorise tout enfant délaissé, dont les regards se tournent vers le ciel, à se dire[3 - Psaume XXVII, 10.]: «Si mon père et ma mère m'ont abandonné, l'Eternel toutefois me recueillera!» Abritée sous l'égide divine, Charlotte demeurait invincible. Aussi, ne pouvait manquer de venir, pour ses parents, un jour où l'évidence de leur défaite morale les contraindrait à reconnaître, dans l'amertume de la déception et du remords, qu'on ne se joue impunément ni de Dieu[4 - Ep. aux Galates. VI. 7.], ni de l'âme humaine, qui relève de lui, par la double grandeur de son origine et de sa destinée.

Plus le jour dont il s'agit se fit attendre, plus il importe, en ce qui concerne Charlotte de Bourbon, de chercher à déterminer les circonstances dans lesquelles elle se trouva placée, avant qu'il advînt.

Et d'abord, comment s'écoula son enfance, dans l'abbaye de Jouarre, sous la direction de sa tante?

Si la réponse à cette question ne peut reposer sur la connaissance acquise de minutieux détails, elle se déduit du moins, jusqu'à un certain point, de divers faits caractéristiques, qui ressortent nettement soit des déclarations de la véridique Charlotte, soit de celles de personnes qui l'entourèrent à cette époque de sa vie. Ces faits sont: l'éveil et le développement de sa conscience; la souffrance de son cœur, privé de l'affection d'une mère et d'un père, qui la laissaient languir dans l'isolement; et, en même temps, l'invariable droiture de sa déférence envers eux, alors que, sourds à ses supplications, et sans pitié pour les angoisses de son âme, ils s'attachaient à lui imposer, par la menace et par la violence, des engagements, des devoirs, des pratiques, une profession extérieure, en un mot, tout l'ensemble de la vie monastique, pour laquelle elle éprouvait une insurmontable aversion. Mais, qu'importaient au duc et à la duchesse cette aversion, la loyauté qui l'avouait, l'énergique revendication des droits sacrés de la conscience, et la respectueuse résistance à une aveugle volonté qui s'arrogeait le droit de disposer, en maîtresse souveraine, d'une âme et d'une vocation! Obéir passivement, à l'état d'être automatique; devenir abbesse, à tout prix, même au prix de l'immolation d'une conscience taxée de rebelle, parce qu'elle s'indignait, à la seule idée du parjure: Voilà le sort auquel il fallait que Charlotte apprît à se plier!

Ici, comment ne pas être frappé d'un étrange contraste entre l'attitude du duc et de la duchesse de Montpensier, à son égard, et celle qu'il jugèrent opportun d'adopter, en 1558, vis-à-vis de Françoise de Bourbon, leur fille aînée! Voulant assurer à celle-ci une brillante situation dans le monde, ils la marièrent à Henri-Robert de La Marck, duc de Bouillon. Certes, ils ne se doutaient alors ni de la prochaine adhésion de ce prince et de sa jeune femme aux doctrines purement évangéliques, ni de l'appui que Françoise, au double titre de sœur dévouée et de haute personnalité protestante, prêterait, un jour, à Charlotte, pour l'aider à s'affranchir des liens dans lesquels on avait crû pouvoir l'enchaîner à jamais.

Avec l'année 1559, s'ouvrit pour l'infortunée Charlotte, touchant à l'adolescence, la sombre perspective d'un redoublement de souffrances morales.

Vainement, s'efforçait-on, plus encore que précédemment, de la dresser à ce rôle d'abbesse, qu'une inexorable tyrannie entendait lui imposer: la jeune fille persévérait dans sa résistance; mais, finalement, ses parents tinrent si peu compte de ses représentations réitérées, de ses ardentes supplications, de ses pleurs, que dans le cours du mois de mars, parvint à Jouarre l'injonction de tout disposer pour sa transformation forcée en abbesse, même avant qu'elle eût atteint l'âge fixé par les canons pour pouvoir être régulièrement investie de ce titre.

Alors, le 17 de ce même mois, dans l'église de l'abbaye, au sein d'une assemblée renforcée de l'assistance d'un représentant du duc et de la duchesse de Montpensier, se déroula le scandale inouï d'une scène sacrilège, dans laquelle la lâcheté de l'astuce s'associa à l'odieux de la contrainte. Qu'on en juge par ce qui suit!

Précipitamment poussée plutôt qu'introduite dans cette assemblée, prenant Dieu à témoin de la violence qui lui était faite, pâle, éperdue, fondant en larmes, s'affaissant sur elle-même, Charlotte de Bourbon fut, en véritable victime, traînée à l'autel; et là, devant un impassible prêtre, déviant de la sincérité de son ministère par un raffinement de simulation[5 - Ce prêtre, l'un des familiers de la maison du duc et de la duchesse de Montpensier, à titre de précepteur de leur fils, n'était autre que Ruzé, qui depuis devint évêque d'Angers: c'est ce que déclara le duc de Montpensier lui-même dans une lettre adressée, le 28 mars 1572 à l'électeur palatin, et insérée ici au no 2 de l'Appendice.], elle balbutia quelques paroles, dont on s'empara, contre elle, comme d'un engagement professionnel librement consenti, tandis que ces paroles avaient été extorquées par l'inexorable pression de ses parents, et aussitôt accompagnées de cette déclaration expresse de la victime: qu'elle ne se courbait sous le fardeau du sacrifice, que par crainte révérentielle.

Ce fut là ce que les profanateurs de l'époque osèrent appeler une entrée en religion.

Cela fait, ils se hâtèrent, sans pitié comme sans conscience, d'abandonner Charlotte à ses émotions déchirantes.

La pauvre enfant (qualification que lui donnaient les compatissantes religieuses de Jouarre, en parlant d'elle) fut saisie d'une fièvre violente, qui de longtemps ne la quitta pas[6 - Voir une information secrète du 28 avril 1572, dont le texte complet sera reproduit plus loin.].

Tel est l'exposé sommaire de ce qui se passa, à l'abbaye de Jouarre, en 1559[7 - A peine est-il nécessaire d'ajouter que la résignation du titre et des fonctions d'abbesse de Jouarre, par la tante au profit de sa nièce, concorda avec l'entrée en religion dont il s'agit.].

Mais il y a plus à apprendre sur la scène néfaste du 17 mars.

Ecoutons, en effet, Charlotte de Bourbon elle-même, parlant, plus tard, de la lamentable épreuve que son adolescence avait traversée: que déclare-t-elle[8 - Bibl. nat., mss., f. fr., vol. 3, 182, fo 82. —Ibid. Collect. Clérambault. vol. 1,114, fo 182. – Coustureau, Vie du duc de Montpensier, in-4o, p. 217.]?

«Qu'elle fut mise en religion, dès le berceau; que y ayant esté nourrie, toute son enfance, si n'y put-elle jamais avoir, aucune volonté; – que ce qu'elle y continua fut, partie par les menaces estranges de madame de Montpensier, sa mère, et partie par la crainte qu'elle avoit d'offenser monseigneur son père, auquel elle eust désiré obéyr, au milieu de toutes ses fascheries, si sa conscience le luy eust pû permettre; – que, nonobstant toutes les rigueurs de madame sa mère, qui la vouloit faire professe, elle refusa tousjours, mesmes à l'extrémité, et en fit une protestation expresse et authentique, tesmoignée par toutes les religieuses de l'abbaye; – que Ruzé, évesque d'Angers, quand il fut question de luy faire faire le vœu, voyant combien elle en estoit aliénée, en avoit deux par escrit, l'un simulé, qui ne contenoit que choses douces, qui luy fut leu; l'autre, à l'ordinaire, dont jamais ne fut faicte lecture; – et que lesdites religieuses se mutinans, comme si elle n'eust point esté leur abbesse, n'en ayant pas fait le vray vœu, ledit Ruzé leur respondit qu'elles ne s'en missent pas en peine, et qu'elle ne lairroit pas de conserver leurs biens, aussi bien comme les précédentes; – que lors elle n'estoit âgée que de douze à treize ans; – que madame du Paraclet, sa cousine, qui lui donna le voile, n'avoit encore vicariat du Pape, et n'estoit pas abbesse, et par conséquent ne la pouvoit faire professe; tellement que les quatre principales causes qui rendent la profession nulle, y estoient intervenues, à sçavoir: force, fraude, bas âge, et incapacité de celle qui la faisoit professe, comme il appert par les canons; – que, aussi peu, aussi avoit-elle été abbesse, premièrement n'estant point professe, et secondement n'ayant jamais esté bénite, selon que portent les cérémonies observées en icelles choses.»

La protestation à laquelle Charlotte de Bourbon se référait dans les lignes ci-dessus transcrites était ainsi conçue[9 - Coustureau, Vie du duc de Montpensier, p. 221.]:

«Fut présente, en sa personne, très noble et très illustre princesse, dame Charlotte de Bourbon, à présent abbesse de l'abbaye Nostre-Dame de Jouarre, laquelle nous a dit et remonstré que, estant à l'âge de douze à treize ans, elle auroit esté par menaces, et de crainte de désobéir à monseigneur le duc de Montpensier, son père, et à madame Jaquette de Long-Wy, son épouse, sa mère, induite et persuadée, contre son gré, vouloir et intention, à faire profession en ladite abbaye, le 17e jour de mars 1559; ce qu'elle a plusieurs fois remonstré et protesté qu'elle ne vouloit estre religieuse, et que la profession qu'elle faisoit estoit par induction et crainte; dont elle auroit faict inmonstrance, en la présence de dame Jeanne Chabot, abbesse du Paraclet, et pour lors prieure de ladite abbaye de Jouarre, et commise au temporel et spirituel, le siège vacant, de dame Cécile de Crue, à présent prieure de ladite abbaye, et des sœurs Michelle, de Lafontaine, Jeanne de Vassery, Anne du Moulinet, Jeanne de Mouson, Antoinette de Fleury et Louyse d'Alouville, toutes religieuses professes en ladite abbaye, de messire Claude Bonnard, advocat au parlement, baillif et advocat de ladite abbaye, et de monsieur Ruzé, advocat audit parlement de Paris, conseiller et procureur desdits seigneur et dame de Montpensier, et envoyé à cette fin, de leur part: en la présence desquels et de plusieurs autres, ladite dame Charlotte de Bourbon auroit fait protestation de son jeune âge, qui estoit de douze à treize ans, et que la profession qu'elle faisoit estoit par crainte et révérence paternelle et maternelle desdits seigneur et dame, ses père et mère; dont elle auroit requis aux dessus dits nommez leur souvenir, pour en dire et déposer la vérité, ce qu'elle fit pour lors, comme elle fait de présent.

»Tous lesquelz susnommez présens, hormis ledit Ruzé, qui n'a esté présent à ce présent acte, nous ont dit et attesté pour vérité:

»Qu'ils ont esté présens à la profession de ladite dame Charlotte de Bourbon, à présent abbesse, et qu'elle ne pouvoit estre âgée que de douze à treize ans, lors de ladite profession, qui fut le 17 mars 1559; et qu'auparavant que faire sa profession, elle pleuroit et se complaignoit des craintes et menaces desdits seigneur et dame, ses père et mère; dit et répéta par plusieurs fois, que ce qu'elle faisoit estoit par crainte de désobéir à mesdits seigneur duc et duchesse de Montpensier, ses père et mère: et testa, en la présence des susnommez, le 16e jour dudit mois de mars et an, que la profession qu'elle devoit faire le lendemain estoit par crainte, contre sa volonté, et pour obéir auxdits sieurs, ses père et mère; ce qu'elle continua encore, au chapitre, en la présence des prieure et religieuses de ladite abbaye capitulairement assemblées, et dit publiquement et à haute voix: qu'ayant reçu commandement de sesdits seigneurs, père et mère, les duc et duchesse de Montpensier, elle faisoit ladite profession; et outre, furent tous les dessus nommez présens, quand ladite dame Charlotte de Bourbon, lors de la lecture de sa profession, continuant ses protestations, pleuroit, lisant icelles lettres de profession, comme faisant icelle par crainte et force. – Dont et de laquelle déclaration et déposition ladite dame Charlotte de Bourbon, abbesse, pour ce présent, a requis acte aux notaires soubzsignez, pour luy valoir et servir, en temps et lieu, ce que de raison; ce que nous, notaires soubzsignez lui avons octroyé, et certifions estre vray et ainsi avoir esté fait, le 25 août 1565. (Signé) Charlotte de Bourbon et tous les susnommez.»

»Et moy, soubzsigné, qui suis dénommé au présent acte, et qui n'ay esté présent aux signatures ci-dessus, certifie le contenu audit acte, toute la profession, déclaration et protestations et pleurs ci-dessus estre véritable, et y avoir esté présent. En témoin de quoy j'ay signé la présente certification, le 21 mars 1556, selon l'ordonnance du roy. (Signé) Jean Ruzé.»

Ces témoignages, d'une sérieuse portée, dans la modération même de leur expression[10 - Ils sont, avec addition de détails complémentaires, pleinement confirmés par l'information secrète du 28 avril 1572, contenant les dépositions de six religieuses de l'abbaye de Jouarre, autres que celles qui avaient, le 25 août 1565, attesté, en leur déclaration la sincérité des faits énoncés par Charlotte de Bourbon, dans sa protestation du même jour.], militent, sans réserve, en faveur de la victime, à l'encontre des instigateurs et acteurs du sinistre drame dont, le 17 mars 1559, l'abbaye de Jouarre fut le théâtre.

Oui, si jamais le fait d'une effroyable pression exercée, au mépris de tout sentiment religieux, par un père et par une mère sur la conscience de leur enfant fut péremptoirement prouvé, c'est assurément celui dont il s'agit en ce moment. Inutile au surplus d'insister sur ce point; car l'évidence se passe du cortège des démonstrations.

D'une autre part, gardons-nous d'oublier que, dans le domaine moral, la justice suprême, qui condamne un coupable, laisse toujours ouverte, devant lui, la voie du relèvement.

En présence de cette vérité salutaire, à l'application de laquelle nous ne saurions assez fortement nous attacher, surgit ici une question délicate, qu'il importe essentiellement de résoudre, dans la mesure du possible, pour satisfaire au devoir primordial de l'impartialité historique. Cette question, dans laquelle est engagée, au premier chef, l'honneur paternel et maternel, est celle de savoir si le duc et la duchesse de Montpensier, revenant au sentiment du devoir, se désistèrent, vis-à-vis de Charlotte de Bourbon, de leurs âpres procédés, et accordèrent enfin à sa conscience la réparation qui lui était due.

De la part du père, le désistement et la réparation se firent attendre pendant de longues années, ainsi que l'établira la suite de ce récit.

Quant à la mère, dont l'existence se termina deux ans et demi après l'abus d'autorité du 17 mars 1559, nous demeurons convaincu que, déplorant sa faute, elle s'efforça de la réparer. Notre conviction ne s'appuie, il est vrai, en l'absence de preuves proprement dites, que sur des présomptions; mais ces présomptions nous semblent devoir se rapprocher extrêmement de la réalité; aussi nous y attachons-nous avec d'autant plus d'énergie qu'elles nous autorisent à applaudir à la réhabilitation du cœur maternel, dont il nous a été profondément pénible de constater la défaillance originaire.

Une précision complète dans la détermination des bases de nos présomptions est de rigueur: or, ces bases ne sont autres que des faits qui ne peuvent être révoqués en doute, et dont il faut soigneusement peser la valeur. Exposons-les rapidement.

Et d'abord, quelle fut, au dire d'hommes dignes de foi, tels, notamment que les présidents de La Place et de Thou, l'attitude de la duchesse de Montpensier, à dater de la seconde partie de l'année 1559, puis dans le cours de l'année 1560, et durant les huit premiers mois de 1561? Ce fut celle d'une femme éminemment recommandable par la dignité de son caractère et de ses actions.

Cela nous suffit pour juger qu'une transformation réelle s'était opérée alors dans l'âme de la duchesse, et que cette transformation dérivait de sa récente adhésion aux principes évangéliques, remis en honneur, au sein de la France, par les réformés. Cette adhésion, quelque restreinte peut-être qu'en ait été originairement la manifestation, n'en constitue pas moins, à nos yeux, un fait capital, que nous tenons d'autant plus à mettre en relief que les écrivains contemporains se sont bornés à l'énoncer transitoirement, sans en apprécier d'ailleurs la portée considérable.

Du fait générique d'une transformation ainsi opérée, sous l'influence du sentiment religieux, découlèrent, comme autant de corollaires, divers faits particuliers, dont chacun, dans sa spécialité, était singulièrement expressif. Leur énumération doit trouver ici sa place.

Tandis que le duc de Montpensier n'obéissait qu'à une aveugle ambition, qui, d'accord avec les suggestions de son étroit bigotisme, l'abaissait au niveau d'une honteuse servilité vis-à-vis des Guises et du gouvernement espagnol[11 - «Quant au duc de Montpensier, il portoit telle inimitié à la religion (réformée), et avoit esté de telle sorte pratiqué par ceux de Guise, qu'il se bandoit du tout contre soy-mesme, sans pouvoir gouster la conséquence des entreprises contraires.» (Regnier de La Planche, Hist. du règne de François II, édit. de 1576, p. 567).], Jacqueline de Long-Vic devenait un modèle de droiture, de tolérance et de dévouement. L'histoire la représente, au milieu des agitations de l'époque, comme une femme «d'un courage et d'une prudence au-dessus de son sexe, qui ne cherchoit que la paix et la tranquillité publique[12 - De Thou, Hist. univ., t. III, p. 59.].»

Catherine de Médicis, qui la savait attachée à la religion réformée, ne l'en tenait pas moins pour «l'une de ses plus privées amies[13 - Regnier de La Planche, loc. cit., p. 39.]». On lit dans une relation de l'ambassadeur vénitien J. Michiel[14 - Ap. Tommasco, Relazioni, in-4o, t. Ier, p. 133.]: «Le duc de Montpensier ne se mêle pas des affaires, mais, en revanche, sa femme le fait bien pour lui. Elle est gouvernante et première dame d'honneur de la reine, très familière avec elle, et elle en obtient tout ce qu'elle veut.»

Lors de la trame ourdie, en 1560, par la cour, à Orléans, contre Louis Ier et Antoine de Bourbon, Marillac, archevêque de Vienne, rappelant à la duchesse de Montpensier, dont il possédait toute la confiance, une promesse qu'elle lui avait faite naguère, de s'opposer, en temps opportun, aux desseins des Guises, lui signala les mesures à prendre pour tenter de détourner le coup que voulaient frapper les ennemis de la France et des princes du sang[15 - De La Place, Comment., édit. de 1565, p. 109, 110, 111. – De Thou, Hist. univ., t. II, 824, 825.]. Il lui conseilla, entre autres choses, d'engager son gendre, le duc de Bouillon, à recevoir les enfants du prince de Condé dans Sedan et Jametz, et à consentir qu'on enfermât dans ces places les enfants ou les frères du duc de Guise, si l'on réussissait à les prendre, parce que leur vie répondrait de celle des Bourbons. La duchesse mit à exécution le conseil de Marillac, en envoyant un messager éprouvé au duc de Bouillon et aux princes protestants d'Allemagne, pour gagner leur concours à la cause des princes du sang.

Les rigueurs exercées, à ce moment, contre Antoine et Louis Ier de Bourbon, ainsi que contre la belle-mère de ce dernier, n'arrêtèrent ni le zèle ni le courage de Jacqueline de Long-Vic. Au risque de se voir, à son tour, traitée comme la comtesse de Roye, incarcérée alors au château de Saint-Germain, elle se prévalut de la familiarité, non ébranlée encore, de sa liaison avec Catherine de Médicis, pour plaider, en sa présence, la cause du prince de Condé, de sa belle-mère, et de son frère. Elle conjura la reine mère de se défier de l'arrogante puissance des Guises, de ne pas attendre que la mort du roi de Navarre et du prince l'eût portée au comble, et d'opposer aux Lorrains factieux la noblesse de France, qui, s'il le fallait, prendrait contre eux les armes[16 - De Thou, Hist. univ., t. II, p. 832.].

Elle donna de nouveau ses conseils lorsque s'agita la question de savoir qui serait appelé aux fonctions de chancelier de France, en remplacement d'Olivier. «La duchesse de Montpensier, dit de Thou[17 - Hist. univ., t. II, p. 776.], favorite de la reine mère, princesse d'un esprit élevé, ne voyoit qu'avec peine, que la puissance des Lorrains croissoit de jour en jour; et communiquant ses chagrins à Catherine de Médicis, qui commençoit à redouter la violence de ces princes, elle persuada à cette reine ambitieuse que, si elle vouloit gouverner, elle devoit choisir un homme ferme et courageux qui s'opposât à leurs desseins,» en d'autres termes, Michel de l'Hospital. Ce fut, en effet, à cet homme si recommandable, à tant de titres, que les sceaux furent confiés.

Dans d'autres circonstances encore, la duchesse de Montpensier fit un noble usage du crédit dont elle jouissait.

Atteinte, en 1561, d'une grave maladie, elle donna de touchantes preuves de sa foi et de sa résignation, sous le poids de longues souffrances. Le ministre Jean Malot l'assista à ses derniers moments[18 - De La Place, Comment., p. 237.].

Elle succomba, le 28 août 1551, laissant après elle d'unanimes regrets.

«Si elle eût plus longuement vescu, dit de La Place[19 - Comment., p. 237. – Voir à l'Appendice, no 1, une pièce de vers composée, peu de temps après la mort de la duchesse de Montpensier, et qui donne une idée des sentiments élevés dont on la savait animée.], l'on estime que les troubles ne fûssent tels survenus, que depuis ils survinrent, pour ce qu'elle estoit, d'une part, fort aimée et creue de la reine, et, d'autre part, le roi de Navarre se sentoit fort obligé à elle, qui servoit d'un lien pour les unir et entretenir en paix et amitié. Elle estoit femme de bon entendement et clairvoyante aux affaires mesme d'Estat.»

A voir, d'après ce qui précède, les actes noblement accomplis par la duchesse de Montpensier, dans sa vie publique, de 1559 à 1561, sous l'impulsion des convictions religieuses qui l'animaient, on est en droit d'admettre que ces mêmes convictions ont nécessairement dû se traduire, dans sa vie privée, par des actes non moins nobles; et que surtout elle a agi, vis-à-vis de sa fille Charlotte, sous l'influence de sentiments maternels, qui ne sont jamais plus élevés et plus purs, dans leur expansion, que lorsque la foi chrétienne les inspire.

Puis, comment ne pas croire que les fréquentes relations de la duchesse avec des mères telles que Jeanne d'Albret, reine de Navarre, et que Mmes de Coligny, de Roye, de Soubize, de Rothelin, de Seninghen, se montrant à la fois judicieuses, fermes et tendres, à l'égard de leurs enfants, ne l'aient pas induite à faire retour sur elle-même et à suivre leur exemple?

Oui, tout porte à croire que Jacqueline de Long-Vic, déplorant amèrement le passé, aura résolument cherché à délivrer Charlotte du fardeau d'une intolérable situation, et à lui assurer dans la famille la place à laquelle elle avait droit.

Mais voici le point où nos conjectures, déjà si sérieuses, touchent à la réalité et se confondent, en quelque sorte, avec elle; c'est par la constatation et la portée d'un fait que de Thou[20 - «La duchesse de Montpensier avoit destiné une de ses filles, nommée Charlotte au duc de Longueville.» (De Thou, Hist. univ., t. III, p. 60.)] atteste expressément, savoir: que la duchesse de Montpensier voulut marier Charlotte au fils de la marquise de Rothelin, au jeune duc de Longueville, que Calvin entourait, ainsi que sa pieuse mère, d'une affectueuse sollicitude[21 - Lettres françaises de Calvin, t. II, p. 179, 265, 267, 286, 499. L'une de ces lettres, adressée par Calvin au jeune duc de Longueville, le 22 août 1559 (p. 286) contenait ce passage: «Monseigneur, vous avez un grand advantage, en ce que madame vostre mère ne désire rien plus que de vous voir cheminer rondement en la crainte de Dieu, et ne sçauroit recevoir plus grand plaisir de vous qu'en vous voyant porter vertueusement la foy de l'Évangile.»]].

Ce fait est décisif, quant à la question qui nous occupe, car il implique virtuellement, de la part de la duchesse, le remords, la réprobation du passé, et le soin du bonheur de la jeune fille, aimée désormais par sa mère, comme elle eût dû toujours l'être.

Qu'importe d'ailleurs, au point de vue de la réhabilitation morale de Jacqueline de Long-Vic, que ses désirs et ses efforts en faveur de son enfant soient venus se briser, même à l'heure suprême, contre l'intraitable ténacité du duc: ils n'en attestent pas moins, à l'honneur de la duchesse, la loyauté de son relèvement, et nous font pressentir avec quelle ardeur, à son lit de mort, elle aura appelé les bénédictions d'en haut sur Charlotte et remis son sort entre les mains du Dieu des miséricordes.

Du fond de l'isolement où s'appesantissait sur elle la main tyrannique d'un père, que cependant elle continuait à respecter jusque dans ses aberrations, Charlotte se rattachait avec amour à la pensée d'avoir enfin conquis le cœur de sa mère, avant que celle-ci ne rendit le dernier soupir. Chercher, tout en pleurant sa mort, à se retremper au culte des pieux souvenirs, était déjà, sans doute, une tendance salutaire, une aspiration élevée; mais il fallait plus encore à l'âme de la jeune fille, dans sa détresse: il lui fallait l'action pénétrante d'une force supérieure qui la soutînt et la consolât. Dieu, qui, dans sa bonté, veillait sur l'infortunée, lui apprit à puiser cette force en lui seul; à quelle époque, dans quelles circonstances, par quels moyens? nous l'ignorons. Toutefois, ce que nous savons, c'est que, dans le laps des onze années qui s'écoulèrent, de 1561 à 1572, la jeune abbesse de Jouarre fut amenée à la connaissance des vérités évangéliques, et qu'elle y amena, à son tour, quelques-unes des religieuses de son abbaye[22 - D'Aubigné, Hist. univ., t. II, liv. Ier, ch. 11.].

On comprendra sans peine quelles furent, pour Charlotte de Bourbon, les difficultés avec lesquelles elle se trouva aux prises, afin de sauvegarder, dans la situation qui lui était imposée, sa conscience et le développement de sa foi.

Antipathique à une religion au nom de laquelle on avait violenté son âme et prétendu enchaîner à jamais sa liberté de penser, de croire et d'agir, elle ne devait ni voulait se prêter à rien qui, de près ou de loin, sous quelques dehors que ce fût, portât la moindre atteinte à la dignité de ses convictions et de son caractère. Aussi, que devint pour elle la vie monastique? Resta-t-elle strictement celle qu'on l'avait abusivement condamnée à subir? Non; car si ce fut, d'un côté, une vie d'abnégation et de dévouement, qui ne compromettait que son repos, dont elle faisait volontiers le sacrifice; ce fut aussi, de l'autre, une vie d'indépendance morale légitimement revendiquée et fermement maintenue. Il n'y avait qu'honneur, pour Charlotte de Bourbon, à scinder de la sorte sa vie en deux parties distinctes, en apparence, mais en réalité corrélatives entre elles, alors qu'au fond de son âme elle avait le sentiment que cette même vie, dans l'ensemble de son expansion, comme dans l'unité de son principe, ne relevait que de Dieu et du service qui lui est dû. Par la seule force de ce sentiment elle pouvait dominer et domina, en effet, les difficultés et les périls du rôle qui lui était assigné.

De ce rôle d'abbesse elle accepta donc sans réserve et accomplit avec un zèle éclairé le devoir de guider les religieuses de Jouarre dans les voies de l'ordre et de la paix, de veiller sur leur bien-être moral et physique, de les former à l'exercice de la charité; et, en sa qualité de protectrice des intérêts temporels de la communauté, elle satisfit à l'obligation d'administrer avec vigilance et intégrité les biens qui appartenaient à celle-ci. Mais, quant aux règles dont ce même rôle d'abbesse impliquait, dans l'ordre spirituel, l'observation, elle se dégagea loyalement, sans blesser la liberté d'autrui, de celles qui froissaient ses convictions et ne s'abstint de répudier que celles à la pratique desquelles elle pouvait, sans hypocrisie, condescendre.

Agir ainsi, c'était faire preuve à la fois de droiture et de courage. Il n'en pouvait pas être autrement d'un cœur gagné, dans la captivité du cloître, aux pures doctrines de l'Évangile, et n'aspirant qu'à y demeurer fidèle.

Il serait intéressant de saisir les traces de l'allègement que purent apporter aux rigueurs du sort de Charlotte de Bourbon ses relations avec quelques notables personnalités du protestantisme français, dont, antérieurement à l'année 1572, la sympathie et les encouragements la soutinrent, probablement, dans ses efforts pour sortir de la vie monastique; mais les traces historiques sur ce point sont extrêmement rares; elles se limitent à peu près à une correspondance de Jeanne d'Albret, que nous reproduirons plus loin, et à une déclaration des religieuses de Jouarre, portant: que Charlotte recevait, à l'abbaye, quelques personnes professant la religion réformée, et spécialement les sieurs François et Georges Daverly, «qui étoient ordinairement à son conseil, et auxquels elle accordoit grande faveur[23 - Information secrète du 28 avril 1572. – François Daverly portait le titre de seigneur de Minay.].»

Réduit, en dehors de la correspondance et de la déclaration dont il s'agit, à de simples conjectures, nous ne pouvons que supposer l'existence, d'ailleurs fort naturelle, d'un affectueux appui accordé à la jeune abbesse, dans l'isolement où la laissait la mort de sa mère, soit, avant tout, par sa sœur aînée, la duchesse de Bouillon[24 - Il nous semble impossible qu'une active correspondance, inspirée par la plus tendre affection, n'ait pas existé entre Charlotte de Bourbon et sa sœur la duchesse de Bouillon, surtout depuis l'année 1562; époque à laquelle cette femme si distinguée, à tant de titres, avait, ainsi que le duc, son mari, ouvertement embrassé la religion réformée, et dès lors chaleureusement servi, avec lui, non seulement les intérêts spirituels et matériels des habitants du duché, mais aussi ceux d'une foule de personnes venues de France, auxquelles un asile était accordé à Sedan et à Jametz. Des documents précis, postérieurs à 1572, témoignent au surplus de l'étroite amitié qui unissait l'une à l'autre les deux sœurs, Charlotte et Françoise de Bourbon.], et peut-être même par une autre de ses sœurs, Anne de Bourbon, mariée en 1561 au jeune duc de Nevers, soit par sa cousine et son cousin, la princesse et le prince de Condé, soit par Mmes de Roye, de Coligny, d'Andelot, et autres femmes chrétiennes, d'une condition analogue à celle de ces dames.

Quoi qu'il en soit à cet égard, une chose demeure certaine: c'est que, dans le laps ci-dessus indiqué de onze années (1561 à 1572), Charlotte de Bourbon suivit avec un intérêt toujours croissant la marche des circonstances extérieures, dont quelques-unes devaient, à un moment donné, influer sur sa destinée. Les principaux acteurs du grand drame religieux et politique dont la France fut alors le théâtre, la préoccupaient fortement, en deux sens opposés: les uns, les persécuteurs, ne lui inspiraient qu'aversion et qu'effroi; les autres, les persécutés, que sympathie et que respect. Au premier rang des généreux défenseurs de ces derniers apparaissait à ses yeux l'amiral de Coligny, duquel elle se montra toujours sincère admiratrice.

D'une autre part, alors que ses pensées se reportaient vers les divers membres de sa famille, qu'elle savait être plus ou moins engagés dans le conflit des événements contemporains, à peine osait-elle s'arrêter à la constatation, poignante pour son cœur de fille, des cruautés commises par le duc de Montpensier, devenu, dans son fanatisme, l'implacable ennemi des réformés, et, dans sa servilité, le suppôt des Guises, surtout à dater de 1562[25 - Nous ne tracerons pas ici le tableau des monstrueux excès par lesquels le duc se déshonora. On frémit d'indignation et de dégoût à l'aspect des lugubres et cyniques détails dans lesquels sont entrés, sur ce point, Brantôme (édit. L. Lal., t. V, p. 9 et suiv.), et, plus amplement encore l'auteur de l'Histoire des martyrs (in-fo 1608, p. 589 à 591, et 593, 594). – Voir aussi l'Histoire des choses mémorables advenues en France, de 1547 à 1597 (édit. de 1599, p. 186 à 193).].

Avec les culpabilités de la vie publique d'un tel homme devait inévitablement coïncider la dépression de sa vie privée; aussi, que fut-il désormais comme père?

S'agissait-il de son fils: il restait sans autorité morale pour le guider dans la carrière dont l'accès lui avait été ouvert. Afin d'y marcher avec honneur, il fallait à ce fils autre chose que l'exemple des déviations paternelles.

Quant aux cinq filles, quelle était vis-à-vis d'elles, la contenance du duc?

Deux d'entre elles s'étant, si ce n'est peut-être de leur plein gré, du moins sans aucun murmure, pliées à la vie du cloître, ce dont son bigotisme s'applaudissait, il n'eut d'autre souci que celui d'aviser à ce qu'elles y restassent indéfiniment confinées; comme il laissa confinée dans son deuil une autre de ses filles, la duchesse de Nevers, devenue veuve en 1562.

Avec le calme relatif de l'existence de ces trois sœurs contrastaient les perplexités du servage de la quatrième.

Lorsqu'on 1565, comme on l'a déjà vu, Charlotte de Bourbon formula une protestation, qu'appuyaient les témoignages décisifs de religieuses de l'abbaye de Jouarre et du représentant officiel de son père et de sa mère à l'odieuse scène du 17 mars 1559, le duc de Montpensier s'indigna. Dans cet acte, qui eût dû dessiller ses yeux et le porter à désavouer sa conduite passée, il ne vit qu'un motif de plus pour faire peser sur Charlotte de nouvelles rigueurs.

Il voulut, en outre, que le contre-coup de son intolérance se fît sentir ailleurs qu'à Jouarre. De là toute une série de remontrances et d'obsessions, pour arracher sa fille aînée à ce qu'il appelait une criminelle hérésie. Déplorant, à huit ans de distance, le consentement qu'il avait donné à son mariage avec un prince qui depuis lors était devenu protestant, et dont elle partageait les convictions religieuses[26 - On lit dans un rapport relatif à un synode provincial des églises réformées, tenu à Laferté-sous-Jouarre, le 27 avril 1564, le passage suivant: «Le duc de Bouillon a envoyé paroles de créance par Perucelly, qui disoit avoir parlé à luy à Troyes, ou ès environs, et par Journelle, par lesquelles il faisoit entendre le bon vouloir qu'il a de s'employer pour le Seigneur, avec madame sa femme, et que, en brief temps il exterminerait la messe et prestres de ses terres, et que de cela ne pouvait estre empesché, parce qu'il ne dépendoit que de Dieu et de l'espée. Il prioit l'assemblée de luy faire venir des régents de Genève pour dresser un collège à Sedan, lequel il veult renter de deux ou troys mille francs; promettant que ses places seront toujours seur refuge aux fidèles, et qu'elles estoient munies suffisamment de tout ce qu'il falloit.» (Bibl. nat. mss., f. fr., vol. 6.616, fos 96, 97).]; outré, en même temps, de l'antipathie de Charlotte pour la religion au nom de laquelle elle était opprimée par lui, il eut, en 1566, l'étrange prétention de ramener à la profession de cette même religion la duchesse de Bouillon, qui s'en tenait plus que jamais éloignée, d'un côté, par l'affermissement de son adhésion à la religion réformée, et, de l'autre, par la répulsion que lui inspirait le despotisme tenace dont sa sœur était victime. Harcelée par son père, mais fermement décidée à voir s'épuiser en stériles efforts son zèle de convertisseur et celui d'auxiliaires de son choix, elle le laissa mettre, devant elle, des docteurs catholiques aux prises avec des ministres protestants. Le plus clair résultat de leurs longues controverses fut de démontrer au duc de Montpensier le complet insuccès de sa tentative; car la duchesse, sa fille, demeura fidèle à la religion qu'elle professait[27 - E. Benoit, Histoire de l'Édit de Nantes, t. Ier, p. 42. – De Thou, Histoire univ., t. III, p. 655. – Bayle, Dict. phil., Ve Rosier (Hugues, Sureau du).].

Quatre ans plus tard, ce déplorable chef de famille montra, de nouveau, combien, au foyer domestique, il était dépourvu de toute délicatesse de sentiments et de procédés. En effet, rompant avec le respect qu'il devait à la mémoire de sa femme et aux impressions qui, dans le cœur de ses enfants, survivaient à la perte de leur mère, il eut la téméraire prétention, en se remariant à l'âge de cinquante-cinq ans, de leur imposer, comme devant remplacer, vis-à-vis d'eux, Jacqueline de Long-Vic, une jeune fille de dix-neuf ans[28 - «Quoy que le duc de Montpensier eût eu de la duchesse, sa femme, un fils et plusieurs filles, il ne laissa pas de songer à un second mariage, à l'âge de cinquante-cinq ans passés; et ayant fait choix de Catherine de Lorraine, fille de François de Lorraine, duc de Guise, et d'Anne d'Este, pour lors âgée seulement de dix-huit ans, le traité en fut passé à Angers, le 4 février 1570.» (Coustureau, Vie du duc de Montpensier, addit., p. 179). – Brantôme dit de Catherine de Lorraine que «bien tendrette d'aage, elle espousa son mary qui eût pu estre son ayeul». (Édit. L. Lal., t. IX, p. 646). – Le Laboureur (addit. aux Mém. de Castelnau, t. II, p. 735) allant au fond des choses, n'hésite pas à dire: «Le duc de Montpensier se maria, en premières noces à Jacqueline de Long-Vic, pour profiter du crédit de l'admiral Chabot, qui avoit épousé Françoise de Long-Vic, sa sœur aînée; et ce fut pour la mesme considération qu'il prit pour seconde femme Catherine de Lorraine, sœur du duc de Guise, auquel cette alliance fut plus utile pour achever de détacher ce prince des intérêts de sa maison, et pour le discréditer parmi des siens, qu'elle ne lui fut avantageuse… Il apprit par les suites des différends qu'il eut à la cour et par la conduite que cette seconde femme tint avec lui, qu'on n'avoit eu d'autre dessein que de désunir sa maison… en luy donnant pour le veiller une femme fort entreprenante et qui luy donna bien des affaires.»]], sans consistance morale, appartenant à cette funeste maison de Guise, contre l'ambition et les haines invétérées de laquelle la défunte duchesse s'était naguère noblement élevée.

Insulter ainsi au passé de celle qui n'existait plus, c'était, de la part du duc, blesser au cœur ses enfants.

C'en fut trop pour Charlotte de Bourbon! A dater du jour où son père voulut lui donner pour seconde mère Catherine de Lorraine, elle sentit qu'elle n'avait plus qu'à briser, dès qu'elle le pourrait, l'insupportable joug sous lequel il la tenait, à Jouarre, asservie depuis tant d'années. Libre de tout engagement, légalement maîtresse de sa personne et de ses actions, elle se décida à quitter pour toujours l'abbaye et à se ménager une retraite honorable hors de France.

Confiant alors à sa sœur, la duchesse de Bouillon, et à la reine de Navarre le secret de la résolution qu'elle avait prise et que ces femmes de cœur ne pouvaient qu'approuver, elle leur demanda conseil sur le choix des moyens propres à en assurer l'exécution.

La duchesse de Bouillon lui fit savoir, qu'elle et le duc, son mari, étaient prêts à la recevoir, et que leur affectueux dévouement lui était acquis, plus que jamais.

Les dispositions de la reine de Navarre n'étaient pas moins favorables. Tout en émettant l'avis que Charlotte de Bourbon devait se rendre directement auprès de sa sœur et de son beau-frère, elle estima que peut-être, quel que fût leur bon vouloir, elle ne se trouverait pas suffisamment en sûreté à Sedan, et que dès lors il serait prudent de lui procurer, au loin, un asile, à la cour de l'électeur palatin, Frédéric III. Aussi en écrivit-elle à ce prince, qui déclara consentir à recevoir la protégée de la reine. Il y eut plus: le séjour que Charlotte ferait à Heydelberg, ne devait être, dans la pensée de Jeanne d'Albret, qu'un moyen à l'aide duquel elle espérait obtenir du duc de Montpensier qu'il laissât sa fille se retirer définitivement en Béarn et y vivre auprès d'elle. Quoi de plus touchant que cette dernière partie du plan ainsi conçu par Jeanne d'Albret en faveur de sa jeune amie! Ajoutons que l'amiral de Coligny et sa famille, qui soutenaient alors, à La Rochelle, d'intimes rapports avec la reine de Navarre, approuvèrent sans réserve son plan, à l'exécution duquel le gendre de l'amiral, Téligny, se chargea de concourir en une certaine mesure.

Voilà ce que nous révèle la lettre suivante, à peine connue jusqu'ici[29 - British museum, mss. Harlay, 1.582, fo 367.]:

«Ma cousine, écrivait Jeanne d'Albret à Charlotte de Bourbon, j'ay receu vostre lettre et suis infiniment marrye que je ne vous puis servir comme je le désire; vous priant ne doubter point de mon affection, laquelle ne manquera jamais, à vostre endroict; mais vostre affaire est de telle importance, qu'il ne fault faire qu'une petite faulte pour tout gaster; et, puisque ce porteur m'a assuré vous faire rendre mes lettres bien seurement, je vous diray que nous ne trouvons point de meilleur expédient pour vous, que celuy que vous avons mandé, d'aller vers madame de Bouillon, vostre sœur, et delà en Allemagne. Et si avez besoing que j'en escrive encores au seigneur dont il est question, vous me le manderez, où je dresseray vostre voyage par mes lettres; car je ne doubte point que monsieur vostre père, sçachant que serez en pays estranger, ne trouve bien, pour vous en retirer, que veniez plustost en mes païs et avec moy; ce que je desire infiniment, pour vous monstrer l'affection que je vous porte, et que soyez avec moy comme ma fille; car, si je puis parvenir à cela, je vous feray office de mère en tout ce qui concernera vostre grandeur et contentement. Il faut, ma cousine, que ceci soit mené bien sagement et secrètement. Je vous prie, par le moyen de monsieur de Telligny, qui me fera seurement tenir voz lettres, me mander ce que vous voulez que je face, et faire estat de mon amitié. Et sur ceste asseurance, je prieray Dieu, ma cousine, qu'il vous donne accroissement de ses sainctes grâces. De La Rochelle, ce 28 de juillet 1571.



    »Vostre bien bonne cousine et perpétuelle amye,
    »Jehanne.

Charlotte de Bourbon accueillit avec gratitude les directions et l'affectueux patronage que mentionnait cette lettre.

Depuis sa réception, six mois s'écoulèrent en prudentes combinaisons et démarches, avant que la jeune princesse pût mettre à exécution son projet d'évasion.

Forte de l'appui que lui prêtaient sa sœur et la reine de Navarre, elle accepta, d'accord avec l'une et l'autre, celui d'un homme recommandable, François Daverly, seigneur de Minay, dont le dévouement était à la hauteur des devoirs que lui imposait le rôle de protecteur d'une noble fugitive, pendant le long et difficile trajet qu'elle allait entreprendre.

Ce fut en février 1572 que Charlotte de Bourbon quitta l'abbaye, d'où sortirent, en même temps qu'elle, deux de ses religieuses. Toutes trois étaient accompagnées par François Daverly et par son frère.

On croyait, en voyant l'abbesse de Jouarre et son entourage franchir l'enceinte du cloître, qu'il ne s'agissait que d'une simple visite à rendre à l'abbesse du Paraclet.

En réalité Charlotte de Bourbon s'acheminait vers Sedan, comme vers un lieu de refuge inaccessible à la persécution. Mais, là même, à en juger par certains indices d'hostiles menées, récemment ourdies en France, la persécution pouvait l'atteindre: aussi, presque aussitôt, des conseils inspirés par l'affection et la vigilance d'autrui la détournèrent-ils, à son vif regret et à celui de la duchesse, sa sœur, de son projet de résidence à Sedan, et la décidèrent-ils à se rendre directement à Heydelberg, où il lui était affirmé qu'elle serait en pleine sûreté, auprès de l'électeur Frédéric III et de l'électrice.

Un témoin bien informé[30 - Jacques Couet, ministre de la parole de Dieu, auteur du Traité servant à l'esclaircissement de la doctrine de la prédestination, Basle, »in-8o, 1779.» – Les lignes ci-dessus transcrites sont tirées de la préface de ce traité, dans laquelle Couet s'adresse «à haulte et puissante» dame, madame Louise-Julienne de Nassau, Electrice palatine.»]] nous fournit, sur l'évasion et le voyage de Charlotte de Bourbon, de précieux renseignements. S'adressant, après qu'elle eut cessé de vivre, à l'une des filles issues de son mariage avec un prince duquel il sera bientôt parlé, il dit:

«Quand feue, de très bonne et très louable mémoire, la très illustre princesse, vostre mère, se retira totalement de la superstition et idolâtrie papistique, dont Dieu luy avoit donné bien bonne cognoissance, et qu'elle fuyoit la France comme le climat auquel, lors, tous ceux et celles qui vouloient servir purement à Dieu estoient grièvement persécutez, sans aucune distinction de sexe, d'aage, ni de condition, voire mesmes sans espargner les princes et princesses du sang royal, ce qu'elle estoit, non plus que ceux du commun populaire, je sçay, comme tesmoin oculaire, qu'elle prit la route de Sedan, vers feue, de très heureuse mémoire, la très illustre princesse, duchesse de Bouillon, sa sœur; et ce, d'autant qu'audit lieu, la parole de Dieu estoit purement annoncée, et les sacremens de la religion chrétienne administrés selon leur institution: qui estoit le bien à la participation duquel tendoit et aspiroit le principal désir de son âme. Mais lors elle reçut advis et conseil, fondé sur plusieurs notables considérations, de n'y venir point establir son séjour, ains de passer oultre, si elle vouloit vivre en pleine tranquillité. Comme donc il estoit question de l'adresser à quelque bon port, auquel, autant qu'on en pouvoit juger, elle peust avoir ung assez sûr abry, pour n'estre point agitée de tant d'orages et tempestes qu'elle l'eust peult-estre esté en d'autres, elle fut aussi prudemment que heureusement adressée à ce phœnix des princes de son temps, le très illustre et très puissant Electeur, Frédéric troisième, comte palatin du Rhin, comme à celui qui estant le parangon de toute piété et vertu, recevoit volontiers tous ceux que ces mesmes marques rendoient recommandables.»

Avec cet exposé de faits si précis concorde celui qui émane d'un autre écrivain, également digne de foi[31 - Mémoires sur la vie et la mort de la sérénissime princesse Loyse-Julienne, Electrice palatine, née princesse d'Orange. 1 vol. in-4o; à Leyden, de l'imprimerie de Jean Main, 1625, fo 12.].

Il nous suffira de détacher de son livre les lignes suivantes:

«Il est certain que cette princesse (Charlotte de Bourbon) étoit peu disposée à prendre le voile. Néanmoins sa vertu et son bon naturel la firent demeurer dans une déférence entière aux volontés paternelles, et patienter en sa condition jusques à ce que la Providence divine brisât miraculeusement les chaînes qui sembloient brider et asservir sa conscience. Les guerres civiles ayant, quelques années auparavant, rempli la France de confusion, les lieux les plus inviolables furent exposés à la violence des armes, et le monastère de Jouarre courut la mesme fortune. Cette occasion servit pour mettre cette princesse en liberté. De fait, elle ne trouva meilleur asyle, parmi ces désordres, que de se retirer vers une sienne sœur, mariée avec M. R. de Lamarck, duc de Bouillon et seigneur de Sedan. C'est par ce moyen qu'elle fut conduite, en fuite, à la cour palatine, à Heidelberg, et accueillie par Frédéric III, électeur palatin, avec l'honneur dû à une princesse de sa naissance. Ceste cour estant, en ce temps-là, une école de vertu, soubs un prince religieux, cette vertueuse princesse ne crut pas pouvoir trouver une retraite plus innocente.»

Rappeler ici ce que fut Frédéric III, c'est légitimer, par cela même le respect qui s'attache à sa mémoire et démontrer immédiatement combien il était apte à étendre sur Charlotte de Bourbon un patronage efficace.

Peut-être Frédéric III n'a-t-il jamais mieux justifié le surnom de pieux, que par sa noble attitude, d'une part, au foyer domestique, et, de l'autre, dans la série de ses généreux efforts en faveur des protestants français, cruellement persécutés. Ils étaient pour lui des frères en la foi; et il le leur prouva, soit en prenant leur défense contre leur souverain, dans d'énergiques représentations adressées à celui-ci, soit en cherchant à les arracher au supplice, comme il le fit pour Anne du Bourg[32 - De Thou, Hist. univ., t. II, p. 701.], soit en répondant à leurs appels par l'envoi de troupes en France, sous la conduite d'un de ses fils, soit enfin en repoussant, dans une protestation mémorable[33 - Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 6.619.], les censures que l'empire germanique fulminait contre lui à raison de l'appui qu'il prêtait à la réforme française, et en défendant, en face de cet empire, les droits imprescriptibles de la conscience chrétienne.

La chaleureuse sympathie de Frédéric III pour ses co-religionnaires de France, et surtout pour Coligny, éclate dans sa correspondance[34 - Frédéric III s'est, en quelque sorte, peint lui-même dans cette vaste correspondance et dans son testament. En publiant l'une et l'autre, le savant et judicieux M. Kluckhohn a élevé un monument durable à la mémoire du prince électeur. Voir 1o sur Frédéric III, Le Laboureur, addit. aux Mém. de Castelnau, in-fo, t. Ier, p. 538 à 542; – les Mém. de Condé, passim; – D'Aubigné, Histoire univ., passim; – La Popolinière, Hist., passim; – Brantôme, édit., L. Lal., t. Ier, p. 313; – Baum, Th. de Bèze, append.; – Archives de Stuttgard, Frankreich, 16, no 40; —Bulletin de la Soc. d'hist. du prot. fr., année 1869, p. 287. – 2o Écrits de Frédéric III—das Testament Friedrichs des frommen, Kurfürsten der Pfalz, von A. Kluckhohn, in-4o; – Kluckhohn, Briefe Friedrichs des frommen, etc., etc., in-8o, 1868, 3 vol. – Voir, pour d'autres lettres de Frédéric III, en Angleterre, Calendar of State papers, foreign series, ann. 1560, 1562, 1563, 1567, 1668 et suiv.; – à Genève, Archiv., portef. histor., no 1.753; – en France, Bibl. nat., mss., f. fr., vol. 2.812, 3.193, 3.196, 3.210, 3.314, 3.318, 6.619, 15.544, et fonds Colbert, Ve vol. 397.]. Réciproquement, les lettres adressées par Coligny, d'Andelot, Condé, et autres, à Frédéric III, prouvent en quelle haute estime ils tenaient ce prince, dont Hotman, de son côté[35 - Dédicace de son célèbre ouvrage, intitulé la Gaule françoise (ap. Mém. de l'Estat de France sous Charles IX, t. II, p. 579).], caractérisait le sage gouvernement, en ces termes: «Il y a, ce croy-je, seize ans, prince très illustre, que Dieu a mis une bonne partie de la coste du Rhin sous le pouvoir et sauvegarde de Vostre Excellence, et depuis ce temps-là on ne sauroit croire, ni suffisamment exprimer, en quel repos et tranquillité on a vescu en tous les pays de vostre obéissance, ressemblant proprement à une bonace riante de la mer plate et tranquille où il ne souffle aucun vent, que doux et gracieux: tant toutes choses y ont toujours esté, moyennant vostre sage prévoyance, paisibles, saintement et religieusement ordonnées.»

Des pasteurs français exprimaient à Frédéric III leur gratitude et celle de leurs troupeaux, en lui écrivant[36 - Mém. de Condé, in-4o, t. III, p. 431.]: «Nous osons avoir recours à vous, veu principalement que vous avez jà depuis longues années fait une singulière profession de la religion chrétienne, de laquelle une bonne partie est employée à l'aide de ceux qui sont affligés pour le nom de Dieu et au soulagement des misères et adversitez de tous fidèles. Nous vous remercions, tant qu'il nous est possible, de tant et si singuliers bénéfices que, ces années passées, avons reçus de vostre bénignité et splendeur, ayant si souvent usé de prières et supplications à l'endroit des rois, nos souverains, pour nos frères qui, pour le nom du Christ, souffroient martyres et tourmens[37 - Frédéric III couronna sa carrière par une profession solennelle de sa foi qu'il consigna dans un testament du 23 septembre 1575, contenant d'ailleurs, sur des points divers, une longue suite de dispositions. L'une d'elles, notamment, atteste sa constante sollicitude pour les nombreuses victimes des persécutions religieuses, qui, à leur sortie de France ou d'autres pays, avaient trouvé dans le Palatinat un accueil hospitalier, et pour celles qui à l'avenir, y chercheraient un refuge; il voulait que les unes continuassent à jouir des avantages dont elles étaient pourvues, et que des secours fussent assurés d'avance aux autres. Sa sollicitude se portait aussi, dans l'intérêt des professeurs, des étudiants et étrangers, de toutes conditions, qui ne parlaient pas l'allemand, sur la continuation du service divin qui se célébrait, en langue française, à Heydelberg.].»

Si, par ce qui précède, on est amené déjà à pressentir la nature de l'accueil que Charlotte de Bourbon devait recevoir, à la cour d'Heydelberg, on peut en outre, se convaincre de tout ce qu'il y eut de simple et de touchant dans cet accueil, en entendant J. Couet ajouter à son récit ces lignes expressives[38 - Loc. cit.]]: «Comme l'électeur Frédéric III étoit d'un vray naturel de prince, il receut aussi ceste princesse et la recommanda à la très illustre électrice, d'affection accompagnée de si graves propos concernans la condition de ceux qui préféroient Jésus-Christ à toutes les grandeurs et commodités desquelles ils pouvoient jouyr en ce monde, dont elle avoit devant ses yeux un bel objet, que ladite très illustre princesse a eu toute occasion de dire, comme souvent elle le disoit entre ceux qui luy estoient familiers, que Dieu, par sa singulière grâce et miséricorde, lui avoit fait rencontrer, en ce sien exil, un second père et une seconde mère, puis un domicile tellement orné de piété et de toute autre vertu, qu'il lui estoit plus agréable que n'avoit jamais esté celui de sa propre naissance.»

Frédéric III s'empressa d'informer le roi de France, la reine mère et le duc de Montpensier de l'arrivée de Charlotte de Bourbon à Heydelberg, et de l'accueil qu'il avait, ainsi que l'électrice, cru devoir lui faire.

Il est digne de remarque que sa lettre au duc portait la date du 15 mars 1572, mois qui était précisément celui dans le cours duquel, onze ans auparavant, avait eu lieu, à Jouarre, l'odieuse scène qualifiée d'entrée en religion. Asservie alors, Charlotte était libre désormais.

«Monsieur mon cousin, écrivait l'électeur au père de la jeune princesse[39 - Bibl. nat., mss., f. fr., vol. 3.193, fo 62.], ce gentilhomme, présent porteur, vous dira comme il a laissé ma cousine, vostre fille, en ma maison, où je l'ay receue et veue bien volontiers, pour la bonne affection que j'ay congneu qu'elle a, tant à la gloire de Dieu, que à vous rendre tous les devoirs d'obéissance et service; de quoy je vous ay bien voulu advertir, et, par mesme moïen, prier Dieu que le malcontentement que vous pourriez avoir de son absence, n'empêche point que vous ne la recongnoissiez pour ce qu'elle vous est; dont je m'asseure, puisque ceux à qui elle ne touche pas de si près en veulent bien prendre soing. J'ai faict sçavoir au roy et à la royne mère comment et pour quelle occasion elle soit venue pardeçà; et, comme je ne fais nul doubte que leurs royales dignitez estans informées de son faict, ne se sentent bien fort contentes et satisfaites, ainsi je me persuade qu'aussi vous, sçachant que c'est que de la force de conscience, principalement quant au faict de la religion, ne trouverez point mauvais ce département de madite cousine, vostre fille, ains, comme père très débonnaire, usant de vostre prudence et bonté accoustumées, ne ferez que prendre le tout en la meilleure part, et moïenner les choses de sorte, qu'avec la liberté de sa conscience elle puisse servir à Dieu, vous obéyr et jouyr de ses biens, selon les édicts du roy; à quoy je vous prierois davantage, si je ne craignois de mettre par là en doubte la bonne affection paternelle que portez à ladite vostre fille, laquelle je sçay vous estre par trop bien recommandée. Par tant je feray fin de ceste présente; priant Dieu, monsieur mon cousin, vous donner en santé bonne et heureuse vie. De Heidelberg, le 15e jour de mars 1572.»

Que ressort-il de cette lettre, dont le ton était à la fois si digne et si conciliant?

Une sérieuse manifestation du bienveillant intérêt que l'électeur portait à Charlotte de Bourbon, à raison de sa bonne affection à la gloire de Dieu, point capital sur lequel il était parfaitement à même de se prononcer, et de son respect filial pour le duc;

La revendication, en faveur de la pieuse fugitive, d'une situation qui assurât la liberté de sa conscience et lui permît de concilier avec l'exercice du culte évangélique, qu'avant tout elle entendait professer sans contrainte restrictive, le respect qu'elle ne cesserait de porter à son père;

L'espoir que le duc, avec sa prudence et sa bonté accoutumées, accueillerait cette légitime revendication.

Mais, qu'attendre, en fait de prudence et de bonté, de la part d'un homme à idées rétrécies et grossières, violent, haineux, tel que le duc de Montpensier? rien, absolument rien. Sa conduite et son langage, depuis l'évasion de sa fille, ne le prouvèrent que trop, ainsi qu'on va pouvoir en juger.




CHAPITRE II




Colère et menaces du duc de Montpensier à la nouvelle du départ de sa fille. – Sa réponse à la lettre de l'électeur palatin. – Une information judiciaire a lieu à Jouarre. Dépositions importantes des religieuses. – Négociations entamées à Heydelberg pour obtenir le renvoi de Charlotte de Bourbon en France. – Fermeté de l'électeur. – Lettre de Jeanne d'Albret. – Charlotte demeure à Heydelberg sous la protection de l'électeur et de l'électrice. – Dernière lettre de Jeanne d'Albret à Charlotte. – Douleur de celle-ci en apprenant la mort de la reine de Navarre, et, bientôt après, les massacres de la Saint-Barthélemy. – Charlotte vient en aide aux Français qui se réfugient à Heydelberg. – Ses procédés généreux à l'égard de l'apostat Sureau du Rosier. – Ses intéressantes relations avec Pierre Boquin, Doneau, François Dujou, Jean Taffin et autres personnages distingués, ses compatriotes. – Sa correspondance avec les fils de l'amiral de Coligny. – Intervention des ambassadeurs polonais auprès du roi de France en faveur de Charlotte de Bourbon. – Passage à Heydelberg de Henri, élu roi de Pologne. Double incident qui s'y rattache. – Joie que Charlotte éprouve du séjour de son cousin, le prince de Condé, à Heydelberg. – Mme de Feuquères et Ph. de Mornay à Sedan. – Mort du duc de Bouillon en décembre 1574. – Affliction que causa à Charlotte de Bourbon le veuvage de la duchesse, sa sœur.


Au milieu de l'émotion causée par la fuite de Charlotte de Bourbon, l'une de ses sœurs, abbesse de Farmoutiers, était accourue à Jouarre, et avait aussitôt informé le duc de Montpensier de la disparition de sa fille, sans avoir pu, du reste, lui donner le moindre renseignement, soit sur ses intentions, soit sur la direction qu'elle avait prise.

Le duc était alors en Auvergne, où le retenaient ses devoirs militaires. A l'ouïe de l'événement inopiné qui le blessait au vif dans ses préjugés et son autocratie, il frémit de colère et déclara: qu'il fallait que chacun s'employât «pour sçavoir où la fugitive s'estoit retirée, afin de trouver moyen de luy faire quelque bon admonestement»; ajoutant qu'il fallait aussi qu'on l'aidât, «pour qu'elle pût estre trouvée, en quelque part qu'elle fût, dedans ou dehors le royaume, et ramenée, vive ou morte, afin que l'injure et déshonneur faits à son père par elle et ceulx qui l'avoient induite, conseillée et favorisée à commettre ceste faute, fussent réparés, avec une pugnition et chastiment si exemplaires, que la mémoire en demeureroit perpétuelle, à l'advenir[40 - Lettre du duc de Montpensier à sa fille, l'abbesse de Farmoutiers (ap. dom Toussaint Duplessis, Hist. de l'église de Meaux, in-4o, 1731, t. II, Pièces justificatives, no 5).]».

Le 17 mars, le duc ignorait encore ce qu'était devenue Charlotte, ainsi qu'il l'annonçait, d'Aigueperse, ce même jour, «à son bon seigneur, parent et amy, le duc de Nemours[41 - Bibl. nat., mss., f. fr., vol. 3.353, fo 23.]».

La réception de la lettre de l'électeur palatin mit un terme à son incertitude; mais, en même temps, excita en lui un redoublement de colère.

Les sentiments désordonnés auxquels il était alors en proie se traduisirent avec amertume dans une réponse qu'il adressa, le 28 mars, à l'électeur[42 - Cette réponse, démesurément longue, est intégralement reproduite avec les annotations qu'elle nécessite, au no 2 de l'Appendice, dans la rudesse de ses assertions, pour la plupart outrageantes et mensongères.].

Il ne s'en tint pas à cet acrimonieux factum: il écrivit au roi, à la reine mère, et à divers personnages sur le concours desquels il croyait pouvoir compter[43 - «Le duc de Montpensier lors emplissoit la cour de plaintes, pour sa fille, l'abbesse de Jouarre, qui, se voyant menacée, s'enfuit à Heidelberg.» (D'Aubigné, Hist. univ., t. II, liv. 1er, ch. II.)]. Il provoqua, d'un côté, une enquête, et, de l'autre, des négociations ayant pour objet le retour de sa fille en France, même par voie de contrainte. Il insistait, dans ses accès de fureur, sur le châtiment exemplaire qu'il lui réservait.

Ses démarches et ses menaces n'aboutirent pas, au gré de ses désirs.

En effet, en premier lieu, une information secrète, dirigée à Jouarre même, sur l'ordre du premier président du Parlement de Paris, n'eut d'autre résultat, que la constatation réitérée de la brutale pression dont Charlotte de Bourbon avait été victime, le 17 mars 1559.

Sans se laisser intimider par la présence ni par les interpellations du magistrat chargé de les interroger, six religieuses, autres que celles dont les déclarations avaient été recueillies, le 25 août 1565, confirmèrent pleinement ces déclarations par des dépositions empreintes de sympathie pour la jeune princesse, qui, durant son long séjour à l'abbaye de Jouarre, s'était constamment montrée affectueuse et bonne pour chacune d'elles.

L'information secrète dont il s'agit est d'une si haute portée, qu'il faut en reproduire ici la teneur exacte. La voici[44 - Bibl. nat., mss., f. fr., vol. 3,182, fos 58 et suiv. – Au dos du document ci-dessus transcrit se trouve la mention suivante: «Par commandement de messieurs le premier président et Boissonnet, conseiller, ceste information faicte par les officiers de Jouerre.»]]:

«Information secrète, faicte par nous, Nicolas de Gaulnes, lieutenant-général de monsieur le bailly de Juere (Jouarre), appelé avec nous, Pierre Desmolins, greffier de ce bailliage, et ce, à la postulation et requeste de noble homme, Me Pierre André, sieur de La Garde, advocat en la Cour de Parlement de Paris, et superintendant des affaires de Monseigneur le duc de Montpensier; joinct le procureur desdites religieuses et couvent dudict lieu, aux fins de trouver la vérité de ceux qui ont suborné madame Charlotte de Bourbon, abbesse de Jouarre, fille de mondit seigneur le duc, pour la tirer hors de ladite abbaye, pour la conduire hors de ce royaume, comme aussi des occasions qui peuvent avoir induict icelle dicte dame d'avoir laissé son habit qu'elle avoit porté par l'espace de douze à treize ans, sans en avoir faict plainte ni doléance à mondict seigneur ou à aultre, ainsi que prétend ledict André; joinct qu'elle n'avoit faict protestation contraire à la profession par elle faicte; de façon que, si aulcune se trouvoit, qu'elle seroit sans cause, faulte d'induction, séduction, force, contrainte et menaces, tant dudict seigneur duc, que de deffuncte madame sa mère, ou autres ses supérieures; à la vérification desquelles choses, pour servir auxdicts procureur, seigneur duc, ou à ladicte dame de Juere ce que de raison, avons vacqué comme s'en suit:



»Du 28e jour d'apvril, l'an 1572.


»1o. – Vénérable religieuse Catherine de Richemont, religieuse en l'abbaye de Juere, âgée de soixante-quatre ans ou environ, laquelle, après serment par elle faict, a dict que, plus de cinquante ans a, qu'elle est religieuse en ladite abbaye, mais qu'elle ne sçait qui a sollicité ny fait sortir hors de ce royaume de France madame Charlotte de Bourbon, abbesse de ladite abbaye, sinon qu'elle pense que Françoys et Georges d'Averly luy pourroient bien avoir sollicité de ce faire, parce que journellement ils hantoient et fréquentoient en ladite abbaye, où icelle madite dame leur monstroit grande faveur. On ne sçayt personne qui sceust aucune chose de l'occasion pour laquelle elle a délaissé sadite maison, sinon que icelle portoit son habit à contre-cœur, parce qu'elle n'a esté religieuse que par le commandement de madame sa mère, laquelle la faisoit importuner et solliciter d'estre religieuse par plusieurs personnes, lesquelles rapportant à madite dame sa mère, que sa fille n'y vouloit entendre, elle-même luy envoyoit des lettres rigoureuses, pleines de menaces et de l'envoyer en fosse de religion de Fontevrault; crainte de quoy et pour éviter les rudesses, elle fit ce que sadite mère voulut; mais le regret luy en fist avoir la fiebvre qui la tint pour un long temps. N'a la déposante jamais entendu que monseigneur le duc de Montpensier ayt oncques forcé sadite fille, mais au contraire marry contre sa défunte femme de ce qu'elle attaquait sa fille n'estre contre son gré telle qu'elle la desiroit, et prophétisa ce qui est advenu de cette force et importunement; et pense ladite déposante que, si ladite fille eust fait entendre librement à mondit seigneur que son habit luy déplaisoit, que fort voluntiers il luy eust faict oster; mais elle estoit fille si craintive, qu'elle n'osa jamais luy en parler, crainte de l'ennuyer et fascher. Bien l'a-t-elle dict souvent à plusieurs, qui l'ont célé à mondit seigneur, de peur de l'irriter. Toutefois elle continuoit toujours à dire, en lieu de liberté, qu'elle n'estoit professe, et que, si elle n'avoit craint que mondit seigneur son père se fâchast, qu'elle auroit bien tantost changé de voile. Elle le luy a souvent ouy dire, veu et entendu ce que dessus, et est bien certaine de tout, pour avoir eu cest honneur de parler à elle souvent et familièrement, comme veu et entendu ce que sa défunte mère si faisoit, et la révérence paternelle qu'elle portoit à sondit père.



Ainsi signé: »Richemont.


»2o. – Vénérable religieuse, Catherine de Perthuis, religieuse en l'abbaye de Juerre, âgée de soixante ans ou environ, laquelle, après serment par elle faict, a dit que, quarante-six ans a, elle est religieuse en ladite abbaye, et qu'elle ne sçayt ceux qui pourroient avoir sollicité et donné conseil à madame Charlotte de Bourbon, abbesse de ladite abbaye, de sortir hors et s'en avoir allé hors du royaume de France, sinon Françoys et Georges d'Averly, qui estoient ordinairement avec madite dame, ausquels elle monstroit grande faveur; et nul ne pouvoit sçavoir ce qu'ils vouloient faire; et emmenèrent madite dame, faisant semblant d'aller voir madame du Paraclet; et a on esté longtemps qu'on pensoit qu'elle ne fust allée que jusques audict Paraclet, jusques à tant qu'il vint nouvelles de ceulx qui estoient allez avec elle, qui estoient Me Jehan Petit, Jehan Parent, Loys Lambinot, Gilles Leroy et Jacques de Conches, fussent revenus, qui dirent qu'elle estoit allée en Allemagne, au logis du comte palatin, et que lesdits d'Averly et un nommé Robichon estoient demourez avec madite dame; et qu'elle pense certainement qu'il y a jà longtemps que lesdits d'Averly sollicitoient madite dame de s'en aller. Dict aussy que, quand monseigneur le duc de Montpensier vint à Jouarre, durant les désastres qui ont esté en ce royaume, et qu'il fit publier de baptiser plusieurs enfans des huguenots, madite dame dict: puisque mondit seigneur son père luy avoit joué ce tour, qu'elle ne se pourroit plus contenir qu'elle n'en feist un autre et ne luy monstrast qu'elle n'eut jamais envie d'estre religieuse, en ayant faict profession par forcedite de madame sa mère, laquelle, à la vérité, luy a tenu toutes les rigueurs du monde pour la faire telle. Et en a veu la déposante tant de menaces de sadite mère et tant de sollicitations de plusieurs gentilshommes et serviteurs, qu'elle n'en ose dire la centième partie, voire que, pour tromper cette pauvre enfant, elle déposante vit que, quand monsieur Ruzé, à présent évesque d'Angers, vint pour luy faire faire sa profession, il avoit deux lettres; l'une contenant paroles douces et fort légères, de profession, non accoustumées à dire, afin que ceste abbesse ne les trouvast rudes, et une autre véritable, de laquelle on ne fit lecture quelconque; et a entendu que, si elle n'eust faict ladicte profession, que madite dame sa mère luy eust faict toutes les rigueurs du monde. N'a jamais entendu que mondit seigneur son père en ait esté content, mais bien marry; mais ladite abbesse l'a tousjours tant redoubté, qu'elle ne s'est oncques osée déclarer à luy, sinon par personnages qui luy ont tousjours célé sa dévotion (volonté); qui est l'occasion qu'elle luy peult présentement avoir baillé un ennui. Dict, oultre, qu'elle a tousjours entendu continuer sa volonté n'estre en cest estat, et pour cest effect n'a oncques voulu se faire béniste abbesse. C'est tout ce qu'elle peult dire, quant à présent, sinon ce qu'il est notoire.



Ainsi signé: »C. de Perthuis.


»3o. – Vénérable religieuse, sœur Marie Brette, grand'prieure de l'abbaye de Jouarre, âgée de quatre-vingts ans, ou environ, laquelle, après serment par elle faict, a dict que, soixante-dix ans a, elle est religieuse en ladicte abbaye, et qu'elle ne sçayt ceulx qui peuvent avoir donné conseil et sollicité madame Charlotte de Bourbon, abbesse de ce lieu, de s'en aller et sortir hors de ceste abbaye, mesmes de s'en aller hors de ce royaume, sinon Françoys et Georges d'Averly, qui estoient ordinairement à ladite abbaye et à l'entour d'icelle madite dame; et pense qu'il n'y avoit aulcunes religieuses de ladite abbaye qui en pussent sçavoir aulcune chose, sinon Jehanne Mousson et Jehanne Vassetz, qui s'en sont allées avec madite dame. Et quand elle partit, elle disoit qu'elle alloit au Paraclet; et néanmoins elle s'en seroit allée en Allemaigne, au logis du comte palatin, ainsy qu'elle a ouy dire. Dict aussy qu'elle n'a point sceu que madite dame ayt oncques, de son bon gré, voulu estre religieuse; car, encores qu'elle ayt faict vœu de religion, si est-ce qu'il ne fut jamais, ainsy qu'il appartient, faict aux religieuses, parce que, encores qu'elle fust prompte à hanter et fréquenter l'église; et quand ladicte déposante l'allait quérir pour aller au service, elle y estoit aussitost que ladicte déposante; si est-ce que cela estoit sinon pour agréer à monseigneur son père; mais, pour tout cela, la déposante ne peut croire qu'icelle n'eust tousjours dévotion (volonté) de poser son habit, qu'elle a entendu luy déplaire infiniment, et pour l'avoir pris trop jeune, à contre-cœur, par force de sa mère, laquelle luy a faict faire profession par des subtilitez et forces estranges.



Ainsi signé: sœur »Marie Brette.


»4o. – Vénérable religieuse, sœur Radegonde Sarrot, religieuse en ladicte abbaye, âgée de cinquante-six ans, ou environ, laquelle, après serment par elle faict, a dict que, quarante-deux ans a, elle est religieuse en ladicte abbaye, et qu'elle a tousjours connu, depuis que madame Charlotte de Bourbon a esté en ceste maison de Jouarre, fort jeune, qu'elle y a faict une profession oultre son gré et volonté, parce que, quand elle fit ladicte profession, mesme auparavant le décez de feue madame Loïse de Givry, au précédent, elle, abbesse de ladicte abbaye, et deux ou trois jours auparavant que ladicte dame de Givry décedast, elle se voulut démettre de ladicte abbaye entre les mains de madite dame Charlotte de Bourbon, fut assemblé tout le couvent de ladicte abbaye pour la faire professe, qu'elle ne vouloit accorder; tellement que madame sa mère fut extrêmement offensée, et dès lors infinies rudesses avec inductions et sollicitations grandes, qui émurent tellement cette jeune princesse, que l'appréhension qu'elle en eust luy donna une fiebvre qui la print; et disoit à toutes les filles de ladicte abbaye qui l'alloient veoir, qu'elle ne vouloit estre professe; et ladicte maladie venoit, craincte que sadite mère ne la traitast mal; pour obvier auxquels mauvais traictemens, qu'elle seroit contrainte faire son commandement; dont monsieur son père estoit bien fasché contre sadite femme; et que, si les serviteurs de mondit sieur luy eussent faict entendre ce que madame leur abbesse leur disoit, qu'elle déposante a opinion qu'il luy eust osté l'habit qu'elle a tousjours porté et fait actes de religion convenables à sa charge, pour donner plaisir à sondit père, plustost que de volonté, car elle n'eut oncques le cœur de demeurer en ceste charge, qualité et habit de religion; qu'elle, comme tout le monde sçayt, a faict vœu par force et mille inductions de sadicte mère, laquelle escrivoit audict couvent, qu'elle vouloit que madicte dame Charlotte de Bourbon donnast son bien à monseigneur le prince son frère. Ne sçayt ladicte déposante si elle fit ou non, parce qu'elle n'y estoit présente. Dict aussy que, quand madicte dame fit sa profession, que nulles des filles dudict couvent n'entendirent jamais un seul mot de la lecture de son vœu; aussy qu'il y avoit deux lettres, l'une simulée, et l'autre ordinaire; et quand eust présenté à l'autel une desdictes lettres, sœur Cécile Crue, autrement appelée Chauvillat, print icelle et la mit dans son sein; et que telle prétendue profession fut faicte assez maigrement, par les ruses de madame du Paraclet, qui n'estoit professe; et sy y eust infinies menées, desquelles toutes les religieuses du couvent se mescontentoient. Dict aussy qu'elle pense qu'il n'y avoit personne quy ayt sollicité ladicte dame de Bourbon de sortir de sa maison, sinon Françoys et Georges d'Averly, auxquels elle portoit faveur, et estoient ordinairement à son conseil. Dict aussy que, quand madicte dame fit sa profession, elle dict à monsieur Ruzé, avec plusieurs autres religieuses de ladicte abbaye, qu'elles n'avoient point entendu la profession de madicte dame, lequel leur fit responce, qu'elle estoit aussi tenue de garder les biens, comme les autres abbesses avoient faict auparavant.



Ainsi signé: sœur »R. Sarrot.


«5o. – Sœur Marie Beauclerc, religieuse en ladite abbaye âgée de quarante-trois ans, ou environ, laquelle, après serment par elle faict, a dict que, trente ans a, elle est religieuse professe en ladite abbaye, et qu'elle sçayt que madame Charlotte de Bourbon a esté contraincte d'estre religieuse et faire sa profession par madame la duchesse de Montpensier, sa mère, la menaçant, si elle ne faisoit ladite profession, elle la feroit mener à Frontevrault; depuis lequel temps, depuis deux ans en çà, ladite dame Charlotte de Bourbon avoit dict à feue madame de Reuty, qu'elle n'estoit professe et qu'elle n'avoit faict les vœux ainsi que ladite déposante a ouy dire à madite dame de Reuty; et qu'elle ne sçayt qui lui a donné conseil de laisser son abbaye, sinon d'Averly et quelques autres de la religion prétendue réformée, qui hantoient en ladite maison, qui lui mettoient en opinion qu'elle se damnoit en ladite abbaye. Sçayt ce que dessus pour avoir vû les lettres mesmes envoyées au couvent de ladite dame, et pour avoir esté présente quand plusieurs personnes venoient de la part de madite dame vers ladite dame Charlotte pour luy faire récit des volontés de sadite mère, en quoy faisant, ceste jeune princesse trembloit, et, au moyen de ce, fit la volonté de sadicte mère, dont elle en gagna une fiebvre. Sçayt que, en la profession y eut du murmure des religieuses qui voyoient la manifeste contrainte et les menées avec la force, peu de volonté de ladite abbesse, surprise par le moyen de deux lettres de profession et des belles promesses par ceulx qui estoyent venus pour luy faire faire le vœu, connu par toutes moins que légitime et solennel; joinct que ladicte abbesse ne l'a jamais approuvé, sinon pour faire plaisir, monstrant toujours effect contraire à iceluy.



»Ainsi signé: sœur Marie Beaucler.


>»6o. – Sœur Marie de Méry, religieuse professe en l'abbaye de Jouarre, âgée de quarante ans, ou environ, dict que, vingt-cinq ans a, elle est professe en ladite abbaye, et que douze ans a, vu que feue madame Loïse de Givry décéda, et depuis son décez, fut pourvue de ladite abbaye madame Charlotte de Bourbon. Ladite déposante a vû que ladicte dame Charlotte de Bourbon ne vouloit faire profession, et ne l'eust jamais faicte, ains la contrainte de madame sa mère et induction de sa part en ladicte abbaye. Dict aussi qu'elle a ouy dire à sœur Cécile de Crue qu'il falloit qu'elle fust professe, parce que c'étoit la volonté de madame sa mère, à laquelle elle n'oseroit désobéir. Mesme, le jour de sa profession, elle pleuroit tellement, qu'on ne sceut entendre un seul mot de sa profession, et fut la lettre cachée par ladite de Crue; mais ne sçayt ceux qui ont sollicité à faire sortir de ladite abbaye madicte dame.



    »Ainsi signé: Marie, sœur de Méry.
    »Signé: de Gaulnes,
    »Desmolins.»

Après avoir échoué sur le terrain de l'enquête, le duc de Montpensier échoua également sur celui des négociations entamées, à la cour d'Heydelberg.

Le premier président de Thou et le sieur d'Aumont s'étaient rendus auprès de Frédéric III et lui avaient demandé, au nom du roi, de renvoyer Charlotte de Bourbon à son père: l'électeur répondit avec fermeté qu'il ne la lui renverrait qu'à la condition expresse que la princesse serait certaine d'obtenir, pour la sûreté de sa personne et pour le libre exercice de son culte, la protection à laquelle elle avait droit[45 - «Il y eut force dépesches vers le comte palatin pour r'avoir Charlotte de Bourbon, mais lui, ne voulant la renvoyer qu'avec bonnes cautions, pour la liberté de la dame en sa vie et en sa religion, le père aima mieux ne l'avoir jamais.» (D'Aubigné, Hist. univ., t. II., liv. Ier, chap. II). – «Le père, grand catholique, avoit redemandé sa fille à l'électeur, vers lequel fut envoyé M. le président de Thou, et puis M. d'Aumont. L'électeur offrit de la renvoyer au roi, pourvu qu'on ne la forçât point dans sa religion; mais M. de Montpensier aima mieux la laisser vivre éloignée de lui que de la voir, à ses yeux, professer une religion qui lui étoit si à contre-cœur.» (Mémoires pour servir à l'histoire de la Hollande et des autres provinces unies par Aubery de Maurier. Paris, in-12, 1688, p. 63.)].

Les envoyés du roi n'ayant pouvoir de s'engager sur aucun de ces deux points, la négociation qu'ils avaient entamée fut rompue.

Sa rupture consolida la position de Charlotte, à la cour de l'électeur et de l'électrice; position honorable et sûre, qu'elle avait immédiatement conquise, sans effort, par l'intérêt qu'excitait son infortune, par la franchise de son maintien, par le charme de son caractère, et par le sérieux de ses hautes qualités.

Jeanne d'Albret, qui suivait, de cœur et de pensée, sa jeune amie sur la terre étrangère, se montra sensible à l'accueil qu'elle y recevait, en lui écrivant[46 - British museum, mss. Harlay, 1.582, fo 367.]:

«Ma cousine, sachant la dépesche qui se faisoit en Allemaigne, j'ay escrit à monsieur le comte palatin et à monsieur le duc Casimir, son filz, pour leur mander la bonne nouvelle de la convention du mariage de madame et de mon filz. Je les remercye, par mesme moyen, du bon recueil qu'ils vous ont faict, et les supplie de continuer. Cependant j'estime que ce mariage vous pourra servir, car j'auray meilleur crédict, duquel vous pouvez faire estat comme de la meilleure de vos parentes. J'ay commencé à parler de vostre faict; mais monsieur de Montpensier tient encores les choses, ung petit, aigres. Je ne fauldray de solliciter pour vous et d'employer tout le pouvoir que Dieu m'a donné. Parmy la joye que j'ay du mariage de mon filz, Dieu m'a affligée d'une maladie qu'a ma fille, d'une seconde pleurésie qui luy a repris quatre jours après l'autre. Elle a été saignée: j'espère en Dieu que l'issue en sera bonne; elle est entre ses mains; il en disposera comme il luy plaira. Je luy supplye lui donner ce qu'il sçait lui estre nécessaire, et à vous, ma cousine, ce que vous désirez.



    »De Bloys, ce 5e d'apvril 1572.
    »Vostre bonne cousine et parfaite amye,
    »Jehanne.»

La dignité personnelle d'une femme chrétienne, aux prises avec les difficultés inséparables d'une vie de privations, recèle en elle-même des secrets trésors d'abnégation et de délicatesse, que pressent et que respecte, dans sa généreuse sympathie, tout cœur qui aspire à soulager une souffrance noblement supportée.

Cette touchante vérité se fit sentir, en 1572, à Heydelberg, dans la sincérité de son application.

La jeune fugitive, à son arrivée, se trouvait dans un état voisin du dénûment. Plus, sans affectation, elle se montrait humblement résolue à en subir les rigoureuses conséquences, plus, de leur côté, l'électeur et l'électrice s'attachèrent, par de judicieux et tendres ménagements, à l'affranchir du malaise inhérent à un tel état. Profondément touchée de leurs prévenances, elle en déclinait cependant en partie les effets, dans la crainte de leur être à charge. Ils ne réussirent à surmonter son extrême réserve et à lui faire accueillir la plénitude de leurs bons offices qu'en la convainquant que le meilleur moyen à adopter, pour leur prouver la réalité de son affection et de sa gratitude, était de les laisser l'aimer et la traiter comme si elle eût été leur propre fille.

Heureuse de pouvoir, en toute confiance, s'abriter sous la bienveillante protection de l'électeur et de l'électrice, Charlotte de Bourbon rencontra un appui de plus dans le dévouement éprouvé de François d'Averly, seigneur de Minay, qui avait pris à cœur, disait-elle «de la secourir et de l'assister en ses affaires», et qui, de fait, avec l'assentiment de Frédéric III, dont il s'était concilié l'estime, resta auprès d'elle, à Heydelberg, tant qu'elle-même y résida.

La jeune princesse avait le don de se faire aimer de tous ceux qui l'entouraient. Sa constante bonté la rendait particulièrement chère aux personnes attachées à son service. Au premier rang de celles-ci, se trouvait une femme recommandable, du nom de Tontorf, sur les soins vigilants et sur la fidélité de laquelle elle se reposait. Confidente discrète de maintes pensées et de maints sentiments exprimés dans l'épanchement de la familiarité par sa maîtresse, cette femme de cœur s'élevait, en quelque sorte, à leur niveau, par la seule intensité de son dévouement. Ayant voué à Charlotte de Bourbon une sorte de culte, elle ne la quitta jamais. On verra plus tard dans quelles circonstances la mort seule les sépara l'une de l'autre.

Dans la douce retraite que ses deux protecteurs lui assuraient à leur côté, par sympathie pour ses épreuves et pour ses convictions religieuses, Charlotte, libre désormais de professer publiquement ces dernières et d'y conformer pleinement sa vie, se fit un devoir de prendre part aux exercices du culte réformé, auquel sa mère s'était rattachée naguères, et que sa sœur, la duchesse de Bouillon, continuait à pratiquer. Elle le fit en toute simplicité, avec un sérieux d'attitude et une modestie de langage qui lui concilièrent le respect de tous.

Enfin était venu le jour où, éprouvant pour la première fois une réelle dilatation de cœur, elle commençait à goûter le charme d'une existence paisible et utilement employée.

La reine de Navarre ne cessait de soutenir par d'affectueux conseils sa protégée, ou, pour mieux dire, sa fille adoptive, en même temps qu'elle agissait, dans son intérêt, auprès du duc de Montpensier et de Catherine de Médicis, ainsi que le prouvent ces lignes[47 - British museum, mss. Harlay, 1.582, fo 367.], datées de Vendôme, où la pieuse Jeanne était allée remplir un solennel devoir[48 - «La de Vandoma (qualification dédaigneusement appliquée par les Espagnols à Jeanne d'Albret) partio ayer para la dicha Vandoma. Oy el conde Lodovico, el almirante y toda la camarada se han de hallar alli para hazer su cena y el enterramiento del principe de Condé que por la honrra le quieren poner en la yglesia entre los otros de su sangre.» (Pedro de Aguila au duc d'Albe; Blois, 5 mai 1572, Archiv. nat. de France, K. 1.526, B. 32.)]:

«Ma cousine, je croy que vous avez maintenant receu mes lettres, et monsieur le comte, les remercimens que je luy fais de vous avoir receue; ce que mon filz continuera, à sa venue. Quant à vostre affaire, j'ay monstré à la royne, mère du roy, celles-ci que m'a escript monsieur le comte, et sur cela ay adjousté ce que j'ay pensé vous pouvoir servir; mais je n'ay eu telle responce que j'eusse désiré. Vous avez beaucoup de gens qui ont pitié de vous, mais peu qui osent parler, pour l'aigreur en quoy monsieur de Montpensier tient tous ceux de ceste court. Cependant je ne craindray chose qui puisse me fermer la bouche. Je m'employeray de cœur et d'effect en tout ce que je verray de pouvoir faire et que vous congnoistrez que j'en auray le moyen. J'ay eu mes deux enfans extrêmement malades: Dieu les a encores conservez pour sa gloire. Ma cousine, faictes estat de mon amitié, de mes moyens et biens; et sur cela, je prie Dieu, ma cousine, vous donner sa saincte grâce et assistance, en toute et si grande affaire.



    »De Vendosme, ce 5e de may 1572.
    »Vostre bien bonne cousine et parfaicte amye.
    »Jehanne.»

A un mois de là, une mort inopinée ravit à l'affection de Charlotte de Bourbon cette parfaite amie, qui s'était montrée pour elle une seconde mère, et à laquelle l'attachaient des liens devenus de jour en jour plus étroits[49 - Jeanne d'Albret succomba, à Paris, le 9 juin 1572. – Voir sur ses derniers moments et sur sa mort, notre publication intitulée: Gaspard de Coligny, amiral de France, t. III, p. 383, 384, 385.]. Cette séparation déchirante la plongea dans une affliction dont la correspondance de Frédéric III atteste la profondeur[50 - Lettre de l'électeur Frédéric III, à J. Junius, de juin 1572 (ap. Kluckhohn, Briefe, etc., etc., Zweiter Band, no 662, p. 467). – Voir aussi, Calendar of state papers, foreign series, lettre du 27 juin 1572. On y lit: «Mademoiselle de Bourbon is very grieved at the death of the queen of Navarra.»]].

Quel surcroît de douleur la jeune princesse n'eut-elle pas à subir, peu de temps après, quand parvinrent à Heydelberg les premières nouvelles des effroyables massacres commis à Paris et dans les provinces de France lors de la Saint-Barthélemy! Elle en fut frappée de stupeur et navrée.

Mais bientôt, se relevant de ses souffrances morales, sous l'impulsion d'un grand devoir à remplir, elle concentra ses pensées sur l'adoption immédiate de moyens propres à soulager ceux de ses compatriotes qui, ayant échappé au fer des égorgeurs, viendraient chercher un refuge dans les États de l'électeur palatin. Plusieurs y vinrent, en effet, et ne tardèrent pas à se ressentir des bienfaits du ministère de charité et de consolation qu'elle remplit auprès d'eux: pieux ministère, dans l'accomplissement duquel, associée aux efforts et aux généreux procédés de l'électeur et de l'électrice adoption, que, dès le premier moment, ils lui avaient accordé.

Aimée par eux, que ne l'était-elle aussi par son père? Que ne pouvait-elle le convaincre non seulement de son respect pour lui, mais, en outre, de l'énergique besoin qu'elle éprouvait de gagner son affection et de lui faire sentir la sincérité de celle, qu'en retour, elle lui porterait? Question douloureuse pour le cœur anxieux de Charlotte de Bourbon, mais en présence de laquelle elle ne désespérait cependant pas de l'avenir; et pourquoi? parce qu'il lui semblait impossible que Dieu ne répondît pas, un jour, à ses prières, en touchant le cœur du duc, en lui inculquant un sentiment de justice envers une fille qui n'avait, en rien, démérité de lui, et en lui inspirant enfin pour elle une affection vraiment paternelle. On verra plus loin combien Charlotte de Bourbon, inébranlable dans sa foi et fidèle aux pressentiments de sa confiance filiale, eut raison de n'avoir jamais désespéré de gagner le cœur de son père.

Cependant, que faisait celui-ci, alors qu'il continuait à la délaisser?

Selon son habitude, il menait de front les assiduités d'un homme de cour et les plates obsessions d'un esprit formaliste et intolérant. Il se complut, notamment, à reprendre, dans les derniers mois de 1572, ses menées de convertisseur, à l'égard de sa fille la duchesse de Bouillon. Il détacha vers elle le jésuite Maldonat et le ministre apostat Sureau du Rosier[51 - Benoit, Hist. de l'édit de Nantes, t. Ier, p. 42. – Bayle, Dict. phil., Vc Rosier (Hugues Sureau du). – Voir aussi les détails que donne sur les missions de Maldonat et de du Rosier un écrit intitulé: «Oraison funèbre pour la mémoire de très noble madame Françoise de Bourbon, princesse de Sedan, faicte et prononcée par de Lalouette, président de Sedan, etc., etc. Sedan, in-4o, p. 10.»]]; mais tous deux échouèrent dans leur mission: Maldonat en dépensant son argumentation en pure perte, et du Rosier en n'affrontant la présence de la duchesse que pour subir les légitimes reproches qu'elle lui adressa sur son infidélité.

Revenu à résipiscence, l'apostat se rendit à Heydelberg, où Charlotte de Bourbon put lire, dans un écrit qu'il y publia[52 - La confession et recongnoissance d'Hugues Sureau, dit du Rosier touchant sa chute en la papauté et les horribles scandales par lui commis, à, etc. (Mémoires de l'Estat de France sous Charles IX, t. II, p. 238 et suiv.).], cet aveu, précédé de bien d'autres: «Le duc de Montpensier m'avoit envoyé, le mardi 4 novembre 1572, avec Maldonat, jésuite, pour aller à Sedan vers madame de Bouillon, pour la ramener à l'obéissance du pape. J'escrivis lettres à ladite dame, à Sedan, par le commandement de monsieur son père, pour la tirer à cest estat: lui faisant une triste et pauvre recongnoissance de l'humanité receue de sa part, tant par moy que par plusieurs autres, aux troubles de l'an 1568.»

Bourrelé de remords, sous le poids des lâchetés dont il s'était rendu coupable, du Rosier avait eu finalement le courage d'avouer publiquement l'énormité de ses méfaits et d'exprimer un repentir dont il n'était guère permis de révoquer en doute la sincérité. La loyale et compatissante Charlotte de Bourbon y crut pleinement; et, se représentant les angoisses qui torturaient l'âme du malheureux, elle s'empressa au nom de sa sœur, la duchesse, dont elle connaissait les sentiments élevés, de couvrir d'un généreux pardon l'offense commise à Sedan. Ce fut là pour du Rosier, dans sa détresse, un réel bienfait, sous l'impression duquel il se retira à Francfort, où, trois ans plus tard, il termina sa triste existence.

Combien différaient de du Rosier, par leur valeur morale et intellectuelle, certains Français, théologiens, prédicateurs, savants de divers ordres, tels, par exemple, que Pierre Boquin, François Dujon, Jean Taffin, Hugues Doneau, dont Frédéric III aimait à s'entourer et dont il avait vu le nombre s'accroître, à Heydelberg, à dater de 1572! Cédant à l'attrait qu'exerçaient la complète affabilité et la vive intelligence de Charlotte de Bourbon, ces hommes distingués avaient noué, sous les yeux de l'électeur et de l'électrice, de sérieuses et consolantes relations avec leur gracieuse compatriote. On la vit, charmée elle-même de les connaître, s'entretenir avec eux de leurs affections domestiques, de leurs intérêts personnels, de leurs travaux, puis aussi et surtout de la France, de cette patrie commune à laquelle tous demeuraient profondément attachés, dans la crise terrible qu'elle traversait et dont ils suivaient, de cœur et de pensée, les incessantes péripéties.

Pierre Boquin, professant depuis 1557 la théologie à Heydelberg, avait rarement quitté cette ville, et était ainsi demeuré à l'écart des événements qui, dans le cours des quinze dernières années, s'étaient accomplis de l'autre côté du Rhin. Dans ses entretiens avec lui, la jeune princesse se reportait, de préférence, vers le passé; elle se plaisait à l'entendre parler d'une mission dont l'électeur palatin l'avait chargé, en 1561, et à l'occasion de laquelle il avait, à l'issue du colloque de Poissy, vu, à Saint-Germain, une foule de hauts personnages, et, plus particulièrement que tous autres, l'amiral de Coligny et divers membres de sa famille[53 - Relation, ap. Kluckhohn, Briefe Friederich des frommens, Erst Band, p. 215 à 229. – Voir, sur la mission de Boquin, les développements contenus dans notre publication intitulée: Les protestants à la cour de Saint-Germain, lors du colloque de Poissy, 1574.].

Charlotte de Bourbon portait un vif intérêt aux récits de Boquin.

Pour être d'une nature différente, ceux que lui faisaient d'autres Français ne l'intéressaient pas moins.

Le célèbre jurisconsulte Doneau, récemment appelé par l'électeur à occuper, à Heydelberg, une chaire de droit[54 - Doneau fut appelé, le 19 décembre 1572, à Heydelberg, pour y enseigner le droit romain.] dont il venait d'inaugurer avec éclat la prise de possession, entretenait la princesse des scènes sanglantes dont Bourges et le Berri avaient été le théâtre, lors de la Saint-Barthélemy, et auxquelles il n'avait échappé qu'à grand'peine; de ses dangereuses pérégrinations à travers la France, et du triste sort d'une masse de victimes de la persécution, en proie à la misère, à des perplexités, à des souffrances de tout genre, et cherchant au loin un refuge. Détournant ensuite du tableau de tant d'infortunes les pensées de son interlocutrice, il les reportait sur des sujets religieux, historiques ou littéraires, qu'il savait être de nature à captiver son attention. Il n'y avait qu'à gagner dans les familières communications d'un tel homme, doué de vastes connaissances, que son esprit judicieux et lucide mettait avec aisance à la portée d'autrui.

L'énergique et docte François Dujon, connu dans le monde littéraire sous le nom de Junius, parlait à Charlotte de Bourbon de l'actif et périlleux ministère qu'il avait, comme pasteur, exercé jusqu'en 1566, dans les Pays-Bas, et de la confiance dont Frédéric III l'avait honoré, en le chargeant de la direction de l'église de Schonau, puis en l'envoyant à l'armée du prince d'Orange, pour y remplir, pendant toute la durée d'une laborieuse campagne, les fonctions d'aumônier, et enfin en le rappelant dans le Palatinat, pour y reprendre son service au sein de l'église de Schonau, qu'il devait ultérieurement quitter, par ordre de l'électeur, afin de devenir, en 1573, à Heydelberg, le collaborateur de Tremellins dans la traduction de la Bible[55 - Voir sur François Dujon, D. 1o Scrinium antiquarium, Groning, 1754, t. Ier, part. 2, Francisci Junii vita ab ipsomet conscripta; 2o G. Brandts, Historie der Reformatie, Amst., 1677, in-4o, Boek 5, 6, 7, 8, 9, 10, 15, 17.].

Quant à Jean Taffin, que l'électeur avait investi, à sa cour, du titre et des fonctions de prédicateur français[56 - «Taffin (Jean), Bleef echter tot in 1572, te Metz, beget zich naar den Paltz in weerd fransch predikant te Heidelberg.» (Dict. biogr., Holland.) – Voir sur J. Taffin, l'intéressante et substantielle monographie de M. Charles Rahlenbeck, intitulée: Jean Taffin, un réformateur belge du XVIe siècle, Leyde, 1886, br. in-8o.], et dont les antécédents dans l'exercice du saint ministère, spécialement à Anvers, étaient des plus recommandables, il avait, par ses solides qualités, promptement gagné la confiance de la princesse, qui depuis lors attacha toujours un grand prix à ses pieux conseils. On ne saurait mieux caractériser le sérieux et l'efficacité de ses relations avec elle, qu'en disant, à l'honneur de tous deux, que Charlotte de Bourbon inspira à Taffin un dévouement qui ne se démentit jamais, et qu'en toute occasion elle sut dignement reconnaître.

Vivant, comme on le voit, dans un milieu favorable à l'affermissement de ses intimes convictions et à l'expansion de son activité chrétienne, la pieuse fille du persécuteur des réformés français ne cessait d'étendre, de loin comme de près, sa sollicitude sur tous les infortunés, qui, sortis de France, portaient, à des degrés divers, le douloureux poids de l'expatriation.

De ce nombre étaient les enfants de l'homme éminent dont plus que de tout autre, elle pleurait la mort, de Coligny. Deux des fils de la grande victime, Chastillon et d'Andelot, réfugiés en Suisse, venaient d'écrire, de Bâle, à l'électeur et à Charlotte de Bourbon, qu'ils savaient être, à Heydelberg, sous sa protection; ils connaissaient la chrétienne sympathie de Charlotte pour les affligés, et la vénération qu'elle avait constamment professée pour leur père. Aussitôt leur parvinrent ces lignes tracées, le 12 mars 1573 par la princesse[57 - La lettre écrite à Chastillon et à d'Andelot par Charlotte de Bourbon, le 12 mars 1573, est ici intégralement reproduite d'après l'original que M. le duc de La Trémoille possède dans ses riches archives, et qu'il a bien voulu me communiquer.].

«Messieurs, pour estre affligée par la mesme cause qui a réduit vos affaires en telle extrémité comme elles sont, vous ne pouviez pas à qui mieux vous adresser qu'à moy, pour ressentir vostre peine et vous y plaindre infiniment, n'en faisant point seulement comparaison à la mienne, mais l'estimant, selon qu'à la vérité l'on peult juger, ne vous en pouvoir advenir de plus grande; mais j'espère que les moyens qui vous sont cachez à ceste heure pour en pouvoir sortir, ce bon Dieu vous les descouvrira lorsqu'il luy plaira vous en retirer. De ma part, si je puis quelque chose pour cest effect, je m'y emploieray de bien grande affection, tant pour le mérite du faict, que pour celle que j'ay tousjours portée à feu monsieur l'admiral, vostre père, dont le zèle et piété qu'un chacun a recongneu en luy me fait honnorer la mémoire. Incontinent donc que j'ay receu vos lettres et celles que vous escriviez à monsieur l'électeur, j'ay esté les luy présenter, lequel a faict congnoistre les avoir bien agréables et vouloir son Exelence embrasser l'affaire dont luy faites requeste, avec une singulière affection; ce que vous pourra dire le gentilhomme qui l'est venu trouver de vostre part, à qui il a parlé de façon que je vous puis assurer que son Exelence est résolue à faire bientost la dépesche, tant pour madame l'admirale[58 - Jacqueline d'Entremont, que le duc de Savoie tenait alors en captivité. (Voir, sur ce point, notre publication intitulée Madame l'amirale de Coligny, après la Saint-Barthélemy. Br. in-8o, Paris, 1867.)], que pour vostre regard, telle que vous la pouvez desirer; ce que je ne fauldray de luy ramentevoir, si je congnois qu'il en soit besoin; comme aussy madame l'électrice m'a fait entendre estre en pareille volonté; en sorte que vous ne pouviez pas choisir un meilleur et plus favorable recours que celuy de leurs Exelences, qui sçavent peser les causes selon la droiture et équité, et ont tousjours les mains ouvertes pour donner ayde aux affligez. Je prie Dieu, Messieurs, de vous oster de ce nombre et bientost vous remettre en tel heur, bien et félicité, que vous vouldroit veoir celle de qui vous recevrez les affectionnées recommandations à vos bonnes grâces, et la tiendrez pour



    »Vostre affectionnée et meilleure amye,
    »Charlotte de Bourbon.
    »A Heydelberg, ce 12 mars.»

L'excellente et judicieuse princesse avait découvert promptement ce à quoi «elle pouvoit s'employer de bien grande affection». Elle réussit à concilier à ses jeunes correspondants la protection de Frédéric III et celle de l'électrice.

La réponse des deux frères à Charlotte de Bourbon fut celle de cœurs émus de reconnaissance. «Mademoiselle, disaient-ils[59 - Archives de M. le duc de La Trémoille (même indication que dans la note précédente).], la prompte et briefve expédition de nos affaires en la cour de monseigneur l'électeur nous est assez suffisant témoignage de la grande sollicitude et bonne vigilance qu'il vous a pleu prendre d'icelles; mais surtout les lettres qu'il vous a pleu nous escrire rendent la preuve si certaine de vostre charitable affection envers nous, que nostre ingratitude seroit la plus extrême qui fust oncq, si nous ne sentions à bon escient combien nous sommes obligez à recongnoistre par tous très humbles services, quand Dieu nous en donnera les moïens, le très grand bien et faveur que recevons de vous, mademoiselle, qui estes esmeue et incitée à nous bien faire, par la seule inclination naturelle d'une grande et vertueuse princesse, de laquelle vous estes partout merveilleusement recommandée. A ceste cause, mademoiselle, après vous avoir très humblement remercié du très grand bien et plaisir qu'avons promptement receu par vostre moïen, des sainctes consolations et vertueux enseignemens qu'il vous a pleu nous adresser par vos lettres, avec les offres tant honnestes et amyables, accompagnées d'une vifve démonstration de la charité chrestienne que pouvons espérer et attendre de vous, nous vous supplions très humblement, mademoiselle, nous faire cest honneur de croire que mettrons si bonne peine et diligence, avec la grâce de Dieu, à suivre le droit chemin de vertu et vraye piété, que toutes les contrariétés et grandes difficultés qui se présentent à nous, en ce bas âge, ne pourront nous en fermer le passage. Que si nostre bon Dieu, prenant compassion de notre calamité, comme avons bonne espérance qu'avec le temps il fera, nous relève de ceste oppression très dure, et qu'ayons moïen de vous faire très humble service, nous osons bien vous promettre, mademoiselle, que jamais n'aurés serviteurs plus humbles ni plus affectionnés pour recevoir et obéir à tous vos commandemens, quand il vous plaira les nous faire entendre; et sur ceste assurance d'avoir cest honneur que serons creus de vous, mademoiselle, nous supplions l'Eternel, nostre bon Dieu, qu'il luy plaise vous maintenir très longuement, mademoiselle, en très bonne santé et heureuse vie, pour servir à sa gloire et à la consolation et soulagement des pauvres affligez.



    »Vos très humbles et obéissans serviteurs,
    »Chastillon, Andelot.
    »De Basle, ce 1er juin 1573.»

Peu de temps après avoir donné, dans sa correspondance avec les fils de Coligny, une preuve de l'affectueux intérêt qu'elle prenait à leur situation, la princesse fut, en ce qui concernait l'atténuation des rigueurs imposées à la sienne par la dureté et l'avarice de son père, l'objet d'une démarche officielle que tentèrent auprès de Charles IX les ambassadeurs polonais venus en France, à l'occasion de l'élévation du duc d'Anjou au trône de leur patrie.

Ces ambassadeurs firent entendre au monarque devant lequel ils se présentaient d'énergiques paroles[60 - Mém. de l'Estat de France sous Charles IX, t. III, p. 6 à 15. – La Popelinière, Hist., t. II, liv. 36, fos 196, 197, 198. – Du Bouchet, Hist. de la maison de Coligny, p. 569.]. Après avoir réclamé en faveur des droits et des intérêts de la généralité des protestants français, ils dirent[61 - Mém. de l'Estat de France sous Charles IX, t. III, p. 8.]: «Nous conjoignons aussi à ces causes les requestes de beaucoup de princes d'Allemaigne et les larmes de tant de milliers de personnes qui, chassées de leur pays, sont en Allemaigne, Suisse et autres lieux, lesquelles ayant estimé que nostre intercession vaudroit beaucoup, en ce temps, envers Vostre Majesté, n'ont cessé, en présence, quand elles nous ont rencontrés, et par lettres, de nous prier et supplier d'employer toute la faveur et crédit que Dieu, par sa puissance et grâce nous donneroit, tant envers Vostre Majesté que nostre sérénissime esleu, à ce qu'il y ait paix en France, et que les innocens et affligés soient soulagés. Parquoy la pitié et les requestes de ceux auxquels nous n'avons pû ne dû refuser ce que nous pouvons en cest endroist, font que nous supplions Vostre Majesté que, selon sa royale clémence et bénignité envers les siens, il luy plaise pourvoir et remédier à une si longue et grande calamité d'armes civiles, par une équitable et très ferme paix.»

L'histoire atteste[62 - Mém. de l'Estat de France sous Charles IX, t. III, p. 14, 15.] «qu'outre ceste requeste pour ceux de la religion, ces nobles ambassadeurs en firent d'autres pour divers particuliers, de la part desquels ils en avoient esté suppliez, notamment pour mademoiselle de Bourbon, jadis abbesse de Jouarre, fille du duc de Montpensier, laquelle ayant quitté l'habit, s'étoit retirée en Allemaigne, chez l'Electeur palatin, où elle fut receue honorablement. Ce qu'ils demandoient pour elle estoit qu'il pleust au roy faire tant envers le duc de Montpensier, que sa fille eust de quoy s'entretenir selon le rang qu'elle devoit tenir, estant fille d'un prince du sang.»

Le généreux langage des ambassadeurs polonais se perdit dans le bruit des pompes et des fêtes par lesquelles seules la cour de France prétendait honorer leur présence; aucun droit ne fut fait à leurs légitimes demandes[63 - «Le roi, dit de Thou (Hist. univ., t. V, p. 6), éluda leurs demandes sous prétexte qu'elles n'intéressoient en rien la Pologne.»]], et une grande iniquité de plus vint ainsi s'ajouter à tant d'autres déjà commises.

L'électeur palatin, qui très probablement avait invité les ambassadeurs polonais à intercéder en faveur de Charlotte de Bourbon, donna-t-il à celle-ci, après l'échec de la démarche tentée par ces ambassadeurs vis-à-vis de Charles IX, le conseil de s'adresser directement à la reine mère? Il est permis de supposer que oui, quand on voit la jeune princesse, trop réservée pour se décider seule à entrer en rapports avec l'autorité souveraine, entretenir d'une affaire qui la concernait personnellement Catherine de Médicis, dans une correspondance que semble clore la lettre suivante[64 - Bibl. nat., mss., f. Colbert, Ve vol. 397, fo 947.]:

«Madame, d'aultant que l'estat de mon affaire dépend seulement de vostre grâce, j'ay prins, encores à ceste fois, la hardiesse de supplier très humblement Vostre Majesté d'en user envers moy, à qui vous laisserez un perpétuel devoir de prier Dieu qu'il vous conserve vostre santé, madame, en très heureuse et très longue vie. De Heidelberg, ce 8 novembre 1573.

»Vostre très humble et très obéissante subjecte et servante,



»Charlotte de Bourbon.»


Il y a lieu de croire que l'affaire dont il s'agissait dans cette lettre concernait la situation de la princesse vis-à-vis de son père.

Quoi qu'il en soit, rien ne changea encore dans les dispositions du duc à l'égard de Charlotte. Il persista à refuser de l'assister, à Heydelberg, et de recevoir d'elle la moindre communication. Son obstination demeurait telle, qu'elle ne fut même pas ébranlée par les démarches officieuses que la reine d'Angleterre chargea, à diverses reprises, ses ambassadeurs d'accomplir, en France, dans l'intérêt de la jeune princesse[65 - Calendar of state papers, foreign series: 1o The queen to Dr Valentin Dale, 3 février 1574; – 2o Dr Dale to the queen, 19 février 1574; – 3o Answer, 8 mars 1574; – 4o Instruction to lord North in special embassy to the French king, 5 octobre 1574.].

Sur ces entrefaites, arriva à Heydelberg, dans les derniers jours de l'année 1573, un homme pervers, pour lequel Charlotte de Bourbon éprouvait une répulsion que ne justifiait que trop, à ses yeux, le triple titre d'ennemi personnel de ses cousins, le roi de Navarre et le prince de Condé, d'insolent et vil auteur des infortunes domestiques de ce dernier, et de promoteur du meurtre de Coligny, ainsi que de tant d'autres personnages. Cet être dégradé était le duc d'Anjou, qui, élu roi de Pologne, s'acheminait alors vers Varsovie, en compagnie de plusieurs seigneurs[66 - Sa suite se composait du duc de Nevers, du duc de Mayenne, du marquis d'Elbeuf, de Jacques de Silly, comte de Rochefort, du comte de Chaunes, de Jean Saulx-Tavannes, vicomte de Lagny, de Louis P. de la Mirandole, de René de Villequier, de Gaspard de Schomberg, d'Albert de Gondi, maréchal de Retz, de Roger de Bellegarde, de Belville, de Jacques de Levi de Quélus, de Gordes, des frères de Balzac d'Entragues, et de plus de six cents autres Français, tous gentilhommes. Il y avait, en outre, Pomponne de Bellièvre qui suivait le prince en qualité d'ambassadeur de France à la cour de Pologne, Gui du Faur de Pibrac, Gilbert de Noailles et Vincent Lauro, évêque de Mondovi, ministre du pape. (De Thou, Hist. univ., t. V, p. 21.)], et ne pouvait se dispenser d'aller, avec eux, saluer l'électeur palatin. Une telle obligation lui pesait, car il devait nécessairement se trouver déplacé et mal à l'aise dans le milieu essentiellement honnête, digne et ferme qu'il allait aborder.

De même que l'électeur et l'électrice, Charlotte de Bourbon se résigna à subir la présence de l'odieux visiteur et de son entourage.

«Frédéric III, rapporte d'Aubigné[67 - Hist. univ., t. II, liv. II, ch. XIV.], averti des hôtes qui lui venoient, ne voulut point faire paroistre beaucoup de gens armez, pour bonne considération; et cela fut la première frayeur du roi de Pologne et des siens, qui estimoient les gens de guerre cachez pour leur faire un mauvais tour. Ce vieil prince n'oublia, à sa réception, rien d'honnesteté et aussi peu de sa gravité. Il mena ce roi pourmener dans une galerie de laquelle le premier tableau estoit celui de l'amiral de Coligny, le rideau tiré exprès. A cette vue, le palatin ayant vû changer de couleur son hoste, voilà, dit-il, le portrait du meilleur François qui jamais ait esté[68 - Rappelons ici ces belles paroles que, quelques années auparavant, Frédéric III avait adressées à l'amiral: «Gratulamur tibi quod, præ cæteris, posthabitis omnibus iis rebus quas mundus amat, suscipit et admiratur, totus in propagatione gloriæ Dei acquiescas; nec dubitamus quin Deus his tuis conatibus felicem et exoptatum successum sit daturus, quos nos arduis ad Christum precibus juvare non cessabimus.» (Lettre du 23 mai 1561, ap. Kluckhohn, Briefe Friederich des frommen, Kurfürsten von der Pfalz, 1868, in-8o, t. Ier, p. 179). – L'électeur palatin, Frédéric III, a rédigé, sur son entrevue à Heydelberg avec le roi de Pologne, un récit en allemand, qui a été imprimé dans un recueil intitulé: Monumenta pietatis et litteraria virorum in re publica et litteraria illustrium selecta, Francfort, 1701, in-4o, et que reproduit le tome IV des œuvres de Brantôme (édit. L. Lal.), à l'appendice, p. 412 et suiv.], et en la mort duquel la France a beaucoup perdu d'honneur et de sûreté; tesmoin les lettres qui furent trouvées en sa cassette, par lesquelles il instruisoit son roi des cautions qui lui estoient nécessaires au traitement des princes les plus proches, et de mesme pour les affaires d'Angleterre. Nous avons receu qu'on fit lire cet escrit à Mgr d'Alençon, vostre frère, et à l'ambassadeur d'Angleterre, en leur demandant: eh bien! étoit-ce là vostre bon ami, comme vous estimiez? on nous a encores dit que leur responce, bien que non concertée, fut pareille et telle: ces lettres ne nous assurent point comment il estoit nostre ami, mais elles monstrent bien qu'il estoit bon François. – Le roi de Pologne dit qu'il n'estoit point coulpable de ce qui s'estoit fait, et couppa court, induisant ceste remonstrance pour un affront.»

La sévère leçon que donna ainsi l'électeur était méritée: le royal meurtrier de Coligny s'en vengea, avec sa grossièreté accoutumée, en cherchant à blesser Frédéric III dans son affection pour Charlotte de Bourbon. Voici, en effet, ce que mentionne Michel de La Huguerye[69 - Mémoires, in-8o, 1877, t. Ier, p. 195, 196.], qui, à ce moment, se trouvait à Heydelberg:

«Une chose me feist esmerveiller, que le roy (de Pologne), ayant veu et salué mademoiselle de Bourbon comme les aultres, quand ce fut au partir, il ne luy feist jamais aucun présent, comme il feist à toutes les aultres, bien qu'il veist l'affection dudit sieur électeur envers elle, dont il luy recommanda les affaires; et, s'il se contraignoit en aultre chose, il se pouvoit bien accommoder à la gratifier de quelque peu, pour le respect dudit sieur électeur, qui en fut fort marry et deist depuis que, s'il eust crû cela, il se feust esloigné de Heydelberg, à son passage.»

Quant à la princesse, trop haut placée dans l'estime générale, pour se sentir, un seul instant, atteinte par un mauvais procédé du méprisable roi qu'elle venait d'avoir sous les yeux, elle ne songea qu'à applaudir, avec toute l'énergie de son cœur de chrétienne et de Française, à la leçon qu'il avait reçue de l'électeur, et qu'à remercier ce généreux protecteur de la nouvelle preuve de bonté qu'il lui accordait, en considérant, dans sa paternelle susceptibilité, comme faite à lui-même, l'offense calculée, qui ne s'adressait qu'à elle, et qu'au surplus, ajoutait-elle, il n'y avait qu'à dédaigner.

Après un tel précédent, la princesse ne put que sourire de l'aplomb avec lequel le roi de Pologne, devenu roi de France, fit appel à l'amitié qu'il prétendait exister entre l'électeur et lui, et vouloir resserrer, en écrivant, de Cracovie, le 15 juin 1574[70 - Kluckhohn, Briefe Friedrichs des frommen, t. II, p. 694.] à Frédéric III: «Mon cousin, puisqu'il a pleu à Dieu, en disposant du feu roy, mon frère, me faire légitime héritier et successeur de sa couronne, j'espère l'estre aussy de l'amitié dont vous l'avez aymé, et que j'aurai maintenant tout seul ce qui estoit départy entre luy et moy: toutefois, pour ce que je le désire ainsy, et afin qu'elle soit perpétuelle, je vous prie croire que vous pouvez attendre de moy autant de bonne volonté et affection en vostre endroit, que je vous en ay moy-mesme promis, passant par vostre maison.»

Quelques mois après le séjour du roi de Pologne à la cour de Frédéric III, Charlotte de Bourbon eut inopinément la satisfaction d'apprendre que son cousin le prince de Condé, dont la position, depuis près de deux ans, la tenait dans l'anxiété, se trouvait en Alsace, et qu'il se rendrait prochainement à Heydelberg.

Ce fils de Louis Ier de Bourbon et d'Eléonore de Roye avait, en août 1572, au Louvre, fait preuve d'énergie, en réponse à ces trois mots, «messe, mort, ou Bastille,» que Charles IX, dans un accès de fureur, lui avait jetés à la face; et si, plus tard, par une défaillance regrettable, il s'était prêté, pour la forme, à conférer avec l'apostat Sureau du Rosier; s'il avait même plié sous la main de ses oppresseurs, jusqu'au point de déserter extérieurement sa foi, ce n'avait été qu'en se réservant, au fond du cœur, le droit de désavouer, un jour, avec éclat, une abjuration que la contrainte seule lui avait imposée. Sans doute, quelque formel que pût être, à cet égard, un désaveu ultérieur, il n'en devait pas moins laisser subsister la tache du coupable pacte de conscience qui l'avait précédé; mais il est juste de reconnaître, à l'honneur de Condé, que, sans prétendre d'ailleurs effacer cette tache indélébile, il aspirait avec ardeur à se relever de sa chute, et comptait, pour y réussir, sur la miséricorde et les directions providentielles de Dieu.

Dans les premiers mois de l'année 1574, Charlotte de Bourbon passa de l'anxiété à l'espérance, lorsqu'elle vit venir enfin, pour ce jeune prince, le jour d'un relèvement digne de lui et du nom qu'il portait.

Les faits, sur ce point, parlaient d'eux-mêmes.

En un an, de 1572 à 1573, les protestants français, qu'on croyait d'abord perdus sans retour, avaient relevé la tête; La Rochelle, Nîmes, Montauban, Sancerre et d'autres villes encore avaient tenu en échec les troupes royales; la cour s'était résignée à certaines concessions inscrites dans le traité dit de La Rochelle, concessions envisagées bientôt comme insuffisantes par les assemblées de Milhau, de Montauban et de Nîmes, qui, en les répudiant, avaient élevé, dans une série d'articles que leurs députés présentèrent au roi, des revendications dont l'étendue et la hardiesse effrayèrent Catherine de Médicis elle-même.

Cette étendue et cette hardiesse étaient parfaitement justifiées par la gravité des circonstances.

Il avait fallu composer avec des adversaires comptant désormais non seulement sur leurs propres forces, mais en outre sur l'appui que leur prêtait le parti des politiques, ayant à sa tête les Montmorency et Cossé. La question d'une pacification avait été vainement agitée: la mauvaise foi et l'insatiable ambition de la reine mère avaient mis obstacle à sa solution, et provoqué, de la part des mécontents, un mouvement dont ils espéraient que le duc d'Alençon, le roi de Navarre et Condé prendraient la direction. Les deux premiers de ces princes ayant échoué, en mars 1574, dans une tentative d'évasion, étaient retenus à la cour, en une sorte de captivité, tandis que les maréchaux de Montmorency et de Cossé demeuraient incarcérés à la Bastille. La formation en Normandie, en Poitou, en Dauphiné et en Languedoc de divers corps d'armée destinés à agir contre les protestants et leurs alliés venait d'être ordonnée, et un nouveau conflit allait s'engager.

Ce fut alors que Condé ayant, en avril, par une fuite que tout légitimait, recouvré sa liberté d'action, rompit avec la cour et se posa résolument, vis-à-vis d'elle, en défenseur des opprimés.

De la Picardie, où il était en tournée, comme gouverneur titulaire de cette province, il réussit à gagner le territoire du duché de Bouillon, fut rencontré, entre Sedan et Mouzon par Duplessis-Mornay, qui l'accompagna jusqu'à deux lieues au delà de Juvigny[71 - Mém. de Mme Duplessis-Mornay, édit. de 1824, t. Ier, p. 80. —Histoire de la vie de messire Philippe de Mornay, Leyde, 1647, in-4o, p. 28.], et finalement il arriva à Strasbourg, avec l'un des Montmorency, Thoré.

A son arrivée dans cette ville, il fit publiquement, en l'église des Français[72 - «Condœus prœsens nuper publice processus est, in ecclesia gallica quæ est Argentorati, se gravissime Deum in eo offendisse, quod post illam parisiensem stragem, metu mortis, ad sacra pontificia accesserit, et petiit à Deo et ab ecclesia ut id sibi ignosceretur.» (Huberti Langueti Epist., lib. Ier, p. 19, 24 junii 1574.)], profession de son retour à la religion réformée, jura d'en soutenir, à l'exemple de son père, les sectateurs contres leurs adversaires, et il informa les églises tant du Languedoc, que d'autres provinces, de l'engagement solennel qu'il venait de contracter.

Préoccupé du soin de réunir les ressources nécessaires à la levée des troupes destinées à composer une armée qui pût, un jour, marcher au secours des réformés français, il rechercha, sous ce rapport, des appuis en Suisse, en Allemagne, et spécialement le concours de l'électeur palatin, auprès duquel il se rendit en mai[73 - Lettre de Guillaume Ier, prince d'Orange, au comte Jean de Nassau, du 7 mai 1574. (Groen van Prinsterer, Correspondance de la maison d'Orange-Nassau, 1re série, t. IV, p. 385.) – Cette lettre, dans laquelle Guillaume parle de l'arrivée de Condé à Heydelberg, contient ce passage remarquable: «Il nous faut avoir cette assurance que Dieu n'abandonnera jamais les siens; dont nous voyons maintenant si mémorable exemple, en la France, où, après si cruel massacre de tant de seigneurs, gentilshommes et autres personnes de toutes qualitez, sexe et aage, et que chacun se proposoit la fin et une entière extirpation de tous ceux de la religion, et de la religion mesme, nous voyons ce néantmoins qu'ils ont de rechef la teste eslevée plus que jamais.»]] et en juillet.

L'accueil qu'à Heydelberg Charlotte de Bourbon fit à son cousin fut naturellement des plus expansifs. On se représente aisément la joie qu'elle éprouva à nouer avec Henri de Bourbon des entretiens dont la franche intimité atténua momentanément, pour elle comme pour lui, les rigueurs de l'expatriation.

Condé dut bientôt quitter le Palatinat, revenir à Strasbourg et de là aller se fixer, pour plusieurs mois, à Bâle, résidence qui, mieux que toute autre, pouvait faciliter ces communications simultanées avec la France, la Suisse, l'Alsace et l'Allemagne.

Du fond de sa retraite d'Heydelberg, Charlotte de Bourbon s'associait, de cœur, à l'existence que menaient, au loin, sa sœur aînée et son beau-frère, aux relations qu'ils soutenaient avec autrui, au bien qu'ils faisaient, à leurs joies, à leurs épreuves, à la sollicitude dont ils entouraient leurs enfants. Les circonstances ne lui ayant pas permis de se fixer à Sedan, comme elle en avait eu le vif désir, en quittant Jouarre, elle cherchait du moins à se rapprocher d'eux, en pensée, à titre de sœur aimante et dévouée.

Elle savait que, surtout depuis 1572, se manifestait, au point de vue de la large hospitalité accordée aux réfugiés français, une véritable similitude entre Heydelberg et Sedan, et que dans cette dernière ville se trouvait une jeune femme française d'une haute distinction, Mme veuve de Feuquères[74 - Charlotte Arbaleste de La Borde, veuve de Jean de Pas, seigneur de Feuquères. Elle était en 1572, âgée de vingt-deux ans.], qui, ayant échappé au massacre de la Saint-Barthélemy, était, ainsi qu'elle se plaisait à le dire[75 - Mém. de Mme de Mornay, édit. de 1824, t. Ier, p. 71.], «receue avec beaucoup d'honneur et d'amytié par M. le duc et Mme la duchesse de Bouillon.» La princesse savait, de plus, qu'à Sedan se trouvait également un jeune Français singulièrement recommandable par la noblesse de ses sentimens et par la rare maturité de son caractère, Philippe de Mornay, seigneur du Plessis, Marly, etc., etc., investi de la confiance du duc et de la duchesse, dont il avait conquis l'affection[76 - Philippe de Mornay, en 1572, était âgé de vingt-trois ans.]; qu'il soutenait d'excellents rapports, avec nombre de personnes notables de la ville et du dehors; «qu'il étoit aussi visité journellement de plusieurs ministres et autres gens de lettres; et qu'il ne se passoit affaires, tant pour les troubles de France et la cause de la religion, que pour l'estat particulier de M. de Bouillon, qui ne luy feust communiqué[77 - Mém. de Mme de Mornay, édit. de 1824, t. Ier, p. 82.].»

Charlotte de Bourbon, connaissant les liens étroits qui attachaient à sa sœur et à son beau-frère Mme de Feuquères et Philippe de Mornay, se félicitait de leur présence à Sedan, et se reposait sur eux du soin de continuer à assister de leur affection et de leur dévouement ces deux membres de sa famille qui lui étaient particulièrement chers.

Vers la fin de l'année 1574, elle eut la douleur de voir brisé pour toujours le bonheur domestique de sa sœur, par la mort du duc de Bouillon[78 - Henri-Robert, duc de Bouillon, mourut le 2 décembre 1574. Il eut pour successeur Guillaume-Robert, son fils aîné, âgé de douze ans.].

Un fait qui précéda de bien peu les derniers moments de ce prince, demeurera dans l'histoire comme un titre d'honneur indissolublement attaché à sa mémoire, ainsi qu'à celle de sa fidèle et courageuse compagne. Voici ce fait, tel que Mme de Feuquères le consigna dans ses Mémoires[79 - Mém. de Mme de Mornay, édit. de 1824, t. Ier, p. 84, 85. – Voir aussi l'Histoire de la vie de messire Philippe de Mornay, Leyde, in-4o.], alors qu'elle était devenue Mme de Mornay:

«Tout cest hyver M. de Bouillon ne feit que languir et traisner; et estoit tout commun qu'il ne pouvoit reschapper, et qu'il avoit esté empoisonné au siège de La Rochelle. Cependant Mme de Bouillon, sa mère, l'estoit venu voir, et craignoit-on fort que, survenant la mort de M. de Bouillon, son filz, elle se saisist du chasteau de Sedan, attendu mesmes que plusieurs avoient mauvaise opinion du sieur des Avelles, qui en estoit gouverneur. L'église de Sedan estoit belle par le nombre des réfugiés. M. Duplessis (Ph. de Mornay), qui en prévoyoit avec beaucoup de gens la dissipation, après avoir tenté plusieurs et divers moyens, s'avisa d'en communiquer avec le sieur de Verdavayne, mon hoste, médecin de mondit seigneur de Bouillon, homme fort religieux et zélé. Ilz prinrent résolutions que le sieur de Verdavayne déclareroit à Mme de Bouillon, sa femme, qui estoit lors en couche, l'extrême maladie de M. de Bouillon, son mary, et le danger qu'il y avoit, en cas qu'il pleust à Dieu de l'appeler, que madame sa belle-mère, qui estoit fort contraire à la religion[80 - Elle était fille de Diane de Poitiers, et avait hérité de la haine de celle-ci contre les protestants, ainsi que de l'âpre cupidité qui la poussait à s'enrichir de leurs dépouilles.], par le moyen du sieur des Avelles, ne se saisist de la place, pour en faire selon la volonté du roy[81 - On voit par là que Mme de Bouillon mère était de la même école que le duc de Montpensier, et qu'elle n'avait pas plus de ménagements pour son fils, que Louis de Bourbon II n'en avait pour sa fille aînée; car, si la duchesse de Bouillon était exposée aux obsessions tenaces de son père, en matière religieuse, le duc de Bouillon, de son côté, avait à redouter et à déjouer les coupables manœuvres de sa mère, hostile à la religion réformée qu'il professait, et, par voie de conséquence, aux droits dont il était investi, dans l'étendue de son duché.]. – Elle, après l'avoir ouy, toute affligée qu'elle estoit, se délibéra d'en escrire à M. de Bouillon qui estoit en une autre chambre, lequel, après avoir veu sa lettre, la voulant voir pour en communiquer avec elle, elle se feit doncq porter en sa chambre, et après résolution prise entr'eux, fut reportée en son lict. – Le lendemain M. de Bouillon envoyé quérir ses plus confidens, particulièrement fait prier M. Duplessis de s'y trouver, et avec eux esclarcit les moyens d'effectuer sadicte résolution; puis appelle tous ceux de son conseil et les principaux de sa maison, et leur déclare que, pour certaines causes, M. des Avelles ne pouvoit plus exercer sa charge, et pour ce, sur-l'heure mesme, luy ayant demandé les clefz, les mit ès mains de MM. Duplessis, de La Laube, d'Espan, d'Arson, et de La Marcillière, conseiller au grand conseil, pour, appelés les officiers et gardes du chasteau, leur déclarer l'intention dudict seigneur duc de Bouillon, et les remettre ès mains dudict sieur de la Lande, lieutenant de sa compagnie. – Ainsi, ceste place forte fut asseurée, et le sieur des Avelles s'en partit dans vingt-quatre heures; et, deux jours après, mourut M. de Bouillon fort chrestiennement, remettant madame sa femme, messieurs ses enfans, et son estat soubs la conduite de Dieu; et y demeurasmes, nonobstant sa mort, non moins paisiblement que auparavant.»

Plus Charlotte de Bourbon était attachée à la duchesse, sa sœur, plus elle souffrait de la voir, jeune encore, vouée au veuvage, sans rencontrer dans la famille de son mari, pour elle et ses enfants, l'appui et la sympathie que sa position et la leur commandaient. Aussi, éprouva-t-elle un allègement à ses préoccupations fraternelles, en acquérant la conviction que la duchesse pouvait compter du moins sur le concours de l'électeur palatin, auquel le duc de Bouillon avait confié, ainsi qu'au duc de Clèves, l'exécution de ses dernière volontés, et sur le dévouement à toute épreuve de Mme de Feuquères et de Philippe de Mornay.

Avec l'année 1575 allait s'ouvrir, pour Charlotte de Bourbon, la phase la plus solennelle de sa vie, que feront connaître les développements qui vont suivre.




CHAPITRE III




Impression produite par Charlotte de Bourbon sur Guillaume de Nassau. – Résumé de la vie de ce prince jusqu'à la fin de l'année 1574. – Il demande la main de Charlotte de Bourbon. Mission de Marnix de Sainte-Aldegonde à cet égard. – Réponse de Charlotte. – La demande du prince est définitivement accueillie. – Lettre de Zuliger à ce sujet. – Le prince, ne pouvant s'absenter des Pays-Bas, confie à Marnix de Sainte-Aldegonde le soin de se rendre à Heydelberg et de s'y tenir à la disposition de Charlotte de Bourbon pour l'accompagner dans le voyage qu'elle doit entreprendre. – La jeune princesse se dirige, avec Marnix de Sainte-Aldegonde, vers Embden, où l'attendent des vaisseaux de guerre destinés à protéger son trajet par mer jusqu'à l'une des côtes des Provinces-Unies. —Résolutions des états de Hollande à l'occasion de la prochaine arrivée de Charlotte de Bourbon. – La princesse arrive à La Brielle, où son mariage avec Guillaume de Nassau est célébré le 12 juin 1575. – Les nouveaux époux se rendent de La Brielle à Dordrecht. – Chaleureux accueil qu'ils reçoivent dans ces deux villes. – Chant composé en leur honneur.


Femme d'élite, au noble sens de ce mot, Charlotte de Bourbon alliait à une foi vivante le double apanage de la supériorité du cœur et de celle de l'esprit. La dignité personnelle rehaussait, en elle, le charme d'une beauté morale et physique[82 - De Thou (Hist. univ., t. V, p. 166) dit en parlant de Charlotte de Bourbon: «C'estoit une princesse d'une grande beauté et de beaucoup d'esprit.» – Un autre écrivain dit: «Si le visage de cette princesse avoit de la sérénité et de la majesté, tout ensemble et des grâces non communes, son esprit avoit encore plus de beauté, et ses vertus, des attraits indicibles. (Mémoires sur la vie et la mort de la sérenissime princesse Louyse-Julianne, Electrice palatine, Leyde, 1625, 1 vol. in-4o.)], qui se reflétait dans la grâce de son langage et l'affabilité de ses manières. Aimante et douce, avant tout; d'autant plus compatissante, qu'elle avait profondément souffert; énergique et fidèle dans l'expansion de son dévouement à la cause des faibles et des infortunés de tout genre; associant à la générosité de sentiments la justesse et l'élévation d'idées, à la fermeté de convictions la rectitude d'actions et de paroles; sympathique enfin à tout ce qui était juste, salutaire et grand, elle exerçait sur quiconque avait accès auprès d'elle l'irrésistible ascendant par lequel se caractérise, dans la délicate sérénité d'une âme chrétienne, l'empire de la véritable bonté.

Aussi, de quels vœux sincères n'était-elle pas l'objet, à Sedan, à Heydelberg et ailleurs, de la part de toute âme qui, unie à la sienne par les liens de l'amitié ou de la gratitude, se préoccupait du soin de son bonheur! On ne se bornait pas à désirer que, affranchie désormais d'une situation isolée et dépendante, elle occupât, dans les hautes régions de la société, le rang dont, à tous égards, elle était digne; on aspirait surtout à voir son cœur aimant et dévoué s'épanouir dans les saintes affections de la famille, à un foyer domestique dont elle serait l'honneur et l'égide.

Nul, dans le secret de ses émotions et de ses pensées, sous le poids d'une existence douloureusement solitaire, n'aspirait avec plus d'ardeur au changement de situation de la jeune princesse, qu'un homme éminent, dont elle avait naguères, à Heydelberg même, fortement impressionné le généreux cœur par l'attrait de ses vertus et de ses rares qualités, aussi bien que par la grandeur de son infortune et par la dignité avec laquelle elle la supportait. Cet homme était Guillaume de Nassau, prince d'Orange, l'illustre fondateur de la république des provinces unies des Pays-Bas[83 - Durant les premiers mois de l'année 1572, Guillaume de Nassau séjourna en Allemagne, et tout particulièrement à Dillembourg, ainsi que le prouvent plusieurs de ses lettres datées de cette ville, il s'occupait d'organiser une armée, à la tête de laquelle il marcherait au secours de son frère Louis, qui se trouvait alors aux prises, dans le Hainaut, avec les forces espagnoles. Voulant, au sujet de l'expédition qu'il préparait, se concerter avec l'électeur palatin, il se rendit à Heydelberg, et ce fut très probablement alors qu'à la cour de ce prince il vit Charlotte de Bourbon. M. Groen van Prinsterer (Corresp. de la maison d'Orange-Nassau, Ire série, t. V, p. 113) se rapproche de notre opinion, sur ce point. Il en est de même de J. Van der Aa, dans l'ouvrage intitulé: Biographisch Woordenboek der Nederlanden, 1858, in-fo, Derde Deele, V. Charlotte de Bourbon.].

Quelle avait été la vie, soit privée, soit publique de ce prince, jusqu'à la fin de l'année 1574, et dans quelles circonstances nourrissait-il le désir d'unir son sort à celui de Charlotte de Bourbon? c'est ce qu'il importe de préciser, au moins sommairement.

Fils de Guillaume le Riche et de Julie de Stolberg, femme d'une profonde piété, Guillaume Ier, de Nassau, dit le Taciturne naquit, en 1533, au château de Dillembourg.

Il tenait de son père, à titre héréditaire, des domaines situés dans les Pays-Bas, et de René de Nassau, son cousin, la principauté d'Orange enclavée dans le territoire de la France.

Élevé à Bruxelles et attaché comme page à la personne de Charles-Quint, il sut si bien, grâce à une rare pénétration d'esprit et à une grande droiture de caractère, se concilier la faveur et l'affection de ce monarque, que, dès l'âge de quinze ans, il devint en quelque sorte son confident.

A dix-huit ans, il épousa la plus riche héritière des Pays-Bas, Anne d'Egmont, fille de Maximilien, comte de Buren.

A vingt et un ans, il fut appelé par l'empereur, en l'absence du duc de Savoie, au commandement en chef de l'armée qui occupait alors la frontière de France.

Quand se tint, à Bruxelles, en 1555, la séance solennelle de l'abdication, ce fut en s'appuyant sur l'épaule de Guillaume de Nassau, que Charles-Quint se présenta à l'assemblée qu'il avait convoquée.

Le jeune favori fut chargé de remettre à Ferdinand la couronne impériale.

En 1558, Anne d'Egmont mourut, laissant deux enfants, Philippe-Guillaume et Marie, issus de son union avec le jeune prince.

Après avoir pris une large part aux opérations militaires dont la Picardie fut le théâtre en 1557 et 1558, et aux négociations qui aboutirent, en 1559, au traité de paix du Cateau-Cambrésis, Guillaume de Nassau vint en France avec le duc d'Albe.

A la mission que ce duc devait accomplir auprès de la jeune princesse accordée en mariage à Philippe II, s'ajoutait une mission secrète, celle de se concerter avec Henri II, sur les moyens à employer pour procéder en France, parallèlement à la marche qui serait suivie en Espagne et dans les Pays-Bas, à l'extermination des protestants. Satisfait des entretiens qu'il avait eus avec le duc d'Albe, Henri II en fit part à Guillaume de Nassau, qui, encore dépourvu de convictions religieuses précises, mais du moins ennemi décidé de toute intolérance et de toute persécution, se disait catholique, et ne l'était que de nom[84 - «Quant à ceux qui avoient la cognoissance de la religion, je confesse que je ne les ai jamais haïs, car, puisque, dès le berceau, j'y avois été nourri, monsieur mon père y avoit vécu, y estoit mort, ayant chassé de ses seigneuries les abus de l'Eglise, qui est-ce qui trouvera estrange si ceste doctrine estoit tellement engravée en mon cœur et y avoit jecté telles racines, qu'en son temps elle est venue à apporter ses fruicts? Car combien, pour avoir esté, si longues années, nourri en la chambre de l'empereur, et estant en âge de porter les armes, que je me trouvai aussitôt enveloppé de grandes charges ès armées, pour ces raisons, dis-je, et veu le peu de bonne nourriture, quant à la religion, que nous avions, j'avois lors plus à la teste les armes, la chasse et autres exercices de jeunes seigneurs, que non pas ce qui estoit de mon salut: toutefois, j'ai grande occasion de remercier Dieu, qui n'a pas permis ceste sainte semence s'étouffer, qu'il avoit semée luy-mesme en moy; et dis dadvantage, que jamais ne m'ont plû ces cruelles exécutions de feux, de glaive, de submersions, qui estoient pour lors trop ordinaires à l'endroit de ceux de la religion.» (Apologie de Guillaume de Nassau, prince d'Orange, contre l'édict de proscription publié en 1580 par Philippe II, roi d'Espagne, Bruxelles et Leipzig, 1 vol. in-8o, p. 87, 88.)]. Ému d'indignation, à l'ouïe du langage de Henri, Guillaume toutefois se contint si bien, qu'il dut, en partie, son surnom de Taciturne[85 - Loin d'être taciturne, il se montrait au contraire si bien doué d'expansion et d'affabilité, qu'on a dit de lui: «C'étoit un personnage d'une merveilleuse vivacité d'esprit… jamais parole indiscrète ou arrogante ne sortait de sa bouche par colère, ni autrement; mesmes si aulcuns de ses domestiques luy faisoient faulte, il se contentoit de les admonester gracieusement, sans user de menaces ou propos injurieux; il avoit la parole douce et agréable, avec laquelle il faisoit ploïer les aultres seigneurs de la court, ainsy que bon luy sembloit; aimé et bien voulu sur tous aultres, pour une gracieuse façon de faire, qu'il avoit, de saluer, caresser, et arraisonner familièrement tout le monde.» (Mémoires de Pontus Payen, Bruxelles, Leipzig et Gand, 1861, in-8o, t. Ier, p. 42). – On lit dans un récit manuscrit, intitulé: Troubles des Pays-Bas (Bibl. nat., mss., f. fr., vol. 24.179): «Quand Guillaume de Nassau parloit, sa conversation étoit séduisante; son silence même étoit éloquent; on pouvoit lui appliquer le proverbe italien: Tacendo parla, parlando incanta.»]] a l'impertubable sang-froid dont il fit preuve en cette circonstance, au sujet de laquelle il a écrit[86 - Apologie précitée, p. 88.]: «Je confesse que je fus lors tellement esmeu de pitié et compassion envers tant de gens de bien qui estoient vouez à l'occision, que dès lors j'entrepris, à bon escient, d'aider à faire chasser cette vermine d'Espaignols hors de ces païs.» Ce fut ainsi que la vocation du Taciturne comme futur fondateur de l'indépendance des provinces unies des Pays-Bas, et comme promoteur de la liberté religieuse au sein de ces provinces, se décida soudainement, en France, aux côtés et à l'insu du royal oppresseur des chrétiens évangéliques.

Revenu à Bruxelles, Guillaume fut douloureusement affecté par la mort de son père[87 - Il existe une touchante lettre de lui sur ce grave sujet (Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. Ier, p. 47. Lettre du 15 octobre 1559, datée de Bruxelles). On y rencontre l'expression des louables sentiments qui l'animaient comme fils et comme frère, et auxquels il demeura fidèle.].

Sous l'influence de l'émotion que lui avait récemment causée le langage du roi de France, il souleva, dans les Pays-Bas, une vive opposition à la présence des troupes espagnoles; et, sans partager encore les convictions religieuses des protestants, il se prit cependant de compassion pour eux, et résolut de les soustraire aux persécutions. Il y réussit maintes fois, notamment lorsque, chargé, en qualité de stathouder de Hollande, de Zélande et d'Utrecht, de faire châtier et périr une foule d'innocents, il leur ménagea des moyens d'évasion; croyant en cela «qu'il valoit mieux obéir à Dieu qu'aux hommes[88 - Apologie précitée, p. 109.]».

Des circonstances politiques auxquelles se subordonnait, malheureusement pour lui, le soin de ses intérêts privés, l'amenèrent à contracter, en 1561, une nouvelle alliance avec Anne de Saxe, fille du célèbre électeur Maurice, mort depuis quelques années. De cette union naquirent un fils, Maurice, et deux filles, Anne et Émilie.

La marche des événemens ayant, d'année en année, aggravé la situation générale des Pays-Bas, Guillaume de Nassau provoqua, avec d'autres seigneurs, le renvoi du cardinal Granvelle, comme troublant ces pays par sa désastreuse administration.

On vit alors le prince se consumer en de longs efforts dans une lutte engagée contre la politique persécutrice de Philippe II, et s'attacher à apaiser la fermentation des esprits justement indignés.

Quand, pour opprimer les populations et les livrer en proie aux horreurs de l'inquisition, le duc d'Albe se dirigea vers les Pays-Bas, à la tête d'une armée, Guillaume écrivit à Philippe qu'il se démettait de toutes ses charges et se retirait dans le comté de Nassau.

Sommé de comparaître devant le conseil des troubles, surnommé le conseil de sang, il répondit par un refus formel de se soumettre à cette juridiction monstrueuse, qui aussitôt fulmina contre lui une condamnation, et il proclama hautement que les Espagnols voulaient, à force d'excès, pousser les Pays-Bas à la révolte, afin de les décimer par une répression sanguinaire.

En concours avec le conseil de sang agissait le saint-office qui, aux termes d'une sentence du 16 février 1568, confirmée par décision royale du 26 du même mois, condamna à mort tous les habitans des Pays-Bas, à titre d'hérétiques[89 - J. – F. Lepetit, la Grande chronique de Hollande, Zélande, etc., in-fo, t. II, p. 174, 175, 176.]. La cruauté se confondait ainsi, chez les persécuteurs, avec le délire.

Le jeune comte de Buren, fils aîné de Guillaume, fut arraché à l'université de Louvain et entraîné en Espagne.

Atteint ainsi comme père, proscrit, dépouillé de ses biens par voie de confiscation, mis hors la loi, mais fort de sa conscience, de son patriotisme et de sa sympathie pour la cause de la réforme, dont il faisait désormais sa propre cause, Guillaume s'érigea résolument, contre la tyrannie, en défenseur des droits de la nation et des sectateurs de la religion réformée, à laquelle il déclarait expressément adhérer.

Ce fut là plus qu'un pas décisif dans sa carrière: ce fut un acte d'une immense portée; car la foi chrétienne, en s'emparant alors de son âme, lui imprima une direction suprême et le doua d'une indomptable énergie dans l'accomplissement des devoirs ardus qui s'imposaient à lui.

Bientôt il leva, à ses frais, une armée en Allemagne, et la fit entrer en Frise sous le commandement de son frère, Louis de Nassau, qui, quels que fussent ses valeureux efforts, essuya une défaite.

Sans se laisser décourager par cet insuccès, Guillaume leva, toujours à ses frais, une autre armée, à la tête de laquelle il entra dans le Brabant, mais sans réussir à attirer le duc d'Albe au combat.

Suivi par douze cents hommes qu'il s'était réservés, et accompagné de ses frères Louis et Henri, il se joignit au duc de Deux-Ponts, qui s'avançait en France, au secours des réformés, y prit part à divers combats, et ne se retira momentanément dans le comté de Nassau que pour y préparer, en faveur des Pays-Bas, une nouvelle levée de troupes.

Le conseil que l'amiral de Coligny donna alors à Guillaume d'organiser un armement maritime fut éminemment utile à ce courageux chef; car, avec l'appui des gueux de mer, plus heureux dans leurs entreprises que ne l'avaient été jusque-là les gueux de terre, il s'assura la possession de la Hollande et de la Zélande, dont les états le reconnurent pour leur gouverneur.

De leur côté, les villes de la Gueldre, d'Overyssel, de la province d'Utrecht, et les plus importantes d'entre celles de la Frise, ne tardèrent pas à se ranger sous l'autorité du prince.

La prolongation de la lutte contre d'implacables ennemis nécessitait, de la part de Guillaume, un redoublement d'énergie.

Vainqueurs en Hainaut, les Espagnols se reportèrent sur les provinces que gouvernait le prince, et se ruèrent successivement sur trois villes, Harlem, Alckmaar et Leyde, à la défense desquelles il dut pourvoir.

Harlem, après une résistance héroïque, tomba au pouvoir des assiégeants. Loin de plier sous le poids de ce douloureux événement, Guillaume écrivit à son frère Louis[90 - Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. IV, p. 175. Lettre du 22 juillet 1573.]: «J'avois espéré vous envoyer de meilleures nouvelles; cependant, puisqu'il en a plû autrement au bon Dieu, il faut nous conformer à sa divine volonté. Je prends ce même Dieu à témoin que j'ai fait, suivant mes moyens, tout ce qui étoit possible pour secourir la ville.»

Alkmaar étant, à quelque temps de là, investie, que n'avait pas à redouter Guillaume, en s'efforçant d'en soustraire les habitants aux horreurs d'un siège! Les anxiétés de son lieutenant Dietrich Sonoy, à cet égard, étaient grandes; le prince les dissipa par ces simples paroles[91 - P. Bor, Historie der Nederlandtsche Oorlogen, Seste Boek, p. 447, 448, 9 Augusti 1573.]: «Puisque malgré nos efforts, il a plû à Dieu de disposer de Harlem selon sa divine volonté, renierons-nous pour cela sa sainte parole? Le bras puissant de l'Éternel est-il raccourci? Son église est-elle détruite? Vous me demandez si j'ai conclu quelque traité avec des rois et de grands potentats: je vous réponds qu'avant de prendre en main la cause des chrétiens opprimés dans les provinces j'étois entré dans une étroite alliance avec le roi des rois, et je suis convaincu qu'il sauvera par son bras tout-puissant ceux qui mettront en lui leur confiance. Le Dieu des armées suscitera des armées afin que nous puissions lutter contre ses ennemis et les nôtres.»

Quelle foi que celle du héros chrétien et de tant d'êtres opprimés qui, comme lui, s'attendaient à l'Éternel! Aussi, des prodiges d'abnégation et de courage furent-ils, de même qu'à Harlem accomplis à Alkmaar. Redoutant un désastre final, les Espagnols se virent contraints de lever le siège de cette seconde place.

Bientôt ils entreprirent celui de Leyde.

Guillaume comptait, pour être secondé dans ses combinaisons relatives à la défense de cette ville, sur un corps d'armée que son frère Louis lui amenait d'Allemagne; mais ce corps fut défait à Mookerheyde, dans un combat où Louis et Henri de Nassau perdirent la vie. Déjà un autre frère de Guillaume, le comte Adolphe de Nassau, avait trouvé la mort, en 1558, à la bataille de Heyligerlée.

Frappé au cœur par la mort de ses trois frères, dont l'un surtout, Louis, avait été pour lui constamment un appui précieux, le prince ne se laissa pourtant pas abattre[92 - Il écrivait au comte Jean de Nassau, à propos de la mort de Louis et de Henri: «Je vous confesse qu'il ne m'eust sçeu venir chose à plus grand regret; si est-ce que tousjours il nous faut conformer à la volonté de Dieu et avoir esgard à sa divine providence, que celui qui a respandu le sang de son fils unique, pour maintenir son église, ne fera rien que ce qui redondera à l'avancement de sa gloire et maintenement de son église, oires qu'il semble au monde chose impossible. Et combien que nous tous viendrions à mourir, et que tout ce pauvre peuple fust massacré et chassé, il nous faut toutefois avoir cette asseurance, que Dieu n'abandonnera jamais les siens, dont voyons maintenant si mémorable exemple en la France, où après si cruel massacre de tant de seigneurs, gentilshommes et autres personnes de toutes qualitez, sexe et âge, et que chacun se proposoit la fin et une entière extirpation de tous ceux de la religion, et de la religion mesme, nous voyons ce néantmoins, qu'ils ont derechef la teste eslevée plus que jamais, se trouvant le roy en plus de peines et fascheries que oncques auparavant, espérant que le seigneur Dieu, le bras duquel ne se raccourcit point, usera de sa puissance et miséricorde envers nous.» (Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. IV, p. 386, 387.)] et consacra au secours de Leyde tout ce qui lui restait de force et d'activité.

Une nouvelle épreuve lui était réservée. Écrasé par le fardeau de préoccupations incessantes, il fut saisi d'une violente fièvre qui mit ses jours en danger; toutefois, quelque menaçantes que devinssent, de moment en moment, les étreintes du mal[93 - Voir Appendice, no 3.], il n'en concentrait pas moins toutes ses pensées sur la délivrance de Leyde, et, malgré l'extrême faiblesse à laquelle il était réduit, continuait à donner toutes les instructions, tous les encouragements qu'il jugeait être nécessaires. Lorsque enfin il eut commencé à se relever de son état de faiblesse, il se porta partout où sa présence et ses directions pouvaient venir en aide aux assiégés. Sous son inspiration, les habitants de Leyde supportèrent avec un admirable courage le poids d'horribles souffrances, auxquelles, sans lui, ils eussent succombé; et sous son inspiration aussi, le valeureux amiral Boisot accomplit, à la tête de ses marins, l'un de ces prodiges de dévouement, de bravoure et d'habileté qui commandent à jamais l'admiration et la reconnaissance. Refoulés loin de Leyde, les Espagnols laissèrent libre l'accès de cette noble cité à Guillaume, qui y fut acclamé comme il méritait de l'être.

Peu de jours avant celui où il lui fut possible d'entrer à Leyde en libérateur, Guillaume avait écrit au comte Jean de Nassau, son frère[94 - Lettre du 7 septembre 1574 (Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. V, p. 53).]: «Je me remetz du tout à Dieu, bien asseuré qu'il ordonnera de moy comme pour mon plus grand bien et salut il sçait estre utile, et ne me surchargera de plus d'afflictions que la débilité et fragilité de cette nature en pourra porter.»

Guillaume se trouvait alors atteint dans sa vie privée par de poignantes afflictions.

En effet, non seulement il souffrait de la captivité de son fils aîné, en Espagne, et de la mort de ses frères à Heyligerlée et à Mookerheyde; mais, de plus, il était navré de l'indigne conduite d'Anne de Saxe, qui, trahissant ses devoirs de femme et de mère, avait, depuis plusieurs années, abandonné et lui et ses enfants, pour se plonger dans un abîme de désordres auxquels il s'était vainement efforcé de l'arracher.

La culpabilité de l'épouse infidèle ressortait à la fois de témoignages accablants et de ses aveux personnels, ainsi que de ceux de son complice; témoignages et aveux que le magistrat compétent avait recueillis[95 - Voir, sur les divers points ci-dessus indiqués, les documents recueillis par M. Groen van Prinsterer dans la Correspondance de la maison d'Orange-Nassau, 1re série, t. III, p. 326, 354, 367, 369, 387, 391, 394, 397.], et à la vue desquels les représentants les plus considérables de l'autorité ecclésiastique, appelés à se prononcer, avaient déclaré que le prince, dont le mariage avec Anne de Saxe était désormais dissous, se trouvait légalement libre d'en contracter un autre[96 - Voir Appendice, no 4.].

Telle était, à la fin de l'année 1574, la situation de Guillaume, au double point de vue de sa carrière publique et des douloureuses perturbations de son foyer domestique, lorsque le besoin de se créer un nouvel intérieur le porta à demander la main de Charlotte de Bourbon.

La grandeur de ses devoirs d'homme d'État ne lui permettant pas de se rendre à Heydelberg, il y envoya son fidèle ami Marnix de Sainte-Aldegonde, en le chargeant de remettre à la princesse une lettre dans laquelle il lui exprimait le plus cher de ses vœux et l'invitait à croire Sainte-Aldegonde, comme un autre lui-même, dans les franches communications qu'il lui adresserait, afin qu'elle pût apprécier sous toutes ses faces la portée d'une démarche qui impliquait la plus solennelle des questions, celle des bases de la félicité conjugale.

On ne connaît pas la teneur de la lettre dont Sainte-Aldegonde était porteur; mais il est facile de la deviner, en consultant le texte d'un mémoire que Guillaume remit au comte de Hohenloo[97 - Voir Appendice, no 5.], lorsque, à quelque temps de là, il lui confia une mission confirmative de celle dont Sainte-Aldegonde s'était acquitté à Heydelberg.

Sincère dans sa recherche, le prince la caractérisait en homme de cœur, aux yeux de la jeune princesse, comme un hommage rendu par lui à l'élévation de ses sentiments, à ses vertus, à l'attrait de ses rares qualités, à l'irrésistible ascendant de son généreux caractère. Il plaçait dès lors en elle une confiance sans réserve.

Quant à lui, sous quel aspect, dans sa virile loyauté, se révélait-il à Charlotte de Bourbon? Il ne pouvait lui offrir ni fortune, puisque la majeure partie de ses biens demeurait affectée, soit à la conservation des droits de ses enfants, soit au service des Provinces-Unies; ni la perspective d'une existence paisible, car elle aurait à affronter les agitations, les labeurs et les périls de la sienne; mais il lui assurait du moins l'inébranlable dévouement d'une âme qui voulait se consacrer à elle, et la stabilité d'une gratitude qu'inspirerait à ses enfants, comme à lui, la tendresse maternelle dont elle les entourerait, en les adoptant. De plus, sympathique appréciateur de sa fidélité aux doctrines évangéliques, il présageait le bien sérieux qu'elle saurait accomplir, en contribuant, par la douce influence de ses conseils et de ses procédés, à resserrer les liens qui unissaient les réformés français à ceux des Provinces-Unies, et la France elle-même à ces provinces.

On ne sait rien des entretiens de Charlotte de Bourbon avec Marnix de Sainte-Aldegonde; mais on connaît du moins la lettre qu'à la suite de ces entretiens elle fit parvenir à Guillaume de Nassau. La voici dans sa gracieuse simplicité[98 - Autographe (archives de M. le duc de La Trémoille).]:



«A monsieur le prince d'Orange.


»Monsieur, j'ay reçeu la lettre qu'il vous a pleu m'escrire et entendu de ce gentilhomme, présent porteur, l'affaire dont luy avés donné charge de me parler, quy est telle que je n'y puis faire réponce que par le conseil et commandement de monsieur l'Électeur et de madame l'Électrice, auxquels j'ay tout remis; car, me tenant lieu de père et de mère, et recevant de leurs Excellences les mesmes offices et bons traitemens, il est bien raisonnable que je leur rende le debvoir de fille, comme j'y suis obligée. Pour ce qui dépent de ma voullonté, monsieur, il ne sera jamais que je n'estime et honore beaucoup la vostre, avec desir de vous faire service, en ce que Dieu m'en donnera le moïen, lequel je vais supplier vous donner, monsieur, après vous avoir présenté mes bien humbles recommandations à vostre bonne grâce, en santé et prospérité, très heureuse et longue vie.



    »Vostre bien humble, à vous faire service.
    »Charlotte de Bourbon.
    »à Heydelberg, ce 28 janvier 1575.»

La délicate réserve dont ces lignes étaient empreintes n'excluait pas, aux yeux de Guillaume, la perspective d'un consentement qui, s'il était obtenu, assurerait son bonheur. Convaincu que la détermination à laquelle Charlotte de Bourbon s'arrêterait ne devait être que le résultat de mûres réflexions, il tint à la laisser s'y livrer à loisir, en demeurant, vis-à-vis d'elle, dans une silencieuse expectative, et à lui prouver, par cela même, combien il respectait la plénitude de sa liberté.

Les sentiments de la jeune princesse étaient à la hauteur de ceux de Guillaume[99 - Certains historiens des Pays-Bas qualifiaient la princesse de «vray miroir de toute vertu, et de princesse vrayment douée d'une piété singulière.» (Voir Lepetit, la Grande chronique de Hollande, Zélande, etc., t. II, p. 301. —Hist. des troubles et guerres civiles des Pays-Bas, par T. D. L., 1 vol. in-12, 1582, p. 358. Ouvrage attribué au prédicateur Ryckwaert d'Ypres.)]. Elle se sonda devant Dieu, n'aspirant qu'à connaître et qu'à suivre sa volonté. Vint le jour où, obtenant, dans le recueillement de la foi, une réponse à ses instantes prières, elle se sentit paternellement amenée par une direction suprême sur le seuil de la voie qu'elle devait suivre, et qu'aplanissait d'ailleurs, devant elle, l'affectueuse approbation de sa sœur aînée, de ses cousins, le roi de Navarre et le prince de Condé, de l'électeur palatin et de l'électrice. Alors elle accepta avec une confiante sérénité d'âme le rôle sacré de compagne d'un homme de foi et d'abnégation, et la mission touchante de maternelle protectrice de ses enfants. Préoccupations, labeurs, fatigues, périls, elle était prête à tout supporter, à ses côtés; car son cœur la portait à devenir pour lui ce qu'elle fut en effet, «une aide fidèle, lui faisant du bien, tous les jours de sa vie[100 - Genèse, chap. II, v. 18. —Proverbes, chap. XXXI, v. 12.].»

L'acceptation si vivement désirée par le prince intervint, à la fin du mois de mars 1575, dans des circonstances que Zuliger, l'un des principaux conseillers de l'électeur palatin, fit connaître à Guillaume, en lui expédiant, le dernier jour de ce même mois, la lettre suivante[101 - Groen van Prinsterer, Correspondance, 1re série, t. V, p. 165.]:

«Monseigneur et très illustre prince, le seigneur Mine est revenu de France, portant la mesme résolution du roy de France et de la royne mère, comme Vostre Excellence l'a cognue par l'extrait des lettres dudit de Mine, lequel ay envoyé dernièrement à Vostre Excellence, à sçavoir que le roy ne se veut engager en cest affaire, comme estant contre sa religion; toutesfois que Mademoiselle seroit heureuse de rencontrer une si bonne partie; semblablement a fait la royne mère: et qu'en somme, ils ne trouveront point mauvais ce que Madamoiselle feroit par le conseil du conte palatin, et qu'elle verroit estre son bien, moyennant qu'il ne soit contre le service du roy; toutesfois que cela méritoit bien estre communiqué au duc de Montpensier, son père. Ce nonobstant, il a esté résolu, en présence du conte palatin, du chancelier Ehem et de moy, par Madamoiselle, qu'il ne fust besoing d'attendre le consentement du duc de Montpensier, à cause qu'il ne faut espérer de luy autre responce que du roy, estant de mesme religion, et qu'elle, aïant atteint son parfait âge, ne demande sinon d'obéir au conte palatin en tout ce qu'il luy plairoit de luy conseiller, lequel en cest affaire elle trouve pour père; et qu'ayant le conte palatin trouvé bon et déclaré qu'il ne luy sçauroit desconseiller un parti si honneste et estant de sa religion, Madamoiselle a simplement déclaré en cest affaire d'obéir au conte palatin, et vouloir donner son consentement; ce que le conte palatin m'a commandé de escrire à Vostre Excellence.

»Car, quant aux autres points, à sçavoir la déclaration de Vostre Excellence, qu'elle veut faire aux parens de l'autre partie, le conte palatin et Madamoiselle la remettent à la suffisance de Vostre Excellence, laquelle fera tout ce qu'elle trouvera convenable, tant pour appaiser lesdits parens, que pour garder l'honneur de Vostre Excellence et de Madamoiselle.

»Quant au douaire, le conte palatin et Madamoiselle ont entendu ce que Vostre Excellence a résolu touchant la maison de Middelbourg; mais comme Madamoiselle ne demande autre chose, sinon d'attendre et porter avec Vostre Excellence tout ce qu'il plaira à Dieu d'envoyer à Vostre Excellence et Madamoiselle, estant conjoints, ainsy Madamoiselle, comme aussy le conte palatin, ne font aucun doute que Vostre Excellence aura considération du sexe, et des biens que Vostre Excellence pourra avoir en France, soit Aurange ou en la duché de Bourgogne, s'ils ne soyent point obligez aux enfans précédens de Vostre Excellence, afin qu'en tout événement elle puisse avoir de quoy s'entretenir honnestement; car, quant à Messieurs, frères de Vostre Excellence, elle ne voudroit ni Vostre Excellence ni eux discommoder. Car elle ne s'arreste nullement sur ce point, ains le remet aussi bien que les autres à la discrétion et prudhommie de Vostre Excellence, laquelle elle s'asseure bien d'avoir puissance d'y pourvoir autrement. Il ne reste donc sinon la déclaration de Vostre Excellence là dessus, et qu'icelle ordonne du reste qu'il luy plaise que par la permission du conte palatin Madamoiselle face. Car il nous semble estre chose superflue que Vostre Excellence renvoye pour cest affaire au roy; ains suffit de la response susdite; veu aussi que le conte palatin attend de jour en autre la response du frère du roy et du roy de Navarre, ausquels le conte palatin a escrit de vouloir consentir à ce mariage, et adoucir le duc de Montpensier, son père, qu'il le trouve bon.»

La solution affirmative de la grande question du consentement fut aisément suivie de celle des questions secondaires qui s'y rattachaient, et Charlotte de Bourbon vit, non sans émotion, approcher le moment où elle devrait se séparer de l'électeur et de l'électrice. Sa gratitude envers eux était profonde, et toujours elle sut en prouver la sincérité.

Heureusement fixé sur la réalisation de ses vœux par la lettre de Zuliger, Guillaume, à qui la gravité des événements s'accomplissant alors au sein de sa patrie ne permettait pas de s'absenter du territoire de celle-ci, pour se rendre à Heydelberg, voulut du moins, qu'en quittant cette résidence, sa noble fiancée, sur le voyage de laquelle se concentrait sa sollicitude, ne s'acheminât vers les Provinces-Unies, que sous la protection d'un personnage dévoué et vigilant. Il avisa, en outre, à ce que son beau-frère le comte de Hohenloo joignit son appui personnel à celui que la princesse devait recevoir de Marnix de Sainte-Aldegonde[102 - Voir Appendice, no 5.].

Mû par son infatigable dévouement aux intérêts de Guillaume et à ceux de Charlotte de Bourbon, Sainte-Aldegonde vint immédiatement dans le Palatinat se mettre à la disposition de la princesse, et, d'accord avec elle, il prit, sous les yeux de l'électeur et de l'électrice, toutes les mesures nécessaires à l'organisation de son départ, avant que le comte de Hohenloo, dont il ignorait d'ailleurs la mission, fût arrivé à Heydelberg.

Au moment où il allait quitter cette ville avec la princesse, Sainte-Aldegonde adressa, le 2 mai, au comte Jean de Nassau une lettre étendue[103 - Groen van Prinsterer, Correspondance, 1re série, t. V, p. 192.] qui témoignait de son zèle à seconder les intentions du prince dans l'observation des égards et des ménagements auxquels sa noble fiancée avait droit.

Tandis qu'accompagnée du loyal ami du prince, Charlotte de Bourbon entreprenait un long et fatigant voyage, Guillaume, promptement informé de son départ, en donna avis au comte Jean, en ces termes[104 - Groen van Prinsterer, Correspondance, 1re série, t. V, p. 205.]:

«Monsieur mon frère, la présente servira seulement pour vous advertir que, suivant la charge que j'avois donnée à M. de Sainte-Aldegonde, de contracter le mariage entre Madamoiselle de Bourbon et moy, je luy avois de mesme commandé que, tout aussitost qu'il auroit le consentement de ladite damoiselle, qu'il se mettrait avecq elle en chemin, pour la mener pardeçà. Or, depuis, craignant que le retour de M. Sainte-Aldegonde ne seroit encoires sitost, j'avois prié M. le comte Wolfgang de Hohenloo, partant d'icy vers l'Allemaigne, de vouloir passer à Heydelberg pour porter mon consent à Madamoiselle de Bourbon. Sur ces entrefaites ledit sieur de Sainte-Aldegonde est retourné à Heydelberg, où il trouvoit le consentement du comte palatin et de Madamoiselle de Bourbon. Suivant donc la première charge, il s'est mis en chemyn avec elle, pour la conduire pardeça, ignorant entièrement la requeste que j'avois faicte à mondict beau-frère le comte de Hohenloo; ce que je vous ay bien voulu faire entendre, à cause que je suis adverty que vous avez mandé à M. de Sainte-Aldegonde, qu'il retourneroit avecq Madamoiselle de Bourbon à Heydelberg; que ce néantmoins, sur le premier commandement qu'il avoit, il est passé oultre, dont je suis certes bien aise pour plusieurs raisons, et advoue entièrement ce qu'il en a faict; dont vous ay bien voulu advertir, afin que ne luy sachiez mauvais gré et que vous n'estimiez ne pensiez qu'il ait surpassé sa charge et commission.»

De Heydelberg, Charlotte de Bourbon et Sainte-Aldegonde s'étaient dirigés vers Embden, où avaient ordre de les attendre des vaisseaux de guerre fortement armés, que Guillaume de Nassau avait envoyés au-devant d'eux[105 - «Charlotte van Bourbon quam over Embden, alwaer de prince de selve twe wel toegeruste Oorlog-schepen sond, diese brachten na de Mase, etc., etc.» (Voir Bor, Historie der Nederlandtsche Oorlogen, in-fo, t. Ier, p. 644.)], pour protéger leur trajet par mer jusqu'à l'une des côtes des Provinces-Unies.

Certaines mesures officielles furent prises, dans ces provinces, en l'honneur de la princesse dont on attendait la prochaine arrivée. Voici, quant à la Hollande, celles que nous font connaître les procès-verbaux des résolutions de ses états[106 - Archives générales du royaume de Hollande.]:

«Séance du 4 juin 1575. – Étant représenté aux états, que, pour répondre à de hautes convenances, ils ne peuvent se dispenser de congratuler, à son arrivée, la princesse, future épouse de Son Excellence qui a si bien mérité de la patrie, et de lui offrir quelque don de joyeuse entrée; que, dès lors, il y a lieu de déterminer où et de quelle manière la princesse sera receue; – en conséquence, il est résolu qu'on informera Son Excellence de la décision prise par les états de congratuler la princesse, au lieu même de son arrivée, et de l'accompagner jusqu'au lieu où Son Excellence a l'intention de célébrer les fêtes de noces; ce dont les états s'enquerront auprès de Son Excellence; à l'effet de quoi sont députés vers elle les sieurs Culemburgh, Kenenburgh, Swieten et l'avocat Buijs.»

«Séance du 6 juin 1575. – Étant fait rapport aux états de la congratulation adressée à Son Excellence, à raison de sa nouvelle alliance, et étant offerts de la part des états, tous les bons offices du pays, Son Excellence les en a remerciés et a déclaré qu'elle espéroit que cette nouvelle alliance contribueroit à la prospérité dudit pays. Son Excellence n'avoit pas encore décidé où les fêtes de noces seraient célébrées; mais elle avoit l'intention d'attendre l'arrivée de la princesse à La Brielle. Du reste, on avoit pu s'apercever qu'il seroit agréable à Son Excellence que la princesse fût receue à La Brielle même par les états. – Sur ce, il est résolu par les états, que, de leur part, seront envoyés à La Brielle divers députés, savoir: les sieurs Vankenenburg, Swieten, ceux de Dordrecht, d'Alckmaar, M. Pieter de Rycke, avec ceux de La Brielle; qu'après les noces, on offrira à la princesse un banquet, quelques cadeaux et un don de six mille livres de quarante gros, dans l'espoir que Son Excellence prendra plus en considération l'affection que l'importance de l'offre, à raison des pesantes charges imposées aux états par suite de la longue durée de la guerre; ce que l'on aura soin de représenter[107 - On lit dans le recueil des Résolutions des états de Hollande (Archives générales du royaume de Hollande): «Séance du 10 juin 1575. – Les villes et états de Hollande ayant résolu d'offrir à la princesse Charlotte de Bourbon, à titre de congratulation et de don, une somme de six mille livres, il sera demandé à Son Excellence en quoi elle désire que le don consiste, soit en numéraire soit en pierres précieuses.» «Séance du 16 juin 1575. – Son Excellence a déclaré désirer que le don destiné à la princesse lui soit offert en numéraire, afin qu'elle en puisse faire tel usage que bon lui semblera.»]].»

A peine cette délibération venait-elle d'être prise, que le prince eut le bonheur d'accueillir à La Brielle Charlotte de Bourbon, dont l'arrivée fut acclamée par la population et par les députés des états avec un enthousiasme qui émut profondément cette princesse.

Dès le 7 juin furent arrêtées entre les futurs époux les conventions civiles qui devaient précéder leur union.

L'acte dans lequel ils les consignèrent était d'une simplicité exceptionnelle, au double point de vue de la forme et du fond. Il mérite d'autant plus d'être connu, qu'il témoigne d'une complète réciprocité de désintéressement, en laissant apparaître l'absence de toute fortune personnelle, pour le moment du moins, du côté de l'une des parties contractantes, et l'exiguïté des seules ressources alors disponibles, du côté de l'autre[108 - Voir Appendice, no 6.].

Le 12 juin eut lieu, à La Brielle, la célébration du mariage. Il fut béni par le ministre Jean Taffin, que Guillaume de Nassau avait récemment pris pour chapelain, et qui, à ce titre, demeura désormais attaché à la maison du prince et de la princesse.

Les nouveaux époux ne tardèrent pas à se rendre à Dordrecht, où, de même qu'à La Brielle, ils reçurent un chaleureux accueil, bientôt suivi de fêtes et de réjouissances, dans le cours desquelles d'ailleurs on s'abstint de danser[109 - Ce détail, ainsi que plusieurs autres, relatifs à l'entrée et au séjour de Charlotte de Bourbon à Dordrecht, est consigné dans la publication suivante: Dordrecht, door Dr G. V. J. Schotel, te Dordrecht bij H. Lagerewij, 1858, br. in-8o, p. 50 et suiv. (Komst van Charlotte van Bourbon te Dordrecht in 1575). Il y est parlé, notamment d'une association littéraire, dite des Rhétoriciens, ayant pour devise les «mots: joie pure, laquelle joua, pour le bon plaisir de Son Excellence, une moralité.»]].

On ne peut mieux, croyons-nous, se faire une idée de l'ardente sympathie dont Charlotte de Bourbon fut entourée, à La Brielle et à Dordrecht, qu'en se reportant à une modeste production littéraire, du XVIe siècle, qui, dans sa naïveté, demeure empreinte de l'émotion que fit naître en une foule de cœurs la présence de l'excellente et gracieuse princesse. Il s'agit d'un morceau en treize stances, faisant partie d'un ancien recueil intitulé: Chansonnier des Gueux[110 - Geuse Liet Boek, waer in begrepen is den Oorsprongh van de troubelen der Nederlansche Oorlogen, en et geen doer op gevolght is. «T'Amsterdam gedruckt by Jan Jacobsz Bonneau, woonende op 't water, anno 1656, in-8o».].

Voici la traduction simplement littérale de ce morceau, qui fut chanté, à Dordrecht, pendant le séjour du prince et de la princesse dans cette ville, en 1575:

«Entrée de la sérénissime princesse, de haute naissance.


»(Sur l'air de Guillaume de Nassau.)

»1o Faites éclater votre allégresse, vous, villes de Hollande et de Zélande! Vous, hommes, femmes, faites éclater, de tous côtés, votre allégresse, en l'honneur de l'éminent prince et de son épouse noble et renommée. Veuille Dieu, qui leur a accordé sa grâce, la leur continuer, à toujours.

»2o A La Brielle, la princesse arriva en grand triomphe, comme chacun en a été témoin. De nombreux coups de canon furent tirés en l'honneur du prince; et, quant à elle, on la prit par la main et on lui dit qu'elle était la bienvenue dans la patrie du prince.

»3o En apprenant l'arrivée de la princesse, le prince, joyeux de cœur, partit aussitôt pour La Brielle, car vers elle tendaient les plus chers désirs de ce noble et bon prince. Aussi, en recevant sa fiancée, l'a-t-il saluée affectueusement.

»4o Dans La Brielle se manifesta une franche allégresse; je vous le dis tout simplement. Les tambours et les trompettes se firent entendre sur la jetée et dans la ville. Le canon fut tiré en l'honneur de la charmante fiancée. Rien n'a été épargné pour qu'elle fût accueillie par de nombreuses salves.

»5o Quand la chaste et noble jeune dame entra dans la ville, chacun lui souhaita la bienvenue, et la joie éclata de toutes parts. Des feux brillèrent sur la tour et dans les rues, nuit et jour; et cela, d'une manière ravissante. Pas une plainte ne troubla l'émotion générale.

»6o De là, les nouveaux époux sont partis rapidement pour Dordrecht, comme on a pu s'en assurer en les voyant. Dieu les a gardés. Tandis que les trompettes et les clairons sonnaient fortement, on vit chacun accourir pour rendre hommage à la compagne du prince.

»7 °Ceux de Dordrecht, résolus de caractère, eurent bientôt pris leurs mesures; car, en attendant la princesse, ils n'épargnèrent aucuns frais pour la recevoir. La garde bourgeoise s'avança en faisant flotter ses bannières.

»8o Pleins d'ardeur, les citoyens accoururent et franchirent la porte de la ville, afin de recevoir honorablement la princesse. Le canon se fit entendre. On vit, çà et là, par la ville, les tonneaux de résine lancer leurs flammes, à la honte de tous les mécréants, et en l'honneur du prince vénéré.

»9o Les autorités de la ville, l'Escoutète, les échevins, dans leur bon vouloir, les bourgmestres et les gardes civiques allèrent triomphalement, bannières déployées, à la rencontre de la princesse, et lui adressèrent avec cordialité ces paroles: Soyez la bienvenue en Hollande.

»10o Veuillez donc, de tous côtés, vous villes, manifester une vive allégresse, faire éclater votre amour pour le vaillant prince, et remercier Dieu, à haute voix, d'avoir détruit Babylone, et de vous avoir donné sa sainte parole.

»11o Oui, vous montrerez votre allégresse, vous villes très renommées, parce que jamais vous n'avez été placées sous une aussi grande protection que sous celle de notre noble prince et de notre excellente princesse, qui, tous deux, appuyés sur la parole divine, veulent sacrifier, pour nous, corps et biens.

»12o Vous, hommes grands et petits, remerciez le Seigneur. C'est lui qui nous soutient, nous pauvres créatures chétives, comme on a pu le voir devant la ville de Leyde, où l'ennemi a été saisi d'épouvante, et aussi à Alckmaar, d'où il s'est enfui précipitamment.

»13o De grâce, seigneuries princières, veuillez agréer de bon cœur ce chant composé en l'honneur du prince d'Orange et de l'éminente princesse. Que Dieu daigne les maintenir en bonne santé et leur accorder une longue vie! Voilà ce dont je le prie, du fond de mon cœur!»

Émue, au fond du sien, de l'accueil chaleureux qu'elle rencontrait au sein des populations, Charlotte de Bourbon se demandait si elle pouvait y voir le présage de celui qu'elle recevrait des membres, alors disséminés, de la famille du prince. Répondraient-ils aux sincères efforts qu'elle ferait pour se concilier l'affection de chacun d'eux? Elle l'ignorait, mais elle se reposait sur la bonté de Dieu, pour résoudre, tôt ou tard, en sa faveur, cette importante question, si intimement liée désormais à celle de son bonheur domestique.




CHAPITRE IV




Lettre de Charlotte de Bourbon à la comtesse de Nassau, sa belle-mère. – Lettre de Guillaume au comte Jean de Nassau, son frère. – Hommage rendu par le comte Jean au noble caractère de la princesse, sa belle-sœur. – Félicitations adressées à Charlotte de Bourbon par divers membres de sa famille à l'occasion de son mariage. – Lettre de Guillaume à François de Bourbon, son beau-frère. – Charlotte de Bourbon s'efforce en vain de se concilier les bonnes grâces du duc de Montpensier, son père. – Inexorable dureté de celui-ci. – Étroitesse des sentiments du duc lors de la mort de la duchesse de Nevers, sa fille. – Graves préoccupations de Charlotte de Bourbon, au sujet de son mari, avec la carrière publique duquel elle s'est identifiée. – Il trouve dans ses judicieux conseils et dans son dévouement un appui efficace. – État des affaires publiques depuis l'insuccès des Conférences de Bréda. – Reprise des hostilités. – Diète de Delft en juillet 1575. – Siège de Ziricksée. – Naissance de Louise-Julienne de Nassau. – Lettre de Marie de Nassau. – Lettre de la princesse d'Orange à son mari lors de la mort de l'amiral Boisot. – Perte de Ziricksée. – Excès commis dans les provinces par les Espagnols. – Indignation générale et efforts faits dans la voie d'une sévère répression. – Correspondance du prince et de la princesse d'Orange avec François de Bourbon. – Lettres de Louis Cappel et de Marie de Nassau. —Pacification de Gand.– Lettre de Guillaume au duc d'Alençon. – Les Espagnols sont expulsés de la Zélande. —Union de Bruxelles.


Ni la vénérable mère de Guillaume de Nassau, ni l'unique frère qui lui restait, le comte Jean, n'avaient pu quitter l'Allemagne pour assister à son mariage. Tous deux avaient été retenus au loin, l'une, par son âge avancé et son état de faiblesse, l'autre, par la maladie.

Le comte Jean était incontestablement fort attaché à son frère; mais, plus timoré parfois que clairvoyant, il avait cherché à détourner Guillaume, si ce n'est précisément du mariage projeté par lui, tout au moins de sa prompte conclusion, en invoquant des considérations, soit politiques, soit d'intérêt privé, qui, aux yeux du prince, n'avaient rien de déterminant.

Sa mère, à l'inverse, non moins judicieuse que tendre, s'était dégagée de ces considérations, et n'avait nullement songé à dissuader son fils de contracter une union dans laquelle il lui disait être assuré de rencontrer le bonheur. Elle l'aimait trop et avait en lui trop de confiance pour ne pas croire à la dignité de ses sentiments et à la justesse de ses appréciations.

Aimante et aspirant à être aimée, Charlotte de Bourbon, dès les premiers jours de son union avec Guillaume, s'attacha à gagner, avant tout, le cœur de sa belle-mère; et y réussit immédiatement par l'expression de sa douce et délicate déférence, dans ces lignes datées de Ziricksée, où elle venait, en quittant Dordrecht, d'arriver, le 24 juin, avec son mari[111 - Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. V, p. 230.]:



«A madame la comtesse de Nassau, ma bien-aimée mère,


«Madame, encore que je n'aye jamais esté si heureuse de vous voir, pour vous rendre, selon mon desir, tesmoignage de l'affection que j'ay dédiée à vous obéir et servir, sy m'asseuray-je, veu l'honneur que m'a faict, monsieur le prince, vostre fils, qu'il vous plaira bien me faire ceste faveur, d'avoir agréable la bonne voullonté que je vous supplie bien humblement vouloir accepter, et croire que, si Dieu me donne le moïen, et que vos commandemens me rendent capable de vous pouvoir faire service, je m'y emploiré de sy bon cœur, que vous cognoistrés, madame, combien j'estime l'heur que ce m'est de vostre alliance, laquelle m'est doublement à priser, tant pour vostre vertu et piété, que pour celle de mondit seigneur, vostre fils, pour l'amour duquel j'espère que vous me favorisés de quelque bonne part en vos bonnes grâces, dont je vous fais encore bien humble requeste, et supplie Dieu que le temps puisse estre bientost si paisible, que je puisse avoir cest honneur de vous voir; et que cependant il vous conserve en bonne santé et vous donne, madame, très heureuse et très longue vie.



    »Vostre très humble et obéissante fille.
    »Charlotte de Bourbon.»

Revenu de Ziricksée à Dordrecht, Guillaume voulut, en ce qui concernait son mariage, amener le comte Jean à une saine appréciation des préliminaires et de la portée de cet acte capital. Il lui adressa donc, le 7 juillet 1575, avec toute l'autorité d'un homme de cœur, une grave et longue lettre, de laquelle nous détachons ces paroles[112 - Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. V, p. 244 et suiv.]:

«Monsieur mon frère, despuis ma dernière escripte du 21e jour de may dernier passé, par laquelle vous priois bien affectueusement me vouloir envoier les actes et informations de la faulte commise par celle que sçavez[113 - Anne de Saxe.], ou bien quelque attestation solennelle, afin que, à faulte de cela, je ne fûsse contrainct de cercher autres moïens par publications solennelles de donner contentement à madamoiselle de Bourbon, laquelle, pour obvier à toutes oblocutions qui, par cy-après pourroient se faire, desire grandement ce que dessus; en quoy aussi je ne puis sinon luy donner toute raison: j'ay reçu vostre lettre du 19 dudit mois de may, et par icelle entendu premièrement vostre malladie, laquelle j'ay ressenti et ressentz jusques au cœur, comme celuy qui ne désire rien tant, comme aussy je me sens tenu à le desirer, que vostre bien, salut et prospérité, à quoy vous pouvez estre asseuré que de tout mon pouvoir je tiendray la main, priant Dieu, en quoy j'espère qu'il m'exaucera, de vous garder de tous inconvéniens et vous remettre bonne santé.

»Aussy ay-je par la mesme lettre apperçu, dont ay esté très marry, qu'estiez en merveilleuse peyne de ce mien mariage qui est en train, vous semblant advis que l'on n'y auroit pas procédé avec telle discrétion, et par tels moyens, comme il estoit requis, et mesmes en si grande haste, et par cela moy et les miens, voire et toute la cause générale, en pourroient encourir grans inconvéniens, mesmement en ceste journée impériale qui se doibt tenir, le 29 de juillet, à Francfort.

»Sur quoy, je vous puis asseurer, monsieur mon frère, que mon intention, depuis que Dieu m'a donné quelque peu d'entendement, a tendu toujours à cela, de ne me soucier de paroles, ni de menasses, en chose que je peusse faire avecq bonne et entière conscience, et sans faire tort à mon prochain, mesme là où je fûsse asseuré d'y avoir vocation légitime et commandement exprès de Dieu.

»Et de faict, si j'eûsse voulu prendre esgard au dire des gens, ou menasses des princes, ou aultres semblables difficultez qui se sont présentées, jamais je ne me fûsse embarqué en affaires et actions si dangereuses et tant contraires à la volonté du roi, mon maistre du passé, et mesmes au conseil de plusieurs miens parens et amys. Mais, après que j'avois veu que ny humbles prières, ny exhortations ou complaintes, ny aultre chose, quelle qu'elle fûst, y peust servir de rien, je me résoluz, avecq la grâce et aide du Seigneur, d'embrasser le faict de ceste guerre, dont encoires ne me repens, mais plus tost rendz grâce à Dieu, qu'il luy a pleu avoir esgard par sa miséricorde à la rondeur et sincérité de ma conscience, lorsqu'il me donnoit au cœur de ne faire estat de toutes ces difficultés qui se présentoient, pour grandes qu'elles fussent.

»Je dis aussy tout le mesme à présent de ce mien mariage, que, puisque c'est chose que je puis faire en bonne conscience, devant Dieu, et sans juste reproche devant les hommes; mesmes que par le commandement de Dieu je me sentz tenu et obligé de le faire, et que, selon les hommes, il n'y a que redire, tant la chose est claire et liquide; veu singulièrement qu'après avoir attendu l'espace de quatre ou cinq ans, et en avoir adverty tous les parens, tant par vous que par mon beau-frère, le comte de Hohenlohe, il n'y a eu personne qui m'ait presté la main, ou donné conseil pour y remédier; m'a semblé, puisque l'occasion s'est présentée, de l'embrasser résolutement et avec toute accélération, afin de ne ouvrir la porte aux traverses que l'on y eust peu donner.

»…J'espère que ce mariage tournera autant et plus à nostre bien et de la cause générale, que n'eust fait le retardement ou plus long délai, lequel eust peu bien aisément ruiner et renverser toute nostre intention. Aussi, quand le tout sera bien considéré, je ne voy nul juste fondement sur lequel les princes puissent asseoir leur indignation et offense si grande que vous me alléguez.

»…Quand ils considéreront bien le tout, ils auront grande occasion de me sçavoir bon gré d'y estre procédé de cette façon, et m'estre plustost assubjecty à je ne sçay quels soupçons sinistres d'aucuns qui ignorent la vérité, par ceste mienne accélération et simple et secrète façon de procéder, que d'avoir voulu, par longs délais et par odieuses disputes, débats et déclarations sur les difficultés occurrentes, ou bien par autres solennités ou cérémonies juridiques, publier ce fait par tout le monde, comme à son de trompe, et réduire le tout à plus grande aigreur et scandale qui ne fust oncques[114 - Voir Appendice, no 7.].

»…Je croy fermement que cecy a esté le chemin plus seur, non seulement pour moy, mais aussy pour la cause générale.»

Cette conviction, qu'exprimait si fortement le prince, fut bientôt partagée, comme elle devait l'être, par le comte Jean, qui s'y affermit sans réserve, dès que, par les communications détaillées et précises qui lui parvinrent à Dillembourg, il eut appris à connaître la constante dignité de sentiments, de caractère et d'actions de sa belle-sœur, ainsi que la basse animosité de ses détracteurs et de ceux de Guillaume de Nassau. Il se fit alors, en toute loyauté, un devoir d'élever la voix en faveur de Charlotte de Bourbon et de son mari. La preuve en est, notamment, dans le langage qu'il s'empressa de tenir au landgrave de Hesse:

«En ce qui concerne, lui disait-il[115 - Lettre datée de Dillembourg, 21 nov. 1575 (Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. V, p. 312.)], les rumeurs qui courent au sujet de la nouvelle compagne de Monsieur le prince d'Orange, il faut les reléguer au rang des déplorables et indignes calomnies proférées contre sa grâce, la princesse. Elles sont, Dieu merci, dépourvues de tout fondement. La vengeance n'en appartient qu'à Dieu. Il faut attendre avec patience le moment où, après de longs jours de troubles et d'orages, il daignera, de nouveau, faire luire son soleil de justice et délivrer Sa Grâce la princesse, ainsi que nous-mêmes, de si nombreuses croix. Ceux qui journellement arrivent de Hollande, et principalement ceux qui ont été un certain temps auprès de ladite noble épouse de Monsieur le prince, rendent, en dépit des calomniateurs, un témoignage on ne peut plus favorable à sa grâce la princesse. Et afin, mon cher prince, que vous puissiez d'autant mieux sonder le fond des odieuses calomnies dont il s'agit, je vous envoie, à cet effet, sous le présent pli, ce que Sa Grâce la princesse a écrit, de sa propre main, il y a peu de jours, à Madame ma mère.»

Ces derniers mots prouvent le soin affectueux que prenait Charlotte de Bourbon de continuer à correspondre avec sa belle-mère et l'appui implicite que celle-ci prêtait au langage du comte Jean.

Fidèle à la douce habitude de se rapprocher, en pensée, par une active correspondance, des personnes qui lui étaient chères et loin desquelles elle se trouvait, la jeune princesse avait, dès le premier moment, fait part à son frère et à ses sœurs de son mariage avec Guillaume. Le prince avait, vis-à-vis d'eux, suivi son exemple.

Par leurs réponses à la communication des nouveaux époux, les enfants du duc de Montpensier prouvèrent qu'ils étaient loin d'avoir subi l'influence des préventions et des rudesses paternelles à l'égard de leur sœur; car ils la félicitèrent, ainsi que Guillaume, d'un mariage qu'ils envisageaient comme un élément de bonheur pour elle et pour lui.

Rien de plus naturel qu'une telle appréciation de la part de la duchesse de Bouillon, à raison des liens multiples d'affection, de croyance et de sentiment qui l'unissaient à Charlotte.

Mais ce qui rend cette appréciation particulièrement remarquable, de la part des autres enfants du duc de Montpensier, c'est la spécialité même de la position de chacun d'eux.

A ne parler que de celles du frère et de l'une des sœurs, quoi de plus frappant, par exemple, que d'entendre le prince dauphin, François de Bourbon, vivant, d'habitude, aux côtés de son père, et parfois confident de ses pensées, déclarer qu'il éprouve un contentement réel du mariage de sa sœur!

Quoi de plus frappant encore que de rencontrer, sur ce point, l'expression d'une vive sympathie sous la plume d'une abbesse, et, qui plus est, d'une abbesse de Jouarre; car telle était bien Louise de Bourbon. Du fond de l'abbaye, qu'elle dirigeait, comme ayant succédé à Charlotte, elle écrivait, dans l'élan du cœur, au mari de celle-ci[116 - Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, suppl., p. 174.]:

«Monsieur, je ne vous puis dire combien j'estime l'honneur et faveur que j'ay receu de vous, m'ayant faict démonstration, par la lettre qu'il vous a pleu m'escripre, de me vouloir recognoistre pour ce que j'ay l'honneur de vous estre maintenant. Aussy vous supplieray-je très humblement de croire que, pour ma part, j'estime comme je doibz la faveur qu'il vous a pleu de faire à nostre maison, d'y avoir prins alliance par le mariage de ma sœur avec vous; la réputant très heureuse d'avoir esté voulue d'un prince si vertueux et sage, comme en avez la réputation; et me ferés cest honneur de croyre que je me tiendroys bien heureuse et contente, sy j'avois l'honneur de recevoir de vos commandemens, affin que puissiés juger, par l'exécution, combien je désire tenir lieu en vos bonnes grâces, aulxquelles je présente mes très humbles recommandations et supplie Nostre Seigneur vous donner, monsieur, en très bonne santé, très longue et très heureuse vie. A Juerre (Jouarre), ce 21 août 1575.



    »Vostre plus humble et obéissante sœur à vous faire service.
    »Louyse de Bourbon.»

Continuant une correspondance dont il avait pris l'initiative vis-à-vis de François de Bourbon, devenu son beau-frère, Guillaume de Nassau disait à ce prince[117 - Bibl. nat., mss., f. fr., vol. 3.415, fo 34.]:

«Monsieur, j'ay receu la lettre qu'il vous a pleu m'escrire, laquelle m'a grandement resjouy, pour y entendre le contentement qu'avez receu de nostre alliance; ce que, procédant de vostre singulière courtoisie et honnesteté, j'ay receu avec telle et si bonne affection, que je m'en sens très obligé à déservir par quelque humble service où je m'employeray de bien bon cœur, toutes les fois que me ferés ceste faveur de me commander quelque chose; vous remerciant au reste bien humblement de l'honneur que me faites de vous asseurer de mon amitié; et, comme je me confie fermement en la vostre, je vous supplieray de tenir la main vers monsieur vostre père à ce qu'il puisse recevoir les offres de mon obéissance et très humble service agréables, et reprendre ma femme en sa bonne grâce, la recognoissant comme celle qui a cest honneur de lui estre fille; à quoy, monsieur, je sçay que vous luy avez desjà faict office de vrayment bon frère; ce qu'il vous plaira vouloir continuer, nous obligeant par ce moyen tous deux en tout ce qu'il vous plaira nous employer pour vostre service, et de telle affection que je désire, comme frère, serviteur et amy, d'estre particulièrement favorisé de vos bonnes grâces, etc., etc.»

Le confiant appel que Guillaume adressait ainsi au dévouement de son beau-frère, pour qu'il s'efforçât d'éveiller dans l'âme du duc de Montpensier des sentiments vraiment paternels, à l'égard de sa fille Charlotte, fut entendu par François de Bourbon; mais ses efforts demeurèrent longtemps infructueux, ainsi que le prouvent, comme on pourra s'en convaincre ultérieurement, de nombreuses lettres adressées par la princesse à son frère. Toutes, en outre, témoignent du prix qu'elle ne cessait d'attacher, en dépit d'échecs successifs, à se concilier enfin les bonnes grâces de ce père qui, depuis tant d'années, persistait à méconnaître les sentiments de respect et de dévouement qu'elle avait constamment professés à son égard.

Les inexorables refus que le duc opposait aux instances réitérées qui lui étaient faites, pour qu'il renonçât à la prétention d'asservir la conscience de sa fille Charlotte, ne s'expliquent que trop clairement par la ténacité avec laquelle il se cantonnait dans ses préjugés et son intolérance. Cette ténacité était telle, qu'il ne pouvait admettre que l'un de ses enfants échappât, même par la mort, aux liens religieux dans lesquels, durant la vie, il n'avait pu réussir à l'enserrer.

Comment en douter, en présence d'un fait qui se passa dans la demeure même du duc, et que rapporte son panégyriste attitré?

L'une des filles du tyrannique père de famille, Anne de Bourbon, veuve du duc de Nevers, venait de mourir: que fit ce père? Sans égard pour la profession de la religion réformée à laquelle il savait que la duchesse était, jusqu'à son dernier soupir, demeurée fidèle, il voulut que les rites du culte catholique se produisissent, dans toute leur pompe, autour de son cercueil[118 - «Le duc de Montpensier reçut le déplaisir de perdre la duchesse douairière de Nevers, sa fille, cette même année (1575), à laquelle, quoique de la religion, il fit faire des obsèques avec grande cérémonie, à Champigny, le 25 novembre.» (Coustureau, Vie du duc de Montpensier, addit., p. 192.)]. Mais, que devenait, dans cette arbitraire main-mise exercée sur la dépouille mortelle de la croyante, le respect dû à sa foi? Traiter ainsi le corps, demeurant sans défense, dans l'inertie de sa condition présente, n'était-ce pas insulter à l'âme, qui, ne relevant que de Dieu et obéissant à son appel, était retournée à lui, juge suprême de la foi qu'elle avait manifestée aux yeux des hommes?





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notes



1


Par le mariage de Béatrix de Bourbon avec Robert, l'un des fils du roi saint Louis.




2


Charlotte de Bourbon, ainsi que le prouve un acte émané d'elle le 25 août 1565, lequel sera ci-après reproduit, ignorait à tel point la date précise de sa naissance, qu'elle ne pouvait pas plus se dire, en 1565, âgée de treize ans que de douze.




3


Psaume XXVII, 10.




4


Ep. aux Galates. VI. 7.




5


Ce prêtre, l'un des familiers de la maison du duc et de la duchesse de Montpensier, à titre de précepteur de leur fils, n'était autre que Ruzé, qui depuis devint évêque d'Angers: c'est ce que déclara le duc de Montpensier lui-même dans une lettre adressée, le 28 mars 1572 à l'électeur palatin, et insérée ici au no 2 de l'Appendice.




6


Voir une information secrète du 28 avril 1572, dont le texte complet sera reproduit plus loin.




7


A peine est-il nécessaire d'ajouter que la résignation du titre et des fonctions d'abbesse de Jouarre, par la tante au profit de sa nièce, concorda avec l'entrée en religion dont il s'agit.




8


Bibl. nat., mss., f. fr., vol. 3, 182, fo 82. —Ibid. Collect. Clérambault. vol. 1,114, fo 182. – Coustureau, Vie du duc de Montpensier, in-4o, p. 217.




9


Coustureau, Vie du duc de Montpensier, p. 221.




10


Ils sont, avec addition de détails complémentaires, pleinement confirmés par l'information secrète du 28 avril 1572, contenant les dépositions de six religieuses de l'abbaye de Jouarre, autres que celles qui avaient, le 25 août 1565, attesté, en leur déclaration la sincérité des faits énoncés par Charlotte de Bourbon, dans sa protestation du même jour.




11


«Quant au duc de Montpensier, il portoit telle inimitié à la religion (réformée), et avoit esté de telle sorte pratiqué par ceux de Guise, qu'il se bandoit du tout contre soy-mesme, sans pouvoir gouster la conséquence des entreprises contraires.» (Regnier de La Planche, Hist. du règne de François II, édit. de 1576, p. 567).




12


De Thou, Hist. univ., t. III, p. 59.




13


Regnier de La Planche, loc. cit., p. 39.




14


Ap. Tommasco, Relazioni, in-4o, t. Ier, p. 133.




15


De La Place, Comment., édit. de 1565, p. 109, 110, 111. – De Thou, Hist. univ., t. II, 824, 825.




16


De Thou, Hist. univ., t. II, p. 832.




17


Hist. univ., t. II, p. 776.




18


De La Place, Comment., p. 237.




19


Comment., p. 237. – Voir à l'Appendice, no 1, une pièce de vers composée, peu de temps après la mort de la duchesse de Montpensier, et qui donne une idée des sentiments élevés dont on la savait animée.




20


«La duchesse de Montpensier avoit destiné une de ses filles, nommée Charlotte au duc de Longueville.» (De Thou, Hist. univ., t. III, p. 60.)




21


Lettres françaises de Calvin, t. II, p. 179, 265, 267, 286, 499. L'une de ces lettres, adressée par Calvin au jeune duc de Longueville, le 22 août 1559 (p. 286) contenait ce passage: «Monseigneur, vous avez un grand advantage, en ce que madame vostre mère ne désire rien plus que de vous voir cheminer rondement en la crainte de Dieu, et ne sçauroit recevoir plus grand plaisir de vous qu'en vous voyant porter vertueusement la foy de l'Évangile.»]




22


D'Aubigné, Hist. univ., t. II, liv. Ier, ch. 11.




23


Information secrète du 28 avril 1572. – François Daverly portait le titre de seigneur de Minay.




24


Il nous semble impossible qu'une active correspondance, inspirée par la plus tendre affection, n'ait pas existé entre Charlotte de Bourbon et sa sœur la duchesse de Bouillon, surtout depuis l'année 1562; époque à laquelle cette femme si distinguée, à tant de titres, avait, ainsi que le duc, son mari, ouvertement embrassé la religion réformée, et dès lors chaleureusement servi, avec lui, non seulement les intérêts spirituels et matériels des habitants du duché, mais aussi ceux d'une foule de personnes venues de France, auxquelles un asile était accordé à Sedan et à Jametz. Des documents précis, postérieurs à 1572, témoignent au surplus de l'étroite amitié qui unissait l'une à l'autre les deux sœurs, Charlotte et Françoise de Bourbon.




25


Nous ne tracerons pas ici le tableau des monstrueux excès par lesquels le duc se déshonora. On frémit d'indignation et de dégoût à l'aspect des lugubres et cyniques détails dans lesquels sont entrés, sur ce point, Brantôme (édit. L. Lal., t. V, p. 9 et suiv.), et, plus amplement encore l'auteur de l'Histoire des martyrs (in-fo 1608, p. 589 à 591, et 593, 594). – Voir aussi l'Histoire des choses mémorables advenues en France, de 1547 à 1597 (édit. de 1599, p. 186 à 193).




26


On lit dans un rapport relatif à un synode provincial des églises réformées, tenu à Laferté-sous-Jouarre, le 27 avril 1564, le passage suivant: «Le duc de Bouillon a envoyé paroles de créance par Perucelly, qui disoit avoir parlé à luy à Troyes, ou ès environs, et par Journelle, par lesquelles il faisoit entendre le bon vouloir qu'il a de s'employer pour le Seigneur, avec madame sa femme, et que, en brief temps il exterminerait la messe et prestres de ses terres, et que de cela ne pouvait estre empesché, parce qu'il ne dépendoit que de Dieu et de l'espée. Il prioit l'assemblée de luy faire venir des régents de Genève pour dresser un collège à Sedan, lequel il veult renter de deux ou troys mille francs; promettant que ses places seront toujours seur refuge aux fidèles, et qu'elles estoient munies suffisamment de tout ce qu'il falloit.» (Bibl. nat. mss., f. fr., vol. 6.616, fos 96, 97).




27


E. Benoit, Histoire de l'Édit de Nantes, t. Ier, p. 42. – De Thou, Histoire univ., t. III, p. 655. – Bayle, Dict. phil., Ve Rosier (Hugues, Sureau du).




28


«Quoy que le duc de Montpensier eût eu de la duchesse, sa femme, un fils et plusieurs filles, il ne laissa pas de songer à un second mariage, à l'âge de cinquante-cinq ans passés; et ayant fait choix de Catherine de Lorraine, fille de François de Lorraine, duc de Guise, et d'Anne d'Este, pour lors âgée seulement de dix-huit ans, le traité en fut passé à Angers, le 4 février 1570.» (Coustureau, Vie du duc de Montpensier, addit., p. 179). – Brantôme dit de Catherine de Lorraine que «bien tendrette d'aage, elle espousa son mary qui eût pu estre son ayeul». (Édit. L. Lal., t. IX, p. 646). – Le Laboureur (addit. aux Mém. de Castelnau, t. II, p. 735) allant au fond des choses, n'hésite pas à dire: «Le duc de Montpensier se maria, en premières noces à Jacqueline de Long-Vic, pour profiter du crédit de l'admiral Chabot, qui avoit épousé Françoise de Long-Vic, sa sœur aînée; et ce fut pour la mesme considération qu'il prit pour seconde femme Catherine de Lorraine, sœur du duc de Guise, auquel cette alliance fut plus utile pour achever de détacher ce prince des intérêts de sa maison, et pour le discréditer parmi des siens, qu'elle ne lui fut avantageuse… Il apprit par les suites des différends qu'il eut à la cour et par la conduite que cette seconde femme tint avec lui, qu'on n'avoit eu d'autre dessein que de désunir sa maison… en luy donnant pour le veiller une femme fort entreprenante et qui luy donna bien des affaires.»]




29


British museum, mss. Harlay, 1.582, fo 367.




30


Jacques Couet, ministre de la parole de Dieu, auteur du Traité servant à l'esclaircissement de la doctrine de la prédestination, Basle, »in-8o, 1779.» – Les lignes ci-dessus transcrites sont tirées de la préface de ce traité, dans laquelle Couet s'adresse «à haulte et puissante» dame, madame Louise-Julienne de Nassau, Electrice palatine.»]




31


Mémoires sur la vie et la mort de la sérénissime princesse Loyse-Julienne, Electrice palatine, née princesse d'Orange. 1 vol. in-4o; à Leyden, de l'imprimerie de Jean Main, 1625, fo 12.




32


De Thou, Hist. univ., t. II, p. 701.




33


Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 6.619.




34


Frédéric III s'est, en quelque sorte, peint lui-même dans cette vaste correspondance et dans son testament. En publiant l'une et l'autre, le savant et judicieux M. Kluckhohn a élevé un monument durable à la mémoire du prince électeur. Voir 1o sur Frédéric III, Le Laboureur, addit. aux Mém. de Castelnau, in-fo, t. Ier, p. 538 à 542; – les Mém. de Condé, passim; – D'Aubigné, Histoire univ., passim; – La Popolinière, Hist., passim; – Brantôme, édit., L. Lal., t. Ier, p. 313; – Baum, Th. de Bèze, append.; – Archives de Stuttgard, Frankreich, 16, no 40; —Bulletin de la Soc. d'hist. du prot. fr., année 1869, p. 287. – 2o Écrits de Frédéric III—das Testament Friedrichs des frommen, Kurfürsten der Pfalz, von A. Kluckhohn, in-4o; – Kluckhohn, Briefe Friedrichs des frommen, etc., etc., in-8o, 1868, 3 vol. – Voir, pour d'autres lettres de Frédéric III, en Angleterre, Calendar of State papers, foreign series, ann. 1560, 1562, 1563, 1567, 1668 et suiv.; – à Genève, Archiv., portef. histor., no 1.753; – en France, Bibl. nat., mss., f. fr., vol. 2.812, 3.193, 3.196, 3.210, 3.314, 3.318, 6.619, 15.544, et fonds Colbert, Ve vol. 397.




35


Dédicace de son célèbre ouvrage, intitulé la Gaule françoise (ap. Mém. de l'Estat de France sous Charles IX, t. II, p. 579).




36


Mém. de Condé, in-4o, t. III, p. 431.




37


Frédéric III couronna sa carrière par une profession solennelle de sa foi qu'il consigna dans un testament du 23 septembre 1575, contenant d'ailleurs, sur des points divers, une longue suite de dispositions. L'une d'elles, notamment, atteste sa constante sollicitude pour les nombreuses victimes des persécutions religieuses, qui, à leur sortie de France ou d'autres pays, avaient trouvé dans le Palatinat un accueil hospitalier, et pour celles qui à l'avenir, y chercheraient un refuge; il voulait que les unes continuassent à jouir des avantages dont elles étaient pourvues, et que des secours fussent assurés d'avance aux autres. Sa sollicitude se portait aussi, dans l'intérêt des professeurs, des étudiants et étrangers, de toutes conditions, qui ne parlaient pas l'allemand, sur la continuation du service divin qui se célébrait, en langue française, à Heydelberg.




38


Loc. cit.]




39


Bibl. nat., mss., f. fr., vol. 3.193, fo 62.




40


Lettre du duc de Montpensier à sa fille, l'abbesse de Farmoutiers (ap. dom Toussaint Duplessis, Hist. de l'église de Meaux, in-4o, 1731, t. II, Pièces justificatives, no 5).




41


Bibl. nat., mss., f. fr., vol. 3.353, fo 23.




42


Cette réponse, démesurément longue, est intégralement reproduite avec les annotations qu'elle nécessite, au no 2 de l'Appendice, dans la rudesse de ses assertions, pour la plupart outrageantes et mensongères.




43


«Le duc de Montpensier lors emplissoit la cour de plaintes, pour sa fille, l'abbesse de Jouarre, qui, se voyant menacée, s'enfuit à Heidelberg.» (D'Aubigné, Hist. univ., t. II, liv. 1er, ch. II.)




44


Bibl. nat., mss., f. fr., vol. 3,182, fos 58 et suiv. – Au dos du document ci-dessus transcrit se trouve la mention suivante: «Par commandement de messieurs le premier président et Boissonnet, conseiller, ceste information faicte par les officiers de Jouerre.»]




45


«Il y eut force dépesches vers le comte palatin pour r'avoir Charlotte de Bourbon, mais lui, ne voulant la renvoyer qu'avec bonnes cautions, pour la liberté de la dame en sa vie et en sa religion, le père aima mieux ne l'avoir jamais.» (D'Aubigné, Hist. univ., t. II., liv. Ier, chap. II). – «Le père, grand catholique, avoit redemandé sa fille à l'électeur, vers lequel fut envoyé M. le président de Thou, et puis M. d'Aumont. L'électeur offrit de la renvoyer au roi, pourvu qu'on ne la forçât point dans sa religion; mais M. de Montpensier aima mieux la laisser vivre éloignée de lui que de la voir, à ses yeux, professer une religion qui lui étoit si à contre-cœur.» (Mémoires pour servir à l'histoire de la Hollande et des autres provinces unies par Aubery de Maurier. Paris, in-12, 1688, p. 63.)




46


British museum, mss. Harlay, 1.582, fo 367.




47


British museum, mss. Harlay, 1.582, fo 367.




48


«La de Vandoma (qualification dédaigneusement appliquée par les Espagnols à Jeanne d'Albret) partio ayer para la dicha Vandoma. Oy el conde Lodovico, el almirante y toda la camarada se han de hallar alli para hazer su cena y el enterramiento del principe de Condé que por la honrra le quieren poner en la yglesia entre los otros de su sangre.» (Pedro de Aguila au duc d'Albe; Blois, 5 mai 1572, Archiv. nat. de France, K. 1.526, B. 32.)




49


Jeanne d'Albret succomba, à Paris, le 9 juin 1572. – Voir sur ses derniers moments et sur sa mort, notre publication intitulée: Gaspard de Coligny, amiral de France, t. III, p. 383, 384, 385.




50


Lettre de l'électeur Frédéric III, à J. Junius, de juin 1572 (ap. Kluckhohn, Briefe, etc., etc., Zweiter Band, no 662, p. 467). – Voir aussi, Calendar of state papers, foreign series, lettre du 27 juin 1572. On y lit: «Mademoiselle de Bourbon is very grieved at the death of the queen of Navarra.»]




51


Benoit, Hist. de l'édit de Nantes, t. Ier, p. 42. – Bayle, Dict. phil., Vc Rosier (Hugues Sureau du). – Voir aussi les détails que donne sur les missions de Maldonat et de du Rosier un écrit intitulé: «Oraison funèbre pour la mémoire de très noble madame Françoise de Bourbon, princesse de Sedan, faicte et prononcée par de Lalouette, président de Sedan, etc., etc. Sedan, in-4o, p. 10.»]




52


La confession et recongnoissance d'Hugues Sureau, dit du Rosier touchant sa chute en la papauté et les horribles scandales par lui commis, à, etc. (Mémoires de l'Estat de France sous Charles IX, t. II, p. 238 et suiv.).




53


Relation, ap. Kluckhohn, Briefe Friederich des frommens, Erst Band, p. 215 à 229. – Voir, sur la mission de Boquin, les développements contenus dans notre publication intitulée: Les protestants à la cour de Saint-Germain, lors du colloque de Poissy, 1574.




54


Doneau fut appelé, le 19 décembre 1572, à Heydelberg, pour y enseigner le droit romain.




55


Voir sur François Dujon, D. 1o Scrinium antiquarium, Groning, 1754, t. Ier, part. 2, Francisci Junii vita ab ipsomet conscripta; 2o G. Brandts, Historie der Reformatie, Amst., 1677, in-4o, Boek 5, 6, 7, 8, 9, 10, 15, 17.




56


«Taffin (Jean), Bleef echter tot in 1572, te Metz, beget zich naar den Paltz in weerd fransch predikant te Heidelberg.» (Dict. biogr., Holland.) – Voir sur J. Taffin, l'intéressante et substantielle monographie de M. Charles Rahlenbeck, intitulée: Jean Taffin, un réformateur belge du XVIe siècle, Leyde, 1886, br. in-8o.




57


La lettre écrite à Chastillon et à d'Andelot par Charlotte de Bourbon, le 12 mars 1573, est ici intégralement reproduite d'après l'original que M. le duc de La Trémoille possède dans ses riches archives, et qu'il a bien voulu me communiquer.




58


Jacqueline d'Entremont, que le duc de Savoie tenait alors en captivité. (Voir, sur ce point, notre publication intitulée Madame l'amirale de Coligny, après la Saint-Barthélemy. Br. in-8o, Paris, 1867.)




59


Archives de M. le duc de La Trémoille (même indication que dans la note précédente).




60


Mém. de l'Estat de France sous Charles IX, t. III, p. 6 à 15. – La Popelinière, Hist., t. II, liv. 36, fos 196, 197, 198. – Du Bouchet, Hist. de la maison de Coligny, p. 569.




61


Mém. de l'Estat de France sous Charles IX, t. III, p. 8.




62


Mém. de l'Estat de France sous Charles IX, t. III, p. 14, 15.




63


«Le roi, dit de Thou (Hist. univ., t. V, p. 6), éluda leurs demandes sous prétexte qu'elles n'intéressoient en rien la Pologne.»]




64


Bibl. nat., mss., f. Colbert, Ve vol. 397, fo 947.




65


Calendar of state papers, foreign series: 1o The queen to Dr Valentin Dale, 3 février 1574; – 2o Dr Dale to the queen, 19 février 1574; – 3o Answer, 8 mars 1574; – 4o Instruction to lord North in special embassy to the French king, 5 octobre 1574.




66


Sa suite se composait du duc de Nevers, du duc de Mayenne, du marquis d'Elbeuf, de Jacques de Silly, comte de Rochefort, du comte de Chaunes, de Jean Saulx-Tavannes, vicomte de Lagny, de Louis P. de la Mirandole, de René de Villequier, de Gaspard de Schomberg, d'Albert de Gondi, maréchal de Retz, de Roger de Bellegarde, de Belville, de Jacques de Levi de Quélus, de Gordes, des frères de Balzac d'Entragues, et de plus de six cents autres Français, tous gentilhommes. Il y avait, en outre, Pomponne de Bellièvre qui suivait le prince en qualité d'ambassadeur de France à la cour de Pologne, Gui du Faur de Pibrac, Gilbert de Noailles et Vincent Lauro, évêque de Mondovi, ministre du pape. (De Thou, Hist. univ., t. V, p. 21.)




67


Hist. univ., t. II, liv. II, ch. XIV.




68


Rappelons ici ces belles paroles que, quelques années auparavant, Frédéric III avait adressées à l'amiral: «Gratulamur tibi quod, præ cæteris, posthabitis omnibus iis rebus quas mundus amat, suscipit et admiratur, totus in propagatione gloriæ Dei acquiescas; nec dubitamus quin Deus his tuis conatibus felicem et exoptatum successum sit daturus, quos nos arduis ad Christum precibus juvare non cessabimus.» (Lettre du 23 mai 1561, ap. Kluckhohn, Briefe Friederich des frommen, Kurfürsten von der Pfalz, 1868, in-8o, t. Ier, p. 179). – L'électeur palatin, Frédéric III, a rédigé, sur son entrevue à Heydelberg avec le roi de Pologne, un récit en allemand, qui a été imprimé dans un recueil intitulé: Monumenta pietatis et litteraria virorum in re publica et litteraria illustrium selecta, Francfort, 1701, in-4o, et que reproduit le tome IV des œuvres de Brantôme (édit. L. Lal.), à l'appendice, p. 412 et suiv.




69


Mémoires, in-8o, 1877, t. Ier, p. 195, 196.




70


Kluckhohn, Briefe Friedrichs des frommen, t. II, p. 694.




71


Mém. de Mme Duplessis-Mornay, édit. de 1824, t. Ier, p. 80. —Histoire de la vie de messire Philippe de Mornay, Leyde, 1647, in-4o, p. 28.




72


«Condœus prœsens nuper publice processus est, in ecclesia gallica quæ est Argentorati, se gravissime Deum in eo offendisse, quod post illam parisiensem stragem, metu mortis, ad sacra pontificia accesserit, et petiit à Deo et ab ecclesia ut id sibi ignosceretur.» (Huberti Langueti Epist., lib. Ier, p. 19, 24 junii 1574.)




73


Lettre de Guillaume Ier, prince d'Orange, au comte Jean de Nassau, du 7 mai 1574. (Groen van Prinsterer, Correspondance de la maison d'Orange-Nassau, 1re série, t. IV, p. 385.) – Cette lettre, dans laquelle Guillaume parle de l'arrivée de Condé à Heydelberg, contient ce passage remarquable: «Il nous faut avoir cette assurance que Dieu n'abandonnera jamais les siens; dont nous voyons maintenant si mémorable exemple, en la France, où, après si cruel massacre de tant de seigneurs, gentilshommes et autres personnes de toutes qualitez, sexe et aage, et que chacun se proposoit la fin et une entière extirpation de tous ceux de la religion, et de la religion mesme, nous voyons ce néantmoins qu'ils ont de rechef la teste eslevée plus que jamais.»]




74


Charlotte Arbaleste de La Borde, veuve de Jean de Pas, seigneur de Feuquères. Elle était en 1572, âgée de vingt-deux ans.




75


Mém. de Mme de Mornay, édit. de 1824, t. Ier, p. 71.




76


Philippe de Mornay, en 1572, était âgé de vingt-trois ans.




77


Mém. de Mme de Mornay, édit. de 1824, t. Ier, p. 82.




78


Henri-Robert, duc de Bouillon, mourut le 2 décembre 1574. Il eut pour successeur Guillaume-Robert, son fils aîné, âgé de douze ans.




79


Mém. de Mme de Mornay, édit. de 1824, t. Ier, p. 84, 85. – Voir aussi l'Histoire de la vie de messire Philippe de Mornay, Leyde, in-4o.




80


Elle était fille de Diane de Poitiers, et avait hérité de la haine de celle-ci contre les protestants, ainsi que de l'âpre cupidité qui la poussait à s'enrichir de leurs dépouilles.




81


On voit par là que Mme de Bouillon mère était de la même école que le duc de Montpensier, et qu'elle n'avait pas plus de ménagements pour son fils, que Louis de Bourbon II n'en avait pour sa fille aînée; car, si la duchesse de Bouillon était exposée aux obsessions tenaces de son père, en matière religieuse, le duc de Bouillon, de son côté, avait à redouter et à déjouer les coupables manœuvres de sa mère, hostile à la religion réformée qu'il professait, et, par voie de conséquence, aux droits dont il était investi, dans l'étendue de son duché.




82


De Thou (Hist. univ., t. V, p. 166) dit en parlant de Charlotte de Bourbon: «C'estoit une princesse d'une grande beauté et de beaucoup d'esprit.» – Un autre écrivain dit: «Si le visage de cette princesse avoit de la sérénité et de la majesté, tout ensemble et des grâces non communes, son esprit avoit encore plus de beauté, et ses vertus, des attraits indicibles. (Mémoires sur la vie et la mort de la sérenissime princesse Louyse-Julianne, Electrice palatine, Leyde, 1625, 1 vol. in-4o.)




83


Durant les premiers mois de l'année 1572, Guillaume de Nassau séjourna en Allemagne, et tout particulièrement à Dillembourg, ainsi que le prouvent plusieurs de ses lettres datées de cette ville, il s'occupait d'organiser une armée, à la tête de laquelle il marcherait au secours de son frère Louis, qui se trouvait alors aux prises, dans le Hainaut, avec les forces espagnoles. Voulant, au sujet de l'expédition qu'il préparait, se concerter avec l'électeur palatin, il se rendit à Heydelberg, et ce fut très probablement alors qu'à la cour de ce prince il vit Charlotte de Bourbon. M. Groen van Prinsterer (Corresp. de la maison d'Orange-Nassau, Ire série, t. V, p. 113) se rapproche de notre opinion, sur ce point. Il en est de même de J. Van der Aa, dans l'ouvrage intitulé: Biographisch Woordenboek der Nederlanden, 1858, in-fo, Derde Deele, V. Charlotte de Bourbon.




84


«Quant à ceux qui avoient la cognoissance de la religion, je confesse que je ne les ai jamais haïs, car, puisque, dès le berceau, j'y avois été nourri, monsieur mon père y avoit vécu, y estoit mort, ayant chassé de ses seigneuries les abus de l'Eglise, qui est-ce qui trouvera estrange si ceste doctrine estoit tellement engravée en mon cœur et y avoit jecté telles racines, qu'en son temps elle est venue à apporter ses fruicts? Car combien, pour avoir esté, si longues années, nourri en la chambre de l'empereur, et estant en âge de porter les armes, que je me trouvai aussitôt enveloppé de grandes charges ès armées, pour ces raisons, dis-je, et veu le peu de bonne nourriture, quant à la religion, que nous avions, j'avois lors plus à la teste les armes, la chasse et autres exercices de jeunes seigneurs, que non pas ce qui estoit de mon salut: toutefois, j'ai grande occasion de remercier Dieu, qui n'a pas permis ceste sainte semence s'étouffer, qu'il avoit semée luy-mesme en moy; et dis dadvantage, que jamais ne m'ont plû ces cruelles exécutions de feux, de glaive, de submersions, qui estoient pour lors trop ordinaires à l'endroit de ceux de la religion.» (Apologie de Guillaume de Nassau, prince d'Orange, contre l'édict de proscription publié en 1580 par Philippe II, roi d'Espagne, Bruxelles et Leipzig, 1 vol. in-8o, p. 87, 88.)




85


Loin d'être taciturne, il se montrait au contraire si bien doué d'expansion et d'affabilité, qu'on a dit de lui: «C'étoit un personnage d'une merveilleuse vivacité d'esprit… jamais parole indiscrète ou arrogante ne sortait de sa bouche par colère, ni autrement; mesmes si aulcuns de ses domestiques luy faisoient faulte, il se contentoit de les admonester gracieusement, sans user de menaces ou propos injurieux; il avoit la parole douce et agréable, avec laquelle il faisoit ploïer les aultres seigneurs de la court, ainsy que bon luy sembloit; aimé et bien voulu sur tous aultres, pour une gracieuse façon de faire, qu'il avoit, de saluer, caresser, et arraisonner familièrement tout le monde.» (Mémoires de Pontus Payen, Bruxelles, Leipzig et Gand, 1861, in-8o, t. Ier, p. 42). – On lit dans un récit manuscrit, intitulé: Troubles des Pays-Bas (Bibl. nat., mss., f. fr., vol. 24.179): «Quand Guillaume de Nassau parloit, sa conversation étoit séduisante; son silence même étoit éloquent; on pouvoit lui appliquer le proverbe italien: Tacendo parla, parlando incanta.»]




86


Apologie précitée, p. 88.




87


Il existe une touchante lettre de lui sur ce grave sujet (Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. Ier, p. 47. Lettre du 15 octobre 1559, datée de Bruxelles). On y rencontre l'expression des louables sentiments qui l'animaient comme fils et comme frère, et auxquels il demeura fidèle.




88


Apologie précitée, p. 109.




89


J. – F. Lepetit, la Grande chronique de Hollande, Zélande, etc., in-fo, t. II, p. 174, 175, 176.




90


Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. IV, p. 175. Lettre du 22 juillet 1573.




91


P. Bor, Historie der Nederlandtsche Oorlogen, Seste Boek, p. 447, 448, 9 Augusti 1573.




92


Il écrivait au comte Jean de Nassau, à propos de la mort de Louis et de Henri: «Je vous confesse qu'il ne m'eust sçeu venir chose à plus grand regret; si est-ce que tousjours il nous faut conformer à la volonté de Dieu et avoir esgard à sa divine providence, que celui qui a respandu le sang de son fils unique, pour maintenir son église, ne fera rien que ce qui redondera à l'avancement de sa gloire et maintenement de son église, oires qu'il semble au monde chose impossible. Et combien que nous tous viendrions à mourir, et que tout ce pauvre peuple fust massacré et chassé, il nous faut toutefois avoir cette asseurance, que Dieu n'abandonnera jamais les siens, dont voyons maintenant si mémorable exemple en la France, où après si cruel massacre de tant de seigneurs, gentilshommes et autres personnes de toutes qualitez, sexe et âge, et que chacun se proposoit la fin et une entière extirpation de tous ceux de la religion, et de la religion mesme, nous voyons ce néantmoins, qu'ils ont derechef la teste eslevée plus que jamais, se trouvant le roy en plus de peines et fascheries que oncques auparavant, espérant que le seigneur Dieu, le bras duquel ne se raccourcit point, usera de sa puissance et miséricorde envers nous.» (Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. IV, p. 386, 387.)




93


Voir Appendice, no 3.




94


Lettre du 7 septembre 1574 (Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. V, p. 53).




95


Voir, sur les divers points ci-dessus indiqués, les documents recueillis par M. Groen van Prinsterer dans la Correspondance de la maison d'Orange-Nassau, 1re série, t. III, p. 326, 354, 367, 369, 387, 391, 394, 397.




96


Voir Appendice, no 4.




97


Voir Appendice, no 5.




98


Autographe (archives de M. le duc de La Trémoille).




99


Certains historiens des Pays-Bas qualifiaient la princesse de «vray miroir de toute vertu, et de princesse vrayment douée d'une piété singulière.» (Voir Lepetit, la Grande chronique de Hollande, Zélande, etc., t. II, p. 301. —Hist. des troubles et guerres civiles des Pays-Bas, par T. D. L., 1 vol. in-12, 1582, p. 358. Ouvrage attribué au prédicateur Ryckwaert d'Ypres.)




100


Genèse, chap. II, v. 18. —Proverbes, chap. XXXI, v. 12.




101


Groen van Prinsterer, Correspondance, 1re série, t. V, p. 165.




102


Voir Appendice, no 5.




103


Groen van Prinsterer, Correspondance, 1re série, t. V, p. 192.




104


Groen van Prinsterer, Correspondance, 1re série, t. V, p. 205.




105


«Charlotte van Bourbon quam over Embden, alwaer de prince de selve twe wel toegeruste Oorlog-schepen sond, diese brachten na de Mase, etc., etc.» (Voir Bor, Historie der Nederlandtsche Oorlogen, in-fo, t. Ier, p. 644.)




106


Archives générales du royaume de Hollande.




107


On lit dans le recueil des Résolutions des états de Hollande (Archives générales du royaume de Hollande): «Séance du 10 juin 1575. – Les villes et états de Hollande ayant résolu d'offrir à la princesse Charlotte de Bourbon, à titre de congratulation et de don, une somme de six mille livres, il sera demandé à Son Excellence en quoi elle désire que le don consiste, soit en numéraire soit en pierres précieuses.» «Séance du 16 juin 1575. – Son Excellence a déclaré désirer que le don destiné à la princesse lui soit offert en numéraire, afin qu'elle en puisse faire tel usage que bon lui semblera.»]




108


Voir Appendice, no 6.




109


Ce détail, ainsi que plusieurs autres, relatifs à l'entrée et au séjour de Charlotte de Bourbon à Dordrecht, est consigné dans la publication suivante: Dordrecht, door Dr G. V. J. Schotel, te Dordrecht bij H. Lagerewij, 1858, br. in-8o, p. 50 et suiv. (Komst van Charlotte van Bourbon te Dordrecht in 1575). Il y est parlé, notamment d'une association littéraire, dite des Rhétoriciens, ayant pour devise les «mots: joie pure, laquelle joua, pour le bon plaisir de Son Excellence, une moralité.»]




110


Geuse Liet Boek, waer in begrepen is den Oorsprongh van de troubelen der Nederlansche Oorlogen, en et geen doer op gevolght is. «T'Amsterdam gedruckt by Jan Jacobsz Bonneau, woonende op 't water, anno 1656, in-8o».




111


Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. V, p. 230.




112


Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. V, p. 244 et suiv.




113


Anne de Saxe.




114


Voir Appendice, no 7.




115


Lettre datée de Dillembourg, 21 nov. 1575 (Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, t. V, p. 312.)




116


Groen van Prinsterer, Corresp., 1re série, suppl., p. 174.




117


Bibl. nat., mss., f. fr., vol. 3.415, fo 34.




118


«Le duc de Montpensier reçut le déplaisir de perdre la duchesse douairière de Nevers, sa fille, cette même année (1575), à laquelle, quoique de la religion, il fit faire des obsèques avec grande cérémonie, à Champigny, le 25 novembre.» (Coustureau, Vie du duc de Montpensier, addit., p. 192.)



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